Language of document : ECLI:EU:T:2009:188

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

11 juin 2009 (*)

« Aides d’État – Régime d’aides accordées par les autorités italiennes à certaines entreprises de services publics sous la forme d’exonérations fiscales et de prêts à taux préférentiel – Décision déclarant les aides incompatibles avec le marché commun – Recours en annulation – Association d’entreprises – Absence d’affectation individuelle – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑292/02,

Confederazione Nazionale dei Servizi (Confservizi), établie à Rome (Italie), représentée par Mes C. Tessarolo, A. Vianello, S. Gobbato et F. Spitaleri, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. V. Di Bucci, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

soutenue par

Associazione Nazionale fra gli Industriali degli Acquedotti – Anfida, établie à Rome (Italie), représentée par MP. Alberti, avocat,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation des articles 2 et 3 de la décision 2003/193/CE de la Commission, du 5 juin 2002, relative à une aide d’État aux exonérations fiscales et prêts à des conditions préférentielles consentis par l’Italie à des entreprises de services public dont l’actionnariat est majoritairement public (JO 2003, L 77, p. 21),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (huitième chambre élargie),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. D. Šváby, S. Papasavvas, N. Wahl (rapporteur) et A. Dittrich, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 avril 2008,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, la Confederazione Nazionale dei Servizi (Confservizi), anciennement dénommée Cispel, est une confédération regroupant des entreprises publiques ou privées et des entités actives dans le domaine des services publics locaux. Selon ses statuts, sa tâche consiste notamment dans la représentation, la promotion et la protection desdites entreprises et entités. Elle est, notamment, chargée de négocier la convention collective nationale du travail pour les dirigeants des entreprises de services publics locaux.

 Sur le cadre juridique national

2        La legge n° 142 ordinamento delle autonomie locali (loi n° 142 portant organisation des autonomies locales, du 8 juin 1990, GURI n° 135, du 12 juin 1990, ci-après la « loi nº 142/90 ») a introduit en Italie une réforme des instruments d’organisation légaux mis à la disposition des communes pour la gestion des services publics, notamment dans les secteurs de la distribution de l’eau, du gaz, de l’électricité et des transports. L’article 22 de ladite loi, tel que modifié, a prévu la possibilité pour les communes de créer des sociétés sous différentes formes juridiques afin de fournir des services publics. Parmi celles‑ci figure la constitution de sociétés commerciales ou de sociétés à responsabilité limitée à actionnariat majoritairement public (ci-après les « sociétés loi nº 142/90 »).

3        Dans ce contexte, en vertu de l’article 9 bis de la legge n° 488 di conversione in legge, con modificazioni, del decreto-legge 1° luglio 1986, n° 318, recante provvedimenti urgenti per la finanza locale (loi n° 488 portant conversion en loi, avec modifications, du décret-loi n° 318, du 1er juillet 1986, introduisant des mesures urgentes en faveur des finances locales, du 9 août 1986, GURI n° 190, du 18 août 1986), des prêts à un taux d’intérêt particulier auprès de la Cassa Depositi e Prestiti (ci-après la « CDDPP ») ont été accordés entre 1994 et 1998 à des sociétés loi nº 142/90 qui étaient prestataires de services publics (ci-après les « prêts de la CDDPP »).

4        En outre, en vertu des dispositions combinées de l’article 3, paragraphes 69 et 70, de la legge nº 549 (su) misure di razionalizzazione della finanza pubblica (loi nº 549 sur des mesures de rationalisation des finances publiques, du 28 décembre 1995, supplément ordinaire à la GURI nº 302, du 29 décembre 1995, ci-après la « loi nº 549/95 ») et du decreto-legge n° 331 (su) armonizzazione delle disposizioni in materia di imposte sugli oli minerali, sull’alcole, sulle bevande alcoliche, sui tabacchi lavorati e in materia di IVA con quelle recate da direttive CEE e modificazioni conseguenti a detta armonizzazione, nonché disposizioni concernenti la disciplina dei centri autorizzati di assistenza fiscale, le procedure dei rimborsi di imposta, l’esclusione dall’ILOR dei redditi di impresa fino all’ammontare corrispondente al contributo diretto lavorativo, l’istituzione per il 1993 di un’imposta erariale straordinaria su taluni beni ed altre disposizioni tributarie (décret-loi nº 331 sur l’harmonisation des dispositions en matière d’impôts dans divers domaines, du 30 août 1993, GURI nº 203, du 30 août 1993, ci-après le « décret-loi n° 331/93 »), les mesures suivantes ont été introduites en faveur des sociétés loi nº 142/90 :

