Language of document : ECLI:EU:F:2016:13

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (troisième chambre)

5 février 2016 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires retraités – Pensions d’ancienneté – Article 64 du statut – Coefficients correcteurs – Actualisation annuelle des coefficients correcteurs – Article 65, paragraphe 2, du statut – Actualisation intermédiaire – Articles 3, 4 et 8 de l’annexe XI du statut – Seuil de sensibilité – Variation du coût de la vie – Article 64, paragraphe 4, du statut – Absence d’actualisation pour les années 2013 et 2014 décidée par le législateur – Portée – Règlement no 1416/2013 – Surévaluation du coefficient correcteur pour le Danemark – Réduction du coefficient correcteur par le mécanisme d’actualisation intermédiaire – Détournement de pouvoir »

Dans l’affaire F‑66/15,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

Inge Barnett, ancienne fonctionnaire du Comité économique et social européen, demeurant à Roskilde (Danemark),

Suzanne Ditlevsen, ancienne fonctionnaire du Comité économique et social européen, demeurant à Copenhague (Danemark),

Annie Madsen, ancienne fonctionnaire du Comité économique et social européen, demeurant à Frederiksberg (Danemark),

représentées par Mes S. Orlandi et T. Martin, avocats,

parties requérantes,

contre

Comité économique et social européen (CESE), représenté par Mme K. Gambino, MM. A. Carvajal et L. Camarena Januzec ainsi que Mme X. Chamodraka, en qualité d’agents, assistés de Me B. Wägenbaur, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre),

composé de MM. S. Van Raepenbusch, président, H. Kreppel et J. Svenningsen (rapporteur), juges,

greffier : Mme W. Hakenberg,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, avec l’accord des parties, de statuer sans audience en application de l’article 59, paragraphe 2, du règlement de procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 24 avril 2015, Mmes Barnett, Ditlevsen et Madsen demandent l’annulation des décisions de l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») du Comité économique et social européen (CESE), contenues dans leurs bulletins de pension respectifs du mois de juin 2014, réduisant le montant de leur pension de retraite respective par l’application, à partir du 1er janvier 2014, du coefficient correcteur de 126,3 % prévu pour les fonctionnaires retraités résidant au Danemark.

 Cadre juridique

1.     Sur la notion de coefficients correcteurs

2        L’article 64 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, dans sa version applicable du 1er mai 2004 au 31 décembre 2013 (ci-après le « statut de 2004 »), prévoyait :

« La rémunération du fonctionnaire exprimée en euros, après déduction des retenues obligatoires visées au présent statut ou aux règlements pris pour son application, est affectée d’un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie aux différents lieux d’affectation.

Ces coefficients sont fixés par le Conseil [de l’Union européenne] statuant, sur proposition de la Commission, à la majorité qualifiée […] »

2.     Sur le mécanisme d’actualisation des rémunérations et des coefficients correcteurs introduit dans le nouveau statut

3        L’article 64 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, dans sa version résultant de l’entrée en vigueur, le 1er novembre 2013, du règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (JO L 287, p. 15, ci-après le « statut » ou le « nouveau statut »), ne prévoit plus la fixation des coefficients correcteurs par voie de règlements du Conseil de l’Union européenne. En effet, le deuxième alinéa de cet article 64 se lit désormais comme suit :

« [L]es coefficients correcteurs sont créés ou retirés et actualisés chaque année conformément à l’annexe XI [du nouveau statut]. En ce qui concerne cette actualisation, toutes les valeurs s’entendent comme étant des valeurs de référence. La Commission [européenne] publie les valeurs actualisées, dans les deux semaines suivant l’actualisation, dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne à des fins d’information. »

4        L’article 65, paragraphe 1, du nouveau statut, applicable depuis le 1er novembre 2013 en vertu de l’article 3 du règlement no 1023/2013, ne prévoit plus de mécanisme d’adaptation des rémunérations des fonctionnaires et autres agents de l’Union européenne par voie de règlements du Conseil, tel qu’il était prévu sous le statut de 2004. En effet, cette disposition prévoit désormais un mécanisme d’actualisation annuelle des rémunérations mis en œuvre conformément à l’annexe XI du nouveau statut.

5        Toutefois, l’article 65, paragraphes 2 à 4, du nouveau statut précise ce qui suit :

« 2.      En cas de variation sensible du coût de la vie, les montants visés au paragraphe 1 et les coefficients correcteurs visés à l’article 64 [du nouveau statut] sont actualisés conformément à l’annexe XI [du nouveau statut]. La Commission [européenne] publie les montants et les coefficients correcteurs actualisés, dans les deux semaines suivant l’actualisation, dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne, à des fins d’information.

3.      Les montants visés au paragraphe 1 et les coefficients correcteurs visés à l’article 64 [du nouveau statut] s’entendent comme des montants et des coefficients correcteurs dont la valeur réelle à un moment donné peut être actualisée sans le truchement d’un autre acte juridique.

4.      Sans préjudice de l’article 3, paragraphes 5 et 6, de l’annexe XI [du nouveau statut], aucune actualisation prévue au titre des paragraphes 1 et 2 n’intervient au cours des années 2013 et 2014. »

3.     Sur l’application de coefficients correcteurs aux pensions d’ancienneté

6        Il ressort du paragraphe 1 de l’article 82 du nouveau statut qu’aucun coefficient correcteur n’est appliqué aux pensions, tandis que le paragraphe 2 dudit article prévoit pour sa part que, « [l]orsque les rémunérations sont actualisées en application de l’article 65, paragraphe 1, [du nouveau statut,] la même actualisation s’applique aux pensions acquises ».

7        L’article 20, paragraphe 1, de l’annexe XIII du nouveau statut, relative aux « [m]esures de transition applicables aux fonctionnaires de l’Union », précise toutefois, notamment, que « [l]a pension du fonctionnaire mis à la retraite avant le 1er mai 2004 est affectée du coefficient correcteur mentionné à l’article 3, paragraphe 5, [sous] b), de l’annexe XI du statut, pour les États membres où il justifie avoir établi sa résidence principale » et que « [l]e coefficient correcteur minimal applicable est 100 ».

8        À cet égard, sous la section 2, intitulée « Modalités de l’actualisation annuelle des rémunérations et pensions », du chapitre 1, intitulé « A[ctualisation annuelle du niveau des rémunérations prévue à l’article 65, paragraphe 1, du nouveau statut] », l’article 3, paragraphes 5 et 6, de l’annexe XI du nouveau statut dispose :

« 5.      Aucun coefficient correcteur n’est applicable pour la Belgique et pour le Luxembourg. Les coefficients correcteurs applicables :

a)      aux rémunérations payées aux fonctionnaires de l’Union européenne en service dans les autres États membres et dans certains autres lieux d’affectation,

b)      par dérogation à l’article 82, paragraphe 1, du [nouveau] statut, aux pensions des fonctionnaires versées dans les autres États membres sur la part correspondant aux droits acquis avant le 1er mai 2004,

sont déterminés sur la base des rapports entre les parités économiques correspondantes, visées à l’article 1er de la présente annexe, et les taux de change prévus à l’article 63 du [nouveau] statut pour les pays concernés.

Sont applicables les modalités prévues à l’article 8 de la présente annexe qui concernent la rétroactivité de l’effet des coefficients correcteurs applicables dans les lieux d’affectation qui subissent une forte inflation.

6.      Les institutions procèdent, avec effet rétroactif entre la date d’effet et la date d’entrée en vigueur de la prochaine actualisation, à l’actualisation positive ou négative correspondante des rémunérations des fonctionnaires concernés et des pensions servies aux anciens fonctionnaires et autres ayants droit.

[…] »

4.     Sur les modalités d’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs

9        Sous le chapitre 2, intitulé « A[ctualisations intermédiaires des rémunérations et des pensions (article 65, paragraphe 2, du nouveau statut]) », de l’annexe XI du nouveau statut, l’article 4 de cette annexe dispose :

« 1.      Avec effet au 1er janvier, l’actualisation intermédiaire des rémunérations et des pensions prévue à l’article 65, paragraphe 2, du [nouveau] statut est décidée en cas de variation sensible du coût de la vie entre juin et décembre (par référence au seuil de sensibilité défini à l’article 6 de la présente annexe), et compte tenu de la prévision d’évolution du pouvoir d’achat durant la période de référence annuelle en cours.

2.      Ces actualisations intermédiaires sont prises en considération lors de l’actualisation annuelle des rémunérations. »

10      L’article 5, paragraphe 2, de l’annexe XI du nouveau statut précise que l’évolution du coût de la vie pour la Belgique et le Luxembourg est mesurée par l’indice commun, tel que défini à l’article 1er, paragraphe 2, de l’annexe XI du nouveau statut, sur la période allant de juin à décembre de l’année civile précédente.

