Language of document : ECLI:EU:T:2024:165

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

13 mars 2024 (*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Avis du service juridique du Conseil sur une proposition de la Commission concernant une modification du règlement (CE) no 1367/2006 et sur un avis du comité Aarhus – Refus partiel d’accès – Exception relative à la protection des avis juridiques – Avis juridiques ayant un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au‑delà du cadre du processus législatif en cause – Exception relative à la protection du processus décisionnel – Exception relative à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne les relations internationales – Intérêt public supérieur »

Dans les affaires jointes T‑682/21 et T‑683/21,

ClientEarth AISBL, établie à Ixelles (Belgique),

Päivi Leino-Sandberg, demeurant à Helsinki (Finlande),

représentées par Mes O. Brouwer, T. van Helfteren, avocats, et Mme S. Gallagher, solicitor,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes S. Saez Moreno et A. Maceroni, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de M. L. Truchot, président, Mmes R. Frendo (rapporteure) et T. Perišin, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure, notamment la décision du 20 décembre 2022 portant jonction des affaires T‑682/21 et T‑683/21 aux fins de la phase orale de la procédure et de la décision mettant fin à l’instance,

à la suite de l’audience du 18 janvier 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs recours fondés sur l’article 263 TFUE, les requérantes, ClientEarth AISBL et Mme Päivi Leino-Sandberg, demandent l’annulation des décisions contenues dans les lettres portant les références SGS 21/2869 et SGS 21/2870 du Conseil de l’Union européenne, du 9 août 2021, leur refusant partiellement l’accès au document 8721/21 (ci-après les « décisions attaquées »).

 Antécédents du litige

2        Le 17 février 2005, le Conseil, au nom de l’Union européenne, a décidé d’approuver la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus (Danemark) le 25 juin 1998 (ci-après la « convention d’Aarhus »).

3        L’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus impose à chaque partie de veiller à ce que les membres du public puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement.

4        En outre, l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus dispose, notamment, que les procédures de recours doivent être suffisantes, effectives, objectives et rapides sans que leur coût soit prohibitif.

5        Afin de contribuer au respect des exigences de la convention d’Aarhus, l’Union a adopté le règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus (JO 2006, L 264, p. 13, ci-après le « règlement Aarhus »).

6        En particulier, l’article 10 du règlement Aarhus, intitulé « Demande de réexamen interne d’actes administratifs », prévoyait, à son paragraphe 1, dans sa rédaction alors en vigueur, que toute organisation non gouvernementale (ONG) satisfaisant à certains critères prévus à l’article 11 du même règlement était habilitée à introduire une demande de réexamen interne auprès de l’institution ou de l’organe de l’Union qui a adopté un acte administratif au titre du droit de l’environnement ou, en cas d’allégation d’omission administrative, qui était censé avoir adopté un tel acte. En outre, l’article 2, paragraphe 1, sous g), du même règlement définissait la notion d’« acte administratif », susceptible de faire l’objet d’une demande de réexamen interne, comme correspondant à toute mesure de portée individuelle au titre du droit de l’environnement arrêtée par une institution ou un organe de l’Union et ayant un effet juridiquement contraignant et extérieur.

7        Le 17 mars 2017, le comité d’examen du respect des dispositions de la convention d’Aarhus (ci-après le « comité Aarhus »), qui a été institué afin de vérifier le respect, par les parties à ladite convention, des obligations qui en découlent, a publié la communication ACCC/C/2008/32, par laquelle il a conclu, notamment, que l’Union ne respectait pas l’article 9, paragraphes 3 et 4, de cette convention en ce qui concerne l’accès à la justice des membres du public et a recommandé la modification du règlement Aarhus.

8        En effet, le comité Aarhus a considéré que le mécanisme de réexamen interne prévu par l’article 10 du règlement Aarhus ne devait pas être limité aux actes de portée individuelle, ayant des effets juridiquement contraignants et extérieurs, adoptés au titre du droit de l’environnement, mais qu’il devait être étendu à tous les actes allant à l’encontre des dispositions du droit de l’environnement. En outre, le comité Aarhus a considéré que ce mécanisme ne devait pas être réservé à certaines ONG habilitées à cet effet, mais qu’il devait être ouvert aux « membres du public ».

9        Le 14 octobre 2020, la Commission européenne a publié la proposition COM(2020) 642 final de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement Aarhus [ci-après la « proposition de la Commission »].

10      Le 12 février 2021, le comité Aarhus a rendu un avis sur la proposition de la Commission en indiquant que, nonobstant certaines préoccupations restant à traiter, la proposition législative en cause constituait une « évolution positive significative » (ci-après « l’avis du 12 février 2021 »).

11      En particulier, le comité Aarhus a, notamment, réitéré l’opinion selon laquelle le mécanisme de réexamen interne prévu par l’article 10 du règlement Aarhus ne devait pas être réservé à des ONG habilitées, mais qu’il devait être ouvert aux « membres du public », et qu’il ne devait pas être limité au réexamen des actes ayant des effets juridiquement contraignants et extérieurs.

12      Le 11 mai 2021, le service juridique du Conseil a émis dans le document 8721/21 (ci-après le « document demandé ») un avis relatif à la proposition de la Commission et à l’avis du 12 février 2021.

