Language of document : ECLI:EU:T:2002:220

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

24 septembre 2002 (1)

«Fonctionnaires - Recrutement - Sélection d'agents temporaires - Refus d'inscription sur la liste de réserve - Composition du comité de sélection - Égalité de traitement»

Dans l'affaire T-92/01,

Marie-Claude Girardot, agent temporaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes J.-N. Louis et V. Peere, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes F. Clotuche-Duvieusart et H. Tserepa-Lacombe, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du comité de sélection, contenue dans une lettre du 13 juillet 2000, de ne pas inscrire la requérante sur la liste de réserve d'agents temporaires résultant de la procédure de sélection COM/R/A/01/1999,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, N. J. Forwood et H. Legal, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 17 avril 2002,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1.
    La Commission a publié l'avis COM/R/A/01/1999 en vue de la constitution d'une réserve de recrutement d'agents temporaires de catégorie A rémunérés sur les crédits de recherche. Cette procédure de sélection était destinée à pourvoir des emplois susceptibles de devenir vacants dans les équipes multidisciplinaires constituées au sein des directions générales de la Commission chargées de la politique de la recherche et du développement technologique.

2.
    La sélection était divisée en cinq domaines spécifiques, au nombre desquels figurait celui dénommé «domaine B, 'Société de l'information conviviale‘ (ci-après le «domaine B»).

3.
    Les passages pertinents de l'avis de sélection étaient libellés comme suit:

«C. ÉPREUVE ORALE

1. Nombre de candidats

Seront retenus pour l'épreuve orale [...] pour le domaine B les 100 candidats ayant obtenu les meilleures notes à la sélection sur dossier, à condition qu'ils aient obtenu le minimum requis pour chacun des critères.

    

2. Objet de l'épreuve orale

Cette épreuve a pour objet de compléter l'évaluation sur dossier par une appréciation des aptitudes des candidats en matière de raisonnement et de présentation orale, de leur aptitude à la gestion ainsi que de leur capacité à exercer des fonctions dans un environnement international et multiculturel. En outre, les capacités d'expression écrite seront testées à cette occasion.

3. Déroulement de l'épreuve orale

L'épreuve orale se compose de trois phases:

a)    Première phase: le comité interrogera le candidat sur ses connaissances dans le domaine [choisi], son expérience professionnelle et sa motivation. Notation de 0 à 40 points (minimum requis: 20 points).

b)    Deuxième phase: exposé et discussion sur un sujet en relation avec le domaine choisi. Cette épreuve a pour objet d'évaluer la capacité de compréhension et l'aptitude à présenter oralement un sujet complexe, de manière claire et concise.

    Exposé: les candidats devront résumer oralement, dans leur langue principale précisée dans l'acte de candidature, dans un temps maximum fixé par le comité de sélection, un texte portant sur le domaine choisi dans l'acte de candidature, rédigé dans la deuxième langue choisie par le candidat dans son acte de candidature. Ce texte sera tiré au sort par le candidat qui disposera de trente minutes pour le préparer. Notation de 0 à 20 points (minimum requis: 10 points).

    Discussion: dans la deuxième langue du candidat choisie dans son acte de candidature, portant sur le texte tiré au sort et sur l'actualité scientifique dans le domaine. Notation de 0 à 20 points (minimum requis: 10 points).

c)    Troisième phase: le candidat devra résumer par écrit l'entretien qu'il aura eu avec le comité, en deux pages dactylographiées ou trois pages manuscrites. Un ordinateur avec logiciel MS Word (Windows 95 ou NT) sera mis à la disposition des candidats. Notation de 0 à 20 points (minimum requis: 10 points).

VI. INSCRIPTION SUR LA LISTE DE RÉSERVE

Seront inscrits sur la liste de réserve les candidats ayant obtenu, au total, [...] pour le domaine B, les 50 meilleures notes, à [...] condition qu'ils aient obtenu le minimum requis pour chaque épreuve.»

4.
    La requérante s'est portée candidate, pour le domaine B, à la procédure de recrutement ouverte par l'avis de sélection COM/R/A/01/1999.

