Language of document : ECLI:EU:T:2012:187

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

19 avril 2012 (*)

« Recours en annulation – Dumping – Défaut d’affectation individuelle – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑162/09,

Adolf Würth GmbH & Co. KG, établie à Künzelsau (Allemagne),

Arnold Fasteners (Shenyang) Co. Ltd, établie à Shenyang (Chine),

représentées par Mes M. Karl et M. Mayer, avocats,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par M. J.-P. Hix, en qualité d’agent, assisté de Mes G. Berrisch et G. Wolf, avocats, puis par MM. Hix et B. Driessen, en qualité d’agents, assistés de Me Berrisch,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par MM. H. van Vliet et B. Martenczuk, en qualité d’agents,

et par

European Industrial Fasteners Institute AISBL (EIFI), établie à Bruxelles, (Belgique) représentée initialement par Mes J. Bourgeois, Y. van Gerven et E. Wäktare, puis par Me Bourgeois, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation du règlement (CE) nº 91/2009 du Conseil, du 26 janvier 2009, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier originaires de la République populaire de Chine (JO L 29, p. 1),

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. A. Dittrich, président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. M. Prek (rapporteur), juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 décembre 2011,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La première requérante, Adolf Würth GmbH & Co. KG, est la maison mère du groupe Würth, établi en Allemagne. La principale activité du groupe Würth est le commerce international de matériel de fixation et de montage.

2        La seconde requérante, Arnold Fasteners (Shenyang) Co. Ltd. (ci-après « Arnold Fasteners »), fondée le 17 mai 2007 et appartenant au groupe Würth, est une entreprise chinoise qui développe, fabrique, distribue, exporte et importe surtout des pièces métalliques et des éléments de fixation.

3        À la suite d’une plainte déposée le 26 septembre 2007 par l’European Industrial Fasterners Institute AISBL (EIFI), la Commission des Communautés européennes a publié, le 9 novembre 2007, un avis d’ouverture d’une procédure antidumping concernant les importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier originaires de la République populaire de Chine (JO C 267, p. 31). L’enquête a couvert la période comprise entre le 1er octobre 2006 et le 30 septembre 2007.

4        Les producteurs communautaires à l’origine de la plainte, les autres producteurs communautaires, les producteurs et exportateurs, les importateurs, les utilisateurs, les associations notoirement concernées et les représentants du gouvernement chinois ont été officiellement informés de l’ouverture de la procédure. Les parties intéressées ont eu la possibilité de faire connaître leur point de vue par écrit et de demander à être entendues dans le délai fixé dans l’avis d’ouverture.

5        En raison du nombre élevé de producteurs et exportateurs du produit concerné en Chine, ainsi que de producteurs et d’importateurs communautaires, la Commission a décidé de recourir à l’échantillonnage, conformément à l’article 17, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 56, p. 1, ci-après le « règlement de base »), tel que modifié [devenu article 17, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 343, p. 51)].

6        Ont été retenus dans l’échantillon les sept importateurs les plus importants en termes de volume de ventes, dont Adolf Würth. Ces derniers ont reçu des questionnaires auxquels ils ont répondu dans le délai prévu. En outre, la Commission a effectué des vérifications dans les locaux de six d’entre eux, dont Adolf Würth.

7        Le 26 janvier 2009, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement (CE) nº 91/2009, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains éléments de fixation en fer ou en acier originaires de la République populaire de Chine (JO L 29, p. 1, ci-après le « règlement attaqué »).

8        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement attaqué a institué un droit antidumping définitif sur les importations dans la Communauté européenne de certains éléments de fixation en fer ou en acier allant de 0 à 79,5 % pour les produits fabriqués par des sociétés ayant obtenu un traitement individuel, un droit de 77,5 % pour les sociétés ayant coopéré, mais non incluses dans l’échantillon, et un droit de 85 % pour toutes les autres sociétés.