13      Le 20 mai 2021, les requérantes ont sollicité l’accès au document demandé, sur le fondement, d’une part, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43) et, d’autre part, du règlement Aarhus et de l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

14      Le 8 juin 2021, le Conseil a partiellement accueilli les demandes des requérantes, en leur accordant un accès aux points 1, 3, 4 et 6 à 17 du document demandé.

15      Le 29 juin 2021, les requérantes ont présenté des demandes confirmatives conformément à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001.

16      À l’issue des négociations en trilogues, le 12 juillet 2021, les représentants du Conseil et du Parlement européen sont parvenus à un accord sur la modification du règlement Aarhus (ci‑après l’« accord provisoire »).

17      Le 16 juillet 2021, la Commission, agissant au nom de l’Union, a informé le comité Aarhus de l’accord provisoire, qui, par la suite, a été avalisé par le Comité des représentants permanents des gouvernements des États membres de l’Union européenne au sein du Conseil, le 23 juillet 2021.

18      Le 26 juillet 2021, le comité Aarhus a adopté un rapport sur l’accord provisoire reprenant, en substance, ses observations exprimées dans l’avis du 12 février 2021 (voir point 10 ci-dessus), tout en recommandant aux parties à la convention d’Aarhus d’approuver la modification du règlement Aarhus, telle que proposée dans l’accord provisoire.

19      Le 9 août 2021, le Conseil a adopté les décisions attaquées, par lesquelles il a statué sur les demandes confirmatives des requérantes. Tout en maintenant sa décision de refuser l’accès intégral au document demandé, le Conseil a étendu l’accès partiel aux points 18 à 28 dudit document.

20      Le 6 octobre 2021, le Parlement et le Conseil, en tant que colégislateurs, ont adopté le règlement (UE) 2021/1767, modifiant le règlement Aarhus (JO 2021, L 356, p. 1).

 Conclusions des parties

21      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

22      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours,

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

23      À l’appui de leurs recours, les requérantes invoquent, en substance, quatre moyens. Les trois premiers moyens sont tirés, formellement, des erreurs de droit :

–        et d’appréciation dans l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001, relative à la protection du processus décisionnel (premier moyen) ;

–        et d’appréciation dans l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, relative à la protection des avis juridiques (deuxième moyen) ;

–        et d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, du règlement no 1049/2001, relative à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne les relations internationales (troisième moyen).

24      Enfin, le quatrième moyen, soulevé à titre subsidiaire, est tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001, en ce que le Conseil n’aurait pas accordé aux requérantes un accès plus large au document demandé.

25      En l’espèce, il convient de commencer l’analyse par l’examen du deuxième moyen, tiré d’erreurs de droit et d’appréciation lors de l’application de l’exception afférente aux avis juridiques prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001

26      L’argumentation développée par les requérantes dans le cadre du deuxième moyen est composée, en substance, de trois branches.

27      La première branche est tirée de ce que le document demandé aurait été qualifié erronément d’avis juridique au sens de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, la deuxième, d’une erreur d’appréciation quant au risque d’atteinte invoqué par le Conseil pour justifier la non-divulgation dudit document en tant qu’avis juridique et, la troisième, d’une erreur d’appréciation quant à l’intérêt public supérieur invoqué par les requérantes pour en justifier la divulgation.

28      Le Conseil conteste les allégations des requérantes.

29      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 prévoit que l’accès à un document est refusé dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection des avis juridiques, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation dudit document.

30      À cet égard, il est de jurisprudence constante que l’application de cette exception impose à l’institution concernée d’effectuer un examen qui doit se dérouler, nécessairement, en trois temps, correspondant aux trois critères figurant à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 (voir, en ce sens arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 37, et du 15 septembre 2016, Herbert Smith Freehills/Conseil, T‑710/14, EU:T:2016:494, point 42 et jurisprudence citée).

31      Ainsi, dans un premier temps, l’institution doit s’assurer que le document dont la divulgation est demandée concerne bien un avis juridique et, dans l’affirmative, déterminer quelles en sont les parties effectivement concernées et, donc, susceptibles de tomber dans le champ d’application de l’exception en cause (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 38).

32      Dans un deuxième temps, elle doit examiner si la divulgation des parties du document en question, identifiées comme concernant des avis juridiques, porterait atteinte à la protection dont doivent bénéficier ces derniers, dans le sens où elle porterait préjudice à l’intérêt d’une institution à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets. Le risque d’atteinte à cet intérêt doit, pour pouvoir être invoqué, être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, points 40, 42 et 43).

33      Dans un troisième et dernier temps, si l’institution considère que la divulgation d’un document porterait atteinte à la protection due aux avis juridiques telle qu’elle vient d’être définie, il lui incombe de vérifier qu’il n’existe pas un intérêt public supérieur justifiant cette divulgation, nonobstant l’atteinte qui en résulterait à son intérêt à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 44, et du 15 septembre 2016, Herbert Smith Freehills/Conseil, T‑710/14, EU:T:2016:494, point 43 et jurisprudence citée).

34      Toutefois, il résulte de la jurisprudence qu’il n’existe aucun véritable risque, raisonnablement prévisible, et non purement hypothétique, que la divulgation des avis du service juridique du Conseil émis dans le cadre de procédures législatives soit de nature à porter atteinte à la protection des avis juridiques, au sens de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001. Ce règlement impose, ainsi, en principe, une obligation de divulguer les avis du service juridique du Conseil relatifs à un processus législatif (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, points 66 et 68).

