Language of document : ECLI:EU:C:2022:873

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 10 novembre 2022 (1)

Affaire C40/21

T.A.C.

contre

ANI

[demande de décision préjudicielle formée par la Curtea de Apel Timişoara (cour d’appel de Timişoara, Roumanie)]

« Renvoi préjudiciel – Décision 2006/928/CE – Mécanisme de coopération et de vérification – Fonctions publiques électives – Conflit d’intérêts – Peines – Interdiction d’exercer des fonctions publiques électives pour une certaine période de temps – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 49, paragraphe 3 – Proportionnalité des peines – Effet direct du principe de proportionnalité – Pouvoirs des juridictions nationales – Article 15, paragraphe 1 – Droit de travailler – Notion de “travailler” – Article 47 – Droit à un recours effectif »






I.      Introduction

1.        Pour des hommes ou femmes politiques ainsi que pour des fonctionnaires, agir illégalement dans une situation de conflit d’intérêts peut sans doute être considéré comme étant l’un des péchés capitaux. En effet, un tel comportement porte atteinte à l’essence même de leur mission de servir l’intérêt public. La notion de « conflit d’intérêts » existe, en fait, depuis plusieurs siècles et a donné lieu à divers ensembles de règles (contraignantes et non contraignantes) aux niveaux national, international et infranational (2).

2.        Certains principes directeurs en la matière figurent, entre autres, dans le code international de conduite des agents de la fonction publique adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 1996 (3) ainsi que dans le code modèle de conduite pour les agents publics adopté par le Conseil de l’Europe en 2000 (4). Bien évidemment, plusieurs instruments adoptés par l’Union européenne comprennent des règles visant, chacune dans son propre domaine, à prévenir les conflits d’intérêts en ce qui concerne les fonctionnaires de l’Union ou nationaux. La décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption constitue l’un de ces instruments (5).

3.        La présente affaire, issue d’une demande de décision préjudicielle formée par la Curtea de Apel Timişoara (cour d’appel de Timișoara, Roumanie), concerne l’interaction entre la décision 2006/928, la législation nationale adoptée afin de la mettre en œuvre et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »). En substance, la juridiction de renvoi demande à la Cour si le droit de l’Union, en particulier l’article 15, paragraphe 1, l’article 47 et l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, s’oppose à une législation nationale en vertu de laquelle une sanction consistant en une interdiction d’exercer toute fonction publique élective pour une période de temps préétablie est infligée automatiquement à la personne qui a été considérée comme ayant agi dans une situation de conflit d’intérêts (ci‑après la « sanction en cause »).

4.        En dépit de son apparente simplicité, cette question soulève plusieurs problématiques juridiques intéressantes relatives au champ d’application des dispositions susmentionnées de la Charte ainsi qu’aux pouvoirs et obligations des juridictions nationales lorsque le droit interne prévoit des peines disproportionnées pour des violations de dispositions nationales mettant en œuvre le droit de l’Union.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

5.        L’article 1er, premier alinéa, de la décision 2006/928 dispose :

« Chaque année, le 31 mars au plus tard, et pour la première fois le 31 mars 2007, la Roumanie fait rapport à la Commission sur les progrès qu’elle a réalisés en vue d’atteindre chacun des objectifs de référence exposés dans l’annexe. »

6.        L’annexe énumère ces objectifs de référence. Le point 2 de l’annexe énonce :

« Constituer, comme prévu, une agence pour l’intégrité dotée de responsabilités en matière de vérification de patrimoine, d’incompatibilités et de conflits d’intérêt potentiels, mais aussi de la capacité d’arrêter des décisions impératives pouvant donner lieu à la prise de sanctions dissuasives. »

B.      Le droit roumain

7.        L’article 25 de la Legea nr. 176/2010 privind integritatea în exercitarea funcțiilor și demnităților publice, pentru modificarea și completarea Legii nr. 144/2007 privind înființarea, organizarea și funcționarea Agenției Naționale de Integritate, precum și pentru modificarea și completarea altor acte normative (loi no 176/2010 relative à l’intégrité dans la fonction publique, modifiant et complétant la loi no 144/2007 concernant la création, l’organisation et le fonctionnement de l’Agence nationale pour l’intégrité, ainsi que modifiant et complétant d’autres actes normatifs, Monitorul Oficial al României, partie I, no 621 du 2 septembre 2010, ci-après la « loi no 176/2010 ») dispose :

« 1.      Le fait commis par une personne dont il est constaté qu’elle a émis un acte administratif, conclu un acte juridique, pris une décision ou participé à la prise d’une décision en violation des obligations légales relatives au conflit d’intérêts ou à l’état d’incompatibilité constitue une faute disciplinaire et est sanctionné conformément à la réglementation applicable à la charge, fonction ou activité en question, dans la mesure où les dispositions de la présente loi n’y dérogent pas et si le fait n’est pas constitutif d’une infraction pénale.