5.
    À la suite de l'épreuve orale, la requérante a été informée, par lettre du 13 juillet 2000, que le comité de sélection (ci-après le «comité») n'avait pas pu l'inscrire sur la liste de réserve en raison de l'insuffisance de ses résultats présentés dans le tableau suivant:

1. Épreuve sur dossier                         
Notation
Critère 1: Niveau et qualité des études Minimum requis:

20
35,5/40
Critère 2: Expérience professionnelle en relation avec le domaine choisi
Minimum requis: 30
45/60
2. Déroulement de l'épreuve orale
Première phase:
    Notation de 0 à 40 points
Minimum requis: 20
16/40
Deuxième phase:
*Exposé: Notation de 0 à 20 points
Minimum requis: 10
10/20
*Discussion: Notation de 0 à 20 points
Minimum requis:
10
10/20
Troisième phase:
    Notation de 0 à 20 points
Minimum requis:
10
10/20
                                     Total:
126,5/200

6.
    Le 19 septembre 2000, la requérante a introduit une réclamation contre la décision du comité, contenue dans la lettre du 13 juillet 2000, de ne pas l'inscrire sur la liste de réserve.

Procédure devant le Tribunal

7.
    Après le rejet implicite de sa réclamation, la requérante a, par requête déposée le 27 avril 2001, introduit le présent recours en annulation.

8.
    La réclamation de la requérante a fait l'objet d'une décision explicite de rejet du 21 mai 2001, qui l'a, par ailleurs, informée d'une erreur de transcription des notes de son épreuve orale. Selon cette décision, les notes effectivement attribuées étaient les suivantes:

Première phase :
22/40
au lieu de
16/40
Deuxième phase:
*Exposé:
11/20
au lieu de
10/20
*Discussion:
12/20
au lieu de
10/20
Troisième phase:
12/20
au lieu de
10/20

9.
    Il était toutefois précisé à la requérante que le total des points obtenus aux deux épreuves (137,5/200) demeurait toujours inférieur au minimum requis (139,5/200) pour son inscription sur la liste de réserve.

10.
    Par décision du 26 juillet 2001, le Tribunal (première chambre) a estimé, conformément à l'article 47, paragraphe 1, de son règlement de procédure, tel que modifié le 6 décembre 2000 (JO 2000, L 322, p. 4), qu'un second échange de mémoires n'était pas nécessaire, le contenu du dossier étant suffisamment complet pour permettre aux parties de développer leurs moyens et arguments au cours de la procédure orale.

11.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale et a demandé à la Commission, au titre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 du règlement de procédure, de produire certains documents et d'apporter quelques précisions d'ordre factuel. Par acte déposé le 10 avril 2002, la Commission a déféré à cette demande.

12.
    En vertu de l'article 64 précité, le Tribunal a également invité la requérante à adapter, le cas échéant, ses prétentions au cours de l'audience de plaidoiries, compte tenu de la rectification de la transcription de ses notes intervenue au cours de la procédure devant le Tribunal.

13.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 17 avril 2002.

Conclusions des parties

14.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    ordonner diverses mesures d'organisation de la procédure destinées à préciser les conditions dans lesquelles s'est déroulée la procédure de sélection litigieuse;

-    annuler la décision du comité de lui attribuer une notation insuffisante pour son inscription sur la liste de réserve;

-    condamner la Commission aux dépens.

15.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    statuer sur les dépens comme de droit.

En droit

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement des candidats

Arguments des parties

16.
    La requérante allègue que la composition du comité chargé d'apprécier les épreuves orales des candidats du domaine B a changé constamment au cours du déroulement de ces épreuves. Cette fluctuation de la composition du comité serait contraire au principe de stabilité du comité, corollaire de l'obligation d'assurer l'égalité de traitement de tous les candidats lors des épreuves (arrêt du Tribunal du 23 mars 2000, Gogos/Commission, T-95/98, RecFP p. I-A-51 et II-219).

