Language of document : ECLI:EU:T:2023:406

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

19 juillet 2023 (*)

« Référé – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Demande de mesures provisoires – Fumus boni juris – Urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑743/22 R II,

Nikita Dmitrievich Mazepin, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Mes D. Rovetta, M. Campa, M. Moretto, V. Villante, T. Marembert et A. Bass, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J. Rurarz et Mme P. Mahnič, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

vu l’ordonnance du 5 avril 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée),

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, le requérant, M. Nikita Dmitrievich Mazepin, sollicite, d’une part, le sursis à l’exécution de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75I, p. 134), du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75I, p. 1), et de l’acte du Conseil du 14 mars 2023 maintenant son nom sur la liste des personnes, des entités et des organismes visés par des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), telle que modifiée, et le règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), tel que modifié (ci‑après, pris ensemble, les « actes attaqués »), dans la mesure où ces actes, en maintenant son nom sur ladite liste, l’empêchent de négocier son recrutement en tant que pilote professionnel de Formule 1 ou en tant que pilote d’autres championnats de sport automobile se déroulant également ou uniquement sur le territoire de l’Union européenne ainsi que de participer aux Grands Prix, essais, entraînements et séances libres de Formule 1 et aux autres championnats de sport automobile, courses, essais, entraînements et séances libres se déroulant sur le territoire de l’Union, et, d’autre part, l’octroi de toutes mesures provisoires appropriées qui lui permettraient de négocier son recrutement en tant que pilote professionnel de Formule 1 ou en tant que pilote d’autres championnats de sport automobile se déroulant également ou uniquement sur le territoire de l’Union, d’être recruté en tant que pilote par les équipes participant aux championnats en question ainsi que d’exercer les droits et de s’acquitter des obligations découlant du recrutement en question, y compris de participer aux Grands Prix, essais, entraînements et séances libres de Formule 1 et aux autres championnats, courses, essais, entraînements et séances libres de sport automobile se déroulant sur le territoire de l’Union.

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        Le 24 février 2022, la Fédération de Russie a agressé militairement l’Ukraine.

3        Le même jour, le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a publié une déclaration au nom de l’Union condamnant avec la plus grande fermeté l’invasion non provoquée de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie.

4        Lors de sa réunion extraordinaire du même jour, le Conseil européen a condamné l’agression militaire non provoquée et injustifiée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, tout en marquant son accord de principe pour l’adoption de mesures restrictives et sanctions économiques envers la Fédération de Russie au regard des propositions de la Commission européenne et du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

5        Le 25 février 2022, dans le sillage de ces déclarations, le Conseil de l’Union européenne a, eu égard à la gravité de la situation, adopté la décision (PESC) 2022/329, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), par laquelle il a modifié les critères de désignation de façon à inclure les personnes et entités qui apportent un soutien au gouvernement de la Fédération de Russie ou qui tirent avantage de ce gouvernement ainsi que les personnes et entités qui lui fournissent une source substantielle de revenus et les personnes physiques ou morales associées aux personnes et entités figurant sur la liste.

6        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin de mettre en œuvre les modifications apportées par la décision 2022/329.

7        Le 9 mars 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/397, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 80, p. 31), par laquelle le nom du requérant a été ajouté sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figure à l’annexe de la décision 2014/145.

8        Les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes visés étaient les suivants :

« Nikita Mazepin est le fils de Dmitry Arkadievich Mazepin, directeur général de JSC UCC Uralchem. Étant donné qu’Uralchem sponsorise l’écurie de Formule 1 [Haas], Dmitry Mazepin est le principal sponsor des activités de son fils au sein de celle‑ci.

Il est une personne physique liée à un homme d’affaires influent (son père) ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

9        À la même date, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2022/396, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 80, p. 1), par lequel le nom du requérant a été ajouté, avec la même motivation, à la liste qui figure à l’annexe I du règlement no 269/2014.

10      Par lettre du 31 mai 2022, le requérant a demandé au Conseil de reconsidérer la décision de l’inclure dans la liste des personnes, entités et organismes soumis aux mesures restrictives prévues par la décision 2022/397 et le règlement d’exécution 2022/396.

11      Par lettre du 20 juin 2022, le Conseil a informé le requérant de son intention de renouveler les mesures restrictives imposées à son encontre avec un nouvel exposé des motifs.

12      Par lettre du 4 juillet 2022, le requérant a répondu à la lettre du Conseil du 20 juin 2022.

13      Le 14 septembre 2022, compte tenu de la poursuite des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/1530, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 239, p. 149), par laquelle il a décidé de maintenir le nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figure à l’annexe de la décision 2014/145.

14      Les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes visés étaient les suivants :

« Nikita Mazepin est le fils de Dmitry Arkadievich Mazepin, ancien directeur général de JSC UCC Uralchem. Jusqu’en mars 2022, il a été pilote de course de l’écurie de Formule 1 Haas, parrainée par [Uralchem].

Il est une personne physique liée à un homme d’affaires influent (son père) ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

15      À la même date, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2022/1529, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 239, p. 1), par lequel le nom du requérant a été maintenu, avec la même motivation, sur la liste qui figure à l’annexe I du règlement no 269/2014.

16      Par lettre du 15 septembre 2022, le Conseil, après avoir examiné les observations présentées par le requérant dans les lettres des 31 mai et 4 juillet 2022, a informé ce dernier que, selon lui, ces observations ne mettaient pas en cause l’appréciation selon laquelle des mesures restrictives devaient être maintenues à son encontre et que, par conséquent, il avait décidé de maintenir son nom sur la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives au titre de la décision 2022/1530 et du règlement d’exécution 2022/1529.

17      Par lettre du 1er novembre 2022, le requérant a demandé au Conseil de reconsidérer la décision de maintenir son nom sur la liste des personnes, entités et organismes soumis aux mesures restrictives prévues par la décision 2014/145 et le règlement n° 269/2014.

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 novembre 2022, le requérant a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision 2022/1530, du règlement d’exécution 2022/1529 et de l’acte du 15 septembre 2022 (voir point 16 ci-dessus) (ci-après les « actes de 2022 »), en tant que ces actes le concernent.

19      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 9 décembre 2022, le requérant a introduit une demande en référé, dans laquelle il conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal d’accorder le sursis partiel à l’exécution des actes de 2022, dans la mesure où son nom a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent les mesures restrictives en cause.

20      Par lettre du 22 décembre 2022, le Conseil a informé le requérant de son intention de renouveler les mesures restrictives imposées à son encontre, en se fondant sur le document WK 17618 2022 INIT. L’exposé des motifs est identique aux motifs d’inscription figurant dans la décision 2022/1530 et le règlement d’exécution 2022/1529 (voir point 14 ci-dessus).

