Language of document : ECLI:EU:T:2012:112

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

8 mars 2012 (*)

« Recours en annulation — Aides d’État — Régime d’aides permettant l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères — Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché commun et n’ordonnant pas la récupération des aides — Acte comportant des mesures d’exécution — Défaut d’affectation individuelle — Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑221/10,

Iberdrola, SA, établie à Bilbao (Espagne), représentée par Mes J. Ruiz Calzado, M. Núñez-Müller et J. Domínguez Pérez, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48),

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),

composé de M. L. Truchot (rapporteur), président, Mme M. E. Martins Ribeiro, MM. N. Wahl, S. Soldevila Fragoso et H. Kanninen, juges,

greffier : Mme B. Pastor, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 octobre 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par plusieurs questions écrites posées en 2005 et en 2006 (E‑4431/05, E‑4772/05, E‑5800/06 et P‑5509/06), des membres du Parlement européen ont interrogé la Commission des Communautés européennes sur la qualification d’aide d’État du dispositif prévu par l’article 12, paragraphe 5, introduit dans la loi espagnole relative à l’impôt sur les sociétés par la Ley 24/2001, de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social (loi 24/2001, portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social), du 27 décembre 2001 (BOE no 313, du 31 décembre 2001, p. 50493), et repris par le Real Decreto Legislativo 4/2004, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret législatif royal 4/2004, portant approbation du texte remanié de la loi relative à l’impôt sur les sociétés), du 5 mars 2004 (BOE no 61, du 11 mars 2004, p. 10951) (ci-après le « régime litigieux »). La Commission a répondu en substance que, selon les informations dont elle disposait, le régime litigieux ne semblait pas entrer dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État.

2        Par lettres du 15 janvier et du 26 mars 2007, la Commission a invité les autorités espagnoles à lui fournir des informations afin d’évaluer la portée et les effets du régime litigieux. Par lettres du 16 février et du 4 juin 2007, le Royaume d’Espagne a communiqué à la Commission les informations demandées.

3        Par télécopie du 28 août 2007, la Commission a reçu une plainte d’un opérateur privé affirmant que le régime litigieux constituait une aide d’État incompatible avec le marché commun.

4        Par décision du 10 octobre 2007 (résumé au JO C 311, p. 21), la Commission a ouvert une procédure formelle d’examen concernant le régime litigieux.

5        Par lettre du 5 décembre 2007, la Commission a reçu les observations du Royaume d’Espagne sur cette décision d’ouverture de la procédure formelle. Entre le 18 janvier et le 16 juin 2008, la Commission a également reçu les observations de 32 tiers intéressés, dont celles de la requérante, Iberdrola, SA. Par lettres du 30 juin 2008 et du 22 avril 2009, le Royaume d’Espagne a présenté ses commentaires sur les observations des tiers intéressés.

6        Le 18 février 2008, le 12 mai et le 8 juin 2009, des réunions techniques ont été organisées avec les autorités espagnoles. D’autres réunions techniques ont également été organisées avec certains des 32 tiers intéressés.

7        Par lettre du 14 juillet 2008 et par courrier électronique du 16 juin 2009, le Royaume d’Espagne a soumis des informations additionnelles à la Commission.

8        La Commission a clôturé la procédure, en ce qui concerne les prises de participations réalisées au sein de l’Union européenne, par sa décision 2011/5/CE, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48, ci‑après la « décision attaquée »).

9        La décision attaquée déclare incompatible avec le marché commun le régime litigieux, consistant en un avantage fiscal permettant aux sociétés espagnoles d’amortir la survaleur résultant d’une prise de participations dans des entreprises étrangères, lorsqu’il s’applique à des prises de participations dans des entreprises établies au sein de l’Union.

10      L’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée permet cependant au régime litigieux de continuer à s’appliquer, en vertu du principe de protection de la confiance légitime, aux prises de participations opérées avant la publication au Journal officiel de l’Union européenne de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, intervenue le 21 décembre 2007, ainsi qu’aux prises de participations dont la réalisation, subordonnée à une autorisation d’une autorité de régulation à laquelle l’opération a été notifiée avant cette date, était irrévocablement engagée avant le 21 décembre 2007.