17.
    La Commission répond que plusieurs éléments rendent le cas d'espèce différent de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Gogos/Commission, précité. Dans cet arrêt, le Tribunal aurait tout d'abord souligné que le jury doit veiller, dans toute la mesure du possible, à ce que les appréciations portées sur tous les candidats examinés lors des épreuves orales le soient dans des conditions d'objectivité et d'égalité. Le jury serait donc tenu de garantir l'application homogène et cohérente des critères d'évaluation des candidats, en assurant notamment, la stabilité de sa composition. Le mot «notamment» indiquerait que d'autres critères que celui de la stabilité de la composition du jury peuvent s'avérer déterminants.

18.
    En l'espèce, la nature et le contenu de l'épreuve orale auraient été définis en commun par tous les membres du comité, les questions à poser étant consignées par écrit, afin de garantir les conditions d'objectivité et d'égalité requises. Lescritères d'évaluation appliqués auraient été ceux fixés dans l'avis de sélection. La fiche d'évaluation orale du domaine choisi aurait en outre repris les phases de l'épreuve orale énoncées à l'avis de concours en définissant, pour chaque phase, un certain nombre d'éléments sur lesquels tous les candidats devaient être évalués.

19.
    Dans l'arrêt Gogos/Commission, précité, le Tribunal aurait en outre souligné l'importance primordiale de la fonction du président du jury et sanctionné l'examen par le jury d'un nombre considérable de candidats en l'absence de son président titulaire. En l'occurrence, le comité compétent aurait disposé de deux coprésidents, ce qui serait une configuration différente de celle réunissant un président titulaire et un président suppléant. L'application correcte et non discriminatoire des critères visés par l'avis de sélection aurait été assurée pendant le déroulement de tous les entretiens oraux par la présidence du comité, en la personne de l'un ou de l'autre des coprésidents.

20.
    Par ailleurs, trois examinateurs auraient apprécié les mérites de chaque candidat, la composition du jury étant conforme aux conditions posées par l'article 3 de l'annexe III du statut des fonctionnaires des Communautés européennes.

21.
    La Commission observe enfin, que, dans l'arrêt Gogos/Commission, précité, le Tribunal a accordé une grande importance à la nature du concours litigieux. Or, d'une part, dans la présente affaire, le nombre des candidats admis à l'oral pour le domaine B aurait été le double de celui du concours interne en cause dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, ce qui aurait posé des problèmes considérables de disponibilité des membres du jury.

22.
    D'autre part, la procédure de sélection «Recherche» contestée aurait revêtu une nature et une finalité spécifiques. Pour constituer une réserve de recrutement d'agents temporaires, l'administration ne serait pas tenue d'organiser des procédures de concours sur titres, sur épreuves ou sur titres et épreuves. Au regard des spécificités inhérentes aux objectifs de la Commission concernant la recherche et le développement technologique, les règles régissant les concours de recrutement à des postes relevant du budget de fonctionnement ne pourraient être étendues aux procédures de sélection destinées à pourvoir des emplois relevant du budget «Recherche» qu'en tenant compte de la flexibilité exigée par les besoins très techniques du secteur «Recherche».

23.
    En particulier, la composition du comité aurait dû être souple en raison de la présence requise d'examinateurs possédant les qualifications spécifiques nécessaires à l'évaluation des différents candidats présentant des épreuves dans des domaines spécialisés.

Appréciation du Tribunal

24.
    Selon une jurisprudence bien établie, le large pouvoir d'appréciation dont était investi le comité quant à la détermination des modalités et du contenu détaillé desépreuves orales de la procédure de sélection litigieuse devait être compensé par une observation scrupuleuse des règles régissant l'organisation de ces épreuves (voir arrêt Gogos/Commission, précité, point 37).

25.
    Il incombait par conséquent au comité de veiller au respect strict du principe d'égalité de traitement des candidats lors du déroulement de ces épreuves orales et à l'objectivité du choix opéré entre les intéressés (voir arrêt Gogos/Commission, précité, point 38).

26.
    À cette fin, le comité était tenu de garantir l'application cohérente des critères d'évaluation à tous les candidats concernés, en assurant notamment la stabilité de sa composition (voir arrêt, Gogos/Commission, précité, point 41).