21      Le 11 janvier 2023, le requérant a répondu à la lettre du Conseil du 22 décembre 2022.

22      Le 6 février 2023, le Conseil a informé le requérant de son intention de renouveler les mesures restrictives imposées à son encontre, en se fondant sur les documents WK 1127/23 et WK 1127/23 ADD1. L’exposé des motifs reprend la motivation figurant dans la décision 2022/1530 et le règlement d’exécution 2022/1529, avec la mention supplémentaire suivante : « Sa fondation “We Compete As One” est financée par des fonds provenant de la société Uralkali, et il tire donc indûment avantage de son père ».

23      Le 15 février 2023, le requérant a répondu à la lettre du Conseil du 6 février 2023.

24      Par ordonnance du 1er mars 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R, non publiée, EU:T:2023:102), le président du Tribunal a accordé le sursis à l’exécution des actes de 2022, dans la mesure où le nom du requérant a été maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent les mesures restrictives prévues par la décision 2014/145, telle que modifiée, et le règlement no 269/2014, tel que modifié, sous les conditions énoncées dans ladite ordonnance.

25      Le 7 mars 2023, le requérant a invité le Conseil à mettre en œuvre l’ordonnance du 1er mars 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R, non publiée, EU:T:2023:102).

26      Le 13 mars 2023, le Conseil a adopté la décision 2023/572, par laquelle il a décidé de maintenir le nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figure à l’annexe de la décision 2014/145.

27      Les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes visés sont désormais les suivants :

« Nikita Mazepin est le fils de Dmitry Arkadievich Mazepin, ancien directeur général de JSC UCC Uralchem. Jusqu’en mars 2022, il a été pilote de course de l’écurie de Formule 1 Haas, parrainée par Uralchem. Sa fondation “We Compete As One” est financée par des fonds provenant de la société Uralkali, et il tire donc indûment avantage de son père.

Il est une personne physique liée à un homme d’affaires influent (son père) ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

28      Les « informations d’identification » du requérant comprennent dorénavant, outre sa fonction d’« ancien pilote de course russe de l’écurie de Formule 1 Haas du Championnat du monde de Formule 1 en 2022, sous le drapeau neutre représentant la Fédération automobile russe, celle de « fondateur de la fondation “We Compete As One” (Nous concourrons en ne faisant qu’un) ».

29      À la même date, le Conseil a adopté le règlement d’exécution 2023/571, par lequel le nom du requérant a été maintenu, avec la même motivation et les mêmes informations d’identification, sur la liste qui figure à l’annexe I du règlement n° 269/2014.

30      Par lettre du 14 mars 2023, le Conseil, après avoir examiné les observations présentées par le requérant dans la lettre du 1er novembre 2022 et dans les courriels des 11 janvier et 15 février 2023, a informé ce dernier que, selon lui, ces observations ne mettaient pas en cause l’appréciation selon laquelle des mesures restrictives devaient être maintenues à son encontre et que, par conséquent, il avait décidé de maintenir son nom sur la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives au titre de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2023/572, et du règlement n° 269/2014, tel que mis en œuvre par le règlement d’exécution 2023/571.

31      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 4 avril 2023, le requérant a, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, adapté la requête, de sorte que celle-ci vise également à l’annulation des actes attaqués, en tant que ces actes le concernent.

32      Par acte séparé déposé le même jour, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution des actes attaqués, dans la mesure où ces actes, en maintenant son nom sur la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives, l’empêchent de négocier son recrutement en tant que pilote professionnel de Formule 1 ou en tant que pilote d’autres championnats de sport automobile se déroulant également ou uniquement sur le territoire de l’Union, ainsi que de participer aux Grands Prix, essais, entraînements et séances libres de Formule 1 et aux autres championnats de sport automobile, courses, essais, entraînements et séances libres se déroulant sur le territoire de l’Union ;

–        accorder toute autre mesure provisoire appropriée qui lui permettrait de négocier son recrutement en tant que pilote professionnel de Formule 1 ou en tant que pilote d’autres championnats de sport automobile se déroulant également ou uniquement sur le territoire de l’Union, ainsi que de participer aux Grands Prix, essais, entraînements et séances libres de Formule 1 et aux autres championnats, courses, essais, entraînements et séances libres de sport automobile se déroulant sur le territoire de l’Union.

En particulier, le requérant demande l’octroi de toute mesure provisoire appropriée qui lui permettrait, premièrement, d’entrer sur le territoire de l’Union afin de négocier et de conclure des accords avec une équipe de course ou avec des sponsors qui ne sont pas liés aux activités de son père ni à des personnes physiques ou morales dont le nom est inscrit sur les listes figurant aux annexes de la décision 2014/145 et du règlement n° 269/2014, deuxièmement, d’entrer sur le territoire de l’Union afin de participer en tant que pilote titulaire ou de réserve à des championnats de Formule 1 de la Fédération internationale de l’automobile (FIA) ou à d’autres championnats, à des entraînements, à des essais ou à des séances libres de sport automobile, également en vue d’obtenir le renouvellement de sa Super Licence, troisièmement, d’entrer sur le territoire de l’Union pour se soumettre aux examens médicaux imposés par la FIA ou par son équipe de course, quatrièmement, d’entrer sur le territoire de l’Union pour suivre les programmes de contrôles médicaux et d’entraînements (y compris sur simulateur), cinquièmement, d’entrer sur le territoire de l’Union pour participer à des activités de course, de parrainage et de promotion à la demande de son équipe de course ou de ses sponsors, sixièmement, d’ouvrir un compte bancaire sur lequel un salaire, des primes, des avantages de son équipe de course et des contributions financières des sponsors pourront lui être versés et, septièmement, d’utiliser le compte bancaire et une carte de crédit pour couvrir les frais qui permettent à un pilote professionnel de voyager sur le territoire de l’Union, de négocier et de conclure des accords avec une équipe de course ou avec des sponsors, de participer à des championnats, des Grands Prix, des courses, des entraînements, des essais ou des séances libres dans ces pays (par exemple, frais de voyage, de nourriture, de santé et d’hébergement), et de suivre un programme de contrôles médicaux et d’entraînements ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

33      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 18 avril 2023, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Considérations générales

34      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

35      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

36      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

37      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

38      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

39      Dans les circonstances du cas d’espèce, et sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la question de savoir si l’acte du Conseil du 14 mars 2023 maintenant le nom du requérant sur la liste des personnes, entités et organismes visés par des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145 et le règlement no 269/2014 doit être considéré comme un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE, il convient d’examiner d’abord la condition relative au fumus boni juris.

 Sur le fumus boni juris

40      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence d’un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond [voir, en ce sens, ordonnances du 3 décembre 2014, Grèce/Commission, C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418, point 20 et jurisprudence citée, et du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 59 et jurisprudence citée].