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 mai 2010, la requérante a introduit le présent recours.

12      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 septembre 2010, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

13      Le 16 novembre 2010, la requérante a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

14      Le 8 juin 2011, en application de l’article 14 du règlement de procédure et sur proposition de la huitième chambre, le Tribunal a décidé de renvoyer la présente affaire devant la formation de jugement élargie.

15      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale aux fins de statuer sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et de poser des questions aux parties. Celles-ci y ont répondu dans les délais impartis.

16      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 24 octobre 2011.

17      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée ;

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission ;

–        ordonner la poursuite de la procédure et impartir un délai, non susceptible de prorogation eu égard au retard indûment subi par la procédure, à la Commission pour le dépôt du mémoire en défense ;

–        condamner la Commission aux dépens.

18      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

19      Les observations de la requérante sur l’exception d’irrecevabilité contiennent également une demande de mesure d’organisation de la procédure, visant à ce que le Tribunal demande à la Commission, d’une part, de lui communiquer les demandes d’informations sur les contribuables ayant fait usage du régime litigieux que celle-ci a adressées au Royaume d’Espagne lors de la procédure d’examen, ainsi que les réponses qu’elle a reçues de ce dernier, et, d’autre part, d’indiquer si elle aurait pu connaître le nombre exact et l’identité des bénéficiaires du régime litigieux jusqu’en octobre 2009.

 En droit

20      La Commission fait valoir que le présent recours est irrecevable au motif que la requérante n’a démontré ni qu’elle avait un intérêt à agir, ni qu’elle était individuellement concernée par la décision attaquée.

21      Il convient de commencer par examiner la seconde fin de non-recevoir opposée par la Commission.

22      Aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, « [t]oute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution ».

23      La décision attaquée ayant été adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen et n’ayant pas été adressée à la requérante, son affectation individuelle doit être appréciée selon les critères définis dans l’arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, Rec. p. 197, 223). Ainsi, la requérante doit démontrer que la décision attaquée l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire de cette décision le serait (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, point 36, et la jurisprudence citée).

24      À titre principal, la requérante invoque, en substance, sa qualité de bénéficiaire du régime litigieux pour démontrer qu’elle est individuellement affectée par la décision attaquée déclarant ledit régime illégal et incompatible avec le marché commun.

25      Selon une jurisprudence constante, une entreprise ne saurait, en principe, être recevable à introduire un recours en annulation d’une décision de la Commission interdisant un régime d’aides sectoriel si elle n’est concernée par cette décision qu’en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel dudit régime. En effet, une telle décision se présente, à l’égard de cette entreprise, comme une mesure de portée générale qui s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite (voir arrêt Italie/Commission, précité, point 37, et la jurisprudence citée, et arrêt du Tribunal du 11 juin 2009, Acegas/Commission, T‑309/02, Rec. p. II‑1809, point 47, et la jurisprudence citée).

26      Toutefois, dès lors que l’entreprise requérante n’est pas seulement concernée par la décision en cause en tant qu’entreprise du secteur concerné, potentiellement bénéficiaire du régime d’aides, mais également en sa qualité de bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée au titre de ce régime et dont la Commission a ordonné la récupération, elle est individuellement concernée par ladite décision et son recours dirigé contre celle-ci est recevable (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, Rec. p. I‑8855, points 34 et 35, et arrêt du Tribunal du 10 septembre 2009, Banco Comercial dos Açores/Commission, T‑75/03, non publié au Recueil, point 44).

27      Il y a, dès lors, lieu de vérifier si la requérante a la qualité de bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée au titre du régime d’aides visé par la décision attaquée et dont la Commission a ordonné la récupération (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, Rec. p. I‑4727, point 53, et la jurisprudence citée).

28      À cet égard, en premier lieu, la requérante fait valoir qu’elle a pris des participations dans le groupe grec Metal Industry of Arcadia C. Rokas, SA en 2008 et en 2009 et que la décision attaquée impose la récupération auprès des bénéficiaires des aides relatives aux opérations postérieures au 21 décembre 2007. En second lieu, elle soutient qu’elle serait également individuellement concernée au titre des opérations qu’elle a réalisées avant le 21 décembre 2007.