11      L’article 6 de l’annexe XI du nouveau statut dispose :

« 1.      Le seuil de sensibilité pour la période de six mois visée à l’article 5, paragraphe 2, de la présente annexe est le pourcentage correspondant à 6 % pour une période de douze mois.

2.      Pour l’application du seuil, la procédure suivante est retenue […] :

a)      si le seuil de sensibilité est atteint ou dépassé en Belgique et au Luxembourg (en fonction de l’évolution de l’indice commun entre juin et décembre), les rémunérations sont actualisées pour l’ensemble des lieux selon la procédure d’actualisation annuelle ;

b)      si le seuil de sensibilité n’est pas atteint en Belgique et au Luxembourg, seuls sont actualisés les coefficients correcteurs des lieux où l’évolution du coût de la vie (exprimée par celle des indices implicites[, tels que définis à l’article1er, paragraphe 3, sous d), de la présente annexe] entre juin et décembre) a dépassé le seuil de sensibilité. »

12      L’article 8, paragraphe 1, de l’annexe XI du nouveau statut prévoit que, « [p]our les lieux à forte augmentation du coût de la vie (mesurée par l’évolution des indices implicites[, tels que définis à l’article1er, paragraphe 3, sous d), de la présente annexe]), le coefficient correcteur prend effet avant le 1er janvier pour l’actualisation intermédiaire ou avant le 1er juillet pour l’actualisation annuelle[ ; i]l s’agit en l’espèce de ramener la perte de pouvoir d’achat à celle qui serait enregistrée dans un lieu d’affectation où l’évolution du coût de la vie correspondrait au seuil de sensibilité ».

5.     Sur l’adaptation des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations et pensions à partir du 1er juillet 2013

13      Le 17 décembre 2013, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 1416/2013 adaptant, avec effet au 1er juillet 2013, les coefficients correcteurs dont sont affectées les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents de l’Union européenne (JO L 353, p. 24).

14      Les considérants du règlement no 1416/2013 précisent :

« (1) Afin de garantir aux fonctionnaires et autres agents de l’Union un pouvoir d’achat identique indépendamment de leur lieu d’affectation, il y [a] lieu de procéder à une adaptation des coefficients correcteurs dont sont affectées les rémunérations et pensions des fonctionnaires et autres agents de l’Union au titre de l’examen annuel 2013.

(2)      Selon le règlement […] no 1023/2013 […], qui modifie le statut [de 2004], les rémunérations et pensions des fonctionnaires et autres agents de l’Union ne sont pas adaptées en 2013 et en 2014. Cette adaptation se limitera à maintenir un pouvoir d’achat identique dans les différents lieux d’affectation en 2013. »

 Faits à l’origine du litige

15      En tenant compte des modifications opérées par les règlements (UE) no 422/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 adaptant, avec effet au 1er juillet 2011, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents de l’Union européenne ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 129, p. 5), et no 423/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 adaptant, avec effet au 1er juillet 2012, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents de l’Union européenne ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 129, p. 12), le coefficient correcteur appliqué aux pensions d’ancienneté perçues par les fonctionnaires et agents de l’Union ayant pris leur retraite (ci-après les « retraités ») et résidant au Danemark est passé de 130,5 % au 1er juillet 2011 à 127,3 % au 1er juillet 2012.

16      Conformément à l’article 2 du règlement no 1416/2013, le coefficient correcteur applicable aux pensions des retraités résidant au Danemark a été rétroactivement fixé à 132,2 % à compter du 1er juillet 2013.

17      En vertu de l’article 12 de l’annexe XI du nouveau statut, Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, a, dans un rapport du 16 mai 2014, procédé au calcul des variations du coût de la vie pour la période allant de juillet à décembre 2013 et, s’agissant du Danemark, une diminution de 4,2 % du coût de la vie a été mise en évidence par rapport aux données ayant été utilisées pour aboutir à la fixation du coefficient correcteur de 132,2 % retenue par le règlement no 1416/2013.

18      Il ressort d’un extrait du procès-verbal de la réunion du collège des commissaires de la Commission européenne du 28 mai 2014, produit par les requérantes, que, lors de cette réunion, a été soumise au collège et adoptée par lui la proposition de décision SEC(2014) 341 final relative à l’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs applicable à partir du 1er janvier 2014 aux rémunérations et pensions des fonctionnaires et autres agents de l’Union européenne. Cette proposition de décision, entérinant une baisse du coefficient correcteur pour Chypre et le Danemark, pour ce dernier à 126,3 %, était accompagnée de deux annexes explicatives, notamment quant à la méthodologie retenue.

19      Le coefficient correcteur actualisé de 126,3 % pour les pensions au Danemark a ainsi été publié dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne du 13 juin 2014 (JO C 180, p. 8, ci-après l’« actualisation intermédiaire litigieuse »).

20      Par une note du 23 juin 2014, intitulée « Note à l’attention de tous les retraités vivant au Danemark » et émanant de l’unité « Droit de la fonction publique européenne et dialogue social » de la direction générale des ressources humaines et de la sécurité de la Commission (ci-après la « note du 23 juin 2014 »), cette unité a rappelé aux retraités qu’une nouvelle méthode d’actualisation des rémunérations et pensions avait été convenue dans le cadre de la réforme statutaire négociée en 2013, que cette nouvelle méthode consistant en une actualisation automatique des rémunérations et pensions n’impliquait pas de processus décisionnel au sein des institutions de l’Union et que le calcul était fondé sur une méthodologie strictement définie de traitement des données statistiques pertinentes portant sur la rémunération des fonctionnaires nationaux de onze États membres et sur l’utilisation de l’indice d’inflation. Cette note indiquait que, en raison du gel des rémunérations et pensions décidé par le législateur de l’Union pour les années 2013 et 2014, en l’occurrence par l’insertion de l’article 65, paragraphe 4, du nouveau statut, seuls les coefficients correcteurs applicables aux rémunérations et pensions, gelées dans leurs montants, devaient être actualisés en 2014. Ladite note ajoutait ce qui suit :

« Les données statistiques fournies par Eurostat montrent que la variation du coût de la vie des retraités au Danemark a excédé le seuil prévu à l’[a]rticle 6[, paragraphe 1,] de l’[a]nnexe XI [ du nouveau statut], lequel correspond à une variation de 3 % sur une période de [six] mois. Par conséquent, il doit y avoir une actualisation intermédiaire du coefficient correcteur pour les retraités vivant au Danemark. Le nouveau coefficient correcteur est de 126,3 [%] prenant effet rétroactivement au 1er janvier 2014. »

21      Par notes datées respectivement des 22, 19 et 22 septembre 2014, Mmes Barnett, Ditlevsen et Madsen ont chacune, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, introduit auprès de l’AIPN une réclamation à l’encontre de la décision de réduction du coefficient correcteur telle que matérialisée dans leurs bulletins de pension respectifs du mois de juin 2014, laquelle conduisait dans leur cas à une réduction de, respectivement, 1 401,97 DKK (187,76 euros), 1 304,56 DKK (174, 84 euros) et 1 158,05 DKK (155, 21 euros) du montant de leur pension mensuelle respective pour la période allant de janvier à juin 2014 (ci-après les « décisions attaquées »).

22      En application de l’actualisation annuelle des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations et aux pensions des fonctionnaires et autres agents de l’Union, publiée dans la série C du Journal officiel du 12 décembre 2014 (JO C 444, p. 10), le coefficient correcteur applicable aux pensions des retraités résidant au Danemark a, par la suite, été fixé à 131,3 % avec effet rétroactif à partir du 1er juillet 2014.

23      Par une note du 15 janvier 2015, l’AIPN du CESE a rejeté les réclamations des requérantes ainsi que celles de trois autres fonctionnaires retraités ou de conjoints survivants qui ne sont pas partie à la cause (ci-après la « décision de rejet des réclamations ») comme étant, à titre principal, irrecevables.

24      En effet, selon l’AIPN, ces réclamations visaient l’actualisation intermédiaire litigieuse qui ne pouvait pas être considérée comme émanant du CESE ou comme constituant une décision. En outre, à supposer que les requérantes aient entendu viser leurs bulletins de pension afin de pouvoir exciper de l’illégalité du règlement no 1023/2013, les réclamations étaient tout autant irrecevables, puisque l’AIPN du CESE n’a pas la possibilité de modifier les dispositions du nouveau statut. À titre surabondant, l’AIPN a rejeté les réclamations comme étant non fondées.