2.      La personne relevée ou destituée de ses fonctions conformément aux dispositions du paragraphe 1 ou à l’égard de laquelle l’existence d’un conflit d’intérêts ou d’un état d’incompatibilité a été constatée est déchue du droit d’exercer une fonction ou une charge publique relevant des dispositions de la présente loi, à l’exception de celles électorales, pendant une période de trois ans à compter de la date à laquelle elle a été relevée ou destituée de la fonction ou charge publique en question ou de la date de cessation de plein droit du mandat. Si l’intéressé a exercé une fonction éligible, il ne peut plus exercer la même fonction pendant une période de trois ans à compter de la fin du mandat. Si l’intéressé n’exerce plus de fonction ou de charge publique à la date de constatation de l’état d’incompatibilité ou du conflit d’intérêts, l’interdiction de trois ans opère selon la loi, à compter de la date à laquelle le rapport d’évaluation est devenu définitif ou de la date à laquelle la décision de justice confirmant l’existence d’un conflit d’intérêts ou d’un état d’incompatibilité est devenue définitive et irrévocable. »

8.        À cet égard, la juridiction de renvoi mentionne l’arrêt no 418/2014 de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie), selon lequel les termes « aceeași funcție » (« la même fonction ») figurant à l’article 25, paragraphe 2, de la loi no 176/2010 concernent toutes les fonctions éligibles, y compris celles de maire.

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

9.        T.A.C., le requérant dans la procédure au principal était, au moment des faits, maire d’une ville en Roumanie.

10.      Dans un rapport d’évaluation du 25 novembre 2019 (ci-après le « rapport d’évaluation »), l’Agenția Națională de Integritate (Agence nationale d’intégrité, Roumanie, ci‑après l’« ANI ») – une autorité administrative chargée de l’évaluation de conflits d’intérêts – a constaté que le requérant n’avait pas respecté les règles régissant les conflits d’intérêts en matière administrative. Au cours de l’exercice de son mandat de maire, il avait conclu un « contrat de commodat » avec une association dont son épouse était membre fondateur et vice-présidente. Par ce contrat, cette association s’était vu accorder, pour une période de cinq ans, le droit d’utiliser gratuitement à des fins d’activités culturelles certains locaux appartenant à la ville.

11.      Le 19 décembre 2019, le requérant a formé un recours devant le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie) demandant l’annulation du rapport d’évaluation. À l’appui de son recours, il a soutenu, entre autres, que le droit de l’Union s’opposait à une législation nationale en vertu de laquelle une sanction telle qu’une interdiction d’exercer des fonctions publiques électives pendant une période de trois ans est infligée, automatiquement et sans possibilité d’être modulée en fonction de la gravité du manquement commis, à une personne considérée comme ayant agi en situation de conflit d’intérêts.

12.      Par jugement du 27 février 2020, le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest) a déclaré ne pas être compétent pour connaître du recours et a renvoyé l’affaire devant la Curtea de Apel Timișoara (cour d’appel de Timișoara). Cette juridiction, éprouvant des doutes quant à l’interprétation correcte des dispositions concernées du droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le principe de proportionnalité des peines, figurant à l’article 49 de la [Charte], doit-il être interprété en ce sens qu’il s’applique également à des faits autres que ceux formellement définis par la loi nationale comme étant des infractions, mais qui peuvent être considérés comme des “accusations en matière pénale”, au sens de l’article 6 de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales] [(6)], au regard des critères développés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme [(7)], notamment celui de la gravité de la sanction, comme cela est le cas dans l’affaire au principal s’agissant de l’évaluation des conflits d’intérêts, pouvant donner lieu à l’application de la sanction complémentaire consistant en l’interdiction d’exercer des fonctions publiques électives pour une période de trois ans ?

2)      Si la première question appelle une réponse affirmative, le principe de proportionnalité des peines, figurant à l’article 49 de la Charte, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition de la législation nationale de mise en œuvre en vertu de laquelle, en cas de constatation d’un conflit d’intérêts concernant une personne qui exerce une charge publique élective, la sanction complémentaire d’interdiction d’exercer des fonctions publiques électives exclusivement pendant une période préétablie de trois ans s’applique automatiquement, en vertu de la loi (ope legis), sans donner la possibilité d’infliger une sanction proportionnelle au manquement commis ?