29      S’agissant des opérations postérieures au 21 décembre 2007, il y a lieu de relever que la requérante ne fournit aucun élément tendant à démontrer que le régime litigieux a été appliqué à ses prises de participations dans le groupe grec concerné. Ainsi, elle n’a évoqué dans ses écritures qu’une intention d’appliquer ledit régime et a confirmé lors de l’audience qu’elle n’avait demandé une telle application dans aucune de ses déclarations fiscales.

30      La requérante ne se trouve donc pas, à ce titre, dans une situation différente de celle de n’importe quelle entreprise ayant réalisé une opération susceptible de bénéficier du régime litigieux et constitue donc un bénéficiaire potentiel, et non effectif, dudit régime (voir, en ce sens, arrêt Acegas/Commission, précité, points 51 à 54). Elle ne peut par conséquent être considérée comme individuellement concernée par la décision attaquée au titre des opérations postérieures au 21 décembre 2007.

31      S’agissant des opérations antérieures au 21 décembre 2007, la requérante a établi sa qualité de bénéficiaire effectif du régime litigieux. En effet, elle a joint en annexe à ses observations sur l’exception d’irrecevabilité un document attestant qu’elle avait fait application du régime litigieux à des prises de participations, l’une, en date du 23 avril 2007, dans une société établie au Royaume-Uni et les autres, en date des 1er décembre 2004 et 1er décembre 2005, dans une société établie en Grèce. Toutefois, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, et de l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée, elle n’est pas visée par l’obligation de récupération prévue par cette décision.

32      À cet égard, la requérante soutient, premièrement, que la reconnaissance de l’affectation individuelle d’un requérant par un acte déclarant une aide incompatible ne saurait être limitée aux cas où ledit acte impose la récupération de cette aide. En l’espèce, elle serait individuellement concernée en raison de son appartenance à un cercle fermé de bénéficiaires de l’aide dont le nombre et l’identité seraient déterminés et vérifiables lors de l’adoption de la décision attaquée. Sur ce point, elle demande au Tribunal d’adopter la demande de mesure d’organisation de la procédure mentionnée au point 19 ci-dessus. Par ailleurs, la participation active de la requérante à la procédure formelle d’examen, attestée notamment par la réunion de ses représentants avec la Commission du 16 avril 2008, mentionnée au considérant 11 de la décision attaquée, de même que la mention au considérant 2 de la décision attaquée de sa prise de participations dans la société Scottish Power démontreraient que sa situation particulière a été prise en compte et qu’elle est donc individuellement concernée.

33      Il convient tout d’abord de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure, dès lors que, comme en l’espèce, cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 novembre 2001, Antillean Rice Mills/Conseil, C‑451/98, Rec. p. I‑8949, point 52, et arrêt du Tribunal du 11 juin 2009, Confservizi/Commission, T‑292/02, Rec. p. II‑1659, point 53). Il n’y a dès lors pas lieu d’ordonner la mesure d’organisation de la procédure demandée par la requérante visant en substance à déterminer si la Commission avait été en mesure d’identifier les bénéficiaires du régime litigieux.

34      Par ailleurs, la jurisprudence a certes reconnu qu’un requérant pouvait être individuellement concerné du fait de sa participation active à la procédure ayant conduit à l’adoption de l’acte attaqué. Toutefois, étaient en cause des situations particulières dans lesquelles le requérant occupait une position de négociateur clairement circonscrite et intimement liée à l’objet même de la décision, le mettant dans une situation de fait qui le caractérisait par rapport à toute autre personne (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, Rec. p. I‑5963, points 85 à 95, et la jurisprudence citée).

35      Or, en l’espèce, la requérante s’est limitée à présenter des observations, comme les 31 autres parties intéressées, et ses représentants ont participé, avec ceux d’autres tiers intéressés, à une réunion avec la Commission le 16 avril 2008. De telles circonstances ne sont pas de nature à démontrer qu’elle occupait une position de négociateur permettant la reconnaissance de son affectation individuelle.

