Language of document : ECLI:EU:C:2021:476

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 10 juin 2021 (1)

Affaires jointes C177/19 P, C178/19 P et C179/19 P

République fédérale d’Allemagne

contre

Ville de Paris,

Ville de Bruxelles,

Ayuntamiento de Madrid,

Commission européenne (C177/19 P)

et

Hongrie

contre

Ville de Paris,

Ville de Bruxelles,

Ayuntamiento de Madrid,

Commission européenne (C178/19 P)

et

Commission européenne

contre

Ville de Paris,

Ville de Bruxelles,

Ayuntamiento de Madrid (C179/19 P)


« Pourvoi – Environnement – Règlement (UE) 2016/646 – Émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 6) – Pouvoirs, en matière de protection de l’environnement, d’une autorité communale de limiter la circulation de certains véhicules – Qualité pour agir d’entités locales – Qualité de personne directement concernée – Acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution – Compétences d’exécution de la Commission – Fixation de valeurs à ne pas dépasser (NTE) pour les émissions d’oxydes d’azote lors des essais en conditions de conduite réelles (RDE) – Application de facteurs de conformité CF pollutant – Annulation partielle – Modulation dans le temps des effets d’une annulation »






I.      Introduction

1.        En réponse au scandale que l’on connaît concernant le niveau réel des émissions de certains véhicules à moteur diesel, la Commission européenne a mis en place au cours de l’année 2016 une procédure d’essai des émissions en conditions de conduite réelles (RDE), en complément à la procédure sur banc d’essai utilisée jusque-là, le nouveau cycle européen de conduite (NEDC). Celui‑ci était alors l’unique procédure d’essai utilisée pour la « réception par type » des véhicules particuliers et utilitaires légers. La Commission a en outre également fixé des valeurs limites en ce qui concerne la quantité d’oxydes d’azote (NOx) émis qu’il ne fallait pas dépasser au cours de ces essais RDE.

2.        Par son arrêt du 13 décembre 2018, faisant partiellement droit aux recours introduits par la Ville de Paris, la Ville de Bruxelles et l’Ayuntamiento de Madrid (ci‑après, ensemble, les « défenderesses »), le Tribunal de l’Union européenne a partiellement annulé le règlement de la Commission fixant certaines valeurs limites pour les essais RDE en ce qui concerne les émissions d’oxydes d’azote (2). Le Tribunal a en substance jugé que, en fixant ces valeurs limites à un niveau trop élevé, la Commission avait de facto modifié la norme Euro 6 mise en place par le législateur de l’Union, ce pour quoi elle n’avait pas compétence (3).

3.        Les pourvois introduits par la République fédérale d’Allemagne, la Hongrie et la Commission (ci‑après, ensemble, les « requérantes ») tendent à l’annulation de l’arrêt du Tribunal. Ils soulèvent toute une série de questions, dont deux sont peut-être plus importantes que les autres. La première est d’ordre procédural. Elle concerne la notion de « personne directement concernée » appliquée à une entité régionale d’un État membre qui souhaite contester un acte de l’Union européenne. La deuxième porte sur le fond. Quelle est l’étendue de la marge de manœuvre dont dispose la Commission lorsqu’elle a le pouvoir de modifier les éléments non essentiels d’un acte de base en adoptant des actes d’exécution ?

II.    Le contexte juridique et factuel

4.        Avant de pouvoir commercialiser un nouveau modèle de véhicule dans l’Union, le constructeur doit le soumettre à la procédure de réception par type. Cette procédure vise à certifier qu’un prototype du véhicule répond aux exigences de sécurité, environnementales et de production (imposées par la législation de base et les actes réglementaires applicables) (4).

5.        En ce qui concerne la présente affaire, le texte législatif de base en vigueur à l’époque en cause était la directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007, établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, de leurs remorques et des systèmes, des composants et des entités techniques destinés à ces véhicules (directive‑cadre) (5).

6.        L’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46 disposait :

« Les États membres n’immatriculent ou n’autorisent la vente ou la mise en service que pour des véhicules, des composants et des entités techniques conformes aux exigences de la présente directive.

Ils ne peuvent interdire, restreindre ou entraver l’immatriculation, la vente, la mise en service ou la circulation sur route de véhicules, de composants ou d’entités techniques, pour des motifs liés à des aspects de leur construction et de leur fonctionnement couverts par la présente directive, s’ils répondent aux exigences de celle‑ci. »

7.        L’annexe IV de la directive 2007/46, intitulée « Exigences aux fins d’une réception CE par type de véhicules », comprenait notamment une liste des actes réglementaires applicables.

8.        En ce qui concerne les émissions polluantes des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6), l’acte réglementaire pertinent était le règlement (CE) no 715/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2007, relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules (6). Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, ledit règlement « établit des exigences techniques communes concernant la réception des véhicules à moteur [...] et de leurs pièces de rechange, comme les dispositifs de rechange de maîtrise de la pollution, au regard de leurs émissions ».

9.        L’article 5, paragraphe 3, du règlement no 715/2007 énonce que les procédures, essais et exigences spécifiques ayant pour objet de modifier des éléments non essentiels dudit règlement en le complétant, doivent être mis en place conformément à la procédure de réglementation avec contrôle (7).

10.      L’article 10 du règlement no 715/2007 précise, entre autres, que, en ce qui concerne les véhicules particuliers et de transport de personnes, les valeurs limites de la norme Euro 5 sont d’application à compter du 1er septembre 2009 aux fins de la réception par type et que les véhicules neufs non conformes à cette norme ne peuvent plus être immatriculés, vendus ou mis en service à compter du 1er janvier 2011. Il indique par ailleurs que les valeurs limites de la norme Euro 6 sont d’application aux fins de la réception par type à compter du 1er septembre 2014 et que les véhicules neufs non conformes à cette norme ne peuvent plus être immatriculés, vendus ou mis en service à compter du 1er septembre 2015. Les tableaux 1 et 2 figurant à l’annexe I du règlement no 715/2007 fixent, en ce qui concerne les véhicules particuliers et de transport de personnes à moteur diesel, la valeur limite des émissions d’oxydes d’azote à 180 mg/km pour la norme 5 et à 80 mg/km pour la norme 6.

11.      L’article 14, paragraphe 3, du règlement no 715/2007 impose à la Commission de vérifier les procédures, essais et conditions indiqués à l’article 5, paragraphe 3, dudit règlement ainsi que les cycles d’essai utilisés pour mesurer les émissions. Si la vérification montre que ceux‑ci ne sont plus adéquats ou ne reflètent plus la réalité des émissions au niveau mondial, ils doivent en vertu de cette disposition être adaptés de manière à refléter correctement les émissions générées par la réalité de la conduite routière. Les mesures nécessaires, qui visent à modifier des éléments non essentiels du présent règlement, en le complétant, doivent être adoptées conformément à la procédure de réglementation avec contrôle.

12.      Le règlement (CE) no 692/2008 de la Commission, du 18 juillet 2008, a été adopté en vue de mettre en œuvre les articles 4 et 5 du règlement no 715/2007 (8). Le considérant 2 du règlement no 692/2008 rappelle que les nouveaux véhicules légers doivent respecter de nouvelles valeurs limites d’émissions et que ces exigences techniques prennent effet en deux étapes, Euro 5 à partir du 1er septembre 2009 et Euro 6 à partir du 1er septembre 2014. Ledit règlement établit en conséquence les exigences requises pour la réception des véhicules conformes aux normes Euro 5 et Euro 6.

13.      L’article 3, paragraphe 1, du règlement no 692/2008 dispose que la réception CE est accordée en ce qui concerne, entre autres, les émissions polluantes si le constructeur démontre que les véhicules concernés satisfont aux procédures d’essai spécifiées dans diverses annexes de ce règlement. L’article 3, paragraphe 2, dudit règlement précise en substance que, que selon leurs caractéristiques, les véhicules sont soumis à différents types d’essais énumérés à la figure I.2.4 de l’annexe I, eux‑mêmes décrits dans diverses annexes. L’article 3, paragraphe 5, de ce même règlement énonce que « [l]e constructeur doit prendre les mesures techniques nécessaires pour que, conformément aux dispositions du présent règlement, les émissions de gaz à l’échappement et les émissions par évaporation soient effectivement limitées pendant la durée de vie normale et dans les conditions normales d’utilisation des véhicules ».

14.      Au cours du mois de septembre 2015, le scandale dit du « Dieselgate » a éclaté, lorsque la United States Environmental Protection Agency (Agence de protection de l’environnement, États‑Unis) a formellement reproché à Volkswagen AG d’avoir enfreint les normes américaines d’émissions. Le constructeur automobile a par la suite admis avoir installé un « dispositif d’invalidation » sur un grand nombre de véhicules à moteur diesel dans le monde (9). Ce dispositif était en mesure de détecter lorsqu’un véhicule était soumis à un essai en laboratoire et d’activer son système de contrôle des émissions pour que les normes d’émission d’oxydes d’azote soient respectées (10). Cependant, une fois le véhicule sorti du laboratoire, le dispositif désactivait le système de contrôle des émissions, ce qui signifiait que le véhicule produisait des émissions bien supérieures au plafond fixé par les autorités américaines. Il s’est avéré par la suite que d’autres véhicules, du même constructeur et de plusieurs autres, n’étaient pas non plus conformes, en ce qui concerne la valeur limite des émissions d’oxydes d’azote, aux normes mises en place par la législation de l’Union (11).

15.      Au niveau de l’Union, plusieurs actes législatifs ont été adoptés en réponse à cette situation, parmi lesquels le règlement (UE) 2016/427 de la Commission, du 10 mars 2016, portant modification du règlement (CE) no 692/2008 en ce qui concerne les émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 6) (12). Ce règlement a introduit la procédure d’essai RDE. Cette nouvelle procédure d’essai vise à mieux refléter le niveau réel des émissions polluantes en conditions de conduite réelles que ne le faisait la procédure d’essai précédemment utilisée, le NEDC. Ce dernier évaluait les gaz d’échappement émis par des véhicules au cours de la procédure de réception par type, uniquement en conditions normalisées de laboratoire.

16.      Peu de temps après, la Commission a adopté le règlement 2016/646 – le règlement contesté – qui est l’un des actes réglementaires relevant de la procédure de réception par type prévue par la directive 2007/46. Le règlement contesté complète les prescriptions pour les essais RDE, fixant, pour les émissions d’oxydes d’azote, des valeurs à ne pas dépasser (NTE). Ces valeurs résultent de facteurs de conformité CF pollutant (ci‑après les « facteurs de conformité ») appliqués aux limites d’émissions polluantes fixées pour la norme Euro 6 dans le règlement no 715/2007 (13).

17.      Le règlement contesté apporte toute une série de modifications au règlement no 692/2008. L’article 1er, paragraphe 2, du règlement contesté remplace notamment l’article 3, paragraphe 10, troisième alinéa, du règlement no 692/2008 par le texte suivant : « Jusqu’à trois ans après les dates spécifiées à l’article 10, paragraphe 4, et quatre ans après les dates spécifiées à l’article 10, paragraphe 5, du règlement [no 715/2007], les dispositions suivantes s’appliquent : ».

18.      En outre, l’article 1er, paragraphe 6, ainsi que l’annexe II du règlement contesté modifient l’annexe IIIA du règlement no 692/2008, notamment en y insérant des points 2.1.1 à 2.1.3. Le point 2.1.1 prévoit un facteur de conformité final pour la masse de NOx qui est de « 1 + margin », cette marge étant égale à 0,5. « Margin » est défini comme « un paramètre tenant compte des incertitudes de mesure supplémentaires introduites par l’équipement [des systèmes portables de mesure des émissions (PEMS)], qui sont soumises à un réexamen annuel et seront révisées en fonction de l’amélioration de la qualité de la procédure PEMS ou du progrès technique ». Aux termes du point 2.1.2, par dérogation aux dispositions du point 2.1.1, pendant une période de 5 ans et 4 mois après les dates spécifiées à l’article 10, paragraphes 4 et 5, du règlement no 715/2007 et sur demande du constructeur, un facteur de conformité temporaire de 2,1 peut être appliqué en ce qui concerne la masse de NOx.

III. L’arrêt attaqué

19.      Les recours introduits par les défenderesses devant le Tribunal sur le fondement de l’article 263 TFUE visaient à obtenir l’annulation du règlement contesté. La Ville de Paris demandait par ailleurs que la Commission soit condamnée à verser des dommages et intérêts du montant symbolique d’un euro en réparation du préjudice subi par la Ville de Paris en conséquence de l’adoption dudit règlement.

20.      Le 13 décembre 2018, le Tribunal a rendu l’arrêt attaqué qui a fait partiellement droit aux recours dont il était saisi.