 Conclusions des parties et procédure

25      Les requérantes demandent au Tribunal :

–        d’annuler les décisions attaquées dont elles ont pris connaissance en consultant leurs bulletins de pension respectifs du mois de juin 2014 ;

–        de condamner le CESE au versement d’un montant fixé ex æquo et bono en indemnisation du préjudice moral causé ;

–        de condamner le CESE aux dépens.

26      Le CESE demande au Tribunal :

–        de rejeter le recours ;

–        de condamner les requérantes aux dépens.

27      Par acte séparé présenté concomitamment à leur requête, les requérantes ont demandé, « dans un souci d’économie de procédure », la suspension de la présente affaire dans l’attente de la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire Barnett et Mogensen/Commission, enregistrée sous la référence F‑56/15. Même si le CESE a marqué son accord à cet égard dans ses observations du 16 juin 2015, la demande de suspension a été rejetée par décision du président de la troisième chambre du Tribunal du 18 juin 2015, le Tribunal ayant décidé de privilégier un traitement parallèle de ces affaires connexes. Pour le même motif, le Tribunal a, le 2 juillet 2015, rejeté la demande du CESE, du 29 juin précédent, de jonction, pour cause de connexité, de la présente affaire avec l’affaire F‑56/15 précitée.

28      À la suite du second échange de mémoires qui avait été autorisé par le Tribunal, les parties ont marqué leur accord à ce qu’il soit fait application en l’espèce de l’article 59, paragraphe 2, du règlement de procédure. Le Tribunal a alors décidé, en vertu de cette disposition, de statuer sans audience et en a informé les parties par lettre du greffe du 11 novembre 2015.

 En droit

1.     Sur la recevabilité du recours

29      À titre liminaire, le Tribunal rappelle que, en vertu d’une jurisprudence constante, le juge de l’Union est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond le recours sans statuer préalablement sur les fins de non-recevoir soulevées par la partie défenderesse ni examiner lui-même la recevabilité dudit recours (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52, et du 18 septembre 2014, CV/CESE, F‑54/13, EU:F:2014:216, point 38).

30      En l’espèce, s’agissant de la question de la recevabilité du recours abordée dans le mémoire en défense, le CESE s’est borné à constater que les positions des parties s’agissant de la recevabilité du recours étaient suffisamment connues du Tribunal, notamment au regard de celle exprimée par le CESE dans la décision de rejet des réclamations et telle que résumée par les requérantes elles-mêmes dans leur requête, et que, partant, il appartenait au Tribunal de statuer sur cette question.

31      Cependant, étant donné que, ainsi qu’il a été exposé aux points 23 et 24 du présent arrêt, la position du CESE dans la décision de rejet des réclamations visait la recevabilité des réclamations et que le CESE n’a pas explicitement excipé de l’irrecevabilité du recours ni développé cet aspect dans son mémoire en défense ni non plus dans son mémoire en duplique, le Tribunal considère qu’il est de bonne administration de la justice de ne pas aborder cet aspect, étant donné que, en tout état de cause, le recours doit être rejeté comme non fondé.

2.     Sur les conclusions en annulation

32      À l’appui de leurs conclusions en annulation, les requérantes soulèvent trois moyens tirés, respectivement, premièrement, de la violation de l’article 82, paragraphe 2, du nouveau statut, deuxièmement, de la violation de l’article 65, paragraphe 4, du nouveau statut, et, troisièmement, du non-respect des conditions statutaires pour procéder à une actualisation intermédiaire et d’un détournement de pouvoir.

33      Dans le cadre de l’examen de la légalité des décisions attaquées – seuls actes faisant grief dont les requérantes demandent l’annulation –, il convient, compte tenu du caractère évolutif de la procédure précontentieuse, de prendre en considération la motivation figurant dans les décisions de rejet de leurs réclamations, cette motivation étant censée coïncider avec celle des décisions attaquées (arrêts du 13 juin 2012, Mocová/Commission, F‑41/11, EU:F:2012:82, point 21, et du 10 septembre 2014, Tzikas/AFE, F‑120/13, EU:F:2014:197, point 79).

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 82, paragraphe 2, du nouveau statut

 Arguments des parties

34      Les requérantes font valoir que l’actualisation intermédiaire litigieuse, décidée par la Commission, serait dépourvue de base légale, étant donné que l’article 82, paragraphe 2, du nouveau statut aurait certes prévu, par analogie avec les dispositions relatives à l’actualisation des rémunérations, l’actualisation annuelle des pensions, mais cet article n’aurait pas visé l’adoption d’actualisations intermédiaires. Ainsi, en appliquant l’actualisation intermédiaire litigieuse, le CESE aurait présumé illégale la référence précise faite, dans le libellé de cette disposition, au seul paragraphe 1 de l’article 65 du nouveau statut. Le CESE aurait en réalité entendu ce renvoi comme étant fait au paragraphe 2 du même article 65, à savoir au paragraphe visant les actualisations intermédiaires, alors même que l’article 82, paragraphe 2, du nouveau statut ne conférerait pas à la Commission le pouvoir d’adopter, par analogie au mécanisme d’actualisation annuelle des rémunérations, des actualisations intermédiaires des coefficients correcteurs applicables aux pensions.

35      Le CESE conclut que le premier moyen est irrecevable pour non-respect de la règle de concordance entre la requête et les réclamations et, en tout état de cause, non fondé. En particulier, il souligne que l’article 82, paragraphe 2, du nouveau statut ne concerne que le montant nominal des pensions, mais ne traite pas de la question des coefficients correcteurs, laquelle serait régie par l’article 64, paragraphe 2, du nouveau statut et, s’agissant de l’actualisation intermédiaire desdits coefficients correcteurs, celle-ci serait prévue par l’article 65, paragraphe 2, du nouveau statut lu en combinaison avec les articles 5 et 8, paragraphe 1, de l’annexe XI du nouveau statut. Ainsi, le libellé de l’article 82, paragraphe 2, du nouveau statut ne conforterait nullement la position des requérantes selon laquelle aucune base juridique pertinente ne serait prévue dans le statut pour l’adoption d’actualisations intermédiaires des coefficients correcteurs.

 Appréciation du Tribunal

36      Sans qu’il soit besoin de statuer préalablement sur la recevabilité du présent moyen, le Tribunal considère que, en tout état de cause, il doit être écarté.

37      En effet, en disposant que, « [l]orsque les rémunérations sont actualisées en application de l’article 65, paragraphe 1, [du nouveau statut,] la même actualisation s’applique aux pensions acquises », l’article 82, paragraphe 2, du nouveau statut concerne clairement la seule question de l’actualisation du montant nominal des pensions des retraités qu’il est prévu d’actualiser dans la même mesure que les rémunérations des fonctionnaires. Pour assurer ce parallélisme décidé par le législateur, cette disposition établit ainsi un renvoi au mécanisme d’actualisation des rémunérations tel que prévu par le nouveau statut, en l’occurrence à l’article 65, paragraphe 1, de celui-ci.

38      Cependant, le silence de l’article 82, paragraphe 2, du nouveau statut sur la possibilité d’appliquer le mécanisme d’actualisation, annuelle et/ou intermédiaire, aux coefficients correcteurs applicables, partiellement ou totalement, à certaines pensions ne permet nullement de conclure, contrairement à ce que font valoir les requérantes, que cette disposition s’opposerait à l’adoption d’actualisations intermédiaires des coefficients correcteurs telles que celle en cause en l’espèce.

39      En effet, il suffit d’observer que c’est l’article 65, paragraphe 2, du nouveau statut, de même portée normative que l’article 82, paragraphe 2, de celui-ci, qui prévoit explicitement l’actualisation intermédiaire non seulement des rémunérations, mais également des coefficients correcteurs prévus à l’article 64 du statut pour les rémunérations et applicables, dans certains cas, aux pensions en vertu de l’article 20 de l’annexe XIII du nouveau statut, en l’occurrence par dérogation à l’article 82, paragraphe 1, deuxième alinéa, du nouveau statut.

40      Quant aux modalités pour procéder à l’actualisation intermédiaire, si l’article 65, paragraphe 2, du nouveau statut se réfère de manière générale à une actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs « [e]n cas de variation sensible du coût de la vie », l’article 3, paragraphe 5, troisième alinéa, et paragraphe 6, de l’annexe XI du nouveau statut concerne l’actualisation des coefficients correcteurs appliqués partiellement ou totalement aux pensions. Ces dispositions prévoient notamment l’application des coefficients correcteurs de leur date d’effet jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la prochaine actualisation annuelle, tandis que l’article 8 de l’annexe XI du nouveau statut, figurant sous le chapitre 2 de cette annexe, relatif aux actualisations intermédiaires et auquel renvoie l’article 3, paragraphe 5, troisième alinéa, de la même annexe, prévoit la possibilité que cette date d’effet soit antérieure au 1er janvier, ce qui implique nécessairement que le législateur de l’Union a entendu que le mécanisme d’actualisation intermédiaire puisse être pleinement utilisé pour les coefficients correcteurs appliqués aux pensions.

