Language of document : ECLI:EU:T:2003:287

Affaires jointes T-125/03 R et T-253/03 R

Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akcros Chemicals Ltd

contre

Commission des Communautés européennes

«Procédure de référé - Concurrence - Pouvoirs de vérification

de la Commission - Protection de la confidentialité -

Correspondance entre avocats et clients - Limites»

    Ordonnance du président du Tribunal du 30 octobre 2003
?II - 0000

Sommaire de l'ordonnance

1.
    Procédure - Intervention - Référé - Personnes intéressées - Demande de sursis à l'exécution d'une décision de la Commission rejetant une demande de protection de la confidentialité de documents copiés lors d'une vérification fondée sur l'article 14 du règlement n° 17 - Litige relatif à la protection de la confidentialité de la correspondance avec des avocats et des juristes d'entreprise - Demande d'intervention d'associations d'avocats et de juristes d'entreprise - Recevabilité

    (Statut de la Cour de justice, art. 40, alinéa 2)

2.
    Référé - Conditions de recevabilité - Recevabilité du recours principal - Défaut de pertinence - Limites

    (Art. 242 CE et 243 CE; règlement de procédure du Tribunal, art. 104, § 1)

3.
    Actes des institutions - Décision - Validité - Décision de vérification fondée sur l'article 14 du règlement n° 17 - Circonstances de droit et de fait concernant le déroulement de la procédure de vérification - Circonstances n'affectant pas la validité de ladite décision

    (Art. 230 CE; règlement du Conseil n° 17, art. 14, § 3)

4.
    Référé - Sursis à exécution - Conditions d'octroi - Fumus boni juris - Atteinte prima facie aux droits de la défense lors d'une vérification effectuée en application du règlement n° 17 - Notes rédigées en vue de la consultation d'un avocat ou correspondance échangée avec un avocat salarié de l'entreprise

    (Art. 242 CE et 243 CE; règlement du Conseil n° 17, art. 14)

5.
    Concurrence - Procédure administrative - Pouvoirs de vérification de la Commission - Refus de l'entreprise de produire une correspondance avec son avocat en invoquant sa confidentialité - Pouvoirs de la Commission

    (Règlement du Conseil n° 17, art. 14)

6.
    Référé - Sursis à exécution - Conditions d'octroi - Préjudice grave et irréparable - Notion - Demande de sursis à l'exécution d'une décision de la Commission rejetant une demande de protection de la confidentialité de documents copiés lors d'une vérification fondée sur l'article 14 du règlement n° 17

    (Art. 242 CE et 243 CE; règlement de procédure du Tribunal, art. 104, § 2)

7.
    Référé - Sursis à exécution - Conditions d'octroi - Mise en balance de l'ensemble des intérêts en cause - Notion - Demande de sursis à l'exécution d'une décision de la Commission rejetant une demande de protection de la confidentialité de documents copiés lors d'une vérification fondée sur l'article 14 du règlement n° 17 - Mise en balance de l'intérêt des requérantes à la non-divulgation des informations y contenues et de l'intérêt général de la Commission au respect des règles de concurrence

    (Art. 242 CE et 243 CE)

1.
    En vertu de l'article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable au Tribunal en vertu de l'article 53, premier alinéa, du même statut, le droit d'intervenir d'un particulier est soumis à la condition que ce dernier puisse justifier d'un intérêt à la solution du litige. Est admise l'intervention d'associations représentatives qui ont pour objet la protection de leurs membres dans des affaires soulevant des questions de principe de nature à affecter ces derniers.