21.      Le Tribunal a jugé que le règlement contesté constituait un acte réglementaire qui concernait les défenderesses directement et ne comportait pas de mesures d’exécution, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

22.      Sur le fond, le Tribunal a décidé d’examiner d’abord les moyens tirés de l’incompétence de la Commission pour adopter le règlement contesté. Le Tribunal a jugé à cet égard que la limite d’émissions d’oxydes d’azote pour les véhicules relevant de la norme Euro 6 qui figurait à l’annexe I du règlement no 715/2007 constituait un élément essentiel de ce règlement. Par conséquent, la Commission ne pouvait modifier cette limite par un acte adopté suivant la procédure de comitologie de réglementation avec contrôle. Le Tribunal a considéré que, en fixant dans le règlement contesté les valeurs NTE d’émissions d’oxydes d’azote à respecter au cours des essais RDE ainsi que des facteurs de conformité, la Commission avait de fait modifié la limite de ces émissions pour la norme Euro 6.

23.      Le Tribunal a conclu que, en adoptant le règlement contesté, la Commission avait méconnu les limites des pouvoirs que lui conférait l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 715/2007 et avait, par voie de conséquence, violé l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement. Pour des raisons de bonne administration de la justice, le Tribunal n’a pas examiné les autres moyens et arguments avancés par les défenderesses.

24.      Dès lors, le Tribunal a annulé le point 2 de l’annexe II du règlement contesté, compte tenu du fait que les arguments invoqués par les défenderesses visaient uniquement cette disposition, considérée comme étant détachable du reste de l’acte. Afin de pas porter atteinte à la fois aux intérêts économiques légitimes du secteur automobile et à ceux des consommateurs qui s’étaient fiés à la réglementation en vigueur, et afin d’éviter un vide juridique, le Tribunal a appliqué l’article 264 TFUE. Il a ainsi décidé de maintenir les effets de la disposition annulée pour le passé, tout comme pour l’avenir, pendant la durée nécessaire pour modifier la réglementation en la matière, cette durée ne pouvant cependant dépasser douze mois.

25.      Le Tribunal a enfin rejeté la demande en indemnisation formée par la Ville de Paris, au motif que celle‑ci n’avait pas apporté la preuve d’un préjudice.

IV.    La procédure devant la Cour

26.      Dans le cadre du pourvoi introduit par elle le 22 février 2019, la République fédérale d’Allemagne conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        annuler l’arrêt attaqué, rejeter les recours et condamner les défenderesses aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, réformer le point 3 du dispositif de l’arrêt attaqué de sorte à maintenir les effets des dispositions annulées pour une période maximale excédant douze mois.

27.      Dans le cadre du pourvoi introduit par elle le 22 février 2019, la Hongrie conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        annuler l’arrêt attaqué, rejeter les recours et condamner les défenderesses aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, annuler le dispositif de l’arrêt attaqué en ce qu’il maintient les effets des dispositions annulées pour une période qui ne saurait excéder douze mois et maintenir ces dispositions en vigueur jusqu’à l’adoption de la nouvelle réglementation remplaçant ces dispositions.

28.      Dans le cadre du pourvoi introduit par elle le 23 février 2019, la Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        annuler l’arrêt attaqué, rejeter les recours et condamner les défenderesses aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’arrêt attaqué, renvoyer l’affaire devant le Tribunal et réserver les dépens.

29.      Les défenderesses, quant à elles, concluent au rejet des pourvois et à la condamnation des requérantes aux dépens. À titre subsidiaire, elles concluent à ce qu’il plaise à la Cour de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour examen des moyens invoqués à l’appui des demandes d’annulation qui n’avaient pas été examinés dans le cadre de la première procédure.

30.      Dans l’affaire C‑177/19 P, la Roumanie, la République slovaque et l’Association des Constructeurs Européens d’Automobiles (ACEA) ont été autorisées à intervenir au soutien des conclusions de la République fédérale d’Allemagne. Dans l’affaire C‑178/19 P, l’ACEA a été autorisée à intervenir au soutien des conclusions de la Hongrie. Dans l’affaire C‑179/19 P, l’ACEA a été autorisée à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

31.      Les parties et les intervenantes à la procédure ont répondu aux questions écrites que la Cour leur a posées.

32.      Par décision du président de la cinquième chambre du 28 janvier 2021, les trois affaires ont été jointes aux fins des conclusions et de l’arrêt.

V.      Appréciation

33.      Les présentes conclusions examineront chacun des moyens invoqués à l’appui de leurs pourvois par les trois requérantes, comme suit :

34.      J’examinerai tout d’abord les moyens et arguments relatifs à la qualité pour agir des défenderesses (A) : à savoir si elles sont directement concernées par le règlement contesté (deuxième branche du premier moyen avancé par la Hongrie et premier et deuxième moyens avancés par la République fédérale d’Allemagne) (1) et si le règlement contesté requiert que des mesures d’exécution soient prises à l’égard des défenderesses (première branche du premier moyen avancé par la Hongrie) (2).

35.      Je me pencherai ensuite sur les moyens relatifs à l’appréciation portée par le Tribunal sur le fond (B), en examinant ensemble l’unique moyen avancé par la Commission et le troisième moyen avancé par la République fédérale d’Allemagne, qui portent tous deux sur l’incompétence alléguée de la Commission. Je terminerai par une appréciation des moyens qui critiquent les conséquences tirées par le Tribunal de ses constatations de fond (C) : la portée de l’annulation (quatrième moyen avancé par la République fédérale d’Allemagne) (1) et les effets de l’annulation dans le temps (cinquième moyen avancé par la République fédérale d’Allemagne et deuxième moyen avancé par la Hongrie) (2).

A.      La recevabilité des recours : la qualité pour agir des défenderesses

1.      Le point de savoir si les défenderesses sont directement concernées

a)      L’argumentation des parties

36.      La deuxième branche du premier moyen avancé par la Hongrie concerne une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en constatant que le règlement contesté concernait les défenderesses directement. La Hongrie soutient que seuls sont directement concernés par le règlement contesté les constructeurs automobiles et les autorités nationales chargées de contrôler le respect des dispositions dudit règlement. Selon la Hongrie, le Tribunal a notamment fait une interprétation erronée de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46, dans la mesure où cette disposition ni ne concerne ni n’affecte l’exercice, par les autorités nationales, de leurs pouvoirs en matière de réglementation de la circulation ou de protection de l’environnement. La Hongrie considère que la portée de cette disposition est plus limitée et qu’elle vise à assurer que les véhicules neufs soient conformes aux spécifications techniques imposées par la directive.

37.      Des arguments similaires sont développés à l’appui du premier moyen avancé par la République fédérale d’Allemagne. Toute restriction à laquelle les défenderesses sont susceptibles de se trouver confrontées dans l’exercice de leurs pouvoirs de réglementation en matière de contrôle de la circulation découle d’autres instruments et dispositions du droit de l’Union, non du règlement contesté. Selon la République fédérale d’Allemagne, la conformité de la création, par les autorités locales, de zones à circulation réduite au droit de l’Union doit ainsi être appréciée au regard de la directive 2008/50/CE concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe (14). La portée et les effets du règlement contesté se limitent à l’établissement de normes pour la réception par type des véhicules à moteur.

38.      Le deuxième moyen avancé par la République fédérale d’Allemagne concerne également l’appréciation portée par le Tribunal sur le point de savoir si les défenderesses étaient directement concernées par le règlement contesté. Dans le cadre de ce moyen, la République fédérale d’Allemagne reproche toutefois au Tribunal de ne pas avoir dûment motivé sa décision sur ce point. Le gouvernement allemand – soutenu à cet égard par le gouvernement slovaque et l’ACEA – fait en substance grief au Tribunal d’avoir effectué son analyse des effets que le règlement contesté était susceptible d’avoir sur les défenderesses en se basant sur les dispositions de la directive 2007/46 et non sur celles dudit règlement.

b)      Analyse

39.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, « la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert que deux critères soient cumulativement réunis, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle‑ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires » (15).

40.      C’est à l’aune de cette jurisprudence que j’examinerai les arguments avancés par les requérantes. Je considère que la motivation de l’arrêt attaqué concernant la qualité de personnes directement concernées, au sens de l’article 263 TFUE, des défenderesses est suffisamment claire pour être parfaitement compréhensible (1), mais effectivement entachée d’une erreur quant à l’interprétation de la portée de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46 (2). Cela dit, il y a d’autres raisons pour lesquelles les défenderesses sont directement concernées au sens de l’article 263 TFUE (3).

1)      La motivation suffisante

41.      Aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, « la motivation d’un arrêt doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel » (16).

42.      Selon moi, le raisonnement suivi par le Tribunal pour parvenir à la conclusion que le règlement contesté concerne les défenderesses directement est clairement expliqué. L’allégation de la République fédérale d’Allemagne selon laquelle l’arrêt attaqué n’est pas dûment motivé doit par conséquent être rejetée.

43.      Le Tribunal a consacré une partie importante de l’arrêt attaqué (ses points 41 à 84) à l’appréciation du point de savoir si le règlement contesté avait une incidence directe sur la situation des défenderesses. Il est vrai que le raisonnement suivi par le Tribunal dans ces passages est le plus souvent focalisé sur la signification et les conséquences de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46. Il est cependant également vrai que les effets dont il est allégué qu’ils découlent du règlement contesté sont la conséquence de l’interaction de ce dernier avec cette disposition de la directive 2007/46. Le Tribunal a jugé en substance que, comme les défenderesses l’avaient soutenu, le règlement contesté relevait de facto la valeur limite des émissions d’oxydes d’azote pour les véhicules relevant de la norme Euro 6, alors que l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46 interdisait aux États membres de restreindre la « circulation » des véhicules conformes à ladite norme pour des motifs de protection de l’environnement.

44.      La motivation est donc satisfaisante : le Tribunal a dûment expliqué en quoi, d’après lui, le règlement contesté modifiait la situation juridique des défenderesses et en quoi il avait cet effet sans que l’adoption d’un quelconque autre acte n’y fût nécessaire.

45.      Cela dit, la véritable question est de savoir si ce raisonnement est solide. Autrement dit, la question centrale est celle de son caractère bien fondé : le Tribunal a-t-il interprété et appliqué l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46 correctement ?

46.      À cet égard, je ne peux adhérer au raisonnement suivi par le Tribunal.

2)      L’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46 restreint-il le pouvoir des villes à limiter la circulation des véhicules (relevant de la norme Euro 6) ?

47.      En substance, en ce qui concerne la qualité de personnes directement concernées des défenderesses, le Tribunal a fondé sa conclusion sur un seul élément : l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46. Selon le Tribunal, cette disposition empêche les États membres d’interdire (ou limiter) la circulation de véhicules conformes à la norme Euro 6 pour des motifs de protection de l’environnement.

48.      Je ne peux souscrire à cette interprétation de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46. Selon moi, cette disposition régit uniquement les normes techniques de produits à établir aux fins de la réception par type lors de mise sur le marché initiale du véhicule. Elle n’est pas destinée, ni propre, à interdire aux États membres ou à leurs entités locales, telles que les défenderesses, d’introduire des mesures régissant l’utilisation ultérieure des véhicules et leur circulation sur leurs territoires respectifs, notamment pour des motifs de protection de l’environnement.

49.      Certes, la lecture faite par le Tribunal de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46 semble – à première vue – se fonder sur le libellé de cette disposition. En effet, le second alinéa dudit paragraphe énonce que les États membres ne peuvent interdire, entre autres, « la circulation sur route de véhicules » s’ils répondent aux exigences de la directive (17). Partant, si un véhicule est conforme à la norme Euro 6, sa circulation ne saurait être interdite par les États membres ou par une partie d’un État membre, telle qu’une région ou une ville. Si une partie d’un État membre interdisait à des véhicules conformes à la norme Euro 6 d’entrer dans certaines zones de cet État, telles que ses plus grandes villes ou des zones sur le territoire de ces villes, cela pourrait techniquement revenir à une restriction ou une entrave à la « circulation sur route » dans cet État membre.

50.      Si, toutefois, on lit cette disposition dans son intégralité, en la replaçant dans le contexte de la directive, à la lumière de l’objectif poursuivi par le législateur et en tenant compte de son origine, sa signification s’avère être différente et sa portée plus limitée que ne le déclare le Tribunal.

51.      En premier lieu, la portée limitée de la disposition apparaît pleinement si l’on lit la mention de la circulation des véhicules à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 2007/46 non pas isolément, mais en conjonction avec le reste de la disposition. Lu dans son intégralité, cet alinéa dispose que les États membres « ne peuvent interdire, restreindre ou entraver l’immatriculation, la vente, la mise en service ou la circulation sur route de véhicules, de composants ou d’entités techniques, pour des motifs liés à des aspects de leur construction et de leur fonctionnement couverts par la présente directive, s’ils répondent aux exigences de celle‑ci » (18). Les seuls motifs susceptibles de faire à cet égard obstacle à l’action des États membres sont donc ceux liés à des aspects de la construction et du fonctionnement des véhicules (non des considérations avant tout de protection de l’environnement ou de santé), aux fins de leur mise sur le marché initiale – leur immatriculation, leur vente, leur mise en service ou leur circulation (et non leur utilisation ultérieure, ni la réglementation de celle‑ci).