41      En outre, le chapitre 2 de l’annexe XI du nouveau statut est précisément consacré aux « [actualisations intermédiaires des rémunérations et des pensions (article 65, paragraphe 2, du nouveau statut)] ». Or, en application de l’article 65, paragraphe 2, du nouveau statut qui vise expressément les coefficients correcteurs, ce chapitre 2 s’applique mutatis mutandis à l’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs.

42      Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 65, paragraphe 4, du nouveau statut

 Arguments des parties

43      Selon les requérantes, l’objectif inhérent à l’interdiction de toute actualisation au cours des années 2013 et 2014, telle que prévue par l’article 65, paragraphe 4, du nouveau statut, serait le gel des rémunérations et pensions, ce qui impliquerait l’impossibilité de réduire ces rémunérations et pensions par d’autres mécanismes, tels que l’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs, laquelle est expressément visée au paragraphe 2 de l’article 65 du nouveau statut, lui-même visé par l’interdiction édictée au paragraphe 4 dudit article 65.

44      Dans leur réplique, les requérantes concèdent que la mention « [s]ans préjudice de l’article 3, paragraphes 5 et 6, de l’annexe XI [du nouveau statut] », figurant au paragraphe 4 de l’article 65 du nouveau statut, pourrait s’entendre comme permettant l’adoption d’actualisations annuelles des coefficients correcteurs en 2013 et en 2014. Cependant, le paragraphe 4 de l’article 65 du nouveau statut ne mentionnerait aucune dérogation à l’absence d’actualisation intermédiaire pour les coefficients correcteurs visée au paragraphe 2 du même article. Au contraire, il viserait une interdiction de toute actualisation « au titre du paragraphe 2 » de l’article 65 du nouveau statut. Partant, la dérogation, couverte par la mention « [s]ans préjudice de l’article 3, paragraphes 5 et 6, de l’annexe XI [du nouveau statut] », au principe du gel des rémunérations et pensions ne viserait pas à permettre l’adoption d’actualisations intermédiaires durant ces deux années. Quant à l’article 8 de l’annexe XI du nouveau statut, il ne serait d’aucun secours pour le CESE, car il ne viserait que la date d’effet, en l’occurrence anticipée, de l’actualisation intermédiaire.

45      Les requérantes reconnaissent que la suspension de la méthode d’actualisation des coefficients correcteurs aurait pour effet de ne plus assurer, dans une certaine mesure, l’équivalence de pouvoir d’achat des fonctionnaires et retraités selon leurs lieux d’affectation ou de résidence en 2013 et en 2014. Cependant, elles estiment que ceci ne méconnaîtrait pas le principe de proportionnalité, car l’absence d’équivalence stricte aurait été limitée à deux années et répondrait à une situation exceptionnelle.

46      Ainsi, en choisissant d’appliquer l’actualisation intermédiaire litigieuse, le CESE aurait fait prévaloir les dispositions de l’annexe XI du nouveau statut sur les articles 64 et 65 dudit statut, alors même que les dispositions de cette annexe ne constituent que des modalités d’application qui, en tant que telles, ne pourraient « avoir pour effet de contredire les termes clairs de la disposition du statut qu’elles ont vocation à servir ». Or, selon les requérantes, le manque de fiabilité résultant de la lecture combinée des dispositions statutaires ambiguës applicables en l’espèce devrait conduire à faire prévaloir le principe de l’interdiction absolue de toute actualisation pour les années 2013 et 2014, telle que prévue expressément par l’article 65, paragraphe 4, du nouveau statut.

47      Le CESE conclut au rejet du moyen, en faisant valoir que le gel des rémunérations et pensions pour les années 2013 et 2014, tel que prévu par l’article 65, paragraphe 4, du nouveau statut, ne s’étendrait pas aux coefficients correcteurs. Ceci serait corroboré tant par le libellé du considérant 13 du règlement no 1023/2013 que par les finalités différentes du mécanisme d’actualisation du montant des rémunérations et pensions ainsi que de celui des coefficients correcteurs. L’actualisation de ces derniers serait dissociée de l’actualisation du montant des rémunérations et pensions proprement dit.

48      En outre, le CESE conteste l’argumentation des requérantes consistant à proposer une interprétation erronée de l’article 65, paragraphe 4, du nouveau statut, afin d’exclure toute actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs, tout en plaidant, pour lui conférer une certaine plausibilité, qu’une telle interprétation, selon le CESE erronée, ne serait pas contraire au principe de proportionnalité. En réalité, les requérantes chercheraient, au mépris du principe d’égalité de traitement, à obtenir, pour le premier semestre 2014, une consolidation à leur avantage du coefficient correcteur erroné résultant du règlement no 1416/2013, qui leur conférerait un pouvoir d’achat supérieur à celui des pensionnés résidant dans les autres États membres, tout en mettant en exergue que cette inégalité de traitement à leur avantage ne serait finalement « pas grave » dès lors qu’elle serait passagère et exceptionnelle.

49      S’agissant du grief selon lequel il aurait fait prévaloir les dispositions de l’annexe XI du nouveau statut détaillant les modalités d’application de l’article 65 du nouveau statut sur celles de l’article 65 lui-même, le CESE soutient que c’est le législateur lui-même qui a souhaité une telle approche en ajoutant la mention « [s]ans préjudice de l’article 3, paragraphes 5 et 6, de l’annexe XI [du nouveau statut] » dans le libellé du paragraphe 4 de l’article 65 du nouveau statut. Quant au prétendu manque de fiabilité ou à l’ambiguïté des dispositions en cause, le CESE indique que les institutions n’ont eu aucune difficulté à appliquer lesdites dispositions, contrairement à ce que supputent les requérantes.

 Appréciation du Tribunal

50      Au regard de l’argumentation des requérantes, il convient de comprendre que, dans le cadre du deuxième moyen, elles invoquent, au soutien de leurs conclusions en annulation des décisions attaquées, adoptées par l’AIPN du CESE, une exception d’illégalité de l’actualisation intermédiaire litigieuse, acte adopté par la Commission en tant qu’institution.

51      À cet égard, il ressort du libellé de l’article 65, paragraphe 4, du nouveau statut que le législateur a décidé qu’aucune actualisation au titre des paragraphes 1 et 2 du même article ne peut intervenir en 2013 et en 2014.

52      Tandis que le paragraphe 1 de l’article 65 du nouveau statut concerne l’actualisation annuelle des montants nominaux des rémunérations ainsi que de divers avantages pécuniaires, le paragraphe 2 de cet article concerne, quant à lui, l’actualisation, dite intermédiaire, en cas de variation sensible du coût de la vie, non seulement des montants nominaux de rémunérations et avantages pécuniaires visés audit paragraphe 1, mais également des coefficients correcteurs visés à l’article 64 du nouveau statut, lesquels, ainsi que cela ressort des dispositions statutaires citées aux points 6 à 12 du présent arrêt, sont appliqués aux pensions uniquement en lien avec les droits acquis antérieurement au 1er mai 2004.

53      Par ailleurs, le Tribunal rappelle que toute disposition du droit de l’Union doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir, notamment, arrêt du 29 avril 2004, Plato Plastik Robert Frank, C‑341/01, EU:C:2004:254, point 64, et la jurisprudence citée) et en fonction tant de la volonté réelle de son auteur que du but poursuivi par ce dernier (arrêts du 12 novembre 1969, Stauder, 29/69, EU:C:1969:57, point 3, et du 7 juillet 1988, Moksel Import und Export, 55/87, EU:C:1988:377, point 15).

54      À cet égard, force est de constater que le paragraphe 4 de l’article 65 du nouveau statut contient une réserve indiquant explicitement que l’absence d’intervention de toute actualisation en 2013 et en 2014 au titre des paragraphes 1 et 2 de l’article 65 se ferait « [s]ans préjudice de l’article 3, paragraphes 5 et 6, de l’annexe XI [du nouveau statut] ». Or, ainsi qu’il a été constaté précédemment, cette dernière disposition est précisément celle qui prévoit les conditions d’application, partielle ou totale, des coefficients correcteurs aux pensions ainsi que les conditions de leur actualisation et de détermination de leur date d’effet. En outre, contrairement à ce que font valoir les requérantes, l’annexe XI du nouveau statut, et notamment son article 3, a la même valeur juridique que les articles du nouveau statut et, par conséquent, que l’article 65 de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2010, Commission/Conseil, C‑40/10, EU:C:2010:713, point 61).