3)      Le droit de travailler, garanti à l’article 15, paragraphe 1, de la Charte, ainsi que le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, garanti à l’article 47 de la Charte, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition de la législation nationale de mise en œuvre en vertu de laquelle, en cas de constatation d’un conflit d’intérêts concernant une personne qui exerce une charge publique élective, la sanction complémentaire d’interdiction d’exercer des fonctions publiques électives exclusivement pendant une période préétablie de trois ans s’applique automatiquement, en vertu de la loi (ope legis), sans donner la possibilité d’infliger une sanction proportionnelle au manquement commis ? »

13.      Dans la présente procédure, des observations écrites ont été déposées par le requérant dans l’affaire au principal, par l’ANI, par les gouvernements roumain et polonais, ainsi que par la Commission européenne.

IV.    Analyse

14.      Au préalable, il me paraît nécessaire de préciser la portée des présentes conclusions.

15.      La demande de décision préjudicielle et certaines observations des parties font référence à deux sanctions susceptibles d’être imposées au requérant dans l’affaire au principal si la légalité du rapport d’évaluation devait être confirmée par la juridiction de renvoi : la destitution des fonctions publiques et l’interdiction d’exercer toute fonction élective pour une période de trois ans. Cependant, les questions préjudicielles ne concernant que l’une de ces sanctions, à savoir la seconde, l’examen se limitera à celle-ci. Néanmoins, je ne vois pas pourquoi les considérations que j’exposerai ne pourraient pas, mutatis mutandis, être également applicables en ce qui concerne l’autre sanction, à savoir la destitution des fonctions publiques.

16.      Cela étant précisé, par les questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour, comme indiqué dans l’introduction des présentes conclusions, si le droit de l’Union – en particulier, l’article 15, paragraphe 1, l’article 47 et l’article 49, paragraphe 3, de la Charte – s’oppose à une législation nationale en vertu de laquelle est infligée automatiquement à la personne qui a été considérée comme ayant agi dans une situation de conflit d’intérêts une sanction consistant en une interdiction d’exercer toute fonction publique élective pour une période de temps préétablie (en l’espèce trois ans).

17.      Afin d’examiner les problématiques soulevées par la juridiction de renvoi, il me faut toutefois apprécier brièvement la compétence de la Cour pour connaître de l’affaire et la recevabilité des questions préjudicielles.

A.      La compétence et la recevabilité

18.      L’ANI et le gouvernement roumain contestent la compétence de la Cour pour connaître de la présente affaire. Ils soutiennent que la Charte est inapplicable dans l’affaire au principal étant donné qu’il n’y a pas eu mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51 de la Charte. L’ANI et le gouvernement roumain contestent également la recevabilité des questions préjudicielles, soulignant le fait que l’affaire au principal a trait à l’annulation du rapport d’évaluation de l’ANI qui a constaté à l’encontre du requérant un conflit d’intérêts, et non pas à la question des sanctions applicables. Selon eux, les questions préjudicielles sont donc non pertinentes aux fins de la solution du litige.

19.      À mon sens, ni l’un ni l’autre de ces arguments ne sauraient convaincre.

20.      Premièrement, la juridiction de renvoi fait remarquer que, comme il ressort de son exposé des motifs, la loi no 176/2010 a été adoptée en vue de mettre en œuvre l’un des objectifs de la décision 2006/928. Ainsi qu’il est indiqué plus haut, au point 6 des présentes conclusions, cette décision imposait à la Roumanie de constituer une agence pour l’intégrité, dotée de responsabilités en matière de vérification, entre autres, de conflits d’intérêt potentiels et chargée d’arrêter des décisions impératives pouvant donner lieu à la prise de sanctions dissuasives.

21.      À cet égard, il convient de garder à l’esprit que la décision 2006/928 a été adoptée dans le cadre de l’adhésion de la Roumanie à l’Union et qu’elle relève du champ d’application du traité d’adhésion. Cette décision lie la Roumanie, lui imposant de prendre toutes les mesures appropriées à cette fin (8). Il apparaît ainsi que la loi no 176/2010 constitue une mesure de mise en œuvre du droit de l’Union, ce qui implique que la Charte est applicable. De ce fait, la Cour est compétente pour connaître de l’affaire.

22.      Deuxièmement, ainsi que la juridiction de renvoi l’a exposé dans la demande de décision préjudicielle, au cas où la légalité du rapport d’évaluation de l’ANI devait être confirmée, la sanction en cause serait automatiquement infligée au requérant. Si je comprends correctement la loi roumaine pertinente, le requérant n’est pas en mesure de contester la légalité de cette sanction dans le cadre d’une autre procédure juridictionnelle.