52.      En deuxième lieu, il existe un rapport structurel entre les deux alinéas de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46. Bien que seul le second alinéa mentionne la « circulation », il existe un parallèle clair entre les deux. En effet, leur libellé est complémentaire : le premier alinéa énonce une obligation positive (les États membres « n’immatriculent que »), tandis que le second alinéa énonce une obligation négative (les États membres « ne peuvent interdire ») (19). Les deux obligations ont toutefois le même objet, à savoir d’assurer que les États membres donnent plein effet à la procédure de réception par type des véhicules à l’échelle de l’Union. Ces deux alinéas peuvent ainsi être comparés à une photographie et son négatif : elles montrent le même sujet, mais les couleurs sont inversées. Ce serait donc étrange si, dans ces conditions, la portée du second alinéa était soudainement considérablement plus large que celle du premier – ce qui serait la conséquence de l’interprétation faite par le Tribunal de la disposition en cause.

53.      En troisième lieu, la position du Tribunal ne semble pas s’appuyer sur une analyse du contexte dans lequel cette disposition s’inscrit ou sur une analyse téléologique. En effet, l’objectif et le champ d’application matériel de la directive sont assez spécifiques. Ainsi qu’il ressort de ses considérants 1, 2 et 22, la directive 2007/46 vise à favoriser le développement du marché intérieur en mettant en place une procédure de réception communautaire en ce qui concerne la réception par type des véhicules à moteur et de leurs remorques reposant sur le principe de l’harmonisation totale. À cette fin, elle établit – aux termes de son article 1er – un cadre harmonisé contenant les dispositions administratives et les exigences techniques à caractère général applicables à la réception de tous les véhicules neufs relevant de son champ d’application ainsi que des systèmes, des composants et des entités techniques destinés à ces véhicules, en vue de faciliter leur immatriculation, leur vente et leur mise en service dans (désormais) l’Union.

54.      Même si les exigences techniques imposées par le législateur européen visent, entre autres, à garantir un niveau élevé de protection de l’environnement (20), il est assez évident que cet acte n’est pas destiné à réglementer des questions autres que celles visées à son article 1er.

55.      Le Tribunal l’a admis, en déclarant que « l’objet substantiel de cette directive est la mise sur le marché de véhicules à moteur neufs, c’est‑à‑dire la libre circulation de certains produits entre les États membres, [la directive] ne vise pas d’une manière générale à encadrer les réglementations de circulation sur route visant ces véhicules établies par les autorités publiques émanant des États membres et [...] elle ne relève pas de la politique des transports ou de celle de l’environnement de l’Union » (21).

56.      Le Tribunal ajoute toutefois ensuite, au point suivant de son arrêt, que cela « ne signifie pas que toute disposition relative à la circulation sur route des véhicules à moteur neufs n’aurait pas sa place dans la directive 2007/46. Il est fréquent qu’une directive, ou une autre directive découlant de cette première directive, comporte des dispositions qui ne relèvent pas de l’objet principal visé, mais qui visent à assurer l’effet utile des dispositions arrêtées en vue d’atteindre cet objet ». Après avoir illustré cette déclaration à l’aide de l’exemple (peut-être pas tout à fait pertinent) des directives régissant la passation des marchés publics, le Tribunal déclare qu’il doit donner la priorité à « [l’interprétation] qui est de nature à sauvegarder [l’]effet utile » de la disposition en cause et constate que « [l]a mention de la circulation sur route n’aurait pas d’effet utile si, comme le soutient la Commission, elle avait la même portée ou signification que “l’immatriculation, la vente et la mise en service” des véhicules » (22).

57.      Je suis d’accord sur le fait que la directive pourrait en principe inclure des dispositions qui visent à en garantir l’effet utile et réglementer à cette fin des questions qui ne relèvent pas de son objet principal. Je suis également d’accord sur le fait que l’interprétation de la disposition du droit de l’Union concernée qu’il y a lieu de retenir ne devrait pas, dans la mesure du possible, priver cette disposition partiellement d’effet ou la rendre partiellement redondante.

58.      Il est toutefois difficile de saisir la logique de l’application faite par le Tribunal en l’occurrence de ces principes. Si l’on donne aux termes « ou la circulation » contenus à l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46 la signification que leur attribue le Tribunal, la portée et les effets de la directive seraient ipso facto significativement élargis, bien au-delà de l’objet et des objectifs énoncés dans son titre, dans ses considérants ainsi que dans ses dispositions. Soudainement, un seul mot d’une seule disposition transformerait la directive 2007/46 en un acte très différent, régissant, dans une certaine mesure, l’utilisation ultérieure des véhicules et concernant, bien qu’indirectement, la réglementation de la circulation.

59.      En outre, si c’était bien cette lecture qu’il convenait de faire de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46, cette disposition aurait un impact assez considérable sur la politique de l’environnement, en particulier en ce qui concerne les possibilités des États membres de combattre la pollution. Ainsi que les requérantes l’ont souligné, il existe un acte spécifique du droit de l’Union consacré à cette question : la directive 2008/50 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe (23). L’article 13 de celle‑ci dispose que les États membres doivent veiller à ce que, dans l’ensemble de leurs zones et agglomérations, les valeurs limites de certains polluants ne soient pas dépassées, entre autres en ce qui concerne le dioxyde d’azote. L’article 23 de la directive 2008/50 énonce que, « [l]orsque, dans une zone ou agglomération donnée, les niveaux de polluants dans l’air ambiant dépassent toute valeur limite ou toute valeur cible, [...] les États membres veillent à ce que des plans relatifs à la qualité de l’air soient établis pour cette zone ou agglomération afin d’atteindre la valeur limite ou la valeur cible correspondante ». Ce même article précise que ces plans peuvent eux‑mêmes contenir des plans d’action à court terme. L’article 24, paragraphe 2, de la directive 2008/50 indique à cet égard que les plans d’action à court terme peuvent, entre autres, « comprendre des mesures ayant trait à la circulation des véhicules à moteurs ».

60.      Toutefois, s’il fallait interpréter l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46 en ce sens qu’il introduit des limites au pouvoir des États membres de réglementer la circulation des véhicules, l’interaction entre ces deux actes serait peu claire (c’est un euphémisme). Si les deux actes étaient effectivement destinés à concerner la réglementation de la circulation et l’utilisation des véhicules pour des raisons de protection de l’environnement et de santé publique, il serait étonnant que le législateur de l’Union, qui a élaboré les deux actes en même temps, n’ait pas introduit de disposition précisant la relation entre ces deux textes.

61.      À la lumière de ce qui précède, il me semble que le Tribunal, bien qu’il déclare le contraire (24), a omis de procéder à une analyse du contexte dans lequel s’inscrit cette disposition ainsi qu’à une analyse téléologique. Il n’a pas lu la disposition à la lumière des autres dispositions, des considérants ou du titre de la directive, dont aucun ne concerne la réglementation de la circulation. Pas davantage le Tribunal n’a-t-il dûment tenu compte du fait qu’aucune mention de la circulation des véhicules ne figure i) à l’article 10, paragraphe 5, du règlement no 715/2007, qui fait partie du même cadre juridique, ii) à l’article 6, paragraphe 4 du règlement 2018/858, qui a abrogé et remplacé la directive 2007/46, ou iii) dans aucun autre acte similaire, adopté dans le même contexte et dans un but similaire (25).

62.      En quatrième lieu, le Tribunal a fait totalement abstraction des arguments historiques. Même si elle n’a aucun caractère obligatoire, cette méthode d’interprétation aurait pu fournir des indications précieuses, notamment à la lumière de l’argument avancé par la Commission, selon lequel le second alinéa de la disposition en cause (qui inclut les termes « ou la circulation ») avait été ajouté à un stade tardif du processus législatif et n’était en rien destiné à en étendre la portée (26). La Commission a expliqué que le second alinéa de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46 était uniquement destiné à servir de clause de prévention des contournements : une fois que la réception par type a été accordée, des véhicules ne peuvent pas être exclus de la circulation par d’autres mesures qui constituent des restrictions déguisées (27).

63.      Les éléments qu’il est possible de tirer des travaux préparatoires semblent soutenir les arguments tirés par la Commission de la genèse et du but de la disposition. La proposition de directive présentée par la Commission (28) – qui ne comprenait effectivement pas de second alinéa à l’article 4, paragraphe 3 (29) – confirme que l’acte proposé était principalement destiné à consolider et mettre à jour l’acquis en ce domaine et à l’étendre à d’autres catégories de véhicules (30). Le nouvel acte n’entendait donc pas aller au-delà de l’objet des actes précédents. Ce point me semble important, dans la mesure où la directive 70/156/CEE, que la directive 2007/46 a refondue, concernait uniquement les caractéristiques techniques d’une catégorie de véhicules et ne comportait – comme la Cour a eu l’occasion de le préciser – « aucune autre considération relative aux règles de circulation routière que doivent respecter les conducteurs de véhicules à moteur » (31).

64.      Des documents subséquents, émanant de la même institution (32) ou d’autres institutions de l’Union (33), confirment également que la disposition a été modifiée à un stade relativement tardif de la procédure et que cet amendement poursuivait un objectif qui se limitait à la clarification. Les travaux préparatoires ne semblent pas contenir la moindre trace d’un quelconque débat concernant une éventuelle extension du champ d’application matériel de la directive (34).

65.      Si, comme je le soutiens, le second alinéa est censé compléter et clarifier le premier alinéa, je ne vois pas non plus pourquoi l’autre interprétation de cette disposition, proposée par la Commission, la République fédérale d’Allemagne et la Hongrie, la priverait d’effet utile, comme l’a affirmé le Tribunal (35).

66.      En cinquième lieu, les autres arguments sur lesquels le Tribunal a fondé, dans l’arrêt attaqué, son appréciation de la disposition en cause n’emportent pas davantage ma conviction. Le Tribunal a déclaré qu’« il est inhérent à une situation découlant d’une harmonisation totale, comme celle résultant de cette directive, que les [autorités des États membres] ne peuvent, sauf cas particulier, pas s’opposer à l’usage auquel est normalement destiné un produit répondant aux exigences fixées dans le dispositif d’harmonisation, sauf à compromettre l’effet utile de ce dernier » (36).

67.      Cette déclaration est, dans l’absolu, certainement correcte. Toutefois, je ne peux, une fois de plus, adhérer au point de vue du Tribunal en ce qui concerne les conséquences qui en découlent pour la présente affaire. Cela signifie-t-il qu’un État membre ne saurait en principe adopter des règles qui limitent l’utilisation d’un véhicule conforme à la norme Euro 6 (en tant que véhicule destiné à transporter des personnes ou des marchandises) pour des motifs de protection de l’environnement ? Cela ne saurait être correct, comme le Tribunal l’admet lui‑même, en déclarant que les États membres peuvent toujours organiser des « journées sans voiture » (37). Toutefois, comment une même mesure d’harmonisation peut-elle à la fois autoriser et interdire le même type de comportement ? Le raisonnement du Tribunal semble comporter une contradiction intrinsèque.

68.      L’origine de cette contradiction semble se trouver dans une confusion quant à la logique réglementaire et aux effets des règles d’intégration positive (harmonisation) et d’intégration négative (règles de libre circulation) de l’Union. En effet, une question similaire a été soumise à la Cour dans le passé, qui l’a examinée à la lumière de l’article 34 TFUE. Elle a – comme on peut le comprendre – rejeté à cet égard une approche excessivement restrictive. Dans l’arrêt Mickelsson et Roos (qui concernait des véhicules nautiques à moteur), la Cour a jugé que seules des règles nationales ayant pour effet « d’empêcher les utilisateurs [de tels véhicules] d’en faire un usage propre et inhérent à ces produits ou de limiter fortement leur usage » constituaient des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation et devaient dès lors être dûment justifiées (38). De même, dans l’arrêt Commission/Italie, la Cour a jugé qu’une loi italienne interdisant à des motocycles de tirer une remorque constituait une mesure d’effet équivalent en ce qu’elle empêchait l’accès de ces produits au marché italien (39).

69.      Dans les deux affaires, les mesures nationales étaient examinées à l’aune des règles de libre circulation et étaient considérées comme constituant des mesures d’effet équivalent uniquement si elles empêchaient l’accès du produit en cause au marché national ou le rendaient plus difficile du fait que le produit ne pouvait être utilisé ou que son utilisation s’en trouverait grandement réduite. Il est vrai qu’aucune mesure d’harmonisation n’entrait en jeu dans ces deux affaires. Toutefois, la situation n’est à cet égard nullement différente dans les présentes affaires : la (les) mesure(s) d’harmonisation invoquée(s) par les défenderesses se borne(nt) à harmoniser les règles de réception par type des véhicules aux fins de leur mise sur le marché initiale. Elles ne régissent pas l’utilisation ultérieure des véhicules (et encore moins leur circulation locale) et sa réglementation pour des raisons de protection de l’environnement ou de santé publique.

