Language of document : ECLI:EU:T:2024:266

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

24 avril 2024 (*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Documents relatifs à une opération de surveillance aérienne menée par Frontex en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021 – Refus d’accès – Article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1049/2001 – Exception relative à la protection de l’intérêt public en matière de sécurité publique – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑205/22,

Marie Naass, demeurant à Berlin (Allemagne),

Sea-Watch eV, établie à Berlin,

représentées par Mes I. Van Damme et A. Matthaiou, avocates,

parties requérantes,

contre

Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), représentée par MM. R.-A. Popa et H. Caniard, en qualité d’agents, assistés de Me B. Wägenbaur, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de Mmes M. J. Costeira, présidente, M. Kancheva (rapporteure) et M. U. Öberg, juges,

greffier : M. A. Marghelis, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        la mesure d’organisation de la procédure du 19 juillet 2023 et les réponses des parties lors de l’audience du 11 octobre 2023 ;

–        la mesure d’instruction du 19 juillet 2023 et les réponses de Frontex déposées au greffe du Tribunal les 4 août et 27 octobre 2023,

à la suite de l’audience du 11 octobre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Mme Marie Naass et Sea-Watch eV, demandent l’annulation de la décision DGSC/TO/PAD‑2021‑00350 de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), du 7 février 2022, concernant une demande confirmative d’accès à des documents (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Frontex a été créée en 2004 et est actuellement régie par le règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2019, relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et abrogeant les règlements (UE) no 1052/2013 et (UE) 2016/1624 (JO 2019, L 295, p. 1).

3        Le 1er février 2018, Frontex a lancé l’opération Themis, dont la zone opérationnelle couvre la mer Méditerranée centrale, qui est axée sur la surveillance des frontières tout en incluant des activités de recherche et de sauvetage en mer. Toutes les actions menées de façon conjointe avec les États membres de l’Union européenne sont coordonnées par le Centre de coordination international (ci-après le « CCI »). Par ailleurs, cette opération comporte également une composante en matière de sécurité, qui inclut la collecte de renseignements et d’autres mesures visant, notamment, à détecter les menaces terroristes aux frontières extérieures.

4        Sea-Watch eV, est une organisation humanitaire à but non lucratif ayant son siège à Berlin (Allemagne), qui mène des opérations civiles de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale.

5        Par courriel du 21 octobre 2021 (ci-après la « demande initiale »), Mme Marie Naass, « coordinatrice pour le plaidoyer » au sein de Sea-Watch, a introduit une demande d’accès à certains documents auprès de Frontex sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43). La demande initiale contenait la liste de documents suivante :

–        1) tous les rapports d’incident grave pour le 30 juillet 2021 concernant l’opération aérienne de Frontex en Méditerranée centrale le même jour ;

–        2) le rapport quotidien du CCI en lien avec l’opération aérienne de Frontex en Méditerranée centrale du 30 juillet 2021 ;

–        3) le procès‑verbal du Bureau commun de coordination du 30 juillet 2021 concernant l’opération aérienne de Frontex en Méditerranée centrale le même jour ;

–        4) l’ensemble des rapports quotidiens du 30 juillet 2021 concernant l’opération aérienne de Frontex en Méditerranée centrale le même jour ;

–        5) toutes les communications entre l’officier aux droits fondamentaux et le directeur exécutif de Frontex portant sur tout incident survenu le 30 juillet 2021 et liées à l’opération aérienne ;

–        6) toutes les autres communications internes de Frontex (entre toutes les unités et l’ensemble du personnel) concernant l’opération aérienne en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021 ;

–        7) toutes les communications entre Frontex et les autorités libyennes, entre Frontex et les autorités italiennes et entre Frontex et les autorités maltaises relatives à l’opération aérienne en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021 ;

–        8) toutes les photographies et les vidéos relatives à l’opération aérienne en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021 ;

–        9) la liste de tous les documents disponibles liés à l’opération aérienne en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021.

6        Après que Mme Naass a fourni, le 29 octobre 2021, des précisions à la suite d’une demande en ce sens envoyée par Frontex le 25 octobre 2021, la demande d’accès aux documents PAD-2021-00300 a été enregistrée le 3 novembre 2021.

7        Par la décision TO/PAD-2021-00300 du 1er décembre 2021 (ci-après la « décision initiale »), Frontex a rejeté la demande initiale.

8        Dans la décision initiale, Frontex a indiqué qu’elle avait identifié 73 documents en sa possession correspondant aux documents mentionnés aux points 2, 3, 4, 6, 7 et 8 de la liste contenue dans la demande initiale (ci-après les « 73 documents identifiés »). Elle a également précisé ne pas avoir identifié de documents en sa possession correspondant aux documents mentionnés aux points 1, 5 et 9 de ladite liste. Selon Frontex, l’accès aux 73 documents identifiés se heurtait aux exceptions visées à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, et sous b), du règlement no 1049/2001, ainsi qu’à l’article 4, paragraphe 3, du même règlement.

9        Ainsi, s’agissant du document mentionné au point 2 de la liste contenue dans la demande initiale (« le rapport quotidien du CCI en lien avec l’opération aérienne de Frontex en Méditerranée centrale du 30 juillet 2021 »), Frontex a identifié un seul document et a considéré que l’accès à ce document se heurtait à l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001.

10      S’agissant du document mentionné au point 3 de la liste contenue dans la demande initiale (« le procès‑verbal du BCC [Bureau commun de coordination] du 30 juillet 2021 concernant l’opération aérienne de Frontex en Méditerranée centrale le même jour »), Frontex a également identifié un seul document et a considéré que l’accès à ce document se heurtait à l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001, ainsi qu’à l’exception visée à l’article 4, paragraphe 3, de ce même règlement.