23.      Une réponse de la Cour aux questions posées ne saurait donc être considérée comme étant manifestement dénuée de pertinence pour la solution du litige. L’interprétation du droit de l’Union que la juridiction de renvoi sollicite paraît lui être nécessaire pour être à même d’examiner certains des arguments exposés par le requérant dans l’affaire au principal.

24.      Par conséquent, les questions préjudicielles sont recevables.

B.      L’examen des questions préjudicielles

1.      Sur les première et deuxième questions préjudicielles : la proportionnalité de la sanction

25.      En substance, par les première et deuxième questions, lesquelles peuvent être examinées conjointement, la juridiction de renvoi demande si le principe de proportionnalité des peines, inscrit à l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, est applicable en ce qui concerne une sanction comme celle qui est en cause et, dans l’affirmative, s’il fait obstacle à une telle sanction.

26.      Toutefois, la portée des questions peut se comprendre de manière plus large. En effet, la proportionnalité de la sanction en cause peut être évaluée, d’une part, au regard de l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, lequel s’applique uniquement si la peine revêt un caractère pénal, et/ou, d’autre part, au regard du principe de proportionnalité en tant que principe général du droit de l’Union, lequel s’applique à toute législation nationale mettant en œuvre le droit de l’Union.

27.      Dans les deux sections qui suivent, je commencerai par expliquer pourquoi l’article 49, paragraphe 3, de la Charte paraît inapplicable en l’espèce et, ensuite, j’aborderai ce principe général.

a)      Lapplicabilité de larticle 49, paragraphe 3, de la Charte

28.      Étant donné que l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, lequel prévoit que l’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction, concerne les peines d’ordre pénal, il est nécessaire de déterminer en premier lieu si le système des peines en cause dans l’affaire au principal revêt un caractère pénal.

29.      À cet égard, en s’inspirant de la jurisprudence de la Cour EDH, la Cour a jugé que trois critères étaient pertinents. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (9).

30.      Je doute que la sanction en cause, examinée au regard de ces critères, présente des aspects revêtant un caractère pénal.

31.      Tout d’abord, il résulte du texte de l’article 25, paragraphe 1, de la loi no 176/2010, ainsi que de la jurisprudence roumaine pertinente, que, en droit interne, la sanction en cause est considérée non pas comme étant d’ordre « pénal », mais bien comme étant une simple « mesure disciplinaire ». En outre, selon les informations contenues dans le dossier de l’affaire, la procédure par laquelle la sanction est infligée est de nature administrative. En droit roumain, les responsables publics qui agissent dans des situations de conflit d’intérêts peuvent également se voir infliger des sanctions pénales, mais ce par une procédure distincte et indépendante (10).

32.      Ensuite, selon la demande de décision préjudicielle et les observations des parties, la loi no 176/2010 a pour objectifs fondamentaux de garantir l’intégrité et la transparence dans l’exercice des fonctions publiques, de prévenir la corruption et de protéger, ainsi, les finances publiques. La sanction en cause fait partie d’un ensemble plus large de mesures qui poursuivent toutes, de manière complémentaire, ces objectifs. En particulier, la finalité de l’interdiction d’exercer toute fonction publique élective, de même que celle de la cessation automatique du mandat, est de mettre fin à une situation de conflit d’intérêts et d’empêcher que cette situation perdure. La sanction en cause paraît donc être davantage de nature préventive que répressive ou punitive. Il s’agit là d’un aspect qui, eu égard à la jurisprudence de la Cour EDH, semble indiquer que le comportement pour lequel elle est imposée peut ne pas être « intrinsèquement » pénal (11).

33.      Enfin, la sanction ne consiste ni en une détention (ou autres formes de privation de liberté) ni en des amendes, ou, en tout état de cause, n’y donne pas lieu. Elle s’apparente plutôt à des sanctions qui sont typiquement infligées à un groupe limité de personnes ayant un statut particulier (notamment la suspension, la révocation, la destitution ou une exclusion de l’exercice futur d’une activité) et qui visent à assurer que ces personnes se conforment aux règles spécifiques régissant leur conduite, ce que la Cour EDH a considéré comme étant une indication du caractère disciplinaire de la sanction (12).

34.      En effet, la jurisprudence de Strasbourg confirme que des peines consistant en de simples limitations à la capacité des personnes ou de groupes d’exercer certaines libertés politiques ne constituent généralement pas des peines « pénales » aux fins de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7 de la CEDH (13). En particulier, des peines semblables à la sanction en cause ont été systématiquement considérées comme ne relevant pas du champ d’application de ces dispositions (14), sauf dans des circonstances exceptionnelles (15).