41      Afin de déterminer si la condition relative au fumus boni juris est remplie en l’espèce, il y a lieu de procéder à un examen prima facie du bien‑fondé des griefs invoqués par la partie requérante à l’appui du recours dans l’affaire principale et donc de vérifier si au moins l’un d’entre eux présente un caractère suffisamment sérieux pour justifier qu’il ne soit pas écarté dans le cadre de la procédure de référé (voir ordonnance du 4 mai 2020, Csordas e.a./Commission, T‑146/20 R, non publiée, EU:T:2020:172, point 26 et jurisprudence citée).

42      En l’espèce, aux fins de démontrer que les actes attaqués sont, à première vue, entachés d’illégalité, le requérant invoque cinq moyens.

43      Il convient d’examiner le troisième moyen, par lequel le requérant soutient que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation, n’a pas respecté la charge de la preuve et a violé, d’une part, les critères d’inscription sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives, énoncés à l’article 1er, paragraphe 1, sous e), et à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014, et, d’autre part, les droits de la défense.

44      En substance, le requérant fait valoir que le Conseil ne démontre pas qu’il a tiré indûment avantage de son père.

45      En particulier, en premier lieu, le requérant allègue que la société Uralkali, et non Uralchem, était le sponsor de l’écurie de Formule 1 Haas, son ancien employeur, et que son père, M. Dmitry Arkadievich Mazepin, dont le nom est également inscrit sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives, n’a jamais été le directeur général d’Uralkali, ce qui signifie que son implication potentielle dans la conclusion de l’accord de parrainage entre la société Uralkali et l’écurie de Formule 1 Haas ne saurait être présumée, mais devrait être clairement établie par le Conseil. Le requérant précise qu’il ne saurait être considéré qu’Uralchem était le sponsor de l’écurie de Formule 1 Haas du fait qu’elle est la société mère d’Uralkali, cette dernière étant une société distincte disposant de ses propres organes dirigeants.

46      Par ailleurs, le requérant soutient que la base documentaire du Conseil ne permet pas d’établir l’implication de son père, M. Dmitry Arkadievich Mazepin, dans le processus décisionnel ayant conduit à la signature de l’accord de parrainage. En particulier, une telle implication personnelle de son père ne saurait être présumée ou déduite du fait qu’Uralkali est détenue par Uralchem, dont il était à l’époque directeur général.

47      En deuxième lieu, le requérant allègue que l’accord de parrainage conclu avec l’écurie de Formule 1 Haas était, pour Uralkali, une opération commerciale tout à fait justifiée du point de vue économique et que les groupes mondiaux d’engrais prennent régulièrement part au sponsoring sportif. Par ailleurs, le requérant soutient, d’une part, que la base documentaire du Conseil ne permet pas d’établir qu’un tel accord de parrainage irait à l’encontre de l’intérêt d’Uralkali et, d’autre part, que le Conseil ne saurait présumer que tel serait le cas.

48      En troisième lieu, le requérant allègue que le Conseil est resté en défaut de démontrer qu’il n’aurait pas pu obtenir cette place de pilote au sein de l’écurie de Formule 1 Haas sans l’accord de parrainage.

49      En quatrième lieu, le requérant fait valoir, premièrement, que le Conseil n’a pas établi que la fondation « We Compete As One » est financée par Uralkali. La base documentaire du Conseil ne comporterait aucune preuve en ce sens et, en particulier, que ladite fondation aurait effectivement reçu un soutien financier d’Uralkali, les éléments de preuve sur lesquels le Conseil se serait fondé à cet égard se limitant à des articles de presse antérieurs à la création de la fondation en cause. Le requérant soutient, deuxièmement, que les éléments qu’il a produits devant le Conseil établissent, d’une part, que, bien qu’il ait inspiré la création de cette fondation, il n’a pas la possibilité d’utiliser les actifs à son avantage, de sorte que ladite fondation n’est pas la sienne, ni de déterminer les décisions de celle-ci, et, d’autre part, que, en tout état de cause, ladite fondation n’est pas financée par Uralkali ni au moyen des fonds de celle-ci.

50      En cinquième lieu, le requérant fait valoir que, en mars 2023, il a été inscrit sur les listes des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives uniquement parce qu’il est le fils de M. Dmitry Arkadievich Mazepin, dès lors que tous les autres motifs d’inscription se rapportent à des circonstances passées qui ont changé depuis ou sont incorrectes. Or, selon la jurisprudence, le fait d’être membre de la famille d’un individu sanctionné ne suffirait pas en tant que tel à justifier l’inscription du nom d’une personne sur lesdites listes au titre du critère d’association.

51      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

52      En premier lieu, le Conseil fait valoir qu’il ne fait aucun doute que M. Dmitry Arkadievich Mazepin, le père du requérant, était le vice‑président du conseil d’administration d’Uralkali au moment de la signature de l’accord de parrainage et que cette société était détenue, à plus de 80 %, par Uralchem, elle‑même entièrement détenue par le père du requérant. Par conséquent, le père du requérant contrôlerait à la fois Uralchem et Uralkali. Sa participation aux négociations relatives au parrainage serait établie, et il serait donc à l’origine du parrainage des activités du requérant.

53      En deuxième lieu, le Conseil soutient que le requérant a tiré indûment avantage de son père par le biais de l’accord de parrainage conclu entre Uralkali et l’écurie de Formule 1 Haas, et qu’il continue à tirer indûment avantage de celui-ci par le biais de la fondation « We Compete As One », dans la mesure où, d’abord, le requérant n’aurait pu obtenir la place de pilote au sein de l’écurie ainsi que sa propre fondation caritative sans le soutien financier de son père, et, ensuite, ce parrainage et la création de ladite fondation n’auraient guère de sens sur le plan commercial pour Uralkali et Uralchem. À cet égard, le Conseil relève que les autres activités de parrainage d’Uralkali invoquées par le requérant, lesquelles concerneraient des initiatives locales, ont une ampleur et un objectif différents de ceux liés au parrainage d’une écurie de Formule 1.

54      En outre, le Conseil fait valoir, en particulier, que la fondation caritative a été créée par le requérant et a reçu un financement d’Uralkali, laquelle est détenue par Uralchem dont le principal propriétaire est son père. Ainsi, la fondation existerait uniquement grâce au soutien financier d’une société liée au père du requérant et le requérant tirerait avantage de ladite fondation.

55      En troisième lieu, le Conseil relève que le nom du requérant a été inscrit en raison du lien financier avec son père, qui a été directeur général de la société Uralchem contrôlant une entreprise parrainant la carrière et les différentes activités professionnelles de son fils, et de l’avantage indu qu’il en tire.

56      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous‑tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

57      C’est à l’aune de ces considérations qu’il convient d’examiner le présent moyen soulevé par le requérant.

58      Dans ce cadre, il y a lieu de constater que, au vu du libellé des motifs du maintien du nom du requérant sur les listes en cause, tels que figurant dans la décision 2023/572 et dans le règlement d’exécution 2023/571, dont les termes sont reproduits au point 27 ci‑dessus, et de celui des critères d’inscription, le motif d’inscription du nom du requérant sur ces listes, retenu par le Conseil au titre de l’article 1er, paragraphe 1, sous e), et de l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et de l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, est sa qualité de personne physique associée à un homme d’affaires influent (son père) ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

59      Pour justifier le maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, le Conseil a fourni le document WK 1127/2023 INIT et le document 1127/2023 ADD 1 comportant des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir des liens vers des sites Internet, des articles de presse et des captures d’écran.