11      S’agissant des documents mentionnés au point 4 de la liste contenue dans la demande initiale (« l’ensemble des rapports quotidiens du 30 juillet 2021 concernant l’opération aérienne de Frontex en Méditerranée centrale le même jour »), Frontex a identifié six documents et a considéré que l’accès à ces documents se heurtait à l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001, ainsi que, pour cinq de ces documents, à l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de ce même règlement.

12      S’agissant des documents mentionnés au point 6 de la liste contenue dans la demande initiale (« toutes les autres communications internes de Frontex [entre toutes les unités et l’ensemble du personnel] concernant l’opération aérienne en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021 »), Frontex a identifié 27 documents et a considéré que l’accès à ces documents se heurtait à l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001, ainsi qu’à l’exception tirée de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de ce même règlement.

13      S’agissant des documents mentionnés au point 7 de la liste contenue dans la demande initiale (« toutes les communications entre Frontex et les autorités libyennes, entre Frontex et les autorités italiennes et entre Frontex et les autorités maltaises relatives à l’opération aérienne en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021 »), Frontex a identifié 36 documents et a considéré que l’accès à ces documents se heurtait à l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001, mais également à l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de ce même règlement.

14      Enfin, en ce qui concerne les documents mentionnés au point 8 de la liste contenue dans la demande initiale (« toutes les photographies et les vidéos relatives à l’opération aérienne en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021»), Frontex a identifié deux documents, ainsi que des données brutes, et a considéré que l’accès à ces deux documents et auxdites données se heurtait à l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001, ainsi qu’à l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de ce même règlement.

15      En conséquence, Frontex a refusé d’accorder un accès complet aux 73 documents identifiés dans la décision initiale.

16      En outre, Frontex a refusé de procéder à une divulgation partielle de ces mêmes documents, au motif que la quantité d’informations devant être censurées serait disproportionnée par rapport aux informations résiduelles qui pourraient être divulguées et qu’un tel processus porterait atteinte au principe de bonne administration.

17      Par courriel du 13 décembre 2021, les requérantes ont déposé la demande confirmative PAD-2021-00350.

18      Par la décision attaquée, Frontex a confirmé la décision initiale du 1er décembre 2021.

 Conclusions des parties

19      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner Frontex aux dépens.

20      Frontex conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes à supporter, outre leurs propres dépens, ceux qu’elle a exposés.

 Sur la recevabilité du recours

21      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal, Frontex fait valoir que le recours est irrecevable en ce qu’il a été introduit par Mme Naass.

22      Frontex soutient ainsi que Mme Naass a introduit la demande initiale ainsi que la demande confirmative en tant que représentante légale de Sea-Watch et que cette dernière est la seule destinataire de la décision attaquée. Il s’ensuivrait que, en l’espèce, Mme Naass n’a pas qualité pour agir sur le fondement de l’article 263 TFUE.

23      À l’appui de cette affirmation, Frontex relève que Mme Naass lui a précédemment adressé des demandes d’accès aux documents sur le fondement du règlement no 1049/2001 et du règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), en se prévalant d’un mandat en ce sens signé par le président de Sea-Watch. Frontex relève que ledit mandat, daté du 8 avril 2021, est générique en ce qu’il n’est pas limité à une demande d’accès particulière et n’est pas limité dans le temps.

24      Frontex fait également valoir que Mme Naass n’a pas indiqué son adresse privée dans la demande initiale et la demande confirmative, mais l’adresse postale de Sea-Watch. En outre, il ne serait pas mentionné dans lesdites demandes que Mme Naass aurait agi non seulement en tant que représentante légale de Sea-Watch, mais également en son nom propre.

25      Par ailleurs, Frontex soutient que, contrairement à ce que font valoir les requérantes, le fait que Mme Naass ait reçu la décision attaquée en tant que représentante légale de Sea-Watch n’aurait pas pour effet de lui conférer la qualité de destinataire de ladite décision au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

26      Selon Frontex, la circonstance que Sea-Watch a qualité pour agir en l’espèce ne changerait rien au fait que le recours est irrecevable en ce qu’il a été introduit par Mme Naass.

27      Les requérantes font valoir que Mme Naass était destinataire de la décision initiale ainsi que de la décision attaquée. En conséquence, Mme Naass aurait qualité pour agir dans le cadre du présent recours, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

28      En tout état de cause, les requérantes relèvent que Frontex ne conteste pas la recevabilité du recours dans la mesure où il a été introduit par Sea-Watch. Dans une telle situation, en l’absence de motifs d’économie de procédure particuliers et conformément à une jurisprudence constante, il n’y aurait pas lieu d’examiner la qualité pour agir de Mme Naass.

29      Il convient de rappeler que, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas de cette disposition, un recours contre les actes dont elle est la destinataire ou qui la concernent directement et individuellement ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.

30      À cet égard, il convient de relever qu’il ressort tant de la décision initiale que de la décision attaquée que celles-ci ont été adressées à Mme Naass et ne contiennent aucune mention de Sea-Watch. En outre, il importe de souligner que, si Mme Naass a indiqué dans la demande initiale, ainsi que dans la demande confirmative, en sus de son adresse électronique personnelle, l’adresse postale de Sea-Watch, il ne ressort pas du contenu desdites demandes que celles-ci ont été introduites au nom ou pour le compte de Sea-Watch.

31      Il y a dès lors lieu de constater que Mme Naass est destinataire de la décision attaquée et a, par conséquent, qualité pour agir dans le cadre du présent recours en annulation sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

32      Il convient dès lors d’écarter la fin de non-recevoir soulevée par Frontex quant à l’absence de qualité pour agir de Mme Naass.