35.      Ainsi, bien que la sanction en cause ne me semble pas revêtir un caractère pénal, il n’est pas nécessaire de trancher la question dans le cadre de la présente affaire. En effet, même si l’article 49, paragraphe 3, de la Charte devait être jugé inapplicable, l’exigence d’infliger une sanction proportionnée découlerait de l’application du principe de proportionnalité en tant que principe général du droit de l’Union.

b)      Le principe de proportionnalité en tant que principe général du droit de lUnion

36.      Selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit de l’Union qui se trouvent à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Il doit être respecté par une réglementation nationale entrant dans le champ d’application du droit de l’Union ou mettant en œuvre ce dernier et impose, en substance, que les États membres adoptent des mesures propres à réaliser les objectifs poursuivis et n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (16).

37.      En ce qui concerne les sanctions établies dans une législation nationale – peu importe leur caractère pénal ou non pénal –, la Cour a jugé de façon constante que leur rigueur « doit être en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment » (17) et qu’elles « ne peuvent pas excéder les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par cette législation » (18).

38.      Or, ce sont là des appréciations que les juridictions nationales sont normalement les mieux à même d’opérer, entre autres, étant donné que la Cour peut ne pas avoir à sa disposition tous les éléments juridiques et factuels nécessaires pour procéder à une telle évaluation. De ce fait, la Cour s’est rarement prononcée spécifiquement sur la proportionnalité d’une sanction précise établie en droit interne. Sauf lorsque la nature raisonnable ou excessive d’une sanction est caractérisée, la Cour confie aux juridictions de renvoi la responsabilité du contrôle de la proportionnalité, tout en leur fournissant des indications utiles pour leur permettre de procéder à ce contrôle (19).

39.      C’est aussi ce qui semble approprié dans la présente affaire : une sanction telle que celle en cause ne paraît pas ni manifestement proportionnée ni manifestement disproportionnée. Il appartient à la juridiction de renvoi de se prononcer sur cet aspect, eu égard à l’ensemble des circonstances pertinentes. En vue d’assister la juridiction de renvoi, je présenterai les considérations qui suivent.

40.      En l’espèce, la juridiction de renvoi relève deux aspects spécifiques de la sanction en cause qui, en théorie, peuvent s’avérer problématiques : le fait qu’elle soit imposée automatiquement aux personnes concernées et le fait que sa rigueur ne puisse pas être modulée. Ces deux éléments confèrent une certaine rigidité à la sanction en cause, ce qui, selon la juridiction de renvoi, ne permet pas de tenir dûment compte des circonstances propres à chaque cas de figure.

41.      À cet égard, j’observe que l’exigence d’une peine en adéquation avec la gravité des violations implique, en principe, qu’il faut tenir compte des circonstances individuelles de chaque cas d’espèce. C’est la raison pour laquelle la Cour a souvent considéré des sanctions uniformes ou forfaitaires comme problématiques au regard du principe de proportionnalité (20).

42.      Parallèlement, toutefois, la Cour a admis que le principe de proportionnalité des peines doit aussi être interprété en ce sens qu’il permet aux autorités de sanctionner ces violations de manière simple, effective et efficace. Cela signifie qu’il peut exister des circonstances dans le cadre desquelles une sanction peut être infligée automatiquement et pour un montant prédéterminé (21).

43.      À cet égard, ce que je crois être déterminant est de savoir comment la législation nationale est rédigée et, plus particulièrement, si les différents comportements sanctionnés par la peine en cause sont relativement homogènes. Par exemple, ces comportements provoquent‑ils une atteinte similaire à l’intérêt public protégé par la législation nationale concernée ? Si tel est le cas, alors ces comportements peuvent mériter d’être sanctionnés par la même peine.

44.      Plus les éléments constitutifs de l’infraction sont déterminés étroitement, plus la peine uniforme est admissible. Inversement, lorsque le champ d’application de l’infraction est large (par exemple, si elle couvre aussi bien le comportement malveillant que le comportement négligent, les violations graves que les violations mineures, etc.), une peine automatique et préétablie se justifie plus difficilement.

45.      Partant, je ne pense pas que la législation nationale concernée soit nécessairement incompatible avec le droit de l’Union, comme le requérant l’a affirmé. Cependant, cela n’exclut pas la possibilité que, dans le cas spécifique du requérant, cette législation puisse produire un résultat qui ne soit pas compatible avec le droit de l’Union (22).

