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Affaire T145/22

CEDC International sp. z o.o.

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle

 Arrêt du Tribunal (sixième chambre) du 28 juin 2023

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne tridimensionnelle – Forme d’un brin d’herbe dans une bouteille – Marques nationales antérieures – Motif relatif de refus – Article 8, paragraphe 3, du règlement (CE) no 40/94 [devenu article 8, paragraphe 3, du règlement (UE) 2017/1001] – Notion d’« agent » ou de « représentant » – Exigence d’un accord contractuel direct »

1.      Marque de l’Union européenne – Définition et acquisition de la marque de l’Union européenne – Motifs relatifs de refus – Absence de consentement du titulaire d’une marque à l’enregistrement demandé par un agent ou un représentant en son propre nom – Condition – Titularité de la marque antérieure par l’opposant – Notion

(Règlement du Conseil no 40/94, art. 8, § 3)

(voir points 39, 42-46)

2.      Marque de l’Union européenne – Définition et acquisition de la marque de l’Union européenne – Motifs relatifs de refus – Absence de consentement du titulaire d’une marque à l’enregistrement demandé par un agent ou un représentant en son propre nom – Agent ou représentant – Notion – Portée – Existence d’un accord contractuel de coopération commerciale directement entre les parties

(Règlement du Conseil no 40/94, art. 8, § 3)

(voir points 51-56)

Résumé

En 1996, Underberg AG (ci-après l’« intervenante ») a demandé, auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), l’enregistrement d’une marque tridimensionnelle, constituée par la forme d’un brin d’herbe dans une bouteille, pour des spiritueux et liqueurs (1). En 2003, le prédécesseur en droit de la société requérante CEDC International sp. z o.o. a formé opposition à cette demande (2) sur le fondement de plusieurs signes antérieurs revendiqués, notamment, dans divers États membres de l’Union européenne. La division d’opposition et, ensuite, la quatrième chambre de recours de l’EUIPO ont respectivement rejeté l’opposition et le recours.

Par arrêt du 11 décembre 2014 (3), le Tribunal a annulé la décision de la quatrième chambre de recours et renvoyé l’affaire à cette dernière qui, considérant que les éléments de preuve présentés n’étaient pas suffisants pour démontrer la nature de l’usage des marques antérieures invoquées, a rejeté le recours. Cette décision a été partiellement annulée par l’arrêt du Tribunal, du 23 septembre 2020 (4), en raison d’un défaut de motivation. À la suite d’une réattribution, la cinquième chambre de recours a également rejeté le recours au motif que, d’une part, l’intervenante ne pouvait pas être considérée comme agissant en qualité d’agent ou de représentant de la requérante et, d’autre part, l’usage de la marque non enregistrée revendiquée n’avait pas été prouvé.

Saisi d’un recours, le Tribunal examine l’application de l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 40/94 (5), relatif au refus de l’enregistrement d’une marque lorsque celui-ci est demandé par l’agent ou le représentant du titulaire de la marque, en son propre nom et sans le consentement dudit titulaire, et précise sa jurisprudence sur l’origine de la marque antérieure, sur la notion d’agent ou de représentant et sur l’exigence d’un accord contractuel direct.

Appréciation du Tribunal

Dans un premier temps, le Tribunal examine la condition selon laquelle, pour qu’une opposition aboutisse sur le fondement de l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 40/94, l’opposant doit être le titulaire de la marque antérieure. À cet égard, il relève, tout d’abord, que cette disposition fait référence au « titulaire de la marque », sans préciser la sorte de marque visée. En effet, la notion de « marque » au sens de la même disposition couvre, outre les marques enregistrées, celles qui ne le sont pas, dans la mesure où la loi du pays d’origine reconnaît des droits de ce type. Il est indifférent, à ce propos, que les droits afférents à la marque antérieure s’appliquent ou non dans l’Union européenne, étant donné que ladite disposition ne contient aucune référence au « territoire » concerné. Ensuite, le Tribunal précise que le principe selon lequel l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 40/94 ne limitait pas son champ d’application aux marques enregistrées dans un État membre ou produisant des effets dans cet État a déjà été retenu dans l’arrêt Adamowski/OHMI - Fagumit (FAGUMIT) (6), relatif à deux demandes en nullité. Enfin, le terme « titulaire » doit être interprété en tenant compte de l’article 6 septies de la convention de Paris (7), portant sur les enregistrements des marques effectués par l’agent ou le représentant du titulaire sans l’autorisation de celui-ci, de sorte que le titulaire d’une marque antérieure qui a été enregistrée dans l’un des États parties à la convention peut également invoquer la protection de l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 40/94, si son agent ou son représentant demande l’enregistrement de la marque dans l’Union européenne sans son consentement.