    Dès lors, des associations d'avocats et de juristes d'entreprise représentant les intérêts de leurs membres et ayant pour objet la défense de ces intérêts ont le droit d'intervenir dans une procédure en référé posant directement des questions de principe relatives, d'une part, à la confidentialité de la correspondance échangée avec des avocats et des juristes d'entreprises et, d'autre part, aux conditions dans lesquelles le juge des référés peut ordonner des mesures provisoires concernant les documents dont la Commission entend prendre connaissance sur le fondement de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, mais dont les entreprises soutiennent qu'ils sont protégés par le secret professionnel. En effet, la définition de ces conditions est de nature à affecter directement les intérêts desdits membres, en ce qu'elles peuvent limiter ou étendre la protection juridictionnelle provisoire applicable, notamment, aux documents émanant des avocats et des juristes d'entreprise et que lesdites associations considèrent comme couverts par le secret professionnel.

(voir points 43, 45-46, 50, 52-53)

2.
    La recevabilité du recours au principal ne doit pas, en principe, être examinée dans le cadre d'une procédure en référé sous peine de préjuger le fond de l'affaire. Il peut, néanmoins, s'avérer nécessaire, lorsque l'irrecevabilité manifeste du recours au principal sur lequel se greffe la demande en référé est soulevée, d'établir l'existence de certains éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité d'un tel recours.

(voir point 56)

3.
    Selon un principe général de droit communautaire, la légalité d'un acte doit être appréciée au regard des circonstances de droit et de fait existant au moment où cette décision a été adoptée, de telle sorte que des actes postérieurs à une décision ne peuvent pas en affecter la validité. Dès lors, dans le cadre d'une vérification fondée sur l'article 14 du règlement n° 17, une entreprise ne saurait se prévaloir de l'illégalité dont serait entaché le déroulement de procédures de vérification au soutien de conclusions en annulation dirigées contre l'acte sur le fondement duquel la Commission a procédé à cette vérification.

(voir points 68-69)

4.
    Le règlement n° 17 doit être interprété comme protégeant la confidentialité de la correspondance entre avocats et clients pour autant, d'une part, qu'il s'agisse de correspondance échangée dans le cadre et aux fins du droit de la défense du client et, d'autre part, qu'elle émane d'avocats indépendants, c'est-à-dire d'avocats non liés au client par un rapport d'emploi.

    Ce principe de protection accordée aux communications entre l'avocat et son client doit être regardé comme s'étendant également aux notes internes qui se bornent à reprendre le texte ou le contenu de ces communications.

    Un moyen visant à démontrer que des documents rédigés en vue de la consultation d'un avocat et pour les fins des droits de la défense, d'une part, et des correspondances échangées avec un avocat employé de façon permanente par une entreprise, d'autre part, sont également couverts par le secret professionnel pose des questions de principe très importantes et complexes. Un tel moyen nécessite, par conséquent, un examen détaillé au principal. Au stade du référé, ce moyen n'apparaît donc pas comme étant manifestement infondé et satisfait la condition relative au «fumus boni juris».

(voir points 95-98, 114, 119-120, 130)

5.
    Lorsqu'une entreprise, soumise à vérification en vertu de l'article 14 du règlement n° 17, refuse, en invoquant un droit à la protection de la confidentialité, de produire, parmi les documents professionnels exigés par la Commission, la correspondance échangée avec son avocat, il lui incombe en tout cas de fournir aux agents mandatés de la Commission, sans pour autant devoir leur dévoiler le contenu de la correspondance en question, les éléments utiles de nature à prouver que celle-ci remplit les conditions justifiant sa protection légale. Si la Commission estime qu'une telle preuve n'est pas rapportée, il appartient à la Commission d'ordonner, en application de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, la production de la correspondance en cause. Il est possible ensuite pour l'entreprise contrôlée de déposer un recours en annulation contre cette décision de la Commission, le cas échéant assorti d'une demande de mesures provisoires sur le fondement des articles 242 CE et 243 CE.

(voir point 132)

6.
    Le caractère urgent d'une demande en référé doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement, afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire.

    Doit être considérée comme urgente une demande en référé visant à ce qu'il soit sursis à l'exécution d'une décision de la Commission dans laquelle cette dernière indique qu'elle va prendre connaissance de documents qui ont été copiés lors d'une vérification fondée sur l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 et placés dans une enveloppe scellée, et dont par ailleurs une entreprise soutient qu'il sont protégés par le secret professionnel.