46.      De ce fait, il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer, au vu de toutes les circonstances pertinentes, premièrement, si la sévérité de la sanction en cause (eu égard, par exemple, à la portée et à la durée de la peine, ainsi qu’à son impact sur la situation personnelle, professionnelle et économique de la personne) est en adéquation avec la gravité de l’infraction commise par le requérant (eu égard, par exemple, à l’évaluation normative de l’infraction et à la nocivité et l’illicéité du comportement), et ce en tenant compte des objectifs poursuivis par la législation nationale concernée. Deuxièmement, la juridiction de renvoi doit vérifier si, dans le cas du requérant, la sanction en cause ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs que poursuit la législation nationale concernée. Cette appréciation exige que la juridiction nationale détermine si une mesure moins restrictive que la sanction en cause, tout en étant aussi efficace pour garantir le degré de protection de l’intérêt public assuré par la législation nationale concernée, eût pu être envisagée.

47.      Cela étant précisé, si la juridiction de renvoi devait aboutir à la conclusion que la sanction en cause est disproportionnée, quels seraient ses pouvoirs et obligations dans l’affaire au principal ? Cet aspect ayant été soulevé en l’espèce, je m’attache, à présent, à son examen.

c)      Les pouvoirs de la juridiction nationale

48.      Dans ses observations, la Commission fait référence à l’arrêt rendu récemment par la grande chambre de la Cour dans l’affaire Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct) (23), soulignant que, si elle juge la sanction en cause disproportionnée, la juridiction de renvoi ne doit pas laisser la législation nationale concernée inappliquée dans son ensemble. Selon la Commission, la juridiction de renvoi pourrait simplement procéder à une nouvelle modulation de la sanction in bonam partem afin d’assurer qu’elle soit non seulement proportionnée, mais aussi efficace et dissuasive.

49.      Dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi n’interroge pas expressément la Cour sur ce point. Toutefois, je suis conscient que, à la suite du prononcé de l’arrêt NE, une partie de la doctrine a exprimé certains doutes quant à la portée et aux implications de la décision de la Cour.

50.      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt NE, la juridiction de renvoi avait interrogé la Cour sur les conséquences juridiques découlant d’une disposition d’une directive faisant obligation aux États membres de prévoir des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » dans une situation où les sanctions que le législateur national avait adoptées pour transposer cette disposition n’étaient pas proportionnées.

51.      À cet égard, je n’ai guère besoin de souligner que ladite disposition ne constituait en rien une particularité de la directive concernée dans l’affaire NE. En effet, bon nombre d’instruments du droit de l’Union contiennent des dispositions rédigées de façon similaire ou, plus généralement, instaurent des obligations de cet ordre envers les États membres. Tel est également le cas de la décision 2006/928, comme expliqué précédemment aux points 6 et 20 des présentes conclusions.

52.      La problématique soulevée dans les observations de la Commission est donc susceptible d’être pertinente non pas seulement en l’espèce, mais aussi dans le cadre de diverses autres procédures devant les juridictions nationales. Pour cette raison, je saisis l’occasion de tenter de préciser la portée de l’arrêt NE et, peut‑être, de dissiper certaines inquiétudes quant à une application potentiellement excessive de cet arrêt.

1)      L’arrêt NE : sa motivation

53.      En substance, la Cour a établi deux principes dans l’arrêt NE.

54.      Premièrement, elle a jugé que l’exigence de la proportionnalité des sanctions est inconditionnelle et suffisamment précise, et que, par voie de conséquence, elle a un effet direct. Cela signifie que les particuliers peuvent se fonder sur la disposition concernée du droit de l’Union, devant les juridictions nationales, à l’encontre d’un État membre qui ne l’a pas transposée correctement. Deuxièmement, la Cour a jugé que le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il impose aux autorités nationales l’obligation de laisser inappliquée la législation nationale concernée dans la seule mesure nécessaire pour permettre l’infliction de sanctions proportionnées. Ces autorités ne doivent donc pas écarter l’application de la législation nationale dans son ensemble.

55.      À mon sens, malgré un revirement sur certains points par rapport à un arrêt antérieur (24), la décision de la Cour dans l’arrêt NE ne sort en rien de l’ordinaire. Elle apparaît être plutôt le développement logique d’une jurisprudence bien établie.

56.      Il est vrai que, dans le domaine des sanctions, les États membres disposent en général d’une vaste marge d’appréciation, peu importe qu’ils agissent en vue d’assurer le respect du droit interne ou celui du droit de l’Union (25). Toutefois, il est désormais largement admis que, dans l’exercice de leurs compétences en matière de mise en œuvre, les États membres doivent respecter le droit de l’Union (26). Cela signifie que le droit de l’Union peut leur imposer certaines obligations de faire et de ne pas faire. Les courants jurisprudentiels suivants apparaissent particulièrement pertinents à cet égard.