–        l’exonération de tous les droits grevant les transferts d’actifs effectués lors de la transformation d’entreprises spéciales et d’entreprises municipalisées en sociétés loi nº 142/90 (ci-après l’« exonération des droits sur les transferts ») ;

–        l’exonération totale de l’impôt des sociétés, à savoir l’impôt sur le bénéfice des personnes morales et l’impôt local sur le revenu, pendant trois ans, et au plus tard jusqu’à l’exercice 1999 (ci-après l’« exonération triennale de l’impôt des sociétés »).

 Procédure administrative

5        À la suite d’une plainte concernant lesdites mesures, la Commission a demandé, par lettres des 12 mai, 16 juin et 21 novembre 1997, des renseignements à cet égard aux autorités italiennes.

6        Par lettre du 17 décembre 1997, les autorités italiennes ont fourni une partie des renseignements souhaités. Une réunion a par ailleurs eu lieu, à la demande des autorités italiennes, le 19 janvier 1998.

7        Par lettre du 17 mai 1999, la Commission a notifié aux autorités italiennes sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. Cette décision a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes (JO C 220, p. 14).

8        Après avoir reçu des observations de tiers intéressés et des autorités italiennes, la Commission a demandé à plusieurs reprises à ces dernières des renseignements complémentaires. Des rencontres ont également eu lieu entre, d’une part, la Commission et, d’autre part, les autorités italiennes ainsi que les tiers intéressés intervenus.

9        Certaines sociétés loi nº 142/90, telles que ACEA SpA, AEM SpA et Azienda Mediterranea Gas e Acqua SpA (AMGA), qui ont par ailleurs introduit un recours en annulation contre la décision faisant l’objet de la présente affaire (respectivement affaires T‑297/02, T‑301/02 et T‑300/02), ont, notamment, fait valoir que les trois types de mesures en question ne constituaient pas des aides d’État.

10      Les autorités italiennes et la requérante se sont ralliées, en substance, à cette position.

11      En revanche, le Bundesverband der deutschen Industrie eV (BDI), association allemande de l’industrie et des prestataires de services y afférents, a considéré que les mesures en question pourraient provoquer des distorsions de concurrence non seulement en Italie mais également en Allemagne.

12      De même, Gas-it, association italienne d’opérateurs privés du secteur de la distribution de gaz, a déclaré que les mesures en question, en particulier l’exonération triennale de l’impôt des sociétés, constituaient des aides d’État.

13      Le 5 juin 2002, la Commission a adopté la décision 2003/193/CE relative à une aide d’État aux exonérations fiscales et prêts à des conditions préférentielles consentis par l’Italie à des sociétés loi n° 142/90 (JO 2003, L 77, p. 21, ci-après la « décision attaquée »).

 Décision attaquée

14      La Commission souligne tout d’abord que son examen ne porte que sur les régimes d’aides de portée générale institués par les mesures litigieuses et non sur les aides individuelles octroyées à différentes entreprises, si bien que son examen dans la décision attaquée est général et abstrait. À cet égard, elle déclare que la République italienne « n’a pas accordé d’avantages fiscaux à titre individuel et [ne lui] a notifié […] aucun cas individuel d’aide en lui communiquant tous les renseignements nécessaires à son appréciation ». La Commission indique qu’elle s’estime, en conséquence, tenue de procéder à un examen général et abstrait des régimes en cause tant sur le plan de leur qualification que sur le plan de leur compatibilité avec le marché commun (considérants 42 à 45 de la décision attaquée).

