Language of document : ECLI:EU:T:2022:529

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

7 septembre 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Marque de l’Union européenne figurative bâoli – Déclaration de déchéance – Absence d’usage sérieux de la marque – Article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 – Preuve de l’usage sérieux – Abus de droit »

Dans l’affaire T‑754/21,

Peace United Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par Me M. Artzimovitch, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. V. Ruzek, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

1906 Collins LLC, établie à Miami, Floride (États-Unis), représentée par Me C. Mateu, avocate,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de Mmes M. J. Costeira, présidente, T. Perišin et M. I. Dimitrakopoulos (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Peace United Ltd, demande l’annulation de la décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 14 septembre 2021 (affaire R 275/2020-2) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 29 janvier 2008, la requérante a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’EUIPO, en vertu du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié, lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

3        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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4        Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 14, 18, 25, 32, 33, 41 et 43 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié. Les services relevant des classes 41 et 43 correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 41 : « Service de divertissement, service de loisir, organisation de spectacles et de soirées (divertissement), services de discothèques, organisation et conduite de concerts, services d’artiste de spectacle, exploitation de salle de jeux, activités culturelles et sportives, production de films, production de spectacles » ;

–        classe 43 : « Service de restauration, bars, service de traiteur, location de salles, services hôteliers, services d’hébergement, information en ligne concernant ces services à partir d’une base de données ou d’Internet ».

5        La demande a été publiée au Bulletin des marques communautaires no  024/2008 du 16 juin 2008 et la marque a été enregistrée le 12 novembre 2008.

6        Le 21 septembre 2018, l’intervenante, 1906 Collins LLC, a déposé une demande en déchéance de la marque contestée sur le fondement de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, pour l’ensemble des produits et des services couverts par cette marque, en invoquant une absence d’usage sérieux. A la même date, l’intervenante a déposé des demandes en déchéance contre cinq autres marques de la requérante.

7        Le 5 décembre 2019, la division d’annulation a accueilli la demande en déclarant la déchéance de la marque contestée pour l’ensemble des produits et des services couverts par celle-ci à compter du 21 septembre 2018.

8        Le 4 février 2020, la requérante a formé un recours auprès de la chambre de recours de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’annulation.

9        Par la décision attaquée, la deuxième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours.

10      En premier lieu, la chambre de recours a rejeté l’allégation de la requérante selon laquelle la demande en déchéance constituait un abus de procédure. À cet égard, la chambre de recours a noté que, selon l’article 63, paragraphe 1, sous a) du règlement 2017/1001, la question de la possible existence d’un abus de droit n’était pas pertinente aux fins de l’analyse de la recevabilité de la demande en déchéance. De plus, elle a considéré qu’en l’espèce la demande en déchéance ne pouvait être qualifiée d’abus de procédure, car, même si plusieurs demandes en déchéance avaient été déposées par l’intervenante contre des marques de la requérante, ces demandes étaient liées à un litige opposant les parties sur le versement de redevances au titre d’une licence de marques et, dans le cadre d’un tel litige, une demande reconventionnelle en déchéance ou en nullité était une défense usuelle.

11      En second lieu, la chambre de recours a estimé que les éléments de preuve fournis par la requérante ne permettaient pas de démontrer l’usage sérieux de la marque contestée pour l’ensemble des produits et des services visés par le recours devant elle.

 Conclusions des parties

12      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en ce qu’elle a confirmé la déchéance de la marque contestée pour les services revendiqués relevant des classes 41 et 43 ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

13      L’EUIPO est l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la portée du recours 

14      L’EUIPO souligne que la requérante ne sollicite l’annulation de la décision attaquée que dans la mesure où celle-ci a confirmé la déchéance de la marque contestée pour les services revendiqués relevant des classes 41 et 43. Par conséquent, les produits relevant des classes 14, 18, 25, 32 et 33 ne font pas l’objet du recours et les conclusions de la chambre de recours à cet égard doivent être considérées comme définitives en vertu de l’article 71, paragraphe 3, du règlement 2017/1001.