    En effet, si la Commission prenait connaissance de ces documents et si, ultérieurement, le juge communautaire annulait cette décision, il serait impossible en pratique pour la Commission de tirer toutes les conséquences de cet arrêt, dès lors que les fonctionnaires de la Commission auraient d'ores et déjà pris connaissance du contenu des documents. En ce sens, la prise de connaissance par la Commission des informations contenues dans ces documents constituerait, en tant que telle, une atteinte substantielle et irréversible au droit des requérantes de faire respecter le secret protégeant ces documents.

    De plus, même si, en cas d'annulation de la décision, les informations contenues dans ces documents ne pouvaient être utilisées contre l'entreprise, une telle impossibilité n'aurait aucune incidence sur le préjudice grave et irréparable qui résulterait de leur simple divulgation, dans la mesure où l'objet du secret professionnel ne consiste pas uniquement à protéger l'intérêt privé qu'ont les justiciables à ne pas voir leurs droits de la défense irrémédiablement affectés, mais, également, à protéger l'exigence que tout justiciable doit avoir la possibilité de s'adresser en toute liberté à son avocat. Cette exigence, qui est formulée dans l'intérêt public d'une bonne administration de la justice et du respect de la légalité, suppose nécessairement qu'un client ait la liberté de s'adresser à son avocat sans craindre que les confidences dont il ferait état puissent être ultérieurement divulguées à une tierce personne. Par conséquent, la réduction du secret professionnel à la seule garantie que les informations confiées par un justiciable ne seront pas utilisées contre lui édulcore l'essence de ce droit, dès lors que c'est la divulgation, même provisoire, de telles informations, qui pourrait être de nature à porter irrémédiablement atteinte à la confiance que ce justiciable plaçait, en faisant des confidences à son avocat, dans le fait que celles-ci ne seraient jamais divulguées.

(voir points 159, 163-164, 167)

7.
    Lorsque, dans le cadre d'une demande de mesures provisoires, le juge des référés devant lequel il est fait état du risque pour le demandeur de subir un préjudice grave et irréparable met en balance les différents intérêts en cause, il lui faut examiner si l'annulation éventuelle de la décision litigieuse par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée en l'absence de mesures provisoires et, inversement, si le sursis à l'exécution de cette décision serait de nature à faire obstacle à son plein effet au cas où le recours au principal serait rejeté.

    Dès lors, dans le cadre de l'examen d'une demande en référé visant à ce qu'il soit sursis à l'exécution d'une décision de la Commission dans laquelle cette dernière indique qu'elle va prendre connaissance de documents copiés lors d'une vérification fondée sur l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 et placés dans une enveloppe scellée, et dont par ailleurs une entreprise soutient qu'il sont protégés par le secret professionnel, il convient de mettre en balance, d'une part, l'intérêt de cette entreprise à ce que les documents ne soient pas divulgués et, d'autre part, l'intérêt général et l'intérêt de la Commission tenant au respect des règles de concurrence du traité.

    L'intérêt d'une entreprise à ce que des documents dont elle soutient qu'ils sont couverts par le secret professionnel ne soient pas divulgués doit faire l'objet d'une évaluation en fonction des circonstances de chaque affaire et, en particulier, de la nature et du contenu des documents concernés. Par ailleurs, dès lors qu'il est établi que le fait pour la Commission de prendre connaissance de documents risque de porter une atteinte grave et irréparable au secret professionnel et aux droits de la défense d'une entreprise, des considérations d'efficacité administrative et d'allocation des ressources, malgré leur importance, ne peuvent, en principe, prévaloir sur les droits de la défense qu'à la condition que la Commission fasse état de circonstances très spéciales justifiant une telle atteinte.

(voir points 180-182, 186)