70.      Dans ces conditions, il me semble assez clair qu’une disposition telle que l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46 n’interdit pas aux États membres de décider que, pour une raison d’intérêt général (tenant, entre autres, à la sécurité publique, à la santé publique, à la sécurité routière ou à la protection de l’environnement), tous les véhicules ou seulement un certain type de véhicules (c’est-à-dire des véhicules peu polluants ou de petite taille, ou des véhicules appartenant à des résidents ou aux autorités publiques, etc.) sont autorisés à circuler dans certaines zones (en centre-ville, dans des parcs nationaux, hors routes, dans des zones militaires, sur des chantiers, etc.) de façon générale ou à un certain moment (les dimanches, au cours d’une « journée sans voiture », lorsque a lieu un marché ou un événement culturel ou sportif, etc.). Plus particulièrement, rien dans cette disposition ne semble limiter la compétence juridique des défenderesses pour établir des « zones à faibles émissions », un phénomène que les institutions de l’Union ont toujours regardé avec bienveillance (40). De même, les États membres peuvent limiter – pour les mêmes raisons – certaines façons d’utiliser des véhicules (excès de vitesse, stationnement non autorisé, transport d’enfants sans équipement approprié, etc.) (41).

71.      Par conséquent, une réglementation locale qui pose des limites à la circulation des véhicules dans certaines zones bien déterminées n’est pas contraire à la législation de l’Union régissant la réception par type, et ce même si elle recourt éventuellement à des paramètres relatifs aux émissions qui sont plus stricts que ceux de la norme Euro 6. Tout au plus sa conformité au droit de l’Union pourrait-elle être appréciée à l’aune de l’article 34 TFUE, en application des critères dégagés dans les arrêts Mickelsson et Roos et Commission/Italie. Cependant, une fois de plus, même s’il est possible qu’une mesure nationale donnée concernant l’utilisation ultérieure soit en fin de compte qualifiée de mesure d’effet équivalent au sens de l’article 34 TFUE (42), cela ne signifie certainement pas que le droit de l’Union ait effectivement harmonisé cette question précise ou le domaine concerné.

72.      En résumé, je suis d’avis que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a conclu que, par son interaction avec l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2007/46, le règlement contesté affectait les défenderesses directement.

73.      Il n’est toutefois pas nécessaire d’annuler l’arrêt attaqué, dans la mesure où il existe, selon moi, d’autres raisons pour lesquelles les défenderesses sont directement concernées par le règlement contesté au sens de l’article 263 TFUE.

3)      L’incidence du règlement contesté sur la situation juridique des défenderesses

74.      Pour qu’un acte de l’Union concerne un requérant directement, la situation juridique du requérant doit s’en trouver affectée. Cela signifie en substance que l’acte de l’Union en question doit modifier les droits et obligations du requérant, de caractère privé ou public (43).

75.      En ce qui concerne les entités locales, il ressort de la jurisprudence que celles‑ci sont directement concernées par un acte de l’Union lorsqu’elles sont investies de compétences qui sont exercées de manière autonome dans les limites du système constitutionnel national de l’État membre concerné et que l’acte de l’Union les empêche d’exercer leurs compétences comme elles l’entendent (44).

76.      Au regard de ces critères, le règlement contesté empêche-t-il les défenderesses d’exercer leurs compétences (constitutionnelles) en matière de protection de l’environnement et de réglementation de la circulation comme elles l’entendent ?

77.      J’admets que la réponse à cette question n’est en l’occurrence pas si simple que cela.

78.      Il ne fait pas de doute que le règlement contesté, en ce qu’il permet la commercialisation de véhicules dont il est allégué qu’ils ne sont pas conformes à certains éléments de la norme Euro 6 (ce que l’on pourrait appeler de « faux véhicules Euro 6 »), peut rendre la tâche plus difficile aux défenderesses en ce qui concerne l’exécution de l’obligation de combattre la pollution que la loi leur impose. Ainsi que les défenderesses l’ont exposé et démontré, les réglementations locales régissant la circulation des véhicules distinguent typiquement entre véhicules en fonction de leur « catégorie Euro » (45).

79.      Toutefois, comme je l’ai expliqué dans la section précédente des présentes conclusions, aucun élément dans le règlement contesté (ni dans la législation qu’il met en œuvre) ne pourrait être lu comme interdisant juridiquement aux défenderesses de différencier, lorsqu’elles réglementent la circulation locale, entre véhicules moins polluants et véhicules plus polluants, indépendamment de la catégorie Euro à laquelle ils appartiennent. Certes, dans la mesure où les mesures nationales devraient alors se fonder sur des paramètres autres que la catégorie Euro, la mise en œuvre de ces mesures, la surveillance de leur respect et la sanction en cas de non‑respect seraient plus difficiles. Cela est cependant dépourvu de pertinence aux fins de l’article 263 TFUE. Cela a une incidence sur la situation de fait des défenderesses, non sur leur situation juridique, et ne suffit dès lors pas pour qu’elles soient directement concernées au sens de l’article 263 TFUE (46).

80.      Cela dit, je ne pense pas que l’analyse de la qualité de personne directement concernée puisse s’arrêter là. Le critère juridique dégagé par la jurisprudence en ce qui concerne l’incidence directe sur des entités régionales ou locales, telles que les défenderesses, est de savoir si l’acte de l’Union attaqué empêche ces entités d’exercer leurs compétences autonomes comme elles l’entendent (47).

81.      Il me semble que cette formulation peut être approchée de différentes manières. D’une part, une interprétation particulièrement restrictive pourrait être envisagée, selon laquelle des entités locales ne sont « directement concernées » que si l’acte de l’Union attaqué rend l’exercice de leurs compétences impossible. Dans ce cas, des entités locales pourraient uniquement attaquer des actes de l’Union qui soit leur imposent de s’abstenir entièrement d’exercer leurs compétences, soit les obligent à les exercer d’une façon bien précise, ne leur laissant ainsi aucune alternative, quelle qu’elle soit. D’autre part, une interprétation généreuse, suivant laquelle une simple incidence sur la liberté des entités d’exercer leurs compétences autonomes suffirait à leur conférer qualité pour agir, est également possible. Dans ce cas de figure, les entités locales pourraient attaquer un acte de l’Union qui a une incidence sur la marge de manœuvre que leur ouvre le droit national.

82.      Je pense que la lecture la plus raisonnable de l’article 263 TFUE se situe au milieu de ces deux extrêmes.

83.      Certes, une interprétation plutôt généreuse semble découler de la formulation même du critère dégagé par les juridictions européennes : empêcher ces entités d’exercer leurs compétences comme elles l’entendent. Ce critère ne vise pas une impossibilité absolue ou une privation de tout pouvoir d’appréciation. Au regard de sa formulation, toute limitation dans l’exercice de leurs compétences légales semble répondre à ce critère.

84.      Toutefois, une interprétation aussi « ample » pourrait en effet difficilement être conciliée avec la jurisprudence générale de la Cour concernant l’article 263 TFUE. Cette jurisprudence exige entre autres qu’un lien de causalité directe puisse être établi entre l’acte de l’Union attaqué et la modification de la situation juridique du requérant (48). En outre, les juridictions de l’Union ont également indiqué clairement que le simple fait que, en tant qu’instance compétente pour des matières économiques, sociales ou environnementales sur son territoire, une entité locale dispose d’une certaine compétence en ce qui concerne la matière réglementée par un acte de l’Union d’application générale, ne saurait, à lui seul, suffire pour que cette entité soit considérée comme « concernée » au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (49).

85.      Je ne pense donc pas que l’impossibilité d’exercer leurs compétences « comme elles l’entendent » puisse, dans la pratique, être ramenée à l’impossibilité totale d’exercer ces pouvoirs sans abandonner entièrement la jurisprudence existante. En outre, dans un tel cas, la jurisprudence concernant la qualité pour agir en vertu de l’article 263 TFUE serait (de nouveau) difficilement conciliable avec un grand nombre d’autres domaines du droit de l’Union, qui continuent d’évoluer dans la direction exactement opposée (50).

86.      J’estime par conséquent que le critère dégagé par la Cour devrait être compris comme reconnaissant qualité pour agir à des entités locales ou régionales lorsqu’il est possible d’identifier un rapport direct de cause à effet entre l’acte de l’Union attaqué et l’exercice d’une compétence légale autonome spécifique d’une entité locale. Ce rapport existe si l’acte de l’Union est le facteur déterminant, qui soit empêche totalement les autorités locales ou régionales d’exercer leurs pouvoirs, soit les contraint d’agir tout en modifiant de manière significative la façon dont elles peuvent légalement exercer ces compétences.

87.      Dans ce cas, les défenderesses répondent-elles à ce critère ?

88.      Bien qu’il faille reconnaître qu’il est difficile de voir de quel côté penche la balance, je tendrais, à la lumière de tous les éléments juridiques et factuels figurant au dossier, en fin de compte à répondre par l’affirmative à cette question. Le règlement contesté a en effet une incidence sur la manière dont les défenderesses peuvent légalement exercer leurs compétences spécifiques en matière de protection de l’environnement et de la santé publique lorsqu’elles luttent contre la pollution et assurent le respect des normes de qualité de l’air applicables, comme la loi leur en fait obligation.

89.      Le fait que les défenderesses jouissent, au niveau constitutionnel, de pouvoirs spécifiques dans les domaines de la protection de l’environnement et de la réglementation de la circulation a déjà été établi par le Tribunal et ne semble pas être contesté par les requérantes. Sur ce point, j’ajouterais que, au sein de leurs ordres juridiques, les défenderesses ont à cet égard même des obligations juridiques correspondantes. Ce sont là des éléments importants, dans la mesure où ils différencient les défenderesses d’autres autorités nationales dans l’Union, qui peuvent n’être affectées par le règlement contesté qu’indirectement, dans la mesure où ces autres autorités nationales sont chargées de la mission de veiller au bien-être général de leurs citoyens. Ces éléments différencient les défenderesses a fortiori des personnes physiques vivant dans l’Union qui – pour la seule raison qu’elles respirent un air pollué – peuvent se sentir affectées par le règlement contesté.

90.      La question‑clé devient ainsi de savoir si le règlement contesté affecte de façon significative l’exercice, par les défenderesses, de ces pouvoirs afin de s’acquitter de leurs obligations légales.

91.      En premier lieu, les parties sont d’accord sur le point que, en droit national, des entités locales telles que les défenderesses sont responsables de l’adoption de diverses mesures de lutte contre la pollution et visant à assurer le respect de certaines normes de qualité de l’air afin de préserver la santé et la sécurité des citoyens. Ces mesures peuvent être nécessaires – ce qui est crucial dans le présent contexte – pour satisfaire à des obligations découlant du droit de l’Union, telles que celles découlant des dispositions de la directive 2008/50. Ainsi que je l’ai mentionné au point 59 des présentes conclusions, cette directive impose aux États membres de respecter des normes européennes de qualité de l’air et, à cette fin, d’adopter des plans relatifs à la qualité de l’air (y compris des plans d’action à court terme) pour des zones et agglomérations spécifiques dans lesquelles les polluants excèdent les limites.

92.      En deuxième lieu, il est de même constant entre les parties que les grandes villes européennes, telles que les défenderesses, souffrent d’une pollution causée très largement par les émissions des véhicules. Cela est tout spécialement vrai en ce qui concerne les émissions d’oxydes d’azote dans les grandes villes, produites principalement par la circulation routière locale et dépassant souvent, par voie de conséquence, les limites légales applicables (51).

93.      En troisième lieu, des vérifications effectuées après le scandale du « Dieselgate » ont révélé que presque tous les véhicules légers à moteur diesel dépassaient les valeurs limites d’oxydes d’azote applicables de façon significative (52). L’introduction de ces normes n’a donc, à ce jour, pas amélioré la situation de façon substantielle en ce qui concerne les émissions d’oxydes d’azote (53).

94.      En quatrième lieu, il sera également difficile de contester que, si les institutions de l’Union – comme le soutiennent les défenderesses – ne s’efforcent pas d’assurer le respect des limites fixées dans « leur propre » législation en ce qui concerne les émissions polluantes des véhicules, c’est logiquement aux autorités des États membres que se trouve transférée la charge d’agir afin de garantir la qualité de l’air. Cela est tout particulièrement vrai en ce qui concerne les autorités nationales responsables de la réglementation de la circulation et notamment celles agissant dans les zones les plus polluées. Ces autorités devront à l’évidence agir le plus rapidement possible, compte tenu du cycle de vie normal des véhicules légers. La Commission appelle également – ce qui ne manque pas d’une certaine ironie – les autorités nationales à agir de façon rapide et déterminée, s’étant récemment fixé comme priorité d’introduire des recours en manquement contre des États membres qui ne respectent pas les normes de qualité de l’air (54).

95.      À cette fin, des autorités nationales telles que les défenderesses sont donc tenues d’adopter certaines mesures y compris dans le cadre des plans relatifs à la qualité de l’air, qui auraient très probablement été moins restrictives, et n’auraient peut-être même pas été nécessaires, si l’Union avait interdit l’immatriculation et la vente des véhicules non conformes à ses propres normes d’émissions. Ainsi, l’éventail des mesures parmi lesquelles les défenderesses peuvent choisir et la façon dont elles sont mises en œuvre se trouvent nécessairement restreints en conséquence directe du règlement contesté. La marge de manœuvre dont elles disposent pour satisfaire à leurs obligations légales, tant en vertu du droit de l’Union que du droit national, est considérablement amoindrie, ce qui les contraint à accomplir les tâches y nécessaires différemment.