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 avril 2009, Adolf Würth et Arnold Fasteners (ci-après, prises ensemble, les « requérantes ») ont introduit le présent recours.

10      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 juillet 2009, la Commission a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions du Conseil.

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 août 2009, l’EIFI a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions du Conseil. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 octobre 2009, les requérantes ont soulevé des objections à l’encontre de cette intervention. Le Conseil n’a pas soulevé d’objections.

12      Par ordonnance du 10 novembre 2009, le président de la cinquième chambre du Tribunal a admis l’intervention de la Commission. Par courrier du 18 décembre 2009, cette dernière a informé le Tribunal qu’elle soutenait tous les arguments et les réponses présentés par le Conseil.

13      Par ordonnance du 24 juin 2010, le président de la cinquième chambre du Tribunal a admis l’intervention de l’EIFI. Celui-ci a déposé son mémoire dans le délai imparti.

14      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

15      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

16      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 14 décembre 2011.

17      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué ;

–        à titre subsidiaire, annuler le règlement attaqué dans la mesure où elles sont, l’une et l’autre, individuellement concernées ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

18      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou, en tout état de cause, comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

19      L’EIFI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens, y compris ceux exposés par lui du fait de son intervention.

 Sur la recevabilité

20      Sans formellement soulever une exception d’irrecevabilité au sens de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal, le Conseil, soutenu par la Commission et l’EIFI, conteste la recevabilité du recours en faisant valoir que les requérantes ne sont pas individuellement concernées par le règlement attaqué.

21      Pour statuer sur le bien-fondé de la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil, il convient de rappeler que, s’il est vrai que, au regard des critères de l’article 230, quatrième alinéa, CE, les règlements instituant des droits antidumping ont, par leur nature et leur portée, un caractère normatif, en ce qu’ils s’appliquent à la généralité des opérateurs économiques intéressés, il n’est pas exclu pour autant que certaines dispositions de ces règlements puissent concerner individuellement certains opérateurs économiques (arrêt de la Cour du 21 février 1984, Allied Corporation e.a./Commission, 239/82 et 275/82, Rec. p. 1005, point 11 ; arrêts du Tribunal du 20 juin 2000, Euromin/Conseil, T‑597/97, Rec. p. II‑2419, point 43, et du 28 février 2002, BSC Footwear Supplies e.a./Conseil, T‑598/97, Rec. p. II‑1155, point 43).

22      Il en résulte que les actes portant institution de droits antidumping peuvent, sans perdre leur caractère réglementaire, concerner, dans certaines circonstances, individuellement certains opérateurs économiques qui ont, dès lors, qualité pour introduire un recours en annulation de ces actes (arrêt de la Cour du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C‑358/89, Rec. p. I‑2501, ci-après l’« arrêt Extramet », point 14).

23      En premier lieu, le juge de l’Union a considéré que certaines dispositions des règlements instituant des droits antidumping peuvent concerner individuellement ceux des producteurs et exportateurs du produit en cause auxquels sont imputées les pratiques de dumping sur la base de données relatives à leur activité commerciale. Cela est le cas, en général, des entreprises productrices et exportatrices qui peuvent démontrer qu’elles ont été identifiées dans les actes de la Commission et du Conseil ou concernées par les enquêtes préparatoires (voir, en ce sens, arrêts Allied Corporation e.a./Commission, point 21 supra, points 11 et 12 ; Euromin/Conseil, point 21 supra, point 45, et BSC Footwear Supplies e.a./Conseil, point 21 supra, point 45).

24      En deuxième lieu, sont individuellement concernés par certaines des dispositions de règlements instituant des droits antidumping ceux des importateurs du produit en cause dont les prix de revente ont été pris en compte pour la construction des prix à l’exportation et qui sont, dès lors, concernés par les constatations relatives à l’existence d’une pratique de dumping (arrêts de la Cour du 14 mars 1990, Nashua Corporation e.a./Commission et Conseil, C‑133/87 et C‑150/87, Rec. p. I‑719, point 15, et Gestetner Holdings/Conseil et Commission, C‑156/87, Rec. p. I‑781, point 18 ; arrêt BSC Footwear Supplies e.a./Conseil, point 21 supra, point 46).

