Language of document : ECLI:EU:T:2011:9

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

18 janvier 2011 (*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Demande de marque communautaire verbale VOGUE – Marque nationale verbale antérieure VOGUE Portugal – Absence d’usage sérieux de la marque antérieure – Article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) n° 40/94 [devenu article 42, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) n° 207/2009] »

Dans l’affaire T‑382/08,

Advance Magazine Publishers, Inc., établie à New York (États-Unis), représentée par MM. Esteve Sanz, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI ayant été

J. Capela & Irmãos, Lda, établie à Porto (Portugal),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’OHMI du 30 juin 2008 (affaire R 328/2003-2), relative à une procédure d’opposition entre J. Capela & Irmãos, Lda et Advance Magazine Publishers, Inc.,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de Mme I. Wiszniewska-Białecka, président, MM. F. Dehousse et H. Kanninen (rapporteur), juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 10 septembre 2008,

vu le mémoire en réponse de l’OHMI déposé au greffe du Tribunal le 16 décembre 2008,

à la suite de l’audience du 18 mai 2010,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 1er avril 1996, la requérante, Advance Magazine Publishers, Inc., a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal VOGUE.

3        Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 9, 14, 16, 25 et 41 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 9 : « Logiciels ; CD-ROM ; cassettes audio et vidéo ; publications électroniques, optiques et numériques ; appareils et produits optiques y compris lunetterie – lunettes et lunettes de soleil » ;

–        classe 14 : « Joaillerie, instruments d’horlogerie » ;

–        classe 16 : « Produits de l’imprimerie (magazines, bulletins et livres ; programmes informatiques) ; produits en papier (affiches, patrons en papier) » ;

–        classe 25 : « Vêtements » ;

–        classe 41 : « Services d’information et de divertissement électroniques accessibles via réseaux informatiques globaux ou non ».

4        La demande de marque communautaire a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 72/1999, du 13 septembre 1999.

5        Le 10 décembre 1999, l’opposante, J. Capela & Irmãos, Lda, a formé opposition au titre de l’article 42 du règlement n° 40/94 (devenu article 41 du règlement n° 207/2009), à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits relevant de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice.

6        L’opposition était fondée sur :

–        la marque nationale verbale VOGUE Portugal, faisant l’objet de l’enregistrement portugais n° 143183, désignant des produits relevant de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice et correspondant à la description suivante : « Chaussures » ;

–        le nom commercial VOGUE – SAPATARIA, faisant l’objet de l’enregistrement portugais n° 32046.

7        Les motifs invoqués à l’appui de l’opposition étaient ceux visés à l’article 8, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 4, du règlement n° 40/94 [devenus, respectivement, article 8, paragraphe 1, sous b), et article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009].

8        Le 27 novembre 2000, la requérante a demandé que, conformément à l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94 (devenu article 42, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 207/2009), l’opposante apporte la preuve que la marque antérieure avait fait l’objet d’un usage sérieux.

9        Le 31 janvier 2003, la division d’opposition a fait droit à l’opposition et a, en conséquence, rejeté la demande d’enregistrement de la marque demandée. Elle a considéré que les éléments produits par l’opposante en vue de prouver l’usage sérieux de la marque antérieure étaient suffisants. Elle a relevé que le mot « Portugal » avait été inclus dans la marque antérieure en vertu d’une ancienne règle du droit portugais qui n’était plus en vigueur et que les marques pouvaient désormais être utilisées sans cette mention. Elle a dès lors conclu que les marques en cause étaient identiques. Elle a, en outre, estimé que les produits étaient similaires, car destinés à être portés aussi bien en guise de protection que d’articles de mode. Il existait par conséquent, selon la division d’opposition, un risque de confusion entre les marques en conflit dans l’esprit du public pertinent au Portugal.

10      Le 31 mars 2003, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 57 à 62 du règlement n° 40/94 (devenus articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009), contre la décision de la division d’opposition.

11      Le 2 juin 2003, la requérante a déposé un mémoire exposant les motifs de son recours, en vertu de l’article 59 du règlement n° 40/94 (devenu article 60 du règlement n° 207/2009). Elle y faisait valoir, notamment, qu’elle était titulaire de l’enregistrement international portant le numéro 158005 pour la marque verbale VOGUE, qui produit ses effets au Portugal, que cette marque avait été enregistrée le 3 décembre 1951, notamment pour des « vêtements confectionnés en tous genres ; lingerie de corps » relevant de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice, et que ladite marque était, dès lors, antérieure à la marque prétendument antérieure de l’opposante.

