Language of document : ECLI:EU:T:2014:65

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

24 janvier 2014 (*)

« Procédure – Taxation des dépens »

Dans l’affaire T‑210/02 RENV-DEP,

British Aggregates Association, établie à Lanark (Royaume-Uni), représentée par Me L. Van Den Hende, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme M. Afonso et M. J. Flett, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande de taxation des dépens à la suite de l’arrêt du Tribunal du 7 mars 2012, British Aggregates/Commission (T‑210/02 RENV, non encore publié au Recueil),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

composé de M. M. Prek, président, Mme I. Labucka, M. J. Schwarcz, Mme V. Tomljenović et M. V. Kreuschitz (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits, procédure et conclusions des parties

1        La requérante, la British Aggregates Association, est une association regroupant des petites entreprises indépendantes exploitant des carrières au Royaume-Uni. Elle compte 55 membres exploitant plus de 100 carrières.

2        Par décision C (2002) 1478 final, du 24 avril 2002, relative au dossier d’aide d’État N 863/01 – Royaume-Uni/Taxe sur les granulats (ci-après la « décision attaquée »), la Commission des Communautés européennes a décidé de ne pas soulever d’objections à l’encontre de certaines dispositions législatives instituant une Aggregates Levy (taxe sur les granulats, ci-après l’« AGL » ou la « taxe ») au Royaume-Uni, au motif que, notamment, cette taxe ne comportait pas d’éléments d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, dans la mesure où son champ d’application se justifiait par la logique et par la nature du régime fiscal en cause, et que l’exonération accordée à l’Irlande du Nord était compatible avec le marché commun.

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 juillet 2002, la requérante a formé un recours tendant à l’annulation partielle de la décision attaquée.

4        Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 28 novembre 2002, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

5        À l’appui de son recours, la requérante a invoqué, premièrement, la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE, deuxièmement, le défaut de motivation au sens de l’article 253 CE, troisièmement, la violation par la Commission de son obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE et, quatrièmement, la méconnaissance par cette institution de ses obligations lors de l’examen préliminaire au sens de l’article 88, paragraphe 3, CE.

6        La Commission a contesté la recevabilité du recours, soutenant que la décision attaquée ne concernait pas individuellement la requérante, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

7        Par arrêt du 13 septembre 2006, British Aggregates/Commission (T‑210/02, Rec. p. II‑2789, ci-après le « premier arrêt du Tribunal »), le Tribunal a déclaré le recours recevable, mais a rejeté les premier et deuxième moyens, examinés conjointement, ainsi que les troisième et quatrième moyens. Partant, il a rejeté le recours dans son intégralité.

8        Par mémoire déposé le 27 novembre 2006, la requérante a formé un pourvoi devant la Cour visant à l’annulation du premier arrêt du Tribunal et de la décision attaquée, sauf en ce qui concerne l’exemption de l’Irlande du Nord. La Commission a formé un pourvoi incident demandant à la Cour d’annuler ledit arrêt et de déclarer irrecevable le recours. Le Royaume-Uni a conclu au rejet du pourvoi principal.

9        Par arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, Rec. p. I‑10505, ci-après l’« arrêt sur pourvoi »), la Cour a annulé le premier arrêt du Tribunal et a renvoyé l’affaire devant lui.

10      La Cour a entériné dans son intégralité l’appréciation du Tribunal quant à la recevabilité du recours (arrêt sur pourvoi, points 24 à 58).