25      La Cour a également décidé que des importateurs associés avec des exportateurs de pays tiers dont les produits sont frappés de droits antidumping peuvent attaquer les règlements instituant lesdits droits, notamment dans le cas où le prix à l’exportation a été calculé à partir des prix de vente sur le marché communautaire pratiqués par lesdits importateurs (voir arrêt BSC Footwear Supplies e.a./Conseil, point 21 supra, point 47, et la jurisprudence citée) ainsi que dans le cas où ce n’est pas l’existence d’une pratique de dumping qui est constatée en fonction des prix de revente de ces importateurs, mais le calcul du droit antidumping lui-même (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 juillet 1990, Neotype Techmashexport/Commission et Conseil, C‑305/86 et C‑160/87, Rec. p. I‑2945, points 19 et 20, et ordonnance du Tribunal du 27 janvier 2006, Van Mannekus/Conseil, T‑278/03, non publiée au Recueil, point 119).

26      En troisième lieu, la Cour a jugé qu’un fabricant d’équipements d’origine (Original Equipment Manufacturer), sans qu’il y eût lieu de le qualifier d’importateur ou d’exportateur, était individuellement concerné par les dispositions du règlement relatives aux pratiques de dumping du producteur auprès duquel il achetait les produits en raison des particularités de ses relations commerciales avec ce producteur. En effet, la Cour a considéré que c’était pour tenir compte de ces particularités que le Conseil avait fixé un certain taux de marge bénéficiaire dans le cadre de la construction de la valeur normale, laquelle avait ensuite été prise en compte dans le calcul de la marge de dumping sur la base de laquelle le droit antidumping avait été fixé, de sorte que le fabricant d’équipements d’origine était concerné par les constatations relatives à l’existence de la pratique de dumping incriminée (voir, en ce sens, arrêts Nashua Corporation e.a./Commission et Conseil, point 24 supra, points 17 à 20, et Gestetner Holdings/Conseil et Commission, point 24 supra, points 20 à 23).

27      Cette reconnaissance du droit de certaines catégories d’opérateurs économiques d’introduire un recours en annulation d’un règlement antidumping ne saurait cependant empêcher que d’autres opérateurs puissent également être individuellement concernés par un tel règlement, en raison de certaines qualités qui leur sont particulières et qui les caractérisent par rapport à toute autre personne (arrêt Extramet, point 22 supra, point 16).

28      La Cour a reconnu que tel était le cas pour un importateur indépendant ayant établi l’existence d’un ensemble d’éléments constitutifs d’une situation particulière le caractérisant, au regard de la mesure en cause, par rapport à tout autre opérateur économique. En particulier, l’importateur indépendant concerné avait prouvé, premièrement, qu’il était l’importateur le plus important du produit faisant l’objet de la mesure antidumping et, en même temps, l’utilisateur final de ce produit, deuxièmement, que ses activités économiques dépendaient, dans une très large mesure, de ces importations et, troisièmement, que ces activités étaient sérieusement affectées par le règlement litigieux, compte tenu du nombre restreint de producteurs du produit concerné et du fait qu’il éprouvait des difficultés à s’approvisionner auprès du seul producteur de la Communauté, qui était, au surplus, son principal concurrent pour le produit transformé (arrêts Extramet, point 22 supra, point 17, et BSC Footwear Supplies e.a./Conseil, point 21 supra, point 50 ; ordonnance Van Mannekus/Conseil, point 25 supra, point 122).

 Sur l’intérêt individuel d’Adolf Würth

29      En l’espèce, en premier lieu, il convient de relever qu’Adolf Würth n’appartient à aucune des trois catégories d’opérateurs visées aux points 23 à 26 ci-dessus, auxquels la jurisprudence a reconnu le droit d’introduire un recours direct contre des règlements instituant des droits antidumping.