35      Ce constat ne fait néanmoins pas obstacle à ce que la divulgation d’un avis juridique spécifique, rendu dans le contexte d’un processus législatif, mais ayant un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, puisse être refusée au titre de la protection des avis juridiques. Dans un tel cas, il incomberait à l’institution concernée de motiver un tel refus de façon circonstanciée (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 69).

 Sur la première branche, tirée de ce que le document demandé aurait été qualifié erronément d’avis juridique au sens de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001

36      Les requérantes remettent en cause la qualification du document demandé opérée par le Conseil dans les décisions attaquées, en faisant valoir que ledit document ne comporte pas un avis juridique concret, mais uniquement une analyse juridique abstraite et générale élaborée dans le cadre d’une procédure législative. À cet égard, elles font valoir que le document est intitulé « avis » et non « avis juridique ». Elles soutiennent également que ledit document constitue une simple présentation générale des domaines du droit de l’Union qui sous-tendaient la proposition de la Commission et que, dès lors, il n’est pas susceptible de tomber dans le champ d’application de l’exception relative à la protection des avis juridiques.

37      Il convient de relever d’emblée que, contrairement à ce que les requérantes soutiennent, il est indiqué explicitement, dans la note en bas de page no 1 du document demandé, que celui-ci contient un conseil juridique au sens de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001.

38      Toutefois, ce n’est pas parce qu’un document est intitulé, voire qualifié par son auteur d’« avis juridique », qu’il doit automatiquement bénéficier de la protection des avis juridiques garantie par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001. Par-delà sa dénomination, il incombe à l’institution de s’assurer que ce document concerne bien un tel avis (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 39).

39      En effet, la notion d’« avis juridique » n’étant pas définie dans le règlement no 1049/2001, la jurisprudence a établi que la nature juridique d’un document est liée, non à son intitulé, à son auteur ou à ses destinataires, mais à son contenu. Ainsi qu’il ressort d’une interprétation littérale des termes « avis juridique », il s’agit d’un conseil relatif à une question de droit, quelles que soient les modalités suivant lesquelles un tel avis est donné. En d’autres termes, il est indifférent, pour que l’exception relative à la protection des avis juridiques s’applique, que le document contenant un tel avis ait été donné à un stade précoce, avancé ou final du processus décisionnel. De même, le fait que l’avis ait été rendu dans un contexte formel ou informel est sans incidence pour l’interprétation de ces termes (voir, en ce sens arrêt du 15 septembre 2016, Herbert Smith Freehills/Conseil, T‑710/14, EU:T:2016:494, point 48).

40      En l’espèce, il est constant que le document demandé est un document interne du Conseil, établi au cours des débats relatifs à la procédure législative engagée par la Commission en vue de modifier le règlement Aarhus.

41      Ainsi qu’il ressort, en substance, des points 1, 3 et 4 du document demandé, auxquels les requérantes ont eu accès, l’objet dudit document était, d’une part, de répondre à une demande du groupe de travail « Environnement » du Conseil sur le champ d’application de la proposition de la Commission et, d’autre part, de se prononcer sur l’avis du 12 février 2021, par lequel le comité Aarhus avait considéré que ladite proposition devait être modifiée sur plusieurs points afin d’assurer la pleine conformité du règlement Aarhus à la Convention d’Aarhus.

42      Ainsi, l’analyse du document demandé atteste que son contenu vise à répondre à des questions de droit et qu’il relève, par voie de conséquence, de l’exception relative à la protection des avis juridiques au sens de la jurisprudence citée au point 39 ci-dessus.

43      Dès lors, le fait que le document demandé ne contiendrait qu’une analyse abstraite et générale de la proposition de la Commission n’est pas de nature à le priver de son caractère juridique.

44      Ainsi, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le document demandé ne constitue pas un avis juridique au sens et pour l’application de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, de sorte que cette première branche, tirée d’une erreur de droit, doit être rejetée comme non fondée.

 Sur la deuxième branche, tirée d’une erreur d’appréciation quant au risque d’atteinte invoqué par le Conseil pour justifier la non-divulgation dudit document en tant qu’avis juridique

45      Les requérantes soutiennent, en substance, que le document demandé, qui a été émis dans le cadre d’un processus législatif, n’est pas d’une nature particulièrement sensible et n’a pas une portée particulièrement large, de sorte que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en estimant que sa divulgation était susceptible de porter atteinte à la protection dont doivent bénéficier les avis juridiques.

46      En particulier, dans le cadre d’un premier grief, les requérantes font valoir que le document demandé n’est pas particulièrement sensible et que le Conseil n’a pas établi l’existence d’un risque effectif, concret, raisonnablement prévisible et non hypothétique qui résulterait de la divulgation dudit document.

47      Ensuite, dans le cadre d’un second grief, elles font valoir que le document demandé n’est pas doté d’une portée particulièrement large au regard du cadre législatif dans lequel il a été adopté.

48      À titre liminaire, dès lors, ainsi qu’il est indiqué au point 41 ci-dessus, que l’objet du document demandé était, notamment, d’examiner le champ d’application d’une proposition de la Commission tendant à la modification d’un règlement, il y a lieu de constater que ledit document comporte un avis juridique relatif à un processus législatif.