55      Afin de déterminer la volonté réelle du législateur quant à la portée de la suspension du mécanisme d’actualisation en 2013 et en 2014 visé à l’article 65, paragraphe 4, du nouveau statut, il convient également de tenir compte du considérant 13 du règlement no 1023/2013 qui a inséré cette disposition dans le nouveau statut. Or, sur cette question, le législateur de l’Union a expressément indiqué que, « pour tenir compte des contraintes budgétaires futures, tout en exprimant la solidarité de la fonction publique européenne face aux mesures draconiennes prises par les États membres par suite de la crise financière sans précédent et du contexte socio-économique particulièrement difficile dans les États membres et l’ensemble de l’Union, il [était] nécessaire de prévoir la suspension de la méthode pendant une période de deux ans en ce qui concerne toutes les rémunérations, pensions et indemnités des fonctionnaires et d’appliquer le prélèvement de solidarité malgré cette suspension ».

56      Il est ainsi manifeste que le considérant 13 du règlement no 1023/2013 ne mentionne nullement les coefficients correcteurs, alors même que, compte tenu du poids financier que ceux-ci peuvent représenter, le législateur les aurait clairement mentionnés s’il avait entendu les inclure dans sa décision politique de geler les niveaux des rémunérations, des pensions et des indemnités pour les années 2013 et 2014.

57      Le Tribunal rappelle en outre que le mécanisme d’actualisation automatique des rémunérations et pensions, ayant succédé au mécanisme d’adaptation des rémunérations et des pensions prévu par le statut de 2004, vise à assurer un certain parallélisme entre, d’une part, l’évolution du pouvoir d’achat des fonctionnaires et agents de l’Union, et par extension de celui de ses retraités, et, d’autre part, celle des membres des fonctions publiques nationales. En effet, outre la référence à la politique économique et sociale de l’Union, l’article 65, paragraphe 1, du nouveau statut précise que les rémunérations des fonctionnaires de l’Union sont actualisées annuellement en prenant en considération, en particulier, « l’augmentation éventuelle des traitements de la fonction publique des États membres ». L’article 1er, paragraphe 4, de l’annexe XI du nouveau statut se réfère à cet égard à l’« [é]volution du pouvoir d’achat des rémunérations des fonctionnaires nationaux des administrations centrales » dont l’échantillon de référence est composé de la Belgique, de l’Allemagne, de l’Espagne, de la France, de l’Italie, du Luxembourg, des Pays-Bas, de l’Autriche, de la Pologne, de la Suède et du Royaume-Uni.

58      Cet objectif de parallélisme d’évolution des pouvoirs d’achat des fonctions publiques européenne et nationales se distingue toutefois nettement du principe, interne à la fonction publique européenne elle-même, d’équivalence de pouvoir d’achat entre les fonctionnaires de l’Union résultant, notamment, des dispositions de l’article 64 du nouveau statut, principe qui s’applique également aux retraités bénéficiant d’une pension dont les droits ont été acquis, partiellement ou totalement, avant le 1er mai 2004.

59      En effet, ce principe, qui repose sur le constat d’une différence importante entre les situations économiques des différents États membres et certains États tiers en tant que lieux d’affectation ou, s’agissant des retraités, de résidence, implique que les droits pécuniaires des fonctionnaires et agents de l’Union ainsi que de certains retraités devraient procurer, à situations professionnelles et familiales équivalentes, un pouvoir d’achat identique quel que soit le lieu d’affectation ou le lieu de résidence. Ce principe, inspiré du principe d’égalité de traitement, est mis en œuvre par l’application au montant nominal de la rémunération ou, partiellement ou totalement, à celui de certaines pensions, du coefficient correcteur exprimant le rapport entre le coût de la vie à Bruxelles (Belgique) et à Luxembourg (Luxembourg), villes de référence, et celui du lieu d’affectation ou de résidence (voir arrêts du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 45, et du 21 mars 2013, van der Aat e.a./Commission, F‑111/11, EU:F:2013:42, point 42).

60      Or, si le gel des rémunérations et pensions, tel que décidé par le législateur dans le cadre de la réforme statutaire de 2013 matérialisée par le règlement no 1023/2013, devait également impliquer un gel des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations et pensions, ceci pourrait avoir comme conséquence, selon les cas, face à une augmentation ou, au contraire, une diminution soudaine et substantielle du coût de la vie dans l’un des lieux d’affectation ou de résidence autre que Bruxelles et Luxembourg en 2013 ou en 2014, une perte ou un gain de pouvoir d’achat des fonctionnaires, agents et retraités concernés. En effet, dans pareille hypothèse, ceux-ci auraient continué de bénéficier d’un salaire ou d’une pension d’un montant constant malgré le renchérissement ou la diminution du coût de la vie dans leurs lieux d’affectation ou de résidence, et ce alors même que leurs collègues fonctionnaires, agents et retraités affectés ou résidant dans d’autres États membres, qui n’auraient pas nécessairement été confrontés à de telles variations du coût de la vie, auraient continué de percevoir, malgré tout, des rémunérations ou des pensions d’un montant constant. Ainsi, étant entendu que le bénéfice d’un coefficient correcteur donné ne fait pas partie, en tant que tel, de la rémunération ou de la pension et qu’il est d’ailleurs variable en fonction de l’environnement économique du lieu d’affectation ou de résidence, l’interprétation soutenue par les requérantes conduirait, à situations professionnelles et familiales comparables, à des divergences substantielles entre les pouvoirs d’achat des fonctionnaires et agents ainsi que de certains retraités au cours des années 2013 et 2014.

61      Dans ces conditions, la référence, faite au considérant 13 du règlement no 1023/2013, à la solidarité de la fonction publique européenne par rapport aux efforts consentis par les États membres ayant, pour certains, adopté des mesures draconiennes concernant leur fonction publique nationale, s’entendait comme visant les montants nominaux des rémunérations et des pensions. Partant, il convient de comprendre la référence faite, à l’article 65, paragraphe 4, du nouveau statut, aux « actualisation[s] prévue[s] au titre des paragraphes 1 et 2 » du même article comme visant uniquement les actualisations des montants nominaux des rémunérations et pensions ainsi que des indemnités, à l’exclusion de l’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs au titre de l’article 65, paragraphe 2, du nouveau statut et de leur actualisation annuelle au titre de l’article 64 du nouveau statut. Le considérant 2 du règlement no 1416/2013 confirme d’ailleurs également cette interprétation.

62      Quant à l’argument des requérantes selon lequel le maintien à leur avantage du coefficient correcteur erroné résultant du règlement n1416/2013 ne méconnaîtrait pas le principe de proportionnalité, car il serait limité dans le temps et serait de nature exceptionnelle, le Tribunal considère que cet argument n’est nullement de nature à infléchir son interprétation de l’article 65, paragraphe 4, du nouveau statut au regard tant du libellé et de l’économie de cette disposition que de la volonté politique la sous-tendant. En outre, l’interprétation défendue par les requérantes au moyen d’une lecture singulière et parcellaire des dispositions en cause conduirait à créer, à pérenniser ou à aggraver des inégalités de traitement, en termes de pouvoir d’achat, entre les fonctionnaires et agents ainsi que certains retraités de l’Union au cours des années 2013 et 2014, notamment parce qu’elle empêcherait toute actualisation intermédiaire à la hausse en cas de forte inflation dans un lieu d’affectation ou de résidence.

63      D’ailleurs, les requérantes se contredisent en affirmant, d’un côté, que le législateur de l’Union aurait entendu ne pas permettre une variation des rémunérations par la modification des coefficients correcteurs au cours des années 2013 et 2014 et, de l’autre, que des actualisations annuelles ne relevaient pas de l’interdiction de procéder à des actualisations prévues par l’article 65, paragraphe 4, du nouveau statut. Il s’agit en l’occurrence de l’adaptation annuelle à la hausse du coefficient correcteur décidée par le règlement no 1416/2013 et de l’actualisation annuelle, également à la hausse avec effet au 1er juillet 2014, du coefficient correcteur publiée au Journal officiel du 12 décembre 2014 (JO C 444, p. 10).