60      Il convient donc de déterminer si le Conseil a, à première vue, commis une erreur d’appréciation en considérant que, en l’espèce, il existait une base factuelle suffisamment solide, au sens de la jurisprudence citée au point 56 ci‑dessus, pouvant justifier le maintien du nom du requérant sur les listes en cause.

61      À cet effet, indépendamment de la question de savoir si c’était Uralkali ou Uralchem le sponsor de l’écurie de Formule 1 Haas et à supposer que M. Dmitry Arkadievich Mazepin exerçait un contrôle effectif sur le groupe Uralchem, il convient d’examiner l’argument du requérant selon lequel, en substance, le Conseil ne démontre pas qu’il a indûment tiré avantage de son père.

62      À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort d’abord des motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause qu’il a été, en tant que pilote de l’écurie de Formule 1 Haas jusqu’en mars 2022, sponsorisé par Uralchem et que son père est ancien directeur général de JSC UCC Uralchem.

63      Cette partie des motifs d’inscription a trait au fait que le père du requérant, ancien directeur général de JSC UCC Uralchem et homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, aurait, par l’accord de parrainage conclu entre Uralkali, société détenue à plus de 80 % par Uralchem, et l’écurie de Formule 1 Haas, sponsorisé les activités de son fils.

64      Par ailleurs, il ressort, en particulier, des pièces no 6, page 684, et no 9, page 691, figurant dans le document WK 1127/2023 INIT, que, ainsi que l’a également constaté le juge des référés dans l’ordonnance du 1er mars 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R, non publiée, EU:T:2023:102, point 46), le Conseil a étayé à suffisance de droit le fait qu’Uralkali a conclu un accord de parrainage avec l’écurie de Formule 1 Haas. Au demeurant, le requérant ne le conteste pas.

65      Néanmoins, le requérant fait valoir, d’une part, que les éléments de preuve fournis par le Conseil ne permettent pas d’établir qu’il n’aurait pas pu obtenir cette place de pilote dans l’écurie de Formule 1 Haas sans l’accord de parrainage et, d’autre part, que ledit accord était, pour Uralkali, une opération commerciale tout à fait justifiée d’un point de vue économique et, à cet égard, qu’il n’est pas établi que ledit accord irait à l’encontre de l’intérêt d’Uralkali.

66      Or, s’il est admis entre les parties qu’Uralkali a conclu un accord de parrainage avec l’écurie de Formule 1 Haas, il existe, à ce stade et au vu des arguments présentés, des raisons de douter que les mesures restrictives concernant le requérant reposent sur une base factuelle suffisamment solide et, en particulier, que les éléments de preuve figurant dans les documents WK 1127/2023 INIT et WK 1127/2023 ADD 1 permettent d’étayer le fait que l’accord de parrainage constituerait un avantage indu. En d’autres termes, si le Conseil démontre que Uralkali, une société liée au père du requérant, a bien conclu ce contrat de parrainage avec l’écurie de Formule 1 Haas, il existe, à première vue, au vu desdits arguments et éléments, des raisons de douter que le requérant n’aurait pas pu obtenir cette place de pilote au sein de l’écurie sans ce parrainage et que la conclusion de ce contrat aurait été contraire aux intérêts économiques d’Uralkali.

67      En effet, si certains éléments de preuve fournis par le Conseil suggèrent que le requérant aurait bénéficié du soutien d’une société liée à son père pour devenir pilote de l’équipe de Formule 1 ou font état d’appréciations négatives quant à ses résultats en tant que coureur en Formule 1, force est de constater que la pièce n° 1, page 714, figurant dans le document WK 1127/2023 ADD 1 mentionne qu’il avait atteint la cinquième position en Formule 2 avant son entrée en Formule 1 et, ainsi que le soutient le requérant, la pièce n °16, page 709, figurant dans le document WK 1127/2023 INIT énonce une appréciation positive concernant ses qualifications et son expérience pour concourir en Formule 1. Par ailleurs, ont été relevés, dans l’ordonnance du 1er mars 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R, non publiée, EU:T:2023:102, point 49), les bons résultats du requérant en GP 3 (ancienne dénomination de la Formule 3) et en Formule 2 avant son recrutement par l’équipe de Formule 1. Ainsi, au vu desdits éléments, il n’apparaît pas clairement que le requérant aurait obtenu le poste de pilote de Formule 1 uniquement en raison du soutien financier de son père. À cet égard, le Conseil reconnaît lui-même, au point 48 de ses observations sur la demande en référé, que « les performances antérieures de pilote du requérant constituent un élément ayant peut-être contribué à son recrutement » par l’équipe de Formule 1 Haas.

68      En outre, à ce stade, et au vu des arguments présentés, il existe, à première vue, des raisons de douter que les éléments de preuve fournis par le Conseil permettent de considérer que le parrainage entre Uralkali et l’écurie de Formule 1 Haas a équivalu à une action philanthropique ou à une opération commerciale contraire aux intérêts économiques d’Uralkali et que ce parrainage n’a pas également bénéficié aux deux parties contractantes audit accord. En particulier, l’affirmation du Conseil au point 49 de ses observations sur la demande en référé, selon laquelle « Uralkali s’est retirée de l’accord dès que le requérant a été licencié », ce qui participerait à démontrer que le parrainage n’avait pas d’intérêt commercial pour Uralkali, apparaît, prima facie, en contradiction avec, en particulier, les pièces n° 6 et n° 9 figurant dans le document WK 1127/2023 INIT, auxquelles le Conseil fait référence au soutien de ladite affirmation, mais dont il semble ressortir que c’est l’écurie Haas qui a mis fin à l’accord de parrainage. Dans ce contexte, la demande de remboursement de financement formulée par Uralkali auprès de Haas à la suite de la résiliation de l’accord de parrainage, telle qu’elle ressortirait de la base documentaire du Conseil, n’apparaît pas clairement comme une circonstance qui participerait à « confirm[er] » l’absence d’intérêt commercial du parrainage en cause pour Uralkali, comme semble le soutenir le Conseil.