57.      D’une part, les États membres ne peuvent pas interdire des comportements qui sont imposés ou autorisés par le droit de l’Union et, en conséquence, ils ne peuvent pas infliger des sanctions aux personnes qui contreviennent à ces interdictions (27). De surcroît, outre les situations qui viennent d’être mentionnées, les États membres peuvent bien sûr imposer des sanctions aux personnes qui enfreignent le droit national, mais ces sanctions ne peuvent pas être de nature à priver d’effet la moindre disposition pertinente du droit de l’Union (28). Enfin, et de manière plus générale, lorsqu’ils agissent dans le domaine du droit de l’Union, les États membres ne peuvent pas imposer des sanctions qui portent atteinte aux droits fondamentaux consacrés dans la Charte ou aux principes généraux du droit de l’Union (29).

58.      D’autre part, depuis l’arrêt de principe rendu dans l’affaire du « maïs grec », la Cour a jugé invariablement que, conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les États membres doivent veiller à ce que les violations du droit de l’Union soient sanctionnées dans des conditions de fond et de procédure qui soient analogues à celles applicables aux violations du droit national d’une nature et d’une importance similaires et à ce que la sanction ait un caractère effectif, proportionné et dissuasif. En outre, la Cour a ajouté que les autorités nationales devraient procéder, à l’égard des violations du droit de l’Union, avec la même diligence que celle dont elles usent dans la mise en œuvre des législations nationales correspondantes (30).

59.      Partant, il me semble que l’arrêt NE se situe dans le prolongement d’une jurisprudence bien établie, dont la Cour a déduit certaines obligations pour les États membres dans leur pouvoir d’exercer leur ius puniendi, ou certaines restrictions à ce pouvoir, et ce à partir des principes d’effet direct, de primauté, d’effectivité et de respect des droits fondamentaux.

60.      En particulier, l’on ne saurait perdre de vue l’angle du droit fondamental dans l’arrêt NE. À cet égard, il faut garder à l’esprit que, comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt du 24 juin 2019, Popławski (C‑573/17, EU:C:2019:530), l’effet direct et la primauté se font pendant. En application du droit de l’Union, la juridiction nationale ne doit laisser une législation nationale inappliquée que lorsque la disposition du droit de l’Union à l’encontre de laquelle elle va est d’effet direct (31). Cela signifie, en pratique, que, si une disposition du droit de l’Union telle que celle concernée dans l’arrêt NE est dépourvue d’effet direct, les particuliers pourraient continuer à faire l’objet de sanctions disproportionnées, même lorsque la Cour a déjà constaté la non‑conformité de cette législation avec le droit de l’Union et que le législateur national n’a pas réagi à ce constat. En effet, les particuliers pourraient être dans l’impossibilité de contester, devant les juridictions internes, l’incompatibilité de ladite législation avec la disposition concernée du droit de l’Union.

61.      Une telle situation peut difficilement être considérée comme étant admissible au titre d’un quelconque niveau concevable de protection des droits fondamentaux. À mon avis, cela constitue une raison suffisante pour juger qu’une interdiction de sanctions disproportionnées (laquelle est inhérente à l’obligation des États membres de prévoir des mesures proportionnées (32)) est dotée d’effet direct.

62.      À mon sens, la seconde précision apportée par la Cour dans l’arrêt NE est également conforme aux principes et à la jurisprudence auxquels il a été fait référence aux points 56 à 58 des présentes conclusions. Il se créerait une situation paradoxale si l’inapplication de la législation nationale dont les sanctions sont excessives devait aller au-delà de ce qui était exigé pour assurer le caractère raisonnable de ces sanctions. L’intervention de la juridiction nationale pour assurer la proportionnalité des sanctions compromettrait alors, et sans nécessité, l’efficacité et le caractère dissuasif de ces sanctions, qui sont les autres exigences que la disposition en question du droit de l’Union prévoit. Concrètement, la juridiction de renvoi remplacerait une non‑conformité par une autre.

63.      Qui plus est, ainsi que la Cour l’a expliqué – confirmant largement les considérations que l’avocat général Bobek avait développées sur ce point (33) –, les principes de sécurité juridique, de légalité et de non‑rétroactivité des infractions pénales, tels qu’ils ont été conçus dans l’ordre juridique de l’Union, ne font pas obstacle à ce que le juge procède à une nouvelle modulation de la sanction. En effet, la sanction resterait dans les limites de ce qui a été établi dans le droit national, tout en étant appliquée d’une manière plus « calibrée ».

2)      L’arrêt NE : un pas de trop ?