30      En effet, Adolf Würth, ainsi qu’elle l’affirme elle-même, est un importateur indépendant. En outre, il ne saurait être considéré que les prix de revente d’Adolf Würth ont été pris en compte pour la construction des prix à l’exportation.

31      À cet égard, comme les requérantes le font valoir, il ressort des considérants 99 et 100 du règlement attaqué que le prix à l’exportation a été calculé à partir des prix à l’exportation réellement payés ou à payer à l’exception de celui concernant deux producteurs et exportateurs liés. Pour ces derniers, le prix à l’exportation a été construit en partant du prix auquel ils ont revendu pour la première fois les produits importés à un acheteur indépendant. Dans le cadre de l’ajustement de ces prix, la marge bénéficiaire a été déterminée à partir des informations communiquées par des importateurs indépendants ayant coopéré, dont Adolf Würth.

32      Toutefois, le fait que l’information concernant un des éléments pour la construction du prix à l’exportation pour les deux exportateurs liés provenait des sept importateurs indépendants concernés ne saurait suffire pour considérer qu’Adolf Würth a ainsi été concernée par les constatations relatives à l’existence d’une pratique de dumping. En effet, ce fait doit plutôt être compris dans le cadre plus général de la participation d’Adolf Würth à la procédure administrative menant à l’adoption du règlement attaqué.

33      À cet égard, en deuxième lieu, il ressort du règlement attaqué (voir point 6 ci-dessus), qu’Adolf Würth a, tout comme les autres importateurs indépendants retenus dans l’échantillon, coopéré avec les institutions, notamment, en ce qu’elle a répondu aux questionnaires reçus et a fait l’objet d’une visite de vérification. Par conséquent, Adolf Würth est citée au considérant 37, sous e), dudit règlement. Cette dernière fait aussi valoir qu’elle faisait partie de ceux des importateurs qui, ainsi qu’il ressort du considérant 193 de ce règlement, avaient formulé des objections tirées de ce que les mesures proposées auraient un impact négatif considérable sur leurs activités en termes de chiffre d’affaires, de rentabilité et d’emplois.

34      Or, s’agissant de la participation d’Adolf Würth à cette procédure, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, bien que la participation d’une entreprise à une procédure antidumping puisse être prise en compte, parmi d’autres éléments, afin d’établir que cette entreprise est individuellement concernée par le règlement instituant les droits antidumping adopté à l’issue de cette procédure, en l’absence d’autres éléments constitutifs d’une situation particulière de nature à caractériser ladite entreprise, au regard des mesures en cause, par rapport à tout autre opérateur économique, une telle participation n’est pas, en soi, de nature à faire naître à son profit un droit à intenter un recours direct contre ledit règlement (arrêt BSC Footwear Supplies e.a./Conseil, point 21 supra, point 61, et ordonnance Van Mannekus/Conseil, point 25 supra, point 127).

35      Il en va de même en ce qui concerne la mention du nom de la première requérante au considérant 37, sous e), du règlement attaqué. Dès lors que la seule participation d’une entreprise à une procédure antidumping ne suffit pas, en l’absence d’autres éléments tels qu’énoncés par la jurisprudence mentionnée au point 34 ci-dessus, pour faire naître à son profit un droit d’intenter un recours direct contre le règlement en cause, la partie requérante ne saurait faire découler ce droit de la mention de son nom à un considérant dudit règlement, puisque cette mention ne fait que constater sa participation à la procédure (ordonnance Van Mannekus/Conseil, point 25 supra, point 128).

36      Par ailleurs, contrairement aux affirmations des requérantes, ces conclusions ne sont pas contraires à celles de l’arrêt du Tribunal du 11 juillet 1996, Sinochem Heilongjiang/Conseil (T‑161/94, Rec. p. II‑695). En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la partie requérante était une société exportatrice chinoise concernée par les enquêtes préparatoires et la seule société chinoise à avoir participé à cette enquête. Les faits dans cette affaire ne sont donc pas comparables à ceux du cas d’espèce.