69      De plus, il a été relevé au point 50 de l’ordonnance du 1er mars 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R, non publiée, EU:T:2023:102), que tant Uralchem qu’Uralkali parrainaient d’autres activités sportives, en l’occurrence Uralchem était un partenaire de longue date de la Fédération russe de natation et Uralkali avait été sponsor de l’organisateur du Grand Prix de Formule 1 de Russie. De même, la déclaration du directeur général d’Uralkali reproduite par le requérant dans la demande en référé, et indiquant que ladite société avait un intérêt commercial important à devenir sponsor de Formule 1, mentionne d’autres activités de parrainage d’Uralkali. L’argument du Conseil selon lequel l’ampleur et les objectifs desdites activités de parrainage seraient différents de ceux relatifs au parrainage d’une écurie de Formule 1 ne permet pas, à première vue, de leur nier toute pertinence en l’espèce.

70      Eu égard au différend factuel que révèlent les arguments du requérant, le juge des référés estime que ces questions doivent faire l’objet d’un examen approfondi dans le cadre du recours principal.

71      Il convient de rappeler qu’il est également indiqué dans les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause que « [s]a fondation “We Compete As One” est financée par des fonds provenant de la société Uralkali ».

72      Cette partie des motifs d’inscription a trait au fait que le père du requérant aurait, par le biais d’Uralkali, financé la fondation de son fils.

73      Si le requérant reconnaît qu’il a inspiré la création de la fondation et s’il ressort de la demande en référé qu’il est membre du conseil d’administration de ladite fondation, il nie tirer un avantage indu de son père par le biais de cette fondation et fait valoir qu’il ne s’agit pas de « sa fondation » et que celle-ci n’est pas financée par Uralkali ni au moyen des fonds de celle-ci. Il précise que, en tout état de cause, il n’a jamais tiré avantage de ladite fondation, ni déterminé les décisions de celle-ci.

74      Or, à ce stade et au vu des arguments présentés, il existe des raisons de douter que les mesures restrictives concernant le requérant reposent sur une base factuelle suffisamment solide à cet égard et, en particulier, que les éléments de preuve figurant dans les documents WK 1127/2023 INIT et WK 1127/2023 ADD 1 permettent d’étayer le fait que le requérant tirerait indûment avantage de son père par le biais de la fondation « We Compete As One ». En particulier, si des articles de presse faisant partie de la base documentaire présentent la fondation comme étant celle du requérant (voir notamment la pièce n° 4, page 677, et la pièce n° 6, page 685, figurant dans le document WK 1127/2023 INIT et la pièce n° 4, page 721, figurant dans le document WK 1127/2023 ADD 1), il existe, à première vue, au vu desdits arguments et des éléments de preuve, des raisons de douter que ladite fondation a été effectivement financée par Uralkali ou au moyen des fonds de celle-ci. De même, il n’apparaît pas clairement que le requérant en tirerait avantage.

75      En effet, si les pièces n° 6, n° 8 et n° 9 figurant dans le document WK 1127/2023 INIT et les pièces n° 4 et n° 5 figurant dans le document WK 1127/2023 ADD 1 font état d’informations ou de déclarations, y compris du requérant, selon lesquelles ladite fondation sera ou serait financée par des fonds provenant d’Uralkali, elles consistent en des articles de presse dont le requérant souligne qu’ils sont antérieurs à la création de ladite fondation, laquelle, selon le requérant, n’aurait reçu aucun soutien financier de la part d’Uralkali. Sans qu’il soit besoin à ce stade de se prononcer sur leur valeur probante, il y a lieu de relever que, au soutien de son argumentation quant à l’absence de financement de la fondation par Uralkali ou au moyen des fonds de celle-ci, et quant au fait qu’il ne tirerait pas avantage de ladite fondation, le requérant reproduit dans la demande en référé les déclarations de la directrice générale de la fondation et du directeur général d’Uralkali.

76      En outre, s’agissant de l’affirmation du Conseil au point 52 de ses observations sur la demande en référé, selon laquelle la création de la fondation n’aurait pas de sens sur le plan commercial pour Uralkali et Uralchem, il convient de relever que le Conseil ne se réfère à cet égard, dans ses observations, à aucun élément de preuve en particulier.

77      Eu égard au différend factuel que révèlent les arguments du requérant, le juge des référés estime que ces questions doivent faire l’objet d’un examen approfondi dans le cadre du recours principal.

78      Enfin, compte tenu de ce qui précède, il existe, à première vue, au vu des arguments présentés et des éléments de preuve, des raisons de douter que, de manière plus générale, le requérant continue, au regard de ces nouveaux liens financiers allégués avec son père, de tirer indûment avantage de celui-ci, comme le soutient le Conseil.

79      À cet égard, les pièces n° 7, n° 12 et n° 13 figurant dans le document WK 1227/2023 INIT auxquelles se réfère le Conseil dans ses observations sur la demande en référé aux fins principalement de démontrer l’existence d’une association ou d’une relation étroite entre le requérant et son père, ne semblent pas, à première vue, permettre, en elles-mêmes, de considérer que le requérant a tiré indûment avantage ou continue de tirer indûment avantage de son père, que ce soit par le biais de l’accord de parrainage ou de la fondation « We Compete As One ».

80      Dans ces conditions, il convient de conclure que l’argument du requérant selon lequel le Conseil ne démontre pas qu’il a tiré indûment avantage de son père révèle l’existence d’un différend factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond.

81      En conséquence, le juge des référés ne saurait, à première vue et à ce stade, considérer comme dépourvu de fondement sérieux le grief du requérant selon lequel le Conseil a maintenu son nom sur les listes en cause uniquement en raison de ses liens familiaux avec son père, dès lors que tous les autres motifs d’inscription se rapportent à des circonstances passées qui ont entre-temps changé ou sont incorrectes (voir point 50 ci-dessus).

82      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur le recours au principal, le présent moyen apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux.

83      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris.

 Sur la condition relative à l’urgence

84      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

85      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si le requérant parvient à démontrer l’urgence.

86      En l’espèce, pour démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice invoqué, le requérant soutient que, en raison des mesures restrictives prises à son encontre, il n’a pas été et n’est pas en mesure de négocier son recrutement, pour la saison 2023, par une équipe en tant que pilote de Formule 1, à temps plein ou de réserve, ou en tant que pilote de toute autre compétition de sport automobile se déroulant en Europe, comme la Formule 2 ou le Deutsche Tourenwagen Masters.

87      En outre, compte tenu de la durée potentielle de la procédure juridictionnelle et du fait que le Conseil a manifesté son intention de maintenir les mesures restrictives adoptées à son encontre, le requérant allègue qu’il est fort probable qu’il sera également privé de la possibilité de commencer des entraînements pour la nouvelle saison et de négocier son recrutement en tant que pilote de Formule 1 à temps plein ou de réserve pour la saison 2024, dont les négociations commenceront à l’été 2023.

88      Il en découle, selon le requérant, que sa non‑participation à la deuxième et très probablement à la troisième saison consécutive du championnat de Formule 1 et des autres championnats de sport automobile rendra extrêmement difficile, voire impossible, toute perspective d’être à nouveau recruté comme pilote de Formule 1 ou comme pilote dans d’autres championnats de sport automobile, en raison de la courte durée moyenne de la carrière d’un pilote de Formule 1 et du fait qu’il est déjà âgé de 24 ans, de la nécessité d’entretenir constamment ses talents de pilote et des difficultés à obtenir le renouvellement de la Super Licence s’il ne maintient pas ses compétences et ne peut pas s’entraîner sur des voitures de Formule 1.