12      Par décision du 27 septembre 2004 (ci-après la « décision de 2004 »), la deuxième chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours de la requérante. Elle a considéré que l’argument relatif à l’enregistrement international de la marque VOGUE visant le Portugal était irrecevable au motif qu’il n’avait pas été soulevé devant la division d’opposition et que l’existence de cette marque n’avait pas même été mentionnée devant celle-ci. En outre, elle a estimé que les marques en cause étant identiques et les produits similaires, il existait au Portugal un risque de confusion en ce qui concerne les signes en conflit.

13      Le 10 décembre 2004, la requérante a introduit devant le Tribunal un recours contre la décision de 2004, enregistré sous la référence T‑481/04. À l’appui de son recours, la requérante a invoqué, en substance, quatre moyens, tirés, respectivement, de la violation de l’obligation de la chambre de recours d’examiner les éléments avancés pour la première fois devant elle, de la violation de l’obligation de la chambre de recours de réexaminer l’intégralité de l’affaire, de l’insuffisance de la preuve de l’usage et, enfin, de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

14      Par arrêt du 4 octobre 2007, Advance Magazine Publishers/OHMI – Capela & Irmãos (VOGUE) (T‑481/04, non publié au Recueil), le Tribunal a accueilli le premier moyen et a annulé la décision de 2004, sans se prononcer sur les autres moyens du recours. En substance, le Tribunal a considéré que la chambre de recours avait, par la décision de 2004, méconnu l’article 74, paragraphe 2, du règlement n° 40/94 (devenu article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009), en s’estimant à tort dépourvue de tout pouvoir d’appréciation quant à la prise en compte éventuelle des faits et des preuves tardivement présentés aux fins de la décision qu’elle était appelée à prendre.

15      Par décision du 30 avril 2008, le présidium des chambres de recours de l’OHMI a réattribué l’affaire à la deuxième chambre de recours.

16      Par décision du 30 juin 2008 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours de la requérante. En substance, la deuxième chambre de recours a tout d’abord considéré, d’une part, que les documents produits pour la première fois au stade du recours devant la chambre de recours par la requérante étaient peu susceptibles de revêtir une pertinence quant au sort de l’opposition et, d’autre part, que le stade de la procédure auquel était intervenue cette production et les circonstances qui l’avaient entourée s’opposaient à la prise en compte desdits documents. Elle a ensuite estimé que la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure avait été examinée de manière approfondie par la division d’opposition, laquelle avait considéré cette preuve suffisante. La chambre de recours a enfin confirmé les conclusions de la division d’opposition selon lesquelles, compte tenu de l’identité des marques et de la similitude des produits, il existait un risque de confusion au Portugal en ce qui concerne les signes en cause.

 Conclusions des parties

17      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        réformer la décision attaquée de sorte que le recours formé par la requérante soit accueilli, que l’opposition soit rejetée et qu’il soit fait droit à l’enregistrement de la marque demandée ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI et, le cas échéant, l’opposante aux dépens se rapportant à la présente procédure ainsi qu’à la procédure de recours devant l’OHMI.

18      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

19      À l’appui du recours, la requérante invoque trois moyens, tirés de la violation, en premier lieu, de l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94 et de la règle 22 du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1), en deuxième lieu, de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 et, en troisième lieu, de l’article 61, paragraphe 1, et de l’article 62, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 (devenus, respectivement, article 63, paragraphe 1, et article 64, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009).

20      S’agissant du premier moyen, la requérante soutient que les éléments fournis par l’opposante devant l’OHMI ne démontrent pas l’usage sérieux de la marque antérieure VOGUE au sens de l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94 et de la règle 22 du règlement n° 2868/95.

21      L’opposante n’aurait fourni aucune preuve établissant que la marque antérieure a été utilisée sur le marché, publiquement et vers l’extérieur, ni que les chaussures désignées par cette marque ont été proposées à des consommateurs ou à des utilisateurs finaux. L’opposante n’aurait pas davantage rapporté la preuve de l’étendue et du lieu de l’usage de la marque antérieure.

22      L’insuffisance des éléments de preuve de l’usage de la marque antérieure rapportés par l’opposante aurait d’ailleurs conduit la division d’opposition et la chambre de recours à fonder leurs décisions sur des probabilités ou des suppositions. Or, la requérante fait valoir que, de façon constante, le Tribunal décide que l’usage sérieux d’une marque ne saurait être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné.