37      En troisième lieu, les autres faits allégués par Adolf Würth ne sauraient davantage suffire pour la faire regarder comme individuellement concernée par le règlement attaqué au sens de l’arrêt Extramet, point 22 supra.

38      À cet égard, il convient de rappeler que le recours dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Extramet, point 22 supra, a été déclaré recevable en raison de la situation particulière dans laquelle la partie requérante se trouvait, notamment du fait qu’elle était l’importateur le plus important et l’utilisateur final du produit faisant l’objet des mesures antidumping et qu’il existait un nombre restreint de producteurs du produit concerné et un seul producteur de la Communauté auprès duquel elle éprouvait des difficultés à s’approvisionner (arrêt Extramet, point 22 supra, point 17).

39      Or, la situation d’Adolf Würth n’est aucunement semblable à celle de la partie requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Extramet, point 22 supra. D’une part, celle-ci ne prétend pas être l’importateur le plus important des produits concernés. À cet égard, et sans être contredit par les requérantes, le Conseil indique que la part des produits importés par Adolf Würth représentait 0,21 % de l’ensemble du marché communautaire des éléments de fixation.

40      D’autre part, les requérantes soutiennent qu’un approvisionnement en produits concernés à partir d’autres marchés entraînerait des problèmes considérables d’ordre technique et organisationnel ainsi que des prix plus élevés. En outre, un recours aux producteurs de l’Union européenne comme sources d’approvisionnement serait une hypothèse purement théorique, car l’industrie chinoise produirait presque exclusivement des produits standards d’une qualité de base, alors que l’industrie communautaire produirait principalement les produits spéciaux les plus chers.

41      Or, premièrement, les requérantes n’excluent pas toute autre source d’approvisionnement et surtout n’apportent aucun élément de preuve quant aux difficultés constatées préalablement ou auxquelles Adolf Würth se serait heurtée dans la recherche de telles autres sources. Deuxièmement, les requérantes n’ont fourni aucun élément susceptible d’établir en quoi les prétendues difficultés en ce qui concerne Adolf Würth seraient plus importantes que celles rencontrées par les autres importateurs communautaires. En effet, il convient de considérer que ces difficultés, ainsi qu’une éventuelle augmentation des prix en découlant, touchent d’une manière comparable tous les importateurs obligés de se tourner vers d’autres sources d’approvisionnement.

42      Par ailleurs, la question de l’approvisionnement sur le marché de l’Union a déjà été évoquée par le Conseil au considérant 190 du règlement attaqué, ce dernier ayant considéré que les importateurs n’avaient pas pu produire de preuve convaincante indiquant que les producteurs de l’Union n’étaient pas en mesure de répondre à leur demande de tous types d’éléments de fixation.

43      Adolf Würth soutient aussi qu’elle dépend, dans une très large mesure, des importations de ces produits, puisqu’elle se procure, en valeur, 39,7 % et, en volume, 49,4 % de son besoin total en produits concernés auprès de producteurs en Chine. Or, force est de constater qu’elle n’indique aucunement en quoi cette situation, à supposer qu’elle soit établie à suffisance de droit, suffirait à la caractériser par rapport à tout autre opérateur économique important les produits concernés. La possibilité que d’autres importateurs communautaires importent des quantités comparables à celles avancées par Adolf Würth, voire plus importantes, n’est aucunement écartée. En toute hypothèse, l’approvisionnement en produit concerné sur d’autres marchés n’étant pas exclu, les valeurs et les volumes mentionnés ne sauraient, à eux seuls, établir une dépendance à l’importation de Chine du produit concerné, mais pourraient, au mieux, conduire à une conclusion sur l’augmentation des coûts liés à une réorganisation nécessaire d’Adolf Würth.