33      Par ailleurs, dans ces conditions, et conformément à une jurisprudence bien établie, s’agissant d’un seul et même recours, et en l’absence de considérations d’économie de procédure s’y opposant, il n’y a pas lieu d’examiner la qualité pour agir de Sea-Watch (voir, en ce sens, arrêts du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, EU:C:1993:111, point 31 ; du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, points 36 et 37, et du 11 décembre 2013, Cisco Systems et Messagenet/Commission, T‑79/12, EU:T:2013:635, point 40).

 Sur le fond

34      À l’appui de leur recours, les requérantes soulèvent deux moyens. Le premier moyen est tiré d’un défaut de motivation dans l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001. Le second moyen est tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001 concernant l’accès partiel aux documents demandés.

 Sur le premier moyen, tiré d’un défaut de motivation dans l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001

35      Les requérantes font valoir que, selon une jurisprudence constante, lorsqu’une institution ou un organisme de l’Union se fonde sur l’exception relative à la sécurité publique prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001 pour justifier son refus d’octroyer l’accès à un document donné, cette institution est tenue, notamment, « de fournir une motivation permettant de comprendre et de vérifier, d’une part, si le document demandé est effectivement concerné par le domaine visé par l’exception invoquée et, d’autre part, si le besoin de protection relatif à cette exception est réel ».

36      En outre, selon les requérantes, cette institution ou cet organisme est tenu d’expliquer en quoi la divulgation de ce document « pourrait porter concrètement et effectivement » atteinte à la sécurité publique. Dans ce contexte, les requérantes soutiennent que le risque associé à une telle atteinte doit être « raisonnablement prévisible et non purement hypothétique ».

37      Les requérantes font également valoir que, en vertu de l’article 114, paragraphe 2, du règlement 2019/1896, Frontex est tenue, lorsqu’elle traite des demandes d’accès à des documents qu’elle détient, de tenir compte des règles de sécurité en matière de protection des informations classifiées et des informations sensibles non classifiées qu’elle a elle-même édictées en vertu de l’article 92 de ce règlement. Or, Frontex aurait manqué à son obligation d’expliquer en quoi la décision attaquée est conforme aux règles en question.

38      Les requérantes soulignent également que, par le passé, Frontex a refusé l’accès à des documents sur la base de formulations générales qui étaient, en substance, identiques à celles contenues dans la décision initiale ainsi que dans la décision attaquée. Un tel constat démontrerait le caractère générique de la motivation adoptée par Frontex dans lesdites décisions. À cet égard, les requérantes contestent l’argument en défense de Frontex selon lequel ce sont les demandes d’accès aux documents antérieures des requérantes qui étaient génériques.

39      Dans ce contexte, selon les requérantes, les explications fournies par Frontex n’abordent pas de façon appropriée les risques associés à la divulgation de chacun des documents demandés. Frontex utiliserait, en substance, la même déclaration générale pour refuser l’accès à tout document en sa possession, indépendamment de la fonction du document ou de son contenu ainsi que de la portée de la demande, ce qui montrerait que, contrairement à ce que Frontex soutient, aucun examen individuel des documents n’a été réalisé.

40      Selon les requérantes, il en découlerait que Frontex n’a pas expliqué en quoi la divulgation des documents demandés pourrait porter « concrètement et effectivement » atteinte à la sécurité publique. Frontex n’aurait pas non plus expliqué en quoi la divulgation de documents concernant des données historiques et un évènement passé particulier constituerait un risque « raisonnablement prévisible et non purement hypothétique » pour la sécurité publique.

41      Dans ces conditions, les requérantes estiment que, sur la base de la jurisprudence, Frontex n’a pas fourni « […] une motivation permettant de comprendre et de vérifier, d’une part, si le document demandé est effectivement concerné par le domaine visé par l’exception invoquée et, d’autre part, si le besoin de protection relatif à cette exception est réel ».

42      Frontex conteste l’argumentation des requérantes.

43      Il convient de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêts du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, EU:C:2001:178, point 35, et du 26 octobre 2011, Dufour/BCE, T‑436/09, EU:T:2011:634, point 52).

44      Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences dudit article doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 27 février 2018, CEE Bankwatch Network/Commission, T‑307/16, EU:T:2018:97, point 80 et jurisprudence citée).

45      S’agissant du contexte dans lequel l’acte contesté a été adopté, lorsqu’une réponse de l’institution confirme le rejet d’une demande d’accès aux documents sur le fondement des mêmes motifs que dans la décision initiale, il convient d’examiner le caractère suffisant de la motivation à la lumière de l’ensemble des échanges ayant eu lieu entre l’institution et le demandeur en tenant compte des informations que ce dernier avait à sa disposition quant à la nature et au contenu des documents sollicités. Si le contexte dans lequel la décision a été prise peut alléger les exigences de motivation qui sont à la charge de l’institution, il peut aussi, en revanche, les accroître dans certaines circonstances. Tel est le cas lorsque, dans la demande confirmative, le requérant invoque des éléments susceptibles de remettre en cause le bien-fondé du premier refus. Dans ces circonstances, l’obligation de motivation à laquelle est tenue l’institution lui impose de répondre à une demande confirmative en indiquant les motifs pour lesquels ces éléments ne sont pas de nature à modifier sa décision. À défaut, le demandeur ne serait pas en mesure de comprendre les raisons pour lesquelles l’auteur de la réponse à la demande confirmative a décidé de maintenir les mêmes motifs pour confirmer le refus (arrêt du 6 avril 2000, Kuijer/Conseil, T‑188/98, EU:T:2000:101, points 44 à 46).

46      Lorsqu’une institution décide de refuser l’accès à un document dont la communication lui a été demandée, il lui incombe, en principe, dès lors qu’elle considère que ce document concerne un intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001, de fournir des explications quant au point de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à cet intérêt (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 49, et du 7 février 2018, Access Info Europe/Commission, T‑852/16, EU:T:2018:71, point 37).