23      L’OHMI conteste les arguments de la requérante.

24      Il résulte du neuvième considérant du règlement n° 40/94 (devenu considérant 10 du règlement n° 207/2009) que le législateur a estimé que la protection de la marque antérieure n’était justifiée que dans la mesure où celle-ci était effectivement utilisée. En conformité avec ce considérant, l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94 prévoit que le demandeur d’une marque communautaire peut requérir la preuve que la marque antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux sur le territoire sur lequel elle est protégée au cours des cinq années qui précèdent la publication de la demande de marque ayant fait l’objet d’une opposition [arrêts du Tribunal du 12 décembre 2002, Kabushiki Kaisha Fernandes/OHMI – Harrison (HIWATT), T‑39/01, Rec. p. II‑5233, point 34, et du 27 septembre 2007, La Mer Technology/OHMI – Laboratoires Goëmar (LA MER), T‑418/03, non publié au Recueil, point 51].

25      En vertu de la règle 22, paragraphe 3, du règlement n° 2868/95, tel que modifié, la preuve de l’usage doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque antérieure.

26      Selon une jurisprudence constante, il ressort de l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94, lu à la lumière du neuvième considérant dudit règlement, et de la règle 22, paragraphe 3, du règlement n° 2868/95, tel que modifié, que la ratio legis de l’exigence selon laquelle la marque antérieure doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux pour être opposable à une demande de marque communautaire consiste à limiter les conflits entre deux marques, pour autant qu’il n’existe pas de juste motif économique découlant d’une fonction effective de la marque sur le marché [voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba (VITAFRUIT), T‑203/02, Rec. p. II‑2811, points 36 à 38, et du 30 novembre 2009, Esber/OHMI – Coloris Global Coloring Concept (COLORIS), T‑353/07, non publié au Recueil, point 20].

27      Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, Rec. p. I‑2439, point 43 ; voir, également, arrêt COLORIS, précité, point 21). De plus, la condition relative à l’usage sérieux de la marque exige que celle-ci, telle que protégée sur le territoire pertinent, soit utilisée publiquement et vers l’extérieur (arrêt VITAFRUIT, précité, point 39, et arrêt COLORIS, précité, point 21).

28      L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque (arrêt VITAFRUIT, précité, point 40, et arrêt COLORIS, précité, point 22).

29      Quant à l’importance de l’usage qui a été fait de la marque antérieure, il convient de tenir compte, notamment, du volume commercial de l’ensemble des actes d’usage, d’une part, et de la durée de la période pendant laquelle des actes d’usage ont été accomplis ainsi que de la fréquence de ces actes, d’autre part [arrêts du Tribunal VITAFRUIT, précité, point 41, et du 8 juillet 2004, MFE Marienfelde/OHMI – Vétoquinol (HIPOVITON), T‑334/01, Rec. p. II‑2787, point 35].

30      Pour examiner le caractère sérieux de l’usage d’une marque antérieure, il convient de procéder à une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. Cette appréciation implique une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte. Ainsi, un faible volume de produits commercialisés sous ladite marque peut être compensé par une forte intensité ou une certaine constance dans le temps de l’usage de cette marque et inversement. En outre, le chiffre d’affaires réalisé ainsi que la quantité de ventes de produits sous la marque antérieure ne sauraient être appréciés dans l’absolu, mais doivent l’être en rapport avec d’autres facteurs pertinents, tels que le volume de l’activité commerciale, les capacités de production ou de commercialisation ou le degré de diversification de l’entreprise exploitant la marque ainsi que les caractéristiques des produits ou des services sur le marché concerné. De ce fait, il n’est pas nécessaire que l’usage de la marque antérieure soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux (arrêt HIPOVITON, précité, point 36 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt Ansul, précité, point 39).

31      Toutefois, plus le volume commercial de l’exploitation de la marque est limité, plus il est nécessaire que la partie ayant formé l’opposition apporte des indications supplémentaires permettant d’écarter d’éventuels doutes quant au caractère sérieux de l’usage de la marque concernée (arrêt HIPOVITON, précité, point 37).

32      En outre, l’usage sérieux d’une marque ne peut être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné [arrêts du Tribunal du 6 octobre 2004, Vitakraft-Werke Wührmann/OHMI – Krafft (VITAKRAFT), T‑356/02, Rec. p. II‑3445, point 28, et COLORIS, précité, point 24].

33      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner si c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré que l’opposante avait rapporté la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure.