44      À cet égard, les requérantes soutiennent qu’Adolf Würth risque de subir un préjudice considérable du fait du règlement attaqué, ses coûts d’achat pour les produits concernés devant augmenter, à titre estimatif, de plus de 3 millions d’euros par an. D’une part, force est de constater que ces estimations ne sont aucunement étayées par les requérantes. D’autre part, elles ne permettent pas de conclure que les conséquences économiques subies par Adolf Würth sont plus importantes que celles auxquelles sont confrontés les autres importateurs. À cet égard, la corrélation établie entre la part de marché constituée par les importations en provenance de Chine, soit 26 %, et les valeurs/volumes de ces importations réalisés par Adolf Würth (voir point 43 ci-dessus) n’apporte pas d’élément supplémentaire dans ce sens.

45      Les mêmes conclusions s’appliquent aux affirmations concernant la réorganisation interne des ressources au sein d’Adolf Würth et les investissements affectés aux relations avec les fournisseurs en Chine. Ces chiffres ne sont pas étayés, ni comparés à ceux des autres importateurs.

46      Sur un plan plus général, et ainsi qu’il a été rappelé au considérant 194 du règlement attaqué, il ne peut être exclu que le règlement attaqué ait eu un impact négatif sur les importateurs ayant dû procéder à une renégociation des contrats et à une réorganisation et que cet impact négatif dépende de la position particulière que ceux-ci occupent sur le marché et de leurs relations avec les producteurs et exportateurs chinois. Toutefois, force est de constater que les requérantes n’ont pas apporté d’éléments permettant d’établir l’existence d’un ensemble d’éléments constitutifs d’une situation particulière de nature à caractériser Adolf Würth, au regard du règlement attaqué, par rapport à tout autre opérateur économique au sens de l’arrêt Extramet, point 22 supra.

47      S’agissant de l’argument des requérantes tiré de ce que la protection de leurs droits individuels est en pratique exclue, dès lors que la voie préjudicielle, prévue par l’article 234 CE, n’assure pas une protection juridictionnelle complète et effective, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union ne peuvent pas, sans excéder leurs compétences, interpréter les conditions selon lesquelles un particulier peut former un recours contre un règlement, d’une manière qui aboutit à s’écarter de ces conditions qui sont expressément prévues par le traité, et ce même à la lumière du principe d’une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré, C‑263/02 P, Rec. p. I‑3425, point 36). En outre, il n’est pas contesté, en l’espèce, qu’il existe une voie de recours devant le juge national permettant de mettre en cause la validité du règlement litigieux (ordonnance du Tribunal du 8 août 2002, VVG International e.a./Commission, T‑155/02, Rec. p. II‑3239, point 50).

48      Enfin, l’argumentation des requérantes concernant la violation alléguée de l’obligation d’examiner avec soin et impartialité l’ensemble des aspects pertinents du cas d’espèce relève de l’examen au fond de la présente affaire et ne saurait remettre en question l’appréciation portée sur l’affectation individuelle d’Adolf Würth.

49      Il résulte de ce qui précède que le règlement attaqué concerne Adolf Würth non pas en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne, mais en raison de sa seule qualité objective d’importateur des produits concernés, au même titre que tout autre opérateur se trouvant dans une situation identique dans l’Union.

 Sur l’intérêt individuel d’Arnold Fasteners

50      Il ressort du dossier qu’Arnold Fasteners a été fondée le 17 mai 2007. Selon les requérantes, elle a commencé à produire et à commercialiser des éléments de fixation en février 2009. Les importations dans l’Union de ses produits feraient, depuis cette date, l’objet d’un droit antidumping de 85 %.