47      Il convient toutefois de relever que, s’il incombe à l’institution de fournir des explications suffisantes quant au point de savoir de quelle manière l’accès au document en cause pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par l’exception, prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001, invoquée par cette institution, la brièveté de la motivation peut être justifiée par la nécessité de ne pas porter atteinte aux intérêts sensibles que protège notamment l’exception au droit d’accès instituée par l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001, en dévoilant des informations que cette exception vise précisément à protéger (arrêt du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 82).

48      En effet, l’institution peut ne pas être en mesure d’indiquer les raisons justifiant la confidentialité à l’égard d’un document sans divulguer le contenu de ce dernier et, partant, priver l’exception de sa finalité essentielle (arrêts du 24 mai 2011, NLG/Commission, T‑109/05 et T‑444/05, EU:T:2011:235, point 82, et du 6 septembre 2023, Foodwatch/Commission, T‑643/21, non publié, EU:T:2023:519, point 24).

49      L’institution doit donc s’abstenir de faire état d’éléments qui porteraient indirectement atteinte à l’intérêt que protège l’exception, prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001, invoquée par cette institution (arrêts du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 83, et du 6 septembre 2023, Foodwatch/Commission, T‑643/21, non publié, EU:T:2023:519, point 25).

50      C’est à la lumière des considérations exposées aux points 43 à 49 ci-dessus qu’il convient d’examiner le présent moyen.

51      À titre liminaire, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée (voir point 8 ci-dessus), Frontex a justifié le refus d’accorder un accès complet à 70 des 73 documents identifiés sur le fondement à la fois de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001 et de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de ce même règlement.

52      Il convient également de relever que Frontex a justifié le refus d’accès complet à un des trois documents restant sur le double fondement de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001 et de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 3, de ce même règlement.

53      Or, il y a lieu de constater que les requérantes n’ont présenté aucun moyen ou argument en vue de contester la motivation ou le bien-fondé de la décision attaquée en ce qu’elle a refusé l’accès complet à 70 des 73 documents identifiés sur le fondement de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001 et à un de ces 73 documents identifiés sur le fondement de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 3, de ce même règlement.

54      Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté comme inopérant en ce qui concerne le refus de Frontex d’accorder l’accès complet à ces 71 documents.

55      En revanche, le présent moyen reste opérant en ce qui concerne le refus de Frontex d’accorder un accès complet aux deux documents pour lesquels elle a fondé ledit refus uniquement sur l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, à savoir, d’une part, le document identifié comme correspondant au document mentionné au point 2 de la liste contenue dans la décision initiale, intitulé « rapport quotidien du CCI en lien avec l’opération aérienne de Frontex en Méditerranée centrale du 30 juillet 2021 » et, d’autre part, un document correspondant aux documents mentionnés au point 4 de cette même liste, intitulé « ensemble des rapports quotidiens du 30 juillet 2021 concernant l’opération aérienne de Frontex en Méditerranée centrale le même jour ».

56      À cet égard, il convient de relever que, dans la décision initiale, Frontex a refusé d’accorder un accès complet au « rapport quotidien du CCI en lien avec l’opération aérienne de Frontex en Méditerranée centrale du 30 juillet 2021 » pour les motifs suivants :

« [Ce document] contient des détails sur la zone opérationnelle d’une opération en cours qui ne peuvent pas être divulgués, car ils fourniraient des renseignements aux réseaux de contrebande et à d’autres réseaux criminels, leur permettant de modifier leur modus operandi, ce qui mettrait finalement en danger la vie des migrants. Par conséquent, le déroulement des opérations en cours et futures, de même nature, serait entravé en privant les opérations de toute stratégie et de tout élément de surprise, en faisant finalement échec à leur objectif de combattre et de prévenir la criminalité transfrontalière et les franchissements non autorisés de la frontière. Dans cette optique, la divulgation de documents contenant de telles informations porterait atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la sécurité publique au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement (CE) no 1049/2001.

Il contient également des informations concernant l’équipement technique déployé dans la zone opérationnelle par Frontex et les États membres. La divulgation de ces informations reviendrait à divulguer le type et les capacités exacts de l’équipement et permettrait à des tiers, par exemple en combinant ces informations avec d’autres sources, de tirer des conclusions concernant les positions habituelles et les schémas de mouvement. Cela ouvrirait la voie aux abus, étant donné que le nombre et les types d’équipements utilisés dans les opérations sont indicatifs de nombres et de types d’équipement similaires pour les années suivantes. La divulgation de telles informations bénéficierait ainsi à des réseaux criminels, leur permettant de modifier leur mode opératoire et, par conséquent, d’entraver le déroulement d’opérations en cours et futures de nature similaire. En fin de compte, cela ferait obstacle à la finalité de ces opérations : lutter et prévenir la criminalité transfrontalière et les franchissements non autorisés de la frontière. Dans cette optique, la divulgation d’informations concernant les équipements techniques déployés porterait atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la sécurité publique au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement (CE) no 1049/2001. »

57      Dans cette même décision initiale, Frontex a justifié le refus d’accorder un accès complet aux documents identifiés correspondant aux documents mentionnés au point 4 de la liste contenue dans la demande initiale, notamment, par la circonstance que lesdits documents contenaient des informations relatives à la zone opérationnelle et à l’équipement technique déployé, ainsi que des détails cruciaux concernant la connaissance de la situation aux frontières extérieures de l’Union, en renvoyant aux explications déjà données à cet égard dans ladite décision.