96.      Certes, ainsi que je l’ai suggéré ci‑dessus (55), techniquement, les villes ou autres entités régionales conservent les compétences que leur confère le droit national pour réglementer la circulation locale pour des raisons de protection de l’environnement ou de santé publique comme elles l’entendent, que la norme Euro 6 soit réellement ou faussement respectée. Si elles le souhaitent, ces autorités peuvent adopter des interdictions concernant les véhicules Euro 6, ou même introduire leurs propres normes Euro 7 ou Euro 8. Elles peuvent toujours décider que seuls certains véhicules peuvent entrer le centre-ville, ou que la circulation automobile est uniquement autorisée à certaines heures ou certains jours, ou est interdite de façon générale.

97.      Le fait demeure néanmoins que l’exercice de leurs pouvoirs et l’exécution de leurs obligations juridiques ont été rendus infiniment plus difficiles. Une réglementation raisonnable de la circulation locale pour des raisons de protection de l’environnement ou de santé publique doit se fonder sur un critère assez large et standardisé. Vraisemblablement, personne ne viendrait suggérer sérieusement que chaque grande ville ou région européenne devrait désormais commencer à établir sa propre liste de véhicules admis dans ses centres-villes, avec des stations de mesure des émissions établies aux portes des villes. Toutefois, l’impossibilité de se fonder sur des catégories ou normes de l’Union établies (à cette fin même) signifie que les villes sont contraintes de choisir leurs propres critères, qui seront par la force des choses source d’autres conflits en termes de coûts sociaux ou financiers pour les résidents ou certains groupes de résidents et, en fin de compte, risqueront d’exposer les villes à des recours pour discrimination ou restriction arbitraire de l’accès ou de la libre circulation (56).

98.      La tâche peu enviable de prendre toutes ces décisions (il est vrai difficiles) – et le risque de devoir répondre de leurs conséquences – est tout simplement passée aux (États membres et leurs) autorités locales. Ces autorités peuvent donc se trouver contraintes d’adopter des mesures draconiennes et impopulaires pour assurer le respect du droit de l’Union pour la simple raison que la Commission a choisi de tolérer d’autres infractions au droit de l’Union.

99.      Suggérer dans une telle situation que le règlement contesté affecte la situation des entités locales uniquement de fait mais non en droit, est extrêmement formaliste (57), pour ne pas dire cynique. En réalité, un manquement allégué de la Commission à assurer le respect des valeurs limites d’émissions d’oxydes d’azote a nécessairement une incidence directe et significative sur la façon dont des entités telles que les défenderesses doivent exercer leurs pouvoirs juridiques autonomes en matière de protection de l’environnement et de réglementation de la circulation (58).

100. En ce qui concerne ce dernier aspect, l’incidence sur la situation des défenderesses est juridique et non pas simplement de fait. Je reconnais volontiers qu’il est loin d’être simple de savoir où s’arrête ce qui est juridique et où commence ce qui est factuel dans des cas de figure tels que celui en cause en l’espèce. Bien entendu, les défenderesses sont également concernées de fait, comme n’importe qui d’autre : elles doivent accepter la législation de l’Union comme un fait et comme point de départ de toute action ultérieure. Il existe cependant en outre également un élément d’intérêt juridique. Le règlement contesté a une incidence directe sur la façon dont les défenderesses exerceront leurs droits et satisferont à leurs obligations juridiques.

101. Une simple expérience de pensée peut aider à illustrer cela. Supposons que les défenderesses soient qualifiées de personnes concernées uniquement de fait, mais non juridiquement. Dans ce cas, qui pourrait jamais être juridiquement concerné par ce type de législation ? Le gouvernement hongrois a suggéré que seuls des constructeurs automobiles et les autorités nationales chargées d’examiner le respect des dispositions du règlement contesté pourraient être juridiquement concernés (59). Toutefois, en quoi un constructeur automobile est-il plus juridiquement concerné par une législation qu’il devra respecter s’il souhaite commercialiser ses véhicules qu’il n’a pas encore produits (60) ? Un producteur n’a aucun droit juridique, de quelque nature qu’il soit, à l’adoption d’une législation déterminée, dans laquelle figurent certaines normes ou valeurs. Par conséquent, sa situation juridique (entendue comme droits et obligations existants) ne peut par définition pas être affectée par une législation nouvelle introduisant de nouvelles règles, puisqu’il n’a à cet égard aucun droit juridique (potentiel) pour commencer. Il en irait a fortiori de même en ce qui concerne les autorités nationales chargées de vérifier que les valeurs d’émissions fixées dans la législation de l’Union sont bien respectées. Quels seraient les droits ou obligations juridiques acquis (distincts de ceux d’un État membre, dont elle sera probablement un simple organe) d’un organisme national central chargé de la réception par type des véhicules ? Pour ces deux catégories d’acteurs, les valeurs nouvelles qu’ils devront respecter à l’avenir (l’un en produisant des véhicules conformes à ces spécifications s’il souhaite qu’ils soient réceptionnés, l’autre en vérifiant le respect de ces spécifications) constituent uniquement des points de départ factuels, mais n’ont pas vraiment une incidence directe et immédiate sur leur situation juridique.

102. Je ne dis pas que je souscris à une vision aussi réductrice. L’argument exposé ci‑dessus vise simplement à montrer que si l’on adoptait une vision expansionniste de la qualité de personne concernée de fait qui irait jusqu’à exclure tout intérêt juridique, personne ne serait jamais juridiquement concerné par une mesure du droit de l’Union, quelle qu’elle soit.

103. Enfin, il y a trois raisons plus générales, systémiques, pour adopter une interprétation équilibrée de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE lorsque ce sont des entités régionales d’États membres qui ont la qualité de requérant. Comme elles se recoupent très largement avec les arguments que j’ai déjà exposés à ce sujet dans mes conclusions dans l’affaire Région de Bruxelles‑Capitale/Commission (61), je peux être concis.

104. Premièrement, une application excessivement restrictive de l’article 263 TFUE en ce qui concerne les entités locales serait sans doute difficilement cohérente avec un certain nombre de principes constitutionnels fondamentaux, notamment ceux inscrits à l’article 4, paragraphes 2 et 3, TUE.

105. D’une part, une approche qui considérerait – aux fins du contrôle juridictionnel au niveau de l’Union – que les rôles constitutionnels joués, au niveau national, par les entités régionales et locales sont dépourvus de pertinence serait difficilement conciliable avec l’article 4, paragraphe 2, TUE, qui impose à l’Union de respecter, entre autres, l’identité nationale des États membres, « inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale ».

106. D’autre part, un accès plus ouvert à la justice européenne pour les entités infra-étatiques semble être le corollaire logique (et presque inévitable) des obligations, nombreuses et étendues, que le droit de l’Union impose à ces entités. Il s’agit là non seulement de l’obligation générale de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre le droit de l’Union en œuvre et en assurer le respect, ainsi que de s’abstenir de toute mesure susceptible de priver le droit de l’Union de son effet utile, mais aussi d’obligations très concrètes et spécifiques dans les différents domaines de politique, comme la présente affaire le montre également. Le principe de coopération loyale, inscrit à l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit évidemment jouer dans les deux sens (62).

107. Deuxièmement, refuser à des entités telles que les défenderesses la possibilité d’attaquer des actes de l’Union qui affectent significativement l’exercice de pouvoirs qui leur sont reconnus par la constitution pourrait conduire à ce que je ne peux pas appeler autrement qu’une « situation malsaine sur le plan constitutionnel » en termes d’incitations et de contrôle. En effet, il n’est pas rare que des actes délégués par l’Union ou des actes de mise en œuvre soient le résultat d’une sorte d’accord (prévu par la législation) entre une institution de l’Union et les entreprises du secteur concerné ou les parties intéressées. Dans ce type de cas, une approche restrictive du concept de « personne directement concernée » peut signifier que la seule catégorie de requérants qui auront (peut-être) qualité pour agir devant les juridictions européennes est celle des entreprises de ce secteur. Or, il est improbable que cela constitue la meilleure incitation à négocier avec les différentes parties intéressées et à rechercher un résultat législatif équilibré s’il faut adopter une législation qui soit du goût du secteur concerné pour que ce résultat législatif ne soit effectivement pas contesté.

108. Troisièmement, à un niveau institutionnel, je reste perplexe devant une structure juridictionnelle – et une politique juridictionnelle qui la pétrifie –, qui, en limitant l’accès direct aux juridictions de l’Union, redirige vers les juridictions nationales des affaires dans lesquelles la validité d’actes de l’Union est en cause, pour que ces affaires arrivent finalement de nombreuses années plus tard devant la Cour par le biais d’une demande de décision préjudicielle (63). Cette combinaison complexe et chronophage de procédures est tout simplement déraisonnable, eu égard à la dernière réforme de la structure juridictionnelle de l’Union qui a donné au Tribunal les moyens de s’acquitter de son rôle constitutionnel de juge de première instance de l’Union, lequel, dans les limites de sa compétence, peut procéder à un contrôle juridictionnel complet en examinant tant le droit applicable que les faits (64).

109. Tout cela est vrai, a fortiori, dans des affaires concernant des domaines complexes, techniques, que la répartition des tâches dans le cadre de la procédure préjudicielle ne permet pas, en pratique, de trancher de façon optimale. D’une part, une juridiction nationale, parfois même une juridiction de première instance saisie d’un problème autre, est peu susceptible de procéder à l’examen détaillé, factuel et technique, préliminaire des questions pertinentes pour l’interprétation du droit de l’Union à effectuer par la Cour (65). D’autre part, lorsque la Cour se prononce à titre préjudiciel, il n’entre pas dans ses compétences d’apprécier les faits. Il existe par conséquent un risque que des questions techniques plutôt complexes, dont il est inévitable qu’elles décident de l’interprétation ou de la validité de la législation de l’Union, ne soient examinées dans aucune des deux procédures (66).

110. À la lumière de ce qui précède, et en dépit de l’erreur de droit commise sur ce point par le Tribunal, je suggère à la Cour de rejeter la seconde branche du premier moyen invoqué par la Hongrie à l’appui de son pourvoi, tout comme les premier et deuxième moyens avancés par la République fédérale d’Allemagne. Les défenderesses sont directement concernées.

2.      Le point de savoir si le règlement contesté comporte des mesures d’exécution

a)      L’argumentation des parties

111. La première branche du premier moyen invoqué par la Hongrie concerne la constatation faite par le Tribunal au point 40 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le règlement contesté ne demandait aucune mesure d’exécution à l’égard des défenderesses. La Hongrie soutient en substance que le règlement contesté lui‑même ne produit aucun effet juridique et que l’adoption de toute une série d’actes au niveau national est nécessaire pour que le moindre effet juridique se produise.

b)      Analyse

112. Je considère qu’il convient de rejeter ce moyen.

113. Il ressort de la jurisprudence que, aux fins d’apprécier le point de savoir si un acte réglementaire comporte des mesures d’exécution, il y a lieu de s’attacher à la position de la personne introduisant le recours et l’objet de ce dernier (67). Il est donc sans pertinence de savoir si l’acte en question comporte des mesures d’exécution à l’égard d’autres justiciables (68) ou si d’autres parties de l’acte attaqué, qui ne sont pas contestées par le requérant, comportent des mesures d’exécution (69). Ce qui est dans ce contexte déterminant est de savoir si les effets juridiques spécifiques qui modifient la situation du requérant se matérialisent à son égard en conséquence de l’acte de l’Union attaqué ou en conséquence d’un autre acte adopté par l’Union ou l’État membre concerné (70).

114. Dans ces conditions et au regard de la situation des défenderesses ainsi que de l’objet de la présente procédure, il me semble que c’est sans commettre d’erreur que le Tribunal a jugé que, en ce qui concernait la situation spécifique des défenderesses, le règlement contesté ne comportait pas de mesures d’exécution aux fins de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.

115. Si le règlement contesté est considéré comme permettant la réception par type de « faux véhicules Euro 6 », ce qui rend possible la commercialisation et, par voie de conséquence, la circulation de tels véhicules, l’effet sur la possibilité juridique qu’ont les défenderesses d’exercer leurs compétences comme elles l’entendent est direct et immédiat. Aucun autre acte de l’Union ou national n’est nécessaire pour lier les mains des défenderesses, pour employer une métaphore. Autrement dit, il existe une relation de cause à effet entre les règles du droit de l’Union contestées par les défenderesses et la modification de leur situation juridique.

116. Il serait déraisonnable et artificiel de soutenir que des entités infra-étatiques devraient attendre la première réception par type d’un « faux véhicule Euro 6 » pour contester cette réception devant les tribunaux nationaux et invoquer dans le cadre de cette procédure l’invalidité de la législation de l’Union mise en œuvre. À l’évidence, aucun tel acte d’exécution n’aura été adopté « à l’égard » des défenderesses. En ce qui concerne les effets juridiques contestés par les défenderesses (la modification implicite ou clandestine des normes Euro 6), l’acte de l’Union contesté est donc clairement, pour emprunter les mots de l’avocat général Cruz Villalón, « pleinement et par [lui]‑même opérationne[l] » (71).