15      À cet égard, il y a lieu d’observer que, par son premier chef de conclusions, la requérante demande à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée en ce qu’elle a confirmé la déchéance de la marque contestée pour les services revendiqués relevant des classes 41 et 43. En outre, la requérante n’a avancé aucun argument pour contester le bien-fondé des constatations de la chambre de recours concernant les produits relevant des classes 14, 18, 25, 32 et 33.

16      Dans ces conditions, il y a lieu de constater, comme l’a indiqué à bon droit l’EUIPO, que la partie de la décision attaquée de la chambre de recours qui concerne les produits revendiqués relevant des classes 14, 18, 25, 32 et 33 ne fait pas partie de l’objet du présent recours.

17      Partant, les conclusions en annulation que formule la requérante dans son recours doivent être lues comme étant dirigées contre la décision attaquée, pour autant que cette décision vise les services désignés par la marque contestée relevant des classes 41 et 43.

 Sur le fond

18      À l’appui de son recours, la requérante soulève deux moyens. Par le premier moyen, la requérante fait grief à la chambre de recours d’avoir commis une erreur d’appréciation concernant le caractère abusif de l’action en déchéance. Par le second moyen, elle fait grief à la chambre de recours d’avoir commis une erreur d’appréciation concernant l’usage sérieux de la marque.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur d’appréciation de la chambre de recours sur le caractère abusif de l’action en déchéance

19      La requérante allègue en substance que la chambre de recours a violé l’article 63, paragraphe 1, sous a) du règlement 2017/1001, en ne considérant pas que l’action en déchéance introduite par l’intervenante constituait un abus de procédure. Selon la requérante, la chambre de recours aurait commis une erreur de droit et une mauvaise interprétation des faits en déduisant de la circonstance que les parties étaient liées par un litige que la demande en déchéance ne pouvait pas être qualifiée d’abus de procédure. Elle soutient en effet que ce litige n’avait aucun lien avec la marque contestée, puisqu’il portait sur un contentieux de nature commerciale et contractuelle lié au paiement par l’intervenante de ses redevances au titre du contrat de licence de marques américaines.

20      Elle soutient également que le comportement de l’intervenante dans la présente affaire « se rapproche parfaitement » des circonstances de l’affaire « Sandra Pabst ». À cet égard, la requérante s’appuie sur le fait que l’intervenante aurait attaqué l’intégralité de son portefeuille de marques françaises et européennes en l’espace de deux mois. Selon la requérante, le but poursuivi par l’intervenante n’était donc pas d’annuler une marque non exploitée, mais de lui porter atteinte en désorganisant son activité, et que celle-ci s’apparente donc à une mesure de rétorsion, par nature abusive, et non à une demande reconventionnelle ou à une défense usuelle dans le cadre du litige commerciale et contractuelle entre les parties. La requérante estime que ce lien procédural entre les parties constitue un facteur aggravant de l’abus de l’intervenante et non une cause d’exonération de sa faute.

21      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

22      À titre liminaire, aux termes de l’article 63, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/2001, une demande en déchéance de la marque de l’Union européenne peut être présentée auprès de l’EUIPO dans les cas définis aux articles 58 et 59 de ce règlement, par toute personne physique ou morale ainsi que par tout groupement constitué pour la représentation des intérêts de fabricants, de producteurs, de prestataires de services, de commerçants ou de consommateurs et qui, aux termes de la législation qui lui est applicable, a la capacité d’ester en justice.

23      En premier lieu, il y a lieu de relever que la requérante ne conteste pas, de manière concrète et précise, l’affirmation de la chambre de recours, figurant au point 24 de la décision attaquée, selon laquelle la possible existence d’un abus de droit n’était pas pertinente aux fins de l’analyse de la recevabilité de la demande en déchéance.

24      À cet égard, il convient de rappeler que le Tribunal a déjà estimé que la question de la possible existence d’un abus de droit n’est pas pertinente aux fins de l’analyse de la recevabilité d’une demande en déchéance introduite au titre de l’article 63, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, dans la mesure où, en vertu de cette disposition, une demande en déchéance peut être présentée par « toute personne physique ou morale » pour cause d’absence d’usage ou d’usage insuffisant d’une marque [voir arrêt du 14 juillet 2021, Kneissl Holding/EUIPO – LS 9 (KNEISSL), T‑65/20, non publié, EU:T:2021:462, point 76 et jurisprudence citée]. En effet, l’article 63, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001 ne subordonne ni la recevabilité ni le bien-fondé d’une demande en déchéance à la bonne foi du demandeur [voir, par analogie, ordonnance du 2 septembre 2020, DTE Systems/EUIPO – Speed-Buster (PedalBox +), T‑801/19, non publiée, EU:T:2020:383, point 38 et jurisprudence citée].