58      Dans la demande confirmative, Mme Naass a fait valoir que l’invocation par Frontex de la sécurité publique pour justifier le refus d’accès complet aux documents identifiés était insuffisamment précise et incompatible avec la jurisprudence. Mme Naass a ainsi indiqué que Frontex n’avait pas prouvé en quoi la divulgation des informations « concernant le déploiement technique » compromettrait concrètement les opérations futures, mais s’était limitée à mentionner cette possibilité sans avancer d’arguments concrets. Elle a également fait valoir que, conformément à la jurisprudence, Frontex était tenue d’expliquer en quoi le risque allégué pour la sécurité publique était prévisible et non purement hypothétique, ce qu’elle avait omis de faire en l’espèce.

59      Frontex a répondu à ces arguments dans la décision attaquée, en répétant que, de la même façon que les informations relatives aux outils et méthodes de signalement, les informations relatives aux équipements techniques déployés dans la zone opérationnelle, en elles-mêmes, mais également en lien avec d’autres sources, permettraient aux criminels d’adapter leur modus operandi en conséquence afin de contourner la surveillance des frontières dans les opérations en cours et les opérations futures ou d’infliger des dommages aux fonctionnaires et aux équipements en question. Frontex a ajouté qu’il n’était pas possible de fournir davantage d’informations sur les équipements techniques déployés dans la zone opérationnelle sans mettre en péril l’intérêt que l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001 visait spécifiquement à protéger, dès lors que la révélation de ces informations priverait cette exception de sa finalité essentielle.

60      Frontex a également renvoyé, s’agissant, plus particulièrement, du grief selon lequel elle n’aurait pas fourni d’exemple concret concernant le risque d’atteinte à la sécurité publique qu’elle invoque, aux considérations relatives aux outils et aux méthodes de signalement. Selon Frontex, ces considérations étaient en effet également valables en ce qui concerne les informations relatives aux équipements déployés.

61      À cet égard, il convient de relever que, dans la décision initiale, il était précisé que la divulgation d’informations concernant les outils et méthodes de signalement qui figurent dans les documents identifiés correspondant aux documents mentionnés au point 6 de la liste contenue dans la demande initiale mettrait en danger la mise en œuvre d’opérations en cours et d’opérations futures et faciliterait ainsi la migration irrégulière et le trafic d’êtres humains, dès lors que l’efficacité des mesures visant à faire respecter la loi serait significativement réduite.

62      Frontex a ajouté dans la décision attaquée que, eu égard à la nature des opérations menées dont la mise en œuvre suppose un certain degré de continuité, la divulgation des informations demandées nuirait, avec une probabilité vérifiable, à l’efficacité des opérations en cours et des opérations futures dans la zone considérée.

63      Il y a lieu de constater que les explications fournies par Frontex dans la décision attaquée ainsi que dans la décision initiale détaillent de façon suffisamment précise les raisons pour lesquelles la divulgation des deux documents identifiés correspondant, respectivement, au document mentionné au point 2 de la liste contenue dans la demande initiale et à l’un des documents mentionnés au point 4 de ladite liste, pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001.

64      En outre, s’il est vrai qu’une motivation commune a été retenue par Frontex pour justifier le refus d’accès complet aux deux documents en cause, il convient de relever que ces documents ont un objet similaire, en ce qu’il s’agit de rapports concernant l’opération aérienne de Frontex en Méditerranée le 30 juillet 2021. Ces documents ont donc des caractéristiques substantielles proches qui permettent de conclure, en l’absence d’élément invoqué par les requérantes démontrant la nécessité d’une motivation différenciée, que la motivation commune ainsi retenue est suffisante (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2017, Evropaïki Dynamiki/Parlement, T‑136/15, EU:T:2017:915, point 48).

65      Il découle des considérations exposées aux points 56 à 64 ci-dessus que Frontex a motivé à suffisance de droit son refus d’accorder l’accès complet aux deux documents identifiés correspondant, respectivement, au document mentionné au point 2 de la liste contenue dans la demande initiale et à l’un des documents mentionnés au point 4 de ladite liste, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001.

66      Ce constat ne saurait être remis en cause par les autres arguments avancés par les requérantes.

67      Ainsi, premièrement, en ce qui concerne l’argument des requérantes selon lequel Frontex était tenue de tenir compte dans la motivation de la décision attaquée des règles de sécurité en matière de protection des informations classifiées et des informations sensibles non classifiées qu’elle a elle-même édictées en vertu de l’article 92 du règlement 2019/1896, il convient de relever que, en vertu de l’article 114, paragraphe 1, de ce règlement, lorsque, comme en l’espèce, elle traite les demandes d’accès aux documents, Frontex est soumise au règlement no 1049/2001.

68      Les informations sollicitées par les requérantes dans le cadre de la demande d’accès ne sauraient être assimilées à celles que Frontex est tenue de communiquer au public, de sa propre initiative, concernant les questions relevant de ses tâches et de son mandat en vertu de l’article 114, paragraphe 2, du règlement 2019/1896.

69      En tout état de cause, il importe de rappeler que, si Frontex est tenue, en application de l’article 10, paragraphe 2, et de l’article 114, paragraphe 2, du règlement no 2019/1896, d’assurer une telle communication en mettant à la disposition du public, en temps opportun, des informations complètes, précises et détaillées sur ses activités, il doit être procédé à cette communication sans révéler d’informations opérationnelles qui pourraient nuire à la réalisation des objectifs des opérations si elles étaient rendues publiques.

70      Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter l’argument des requérantes en vertu duquel Frontex aurait dû tenir compte des règles de sécurité édictées visées par l’article 92 du règlement 2019/1896 lorsqu’elle a exposé les raisons pour lesquelles la demande d’accès aux documents devait être refusée sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001.