117. Il convient par conséquent de rejeter le premier moyen avancé par la Hongrie également en sa première branche.

B.      Sur le fond : défaut de compétence de la Commission

a)      L’argumentation des parties

118. Dans le cadre de son troisième moyen, la République fédérale d’Allemagne soutient que c’est à la suite d’une interprétation erronée de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 715/2007 que le Tribunal a conclu que la Commission n’avait pas compétence pour adopter le règlement contesté. La République fédérale d’Allemagne avance que la Commission dispose d’une importante marge d’appréciation tant en ce qui concerne la qualification d’une disposition de « non essentielle » qu’en ce qui concerne les effets pratiques d’une disposition. Dès lors que cette marge d’appréciation est dûment prise en compte, l’introduction des essais RDE eux‑mêmes et d’un facteur de conformité pour ces tests ainsi que l’adoption de dispositions transitoires doivent, selon la République fédérale d’Allemagne, être considérées comme des éléments non essentiels au sens de l’article 5, paragraphe 3, dudit règlement.

119. L’unique moyen invoqué par la Commission à l’appui de son pourvoi concerne également la constatation du Tribunal selon laquelle elle n’a pas compétence pour adopter le règlement contesté. La Commission ne conteste pas que, ainsi que le Tribunal l’a déclaré au point 118 de l’arrêt attaqué, les limites d’émissions d’oxydes d’azote sont un élément essentiel du règlement no 715/2007. La Commission considère en revanche que cet élément n’a pas été modifié. Il est à cet égard révélateur que le Tribunal mentionne une modification « de facto » des limites (aux points 128, 137 et 144 de l’arrêt attaqué), tout en reconnaissant que, juridiquement, ces limites n’ont pas été modifiées (au point 150 de l’arrêt).

120. La Commission souligne que le règlement no 715/2007 ne contenait pas de disposition spécifique précisant de quelle manière les émissions devaient être contrôlées. Selon la Commission, le Tribunal confond ainsi méthode de contrôler la limite et modification de cette limite. Dans la mesure où les anciens essais en laboratoire, le NEDC, et les nouveaux essais RDE s’appliquent cumulativement, et qu’un véhicule doit dès lors passer les deux pour que son type soit réceptionné, le règlement contesté ne peut entraîner la moindre détérioration des méthodes de contrôle et, par voie de conséquence, la moindre modification de facto de cette limite.

121. La Commission fait également valoir que le Tribunal a renversé la charge de la preuve en imposant à la Commission de justifier son choix de méthode et en annulant l’acte contesté au motif que les arguments de la Commission étaient peu convaincants. Il appartient aux requérants de prouver l’illégalité d’un acte de l’Union, qui est en principe présumé être valable.

122. Dans ce cadre, l’ACEA souligne que les coefficients introduits par la Commission sont nécessaires pour permettre la comparaison de différentes séries de données à la lumière des incertitudes techniques et statistiques que les nouveaux essais comportent.

b)      Analyse

123. Tout d’abord, je ne suis pas convaincu par les arguments tirés de la marge de manœuvre alléguée de la Commission pour déterminer quels éléments d’un texte législatif sont essentiels et lesquels ne le sont pas. En premier lieu, c’est au législateur de l’Union (en l’occurrence, le Conseil et le Parlement) qu’il appartient de déterminer sur quels points il souhaite conférer à la Commission un pouvoir délégué ou d’exécution et sur lesquels il ne le souhaite pas (72). En deuxième lieu, « éléments essentiels » et « éléments non essentiels » sont des catégories juridiques et c’est donc en définitive à la Cour qu’il appartient de les interpréter et d’en vérifier la bonne application dans le cas concret (73).

124. Ensuite, dans le même ordre d’idées, je ne considère pas que la charge de la preuve ait été renversée de quelque manière que ce soit. Le Tribunal s’est borné à appliquer, dans un cas complexe à la fois sur le plan juridique et sur le plan des faits, les principes normaux régissant la charge de la preuve dans les recours directs. Dans la mesure où les défenderesses avaient établi que leurs recours étaient bien fondés à première vue, il appartenait à la Commission de contredire et réfuter, de manière substantielle et détaillée, les informations fournies par les défenderesses et les conséquences en découlant (74). N’étant toutefois pas convaincu par les contre-arguments de la Commission, le Tribunal a conclu que la Commission ne pouvait pas, sans modifier de facto la limite d’émissions d’oxydes d’azote fixée dans l’annexe I du règlement no 715/2007, i) fixer des valeurs NTE pour les émissions d’oxydes d’azote qui, par le jeu des facteurs de conformité, étaient supérieurs à cette limite, ni ii) adopter des facteurs d’une amplitude telle que celle des facteurs de conformité CF pollutant.

125. Enfin, ces observations étant faites, la question-clé soulevée par ces moyens est de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que, par le règlement contesté, la Commission avait de facto modifié un élément essentiel de la législation de base.

126. À la lumière des arguments avancés par les requérantes, je ne vois aucune telle erreur.

127. Premièrement, la limite d’émissions d’oxydes d’azote fixée par le règlement no 715/2007 constitue de toute évidence un élément essentiel de cet acte législatif (75). Tout comme le Tribunal, je ne vois pas, eu égard au libellé, au contexte et, surtout, à l’objectif de cette mesure de l’Union, comment on pourrait parvenir à cet égard à une conclusion différente. Par conséquent, la Commission n’aurait pas eu le pouvoir de la modifier en adoptant un acte d’exécution tel que le règlement contesté. Les parties semblent s’accorder sur ce point.

128. Deuxièmement, on peut en effet dire que, en principe, des éléments tels que les valeurs NTE ou les facteurs de conformité sont – tout spécialement chacun pris isolément – des éléments non essentiels du règlement. Il s’agit là d’éléments techniques d’une nature purement fonctionnelle et instrumentale. Il ressort assez clairement du considérant 26, de l’article 5, paragraphe 3, ainsi que de l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 715/2007 que les procédures et essais en vue de la réception par type constituent des éléments non essentiels de ce règlement, qui peuvent dès lors être adoptés par la Commission suivant la procédure de réglementation avec contrôle.

129. Troisièmement, il ne suit cependant pas de ce qui précède que, en fixant certains paramètres aux fins des tests RDE (tels que les valeurs NTE ou les facteurs de conformité), la Commission ne pourrait jamais affecter ce qui est, en soi, un élément essentiel (la limite d’émissions d’oxydes d’azote). À l’évidence, si le processus de contrôle choisi et les valeurs spécifiques adoptées dans ce cadre ne sont pas assez rigoureux et sont inefficaces, soit le respect de la limite fixée par le législateur de l’Union sera impossible à contrôler, soit cette limite sera de facto dépassée et ne sera, par voie de conséquence, fréquemment pas respectée en pratique. Je ne trouve par conséquent, à tout le moins sur le plan logique, aucune erreur dans le raisonnement du Tribunal selon lequel l’adoption de paramètres excessivement élevés pouvait de facto conduire à une modification indirecte ou clandestine de la limite d’émissions d’oxydes d’azote.

130. La question de savoir si, compte tenu des circonstances spécifiques de la présente affaire, les paramètres spécifiques adoptés par la Commission ont, oui ou non, conduit à une modification de facto de la limite des émissions d’oxydes d’azote me semble exiger une appréciation complexe des faits. Cette appréciation échappe dès lors au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi, à moins que les requérantes n’allèguent (et prouvent) une distorsion des faits ou des preuves par la juridiction de première instance (76). Selon une jurisprudence constante de la Cour, une dénaturation doit apparaître de façon manifeste à partir des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (77).

131. En l’occurrence, je ne vois aucune telle dénaturation.

132. Aucune des requérantes ou intervenantes n’a avancé le moindre argument convaincant pour démontrer que le Tribunal aurait fondamentalement mal compris les faits ou mal interprété les preuves présentées par les parties. Au contraire, le Tribunal est parvenu à une conclusion qui non seulement est possible, mais semble également pouvoir s’appuyer sur différents documents officiels pertinents qui ont été invoqués par les parties. Par exemple, le Rapport sur l’enquête sur la mesure des émissions dans le secteur de l’automobile du Parlement européen a conclu que le facteur de conformité, « en pratique, affaiblit les normes relatives aux émissions actuellement en vigueur », « ne peu[t] être justifi[é] d’un point de vue technique et ne reflèt[e] pas un besoin clair de développer une nouvelle technologie » et pourrait être considéré « comme une dérogation de facto générale aux limites d’émissions en vigueur pour une période considérable » (78). De même, un récent document d’information de la Cour des comptes fait état du point de vue de quelques chercheurs, selon lesquels les limites d’oxydes d’azote fixées aux fins des essais RDE semblent miner l’efficacité de ces essais, et note les limites considérablement plus basses en vigueur aux États‑Unis (79).

133. Cela dit, un argument dont j’estime qu’il convient de prendre en considération – puisqu’il critique le raisonnement juridique suivi par le Tribunal, non son appréciation des éléments de fait pertinents – est celui relatif au reproche fait au Tribunal de ne pas avoir tenu compte de la nature cumulative des deux types d’essais. Dans la mesure où un véhicule doit répondre tant aux anciens critères (essais en laboratoire, NEDC) qu’aux nouveaux (en conditions de conduite réelles, RDE) pour que son type soit réceptionné, les requérantes soutiennent que le règlement contesté ne modifie pas la situation antérieure. Par voie de conséquence, toute modification de facto de la législation de base serait exclue.

134. La question qui se pose alors est de savoir quelle est en l’espèce la « situation antérieure » pertinente. Les requérantes semblent avoir raison quand elles arguent que le règlement contesté n’a pas conduit, et ne pouvait pas conduire, à une modification in pejus de la situation antérieure, s’il faut comprendre « situation antérieure » comme étant celle qui existait effectivement en 2016. Si j’ai bien compris le système des procédures d’essai, ce règlement devrait, en toute logique, avoir effectivement amélioré le contrôle de la conformité à la norme Euro 6.

135. Toutefois, le fait que, d’un point de vue factuel, la situation n’a pas changé (ou, si elle a changé, le fait qu’elle s’est améliorée) ne saurait remettre en question la conclusion du Tribunal quant à la modification illégale de la situation juridique, qui, en toute logique, devrait constituer le point de départ de cette appréciation.

136. Il est vrai qu’une action de la Commission en ce domaine était très probablement nécessaire. Conformément au considérant 15 et à l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 715/2007, la Commission vérifie les procédures, essais et conditions indiqués à l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, ainsi que les cycles d’essai utilisés pour mesurer les émissions. Ces dispositions précisent que, si la vérification montre que ceux‑ci ne sont plus adéquats ou ne reflètent plus la réalité des émissions au niveau mondial, ils doivent être adaptés de manière à refléter correctement les émissions générées par la réalité de la conduite routière.

137. Toutefois, cela ne change rien au fait que, comme le Tribunal l’a constaté, la Commission a adopté une réglementation qui, pendant une certaine période, continuait de tolérer des écarts par rapport à la limite des émissions d’oxydes d’azote fixée dans la législation de base.

138. En d’autres termes, le point auquel la situation est normalement supposée revenir après qu’une infraction a été constatée est le respect de l’exigence légale qui existait depuis le début. L’argument selon lequel le règlement contesté n’a pas « aggravé la situation » peut tout à fait être fondé en ce qui concerne la situation factuelle telle qu’elle existait à l’époque et a été révélée avec le scandale du « Dieselgate ». En effet, si un grand nombre de constructeurs et de types de véhicules sur le marché à l’époque ne respectaient de fait pas la norme, quelques‑uns même de façon notable, l’effort législatif entrepris pour assurer progressivement à tout le moins un certain respect, dans les conditions réelles telles qu’elles existaient à l’époque, ne saurait être analysé autrement que comme étant dans le meilleur intérêt du système lui‑même et de son fonctionnement futur.

139. Toutefois, il n’en demeure pas moins que, ainsi que le Tribunal l’a constaté, la Commission a autorisé dans ce cadre que se poursuivent des écarts par rapport à la situation à laquelle il aurait, en droit, fallu revenir immédiatement, à savoir le plein et entier respect de la norme existante, adoptée dans le passé par le législateur de l’Union, qui aurait dû être appliquée et mise en œuvre depuis le début. Telle est en effet la « situation antérieure » juridiquement pertinente.

140. Je ne trouve par conséquent rien à redire, en soi, à la conclusion du Tribunal selon laquelle, en adoptant le règlement contesté, la Commission a modifié la situation juridique en tolérant expressément des émissions supérieures aux limites décidées par le législateur de l’Union, ces limites spécifiques constituant un élément que la Commission n’avait pas le pouvoir de modifier par un simple règlement d’exécution.

141. Partant, il me semble que l’arrêt attaqué doit être maintenu également à cet égard.

C.      Les conséquences des constatations du Tribunal

1.      La portée de l’annulation

142. Dans le cadre de son quatrième moyen, la République fédérale d’Allemagne fait grief au Tribunal d’avoir considéré à tort que le point 2 de l’annexe II du règlement contesté était détachable du reste de l’acte. La République fédérale d’Allemagne argue que, dans la logique du raisonnement suivi dans l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait également dû annuler l’article 1er, point 2, du règlement contesté, lequel modifie l’article 3, paragraphe 10, du règlement no 692/2008, en ce qu’il fixe implicitement – comme l’arrêt attaqué l’observe au point 156 – le moment à compter duquel les essais RDE ne sont plus pratiqués qu’à des seules fins de surveillance.