49      Or, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 34 ci-dessus, le règlement no 1049/2001 impose, en principe, une obligation de divulguer les avis du service juridique du Conseil relatifs à un processus législatif.

50      En effet, en ce qui concerne, en particulier, les documents établis par les institutions agissant en qualité de législateur, le considérant 6 du règlement no 1049/2001 indique qu’un accès plus large à de tels documents devrait être autorisé. Selon la jurisprudence, la transparence à cet égard contribue à renforcer la démocratie en permettant aux citoyens de contrôler l’ensemble des informations qui ont constitué le fondement d’un acte législatif. Ainsi, la possibilité, pour les citoyens, de connaître les fondements des actions législatives est une condition de l’exercice effectif, par ces derniers, de leurs droits démocratiques (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 46).

51      Toutefois, la divulgation des avis juridiques des institutions adoptés dans le cadre d’un processus législatif ne revêt pas, contrairement à ce qu’avancent, en substance, les requérantes, le caractère d’une obligation absolue.

52      En effet, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence mentionnée au point 35 ci-dessus, le constat qu’un document comporte un avis juridique spécifique, rendu dans le contexte d’une procédure législative, ne fait pas obstacle à ce que sa divulgation puisse être refusée sur le fondement de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, si ledit document présente un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause.

53      Il s’ensuit que le principe imposant la divulgation des avis juridiques établis au cours d’une procédure législative est susceptible de se heurter à l’une ou à l’autre des deux exceptions visées au point 52 ci-dessus.

54      En l’espèce, le Conseil a fait reposer les décisions attaquées, en ce qui concerne l’exception relative à la protection des avis juridiques, sur deux motifs correspondant aux deux exceptions posées par la jurisprudence visée au point 52 ci-dessus, à savoir :

–        d’une part, le caractère particulièrement sensible du document demandé ;

–        d’autre part, la portée particulièrement large dudit document dépassant la portée de la procédure législative en cause.

55      Les requérantes soutiennent que chacun de ces deux motifs est entaché d’une erreur d’appréciation.

–       Sur le premier grief, tiré d’une erreur d’appréciation en raison de l’absence de caractère particulièrement sensible du document demandé

56      Aux points 33 à 36 et 41 à 44 des décisions attaquées, le Conseil a invoqué le caractère particulièrement sensible de l’avis juridique figurant dans le document demandé. Au soutien de ce motif, il a avancé trois considérations, à savoir :

–        premièrement, le contexte dans lequel ledit document avait été établi ainsi que son contenu ;

–        deuxièmement, le risque de pressions externes ;

–        troisièmement, le fait que les questions abordées étaient susceptibles de faire l’objet de litiges devant les juridictions de l’Union.

57      Ainsi, en premier lieu, aux points 33 à 36 des décisions attaquées, le Conseil a indiqué que le document demandé abordait des questions hautement sensibles dans un contexte qui l’était également, dès lors que le comité Aarhus avait, le 17 mars 2017, conclu que l’Union ne respectait pas ses obligations en matière d’accès à la justice des membres du public découlant de l’article 9, paragraphes 3 et 4, de la convention d’Aarhus.

58      À cet égard, il convient toutefois d’observer que c’est le document lui‑même qui doit présenter un caractère particulièrement sensible et non, contrairement à ce qu’avance le Conseil, le contexte dans lequel il s’inscrit (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 69). Ainsi, seul un avis qui, même s’il concerne une mesure législative importante, comporte des informations particulièrement délicates peut se voir reconnaître un caractère sensible, ce qui n’est pas le cas lorsque cet avis n’incorpore que la simple appréciation d’éléments d’interprétation du droit de l’Union.

59      En effet, si un avis juridique, bien qu’établi dans un contexte législatif particulièrement sensible, ne comporte que des appréciations juridiques privées de toute originalité et ne comporte pas, en plus de ces appréciations, d’informations sensibles ou ne se réfère pas à des éléments factuels confidentiels, il ne saurait être considéré que des appréciations juridiques, en tant que telles, ne doivent pas être divulguées au public, du seul fait qu’elles se rapportent, par exemple, à une initiative législative controversée.

60      Or, en l’espèce, il ne ressort pas de l’examen du contenu du document demandé qu’il comporte des informations particulièrement sensibles, ni qu’il se réfère à des éléments factuels confidentiels.

61      En outre, il ne ressort pas non plus du contenu du document demandé que cet avis juridique contienne des analyses originales qui iraient au-delà d’une simple appréciation d’éléments d’interprétation du droit de l’Union.

62      Il s’ensuit que, quand bien même le document demandé se rapporterait à une initiative controversée, la première considération sous-tendant la position du Conseil selon laquelle le document demandé revêtirait un caractère particulièrement sensible ne saurait être retenue.

63      En deuxième lieu, au point 44 des décisions attaquées, le Conseil a fait valoir que la divulgation du document demandé serait de nature à exposer son service juridique à des pressions externes qui pourraient, par la suite, affecter l’élaboration de ses avis et, dès lors, nuire à la possibilité pour ledit service d’exprimer ses opinions à l’abri desdites pressions.