64      Enfin, s’agissant de la circonstance que l’article 8 de l’annexe XI du nouveau statut se réfère aux « lieux d’affectation » et non aux « lieux de résidence », force est de constater que cet argument est dénué de pertinence, puisqu’il ressort sans ambiguïté de l’article 3, paragraphe 5, troisième alinéa, de l’annexe XI du nouveau statut que l’article 8 de la même annexe a vocation à s’appliquer, par analogie, aux fins de l’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs applicables aux pensions. Ainsi, l’absence de référence aux lieux de résidence dans le libellé de l’article 8 de l’annexe XI du nouveau statut n’est pas de nature à rendre inapplicable cette disposition en vue de l’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs applicables aux pensions. Quant au point de savoir si, comme le soutiennent les requérantes, les conditions matérielles prévues à cet article 8 étaient remplies pour pouvoir adopter l’actualisation intermédiaire litigieuse, force est également de constater que celle-ci n’a pas été adoptée en vertu de cette disposition puisque, au bénéfice d’ailleurs des requérantes, la Commission n’a, en tant qu’institution, nullement entendu faire rétroagir l’adaptation intermédiaire litigieuse au-delà du 1er janvier 2014.

65      Eu égard à ce qui précède, l’exception d’illégalité de l’actualisation intermédiaire litigieuse soulevée à l’appui du deuxième moyen ne saurait prospérer et, partant, le deuxième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré du non-respect des conditions statutaires pour procéder à une actualisation intermédiaire et d’un détournement de pouvoir

 Arguments des parties

66      Les requérantes font valoir que, dans la décision de rejet des réclamations, l’AIPN a reconnu que, dans la réalité, il n’y avait pas eu de variation sensible du coût de la vie au Danemark au cours du second semestre 2013, alors même qu’un dépassement du seuil de déclenchement fixé à 6 % est une condition préalable fixée par les dispositions statutaires pour pouvoir procéder à une actualisation intermédiaire.

67      Ainsi, en tant qu’institution, la Commission aurait, au moyen de l’actualisation intermédiaire litigieuse, entendu corriger l’erreur entachant le règlement no 1416/2013 en ce qui concerne le coefficient correcteur fixé pour le Danemark. Selon les requérantes, Eurostat aurait également corrigé des chiffres inconnus pour la période 2012/2013, ce qui aurait produit, en lien avec le second semestre 2013, d’autres chiffres et valeurs pour le Danemark, qui ne correspondraient toutefois à aucune réalité économique de cet État membre, alors qu’il est clair que, contrairement à ce qu’indique le rapport d’Eurostat du 16 mai 2014, il n’y a pas eu, en données réelles, une variation du coût de la vie au Danemark au cours du second semestre 2013 à un taux annuel de 8,4 %. Le chiffre de variation utilisé par Eurostat correspondait en fait à la variation entre, d’une part, les données erronées du premier semestre 2013, retenues par le règlement no 1416/2013, mais ne correspondant pas à la réalité économique au cours dudit semestre, et, d’autre part, les données réelles relatives au second semestre 2013 et établies rétrospectivement en 2014.

68      Le seuil de déclenchement visé à l’article 6, paragraphe 1, de l’annexe XI du nouveau statut n’aurait ainsi pas été atteint, puisque, bien au contraire, il n’y aurait pas eu de déflation au Danemark au cours du second semestre 2013, alors même que la diminution du coefficient correcteur telle que décidée par l’actualisation intermédiaire litigieuse présupposait une déflation de l’ordre de 10 % à 12 %, ce qui n’était nullement le cas dans les pays nordiques qui ont, à la différence d’autres régions de l’Union européenne, connu des conditions économiques favorables au cours de cette période. Par conséquent, en tant qu’institution, la Commission n’était pas habilitée en l’espèce à procéder à une actualisation intermédiaire au 1er janvier 2014 et, en tout état de cause, la motivation fournie tant par cette institution que par le CESE en tant qu’AIPN serait incohérente et, en toute hypothèse, insuffisante, entachant à son tour les décisions attaquées du même vice.

69      Le CESE se contredirait lorsqu’il indique être dans l’obligation d’appliquer l’actualisation intermédiaire litigieuse au nom du respect du principe de présomption de légalité s’attachant aux actes du droit de l’Union, « tout en déclarant [que l’acte en cause] est entaché d’une erreur ». Les requérantes soulignent que, « [c]e faisant, [le CESE] maintient les effets d’un coefficient dont [le CESE] affirme qu’il a été fixé sur une base erronée ». Ainsi, le CESE « aurait manifestement cherché à utiliser le mécanisme d’actualisation intermédiaire plutôt que de procéder à un rappel des pensions, obéissant à d’autres conditions, sciemment, ce qui constitue[rait] un détournement de pouvoir ». Ceci serait aggravé par le fait, d’une part, que des informations discordantes ont été obtenues par les requérantes sur cette question de la part de la Commission et d’Eurostat, et que, d’autre part, le collège des commissaires de la Commission n’aurait pas non plus été informé de l’existence de l’erreur de calcul affectant le règlement no 1416/2013, alors même que l’adoption par ce dernier de l’actualisation intermédiaire litigieuse visait précisément à remédier à cette erreur, ce qu’ignorait ledit collège. En définitive, en s’associant à la démarche illégale de la Commission, ce dont attestent la décision de rejet des réclamations et la teneur de la défense du CESE en phase contentieuse, le CESE devrait être considéré comme approuvant cette démarche contestable de la Commission.

70      Tout en mettant en doute la recevabilité du présent moyen au regard de la règle de concordance entre la requête et les réclamations, le CESE s’interroge sur l’intérêt des requérantes à soulever le moyen tiré du détournement de pouvoir, étant donné qu’elles ne contestent pas le fait que le coefficient correcteur fixé par le règlement no 1416/2013 était erroné ni l’exactitude mathématique du coefficient correcteur retenu dans le cadre de l’actualisation intermédiaire litigieuse. Ce moyen semblerait être présenté dans l’intérêt de la loi plutôt que dans l’intérêt légitime, né et actuel, des requérantes à obtenir l’annulation des décisions attaquées. En tout état de cause, le CESE souligne qu’il ne peut exister d’intérêt légitime à faire perdurer une inégalité de traitement au niveau des coefficients correcteurs.

71      Quant au but de l’actualisation intermédiaire litigieuse, le CESE reconnaît que celle-ci visait à corriger l’erreur figurant dans le règlement no 1416/2013, mais il fait valoir qu’une telle démarche ne serait pas, en soi, illégitime. En outre, cette démarche visait également à assurer l’égalité de traitement entre retraités en rétablissant une équivalence de pouvoir d’achat entre eux quel que soit leur lieu de résidence.

 Appréciation du Tribunal

72      Au regard de la teneur de l’argumentation des requérantes, il convient de comprendre le troisième moyen en ce sens qu’elles excipent de l’illégalité de l’actualisation intermédiaire litigieuse, adoptée par la Commission en tant qu’institution, au soutien de l’annulation de l’application qui en a été faite par l’AIPN du CESE dans les décisions attaquées.

73      En l’espèce, il est constant que le coefficient correcteur fixé par le règlement no 1416/2013 à 132,2 % à partir du 1er juillet 2013, c’est-à-dire à la hausse par rapport au précédent coefficient correcteur de 127,3 %, était erroné en raison d’une mauvaise prise en compte des loyers à Copenhague (Danemark) et que, en conséquence, les requérantes ont, par rapport à certains retraités résidant dans d’autres États membres, bénéficié d’un pouvoir d’achat substantiellement plus élevé au second semestre 2013 en raison de cette erreur.

–       Sur les finalités de l’actualisation intermédiaire

74      D’emblée, le Tribunal précise que, eu égard à l’objectif statutaire d’assurer, en application du principe d’égalité de traitement, un pouvoir d’achat comparable pour les fonctionnaires et certains retraités, quel que soit leur lieu d’affectation ou de résidence, le passage, à compter du 1er janvier 2014, du système d’adaptation des rémunérations et pensions au système d’actualisation automatique de celles-ci tel que prévu par le nouveau statut n’empêchait pas, en principe, l’adoption d’une actualisation intermédiaire, publiée au Journal officiel, même si, s’agissant de la portée juridique d’une telle actualisation, elle revient à fixer, à compter de la date prévue par cette actualisation, un nouveau coefficient correcteur rendant caduc, à partir de cette même date, celui précédemment adopté sous la forme d’un règlement, en l’occurrence le règlement no 1416/2013.

75      S’agissant des conditions permettant l’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs, l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe XI du nouveau statut prévoit qu’une actualisation intermédiaire des rémunérations et pensions, avec effet au 1er janvier, est « décidée en cas de variation sensible du coût de la vie entre juin et décembre », et ce, « par référence au seuil de sensibilité défini à l’article 6 de [l’annexe XI du nouveau statut] ». En vertu des dispositions combinées de l’article 65, paragraphe 2, du nouveau statut et de l’article 3, paragraphes 5 et 6, de l’annexe XI dudit statut, cette méthode s’applique mutatis mutandis à l’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations et pensions.