89      Le requérant ajoute, à cet égard, que, la FIA ayant décidé que les pilotes russes et biélorusses pouvaient participer aux compétitions internationales à titre individuel et neutre, sous réserve d’un engagement spécifique et du respect des principes de paix et de neutralité politique de la FIA, il est prêt à signer ce document d’engagement des pilotes dans l’hypothèse où il serait recruté par une équipe de course.

90      Enfin, le requérant conclut que le préjudice qui en résulte sera définitif et, dans l’hypothèse où les actes attaqués seraient annulés par le Tribunal à l’issue du litige au principal, aucune indemnité ne pourra réparer ce préjudice moral.

91      Le requérant précise également que l’octroi de mesures provisoires lui permettrait, par ailleurs, de participer à un programme médical et d’entraînement à la Formula Medicine, en vue de préparer la saison 2024.

92      Le Conseil ne conteste pas que la condition relative à l’urgence est remplie.

93      À cet égard, en premier lieu, il convient de constater que le préjudice invoqué par le requérant, à savoir la privation de la possibilité de négocier son recrutement comme pilote de Formule 1 ou comme pilote professionnel dans d’autres championnats de sport automobile, est d’ordre non pécuniaire.

94      En deuxième lieu, il convient de relever que, en l’absence du sursis sollicité, le requérant serait privé de la possibilité de négocier son recrutement comme pilote de Formule 1 ou comme pilote professionnel dans d’autres championnats de sport automobile jusqu’au 15 septembre 2023, conformément à l’article 6, deuxième alinéa, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2023/572.

95      Toutefois, compte tenu de la poursuite des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, il est très probable que, le 15 septembre 2023, le Conseil décide de proroger le maintien de l’inscription du nom du requérant pour une nouvelle période de six mois.

96      Le préjudice qui en résulterait pour le requérant, en l’absence du sursis sollicité, peut être qualifié de particulièrement grave du fait que, compte tenu de son âge, de l’impossibilité d’avoir entre‑temps un entraînement régulier sur des voitures de Formule 1 et du risque de ne pas pouvoir renouveler sa Super Licence après plus de trois ans d’interruption, dans l’hypothèse où les actes attaqués seraient annulés par le Tribunal à l’issue du litige au principal, il lui serait extrêmement difficile, voire impossible, de reprendre sa carrière de pilote de Formule 1.

97      Ainsi, en l’absence du sursis sollicité et eu égard à la durée potentielle de la procédure dans l’affaire au principal, la possibilité pour le requérant de reprendre, à l’issue de la procédure au fond, sa carrière de pilote de Formule 1, qui exige très régulièrement sa présence sur le territoire de l’Union, notamment pour participer aux Grands Prix, semble hypothétique ou, en tout état de cause, fortement limitée.

98      En troisième lieu, il convient de constater que le préjudice consistant dans la privation de la possibilité de négocier son recrutement comme pilote de Formule 1 ou comme pilote professionnel dans d’autres championnats de sport automobile serait irréparable.

99      En effet, la période d’activité potentielle du requérant jusqu’à la date de la décision au fond se serait écoulée irrémédiablement. Ainsi, le préjudice en résultant pour le requérant serait devenu définitif.

100    Par conséquent, comme l’avance le requérant, une indemnisation ne saurait, en l’espèce, réparer ce préjudice moral.

101    Eu égard à tout ce qui précède, il convient de constater que la condition relative à l’urgence est remplie en l’espèce, le risque de la survenance d’un préjudice grave et irréparable étant établi à suffisance de droit.

 Sur la mise en balance des intérêts

102    Il est de jurisprudence bien établie que, dans le cadre de la mise en balance des différents intérêts en présence, le juge des référés doit déterminer, notamment, si l’intérêt de la partie qui sollicite le sursis à exécution à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte attaqué, en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir ordonnance du 11 mars 2013, Iranian Offshore Engineering & Construction/Conseil, T‑110/12 R, EU:T:2013:118, point 33 et jurisprudence citée).

103    S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la situation juridique créée par une ordonnance de référé doit être réversible, il y a lieu de relever que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe, de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire, en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (voir ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 65 et jurisprudence citée).

104    Il convient donc d’examiner si les intérêts du requérant à obtenir la suspension immédiate des actes attaqués prévalent sur ceux poursuivis par le Conseil par l’adoption de ces actes.

105    S’agissant des intérêts poursuivis par le requérant, celui‑ci allègue que l’éventuelle annulation des actes attaqués par le Tribunal à l’issue du litige au principal ne permettrait pas de renverser la situation résultant de leur mise en œuvre immédiate. En effet, le dommage moral relatif à sa carrière professionnelle aurait été définitivement réalisé au regard des jours potentiels d’activité s’écoulant entre la date d’entrée en vigueur des mesures restrictives et la date de la décision dans l’affaire au principal. En outre, pour ce qui concerne la période d’activité restant potentiellement après la décision dans l’affaire au principal, il ne lui serait guère réaliste de revenir en Formule 1, et même en Formule 2 ou en Deutsche Tourenwagen Masters, s’il n’a pas la possibilité de concourir et/ou de suivre des programmes d’entraînement lors des saisons 2023 et 2024.

106    En outre, le requérant soutient que, du point de vue de l’intérêt du Conseil, d’une part, la suspension de l’application des actes attaqués ne ferait pas obstacle aux objectifs que celui-ci poursuit en cas de rejet du recours principal, dès lors qu’il ne demande pas, en particulier, le dégel provisoire de tous ses fonds ou ressources économiques, mais uniquement la suspension des actes attaqués dans la mesure où cela s’avère nécessaire pour lui permettre de négocier son recrutement, de participer aux prochains championnats de sport automobile et de poursuivre sa carrière professionnelle. D’autre part, le requérant allègue que les mesures provisoires demandées ne mettraient pas en danger les objectifs poursuivis par l’Union par la décision 2023/572 et le règlement d’exécution 2023/571 dès lors qu’il est un pilote professionnel qui n’est impliqué dans aucune société russe, qui a toujours maintenu une position neutre sur la guerre en tant qu’athlète professionnel, qui a couru sous un drapeau neutre lors de la saison 2021 de Formule 1 et qui confirme être prêt à signer l’engagement des pilotes requis par la FIA pour que les pilotes russes et biélorusses puissent continuer à concourir.

107    En revanche, le Conseil soutient que la mise en balance des intérêts plaide contre l’octroi du sursis à exécution des actes attaqués, compte tenu, d’une part, de l’importance de l’objectif que ces actes poursuivent, à savoir accroître le coût économique de la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine jusqu’au point où il lui deviendrait impossible de la poursuivre, et, d’autre part, de la situation actuelle du requérant.