64      À cet égard, il résulte de la jurisprudence que la transparence quant à l’activité législative des institutions de l’Union permet que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues et contribue ainsi à conférer aux institutions une plus grande légitimité aux yeux des citoyens de l’Union et à augmenter la confiance de ceux-ci. Ainsi, de simples affirmations, invoquant de façon générale et abstraite le risque de « pressions externes », ne sauraient suffire pour caractériser une atteinte à la protection des avis juridiques au sens de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 et, par conséquent, fonder un refus de divulgation de ces avis (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, points 59 et 61, et du 21 avril 2021, Pech/Conseil, T‑252/19, non publié, EU:T:2021:203, point 92 et jurisprudence citée).

65      Or, en l’espèce, les simples affirmations, non étayées, du Conseil quant à la possibilité de « pressions externes » sur son service juridique ne permettent pas de considérer que la divulgation du document demandé entraînerait un véritable risque, raisonnablement prévisible et non purement hypothétique, d’une atteinte à l’indépendance dudit service.

66      Par voie de conséquence, de telles affirmations ne sauraient établir que le document demandé revêtirait un caractère particulièrement sensible au sens du premier motif sous-tendant les décisions attaquées, ce qui justifierait l’application de l’exception tirée de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001.

67      En tout état de cause, à supposer même que d’éventuelles pressions puissent être exercées en vue d’influer sur la teneur d’avis exprimés par le service juridique du Conseil, selon la jurisprudence, ce seraient ces pressions, et non pas la possibilité de divulgation des avis juridiques, qui mettraient en cause l’intérêt de cette institution à recevoir des avis juridiques francs, objectifs et complets, et il incomberait à l’évidence au Conseil de prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 64).

68      Dès lors, la deuxième considération avancée par le Conseil au soutien de sa position selon laquelle le document demandé revêtirait un caractère particulièrement sensible doit également être invalidée.

69      En troisième lieu, aux points 41 à 43 des décisions attaquées, le Conseil a soutenu que le document demandé revêtait un caractère particulièrement sensible dans la mesure où les questions abordées étaient susceptibles de faire l’objet d’un litige devant les juridictions de l’Union.

70      À cet égard, les requérantes font en substance valoir que, à supposer même qu’un risque de contentieux puisse justifier l’application de l’exception visée par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, les décisions attaquées reposent sur une argumentation purement spéculative et aucunement étayée. En effet, celles-ci ne démontreraient pas, de manière concrète et non hypothétique, l’existence d’un risque d’atteinte à la capacité du Conseil à se défendre sur un pied d’égalité avec d’autres parties devant les juridictions de l’Union.

71      Or, selon les décisions attaquées, le risque concret d’une atteinte à la capacité du service juridique du Conseil à défendre efficacement les décisions prises par lui devant les juridictions de l’Union, sur un pied d’égalité avec les représentants légaux d’autres parties à la procédure, et ainsi à l’intérêt de celui-ci à demander des avis francs, objectifs et complets, était attesté :

–        premièrement, par le nombre élevé d’affaires qui avaient été portées devant la Cour de justice de l’Union européenne concernant la protection juridictionnelle en matière de droit de l’environnement, remettant en cause la compatibilité avec la convention d’Aarhus du système actuel des voies de recours tel que prévu par les traités de l’Union ;

–        deuxièmement, par le fait que certaines ONG environnementales, qui avaient déjà contesté le système actuel des voies de recours devant les juridictions de l’Union, avaient également exprimé des réserves à l’égard de la proposition de la Commission, en exhortant l’Union à « modifier le droit de l’Union en matière d’accès à la justice et à se conformer au droit international » pour remédier aux insuffisances qu’elles avaient prétendument recensées en ce qui concerne ladite proposition.

72      Il est vrai que, ainsi qu’il est indiqué au point 41 des décisions attaquées, de nombreux recours soulevant la question de la compatibilité du système actuel des voies de recours de l’Union avec la convention d’Aarhus ont été formés depuis l’année 2012.

73      Ainsi, à la date d’adoption des décisions attaquées, le risque de litiges dont la solution aurait dépendu de l’interprétation et de la portée de la modification du règlement Aarhus ne pouvait être considéré comme purement hypothétique et était, en effet, raisonnablement prévisible.

74      Pour autant, il résulte de la jurisprudence que la difficulté éventuelle du service juridique d’une institution ayant tout d’abord exprimé un avis négatif à propos d’un projet d’acte législatif à défendre ensuite la légalité de cet acte si cet avis était publié constitue un argument d’ordre trop général pour justifier une exception à la transparence prévue par le règlement no 1049/2001 (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 65).

75      Or, il y a lieu de constater que le Conseil n’a pas précisé de quelle manière la divulgation du document demandé était susceptible de nuire à sa capacité à se défendre à l’occasion d’un éventuel contentieux dans lequel serait en cause l’interprétation ou l’application du règlement Aarhus, et ce alors qu’il ne ressort pas de l’examen du contenu dudit document qu’il puisse être considéré comme exprimant un avis négatif à l’égard de la proposition de la Commission tendant à la modification dudit règlement.

76      Dès lors, la troisième considération avancée par le Conseil au soutien du motif des décisions attaquées tiré du caractère particulièrement sensible du document demandé ne saurait non plus être retenue, de sorte que ce motif est entaché d’une erreur d’appréciation et que, par voie de conséquence, le premier grief doit être accueilli.