76      Ensuite, le Tribunal constate que l’objectif du mécanisme d’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs est de fixer et d’appliquer aux rémunérations et pensions des fonctionnaires et de certains retraités des coefficients reflétant au mieux, économiquement et dans le temps, la réalité du coût de la vie dans leurs lieux d’affectation ou de résidence. Ainsi, lorsqu’il est mis en œuvre, ce mécanisme consiste à cesser d’appliquer le coefficient correcteur résultant de l’actualisation annuelle au 1er juillet de l’année précédente et à lui substituer un nouveau coefficient correcteur avec une date d’effet fixée en principe au 1er janvier afin de minimiser, selon les cas, la perte ou le gain de pouvoir d’achat pour les fonctionnaires et retraités concernés affectés ou résidant dans le lieu concerné durant le premier semestre de l’année, plutôt que d’attendre la prochaine actualisation annuelle avec effet au 1er juillet suivant. L’article 8 de l’annexe XI du nouveau statut permet même de prévoir, en substitution de l’actualisation annuelle applicable depuis le 1er juillet de l’année précédente, une date d’effet de l’actualisation intermédiaire antérieure au 1er janvier dans certaines situations de forte inflation dans les lieux d’affectation ou de résidence, tout en ne prévoyant pas une telle antériorité de la date d’effet pour les situations de déflation.

77      Étant donné qu’il serait coûteux et difficile d’envisager une actualisation mensuelle des coefficients correcteurs afin de refléter les évolutions mensuelles du coût de la vie dans chacun des États membres, voire d’États tiers, d’affectation ou de résidence, le législateur a défini un seuil de sensibilité au-delà duquel Eurostat et la Commission doivent examiner si le coefficient correcteur applicable, résultant de l’actualisation annuelle précédente, reflète encore la réalité économique et, dans la négative, fixer un nouveau coefficient correcteur au moyen de l’actualisation intermédiaire. Au regard des éléments de calcul prévus par le nouveau statut, notamment la prévision d’évolution du pouvoir d’achat, il convient toutefois de relever que la constatation d’un pourcentage de variation du coût de la vie dépassant le seuil de sensibilité ne conduit pas nécessairement à une modification d’un même pourcentage du montant des rémunérations ou pensions ou encore du taux du coefficient correcteur.

78      Ceci implique que, lorsqu’une variation du coût de la vie depuis l’actualisation annuelle précédente est inférieure au seuil de sensibilité, le nouveau statut ne prévoit pas l’obligation d’actualiser les rémunérations et pensions ou encore les coefficients correcteurs fixés au 1er juillet précédent dans le cadre de l’actualisation annuelle, même si, dans leur quotidien, les fonctionnaires et les retraités concernés sont susceptibles, temporairement, c’est-à-dire jusqu’à l’actualisation annuelle au 1er juillet suivant, d’accuser une perte ou au contraire de bénéficier d’un gain de pouvoir d’achat par rapport à leurs collègues, fonctionnaires et retraités concernés, affectés ou résidant dans les autres États membres. En d’autres termes, le législateur a prévu un seuil de tolérance en termes de perte ou de gain potentiel de pouvoir d’achat des fonctionnaires et retraités résultant de l’écart entre, d’une part, le coefficient correcteur résultant de l’actualisation annuelle applicable depuis le 1er juillet précédent et, d’autre part, le coefficient correcteur qui serait de nature à refléter l’évolution des données économiques réelles depuis l’actualisation annuelle précédente.

79      Certes, le dépassement du seuil de sensibilité visé à l’article 6, paragraphe 2, sous b), de l’annexe XI du nouveau statut rend obligatoire une actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs et, à cet égard, les données prises en compte doivent être les données réelles constatées par Eurostat.

80      Cependant, d’une part, l’existence d’un seuil de sensibilité vise à ne procéder à une actualisation intermédiaire que dans les cas où celle-ci serait susceptible de conduire à la fixation d’un coefficient correcteur différent, dans une mesure appréciable, de celui fixé dans le cadre de l’actualisation annuelle. En d’autres termes, le législateur a exclu une obligation de revoir, à titre intermédiaire, le coefficient correcteur résultant de l’actualisation annuelle précédente lorsque les variations du coût de la vie sont faibles et ne sont susceptibles d’aboutir qu’à une modification mineure de ce coefficient.

81      D’autre part, la mise en œuvre de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de l’annexe XI du nouveau statut au moyen d’une comparaison des données réelles présuppose, nécessairement, que celles ayant été à la base de l’actualisation annuelle, adoptée avec effet au 1er juillet de l’année civile précédente, reflétaient effectivement la situation réelle du coût de la vie à cette date, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, puisque, au contraire, les données ayant été utilisées lors de l’adoption du règlement no 1416/2013 étaient erronées s’agissant du Danemark.

–       Sur les données économiques prises en compte en l’espèce

82      Selon la jurisprudence relative aux dispositions équivalentes du statut de 2004 et de celui antérieurement en vigueur, laquelle jurisprudence demeure pertinente dans le nouveau contexte statutaire, le libellé des dispositions des articles 64 et 65 du nouveau statut et de l’annexe XI du nouveau statut ainsi que le degré de complexité de la matière impliquent une large marge d’appréciation quant aux facteurs et éléments à prendre en considération lors de l’établissement ou de la révision des coefficients correcteurs (arrêts du 7 décembre 1995, Abello e.a./Commission, T‑544/93 et T‑566/93, EU:T:1995:202, point 53 ; du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 47, et du 21 mars 2013, van der Aat e.a./Commission, F‑111/11, EU:F:2013:42, point 44).

83      Ainsi, l’appréciation du juge de l’Union, en ce qui concerne la définition et le choix des données de base et des méthodes statistiques utilisées par Eurostat pour l’établissement des propositions d’actualisation des coefficients correcteurs, doit se limiter au contrôle du respect des principes énoncés par les dispositions statutaires, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits à la base de la fixation des coefficients correcteurs et de l’absence de détournement de pouvoir (arrêts du 7 décembre 1995, Abello e.a./Commission, T‑544/93 et T‑566/93, EU:T:1995:202, point 56 ; du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 48, et du 21 mars 2013, van der Aat e.a./Commission, F‑111/11, EU:F:2013:42, point 45).

84      À cet égard, au regard des principes sous-tendant les dispositions en cause en l’espèce, le Tribunal considère que, compte tenu de la prise en compte de données économiques erronées relatives au Danemark par le règlement no 1416/2013, c’est à juste titre que, au regard du large pouvoir d’appréciation reconnu à Eurostat, dans l’appréciation des données économiques, et à la Commission, dans ses décisions, ceux-ci ont procédé à une comparaison entre, d’une part, les données correctes et actualisées sur l’évolution du coût de la vie au Danemark au second semestre 2013, et, d’autre part, celles ayant été retenues et entérinées par le règlement no 1416/2013 comme étant le reflet de la réalité de la situation économique au 1er juillet 2013 et qui avaient justifié, quoique de manière erronée, une modification à la hausse du coefficient correcteur pour cet État membre à 132,2 %, lequel a été appliqué au bénéfice des requérantes sur leur pension de juillet à décembre 2013.

85      En effet, il serait contraire à l’objectif du mécanisme d’actualisation des coefficients correcteurs, à savoir fixer et appliquer aux rémunérations des fonctionnaires et pensions de certains retraités des coefficients reflétant au mieux, économiquement et dans le temps, la réalité du coût de la vie dans les lieux d’affectation ou de résidence, d’imposer à Eurostat et à la Commission de procéder, dans les circonstances de l’espèce, à une comparaison entre, d’une part, les données correctes qui auraient dû être prises en compte par le règlement no 1416/2013, à savoir des données reflétant le coût réel de la vie au Danemark au 1er juillet 2013 sans prise en compte de la composante erronée liée aux loyers à Copenhague, et, d’autre part, les données réelles au cours du second semestre 2013.

86      En particulier, ainsi qu’il a été constaté précédemment, une actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs se justifie d’un point de vue statutaire lorsque le coefficient correcteur résultant de l’actualisation annuelle ne correspond plus à la réalité du coût de la vie de manière significative et doit, en conséquence, être réexaminé, étant entendu que l’obligation de procéder à un tel réexamen présuppose qu’il soit susceptible d’aboutir à une modification substantielle, à la hausse comme à la baisse, du coefficient correcteur en cause.