25      En second lieu, il y a lieu de relever, ainsi que la chambre de recours l’a constaté au point 28 de la décision attaquée, que les faits de la présente affaire ne peuvent être rapprochés de ceux de l’affaire « Sandra Pabst », dès lors que cette dernière se caractérisait par des circonstances exceptionnelles, absentes dans la présente affaire. En effet, l’affaire « Sandra Pabst » concernait, premièrement, une société artificiellement créée dans l’unique but d’introduire de multiples demandes en déchéance, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire. Deuxièmement, elle concernait l’introduction quasi simultanée, par une seule société, de 37 demandes en déchéance à l’encontre d’une même partie, ainsi que de multiples demandes en déchéance auprès de l’EUIPO, 850 demandes sur une période de deux ans, tandis que dans la présente affaire l’intervenante n’a introduit que six demandes en déchéance devant l’EUIPO à l’encontre de la requérante. Troisièmement, dans l’affaire « Sandra Pabst » il n’existait pas d’explication rationnelle pour l’introduction de demandes en déchéances, alors qu’en l’espèce, les parties avaient des relations contractuelles préexistantes et des litiges pertinents qui concernaient également la marque contestée.

26      Au vu de ce qui précède, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a rejeté l’allégation de la requérante concernant le caractère abusif de la demande en déchéance. Il s’ensuit que la chambre de recours n’a commis en l’espèce aucune violation de l’article 63, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001.

27      En conséquence, le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le second moyen, tiré d’une erreur d’appréciation de la chambre de recours concernant l’usage sérieux de la marque contestée

28      La requérante allègue que la chambre de recours a violé l’article 58, paragraphe 1, sous a) du règlement 2017/1001 en faisant une appréciation erronée des preuves d’usage de la marque contestée versées dans le cadre de la procédure de déchéance. En premier lieu, la requérante conteste le constat de la chambre de recours selon lequel « les captures d’écran du site Internet Infogreffe de la société BAOLI (pièces no 13, 33, 44 et 63) montrant le chiffre d’affaires de cette société ne permettent pas d’établir un lien entre l’exploitation de la marque en cause et le chiffre d’affaires global ». À cet égard, la requérante fait valoir que la SAS BAOLI ayant pour activité déclarée la « restauration traditionnelle », il peut en être déduit que son chiffre d’affaires est exclusivement réalisé par des activités de restauration et de soirées. En deuxième lieu, la requérante reproche à la chambre de recours, en substance, d’avoir évalué sa stratégie économique et non le caractère sérieux de l’usage. Elle soutient que le choix d’organiser un nombre limité de soirées sous la marque MY BOYFRIEND IS OUT OF TOWN correspondait à sa stratégie économique visant à leur conférer un caractère exclusif et rare, ce qui est conforme à un usage sérieux de la marque contestée. En troisième lieu, la requérante conteste le constat de la chambre de recours s’agissant de l’usage local de la marque. Elle fait valoir qu’elle a rapporté la preuve de l’usage important de la marque sur Internet et les réseaux sociaux, et que la chambre de recours a en fait confondu le caractère local du restaurant et des soirées organisées avec le caractère local de l’usage de la marque. À cet égard, la requérante conteste également le constat de la chambre de recours selon lequel le très faible nombre de « j’aime » sur les publications Facebook mentionnant la marque témoignait d’un rayonnement de la marque et d’une portée géographique limités.

29      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

30      Aux termes de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, le titulaire d’une marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits sur demande présentée auprès de l’EUIPO si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union européenne pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et s’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage. Cet article précise toutefois que nul ne peut faire valoir que le titulaire est déchu de ses droits si, entre l’expiration de cette période et la présentation de la demande, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage sérieux.