27.
    Or, il apparaît à la lecture de la liste de présence des six membres du comité, produite par la Commission à la demande du Tribunal, que, pour évaluer les différents candidats ayant présenté les épreuves orales, le comité a siégé en quelque douze formations différentes de trois membres tout au long du déroulement des épreuves orales. En outre, aucun des membres du comité n'a participé à l'ensemble de ces épreuves.

28.
    Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la Commission, le comité n'a pas toujours évalué les prestations des candidats en formation de trois examinateurs. Il ressort au contraire de la liste mentionnée au point précédent que quatre examinateurs étaient présents lors des épreuves de trois candidats. De plus, deux examinateurs seulement ont examiné un candidat et, dans un autre cas, seuls deux des trois examinateurs présents ont procédé à la formalité de la signature.

29.
    En outre, comme la Commission l'a relevé au cours de l'audience, les épreuves orales se sont étalées sur six semaines, cette circonstance étant par elle-même de nature à rendre plus difficile l'appréciation relative des mérites des candidats.

30.
    De surcroît, il n'est ni établi ni même sérieusement allégué que les résultats des épreuves orales aient fait l'objet d'une péréquation ou d'une concertation entre les six membres du comité au terme des épreuves de sélection.

31.
    Enfin, la coordination incombant normalement au président du comité n'a pu être pleinement assurée en raison du choix opéré en faveur d'un système de coprésidence.

32.
    Sans qu'il soit besoin de s'interroger sur la légalité du choix d'un tel système de coprésidence au regard des dispositions de l'article 3 de l'annexe III du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, applicable par analogie, il convient de relever que les deux coprésidents titulaires n'ont siégé ensemble en tout et pour tout que dans neuf des cent entretiens. Une aussi faible fréquence n'apparaît guère de nature, contrairement à ce que soutient la Commission, à permettre aux deux présidents titulaires d'assurer l'application correcte et non discriminatoire descritères d'évaluation des candidats pendant le déroulement de toutes les épreuves orales.

33.
    Dans ces conditions, ni la définition de la nature et du contenu des épreuves orales d'un commun accord par tous les membres du comité, ni la rédaction des questions à poser, ni encore l'énumération des critères de notation sur la fiche d'évaluation orale ne peuvent être regardées comme ayant pu garantir, à elles seules, l'application cohérente des critères d'évaluation retenus et une appréciation comparative utile des candidats.

34.
    Il n'est en outre pas établi que les caractéristiques particulières du recrutement organisé rendaient inévitable une telle instabilité de la composition du jury. En tout état de cause, la flexibilité nécessaire, selon la Commission, pour satisfaire aux besoins de technicité propres aux recrutements au sein du secteur «Recherche» ne saurait affranchir l'institution défenderesse du respect des garanties fondamentales d'égalité de traitement des candidats et de l'objectivité du choix opéré entre ceux-ci.

35.
    Il résulte de l'ensemble des circonstances relevées ci-dessus que le comité n'a pas été en mesure d'assurer l'égalité de traitement des candidats ayant présenté les épreuves orales de la procédure de sélection litigieuse.

36.
    Le Tribunal peut d'autant moins exclure l'éventualité d'une incidence des irrégularités constatées sur les résultats obtenus par la requérante que le total de ses points (137,5) n'est inférieur que de deux unités au minimum requis (139,5 points sur un total de 200) pour l'inscription sur la liste de réserve.

37.
    Il s'ensuit que la décision du comité, contenue dans la lettre du 13 juillet 2000, de ne pas inscrire la requérante sur la liste de réserve résultant de la procédure de sélection COM/R/A/01/1999 méconnaît le principe d'égalité de traitement des candidats.

38.
    Il y a donc lieu d'annuler cette décision, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens et arguments invoqués par la requérante, ni de statuer sur les demandes de mesures d'organisation de la procédure présentées par elle.

Sur les dépens

39.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre),

déclare et arrête:

1)    La décision du comité de sélection, contenue dans la lettre du 13 juillet 2000, de ne pas inscrire la requérante sur la liste de réserve résultant de la procédure de sélection COM/R/A/01/1999 est annulée.

2)    La Commission est condamnée aux dépens.

Vesterdorf            

Forwood
Legal

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 septembre 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français.