11      S’agissant du fond, la Cour a constaté, notamment, l’existence de deux erreurs de droit principales du Tribunal.

12      D’une part, selon la Cour, dans son premier arrêt, le Tribunal a méconnu la notion d’aide, en particulier le critère de la sélectivité de l’avantage, qui ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets. Dès lors, le Tribunal n’aurait pas pu prendre en compte l’objectif environnemental poursuivi pour justifier l’exclusion du champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, de mesures comportant un avantage sélectif (arrêt sur pourvoi, points 82 à 92). D’autre part, la Cour a considéré que, en jugeant que la Commission jouissait d’un large pouvoir d’appréciation lors de l’application de l’article 88, paragraphe 3, CE, le Tribunal s’était trompé s’agissant du degré de contrôle juridictionnel à exercer à l’égard de la notion d’aide, laquelle présentait un caractère juridique et devait être interprétée sur la base d’éléments objectifs. Pour cette raison, selon la Cour, le juge de l’Union européenne doit, en principe, exercer un entier contrôle en ce qui concerne la question de savoir si une mesure entre dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE. Cette erreur de droit aurait entaché l’intégralité de l’analyse au fond de la décision attaquée effectuée par le Tribunal (arrêt sur pourvoi, points 109 à 115).

13      La Cour a finalement décidé d’annuler le premier arrêt du Tribunal, de renvoyer l’affaire devant lui en raison des deux erreurs de droit visées au point 12 ci-dessus et de réserver les dépens (arrêt sur pourvoi, points 195, 197 et 198).

14      À la suite du renvoi de l’affaire, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur les conséquences qu’il convenait de tirer de l’arrêt sur pourvoi pour la solution du litige. Conformément à l’article 119, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la requérante, la Commission et le Royaume-Uni ont déposé leurs observations.

15      À la suite de l’ouverture de la procédure orale, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 16 mai 2011.

16      Lors de l’audience, le Tribunal a invité la Commission et le Royaume-Uni, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure au titre de l’article 64 du règlement de procédure, à lui soumettre dans un délai de trois semaines tous les documents ou références aux documents déjà contenus dans le dossier administratif couvrant certains éléments factuels de la procédure administrative entamée à la suite de la notification de l’AGL en ce qui concerne l’extraction de granulats « vierges » destinés à l’exploitation commerciale. Le Tribunal a ainsi laissé la procédure orale ouverte, ce dont il a pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

17      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 30 mai 2011, la requérante a demandé au Tribunal d’ordonner à la Commission et au Royaume-Uni, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure au titre de l’article 64 du règlement de procédure, de soumettre des informations supplémentaires concernant certains faits contestés lors de l’audience. La Commission et le Royaume-Uni ont soumis leurs observations sur cette demande les 13 et 14 juillet 2011.

18      Par actes séparés déposés au greffe du Tribunal le 14 juin 2011, la Commission et le Royaume-Uni ont respectivement déféré à la demande de production de documents du Tribunal. La requérante a soumis ses observations sur ces documents le 18 juillet 2011 et la procédure orale a été close.

19      Par arrêt du 7 mars 2012, British Aggregates/Commission (T‑210/02 RENV, non encore publié au Recueil, ci-après le « second arrêt du Tribunal »), le Tribunal a accueilli le premier moyen de la requérante et, partant, le recours dans son intégralité, sans se prononcer sur les deuxième à quatrième moyens. Ainsi, il a annulé la décision attaquée, sauf en ce qui concerne l’exemption de l’Irlande du Nord, pour violation de l’article 87, paragraphe 1, CE. Par ailleurs, le Tribunal a condamné la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante devant la Cour et le Tribunal, le Royaume-Uni supportant ses propres dépens exposés devant ces derniers.

20      Par lettre du 25 septembre 2012, le mandataire ad litem de la requérante a demandé à la Commission le remboursement d’un montant total de 293 335,99 livres sterling (GBP) à titre de dépens, correspondant à 1 195,64 heures de travail effectuées dans le cadre des trois procédures juridictionnelles concernées et s’étendant sur une période de neuf ans.

21      Par lettre du 22 octobre 2012, la Commission a demandé la communication d’informations plus précises sur les dépens afférents à chacune des trois procédures juridictionnelles.