87      Or, en l’espèce, aux données réelles relatives au second semestre de l’année civile 2013 correspondait un coefficient correcteur inférieur de 5,9 % à celui retenu par le règlement no 1416/2013 et qui serait resté, en l’absence d’actualisation intermédiaire, en vigueur jusqu’au 30 juin 2014. Ainsi, indépendamment du point de savoir si le seuil de sensibilité déclenchant l’obligation d’actualiser le coefficient correcteur litigieux était atteint, le Tribunal considère que, en tout état de cause, en présence d’un tel écart significatif de 5,9 %, une actualisation intermédiaire du coefficient correcteur pour le Danemark s’imposait, au regard des exigences liées au principe d’égalité de traitement, afin de ne pas faire perdurer, au premier semestre 2014, une situation dans laquelle les retraités résidant au Danemark bénéficiaient à tort d’une erreur administrative conduisant à ce qu’ils disposent d’un pouvoir d’achat substantiellement supérieur à celui de leurs collègues retraités résidant dans les autres États membres.

88      Partant, étant donné que, en matière d’établissement ou de révision des coefficients correcteurs, l’annexe XI du nouveau statut continue de confier à Eurostat la charge de calculer, en accord avec les services statistiques des États membres, les parités économiques et de vérifier si les rapports entre coefficients correcteurs établissent correctement les équivalences de pouvoir d’achat (voir, sous l’empire de dispositions statutaires antérieures au statut de 2004, arrêts du 7 décembre 1995, Abello e.a./Commission, T‑544/93 et T‑566/93, EU:T:1995:202, point 55, et du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 46), il était légitime et conforme au principe de bonne administration, pour l’Eurostat et la Commission, de constater, dans les circonstances particulières du cas d’espèce, d’une part, l’absence d’équivalence à la date du 1er janvier 2014 du pouvoir d’achat pour les retraités résidant au Danemark résultant du coefficient correcteur fixé par le règlement n1416/2013 et, d’autre part, le fait que, sur la base des données économiques réelles et non erronées, ce coefficient était surestimé, et ce de manière substantielle, en l’occurrence à hauteur de 5,9 %.

89      Il convient, à cet égard, de rejeter l’allégation des requérantes, au demeurant non étayée à suffisance de droit, selon laquelle le Danemark aurait été confronté, en données réelles, à une inflation au cours du second semestre 2013, ce qui aurait empêché d’envisager une actualisation intermédiaire, et encore moins à la baisse, du coefficient correcteur applicable à leurs pensions. En effet, les requérantes n’ont ni réellement contesté ni démontré l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la pertinence et à l’exactitude du coefficient correcteur résultant de l’actualisation intermédiaire litigieuse avec effet au 1er janvier 2014. Or, étant donné que le taux de ce coefficient, à savoir 126,3 %, est basé sur les données économiques réelles relatives au second semestre 2013, la prétendue inflation ayant sévi au cours dudit second semestre a, en tout état de cause, été prise en compte aux fins d’aboutir audit taux.

90      S’agissant de l’allégation relative à un détournement de pouvoir, selon une jurisprudence constante, une décision n’est entachée d’un tel vice que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (arrêts du 3 décembre 2013, CT/EACEA, F‑36/13, EU:F:2013:190, point 72, et du 10 juillet 2014, CW/Parlement, F‑48/13, EU:F:2014:186, point 128). Or, en l’espèce, il ressort clairement du dossier que la décision de la Commission, en tant qu’institution, de procéder à l’actualisation intermédiaire litigieuse ne poursuivait aucun but autre que celui sous-tendant le mécanisme des coefficients correcteurs, à savoir celui d’assurer l’égalité de traitement entre les retraités quel que soit leur lieu de résidence en restaurant un coefficient correcteur correspondant à la réalité du coût de la vie au Danemark.

91      À cet égard, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission, en tant qu’institution, n’était pas tenue de proposer de modifier ou d’abroger le règlement no 1416/2013 afin de corriger l’erreur commise en l’espèce, étant donné, d’une part, que le mécanisme d’actualisation intermédiaire est entré en vigueur le 1er janvier 2014 et, d’autre part, que la modification du règlement no 1416/2013 aurait pu finalement être défavorable aux requérantes en impactant le montant net de leurs pensions également au second semestre 2013. Enfin, contrairement à ce qu’évoquent les requérantes, la circonstance que des coefficients correcteurs ne sont appliqués qu’au prorata des droits à pension acquis avant le 1er mai 2004 n’était pas de nature à empêcher l’actualisation intermédiaire litigieuse, puisque, de toute manière, l’application de coefficients correcteurs partiellement auxdites pensions conduit à l’augmentation des montants de celles-ci pour cette partie, les droits acquis postérieurement au 1er mai 2004 ne donnant pas lieu à l’application d’un coefficient correcteur conformément à l’article 82, paragraphe 1, du nouveau statut.

–       Sur la violation de l’obligation de motivation

92      Quant à l’argument tiré d’une motivation contradictoire ou insuffisante de l’actualisation intermédiaire litigieuse, il suffit de rappeler que la motivation d’un acte du droit de l’Union portant fixation des coefficients correcteurs dont sont affectées les rémunérations des fonctionnaires et les pensions de certains retraités peut se borner à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre et qu’elle ne doit pas porter sur les aspects techniques des modalités de calcul (arrêt du 21 mars 2013, van der Aat e.a./Commission, F‑111/11, EU:F:2013:42, point 23, et la jurisprudence citée).

93      Or, la proposition de décision SEC(2014) 341 final adoptée par le collège des commissaires lors de sa réunion du 28 mai 2014contient une motivation répondant à ces exigences jurisprudentielles, de même que la décision de rejet des réclamations. En outre, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la circonstance qu’elles ont, selon elles, décelé une incohérence dans la justification fournie par l’AIPN du CESE dans sa réponse à leurs réclamations ne permet pas de renverser, comme elles le demandent, la charge de la preuve leur incombant de démontrer une erreur manifeste d’appréciation.

94      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, l’exception d’illégalité de l’actualisation intermédiaire litigieuse invoquée à l’appui du troisième moyen doit être rejetée comme étant non fondée, de même, partant, que le moyen lui-même et, par conséquent, les conclusions en annulation dans leur ensemble.

3.     Sur les conclusions indemnitaires

 Arguments des parties

95      Les requérantes considèrent que, en tenant compte de l’attitude offensante du CESE et du détournement de pouvoir dont il s’est rendu l’auteur en avalisant la position de la Commission sur la question de l’actualisation intermédiaire litigieuse, elles ont subi un préjudice moral certain. Ainsi, le CESE devrait être condamné à les indemniser d’un montant qu’il appartiendrait au Tribunal de fixer ex æquo et bono.

96      Selon le CESE, le fait que les requérantes ne réclament pas la réparation d’un préjudice matériel constituerait l’aveu qu’elles ne considèrent pas avoir droit au bénéfice du coefficient correcteur qui a été corrigé au moyen de l’actualisation intermédiaire litigieuse ni avoir subi un quelconque préjudice financier. En outre, les requérantes n’avaient formulé aucune demande de réparation d’un préjudice moral dans leurs réclamations, de sorte que leurs conclusions indemnitaires seraient irrecevables. Quant aux références faites par les requérantes aux informations contradictoires ou confuses fournies par la Commission et Eurostat, le CESE fait valoir qu’elles n’étaient pas de son fait et qu’elles ne sauraient être érigées en attitude offensante de la part de la partie défenderesse.

 Appréciation du Tribunal

97      À cet égard, le Tribunal considère que, les conclusions en annulation ayant été rejetées, il doit en être de même des conclusions indemnitaires (voir arrêt du 30 avril 2014, López Cejudo/Commission, F‑28/13, EU:F:2014:55, point 105, et la jurisprudence citée), étant donné qu’elles sont étroitement liées et que, en tout état de cause, la démarche de la partie défenderesse n’est, en l’espèce, entachée d’aucune illégalité, pas plus d’ailleurs que celle de la Commission qui n’est pas partie à la cause.

98      Il convient donc de rejeter les conclusions indemnitaires et, partant, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

99      Aux termes de l’article 101 du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe supporte ses propres dépens et est condamnée aux dépens exposés par l’autre partie, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 102, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte ses propres dépens, mais n’est condamnée que partiellement aux dépens exposés par l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

100    Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que les requérantes ont succombé en leur recours. En outre, le CESE a, dans ses conclusions, expressément demandé que les requérantes soient condamnées aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure, les requérantes doivent supporter leurs propres dépens et être condamnées à supporter les dépens exposés par le CESE.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mmes Barnett, Ditlevsen et Madsen supportent leurs propres dépens et sont condamnées à supporter les dépens exposés par le Comité économique et social européen.

Van Raepenbusch

Kreppel

Svenningsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 février 2016.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       S. Van Raepenbusch


* Langue de procédure : le français.