–       Sur le second grief, tiré d’une erreur d’appréciation en raison de l’absence de portée particulièrement large du document demandé

77      À l’appui du motif tiré de la portée particulièrement large du document demandé, les décisions attaquées font état de deux considérations.

78      D’une part, au point 39 des décisions attaquées, le Conseil a en substance soutenu que la proposition de la Commission impliquait l’élargissement du champ d’application du mécanisme de réexamen interne prévu par le règlement Aarhus aux actes à portée générale allant à l’encontre du droit de l’environnement, contrairement au cadre prévu par le règlement Aarhus alors en vigueur, dans lequel les ONG pouvaient solliciter uniquement le réexamen interne d’actes à portée individuelle, cette restriction étant justifiée par la définition des conditions de recevabilité prévues à l’article 263, paragraphe 4, TFUE pour l’exercice des recours en annulation par des personnes morales. Ainsi, dès lors que la proposition législative en cause aurait introduit, selon le Conseil, une modification affectant l’ensemble des matières qui relevaient de la compétence de l’Union, l’analyse contenue dans le document demandé aurait emporté des implications qui seraient allées au-delà du processus législatif en cause, dans la mesure où cette analyse aurait porté sur la relation entre le mécanisme de réexamen interne et les voies de recours prévues par les traités.

79      D’autre part, au point 40 des décisions attaquées, le Conseil a soutenu que le document demandé abordait des questions susceptibles d’affecter les choix de la Commission concernant de futures propositions législatives dans le cadre du « Pacte vert pour l’Europe » alors en cours d’élaboration.

80      Les requérantes estiment au contraire que les questions abordées dans le document demandé ne vont pas au-delà de la proposition législative en cause, mais en font partie intégrante.

81      À cet égard, il y a lieu de relever que toute analyse portant sur des textes ou des notions juridiques effectuées par le service juridique d’une institution dans le cadre d’un processus législatif donné est, de par sa nature, susceptible d’être pertinente dans le cadre d’un ou de plusieurs autres processus législatifs. Ce seul fait ne saurait, néanmoins, au vu de la jurisprudence citée aux points 34 et 35 du présent arrêt, justifier le refus de divulguer un avis juridique rendu par le service juridique d’une institution dans le cadre d’un tel processus.

82      Or, en l’espèce, le Conseil se borne à se prévaloir d’une éventuelle incidence du document demandé à l’égard de futures propositions législatives de la Commission en matière environnementale, alors que la proposition de la Commission tendant à la modification du règlement Aarhus est limitée à cette seule matière.

83      Ce faisant, le Conseil n’a invoqué, dans les décisions attaquées, aucun élément susceptible d’expliquer pourquoi les questions abordées dans le document demandé présentaient une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif résultant de la proposition de la Commission.

84      Enfin, contrairement à l’argumentation du Conseil rappelée au point 78 ci-dessus, il n’apparaît pas que la proposition de la Commission, en ce qu’elle préconisait d’élargir le champ d’application du mécanisme de réexamen interne prévu par la Convention d’Aarhus, emportait des conséquences sur les conditions de recevabilité des recours en annulation des personnes morales ou physiques telles que ces conditions sont prévues par l’article 263 TFUE et qui ne sauraient être modifiées que par une révision des traités.

85      Ainsi, il ne ressort pas de l’examen du contenu du document demandé que le service juridique du Conseil aurait émis un avis négatif à l’égard de la proposition de la Commission au motif que sa mise en œuvre aurait été subordonnée à une modification de l’article 263 TFUE.

86      Dès lors, les considérations avancées par le Conseil au soutien du motif des décisions attaquées tiré de la portée particulièrement large du document demandé ne sauraient non plus être retenues, de sorte que ce motif est également entaché d’une erreur d’appréciation et qu’il convient d’accueillir le second grief ainsi que, par voie de conséquence, la deuxième branche du deuxième moyen.

 Conclusion sur le deuxième moyen

87      Au vu des considérations qui précèdent, et dès lors que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 33 ci-dessus, ce n’est qu’à titre subsidiaire, si la deuxième branche du deuxième moyen avait été rejetée, que le Tribunal aurait dû examiner la troisième branche du même moyen, il convient d’accueillir le deuxième moyen dans son ensemble sans qu’il soit besoin d’examiner la troisième branche dudit moyen.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001, relatif à la protection du processus décisionnel

88      Le premier moyen est divisé en quatre branches, tirées, en substance, la première, du fait que, à la date d’adoption des décisions attaquées, il ne subsistait plus aucun processus décisionnel auquel la divulgation du document demandé aurait pu gravement porter atteinte, la deuxième, de l’absence d’un risque de pressions extérieures faisant obstacle à la divulgation intégrale du document demandé, la troisième, du fait que le document demandé constituait une information environnementale et, la quatrième, de l’existence d’un intérêt public supérieur justifiant l’absence d’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001.

89      Le Conseil conteste les allégations des requérantes.

90      Il y a lieu pour le Tribunal d’examiner en premier lieu la première branche du présent moyen.

91      Les requérantes soutiennent que, dans la mesure où, à la date d’adoption des décisions attaquées, d’une part, le Conseil avait déjà adopté sa position sur la proposition de la Commission et que, d’autre part, l’accord provisoire avait été conclu, il n’existait plus, au moment de l’adoption des décisions attaquées, aucun processus décisionnel en cours auquel la divulgation du document demandé aurait pu porter une atteinte grave.