31      Selon une jurisprudence constante, une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque [voir arrêt du 21 novembre 2013, Recaro/OHMI – Certino Mode (RECARO), T‑524/12, non publié, EU:T:2013:604, point 19 et jurisprudence citée]. Un usage sérieux s’oppose donc à tout usage minimal et insuffisant pour considérer qu’une marque est réellement et effectivement utilisée sur un marché déterminé [voir arrêt du 29 juin 2017, Martín Osete/EUIPO – Rey (AN IDEAL WIFE e.a.), T‑427/16 à T‑429/16, non publié, EU:T:2017:455, point 43 et jurisprudence citée].

32      S’agissant des critères d’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque, il convient de rappeler qu’une telle appréciation doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, la nature et l’importance de l’usage de la marque [voir arrêt du 15 juillet 2015, Deutsche Rockwool Mineralwoll/OHMI – Recticel (λ), T‑215/13, non publié, EU:T:2015:518, point 22 et jurisprudence citée].

33      S’agissant plus précisément de l’importance ou de l’étendue de l’usage qui a été fait de la marque contestée, il convient de tenir compte, notamment, du volume commercial de l’ensemble des actes d’usage, d’une part, et de la durée de la période pendant laquelle des actes d’usage ont été accomplis ainsi que de la fréquence de ces actes, d’autre part (voir arrêt du 15 juillet 2015, λ, T‑215/13, non publié, EU:T:2015:518, point 31 et jurisprudence citée). Une telle appréciation implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte. Ainsi, un faible volume de produits ou de services commercialisés sous ladite marque peut être compensé par une forte intensité ou une certaine constance dans le temps de l’usage de cette marque et inversement [voir arrêt du 23 mars 2017, Cryo-Save/EUIPO – MedSkin Solutions Dr. Suwelack (Cryo-Save), T‑239/15, non publié, EU:T:2017:202, point 32 et jurisprudence citée].

34      Le chiffre d’affaires réalisé ainsi que la quantité de ventes sous la marque contestée ne sauraient être appréciés dans l’absolu, mais doivent l’être en rapport avec d’autres facteurs pertinents, tels que le volume de l’activité commerciale, les capacités de production ou de commercialisation ou le degré de diversification de l’entreprise exploitant la marque ainsi que les caractéristiques des produits ou des services sur le marché. De ce fait, il n’est pas nécessaire que l’usage d’une marque soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux. Un usage même minime peut donc être suffisant pour être qualifié de sérieux, à condition qu’il soit considéré comme justifié, dans le secteur économique concerné, pour maintenir ou créer des parts de marché pour les produits ou les services protégés par la marque. Ainsi, il n’est pas possible de fixer a priori, de façon abstraite, le seuil quantitatif qui devrait être retenu pour déterminer si l’usage avait ou non un caractère sérieux, de sorte qu’une règle de minimis, qui ne permettrait pas à l’EUIPO ou, sur recours, au Tribunal d’apprécier l’ensemble des circonstances du litige qui leur est soumis, ne saurait être fixée (voir arrêt du 15 juillet 2015, λ, T‑215/13, non publié, EU:T:2015:518, point 32 et jurisprudence citée).

35      En plus, il y a lieu de rappeler que l’importance territoriale de l’usage d’une marque est un facteur devant être pris en compte, parmi d’autres, pour déterminer s’il est sérieux ou non [arrêts du 11 mai 2006, Sunrider/OHMI, C‑416/04 P, EU:C:2006:310, point 76 ; du 19 décembre 2012, Leno Merken, C‑149/11, EU:C:2012:816, point 30, et du 17 décembre 2015, Bice International/OHMI – Bice (bice), T‑624/14, non publié, EU:T:2015:998, point 77]. Le Tribunal a ainsi pu considérer qu’un usage qui s’inscrit dans des limites géographiques et quantitatives étroites et locales, ne pouvait être qualifié d’usage sérieux, au regard de sa nature et de son importance (arrêts du 17 janvier 2013, Reber/OHMI – Wedl & Hofmann (Walzer Traum), T‑355/09, non publié, EU:T:2013:22, point 49, et du 17 décembre 2015, bice, T‑624/14, non publié, EU:T:2015:998, points 77 à 84).