15      Selon la Commission, les prêts de la CDDPP et l’exonération triennale de l’impôt des sociétés (ci‑après, pris ensemble, les « mesures en cause ») sont des aides d’État. En effet, l’octroi, au moyen de ressources d’État, de tels avantages aux sociétés loi nº 142/90 a pour effet de renforcer leur position concurrentielle par rapport à toutes les autres entreprises désireuses de fournir les mêmes services (considérants 48 à 75 de la décision attaquée). Les mesures en cause sont incompatibles avec le marché commun dès lors qu’elles ne satisfont ni aux conditions de l’article 87, paragraphes 2 et 3, CE, ni aux conditions de l’article 86, paragraphe 2, CE et qu’elles violent, en plus, l’article 43 CE (considérants 94 à 122 de la décision attaquée).

16      En revanche, selon la Commission, l’exonération des droits sur les transferts ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, étant donné que ces droits sont dus lors de la constitution d’une nouvelle entité économique ou lors du transfert d’actifs entre différentes entités économiques. Or, d’un point de vue substantiel, les entreprises municipalisées, d’une part, et les sociétés loi nº 142/90, d’autre part, incarnent la même entité économique. Dès lors, l’exonération desdits droits en leur faveur est justifiée par la nature ou l’économie du système (considérants 76 à 81 de la décision attaquée).

17      Le dispositif de la décision attaquée est libellé comme suit :

« Article premier

L’exonération des droits sur les transferts […] ne constitue pas une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE]. 

Article 2

L’exonération triennale de l’impôt des sociétés […] et les avantages découlant des prêts [de la CDDPP …] constituent des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE].

Ces aides ne sont pas compatibles avec le marché commun.

Article 3

L’Italie prend toutes les mesures qui s’imposent pour exiger du bénéficiaire qu’il restitue l’aide décrite à l’article 2 qui lui a été accordée illégalement.

Le recouvrement de l’aide intervient immédiatement, conformément aux procédures nationales, dans la mesure où elles permettent l’exécution effective et immédiate de la décision [attaquée].

L’aide à recouvrer comprend les intérêts à compter de la date à laquelle le bénéficiaire a perçu l’aide illégale jusqu’à la date de son remboursement effectif. Ces intérêts sont calculés sur la base du taux de référence applicable au calcul de l’équivalent subvention des aides à finalité régionale.

[…] »

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 septembre 2002, la requérante a introduit le présent recours.

19      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 décembre 2002, l’Associazione Nazionale fra gli Industriali degli Acquedotti ? Anfida a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 12 mai 2003, le président de la cinquième chambre élargie du Tribunal (ancienne composition) a admis cette intervention. L’intervenante a déposé son mémoire et les autres parties ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

20      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 6 janvier 2003, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

21      Le 28 février 2003, la requérante a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité.

22      Le 8 août 2002, la République italienne a également introduit un recours en annulation devant la Cour contre la décision attaquée, enregistré sous la référence C‑290/02. La Cour a constaté que ce recours et les recours dans les affaires T‑292/02, T‑297/02, T‑300/02, T‑301/02 et T‑309/02 avaient le même objet, à savoir l’annulation de la décision attaquée, et étaient connexes, puisque les moyens présentés dans chacune de ces affaires se recoupaient très largement. Par ordonnance du 10 juin 2003, la Cour a suspendu la procédure dans l’affaire C‑290/02, conformément à l’article 54, troisième alinéa, de son statut, jusqu’au prononcé de la décision du Tribunal mettant fin à l’instance dans les affaires T‑292/02, T‑297/02, T‑300/02, T‑301/02 et T‑309/02.

23      Par ordonnance du 8 juin 2004, la Cour a décidé de renvoyer l’affaire C‑290/02 devant le Tribunal, qui est devenu compétent pour statuer sur les recours formés par les États membres contre la Commission, conformément aux dispositions de l’article 2 de la décision 2004/407/CE, Euratom du Conseil, du 26 avril 2004, portant modification des articles 51 et 54 du protocole sur le statut de la Cour de justice (JO L 132, p. 5). C’est ainsi que cette affaire a été enregistrée au greffe du Tribunal sous la référence T‑222/04.

24      Par ordonnance du 5 août 2004, le Tribunal a décidé de joindre au fond l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

25      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé, par écrit, des questions aux parties, auxquelles celles-ci ont répondu dans le délai imparti.

26      Par ordonnance du président de la huitième chambre élargie du Tribunal du 13 mars 2008, les affaires T‑292/02, T‑297/02, T‑300/02, T‑301/02, T‑309/02, T‑189/03 et T‑222/04 ont été jointes aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

27      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 16 avril 2008.