143. La ville de Bruxelles excipe de l’irrecevabilité de ce moyen, au motif que la République fédérale d’Allemagne n’a pas intérêt à une annulation intégrale du règlement contesté.

144. En effet, il n’est pas d’emblée évident de savoir à quoi servirait une annulation plus large dès lors qu’un élément-clé de la structure a déjà été enlevé. Toutefois, de façon générale, le gouvernement allemand pourrait peut-être considérer que, plutôt qu’un système bancal (ancien système moins le facteur de conformité, ou avec un facteur de conformité plus bas décidé par la Commission), il serait plus avantageux ou plus raisonnable d’avoir un système qui aurait été entièrement repensé. S’il en va effectivement ainsi, la République fédérale d’Allemagne peut avoir un intérêt à l’annulation intégrale du règlement. Pour cette raison, il convient de rejeter l’exception d’irrecevabilité.

145. Cependant, en tout état de cause, en ce qui concerne le fond, cet argument ne me semble pas fondé.

146. En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, l’annulation partielle d’un acte de l’Union est possible dans la mesure où les éléments dont l’annulation est demandée sont détachables du reste de l’acte. La Cour a également dit pour droit qu’il n’est pas satisfait à cette exigence de séparabilité lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui‑ci (80).

147. Dans la présente affaire, l’élément problématique du règlement contesté identifié par le Tribunal (le facteur de conformité) est très spécifique. Ce coefficient continuera de s’appliquer jusqu’à ce que le législateur de l’Union le remplace par un autre qui reflète davantage la réalité ou décide de le supprimer tout simplement.

148. Le gouvernement allemand n’a pas expliqué pourquoi l’abrogation ou le remplacement de ce coefficient affecterait nécessairement le bon fonctionnement du cadre juridique que le règlement contesté modifie ou met en œuvre. En effet, le Tribunal n’a pas constaté d’erreur fondamentale qui affecterait la conception même des essais, mais uniquement en ce qui concerne les valeurs NTE fixées à cette fin (en raison du facteur de conformité).

149. Pas davantage ce gouvernement n’a-t-il expliqué ce qui aurait précisément changé si le Tribunal avait également annulé l’article 1er, paragraphe 2, du règlement contesté.

150. J’estime par conséquent que ce moyen doit être également rejeté.

2.      Les effets de l’annulation dans le temps

151. Dans le cadre de son deuxième moyen, la Hongrie soutient que c’est à tort que le Tribunal a limité les effets de l’annulation prononcée à un délai raisonnable ne pouvant excéder douze mois. Elle considère que cette durée maximale du délai est trop courte, dans la mesure où, en pratique, il est impossible au législateur de l’Union d’adopter un nouvel acte législatif dans ce délai.

152. Des arguments très similaires sont avancés par la République fédérale d’Allemagne à l’appui de son cinquième moyen. Le gouvernement allemand renvoie aux estimations de l’industrie automobile allemande quant au nombre de voitures, de constructeurs allemands et autres, qui ne pourront plus être vendues en Europe, suggérant par ailleurs que le vide juridique potentiel prétendument créé par l’arrêt du Tribunal était susceptible d’entraîner un arrêt complet de la production, de la réception et de l’immatriculation de nouvelles voitures en raison de l’incertitude juridique qui s’était ensuivie.

153. Ces moyens ne me convainquent pas.

154. Pour le dire simplement, la question que les requérantes demandent à la Cour de trancher est la suivante : le délai de douze mois est-il suffisamment long pour permettre aux institutions de l’Union de prendre de nouvelles mesures qui, en remédiant à l’erreur constatée, garantissent le respect des normes établies dans la législation de base ?

155. Il me semble, à la lumière des arguments avancés par les requérantes, que la Cour devrait procéder à un examen ex novo des faits pour pouvoir répondre à cette question. En effet, les requérantes n’invoquent pas une erreur affectant la méthode ou les critères utilisés par le Tribunal pour procéder à cette appréciation (telle que l’application de mauvais critères, l’omission de prendre en compte certains éléments pertinents, etc.). Les requérantes se bornent à soutenir que l’appréciation globale portée par le Tribunal est erronée. À cet égard et pour cette raison, je doute que ces moyens soient même recevables.

156. En tout état de cause, les requérantes ne visent aucun élément, de fait ou de droit, spécifique qui étayerait le point de vue selon lequel un délai de douze mois est insuffisant pour que la Commission intervienne, en vertu de ses pouvoirs d’exécution, pour remédier aux problèmes affectant le règlement contesté qui ont été identifiés.

157. Par conséquent, ces moyens ne sont pas recevables et, tout état de cause, infondés.

VI.    Dépens

158. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

159. Les défenderesses ayant conclu en ce sens, il convient par conséquent de condamner les requérantes aux dépens.

160. Conformément à l’article 140, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure de la Cour, toutes les intervenantes supportent leurs propres dépens.

VII. Conclusion

161. Je suggère à la Cour de :

–        rejeter les pourvois ;

–        condamner la République fédérale d’Allemagne, la Hongrie et la Commission européenne à supporter les dépens encourus par la Ville de Paris, la Ville de Bruxelles et l’Ayuntamiento de Madrid dans le cadre de la procédure devant le Tribunal et de celle devant la Cour ;

–        condamner toutes les parties intervenantes à supporter leurs propres dépens.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Règlement (UE) 2016/646 de la Commission, du 20 avril 2016, portant modification du règlement (CE) no 692/2008 en ce qui concerne les émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 6) (JO 2016, L 109, p. 1, ci‑après le « règlement contesté »).


3      Arrêt du 13 décembre 2018, Ville de Paris, Ville de Bruxelles et Ayuntamiento de Madrid/Commission (T‑339/16, T‑352/16 et T‑391/16, ci‑après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:927).


4      Pour une description de la réglementation de l’Union encadrant la réception par type de véhicules, voir également conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire CLCV e.a. (Dispositif d’invalidation sur moteur diesel) (C‑693/18, EU:C:2020:323).


5      JO 2007, L 263, p. 1. Cette directive a été abrogée depuis lors par le règlement (UE) 2018/858 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018, relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules à moteur et de leurs remorques, ainsi que des systèmes, composants et entités techniques distinctes destinés à ces véhicules, modifiant les règlements (CE) no 715/2007 et (CE) no 595/2009 et abrogeant la directive 2007/46 (JO 2018, L 151, p. 1).


6      JO 2007, L 171, p. 1. Ce règlement, toujours en vigueur, a cependant été modifié par la suite. Le texte reproduit dans les présentes conclusions est celui en vigueur à l’époque en cause.


7      La procédure de réglementation avec contrôle est régie par l’article 5 bis de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO 1999, L 184, p. 23), telle que modifiée par la décision 2006/512/CE du Conseil, du 17 juillet 2006 (JO 2006, L 200, p. 11). Aux termes du considérant 7 bis de cette décision, « il est nécessaire de recourir à la procédure de réglementation avec contrôle pour les mesures de portée générale ayant pour objet de modifier des éléments non essentiels d’un acte adopté selon la procédure visée à l’article 251 du traité, y compris en supprimant certains de ces éléments ou en le complétant par l’ajout de nouveaux éléments non essentiels. [...] Les éléments essentiels d’un acte législatif ne peuvent être modifiés que par le législateur sur la base du traité ».


8      Règlement portant application et modification du règlement no 715/2007 (JO 2008, L 199, p. 1). Ce règlement, toujours en vigueur, a cependant été modifié par la suite. Le texte reproduit dans les présentes conclusions est celui en vigueur à l’époque en cause.


9      Voir, entre autres, Cour des comptes européenne, La réaction de l’UE au scandale du « dieselgate », document d’information, février 2019, p. 13. Pour plus de détails, voir également arrêt du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) du 25 mai 2020 (VI ZR 252/19, DE:BGH:2020:250520UVIZR252.19.0, notamment points 16 à 19).


10      Concernant la notion de « dispositif d’invalidation », voir arrêt du 17 décembre 2020, X (Dispositif d’invalidation sur moteur diesel) (C‑693/18, EU:C:2020:1040), toute une série d’autres affaires portant sur des questions similaires étant actuellement pendantes, par exemple affaire C‑128/20, GSMB Invest (JO 2020, C 271, p. 21) ; affaire C‑134/20, Volkswagen (JO 2020, C 271, p. 21), ainsi qu’affaire C‑145/20, Porsche Inter Auto et Volkswagen (JO 2020, C 279, p. 20).


11      Voir note 9 des présentes conclusions, Cour des comptes, p. 19. Voir également Commission européenne, Centre commun de recherche (JRC), Urban NO2 Atlas, 2019, section 1.


12      JO 2016, L 82, p. 1.


13      Voir point 1 de l’arrêt attaqué.


14      Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 (JO 2008, L 152, p. 1).


15      Par exemple, plus récemment, arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 42 et jurisprudence citée).


16      Voir, à titre d’exemple d’une jurisprudence abondante, arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen (C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 83 et jurisprudence citée).


17      Mise en italique par mes soins.


18      Mise en italique par mes soins.


19      C’est le cas de la plupart des versions linguistiques de la directive, y compris les versions en langues espagnole, tchèque, allemande, anglaise, italienne, portugaise, slovaque et finnoise.


20      Voir notamment considérants 3 et 4 de la directive 2007/46.


21      Point 64 de l’arrêt attaqué.


22      Point 66 de l’arrêt attaqué.


23      Voir note 14 des présentes conclusions.


24      Voir notamment points 67 à 69 de l’arrêt attaqué.


25      Voir point 47 de l’arrêt attaqué, qui renvoie, par exemple, au règlement (UE) no 167/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 5 février 2013, relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules agricoles et forestiers (JO 2013, L 60, p. 1).


26      Voir point 42 de l’arrêt attaqué.


27      Ajouter « circulation » aux cas de figure dans lesquels un véhicule peut être valablement mis sur le marché (aux côtés de son immatriculation, de sa vente ou de sa mise en service) pouvait effectivement peut-être être justifié en ce qui concerne les États membres dans lesquels un véhicule pouvait être autorisé à circuler en toute légalité sans devoir être d’abord formellement immatriculé ou vendu – voir également, pour la diversité des approches réglementaires adoptées par les États membres dans le contexte de l’assurance obligatoire de la responsabilité civile au titre de l’utilisation de véhicules à moteur, mes conclusions dans l’affaire Juliana (C‑80/17, EU:C:2018:290).


28      Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la réception des véhicules à moteur, de leurs remorques et des systèmes, composants et entités techniques destinés à ces véhicules (Refonte) [COM(2003) 418 final].


29      Cette disposition comprenait uniquement ce qui est à présent le premier alinéa de l’article 4, paragraphe 3, libellé comme suit : « Les États membres n’immatriculent ou n’autorisent la vente ou la mise en service que des véhicules, des composants et des entités techniques conformes aux exigences de la présente directive. »


30      Voir, par exemple, exposé des motifs de la proposition de directive présentée par la Commission (voir note 28 des présentes conclusions), notamment pages 2 à 5, 8 à 10 et 20.


31      Arrêt du 13 juillet 2006, Voigt (C‑83/05, EU:C:2006:468, points 17 à 20). Voir directive 70/156/CEE du Conseil, du 6 février 1970, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la réception des véhicules à moteur et de leurs remorques (JO 1970, L 42, p. 1).


32      Voir, par exemple, communication de la Commission au Parlement européen du 12 décembre 2006 [COM(2006) 809 final], déclarant que la plupart des articles avaient été reformulés dans le seul but d’en clarifier la portée ou la signification, et que les amendements étendant la portée de la directive ou « qui avaient trait à des domaines déjà couverts par d’autres législations communautaires ont été rejetés afin de ne pas créer d’incertitude juridique ».


33      Voir, par exemple, position commune adoptée par le Conseil le 11 décembre 2006 en vue de l’adoption de la directive du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, de leurs remorques et des systèmes, composants et entités techniques destinés à ces véhicules (« directive‑cadre ») (document 9911/3/06 REV 3 ADD 1), p. 7 : l’amendement de l’article 4, paragraphe 3, visait à « défini[r] les limites des interdictions, restrictions ou entraves [par les États membres] ».


34      Voir, pour comparaison, mes conclusions dans l’affaire Federatie Nederlandse Vakbeweging (C‑815/18, EU:C:2020:319, points 60 et 61).


35      Point 66 de l’arrêt attaqué.


36      Point 69 de l’arrêt attaqué (mise en italique par mes soins).


37      Point 52 de l’arrêt attaqué.


38      Arrêt du 4 juin 2009, Mickelsson et Roos (C‑142/05, EU:C:2009:336, point 28).


39      Arrêt du 10 février 2009, Commission/Italie (C‑110/05, EU:C:2009:66, points 54 à 58). Voir également arrêt du 20 mars 2014, Commission/Pologne (C‑639/11, EU:C:2014:173, point 52).