36      Si la requérante soutient que cette participation à la procédure formelle d’examen de même que la mention de son acquisition de parts de Scottish Power dans la décision attaquée démontrent que sa situation particulière a fait l’objet de discussions approfondies de nature à établir son affectation individuelle en vertu de l’arrêt du Tribunal du 22 novembre 2001, Mitteldeutsche Erdöl-Raffinerie/Commission (T‑9/98, Rec. p. II‑3367), elle ne fournit pas d’élément permettant de considérer que sa situation est comparable à celle du requérant dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt.

37      En effet, dans l’arrêt Mitteldeutsche Erdöl-Raffinerie/Commission, précité (points 80 à 82), l’adoption de la disposition de la loi fiscale allemande déclarée incompatible par la décision de la Commission en cause avait été notamment motivée par les particularités de la situation du requérant. Cette situation particulière avait fait l’objet non seulement d’observations écrites de la part du gouvernement allemand et de la société mère du requérant, mais également de discussions approfondies entre ce gouvernement et la Commission. En outre, le gouvernement allemand avait proposé à la Commission de n’appliquer la disposition litigieuse qu’au requérant et de notifier individuellement tous les autres cas éventuels d’application de cette disposition. La Commission avait examiné, dans sa décision, cette proposition et indiqué les motifs pour lesquels elle ne pouvait être acceptée.

38      Or, en l’espèce, la requérante n’a apporté aucun élément de nature à établir l’existence d’une situation particulière ayant fait l’objet de discussions approfondies entre le gouvernement espagnol et la Commission. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que l’adoption du régime litigieux n’a pas été motivée par la prise en compte de sa prétendue situation particulière. Le fait que l’acquisition de Scottish Power par la requérante soit mentionnée au considérant 2 de la décision attaquée ne signifie pas davantage que sa situation particulière a été prise en compte, cette mention n’étant qu’illustrative.

39      La requérante soutient, deuxièmement, que l’exclusion des opérations antérieures au 21 décembre 2007 du champ d’application de l’obligation de récupération en vertu du principe de protection de la confiance légitime, d’une part, n’est pas définitive, en raison du recours formé par Deutsche Telekom AG dans l’affaire T‑207/10 contre cette partie du dispositif de la décision attaquée et, d’autre part, ne s’impose pas aux juridictions nationales saisies de recours formés par ses concurrents.

40      Comme le relève à juste titre la Commission, par cette argumentation, la requérante confond la condition de recevabilité de l’affectation individuelle avec celle de l’intérêt à agir. En effet, si l’intérêt à agir peut être établi grâce notamment à des actions formées devant le juge national postérieurement à l’introduction du recours devant le juge de l’Union (arrêt du Tribunal du 22 octobre 2008, TV 2/Danmark e.a./Commission, T‑309/04, T‑317/04, T‑329/04 et T‑336/04, Rec. p. II‑2935, points 78 à 82), l’affectation individuelle d’une personne physique ou morale s’apprécie au jour de l’introduction du recours et ne dépend que de la décision attaquée. Ainsi, une personne concernée individuellement par une décision déclarant une aide incompatible avec le marché commun et enjoignant sa récupération le reste, même s’il apparaît par la suite que le remboursement ne lui sera pas demandé (voir, en ce sens, arrêt Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, précité, point 56, et conclusions de l’avocat général Mme Trstenjak sous cet arrêt, Rec. p. I‑4727, points 81 et 82).

41      En outre, il y a lieu de rappeler que, pour être individuellement concerné par l’acte attaqué, le requérant doit établir son appartenance à un cercle fermé, c’est-à-dire à un groupe qui ne peut plus être élargi après l’adoption de l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C‑152/88, Rec. p. I‑2477, point 11, et du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, Rec. p. I‑5479, point 63).

42      Il en résulte que, en l’espèce, l’annulation éventuelle de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée par le Tribunal et la récupération subséquente des aides litigieuses auprès de la requérante comme les actions devant le juge national, outre qu’elles sont purement hypothétiques, la requérante ayant admis en réponse à des questions écrites du Tribunal et à l’audience qu’aucun recours n’avait été formé devant une juridiction nationale, ne permettent pas de considérer que celle-ci est individuellement concernée.