28      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler l’article 2 de la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 3 de la décision attaquée, d’une part, dans la mesure où il impose à la République italienne de récupérer les aides accordées par les mesures en cause et, d’autre part, en ce qu’il indique le taux de référence utilisé pour le calcul de l’ordre de récupération ;

–        condamner la Commission aux dépens.

29      La Commission, soutenue par l’intervenante, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 Sur la recevabilité

 Arguments des parties

30      À titre liminaire, la Commission conteste l’intérêt à agir de la requérante en ce qui concerne les prêts de la CDDPP. En effet, la requérante serait une confédération représentant les intérêts, notamment, des sociétés loi n° 142/90. En l’espèce, il serait impossible de vérifier qu’un ou plusieurs de ses membres ont effectivement bénéficié desdits prêts dans la mesure où elle a omis de produire la liste desdits membres.

31      La Commission conteste ensuite la qualité pour agir de la requérante. La requérante ne serait pas individuellement concernée par la décision attaquée, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

32      S’agissant de la question de l’affectation individuelle des membres de la requérante, la Commission fait d’abord valoir, en substance, que la décision attaquée doit être qualifiée d’acte de portée générale dans la mesure où elle concerne un régime d’aides et donc un nombre indéterminé et indéterminable d’entreprises définies en fonction d’un critère général, tel que leur appartenance à une catégorie d’entreprises. La portée générale, et donc la nature normative, d’un acte ne serait pas mise en cause par la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels il s’applique à un moment donné, tant il est constant que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte, en relation avec la finalité de ce dernier.

33      Selon la Commission, pour qu’un particulier soit individuellement concerné par un acte de portée générale, cet acte doit porter atteinte à ses droits spécifiques ou l’institution qui en est l’auteur doit être obligée de tenir compte des conséquences de cet acte sur la situation dudit particulier. La Commission considère cependant que tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la décision attaquée aurait eu des répercussions sur la situation de toutes les entreprises qui ont bénéficié des mesures en cause. Par conséquent, il n’y aurait pas de violation des droits spécifiques de certaines entreprises qui pourraient se différencier par rapport à toute autre entreprise bénéficiaire des mesures en cause. Par ailleurs, lors de l’adoption de la décision attaquée, la Commission n’aurait ni dû ni pu tenir compte des conséquences de sa décision sur la situation d’une entreprise précise. Ni la déclaration d’incompatibilité ni l’ordre de récupération contenus dans la décision attaquée ne se référeraient à la situation de bénéficiaires individuels.

34      Selon la Commission, son analyse est confirmée par la jurisprudence existante dans le domaine des aides d’État, selon laquelle le fait d’être le bénéficiaire d’un régime d’aides déclaré incompatible avec le marché commun ne saurait suffire à démontrer l’affectation individuelle au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

35      Des affaires plus récentes ne remettraient pas en cause la jurisprudence établie. Selon la Commission, la solution retenue dans l’arrêt de la Cour du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission (C‑15/98 et C‑105/99, Rec. p. I‑8855, ci-après l’« arrêt Sardegna Lines »), ne peut être appliquée à tous les recours formés par les bénéficiaires d’un régime d’aides déclaré illégal et incompatible et dont la récupération a été ordonnée. Cette conclusion s’imposerait en particulier lorsque, comme en l’espèce, le régime d’aides en cause a été examiné de manière abstraite. En outre, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sardegna Lines, la requérante aurait en réalité bénéficié d’une aide individuelle, car il s’agissait d’un avantage accordé en vertu d’un acte adopté sur la base d’une loi régionale caractérisée par un large pouvoir discrétionnaire. De plus, cette situation aurait fait l’objet d’un examen attentif au cours de la procédure d’enquête formelle d’examen.

36      Les faits de l’espèce différeraient également de ceux ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission (C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, ci-après l’« arrêt Alzetta »), dans la mesure où, en l’espèce, la Commission ne connaissait ni le nombre exact ni l’identité des bénéficiaires des aides en cause, ne disposait pas de tous les renseignements pertinents et ne connaissait pas le montant de l’aide octroyée dans chacun des cas. En outre, dans le cas présent, l’exonération triennale de l’impôt des sociétés s’appliquerait de façon automatique, alors que les aides en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Alzetta avaient été octroyées par le biais d’un acte ultérieur.