108    En particulier, le Conseil fait valoir que le requérant participe aux activités d’une fondation qu’il a créée avec des fonds provenant de sociétés liées à son père, et dont la mission est de soutenir les athlètes russes exclus des compétitions sportives internationales le plus souvent en raison de la guerre d’agression illégale menée par la Russie contre l’Ukraine avant même l’imposition des mesures restrictives ou indépendamment de celles-ci. Le Conseil en déduit qu’il est « possible que le requérant ne soit pas en mesure d’obtenir ce qu’il cherche par la levée des mesures restrictives ».

109    Par ailleurs, permettre au requérant, qui serait parvenu à entamer une carrière spécifique uniquement grâce au soutien financier de son père – un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement russe – et qui continuerait d’en bénéficier pour ses activités professionnelles, de poursuivre une carrière de haut vol visible au sein de l’Union serait en contradiction avec l’objectif des mesures restrictives, qui viseraient à interrompre les relations financières avec le régime en cause, y compris par des mesures ciblées à l’encontre de personnes associées financièrement aux personnes inscrites sur la liste.

110    En outre, le sursis à exécution des actes attaqués permettrait le transfert des fonds à partir des comptes débloqués, ce qui neutraliserait à l’avance les effets de l’arrêt à intervenir au principal et préjugerait celui-ci.

111    Enfin, le Conseil fait valoir que le requérant a obtenu une place de pilote dans l’Asian Le Mans Series, ayant lieu aux Émirats arabes unis, et qu’il lui est donc possible de poursuivre sa carrière et de participer à des courses même si les mesures prises à son encontre sont maintenues.

112    S’agissant de la mise en balance des intérêts, il convient de relever que, pour ce qui concerne l’intérêt du requérant, il résulte des points 97 et 99 ci‑dessus que l’annulation des actes attaqués ne permettrait pas le renversement de la situation résultant de leur exécution immédiate, dès lors que le préjudice non pécuniaire se serait réalisé de manière définitive pour ce qui concerne la période d’activité potentielle du requérant jusqu’à la date de la décision au fond et que, à cette date, la reprise de sa carrière de pilote de Formule 1 lui serait extrêmement difficile, voire impossible.

113    Par conséquent, dans l’hypothèse où le requérant obtiendrait gain de cause par l’annulation des actes attaqués dans la procédure au fond, le préjudice qu’il aura éventuellement subi du fait de l’atteinte portée à ses intérêts ne pourra pas faire l’objet d’une évaluation et d’une réparation ou compensation ultérieure.

114    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument du Conseil tiré de la participation du requérant à la fondation « We Compete As One » (voir point 108 ci-dessus). À cet égard, il n’apparaît pas clairement dans quelle mesure une telle participation du requérant, à la supposer établie, permettrait, comme le soutient le Conseil, de considérer qu’« il est donc tout à fait possible que le requérant ne soit pas en mesure d’obtenir ce qu’il cherche par la levée des mesures restrictives ».

115    De même, le Conseil ne saurait utilement invoquer le fait que le requérant ait obtenu une place de pilote dans l’Asian Le Mans Series, ayant lieu aux Émirats arabes unis, et qu’il lui serait ainsi possible de poursuivre sa carrière et de participer à des courses même si les mesures restrictives prises à son encontre étaient maintenues (voir point 111 ci-dessus).

116    En effet, le Conseil reste en défaut d’expliquer en quoi la possibilité pour le requérant de poursuivre sa carrière de pilote dans un tel championnat de sport automobile, en dehors de l’Union, favoriserait ses chances de revenir en Formule 1 ou compenserait le préjudice qui résulterait pour lui de l’impossibilité de reprendre sa carrière de pilote de Formule 1, qui est l’un des événements sportifs les plus prestigieux et médiatisés au monde.

117    Pour ce qui concerne le Conseil, les intérêts invoqués sont des intérêts publics qui visent à protéger la sécurité et la stabilité européennes et s’insèrent dans une stratégie globale, laquelle vise à mettre un terme, aussi vite que possible, à l’agression subie par l’Ukraine.

118    Eu égard à l’importance primordiale des objectifs poursuivis par les actes attaqués, à savoir la protection de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine, qui s’inscrivent dans l’objectif plus large du maintien de la paix et de la sécurité internationales, il convient d’examiner si la suspension immédiate des actes attaqués, en tant que ces actes concernent le requérant, risquerait de compromettre la poursuite par l’Union des objectifs, notamment pacifiques, qu’elle s’est assignés conformément à l’article 3, paragraphes 1 et 5, TUE, au prix, chaque jour, de dommages matériels et immatériels irréparables.

119    À cet égard, il convient de constater que, ainsi qu’il résulte des points 57 à 82 ci‑dessus, il existe, à ce stade, des raisons de douter que les actes par lesquels les mesures restrictives ont été maintenues en ce qui concerne le requérant reposent sur une base factuelle suffisamment solide et, en particulier, que les éléments de preuve figurant dans les documents WK 1127/2023 INIT et WK 1127/2023 ADD 1 permettent d’étayer le fait que le requérant aurait tiré indûment avantage de son père ou continuerait de tirer indûment avantage de son père, que ce soit par le biais de l’accord de parrainage ou de la fondation « We Compete As One ». Notamment, il ressort desdits points 57 à 82 ci-dessus qu’il existe, à ce stade, des raisons de douter que, comme l’affirme le Conseil dans ses observations sur la demande en référé, le requérant serait parvenu « à entamer une carrière spécifique uniquement grâce au soutien financier de son père […] et continue[rait] de compter sur son soutien financier pour ses activités professionnelles ».

120    En outre, le requérant a soutenu, sans être contesté par le Conseil sur ce point, qu’il n’est impliqué dans aucune société russe, a toujours maintenu une position neutre sur la guerre en tant qu’athlète professionnel, a couru sous un drapeau neutre lors de la saison 2021 de Formule 1 et est prêt à signer l’engagement des pilotes requis par la FIA pour que les pilotes russes et biélorusses puissent continuer à concourir.

121    Il convient ainsi de constater que le requérant est un jeune sportif qui n’est aucunement impliqué dans l’agression subie par l’Ukraine et qui n’exerce aucune activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. Il demande uniquement que lui soit donnée l’opportunité de poursuivre sa carrière de pilote de Formule 1 sans le soutien financier de son père.