71      Deuxièmement, eu égard au constat opéré au point 65 ci-dessus, il y a lieu d’écarter l’argument des requérantes selon lequel le défaut de motivation de la décision attaquée démontrerait que Frontex n’a pas procédé à un examen individuel des documents identifiés. Par ailleurs, conformément à la jurisprudence rappelée au point 43 ci-dessus, un tel argument, qui a trait à l’appréciation du bien-fondé de ladite décision, est dénué de pertinence au soutien d’un recours tiré de la violation de l’obligation de motivation. En outre, il importe de relever que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, un prétendu défaut de motivation de la décision attaquée ne permettrait pas de conclure à l’absence d’examen individuel des documents identifiés, mais uniquement à l’impossibilité de vérifier le bien-fondé de l’appréciation de Frontex.

72      Troisièmement, il convient également d’écarter l’argument des requérantes selon lequel le caractère générique des motifs invoqués par Frontex dans la décision initiale ainsi que dans la décision attaquée serait démontré par la similarité des réponses apportées par Frontex à des demandes d’accès antérieures. En effet, il y a lieu de relever que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 44 ci-dessus, le caractère suffisant de la motivation d’un acte de l’Union doit être apprécié au regard de l’acte lui-même et du contexte dans lequel il a été adopté.

73      Quatrièmement, il y a également lieu d’écarter l’argument des requérantes selon lequel la motivation de la décision attaquée ne ferait pas état d’un risque prévisible, mais uniquement d’un risque hypothétique. Il convient en effet de relever qu’un tel argument ne vise pas le respect de l’obligation de motivation, mais le bien-fondé de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2014, Conseil/in ’t Veld, C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, point 52).

74      Eu égard aux considérations exposées aux points 43 à 73 ci-dessus, il convient de conclure que le premier moyen est dépourvu de fondement, en ce qu’il vise la violation de l’obligation de motivation de Frontex dans l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001 aux documents identifiés dans la décision initiale.

75      Toutefois, il importe de rappeler que le respect de l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qu’il appartient au juge de l’Union d’examiner d’office.

76      Il importe de souligner que, à la suite de la mesure d’instruction adoptée le 19 juillet 2023 en vertu de l’article 91, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, Frontex a transmis au Tribunal 73 documents et leurs annexes, auxquels elle a joint un tableau contenant une brève description du contenu de chacun de ces documents, ainsi que la correspondance entre lesdits documents et ceux mentionnés dans la liste contenue dans la demande initiale. Conformément à l’article 104 du règlement de procédure, ces documents n’ont pas été communiqués aux requérantes.

77      Il ressort des documents transmis par Frontex que, contrairement à ce qui est indiqué dans la décision initiale, « les photographies et les vidéos relatives à l’opération aérienne en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021 », mentionnées au point 8 de la liste contenue dans la demande initiale, ne figurent pas uniquement dans les deux documents identifiés par Frontex.

78      Le Tribunal a ainsi pu lui-même identifier de telles photographies dans 29 autres documents. Ces documents se répartissaient de la façon suivante : 2 documents identifiés comme correspondant aux documents mentionnés au point 4 de la liste contenue dans la demande initiale, 13 documents identifiés comme correspondant aux documents mentionnés au point 6 de ladite liste et 14 documents identifiés comme correspondant aux documents mentionnés au point 7 de cette même liste. Le Tribunal relève que ces documents contiennent, au total, plus d’une centaine de photographies.

79      Cependant, force est de constater que Frontex n’a pas mentionné dans la décision initiale, ni dans la décision attaquée, l’existence des photographies en question. En omettant de mentionner l’existence desdites photographies, aucune justification quant au refus d’accès n’a été communiquée aux requérantes. Il s’ensuit que la décision attaquée est, par définition, dépourvue de toute motivation permettant de comprendre de quelle manière l’accès complet auxdites photographies détenues par Frontex et identifiées par le Tribunal pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à un intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001, conformément à la jurisprudence rappelée au point 46 ci-dessus. Par conséquent, la décision attaquée doit être annulée en ce qu’elle a refusé l’accès à « toutes les photographies et les vidéos relatives à l’opération aérienne en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021 ».

 Sur le second moyen, tiré de ce que la décision attaquée enfreint l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001, en refusant l’accès partiel aux documents

80      Les requérantes font valoir que la décision attaquée enfreint l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001 au motif que Frontex a commis une erreur manifeste d’appréciation de la charge administrative susceptible de découler de la censure des documents demandés et qu’elle a, par conséquent, refusé illégalement d’octroyer un accès partiel à ces documents.

81      Ainsi, premièrement, les requérantes font valoir que, compte tenu des motifs invoqués par Frontex pour justifier le refus d’accès complet aux documents identifiés, cette agence ne saurait faire valoir que la divulgation partielle desdits documents aurait constitué une charge administrative disproportionnée. Les requérantes soulignent ainsi que les informations visées par les exceptions invoquées par Frontex au titre de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, et sous b), du règlement no 1049/2001, ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, de ce même règlement, ne concernent que quelques éléments relatifs aux équipements techniques, à la zone d’opération et à quelques détails pertinents en matière de connaissance situationnelle et d’évaluation des risques. En effet, il ne serait ni infaisable ni disproportionné d’occulter, dans une communication portant sur la seule journée du 30 juillet 2021, les coordonnées géographiques de l’opération, les références aux équipements techniques utilisés par les autorités, les références aux outils et aux méthodes de signalement et les autres détails mentionnés par Frontex. Il en irait de même quant aux documents contenant des données personnelles. Il ne ressortirait pas de la motivation de la décision attaquée que l’occultation de ces éléments pourrait représenter, après un examen concret et individuel de chaque document, une charge administrative disproportionnée.