37      En tout état de cause, ni le fait d’avoir participé à la procédure formelle prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, ni l’ordre de récupération contenu dans la décision attaquée ne suffisent, selon la Commission, à individualiser la requérante. En effet, étant donné que les recours introduits par les bénéficiaires potentiels d’un régime d’aides notifié ne sont pas recevables au sens de l’article 230 CE, il devrait en être de même pour ceux formés par les bénéficiaires d’un régime d’aides non notifié.

38      Selon la Commission, la requérante n’a pas non plus de qualité pour agir qui lui est propre. En effet, en tant qu’entité distincte, elle ne subirait aucun préjudice du fait de la suppression des mesures en cause. En outre, le fait d’avoir participé à la procédure devant la Commission ne suffirait pas à l’individualiser au sens de l’arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, Rec. p. 197). Enfin, elle n’aurait pas agi en tant que négociateur au sens de l’arrêt de la Cour du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission (67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219). Le fait que la requérante représente les intérêts de ses membres ou qu’elle exerce un lobbying et le fait qu’elle participe aux négociations syndicales ne seraient pas pertinents. Au reste, le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), ne reconnaîtrait aux associations représentatives d’intérêts collectifs aucun statut spécial. Par ailleurs, la Commission considère comme non pertinente en l’espèce la jurisprudence qui reconnaît l’affectation individuelle des concurrents des bénéficiaires d’aides, lorsqu’elle approuve des aides sans ouvrir la procédure formelle d’examen. Elle ajoute que, lorsqu’elle adopte une décision concernant un régime d’aides, elle ne doit pas examiner les situations individuelles des bénéficiaires.

39      Enfin, le fait de déclarer irrecevable le recours introduit par la requérante en l’espèce ne violerait pas le principe d’une protection juridictionnelle effective, car les voies de recours prévues par les articles 241 CE et 234 CE seraient suffisantes (arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, ci-après l’« arrêt UPA »). L’argument de la requérante tiré de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1) ne serait pas convaincant, car le traité établissant une Constitution pour l’Europe (JO 2004, C 310, p. 1) n’a pas modifié les conditions de recevabilité des recours introduits par les particuliers.

40      L’intervenante se rallie, en substance, à la position de la Commission.

41      La requérante affirme avoir un intérêt à agir également en ce qui concerne les prêts de la CDDPP. En effet, elle attaquerait également la partie de la décision attaquée relative aux prêts de la CDDPP dont ses membres auraient bénéficié.

42      La requérante conteste ensuite l’affirmation selon laquelle la décision attaquée constitue un acte de portée générale. Premièrement, la Commission aurait fait dépendre la portée de la décision attaquée du type d’aides en cause. Or, dans le domaine du droit de la concurrence et des aides d’État, une décision adoptée à l’égard d’un État membre serait un acte individuel. À cet égard, la jurisprudence évoquée par la Commission à l’appui de ses allégations ne serait pas pertinente dans la mesure où elle concernerait la qualité pour agir des particuliers contre des actes de portée générale et à caractère normatif. Aux fins de l’appréciation de la recevabilité d’un recours formé par un sujet non destinataire de l’acte attaqué, il faudrait donc déterminer les effets de ce dernier.

43      Deuxièmement, au moment de l’adoption de la décision attaquée, le nombre d’entreprises auxquelles elle s’appliquait aurait été déterminé et déterminable. Cette décision aurait entraîné un préjudice patrimonial immédiat et direct pour les entreprises membres de la requérante en ce que la Commission y ordonne la récupération des aides dont elles ont effectivement bénéficié. Dès lors, la situation juridique des membres de la requérante serait assimilable à celle des bénéficiaires d’une aide individuelle, lesquels se trouvaient donc dans une situation analogue à celle des destinataires directs de la décision attaquée.

44      Selon la requérante, sont individuellement concernés les bénéficiaires effectifs d’aides qui ont été octroyées au titre d’un régime général d’aides déclaré incompatible et dont la Commission a ordonné la récupération.