22      Par lettre du 12 décembre 2012, le mandataire ad litem de la requérante a transmis à la Commission des informations plus détaillées quant aux dépens exposés dans le cadre de chacune desdites procédures juridictionnelles. Ces informations comprenaient, notamment, une synthèse des honoraires et des débours des conseils ; une liste des personnes ayant travaillé sur le dossier et exposant leurs qualités et qualifications ; les feuilles de temps des conseils identifiant, notamment, leurs tâches, leur rétribution horaire respective et le temps consacré à l’accomplissement desdites tâches ; des notes d’honoraires du cabinet H. adressées à la requérante, ainsi qu’un relevé motivé des frais et débours, accompagné de pièces justificatives. Dans cette même lettre, le mandataire ad litem de la requérante a précisé que le montant total des dépens s’élevait à 293 709,36 GBP et celui des débours à 11 666,93 GBP, en ce compris 8 000 GBP d’honoraires facturés par M. le professeur J., soit un montant total de 305 376,29 GBP.

23      Par lettre du 4 février 2013, la Commission a contesté le montant réclamé comme étant excessif et ne correspondant pas à ce qui était objectivement nécessaire. Elle a, en substance, précisé que, afin de déterminer le montant des dépens nécessairement exposés pour les besoins des trois procédures juridictionnelles, elle entendait ne pas se fonder sur les factures produites par le mandataire ad litem de la requérante, mais procéder à ses propres estimations au regard des éléments du dossier et des démarches procédurales entreprises par les conseils de la requérante. La Commission a joint un tableau exposant ces démarches dans le cadre de chacune des procédures juridictionnelles et leur attribuant le temps de travail estimé que, selon elle, un conseil adéquatement expérimenté aurait dû y consacrer et a multiplié le nombre total de 427 heures de travail ainsi estimé par un taux horaire de 300 euros. La Commission a ainsi considéré qu’un montant total de 128 696,92 euros aurait été suffisant pour défendre les intérêts de la requérante dans le cadre des trois procédures juridictionnelles.

24      Par lettre du 22 février 2013, le mandataire ad litem de la requérante a rejeté, au nom de son client, l’offre de la Commission de régler un montant de 128 696,92 euros comme étant « inacceptable ». Il a joint un projet de recours en taxation des dépens réitérant la demande de remboursement d’un montant total de 305 376,29 GBP au titre des dépens récupérables et exposant les motifs invoqués à l’appui de cette demande. Enfin, il a indiqué que, faute de réaction positive de la part de la Commission avant le 29 mars 2013, la requérante introduirait un recours auprès du Tribunal.

25      Par lettre du 19 mars 2013, la Commission a invité la requérante, notamment, à fournir des informations supplémentaires ainsi qu’une estimation des dépens nécessaires fondée sur la méthodologie exposée dans sa lettre du 4 février 2013.

26      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 avril 2013, la requérante a introduit, en application de l’article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure, la présente demande de taxation des dépens.

27      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 31 mai 2013, la Commission a présenté ses observations sur cette demande.

28      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de fixer le montant net des dépens récupérables à 305 376,29 GBP.

29      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de fixer le montant des dépens récupérables à 128 696,92 euros.

30      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la quatrième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

 En droit

31      Aux termes de l’article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure :

« S’il y a contestation sur les dépens récupérables, le Tribunal statue par voie d’ordonnance non susceptible de recours à la demande de la partie intéressée, l’autre partie entendue en ses observations. »

32      Selon l’article 91, sous b), du règlement de procédure, sont notamment considérés comme dépens récupérables « les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d’un agent, conseil ou avocat ». Il découle de cette disposition que les dépens récupérables sont limités à ceux exposés aux fins de la procédure devant le Tribunal, y compris, le cas échéant, après renvoi à la suite d’une cassation d’un arrêt du Tribunal sur pourvoi, et de celle devant la Cour, qui ont été indispensables à cette fin.