51      En premier lieu, dans leurs écritures, les requérantes ont soutenu qu’Arnold Fasteners devait être considérée comme un nouvel exportateur au sens de l’article 2 du règlement attaqué. Cependant, à la suite d’une question posée lors de l’audience, elles ont déclaré qu’aucune demande de réexamen du règlement attaqué en qualité de nouvel exportateur n’avait été faite, Arnold Fasteners ne souhaitant pas obtenir un droit antidumping réduit, mais l’annulation du règlement attaqué dans son ensemble ou au moins en ce qu’il la concernait.

52      À cet égard, il ressort de l’article 11, paragraphe 4, du règlement de base et de l’article 2 du règlement attaqué que, pour obtenir le statut de nouvel exportateur, la société concernée doit fournir les éléments de preuve attestant qu’elle remplit les conditions prévues à cet effet, et ce dans le cadre d’une procédure administrative déterminée.

53      Or, Arnold Fasteners n’ayant introduit aucune demande de réexamen du règlement attaqué à ce titre, elle ne saurait être considérée comme un nouvel exportateur au sens de l’article 11, paragraphe 4, du règlement de base.

54      En deuxième lieu, conformément à la jurisprudence rappelée au point 23 ci-dessus, certaines dispositions des règlements instituant des droits antidumping peuvent concerner individuellement ceux des producteurs et exportateurs du produit en cause auxquels sont imputées les pratiques de dumping sur la base de données relatives à leur activité commerciale. Cela est le cas, en général, des entreprises productrices et exportatrices qui peuvent démontrer qu’elles ont été identifiées dans les actes de la Commission et du Conseil ou concernées par les enquêtes préparatoires.

55      En l’espèce, Arnold Fasteners n’est pas mentionnée dans le règlement attaqué.

56      Toutefois, selon les requérantes, Arnold Fasteners aurait participé à la procédure qui a abouti à l’adoption du règlement attaqué et coopéré avec les institutions, notamment, en répondant de manière complète et véridique et dans les délais au questionnaire de la Commission. Cependant, elle n’aurait pas pu être retenue dans l’échantillon, ni être mentionnée dans l’annexe I de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement attaqué, car, au cours de la période d’enquête, elle n’avait pas encore de production.

57      Il convient de constater que, à la date d’ouverture de la procédure antidumping, à savoir le 9 novembre 2007, Arnold Fasteners n’avait pas encore lancé sa production et qu’elle n’a donc pas pu faire l’objet de l’enquête qui a couvert la période comprise entre le 1er octobre 2006 et le 30 septembre 2007 (voir point 3 ci-dessus). En outre, il ressort du dossier que, par une lettre du 12 juin 2008, soit plus de sept mois après l’ouverture de ladite procédure, un représentant de la maison mère d’Arnold Fasteners a demandé une dérogation pour cette dernière et que la Commission lui a répondu que cela n’était pas possible, tout en lui rappelant qu’Arnold Fasteners pouvait, dans certaines circonstances, introduire une demande en tant que nouvel exportateur. La Commission a de nouveau indiqué qu’un tel réexamen était possible, par courrier électronique du 1er septembre 2008. Puis, par une lettre du 5 décembre 2008, le groupe Würth a demandé qu’Arnold Fasteners soit reconnue comme entreprise ayant coopéré dans le cadre de cette procédure. Par courrier du 16 décembre 2008, la Commission a répondu que cette demande ne pouvait pas être accueillie, car Arnold Fasteners ne s’était pas fait connaître dans le délai imparti après l’ouverture de la procédure antidumping.

58      Afin de prouver la coopération d’Arnold Fasteners avec la Commission, les requérantes ont joint en annexe à la requête un tableau qui, selon elles, correspond à un questionnaire de la Commission dûment rempli et renvoyé. Or, force est de constater que ce document n’est ni daté ni signé et qu’il n’est accompagné d’aucune lettre. En outre, la Commission soutient qu’elle ne l’a jamais reçu. Lors de l’audience, les requérantes ont déclaré qu’Arnold Fasteners n’avait gardé aucune copie de la lettre d’accompagnement du questionnaire parce que, au moment de son envoi, la société était en cours de constitution. En toute hypothèse, le document en question n’étant ni signé ni daté, et son contenu ainsi que son envoi étant contestés par le Conseil, il ne saurait constituer une quelconque preuve de la participation d’Arnold Fasteners à la procédure antidumping concernée. Notamment, son prétendu envoi dans les délais n’est aucunement établi.