45      De plus, au soutien de sa demande, la requérante invoque le droit à une protection juridictionnelle. En effet, le fait de déclarer le présent recours recevable permettrait d’assurer une protection juridictionnelle pleine et effective des particuliers, conformément à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

46      La requérante se considère individuellement concernée par la décision attaquée au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE non seulement en raison de l’affectation de ses membres, mais également en tant que titulaire d’une qualité pour agir qui lui est propre.

47      À cet égard, elle fait d’abord valoir qu’elle était dans une position de négociateur au sens de l’arrêt Van der Kooy e.a./Commission, précité. En effet, elle serait l’association de catégorie d’entreprises et d’entités exploitant les services publics locaux en Italie. Ses fonctions consisteraient, notamment, dans la représentation syndicale et la représentation des intérêts de ces dernières. Par ailleurs, elle serait mentionnée dans plusieurs dispositions législatives en tant qu’interlocuteur des pouvoirs publics. Ainsi, en 1996, elle aurait négocié avec les pouvoirs publics le texte d’une convention coordonnant l’ensemble des dispositions contractuelles de base régissant le rapport de travail des cadres supérieurs des entreprises de services publics locaux en Italie. Cette convention prévoirait, par ailleurs, un collège arbitral en matière de résolution du rapport de travail, dont une partie des membres serait désignée par la requérante.

48      En outre, la requérante se réfère à sa participation à la procédure administrative devant la Commission et au principe de sécurité juridique.

49      Enfin, elle invoque, au soutien de la recevabilité du recours, l’article 1er, sous h), et l’article 20 du règlement n° 659/1999.

 Appréciation du Tribunal

50      Conformément à l’article 230, quatrième alinéa, CE une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.

51      Il y a dès lors lieu de vérifier si la requérante a la qualité pour agir.

52      Selon la jurisprudence, les recours formés par une association sont recevables dans certaines situations, à savoir lorsqu’elle représente les intérêts d’entreprises qui, elles, seraient recevables à agir, ou lorsqu’elle est individualisée en raison de l’affectation de ses intérêts propres en tant qu’association, notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l’acte dont l’annulation est demandée, ou encore lorsqu’une disposition légale lui reconnaît expressément une série de droits à caractère procédural (ordonnance du Tribunal du 28 juin 2005, FederDoc e.a./Commission, T‑170/04, Rec. p. II‑2503, point 49 ; voir également, en ce sens, arrêt Van de Kooy e.a./Commission, précité, points 21 à 24, et arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Greenpeace Council e.a./Commission, C‑321/95 P, Rec. p. I‑1651, points 14 et 29).

53      Concernant la première situation, il doit être rappelé, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel elle représente des entreprises qui étaient identifiables au moment de l’adoption de la décision attaquée, que la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure, tant il est constant que, comme en l’espèce, cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (arrêt de la Cour du 22 novembre 2001, Antillean Rice Mills/Conseil, C‑451/98, Rec. p. I‑8949, point 52, et ordonnance du Tribunal du 28 février 2005, von Pezold/Commission, T‑108/03, Rec. p. II‑655, point 46).

54      Ensuite, il convient de rappeler qu’il résulte des arrêts Sardegna Lines et Alzetta qu’un bénéficiaire doit être considéré comme individuellement concerné par la décision qui fait obligation à l’État membre de récupérer les aides versées auprès dudit bénéficiaire.

55      Partant, il importe de savoir si la requérante représente effectivement de tels bénéficiaires. À cet égard, il y a lieu de relever que la requérante n’a pu démontrer ni dans sa réponse à la question écrite posée par le Tribunal ni lors de l’audience que, parmi ses membres, se trouveraient des bénéficiaires des mesures dont la récupération a été ordonnée. En outre, dans le cas d’espèce, il est clair que la requérante n’a pas représenté les intérêts des requérantes dans les affaires T‑297/02, T‑300/02, T‑301/02, T‑309/02 et T‑189/03, celles-ci représentant leurs propres intérêts. Dès lors, il y a lieu de conclure que la requérante ne se trouve pas dans la première situation envisagée au point 52 ci-dessus.