82      Deuxièmement, les requérantes font valoir qu’il n’appartient pas à Frontex d’apprécier si les parties des documents qui pourraient être divulguées sont utiles ou non aux requérantes. Frontex devrait ainsi uniquement apprécier si la censure d’informations sensibles est disproportionnée par rapport à l’intérêt pour le public d’obtenir un accès partiel à ces documents. Les requérantes soulignent que, bien que Frontex estime avoir « à bon droit, mis en balance tous les intérêts », cette agence n’était pas en mesure d’apprécier pleinement leurs intérêts et qu’elle ne pouvait donc pas conclure qu’un accès partiel serait dénué de sens au motif que les parties des documents qui pouvaient être divulguées ne seraient d’aucune utilité pour les requérantes.

83      Frontex conteste l’argumentation des requérantes.

84      À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001, si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs des exceptions visées au même article, les autres parties du document sont divulguées.

85      Il résulte des termes mêmes de l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001 qu’une institution est tenue d’examiner s’il convient d’accorder un accès partiel aux documents visés par une demande d’accès, en limitant un refus éventuel aux seules données couvertes par les exceptions visées. L’institution doit accorder un tel accès partiel si le but poursuivi par cette institution, lorsqu’elle refuse l’accès au document, peut être atteint dans l’hypothèse où cette institution se limiterait à occulter les passages qui peuvent porter atteinte à l’intérêt public protégé (voir arrêts du 7 février 2018, Access Info Europe/Commission, T‑851/16, EU:T:2018:69, point 118 et jurisprudence citée, et du 7 février 2018, Access Info Europe/Commission, T‑852/16, EU:T:2018:71, point 111 et jurisprudence citée).

86      Par ailleurs, cette disposition implique un examen concret et individuel du contenu de chaque document. En effet, seul un tel examen peut permettre à l’institution d’apprécier la possibilité d’accorder un accès partiel au demandeur. Une appréciation qui serait réalisée par catégories plutôt que par rapport aux éléments d’informations concrets contenus dans ces documents s’avère en principe insuffisante, dès lors que l’examen requis de la part de l’institution doit lui permettre d’apprécier concrètement si une exception invoquée s’applique réellement à l’ensemble des informations contenues dans lesdits documents (voir, en ce sens, arrêts du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190, point 117, et du 23 septembre 2015, ClientEarth et International Chemical Secretariat/ECHA, T‑245/11, EU:T:2015:675, point 230).

87      À cet égard, l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001, tout comme le règlement dans son ensemble, n’exige pas que le demandeur de documents démontre que le document demandé lui est « utile ». En toute hypothèse, de plus, la détermination de ce qui est utile ou non pour le demandeur ne saurait appartenir à l’institution qui doit répondre à sa demande. Par ailleurs, cette disposition ne saurait être interprétée de telle manière qu’elle revienne à dispenser l’institution concernée d’une obligation, la divulgation des parties du document, non visées par les exceptions prévues par le règlement no 1049/2001, qui y est expressément envisagée (voir arrêt du 5 décembre 2018, Falcon Technologies International/Commission, T‑875/16, non publié, EU:T:2018:877, points 98 et 102 et jurisprudence citée).

88      Il convient cependant de tenir compte de la possibilité qu’un demandeur présente, sur le fondement du règlement no 1049/2001, une demande d’accès portant sur un nombre manifestement déraisonnable de documents, le cas échéant pour des motifs futiles, et impose ainsi, du fait du traitement de sa demande, une charge de travail qui serait susceptible de paralyser de façon très substantielle le bon fonctionnement de l’institution (arrêt du 10 septembre 2008, Williams/Commission, T‑42/05, non publié, EU:T:2008:325, point 85 ; voir, également, arrêt du 15 mars 2023, Basaglia/Commission, T‑597/21, non publié, EU:T:2023:133, point 51 et jurisprudence citée).

89      C’est pourquoi, selon la jurisprudence, il découle du principe de proportionnalité que les institutions peuvent, dans des cas particuliers où le volume des documents auxquels l’accès est demandé ou celui des passages à censurer entraînerait une tâche administrative inappropriée, mettre en balance, d’une part, l’intérêt de l’accès du public aux documents et, d’autre part, la charge de travail qui découlerait du traitement de la demande d’accès afin de sauvegarder l’intérêt d’une bonne administration (voir arrêt du 15 mars 2023, Basaglia/Commission, T‑597/21, non publié, EU:T:2023:133, point 52 et jurisprudence citée).

90      En l’espèce, il convient de relever que, dans la décision initiale, Frontex a motivé le refus d’accorder un accès partiel aux documents identifiés de la façon suivante :

« [l’occultation des données couvertes par les exceptions visées par l’article 4, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001] serait disproportionnée par rapport aux parties qui peuvent être divulguées, ce qui porterait atteinte au principe de bonne administration. Plus précisément, la charge administrative que représenteraient l’identification des éléments pouvant être divulgués et la censure serait disproportionnée par rapport à l’intérêt que présente l’exercice de divulgation lui‑même, alors que les documents divulgués n’auraient aucune valeur informative sous cette forme considérablement réduite. »

91      Dans la décision attaquée, Frontex a ajouté qu’elle « a[vait], à bon droit, mis en balance tous les intérêts et conclu que “la charge administrative que représenterait le fait de masquer les parties qui ne peuvent pas être [divulguées] s’avère particulièrement lourde, excédant ainsi les limites de ce qui peut raisonnablement être requis” » et que « [c]ette observation v[enait] s’ajouter au fait qu’un “accès partiel serait dénué de sens, car les parties des documents qui pourraient être divulguées ne seraient d’aucune utilité” ».

92      Force est de constater qu’il ressort de la décision attaquée, lue conjointement avec la décision initiale, que Frontex n’a pas justifié le refus d’accorder un accès partiel aux documents identifiés par des arguments relatifs au volume desdits documents, mais par référence au volume important des passages de ces documents devant être occultés par rapport à celui des passages de ces mêmes documents susceptibles d’être divulgués en considérant que, en l’espèce, une telle occultation serait à la fois particulièrement lourde et dépourvue d’utilité, ce qui porterait atteinte au principe de bonne administration.