34      À titre liminaire, il convient d’observer que la requérante ne conteste pas, dans le recours, l’utilisation de la marque antérieure par l’opposante sous une forme (VOGUE) qui diffère de celle sous laquelle celle-ci a été enregistrée (VOGUE Portugal).

35      Il y a lieu de rappeler, ensuite, que l’opposante était appelée à démontrer l’usage au Portugal, durant la période s’étendant du 13 septembre 1994 au 12 septembre 1999 (ci-après la « période pertinente ») – la demande de marque communautaire ayant été publiée le 13 septembre 1999 –, de la marque antérieure concernant les « chaussures » relevant de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice.

36      Il ressort, en outre, de l’analyse de la documentation contenue dans le dossier de l’OHMI transmis au Tribunal, que les preuves produites par l’opposante en vue d’établir l’usage sérieux de la marque antérieure sont :

–        des déclarations provenant de quinze fabricants de chaussures ;

–        une déclaration du « managing partner » de l’opposante datée du 12 septembre 2001 ;

–        des copies de quelque 670 factures adressées à l’opposante par des fabricants de chaussures ;

–        35 photographies de modèles de chaussures portant la marque VOGUE ;

–        12 semelles intérieures de chaussures portant la marque VOGUE ;

–        des photographies de magasins portant le nom commercial VOGUE ;

–        des copies de répertoires téléphoniques couvrant la période 1999-2000, mentionnant deux magasins situés à Porto (Portugal) avec indication de l’expression « sapataria vogue ».

37      Dans sa décision du 31 janvier 2003, la division d’opposition a conclu que l’opposante avait fait un usage sérieux de la marque antérieure, sur la base de considérations rédigées comme suit :

« Bien que les factures fournies ne comportent pas la marque VOGUE et ne prouvent pas que l’opposante vendait effectivement les chaussures sous sa marque, il est très improbable, compte tenu des déclarations des fabricants de chaussures et du nombre de factures qu’ils avaient adressées à l’opposante pour les chaussures fabriquées, que cette dernière n’ait pas vendu ces chaussures. On ne peut pas raisonnablement penser que l’opposante aurait stocké pendant des années cette quantité de chaussures sans les proposer effectivement au public, d’autant plus que l’opposante avait joint aux preuves de l’usage de son nom commercial les photos de ses magasins de chaussures de marque VOGUE, dans lesquels ses chaussures de marque VOGUE sont vraisemblablement vendues directement aux consommateurs finaux sans intermédiaire. Cela explique probablement l’absence de factures. Les photographies de 35 modèles de chaussures différents et les échantillons de 12 semelles différentes permettent également de raisonnablement supposer que la marque VOGUE fait l’objet d’un usage sérieux, puisqu’il est peu probable qu’une personne fabriquerait autant de modèles de chaussures différents pour en faire un simple usage symbolique. »

38      Dans la décision attaquée, la chambre de recours ne mentionne pas spécifiquement les documents sur lesquels elle se fonde pour déterminer l’usage sérieux de la marque antérieure durant la période pertinente. Après avoir affirmé que « [l]a preuve de l’usage et les arguments des parties à cet égard ont été examinés de manière approfondie par la division d’opposition », la chambre de recours se borne à confirmer le raisonnement et les constatations de la division d’opposition. C’est donc sur la base des considérations de la décision de la division d’opposition que doit s’opérer l’analyse des preuves de l’usage sérieux [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 avril 2008, Rykiel création et diffusion de modèles/OHMI – Cuadrado (SONIA SONIA RYKIEL), T‑131/06, non publié au Recueil, point 45].

39      À cet égard, il convient de constater que, en tant qu’il repose sur les considérations exposées au point 37 ci-dessus, le raisonnement de la division d’opposition, confirmé par la chambre de recours, est fondé sur des présomptions et des suppositions, comme en témoignent les expressions « il est très improbable », « on ne peut pas raisonnablement penser », « vraisemblablement », « probablement », « permettent [...] de raisonnablement supposer » ou « peu probable », employées dans la décision de la division d’opposition.

40      Or, comme il a déjà été mentionné au point 32 ci-dessus, il n’est pas suffisant que l’usage sérieux de la marque apparaisse probable ou crédible, encore faut-il qu’une preuve de cet usage soit rapportée (voir, en ce sens, arrêt VITAKRAFT, précité, point 33).