33      Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, d’une part, à défaut de dispositions de l’Union de nature tarifaire, le Tribunal doit apprécier librement les données de la cause, en tenant compte de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit de l’Union ainsi que des difficultés de la cause, de l’ampleur du travail que la procédure contentieuse a pu causer aux agents ou conseils intervenus et des intérêts économiques que le litige a représenté pour les parties. À cet égard, la possibilité pour le juge de l’Union d’apprécier la valeur du travail effectué dépend de la précision des informations fournies. D’autre part, le juge de l’Union n’est pas habilité à taxer les honoraires dus par les parties à leurs propres avocats, mais à déterminer le montant à concurrence duquel ces rémunérations peuvent être récupérées auprès de la partie condamnée aux dépens. En statuant sur la demande de taxation des dépens, le Tribunal n’a pas à prendre en considération un tarif national fixant les honoraires des avocats ni un éventuel accord conclu à cet égard entre la partie intéressée et ses agents ou conseils (voir ordonnances du Tribunal du 10 janvier 2002, Starway/Conseil, T‑80/97 DEP, Rec. p. II‑1, points 26 et 27, et du 18 mars 2005, Sony Computer Entertainment Europe/Commission, T‑243/01 DEP, Rec. p. II‑1107, points 22 et 23, et la jurisprudence citée).

34      En outre, il y a lieu de rappeler qu’il appartient au juge de l’Union de tenir compte principalement du nombre total d’heures de travail pouvant apparaître comme objectivement indispensables aux fins de la procédure devant le Tribunal et, le cas échant, de celle devant la Cour, indépendamment du nombre d’avocats entre lesquels les prestations effectuées ont pu être réparties (ordonnance du Tribunal du 28 juin 2004, Airtours/Commission, T‑342/99 DEP, Rec. p. II‑1785, point 30 ; voir également, en ce sens, ordonnances du Tribunal du 30 octobre 1998, Kaysersberg/Commission, T‑290/94 DEP, Rec. p. II‑4105, point 20, et du 15 mars 2000, Enso-Gutzeit/Commission, T‑337/94 DEP, Rec. p. II‑479, point 20).

35      C’est en fonction de ces critères qu’il convient d’évaluer le montant des dépens récupérables en l’espèce.

36      La requérante soutient que le nombre d’heures de travail consacrées par ses conseils aux fins de la défense de ses intérêts est entièrement justifié compte tenu de l’objet et de la nature des procédures juridictionnelles en cause et de leur importance sous l’angle du droit de l’Union, de son intérêt financier à la solution du litige, des difficultés soulevées par ce dernier, ainsi que de l’ampleur de la charge de travail créée, notamment, par la défense vigoureuse par la Commission de la décision attaquée au cours des trois instances.

37      La Commission conteste les arguments de la requérante.

 Sur l’objet, la nature et l’importance du litige pour le droit de l’Union

38      Ainsi que le fait valoir à bon droit la requérante, le litige en cause a soulevé de nombreuses questions factuelles, économiques et juridiques très complexes, et a donné lieu, au cours des trois procédures juridictionnelles ayant duré presque neuf ans, à deux arrêts diamétralement opposés du Tribunal et à un arrêt de la Cour reconnaissant l’existence de plusieurs erreurs de droit du Tribunal entachant son premier arrêt d’illégalité. Ces erreurs de droit avaient trait à des questions de principe, à savoir la méthodologie et la portée du contrôle juridictionnel en matière d’aides d’État ainsi que l’interprétation de la notion d’aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, en particulier en ce qui concerne le critère de la sélectivité de l’avantage, lorsque ladite notion doit être appliquée à un régime fiscal présentant des caractéristiques particulièrement complexes du point de vue tant factuel que juridique. En effet, ainsi que le démontrent les diverses mesures d’organisation de la procédure adoptées lors des deux procédures devant le Tribunal, les débats contradictoires entre les parties lors des audiences et l’appréciation du Tribunal exposée aux points 51 à 100 de son second arrêt, les cadres factuel et juridique du litige nécessitaient une analyse très approfondie, de la part des parties et du juge de l’Union, du libellé et de la structure des dispositions de l’AGL et des principes et des dérogations régissant son fonctionnement au regard du critère de sélectivité et de ses différents sous-critères. De même, les parties au litige étaient appelées, de manière récurrente, à fournir une explication très poussée du cadre factuel et juridique de l’AGL, ce qui a exigé une analyse approfondie des questions pertinentes de droit national et de l’Union ainsi que des produits et des marchés concernés.