36      En effet, dans l’interprétation de la notion de l’usage sérieux, il convient de prendre en compte le fait que la ratio legis de l’exigence selon laquelle la marque contestée doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux, ne vise ni à évaluer la réussite commerciale, ni à contrôler la stratégie économique d’une entreprise ou encore à réserver la protection des marques à leurs seules exploitations commerciales quantitativement importantes [voir arrêt du 24 mai 2012, TMS Trademark-Schutzrechtsverwertungsgesellschaft/OHMI – Comercial Jacinto Parera (MAD), T‑152/11, non publié, EU:T:2012:263, point 18 et jurisprudence citée].

37      En outre, il ressort d’une jurisprudence constante que, dans le cadre d’une procédure de déchéance d’une marque, c’est au titulaire de cette dernière qu’il incombe, en principe, d’établir l’usage sérieux de ladite marque (voir arrêt du 23 janvier 2019, Klement/EUIPO, C‑698/17 P, non publié, EU:C:2019:48, point 57 et jurisprudence citée). Un tel usage ne peut être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné [voir arrêt du 6 octobre 2004, Vitakraft-Werke Wührmann/OHMI – Krafft (VITAKRAFT), T‑356/02, EU:T:2004:292, point 28 et jurisprudence citée]. Le Tribunal a par ailleurs précisé que pour examiner, dans un cas d’espèce, le caractère sérieux de l’usage d’une marque, il convient de procéder à une appréciation globale qui tient compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et qui implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte [voir arrêt du 7 juillet 2021, Frommer/EUIPO – Minerva (I-cosmetics), T‑205/20, non publié, EU:T:2021:414, point 25 et jurisprudence citée].

38      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les griefs de la requérante et notamment si c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré, dans la décision attaquée, que les preuves fournies par la requérante dans le cadre de la procédure de déchéance étaient insuffisantes pour prouver un usage sérieux de la marque contestée.

39      Il convient de relever, à titre liminaire, que la chambre de recours a considéré à bon droit, au point 44 de la décision attaquée, que la période de cinq ans précédant la demande en déchéance, pour laquelle la requérante devait démontrer l’usage sérieux de la marque contestée, allait du 21 septembre 2013 au 20 septembre 2018 inclus.

40      En premier lieu, s’agissant des « services d’artiste de spectacle, exploitation de salle de jeux, activités culturelles et sportives, production de films, production de spectacles » relevant de la classe 41 et « location de salles, services hôteliers, services d’hébergement, information en ligne concernant ces services à partir d’une base de données ou d’Internet » relevant de la classe 43, il convient de relever que la requérante ne conteste pas les constatations faites au point 52 de la décision attaquée, selon lesquelles aucune pièce fournie par la requérante ne se rapportait concrètement à ces services. Le moyen doit donc être écarté, dans la mesure où il concerne l’usage de la marque contestée pour ces services relevant des classes 41 et 43.

41      En second lieu, s’agissant des services restants, à savoir « service de divertissement, service de loisir, organisation de spectacles et de soirées (divertissement), services de discothèques, organisation et conduite de concerts » relevant de la classe 41 et « service de restauration, bars, service de traiteur » relevant de la classe 43, il convient d’abord de souligner que les éléments de preuve fournis par la requérante ne démontrent qu’un usage très limité de la marque contestée d’un point de vue géographique, à savoir dans un seul établissement en France, à Cannes. Ainsi, ces éléments de preuve ne sont pas de nature à remettre en cause le constat, fait aux points 53 et 54 de la décision attaquée, d’une étendue géographique très limitée de l’usage de la marque, notamment en ce que cet usage se cantonne au restaurant Bâoli.

42      La requérante fait également valoir que la chambre de recours remet en question son choix stratégique de conserver le caractère exclusif et rare des soirées qu’elle organise, alors que l’organisation de six soirées en cinq ans est, selon la requérante, conforme à un usage sérieux de la marque. Cet argument ne saurait prospérer. En premier lieu, la requérante ne conteste aucun point spécifique du raisonnement de la décision attaquée et son argument précité n’était même pas invoqué au cours de la procédure administrative devant la chambre de recours. En second lieu, la requérante n’a fourni aucun élément sur les données économiques de ces événements et n’a apporté aucune preuve concrète de nature à étayer sa prétendue stratégie commerciale. En tout état de cause, cet argument est inopérant, puisqu’il se réfère aux soirées organisées sous la marque MY BOYFRIEND IS OUT OF TOWN, qui ne fait pas l’objet du litige.