41      En vue de prouver l’usage sérieux de la marque antérieure, l’opposante a fourni, devant l’OHMI, des déclarations individuelles de quinze fabricants de chaussures situés au Portugal, desquelles ils ressort que des chaussures portant la marque VOGUE ont été fabriquées pour le compte de l’opposante, et ce durant plusieurs années, lesquelles couvrent, pour une majorité de fabricants, la totalité de la période pertinente. En outre, selon la déclaration du « managing partner » de l’opposante, les produits commercialisés dans les magasins de chaussures portant le nom VOGUE sont exclusivement des produits portugais de la marque VOGUE.

42      Ainsi, les déclarations des fabricants de chaussures et du « managing partner » de l’opposante contiennent des indications sur l’usage de la marque antérieure, relatives à la durée (période pertinente), au lieu (Portugal) et à la nature des produits désignés par la marque antérieure (chaussures).

43      Toutefois, à supposer que les déclarations des fabricants de chaussures, de même que celle du « managing partner » de l’opposante, soient considérées comme faisant partie des moyens de preuve envisagés par l’article 76, paragraphe 1, sous f), du règlement n° 40/94 [devenu article 78, paragraphe 1, sous f), du règlement n° 207/2009], comme soutenu par l’OHMI à l’audience, ce que ni la division d’opposition ni la chambre de recours n’ont examiné, il est de jurisprudence constante que, même pour apprécier la valeur probante de « déclarations écrites faites sous serment ou solennellement ou qui ont un effet équivalent d’après la législation de l’État dans lequel elles sont faites », il y a lieu de vérifier la vraisemblance et la véracité de l’information qui y est contenue en tenant compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et de se demander si, d’après son contenu, ledit document semble sensé et fiable [voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 16 décembre 2008, Deichmann-Schuhe/OHMI – Design for Woman (DEITECH), T‑86/07, non publié au Recueil, point 47, et du 13 mai 2009, Schuhpark Fascies/OHMI – Leder & Schuh (jello SCHUHPARK), T‑183/08, non publié au Recueil, point 38].

44      À cet égard, il y a lieu de relever que, même s’ils entretiennent des relations commerciales avec l’opposante, les fabricants de chaussures sont des sociétés extérieures à celle-ci, tandis que le « managing partner » est un cadre de l’opposante. Il convient dès lors de considérer que, compte tenu des liens qui unissent le « managing partner » à l’opposante, la déclaration de celui-ci présente une valeur probante de moindre importance que celle des déclarations des fabricants.

45      En tout état de cause, il y a lieu de relever que ni les déclarations des quinze fabricants de chaussures ni celle du « managing partner » ne font mention d’indications relatives à l’importance de l’usage. Dans ces conditions, ces déclarations ne sauraient constituer, à elles seules, une preuve suffisante de l’usage sérieux de la marque antérieure.

46      Les éléments complémentaires versés au dossier par l’opposante étaient, notamment, des photographies de modèles de chaussures portant la marque VOGUE et des semelles de chaussures portant la marque VOGUE. Même si ces éléments peuvent avoir pour effet de corroborer la « nature » (chaussures) de l’usage de la marque antérieure, ils n’apportent en revanche aucun élément permettant de corroborer le lieu, la durée ou l’importance de l’usage, ainsi que l’exige la règle 22, paragraphe 3, du règlement n° 2868/95.

47      S’agissant des photographies de magasins de chaussures portant le nom VOGUE et des copies de répertoires téléphoniques couvrant la période 1999-2000, lesquelles mentionnent deux magasins situés à Porto avec indication de l’expression « sapataria vogue », force est de constater que ces éléments ne corroborent ni la nature, ni la durée, ni l’importance, ni même le lieu de l’usage de la marque. En effet, il ne résulte d’aucun de ces éléments avancés par l’opposante en vue de prouver l’usage sérieux de la marque antérieure que lesdits magasins commercialisaient des chaussures portant la marque antérieure. Les photographies de magasins portant le nom VOGUE ne font pas apparaître que les chaussures exposées en vitrine sont des chaussures portant la marque antérieure. Il ne résulte pas non plus de ces photographies une indication de l’existence d’une marque maison pour des chaussures, permettant de corroborer ainsi la déclaration du « managing partner » de l’opposante (voir, en ce sens, arrêt jello SCHUHPARK, précité, point 31). Il convient d’ajouter à cet égard que, en l’espèce, l’utilisation du mot « vogue » comme dénomination sociale ne peut être considérée comme un usage de celui-ci en tant que marque pour identifier les produits visés par l’enregistrement portugais (voir, en ce sens, arrêt HIWATT, précité, point 44).