59      En conséquence, force est de constater que les requérantes n’ont pas démontré qu’Arnold Fasteners avait participé à la procédure et encore moins qu’elle avait été concernée par l’enquête préparatoire dans le sens que la pratique de dumping lui soit imputée sur la base de données relatives à son activité commerciale.

60      En troisième lieu, il convient de vérifier si Arnold Fasteners est individuellement concernée par le règlement attaqué en raison d’autres qualités qui lui sont particulières et qui la caractérisent par rapport à toute autre personne (arrêt Extramet, point 22 supra, point 16).

61      Selon les requérantes, le règlement attaqué aurait causé un grave préjudice financier à Arnold Fasteners et aurait menacé l’existence même de celle-ci, qui aurait dû ainsi abandonner son « objet commercial ». À cet égard, elles avancent certains chiffres concernant les investissements et le chiffre d’affaires d’Arnold Fasteners et présentent, en annexe, trois tableaux à l’appui de leurs affirmations. Ces tableaux concerneraient l’investissement d’Arnold Fasteners ainsi que son plan d’affaires initial établi en 2007 et son plan d’affaires révisé établi en 2009.

62      Ainsi que l’affirment les requérantes, les tableaux qu’elles ont produits contiennent des calculs internes d’Arnold Fasteners. Toutefois, lesdits tableaux ne sont ni datés ni accompagnés d’une quelconque explication quant à la source exacte des chiffres qu’ils contiennent ou au fait qu’ils concernent réellement Arnold Fasteners et les produits concernés par le règlement attaqué. En toute hypothèse, les requérantes n’ont pas fourni d’élément de nature à établir comment ces chiffres suffiraient à démontrer que le règlement attaqué concerne Arnold Fasteners en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à tout autre producteur et exportateur des produits concernés.

63      Par ailleurs, il convient de préciser que les requérantes n’ont fourni aucune indication des caractéristiques des produits prétendument fabriqués et exportés par Arnold Fasteners depuis la clôture de l’enquête.

64      À supposer même que ces produits correspondent bien aux produits concernés par la mesure antidumping, force est de conclure que, à l’égard d’Arnold Fasteners, le règlement attaqué a un caractère uniquement normatif et que, comme tel, il ne la concerne pas individuellement. En effet, le règlement attaqué ayant été adopté le 26 janvier 2009 et Arnold Fasteners ayant commencé sa production-exportation en février 2009, cette dernière est entrée dans une situation juridique précédemment réglée par un acte de portée générale.

65      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argumentation des requérantes relative à une protection juridictionnelle effective. Selon elles, une situation dans laquelle Arnold Fasteners pourrait introduire un recours uniquement contre un règlement adopté après la procédure de réexamen pour un nouvel exportateur ne serait pas suffisante pour assurer une telle protection. Or, conformément à la jurisprudence rappelée au point 47 ci-dessus, la condition tenant à l’individualisation d’un requérant au regard d’un règlement ne saurait être écartée par la voie d’une interprétation jurisprudentielle fondée sur le principe de la protection juridictionnelle effective. 

66      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les requérantes ne sont pas individuellement concernées par le règlement attaqué et que leur recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

67      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Conseil et l’EIFI, conformément aux conclusions de ces derniers.

68      La Commission supportera ses propres dépens, conformément à l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Adolf Würth GmbH & Co. KG et Arnold Fasteners (Shenyang) Co. Ltd supporteront, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne et par l’European Industrial Fasteners Institute AISBL.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Dittrich

Wiszniewska-Białecka

Prek

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 avril 2012.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.