Dans un second temps, le Tribunal se prononce sur la condition relative à l’existence d’un accord contractuel d’agent ou de représentant. À cet égard, il rappelle que la réalisation de l’objectif d’éviter le détournement de la marque antérieure par l’agent ou le représentant du titulaire de celle-ci requiert une interprétation large des notions d’« agent » et de « représentant », afin que soient couvertes toutes les formes de relations fondées sur un accord contractuel aux termes duquel l’une des parties représente les intérêts de l’autre, et ce indépendamment de la qualification juridique de la relation établie. Il suffit donc qu’il existe entre les parties un accord de coopération commerciale de nature à créer une relation de confiance, dite « fiduciaire », en imposant au demandeur, expressément ou implicitement, une obligation générale de confiance et de loyauté eu égard aux intérêts du titulaire de la marque antérieure.

Le Tribunal précise, néanmoins, qu’il faut qu’il existe un accord contractuel, écrit ou non, établi directement entre les parties, et non par l’intermédiaire de tiers. Dès lors, le fait qu’une relation « implicite » puisse suffire signifie seulement que le critère décisif pour l’application de l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 40/94 réside dans l’existence et la nature d’un accord contractuel de coopération commerciale instauré en substance, et non dans sa qualification formelle. En outre, l’existence de la relation contractuelle ne peut être démontrée par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que l’accord conclu entre les parties soit toujours en vigueur lors du dépôt de la demande de marque, à condition, toutefois, que le délai écoulé soit tel qu’il puisse être légitimement supposé que l’obligation de confiance et de confidentialité existait toujours au moment d’un tel dépôt.

En l’occurrence, étant donné que la charge de la preuve de l’existence d’une relation contractuelle d’agence ou de représentation pèse sur l’opposant, à savoir le titulaire de la marque antérieure, il incombait à la requérante de prouver qu’un tel accord contractuel de coopération commerciale existait directement entre l’intervenante et elle-même à la date de dépôt de la marque demandée. Au vu des considérations précédentes, le Tribunal constate, tout d’abord, qu’il n’existait aucun accord contractuel formellement conclu entre la requérante (ou son prédécesseur) et l’intervenante (ou le prédécesseur de celle-ci). Il rappelle ensuite que l’existence de relations commerciales entre l’intervenante et une société tierce n’est pas susceptible de démontrer que l’intervenante ait été l’agent ou le représentant de la requérante. Enfin, il estime que l’existence d’une relation commerciale « implicite » ou « de facto » entre la requérante (ou son prédécesseur) et l’intervenante (ou son prédécesseur) n’est pas étayée par les éléments de preuve présentés par la requérante. Partant, aucun accord contractuel direct, même implicite ou de facto, de coopération commerciale entre les deux parties n’a été prouvé, de sorte qu’aucune obligation de confiance et de loyauté à la charge de l’intervenante (ou de son prédécesseur) envers la requérante (ou son prédécesseur) n’a été établie.

Par conséquent, le Tribunal valide les appréciations de la chambre de recours selon lesquelles la requérante n’était pas parvenue à prouver l’existence d’une relation contractuelle fiduciaire entre elle-même et l’intervenante, qu’elle ne s’était pas acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait aux fins d’établir l’existence d’un accord contractuel direct d’agent ou de représentant et qu’elle n’avait donc pas prouvé que l’une des conditions cumulatives visées à l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 40/94 était remplie. La condition relative à l’existence d’un accord contractuel d’agent ou de représentant n’étant pas remplie, le Tribunal conclut que la chambre de recours n’a pas violé l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 40/94.


1      Produits relevant de la classe 33 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.


2      Fondée sur l’article 8, paragraphe 1, sous a) et b), paragraphes 3 et 4, du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), lu en combinaison avec l’article 42 dudit règlement.


3      Arrêt du 11 décembre 2014, CEDC International/OHMI - Underberg (Forme d’un brin d’herbe dans une bouteille) (T‑235/12, EU:T:2014:1058).


4      Arrêt du 23 septembre 2020, CEDC International/EUIPO - Underberg (Forme d’un brin d’herbe dans une bouteille) (T‑796/16, EU:T:2020:439).


5      Devenu article 8, paragraphe 3, du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).


6      Arrêt du 29 novembre 2012, Adamowski/OHMI-Fagumit (FAGUMIT) (T‑537/10 et T‑538/10, EU:T:2012:634, point 19).


7      Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, du 20 mars 1883, telle que révisée et modifiée.