48      Quant aux copies des quelque 670 factures adressées à l’opposante par des fabricants de chaussures et couvrant l’ensemble de la période pertinente, il y a lieu de constater, comme l’a relevé la division d’opposition, qu’aucune d’entre elles ne fait mention de chaussures de marque VOGUE et qu’elles sont dès lors impuissantes à prouver que l’opposante vendait effectivement des chaussures portant la marque antérieure. Lorsque le mot « vogue » apparaît sur lesdites factures, il est généralement accolé au nom de l’opposante pour désigner le nom commercial VOGUE-SAPATARIA. Partant, le seul fait prouvé par ces factures est la fabrication de chaussures pour le compte de l’opposante, non que les modèles de chaussures mentionnés sur ces factures sont revêtus de la marque VOGUE.

49      Cette appréciation ne saurait être infirmée par l’argument de l’OHMI selon lequel le Tribunal a déjà eu l’occasion de constater que l’absence de mention, sur les factures, de la marque antérieure ne saurait démontrer l’absence de pertinence de ces dernières aux fins de la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure. En effet, dans l’affaire citée par l’OHMI, ayant donné lieu à l’arrêt LA MER, précité, bien que les factures ne mentionnaient pas la marque antérieure LABORATOIRE DE LA MER, les produits figurant sur ces factures étaient clairement identifiables et les emballages qui avaient été fournis par l’opposante et qui avaient été vendus aux dates dont il était justifié par lesdites factures, permettaient d’établir que les produits étaient revêtus soit de la mention « le laboratoire de la mer », soit de celle de « laboratoire de la mer », de sorte que des éléments additionnels permettaient de savoir s’il s’agissait de produits revêtant la marque antérieure. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

50      En ce qui concerne l’importance de l’usage, il y a lieu de constater qu’aucun des éléments produits par l’opposante devant l’OHMI ne fait état du volume des ventes de chaussures ou du chiffre d’affaires lié à ces ventes. En particulier, à supposer même que les quelque 670 factures adressées à l’opposante par les fabricants de chaussures concernent des chaussures portant la marque VOGUE, force est de constater que lesdites factures sont relatives à la vente de chaussures à l’opposante, non à la vente, aux consommateurs finaux, de chaussures portant la marque VOGUE.

51      Au surplus, il convient de relever que les éléments complémentaires qui auraient pu non seulement permettre de corroborer les indications contenues dans les déclarations des quinze fabricants de chaussures et du « managing partner » de l’opposante, mais également de donner des indications quant à l’importance de l’usage de la marque antérieure, comme des copies de tickets de caisse, de factures ou de documents comptables, des brochures, des catalogues ou des publicités mentionnant des chaussures de la marque VOGUE proposées ou délivrées aux consommateurs pendant la période pertinente sur le territoire portugais, ne sont pas d’une nature telle qu’il aurait été difficile pour l’opposante de les obtenir [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 7 juin 2005, Lidl Stiftung/OHMI – REWE‑Zentral (Salvita), T‑303/03, Rec. p. II‑1917, point 45]. D’ailleurs, il ne ressort pas du dossier que l’opposante aurait invoqué l’impossibilité de produire d’autres éléments probants, notamment quant à l’importance de l’usage de la marque antérieure [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 23 septembre 2009, Cohausz/OHMI – Izquierdo Faces (acopat), T‑409/07, non publié au Recueil, point 75].

52      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les éléments de preuve fournis par l’opposante devant l’OHMI, même appréciés globalement, n’établissent pas à suffisance de droit l’usage sérieux de la marque antérieure au Portugal durant la période pertinente.

53      Il s’ensuit que la chambre de recours a commis une erreur en estimant que la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure avait été rapportée par l’opposante en l’espèce.

54      En conséquence, il y a lieu d’accueillir le premier moyen et d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués par la requérante.

55      S’agissant enfin du premier chef de conclusions, il convient de considérer que les intérêts de la requérante sont, dans les circonstances de l’espèce, suffisamment sauvegardés par une annulation de la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire dans le cadre du présent arrêt de réformer la décision attaquée.

 Sur les dépens

56      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

57      L’OHMI ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 30 juin 2008 (affaire R 328/2003-2) est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      L’OHMI supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Advance Magazine Publishers, Inc.

Wiszniewska-Białecka

Dehousse

Kanninen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 janvier 2011.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.