40      Voir, par exemple, Commission européenne, DG Environnement, Feasibility Study : European City Pass for Low Emission Zones, 30 janvier 2014, ainsi que Parlement européen, Département thématique des droits des citoyens et des affaires constitutionnelles, Air Quality and Urban Traffic in the EU : Best Practices and Possible Solutions, septembre 2018.


41      Voir, par analogie, arrêt du 13 juillet 2006, Voigt (C‑83/05, EU:C:2006:468).


42      Entendue comme relevant de l’article 34 TFUE en principe, mais toujours susceptible d’être justifiée par des motifs tant de protection de l’environnement que de santé publique, à condition d’être proportionnée – voir arrêts du 4 juin 2009, Mickelsson et Roos (C‑142/05, EU:C:2009:336, points 31 à 40), ainsi que du 10 février 2009, Commission/Italie (C‑110/05, EU:C:2009:66, points 59 à 69). Voir également arrêt du 21 décembre 2011, Commission/Autriche (C‑28/09, EU:C:2011:854, points 125 et 140).


43      Voir, plus en détail et avec d’autres références, mes conclusions dans l’affaire Région de Bruxelles-Capitale/Commission (C‑352/19 P, EU:C:2020:588, point 46).


44      Voir notamment arrêts du 2 mai 2006, Regione Siciliana/Commission (C‑417/04 P, EU:C:2006:282, points 23 à 32) ; du 30 avril 1998, Vlaamse Gewest/Commission (T‑214/95, EU:T:1998:77, point 29), ainsi que du 23 octobre 2002, Diputación Foral de Guipúzcoa e.a./Commission (T‑269/99, T‑271/99 et T‑272/99, EU:T:2002:258, point 41).


45      Voir point 82 de l’arrêt attaqué.


46      Voir, en ce sens, ordonnance du 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (T‑18/10, EU:T:2011:419, point 75).


47      Voir point 75 des présentes conclusions.


48      Voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1984, Commune de Differdange e.a./Commission (222/83, EU:C:1984:266, points 10 à 12), ainsi que du 27 avril 1995, CCE de Vittel e.a./Commission (T‑12/93, EU:T:1995:78, point 58). Voir également conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire A e.a. (C‑158/14, EU:C:2016:734, point 78), ainsi que mes conclusions dans l’affaire Région de Bruxelles-Capitale/Commission (C‑352/19 P, EU:C:2020:588, point 48).


49      Voir ordonnance du 19 septembre 2006, Benkö e.a./Commission (T‑122/05, EU:T:2006:262, point 64).


50      Voir, par exemple, l’insistance de la Cour sur le principe d’effectivité, qui est également d’application en ce qui concerne l’accès aux juridictions nationales de particuliers se prévalant de droits que leur confère le droit de l’Union, initialement conçu comme faisant obstacle à la simple « impossibilité » (arrêt du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral, 33/76, EU:C:1976:188, point 5), élargi par la suite de sorte à faire obstacle à l’« impossibilité ou la difficulté excessive » (arrêt du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 83), élargi ensuite encore une fois par l’ajout d’éléments de protection juridictionnelle effective en vertu de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») (arrêt du 12 juillet 2018, Banger, C‑89/17, EU:C:2018:570, point 48), et élargi très récemment à une portée plus large encore par le biais de l’article 19, paragraphe 1, TUE, dont le contenu est identique à celui de l’article 47 de la Charte, mais qui recouvre également des situations qui, à strictement parler, ne relèvent même pas du droit de l’Union au sens traditionnel [arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 143]. Ces questions sont cependant, bien entendu, d’une nature très différente – l’une étant celle de l’accès effectif aux juridictions nationales en vue de la protection de droits que le particulier tire du droit de l’Union, tandis que l’autre est celle de l’accès aux juridictions de l’Union sur le fondement de l’article 263 TFUE en vue de la protection de droits que le particulier tire du droit de l’Union.


51      Voir, entre autres, rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions – Premières perspectives en matière d’air pur [COM(2018) 446 final/2, p. 2], ainsi que communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions – Une Europe qui protège : de l’air pur pour tous [COM(2018) 330 final, point 3.1].


52      Voir note 11 des présentes conclusions.


53      Voir, entre autres, Parlement européen, rapport sur l’enquête sur la mesure des émissions dans le secteur de l’automobile [2016/2215(INI)], mars 2017, p. 29.


54      Voir par exemple, en ce qui concerne les limites d’émissions de NO2, arrêts du 24 octobre 2019, Commission/France (Dépassement des valeurs limites pour le dioxyde d’azote) (C‑636/18, EU:C:2019:900), et du 3 juin 2021, Commission/Allemagne (Valeurs limites – NO2) (C‑635/18, non publié, EU:C:2021:437). En ce qui concerne la question, y liée, des niveaux de PM10, voir arrêts du 22 février 2018, Commission/Pologne (C‑336/16, EU:C:2018:94) ; du 30 avril 2020, Commission/Roumanie (Dépassement des valeurs limites pour les PM10) (C‑638/18, non publié, EU:C:2020:334), ainsi que du 10 novembre 2020, Commission/Italie (Valeurs limites – PM10) (C‑644/18, EU:C:2020:895). Ce n’est absolument pas un hasard si la majorité des affaires dans ce domaine concerne les plus grandes agglomérations des États membres en cause.


55      Comme suggéré dans la section précédente des présentes conclusions, notamment au point 70.


56      Pour une autre illustration de la façon dont certains critères de sélection ou d’accès concernant des biens publics limités (qu’il s’agisse de la politique du logement ou de l’accès en voiture aux centres-villes) sont susceptibles d’avoir pour certains groupes d’importantes répercussions sociales, voir mes conclusions dans les affaires jointes Cali Apartments (C‑724/18 et C‑727/18, EU:C:2020:251, points 121 à 136).


57      Voir, en ce sens, arrêts du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11/82, EU:C:1985:18, points 6 à 10), ainsi que du 13 mars 2008, Commission/Infront WM (C‑125/06 P, EU:C:2008:159).


58      Il est intéressant de noter que, dans le cadre d’une récente procédure en manquement, le gouvernement allemand arguait que le dépassement des valeurs limites pour le dioxyde d’azote dans certaines zones d’Allemagne était essentiellement imputable à la Commission, dans la mesure où la Commission s’était abstenue pendant des années d’agir en vue de garantir le respect des dispositions du règlement no 715/2007 relatives aux émissions en conditions de conduite réelles. Le gouvernement allemand soutenait que l’inaction de la Commission a rendu plus difficile, voire impossible, le respect des valeurs limites fixées pour le dioxyde d’azote par la directive 2008/50. Voir arrêt du 3 juin 2021, Commission/Allemagne (Valeurs limites – NO2) (C‑635/18, non publié, EU:C:2021:437, points 22, 68, 73, 125 et 126).


59      Voir point 36 des présentes conclusions.


60      Concernant cet aspect, susceptible de se recouper avec l’intérêt à agir, voir, par exemple, arrêts du 4 juin 2015, Andechser Molkerei Scheitz/Commission (C‑682/13 P, non publié, EU:C:2015:356, point 25), ou du 23 novembre 2017, Bionorica et Diapharm/Commission (C‑596/15 P et C‑597/15 P, EU:C:2017:886, point 85). Dans ce dernier arrêt (point 115), la Cour a écarté l’existence d’un intérêt à agir concernant un requérant qui, à la date d’introduction de la procédure, n’avait pas encore produit le produit en question sous le régime législatif spécifique contesté et a déclaré l’action irrecevable.


61      Conclusions dans l’affaire Région de Bruxelles-Capitale/Commission (C‑352/19 P, EU:C:2020:588, points 46 à 63 et 129 à 147). Il est vrai que ces arguments n’ont apparemment pas réussi à convaincre la Cour et à emporter l’issue de l’affaire, arrêt du 3 décembre 2020, Région de Bruxelles-Capitale/Commission (C‑352/19 P, EU:C:2020:978). Il est cependant également vrai que la Cour n’a, en aucune manière, contredit ou écarté aucun de ces arguments, que ce soit directement ou indirectement.


62      Voir, plus en détail, mes conclusions dans l’affaire Région de Bruxelles-Capitale/Commission (C‑352/19 P, EU:C:2020:588, point 80).


63      Comme le montrent les affaires concernant le « Dieselgate » actuellement pendantes (voir note 10 des présentes conclusions), cette question occupera en toute probabilité les juridictions (de l’Union), d’une manière ou d’une autre, pendant encore plusieurs années.


64      Voir arguments développés dans mes conclusions dans l’affaire Région de Bruxelles‑Capitale/Commission (C‑352/19 P, EU:C:2020:588, points 137 à 147). Plus récemment, voir également mes conclusions dans l’affaire FBF (C‑911/19, EU:C:2021:294, point 148).


65      À titre d’exemple, voir arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a. (C‑616/17, EU:C:2019:800). Dans cette affaire, le fait que M. Blaise et d’autres personnes s’étaient introduits dans des magasins dans le département de l’Ariège (France) et avaient dégradé des bidons de désherbant contenant du glyphosate, ainsi que des vitrines, a conduit à ce que toutes ces personnes soient poursuivies au pénal pour dégradation ou détérioration du bien d’autrui. Sur renvoi préjudiciel du tribunal correctionnel de Foix (France), saisi en première instance de ces poursuites pénales, la Cour a apprécié plusieurs questions plutôt complexes concernant la validité du règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil (JO 2009, L 309, p. 1), dans le cadre de l’autorisation du glyphosate en tant que substance active. Dans le même temps, le Tribunal n’avait pas pu examiner cette même question (la prolongation de l’autorisation du glyphosate en tant que substance active) sur recours direct introduit par la Région de Bruxelles-Capitale, du fait que cette dernière n’était pas directement concernée : arrêt du 3 décembre 2020, Région de Bruxelles-Capitale/Commission (C‑352/19 P, EU:C:2020:978).


66      À titre d’autre illustration, voir arrêt du 25 juillet 2018, Confédération paysanne e.a. (C‑528/16, EU:C:2018:583), reposant sur un certain nombre de présomptions techniques factuelles qui ont été par la suite contestées par la communauté scientifique internationale. Pour un résumé (peut‑être plus neutre) de ces contestations, voir déclaration du groupe des conseillers scientifiques principaux (Commission européenne), Une perspective scientifique sur le statut réglementaire des produits dérivés de l’édition génomique et ses implications pour la directive OGM, Office des publications de l’Union européenne, 2018 (DOI 10.2777/53078).


67      Voir notamment arrêt du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission (C‑274/12 P, EU:C:2013:852, points 30 et 31).


68      Voir notamment arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, points 63 à 65).


69      Voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission (C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 31).


70      Voir notamment arrêts du 13 mars 2018, European Union Copper Task Force/Commission (C‑384/16 P, EU:C:2018:176, points 43 à 45), ainsi que du 18 octobre 2018, Internacional de Productos Metálicos/Commission (C‑145/17 P, EU:C:2018:839, points 56 et 57).


71      Conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire T&L Sugars et Sidul Açúcares/Commission (C‑456/13 P, EU:C:2014:2283, point 32).


72      Voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2014, Commission/Parlement et Conseil (C‑427/12, EU:C:2014:170, point 40) : « le législateur de l’Union dispose d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’il décide d’attribuer à la Commission un pouvoir délégué en vertu de l’article 290, paragraphe 1, TFUE ou un pouvoir d’exécution en vertu de l’article 291, paragraphe 2, TFUE ». Voir également arrêt du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil (C‑363/14, EU:C:2015:579, point 46).


73      Voir, en ce sens, arrêts du 5 septembre 2012, Parlement/Conseil (C‑355/10, EU:C:2012:516, point 67), ainsi que du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil (C‑363/14, EU:C:2015:579, point 47).


74      Voir, par analogie, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale) (C‑808/18, EU:C:2020:1029, point 112 et jurisprudence citée).


75      Les éléments essentiels d’une réglementation de base sont ceux dont l’adoption nécessite d’effectuer des choix politiques relevant des responsabilités propres du législateur de l’Union. Voir arrêt du 11 mai 2017, Dyson/Commission (C‑44/16 P, EU:C:2017:357, point 61 et jurisprudence citée).


76      Voir, récemment, arrêt du 28 mai 2020, Asociación de fabricantes de morcilla de Burgos/Commission (C‑309/19 P, EU:C:2020:401, point 10 et jurisprudence citée).


77      Voir, à titre d’exemple d’une jurisprudence abondante, arrêt du 10 mars 2021, Ertico – ITS Europe/Commission (C‑572/19 P, EU:C:2021:188, point 69 et jurisprudence citée).


78      Mentionné à la note 53 des présentes conclusions, points 6 et 9 à 11 des conclusions.


79      La réaction de l’UE au scandale du « dieselgate », mentionné à note 9 des présentes conclusions, p. 27.


80      Voir arrêt du 18 mars 2014, Commission/Parlement et Conseil (C‑427/12, EU:C:2014:170, point 16 et jurisprudence citée).