92      Les requérantes ajoutent qu’une telle conclusion s’impose d’autant plus que, à la date d’adoption des décisions attaquées, le comité Aarhus avait déjà conclu, dans son rapport du 26 juillet 2021, mentionné au point 18 ci-dessus, que l’accord provisoire mettait un terme à ses préoccupations concernant le respect par l’Union de la convention d’Aarhus.

93      À cet égard, il convient de rappeler, que, conformément à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001, les institutions de l’Union ont la possibilité de refuser l’accès aux documents à usage interne ou contenant des avis destinés à l’utilisation interne. Cette disposition vise ainsi à garantir que ces institutions puissent bénéficier d’un espace de réflexion afin de pouvoir décider des choix politiques à opérer et des propositions à éventuellement présenter [voir arrêt du 20 janvier 2021, Land Baden-Württemberg (Communications internes), C‑619/19, EU:C:2021:35, point 46 et jurisprudence citée].

94      En particulier, conformément à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, l’accès à un document établi par une institution pour son usage interne et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

95      Ainsi, l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 impose de refuser la divulgation à des tiers de documents faisant partie d’un processus décisionnel toujours en cours à la date à laquelle la décision sur leur demande d’accès est adoptée (voir, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2020, PTC Therapeutics International/EMA, C‑175/18 P, EU:C:2020:23, point 127).

96      Par voie de conséquence, l’exception au droit d’accès aux documents visée à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 ne peut plus être invoquée s’agissant d’une procédure close à la date à laquelle la demande d’accès a été formulée (voir, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2020, MSD Animal Health Innovation et Intervet international/EMA, C‑178/18 P, EU:C:2020:24, points 124 et 125).

97      En l’espèce, il ressort des circonstances du litige que le document demandé a été établi afin que le Conseil puisse prendre position sur la proposition de la Commission.

98      Or, ainsi qu’il ressort du dossier, à la date d’adoption des décisions attaquées, la position du Conseil sur la proposition de la Commission avait été arrêtée et un accord provisoire avait été trouvé dans le cadre des trilogues.

99      Certes, à cette date, la procédure législative relative à l’adoption de la proposition de la Commission n’avait pas encore été formellement achevée. Toutefois, le plus souvent, les accords convenus dans le cadre des trilogues sont, par la suite, adoptés par les colégislateurs sans modifications substantielles (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 72), de sorte qu’il doit être considéré que le processus décisionnel dans lequel s’inscrivait l’adoption du document demandé a été clos à la date à laquelle le Conseil a approuvé l’accord provisoire, soit le 12 juillet 2021.

100    Ainsi, eu égard aux considérations évoquées aux points 98 à 99 ci‑dessus, il y a lieu de constater qu’il n’existait, à la date d’adoption des décisions attaquées, aucun processus décisionnel, au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, auquel la divulgation du document demandé aurait été susceptible de porter une atteinte grave.

101    Il s’ensuit que les décisions attaquées, en ce qu’elles sont fondées sur l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, sont entachées d’une erreur de droit.

102    En outre, il ressort de la motivation des décisions attaquées que, lors de leur adoption, le Conseil ne s’est pas fondé sur l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001.

103    Par conséquent, il y a lieu d’accueillir la première branche du premier moyen ainsi que le présent moyen dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les deuxième, troisième et quatrième branches de ce moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, du règlement no 1049/2001, relatif à la protection des relations internationales

104    Le troisième moyen se divise en deux branches, tirées, en substance, la première, de l’absence de risque d’atteinte aux relations internationales, et, la seconde, de l’inapplicabilité de l’exception tirée de la protection des relations internationales, compte tenu de la nature purement juridique du document demandé.

105    Le Conseil conteste les allégations des requérantes.

106    Dans le cadre de la première branche, les requérantes avancent, en substance, que, dans les décisions attaquées, le Conseil n’établit pas à suffisance de droit que la divulgation du document demandé aurait porté atteinte aux relations internationales conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, du règlement no 1049/2001.

107    Le Conseil conteste les arguments avancés par les requérantes en faisant valoir, en substance, que la divulgation intégrale du document demandé, qui comportait une analyse de toutes les options juridiques envisageables quant à la modification du règlement Aarhus, aurait compromis la position de l’Union vis-à-vis des autres parties à la convention d’Aarhus.

108    À cet égard il résulte de la jurisprudence que la seule circonstance qu’un document concerne un intérêt protégé par une exception au droit d’accès prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001 ne saurait suffire à justifier l’application de cette dernière, l’institution concernée devant fournir des explications quant à la question de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à un tel intérêt, et ce indépendamment du fait qu’une telle institution jouit d’une large marge d’appréciation dans le cadre de l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, du règlement no 1049/2001 (arrêt du 3 juillet 2014, Conseil/in’t Veld, C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, points 51, 52, 63 et 64).