39      C’est par conséquent à juste titre que la requérante avance que le litige revêtait une nature très complexe, qu’il était important du point de vue du droit des aides d’État de l’Union et qu’il a contribué à la clarification et à la cohérence de l’application de ses règles d’une manière ayant des incidences allant bien au-delà de la présente espèce.

 Sur l’intérêt économique du litige pour les parties

40      S’agissant de l’intérêt économique du litige pour les parties, il suffit de constater que c’est de manière crédible que la requérante avance que le litige présentait un intérêt économique important pour certains de ses membres, exploitants de carrières désavantagés par l’AGL, qui étaient susceptibles de perdre des parts de marché et d’avoir des difficultés à concurrencer, de manière rentable, les exploitants commercialisant des produits substituables, mais exonérés par la taxe (second arrêt du Tribunal, points 71 à 81). Ces pertes et ces désavantages concurrentiels, qui découlaient immédiatement des exonérations prévues par l’AGL et de sa structure même, ainsi que l’intérêt économique qui en résultait, ne sauraient être remis en cause par l’éventuel fait, invoqué par la Commission, que la taxe soit toujours applicable au Royaume-Uni.

 Sur les difficultés soulevées et l’ampleur de la charge de travail nécessitée par le litige

41      Il ressort des considérations exposées au point 38 ci-dessus que la présente affaire soulevait des difficultés importantes du point de vue factuel et juridique nécessitant, de la part des conseils de la requérante, l’investissement d’un travail intense et diligent de recherche, d’analyse et de préparation des écritures et des interventions orales.

42      Ainsi, à défaut de définitions suffisamment claires figurant dans l’AGL en tant que telle, les parties et le juge de l’Union étaient appelés à se prononcer, de façon approfondie, premièrement, sur le fonctionnement de la taxation « normale » sur laquelle l’AGL était censée reposer (second arrêt du Tribunal, points 51 à 60), deuxièmement, sur les prétendus objectifs environnementaux poursuivis par la taxe (arrêt sur pourvoi, points 128 à 131 ; premier arrêt du Tribunal, points 114 à 139, et second arrêt du Tribunal, points 62 à 66), troisièmement, sur la comparabilité des situations régies par l’AGL au regard desdits objectifs (second arrêt du Tribunal, points 67 à 74), quatrièmement, sur l’éventuelle différenciation fiscale opérée entre situations comparables (second arrêt du Tribunal, points 75 à 81) et, cinquièmement, sur la justification éventuelle par la nature ou par l’économie générale de l’AGL de telles différenciations fiscales (second arrêt du Tribunal, points 83 à 92), ce qui exigeait d’instruire et de vérifier des éléments factuels, économiques et juridiques complexes. Par ailleurs, dans ce contexte, il était également nécessaire pour la requérante d’examiner et de contester, de manière méticuleuse et détaillée, la pertinence de certaines catégorisations soutenues par la Commission et par le Royaume-Uni, qui se sont finalement avérées être injustifiées au regard du libellé, de la structure et de l’économie de l’AGL, telles que la prétendue distinction entre les « granulats primaires », « granulats secondaires », « granulats vierges » et « granulats recyclés » (arrêt sur pourvoi, points 140 à 144 et 158 à 161, et second arrêt du Tribunal, points 56 à 59).

43      De même, dans les faits, à la suite de la contestation soulevée sur ce point par la Commission, la requérante a dû investir des ressources importantes pour démontrer l’existence d’une différenciation fiscale entre, notamment, des granulats d’argile, d’ardoise, de kaolin, d’argile plastique et de schiste, d’une part, et des granulats exploités par ses membres, d’autre part, au regard des objectifs environnementaux – non explicités dans la loi en tant que telle – qui étaient poursuivis par l’AGL (premier arrêt du Tribunal, points 128 à 139, et second arrêt du Tribunal, points 71 à 81), dont la Commission, dans ses observations sur la demande de taxation des dépens, continue à remettre en cause la pertinence.