43      Par ailleurs, dans la mesure où la requérante se fonde sur le recours formé dans l’affaire T‑207/10 pour prétendre que refuser de lui permettre de contester la partie du dispositif de la décision attaquée qui lui est défavorable, tout en admettant la recevabilité de ce recours contre la partie du dispositif de la décision attaquée qui lui est favorable, revient à la priver d’une protection juridictionnelle effective, il convient de rappeler que l’Union est une Union de droit dans laquelle ses institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes avec le traité et les principes généraux du droit dont font partie les droits fondamentaux. Dès lors, les particuliers doivent pouvoir bénéficier d’une protection juridictionnelle effective des droits qu’ils tirent de l’ordre juridique de l’Union. Toutefois, en l’espèce, la requérante n’est nullement privée de toute protection juridictionnelle effective. En effet, même si le présent recours est déclaré irrecevable, rien ne s’oppose à ce qu’elle propose au juge national, dans le cadre des litiges devant une juridiction nationale dont elle invoque l’existence, où seraient soulevés des moyens de nature à remettre en cause l’absence d’obligation de récupération dont elle bénéficie en vertu de la décision attaquée, de procéder à un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, pour remettre en cause la validité de la décision attaquée en ce qu’elle constate l’incompatibilité du régime litigieux (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 24 mars 2011, Freistaat Sachsen e.a./Commission, T‑443/08 et T‑455/08, Rec. p. II‑1311, point 55, et la jurisprudence citée).

44      Il résulte de ce qui précède que la requérante n’est pas individuellement concernée par la décision attaquée.

45      La requérante fait valoir, à titre subsidiaire, qu’elle n’est pas tenue de démontrer qu’elle est individuellement concernée par la décision attaquée en vertu du dernier membre de phrase de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. En effet, la décision attaquée constituerait un acte réglementaire qui la concerne directement et qui ne comporte pas de mesures d’exécution.

46      En l’espèce, la décision attaquée ne saurait être qualifiée d’acte ne comportant pas de mesures d’exécution. En effet, l’article 6, paragraphe 2, de la décision attaquée mentionne l’existence de « mesures nationales adoptées afin de [la] mettre en œuvre […] jusqu’à la récupération complète des aides octroyées en vertu du régime [litigieux] ». L’existence même de ces mesures de récupération, qui constituent des mesures d’exécution, justifie que la décision attaquée soit considérée comme un acte comportant des mesures d’exécution. En effet, ces mesures pourront être contestées devant le juge national par leurs destinataires.

47      Au demeurant, ces mesures pourront également, le cas échéant, être contestées par la requérante dans l’hypothèse où, comme elle le prétend (voir point 39 ci-dessus), l’obligation de récupération serait mise en œuvre à son égard. En outre, comme l’a relevé la Commission lors de l’audience, les mesures d’exécution de la décision attaquée ne se limitent pas à ces mesures de récupération, mais comprennent également toutes les mesures visant à mettre en œuvre la décision d’incompatibilité, dont notamment celle consistant à rejeter une demande de bénéfice de l’avantage fiscal en cause, rejet que la requérante pourra également contester devant le juge national. Doit par conséquent être rejeté l’argument de la requérante selon lequel la décision attaquée ne comporte, ni ne nécessite, de mesures d’exécution pour produire ses effets, étant donné qu’elle empêcherait automatiquement la poursuite de l’application du régime litigieux par les bénéficiaires et le Royaume d’Espagne.

48      Il en résulte que la décision attaquée comporte des mesures d’exécution et que, partant, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la nature d’acte réglementaire de ladite décision, l’argument subsidiaire de la requérante fondé sur le dernier membre de phrase de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE doit être rejeté.

49      Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu de rejeter le recours comme irrecevable, sans qu’il soit besoin d’examiner la première fin de non-recevoir opposée par la Commission tirée de l’absence d’intérêt à agir de la requérante.

 Sur les dépens

50      En vertu de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Iberdrola, SA est condamnée aux dépens.

Truchot

Martins Ribeiro

Wahl

Soldevila Fragoso

 

      Kanninen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mars 2012.

Signatures


** Langue de procédure : l’espagnol.