109    Dès lors, saisi d’un recours contre une décision du Conseil refusant l’accès à un document sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, du règlement no 1049/2001, au soutien duquel une partie requérante fait valoir que le Conseil n’a pas démontré que la divulgation de ce document aurait porté atteinte à l’intérêt public protégé par l’exception prévue à cette disposition, le Tribunal doit vérifier, dans la limite des moyens invoqués devant lui, si cette institution a effectivement fourni dans sa décision les explications requises et établi l’existence d’un risque raisonnablement prévisible et non purement hypothétique d’une telle atteinte (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2020, ClientEarth/Commission, C‑612/18 P, non publié, EU:C:2020:223, point 33).

110    À cet égard, les points 54 à 59 des décisions attaquées indiquent, comme motif pour justifier l’application de l’exception relative à la protection des relations internationales au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1049/2001, que la divulgation intégrale du document demandé reviendrait à révéler des considérations relatives à la « faisabilité juridique des solutions que l’Union pourrait mettre en œuvre pour remédier au prétendu non-respect de la convention d’Aarhus ». Les décisions attaquées soulignent que le risque d’une atteinte à l’intérêt public en ce qui concerne les relations internationales était raisonnablement prévisible et non purement hypothétique, dans la mesure où la question de la conformité du règlement Aarhus à la convention d’Aarhus devait être examinée lors d’une prochaine réunion des parties concernées dans le courant de l’année 2021.

111    Ainsi, l’argumentation du Conseil consiste à invoquer un risque tiré de la divulgation du document demandé dans la mesure où l’avis juridique qu’il contient pourrait être utilisé par d’autres parties à la convention d’Aarhus lors des discussions au sein de la réunion des parties relatives à la question de la conformité du règlement Aarhus à ladite convention, ce qui pourrait affaiblir la position que l’Union entendrait soutenir dans ce cadre institutionnel.

112    Or, en premier lieu, l’existence d’un simple lien entre les éléments contenus dans un document qui fait l’objet d’une demande d’accès et des objectifs poursuivis par l’Union dans le cadre d’une négociation ou de la mise en œuvre d’un accord international ne saurait suffire à établir que la divulgation de ces éléments porterait atteinte à l’intérêt public protégé en matière de relations internationales (voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2020, ClientEarth/Commission, C‑612/18 P, non publié, EU:C:2020:223, point 31, et du 25 novembre 2020, Bronckers/Commission, T‑166/19, EU:T:2020:557, point 70).

113    En particulier, s’agissant des avis juridiques relatifs à une procédure législative, il y a lieu de relever que l’adoption d’un acte de droit dérivé de l’Union implique nécessairement des analyses juridiques de la part de chaque institution participant à la procédure législative.

114    Ainsi, le risque de divergences d’appréciation ou d’interprétation juridiques est inhérent à toute procédure législative et de telles divergences sont donc susceptibles d’être expliquées à des États tiers ou à des organisations internationales dans le cadre d’une instance internationale telle que la réunion des parties à la convention d’Aarhus, sans nécessairement affaiblir la position de l’Union telle qu’elle résulte de la version finale de l’acte définitivement adopté.

115    En second lieu, en l’espèce, ainsi qu’il est indiqué au point 18 ci-dessus, le comité Aarhus a, le 26 juillet 2021, adopté un rapport recommandant aux parties concernées d’approuver la modification du règlement Aarhus telle que proposée par la Commission et entérinée dans l’accord provisoire.

116    En outre, il découle du point 75 ci-dessus qu’il ne ressort pas de l’examen du contenu du document demandé qu’il puisse être considéré comme exprimant un avis négatif à l’égard de la proposition de la Commission tendant à la modification dudit règlement.

117    Ainsi, à supposer même que l’analyse juridique contenue dans le document demandé soit susceptible de présenter des divergences d’appréciation ou d’interprétation par rapport à la proposition de la Commission qui a abouti à l’accord provisoire, il ne saurait être considéré, dans les circonstances particulières de l’espèce, que sa divulgation puisse affaiblir la position internationale de l’Union dans le cadre de ses relations avec les autres parties à la convention d’Aarhus, dès lors que lesdites divergences ne permettent pas de regarder cet avis comme un avis négatif ou critique d’une proposition législative qui a été finalement approuvée par le comité Aarhus.

118    Par conséquent, le Conseil est resté en défaut d’apporter des explications suffisantes quant au caractère concret, effectif, raisonnablement prévisible et non purement hypothétique du risque qu’il a invoqué en ce qui concerne les relations internationales de l’Union et les autres parties à la convention d’Aarhus.

119    Dans ces conditions, les requérantes sont fondées à soutenir que le Conseil a entaché les décisions attaquées d’une erreur manifeste d’appréciation en se fondant sur l’article 4, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, du règlement no 1049/2001 et il y a lieu d’accueillir la première branche du troisième moyen ainsi que le troisième moyen dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’en examiner la seconde branche.

120    Par voie de conséquence des points 87, 103 et 119 ci-dessus, il y a lieu d’annuler les décisions attaquées sans qu’il soit besoin d’examiner le quatrième moyen, lequel revêt un caractère subsidiaire.

 Sur les dépens

121    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

122    En l’espèce, le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les décisions contenues dans les lettres portant les références SGS 21/2869 et SGS 21/2870 du Conseil de l’Union européenne, du 9 août 2021, refusant partiellement l’accès au document 8721/21 à ClientEarth AISBL et à Mme Päivi LeinoSandberg sont annulées.

2)      Le Conseil est condamné aux dépens.

Truchot

Frendo

Perišin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 mars 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.