43      En outre, l’analogie opérée par la requérante entre les faits de la présente affaire et ceux de l’arrêt du 30 janvier 2015, Now Wireless/OHMI – Starbucks (HK) (now) (T‑278/13, non publié, EU:T:2015:57), ne saurait être retenue. En effet, dans cet arrêt, le Tribunal avait constaté que la requérante avait fourni un certain nombre de pièces permettant, d’une part, d’établir l’existence de campagnes publicitaires – y compris d’envergure nationale – se rapportant à la marque contestée et, d’autre part, que le caractère local de l’usage de la marque n’était pas limité à un unique établissement, mais se rapportait au territoire de la ville de Londres, soulignant qu’il s’agissait de l’une des villes les plus peuplées d’Europe, ainsi qu’aux territoires de la vallée de la Tamise et du comté de Berkshire.

44      Par ailleurs, la chambre de recours n’a pas non plus commis d’erreur d’appréciation en estimant que la seule diffusion sur Facebook de publications mentionnant la marque contestée et ne comptabilisant qu’un faible nombre de « j’aime », ne témoignait que d’un rayonnement limité. À cet égard, la requérante ne conteste pas le constat de la chambre de recours que le nombre de « j’aime » invoqué était très faible. Elle avance plutôt que la chambre de recours aurait commis une erreur d’appréciation en déduisant d’un tel nombre de mentions que le rayonnement de la marque était limité, en exposant qu’une page comprenant un faible nombre de « j’aime » peut avoir été visionnée des milliers de fois. Toutefois, la requérante, à laquelle il incombait de prouver l’usage sérieux de sa marque, ne saurait s’acquitter de ladite charge de la preuve en se fondant sur de telles probabilités ou suppositions, mais devait apporter des éléments de preuve concrets et pertinents, notamment en ce qui concerne le nombre réel des visualisations de la page Facebook et de ses visiteurs. Or, la requérante n’a pas présenté de telles preuves et, par conséquent, son argument susmentionné n’est pas de nature à remettre en cause la conclusion précitée de la chambre de recours.

45      Enfin, la requérante conteste l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle les éléments de preuve montrant le chiffre d’affaires de la société BAOLI ne permettent pas d’établir un lien entre l’exploitation de la marque contestée et le chiffre d’affaires global. À cet égard, il suffit d’observer que la chambre de recours a constaté, à juste titre, aux points 51 et 61 de la décision attaquée, que le chiffre d’affaires global de la société BAOLI, qui était fourni par la requérante comme élément de preuve dans le cadre de la procédure administrative, ne permet pas d’établir un lien entre l’exploitation de la marque contestée pour les services en cause et le chiffre d’affaires dans la mesure où la requérante exploite également d’autres marques. Dès lors, il n’est pas établi que la chambre de recours aurait commis une erreur d’appréciation en constatant, au point 60 de la décision attaquée, que cet usage géographique limité de la marque contestée n’est pas compensé par des autres factures, comme un chiffre d’affaires élevé en l’absence de données afférentes au chiffre d’affaires générés par les services en cause désignés par la marque contestée.

46      En effet, les données chiffrées fournies par la requérante sont particulièrement vagues et générales et ne permettent pas d’apprécier l’importance de l’usage de la marque contestée. La requérante n’a fourni aucun élément vérifiable sur les données économiques de ces actes d’usage et n’a apporté aucun élément concret à titre de justification de l’usage de sa marque pendant la période pertinente, spécifiquement pour les services en cause relevant des classes 41 et 43. Dans ces conditions, il ne saurait être déduit de ces éléments de preuve que la marque a fait l’objet d’un usage sérieux, à moins de recourir à des présomptions. Or, conformément à la jurisprudence citée au point 37 ci-dessus, l’usage sérieux d’une marque ne peut pas être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné.

47      En conséquence, le second moyen doit être rejeté dans son intégralité.

48      Eu égard à ce qui précède, le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

49      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

50      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté

2)      Peace United Ltd est condamnée aux dépens.

Costeira

Perišin

Dimitrakopoulos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 septembre 2022.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.