44      En outre, du point de vue juridique, à la suite du premier arrêt du Tribunal, la requérante a dû contester le bien-fondé de la portée du contrôle juridictionnel exercé ainsi que la qualification des faits pertinents par le juge de première instance au regard de la notion d’aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

45      C’est également à juste titre que la requérante avance que la difficulté présentée par le litige a été renforcée, notamment, par le comportement de la Commission, qui, même à la suite de l’arrêt sur pourvoi, a continué à défendre la décision attaquée à tous égards et, en particulier, sa thèse – initialement, en substance, acceptée (premier arrêt du Tribunal, points 114 à 117, 128 et 130), mais ensuite explicitement rejetée par le Tribunal (point 52 de son second arrêt) – selon laquelle l’AGL, en tant que « charge fiscale exceptionnelle limitée à un secteur économique circonscrit », échapperait ipso facto au champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE.

46      Par conséquent, il y a lieu de reconnaître que les difficultés de la cause exigeaient un travail très important et particulièrement diligent de la part des conseils de la requérante, dont l’ampleur excédait celle qui est normalement attribuée à une affaire en matière d’aides d’État.

 Sur le caractère objectivement indispensable du nombre total d’heures de travail effectuées et la rétribution horaire appropriée

47      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, au plus tard dans sa lettre du 12 décembre 2012, la requérante a fourni des informations très précises quant au calcul du montant des dépens afférents à chacune des trois procédures juridictionnelles, qu’elle estimait être récupérable auprès de la Commission (voir point 22 ci-dessus). En outre, les parties ont unanimement reconnu qu’une rétribution de 300 euros par heure de travail d’un avocat expérimenté pouvait être qualifiée d’objectivement indispensable aux fins de la procédure litigieuse, ce montant apparaissant cohérent avec celui retenu par le Tribunal pour la taxation de dépens dans d’autres affaires économiques complexes, telles qu’en matière d’aides d’État (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 8 octobre 2008, CDA Datenträger Albrechts/Commission, T‑324/00 DEP, non publiée au Recueil, point 100). À la date de l’introduction de la présente demande de taxation des dépens, cette rétribution horaire correspondait à environ 256 GBP.

48      Parmi les informations fournies par la requérante figurent trois tableaux exposant, de manière détaillée, le nombre d’heures de travail effectuées par ses conseils dans le cadre des trois procédures juridictionnelles respectives, dont le caractère objectivement indispensable doit être apprécié au regard des caractéristiques particulières du litige, tel que décrites aux points 38 à 46 ci-dessus.

49      S’agissant de la première procédure devant le Tribunal, la requérante réclame la prise en compte d’un nombre total de 612,79 heures de travail, dont 56,33 effectuées par des collaborateurs ayant la qualité d’avocats stagiaires ou de « paralegal », c’est-à-dire de personnes ne disposant pas de formation juridique complète. Par ailleurs, un certain nombre d’heures de travail est réputé avoir été consacré à l’élaboration de communiqués de presse, à une traduction française de la requête, ainsi qu’à la rédaction d’une lettre adressée à la Commission. Or, ainsi que l’avance la Commission, ces dernières heures de travail ne peuvent être qualifiées d’indispensables pour la conduite de la procédure litigieuse et, partant, être prises en considération aux fins de la taxation des dépens récupérables. Par ailleurs, dans la mesure où, d’une part, il n’est pas possible de considérer comme étant nécessaires la totalité des heures de travail accomplies par des collaborateurs ayant la qualité d’avocats stagiaires ou de « paralegal », dont le travail ne peut être comparé à celui d’un avocat expérimenté et efficace, et où, d’autre part, l’ensemble des travaux a été effectué par plusieurs avocats plus ou moins expérimentés et rémunérés à des taux horaires très variés, il sera fait une juste appréciation du temps de travail objectivement indispensable en le fixant à 400 heures.