122    Enfin, dès lors que le requérant demande la suspension de l’application des actes attaqués, en tant qu’ils le concernent, uniquement dans la mesure où cela s’avère nécessaire pour lui permettre de négocier son recrutement, de participer aux prochains championnats de sport automobile et de poursuivre sa carrière professionnelle, il y a lieu de reconnaître que, dans ces conditions, le sursis à exécution des actes attaqués ne préjugera pas la future décision sur l’affaire au principal ni ne compromettra la finalité même de la procédure de référé, qui est de garantir la pleine efficacité de la future décision au principal, ni, en particulier, ne permettra « le transfert des fonds à partir des comptes débloqués » au risque de « neutralis[er] à l’avance les effets de l’arrêt à rendre dans l’affaire au principal », contrairement à ce que soutient le Conseil (voir point 110 ci-dessus).

123    Eu égard à tout ce qui précède, il convient de conclure que la balance des intérêts penche en faveur du requérant.

124    Ainsi, la suspension de l’application des actes attaqués, en ce qu’ils concernent le requérant, devra être limitée au strict nécessaire pour lui permettre de négocier son recrutement en tant que pilote professionnel de Formule 1 ou en tant que pilote d’autres championnats de sport automobile se déroulant également ou uniquement sur le territoire de l’Union, ainsi que de participer aux Grands Prix, essais, entraînements et séances libres de Formule 1 et aux autres championnats, courses, essais, entraînements et séances libres de sport automobile se déroulant sur le territoire de l’Union. À cet effet, le requérant est uniquement autorisé à, premièrement, entrer sur le territoire de l’Union afin de négocier et de conclure des accords avec une équipe de course ou avec des sponsors qui ne sont pas liés aux activités de son père ni à des personnes physiques ou morales dont le nom est inscrit sur les listes figurant aux annexes de la décision 2014/145 et du règlement no 269/2014, deuxièmement, entrer sur le territoire de l’Union afin de participer en tant que pilote titulaire ou de réserve à des championnats de Formule 1 de la FIA ou à d’autres championnats, à des entraînements, à des essais ou à des séances libres de sport automobile, également en vue d’obtenir le renouvellement de sa Super Licence, troisièmement, entrer sur le territoire de l’Union pour se soumettre aux examens médicaux imposés par la FIA ou par son équipe de course, quatrièmement, entrer sur le territoire de l’Union pour suivre les programmes de contrôles médicaux et d’entraînements (y compris sur simulateur), cinquièmement, entrer sur le territoire de l’Union pour participer à des activités de course, de parrainage et de promotion à la demande de son équipe de course ou de ses sponsors, sixièmement, ouvrir un compte bancaire sur lequel un salaire, des primes, des avantages de son équipe de course et des contributions financières des sponsors acceptées par son écurie pourront lui être versés et, septièmement, utiliser le compte bancaire et une carte de crédit uniquement pour couvrir les frais qui permettent à un pilote professionnel de voyager sur le territoire de l’Union, de négocier et de conclure des accords avec une équipe de course ou avec des sponsors, de participer à des championnats, des Grands prix, des courses, des entraînements, des essais ou des séances libres dans les États membres de l’Union et de suivre un programme de contrôles médicaux et d’entraînements.

125    En cas de recrutement en tant que pilote de Formule 1 ou en tant que pilote d’autres championnats de sport automobile se déroulant également ou uniquement sur le territoire de l’Union, le requérant doit s’engager à courir sous un drapeau neutre et à signer l’engagement des pilotes requis par la FIA à cet effet.

126    Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être accueillie dans cette mesure.

127    En conséquence, toutes les conditions étant réunies à cet effet, il y a lieu de faire droit à la demande de sursis à l’exécution des actes attaqués.

128    La présente ordonnance clôturant la procédure de référé, il y a lieu de rapporter l’ordonnance du 5 avril 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R II, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, par laquelle le président du Tribunal a ordonné le sursis à l’exécution des actes attaqués jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé, dans la mesure où le nom du requérant a été maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent les mesures restrictives prévues par la décision 2014/145, telle que modifiée, et le règlement no 269/2014, tel que modifié, et sous les mêmes conditions que celles prévues dans l’ordonnance du 1er mars 2023, Mazepin/Conseil (T‑743/22 R, non publiée, EU:T:2023:102).

129    En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de l’acte du Conseil du 14 mars 2023 maintenant le nom de M. Nikita Dmitrievich Mazepin sur la liste des personnes, des entités et des organismes visés par des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, telle que modifiée, et le règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, tel que modifié, dans la mesure où le nom de M. Mazepin a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives et uniquement dans la mesure où cela s’avère nécessaire pour lui permettre de négocier son recrutement en tant que pilote professionnel de Formule 1 ou en tant que pilote d’autres championnats de sport automobile se déroulant également ou uniquement sur le territoire de l’Union européenne, ainsi que de participer aux Grands Prix, essais, entraînements et séances libres de Formule 1 et aux autres championnats, courses, essais, entraînements et séances libres de sport automobile se déroulant sur le territoire de l’Union. À cet effet, M. Mazepin est uniquement autorisé à, premièrement, entrer sur le territoire de l’Union afin de négocier et de conclure des accords avec une équipe de course ou avec des sponsors qui ne sont pas liés aux activités de M. Dmitry Arkadievich Mazepin ni à des personnes physiques ou morales dont le nom est inscrit sur les listes figurant aux annexes de la décision 2014/145 et du règlement no 269/2014, deuxièmement, entrer sur le territoire de l’Union afin de participer en tant que pilote titulaire ou de réserve à des championnats de Formule 1 de la Fédération internationale de l’automobile (FIA) ou à d’autres championnats, à des entraînements, à des essais ou à des séances libres de sport automobile, également en vue d’obtenir le renouvellement de sa Super Licence, troisièmement, entrer sur le territoire de l’Union pour se soumettre aux examens médicaux imposés par la FIA ou par son équipe de course, quatrièmement, entrer sur le territoire de l’Union pour suivre les programmes de contrôles médicaux et d’entraînements (y compris sur simulateur), cinquièmement, entrer sur le territoire de l’Union pour participer à des activités de course, de parrainage et de promotion à la demande de son équipe de course ou de ses sponsors, sixièmement, ouvrir un compte bancaire sur lequel un salaire, des primes, des avantages de son équipe de course et des contributions financières des sponsors acceptées par son écurie pourront lui être versés et, septièmement, utiliser le compte bancaire et une carte de crédit uniquement pour couvrir les frais qui permettent à un pilote professionnel de voyager sur le territoire de l’Union, de négocier et de conclure des accords avec une équipe de course ou avec des sponsors, de participer à des championnats, des Grands Prix, des courses, des entraînements, des essais ou des séances libres dans les États membres de l’Union et de suivre un programme de contrôles médicaux et d’entraînements.

En cas de recrutement en tant que pilote de Formule 1 ou en tant que pilote d’autres championnats de sport automobile se déroulant également ou uniquement sur le territoire de l’Union, M. Mazepin doit s’engager à courir sous un drapeau neutre et à signer l’engagement des pilotes requis par la FIA à cet effet.

2)      L’ordonnance du 5 avril 2023, Mazepin/Conseil (T743/22 R II), est rapportée.

3)       Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 19 juillet 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’anglais.