93      Les requérantes soutiennent que, contrairement à ce que fait valoir Frontex dans la décision attaquée, le fait d’occulter les informations concernées par les exceptions tirées de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, et sous b), du règlement no 1049/2001, ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, de ce même règlement, ne représenterait pas une tâche administrative disproportionnée par rapport à l’intérêt du public à avoir accès aux documents demandés, qui serait ici de s’assurer que Frontex et les autorités de certains États membres n’ont pas participé à une violation éventuelle ou à un contournement éventuel des obligations découlant, au niveau international et au niveau de l’Union, du principe de non‑refoulement en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021. Elles invitent le Tribunal à vérifier par lui-même si la censure des informations visées par les exceptions tirées de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, et sous b), du règlement no 1049/2001, ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, de ce même règlement, impliquait une charge administrative disproportionnée en ordonnant la production des documents demandés.

94      À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que, si les requérantes ne contestent pas que Frontex peut mettre en balance l’intérêt public d’une bonne administration avec l’intérêt du public à avoir accès aux documents aux fins de décider s’il convient d’accorder un accès partiel aux documents demandés, elles assimilent, à tort, l’intérêt du public à avoir accès aux documents, à leur intérêt particulier à avoir accès aux documents demandés en l’espèce. En effet, conformément à la jurisprudence rappelée au point 87 ci-dessus, il n’appartient pas à l’institution de déterminer ce qui serait utile ou non au demandeur. Il s’ensuit que, en l’espèce, Frontex n’était pas tenue de tenir compte de l’utilité des documents demandés pour les requérantes dans le cadre de la mise en balance de l’intérêt public à la bonne administration et de l’intérêt du public à l’accès aux documents.

95      En deuxième lieu, il convient de rappeler que, lorsque la partie requérante met en cause la légalité d’une décision lui refusant l’accès à un document en application de l’une des exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001, en alléguant que l’exception invoquée par l’institution concernée n’était pas applicable au document sollicité, le Tribunal est tenu, en principe, d’ordonner la production de ce document et d’examiner celui-ci, dans le respect de la protection juridictionnelle de ladite partie. En effet, faute d’avoir lui-même consulté ledit document, le Tribunal ne serait pas en mesure d’apprécier in concreto si son accès pouvait valablement être refusé par ladite institution sur le fondement de l’exception invoquée et, par voie de conséquence, d’apprécier la légalité d’une décision refusant l’accès, même partiel, audit document (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2013, Jurašinović/Conseil, C‑576/12 P, EU:C:2013:777, point 27 et jurisprudence citée).

96      Toutefois, force est de constater que, dans le présent recours, les requérantes n’ont pas avancé de moyen visant à remettre en cause l’applicabilité aux documents demandés des exceptions invoquées par Frontex dans la décision attaquée, tirées de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, et sous b), du règlement no 1049/2001, ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, de ce même règlement. Les requérantes se sont en effet bornées à soulever un moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation dans l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, du règlement no 1049/2001. Dans ces conditions, les requérantes ne sauraient exiger que le Tribunal examine le bien-fondé de la décision attaquée en ce que celle-ci a refusé de leur accorder un accès partiel aux documents demandés. En effet, un tel examen impliquerait nécessairement que le Tribunal vérifie d’office l’applicabilité des exceptions invoquées par Frontex dans la décision attaquée aux documents demandés, alors même que les requérantes ont fait le choix de ne pas contester cette applicabilité dans le cadre du présent litige.

97      En troisième lieu, et en tout état de cause, le Tribunal constate qu’il ressort des documents produits par Frontex à la suite de la mesure d’instruction du 19 juillet 2023 que, d’une part, les informations qu’ils contiennent sont, dans leur quasi-totalité, de nature à relever des trois exceptions invoquées par Frontex, à savoir celles visées par l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, et sous b), et par l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001, dont l’applicabilité à ce type d’informations n’a pas été contestée par les requérantes dans le cadre du présent recours et, d’autre part, lesdites informations y sont présentées sous forme de graphiques, de cartes, de coordonnées géographiques, de tableaux de caractéristiques techniques. Il s’ensuit que l’occultation des informations en question, à la supposée fondée, aurait conduit à rendre les documents produits par Frontex, pour l’essentiel, inintelligibles.

98      Dans ces conditions, le Tribunal considère que c’est à juste titre que Frontex a estimé que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 89 ci-dessus, la divulgation partielle des documents demandés représentait en l’espèce une charge administrative disproportionnée.

99      Eu égard aux considérations exposées aux points 84 à 98 ci-dessus, il y a lieu de rejeter le second moyen comme non fondé.

100    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient, d’une part, d’accueillir partiellement le recours à l’encontre de la décision attaquée en ce que celle-ci a refusé l’accès à « toutes les photographies et les vidéos relatives à l’opération aérienne en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021 » et, d’autre part, de rejeter le recours pour le surplus.

 Sur les dépens

101    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie. En l’espèce, il y a lieu de décider que les requérantes supporteront, outre leurs propres dépens, la moitié des dépens de Frontex. Frontex supportera la moitié de ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision DGSC/TO/PAD202100350 de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), du 7 février 2022, est annulée en ce qu’elle a refusé l’accès à « toutes les photographies et les vidéos relatives à l’opération aérienne en Méditerranée centrale le 30 juillet 2021 ».

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Marie Naass et Sea-Watch eV supporteront, outre leurs propres dépens, la moitié des dépens exposés par Frontex.

4)      Frontex supportera la moitié de ses propres dépens.

Costeira

Kancheva

Öberg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 avril 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.