50      La requérante avance en outre que, dans le cadre de la procédure devant la Cour, ses conseils ont accompli un nombre total de 263,83 heures de travail, dont 91,33 attribuables à des collaborateurs ayant la qualité d’avocats stagiaires ou de « paralegal ». Eu égard aux motifs exposés au point 49 ci-dessus, il sera fait une juste appréciation du temps de travail objectivement indispensable aux fins de la procédure de pourvoi en le fixant à 150 heures.

51      Par ailleurs, s’agissant de la seconde procédure devant le Tribunal, la requérante fait valoir un nombre total de 319 heures de travail, dont 51,58 accomplies par des collaborateurs ayant la qualité d’avocats stagiaires. À cet égard, compte tenu des considérations qui précèdent, il convient d’estimer le nombre d’heures de travail effectuées et objectivement indispensables à 250.

52      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requérante peut prétendre au remboursement de 800 heures de travail au taux horaire de 256 GBP, correspondant à un montant total de 204 800 GBP au titre de la rémunération de ses conseils.

 Sur les débours récupérables

53      La requérante réclame, à titre de dépens récupérables, le remboursement d’honoraires d’un montant de 6 000 GBP pour des prestations fournies par M. le professeur J., dont la Commission n’a pas spécifiquement contesté le caractère objectivement indispensable, ainsi que des débours, dont des frais de déplacement et de séjour au Luxembourg ainsi que de courrier pour les envois postaux d’actes de procédure au Tribunal et à la Cour, d’un montant de 2 195,94 GBP pour la première procédure devant le Tribunal, d’un montant de 556,65 GBP pour la procédure de pourvoi, ainsi que d’un montant de 8 914,34 GBP pour la seconde procédure devant le Tribunal, y compris les honoraires payés à M. le professeur J.

54      S’agissant des débours occasionnés par la première procédure devant le Tribunal, il y a lieu de déduire les coûts non indispensables exposés pour des services de traduction de la requête, d’un montant de 914,22 GBP, ainsi que les frais d’impression et de photocopies, d’un montant total de 941,83 GBP, pour lesquels la requérante n’a ni précisé le volume exact des documents produits ni présenté de justificatif. Ainsi, il convient de fixer les débours récupérables pour cette procédure à un montant de 339,89 GBP.

55      En ce qui concerne les débours afférents à la procédure de pourvoi, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 54 ci-dessus, il y a lieu de déduire les frais d’impression et de photocopies, d’un montant total de 507 GBP, de sorte que le montant des débours récupérables doit être fixé à 49,65 GBP.

56      S’agissant enfin des débours relatifs à la seconde procédure devant le Tribunal, il y a lieu de reconnaître, conformément au point 43 de la demande de taxation de la requérante et compte tenu de l’absence de contestation de la part de la Commission, comme étant objectivement indispensable un montant de 6 000 GBP facturé pour les prestations de M. le professeur J., tout en écartant un montant supplémentaire de 2 000 GBP à titre d’honoraires de ce dernier qui ne figure que dans un tableau joint en annexe à ladite demande. En outre, il convient de déduire de la somme demandée par la requérante un montant de 8,82 GBP à titre de frais de taxi pour un conseil ayant travaillé tardivement, le reçu correspondant étant illisible, ainsi que les frais d’impression et de photocopies d’un montant total de 214,53 GBP, pour lesquels la requérante n’a ni précisé le volume des documents produits ni présenté de justificatif. Il en résulte un montant total récupérable de 6 690,99 GBP.

57      Ainsi, il convient de fixer le montant des débours récupérables à 7080,53 GBP.

58      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il sera fait une juste appréciation des dépens récupérables de la requérante dans la présente affaire en fixant leur montant à 211 880,53 GBP.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

ordonne :

Le montant total des dépens à rembourser par la Commission européenne à la British Aggregates Association est fixé à 211 880,53 livres sterling (GBP).

Fait à Luxembourg, le 24 janvier 2014.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      M. Prek


* Langue de procédure : l’anglais.