56      S’agissant, ensuite, de la deuxième situation, il convient de constater que, s’il est vrai que l’existence de circonstances particulières, telles que le rôle joué par une association dans le cadre d’une procédure ayant abouti à l’adoption d’un acte au sens de l’article 230 CE, peut justifier la recevabilité d’un recours introduit par une association dont les membres ne sont pas individuellement concernés par l’acte litigieux, notamment lorsque sa position de négociatrice a été affectée par ce dernier (voir, en ce sens, arrêt Van der Kooy e.a./Commission, précité, points 21 à 24, et ordonnance FederDoc e.a./Commission, précitée, point 51), il ne ressort pas du dossier que tel est le cas en l’espèce.

57      En effet, en l’espèce, la requérante a simplement participé à la procédure normalement engagée pour l’adoption d’une réglementation nationale, en tant que partie entendue et consultée. Le fait qu’elle ait pu être une partie négociatrice de la convention collective nationale des cadres supérieurs des services publics en cause n’est d’aucune pertinence dans le contexte du présent litige.

58      En outre, le fait que la requérante a participé à la phase administrative en vertu de l’article 1er, sous h), et de l’article 20 du règlement nº 659/1999 ne permet pas de la considérer comme étant affectée dans sa position de négociatrice au sens de l’arrêt Van der Kooy e.a./Commission, précité. En effet, lesdites dispositions ne reconnaissent aux associations représentatives aucun statut spécial par rapport à celui de toute autre partie intéressée. Il s’ensuit que la requérante ne se trouve pas dans la deuxième situation envisagée au point 52 ci-dessus.

59      Enfin, s’agissant de la troisième situation, si, certes, l’article 1er, sous h), et l’article 20 du règlement nº 659/1999 accordent des droits procéduraux aux parties intéressées, il doit être relevé que le présent recours ne tend pas à la sauvegarde de ces droits. En effet, la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE a été ouverte et la requérante a soumis des observations dans le cadre de cette procédure. Dans ces conditions, le simple fait qu’elle puisse être considérée comme intéressée au sens des dispositions précitées ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, C‑78/03 P, Rec. p. I‑10737, point 37). Par ailleurs, la circonstance que des missions et des fonctions spécifiques lui aient éventuellement été reconnues par l’ordre juridique italien ne saurait justifier une modification du système des voies de recours établi par l’article 230 CE et destiné à confier au juge communautaire le contrôle de la légalité des actes des institutions (voir, en ce sens, ordonnance FederDoc e.a/Commission, précitée, point 52, et la jurisprudence citée).

60      Il résulte des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas établi qu’elle se trouvait dans la troisième situation envisagée au point 52 ci-dessus.

61      L’argument de la requérante tiré des exigences d’une protection juridictionnelle effective ne saurait remettre en cause cette conclusion. D’une part, la Cour a confirmé sa jurisprudence constante relative à l’interprétation de l’article 230, quatrième alinéa, CE dans son arrêt du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré (C‑263/02 P, Rec. p. I‑3425), et dans son arrêt UPA. D’autre part, s’il est vrai que la condition relative à l’affectation individuelle exigée par l’article 230, quatrième alinéa, CE doit être interprétée à la lumière du principe d’une protection juridictionnelle effective en tenant compte des diverses circonstances qui sont de nature à individualiser une requérante, une telle interprétation ne saurait aboutir à écarter la condition en cause (arrêt UPA, point 44).

62      Enfin, l’argument que la requérante tire de l’article III‑365, paragraphe 4, du traité établissant une Constitution pour l’Europe doit être déclaré inopérant, puisque ce dernier n’est pas entré en vigueur et qu’il a, de surcroît, été remplacé par le traité sur l’Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2008, C 115, p. 1).

63      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requérante ne peut être considérée comme individuellement concernée par la décision attaquée au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE et que, partant, le recours doit être rejeté, dans son ensemble, comme irrecevable.

 Sur les dépens

64      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

65      En application de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, l’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      La Confederazione Nazionale dei Servizi (Confservizi)est condamnée à supporter ses dépens ainsi que ceux de la Commission.

3)      L’Associazione Nazionale fra gli Industriali degli Acquedotti ? Anfida supportera ses propres dépens.

Martins Ribeiro

Šváby

Papasavvas

Wahl

 

       Dittrich

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juin 2009.

Signatures


* Langue de procédure : l’italien.