64.      Cela étant précisé, je sais que des doutes ont été exprimés quant à la portée et aux implications de l’arrêt NE. Il a été observé que, dans le système constitutionnel de certains États membres, la notion de « légalité » pouvait être particulièrement forte (ou rigide), surtout dans le domaine du droit pénal. En outre, quelques-uns se sont demandé si l’importante latitude que l’arrêt paraît donner aux juridictions nationales n’est pas susceptible d’empiéter sur la répartition des compétences établies par les règles constitutionnelles nationales, et/ou de donner lieu à une atteinte au principe d’égalité dans la mesure elle peut être diversement appliquée par les différentes juridictions nationales.

65.      Je ne partage pas ces inquiétudes.

66.      Je suis bien évidemment conscient du fait que le degré de protection de certains droits fondamentaux, ainsi que l’importance et la portée de principes tels que ceux de sécurité juridique et de légalité, peuvent différer selon les divers États membres. Il ne fait pas de doute non plus que ces principes sont, entre autres, liés à la répartition des compétences entre les différentes branches du pouvoir, qui est un élément central dans tout système constitutionnel national. En particulier, l’articulation entre les rôles respectifs du pouvoir législateur et du pouvoir judiciaire est fonction du modèle constitutionnel que chaque État membre a choisi.

67.      Toutefois, l’ordre juridique de l’Union tient compte de cette diversité.

68.      L’article 4, paragraphe 2, TUE impose à l’Union de « respecte[r] l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles ». Les traités de l’Union sont donc agnostiques à l’égard des modèles constitutionnels retenus par les États membres pour régir les rapports et l’interaction entre les différents pouvoirs étatiques, notamment en ce qui concerne la définition et la délimitation des compétences de ceux-ci, pour autant que les valeurs consacrées à l’article 2 TUE soient respectées (34).

69.      De surcroît, la Cour a systématiquement déclaré qu’« il est loisible aux autorités et aux juridictions nationales d’appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, ni la primauté, l’unité ou l’effectivité du droit de l’Union » (35). Plus généralement, le droit de l’Union reconnaît aux autorités des États membres une certaine marge d’appréciation en ce qui concerne la façon précise dont les droits fondamentaux doivent être protégés sur leurs territoires respectifs (36).

70.      C’est dans ce contexte qu’il faut lire l’arrêt NE.

3)      L’arrêt NE : ce qu’il dit et ce qu’il ne dit pas

71.      En substance, l’obligation faite par l’arrêt NE aux juridictions nationales est double. Premièrement, elles doivent laisser inappliquée la législation nationale pertinente dans la mesure où celle-ci prévoit l’infliction d’une sanction disproportionnée. Deuxièmement, elles ne doivent pas aller plus loin que cette inapplication : lorsqu’une sanction efficace et dissuasive peut encore être appliquée, ces juridictions nationales doivent le faire (37).

72.      Cette dernière condition (à savoir le fait qu’une sanction efficace et dissuasive peut encore être appliquée) doit être soulignée. La façon dont une juridiction nationale peut aller au-delà d’une simple inapplication de la sanction excessive ainsi que la mesure dans laquelle elle peut le faire, inapplication qui implique une nouvelle modulation de la sanction à infliger, dépendent non seulement des circonstances spécifiques de l’affaire, mais également du paysage constitutionnel dans lequel cette juridiction opère.

73.      L’arrêt NE ne saurait être interprété comme conférant aux juridictions nationales un blanc-seing pour faire abstraction (de la nature et de l’étendue) des sanctions établies dans le droit national à chaque fois qu’elles les jugent excessives et pour les remplacer par des sanctions qu’elles estiment adéquates. Plusieurs passages de l’arrêt NE montrent clairement que la Cour entendait faire référence à l’inapplication (en tout ou en partie) de sanctions existantes, et non à la création de sanctions nouvelles (38) Dans la plupart des pays, cette création incombe au législateur national. Une approche inventive à cet égard de la part d’une juridiction nationale risquerait de porter atteinte à, entre autres, le principe nulla poena sine lege (39).

74.      L’arrêt NE n’exige dès lors pas des juridictions nationales qu’elles substituent une sanction jugée excessive par une autre sanction (proportionnée) si, ce faisant, elles devaient soit méconnaître un droit fondamental, y compris ceux susceptibles de se voir accorder au niveau national un degré de protection plus élevé, soit porter atteinte à des dispositions impérieuses de droit constitutionnel national. Je pense que les constatations que la Cour a émises à cet égard dans l’arrêt M.A.S. et M.B. peuvent, mutatis mutandis, être transposées à une situation telle que celle en cause (40).

75.      Bien sûr, je comprends qu’il peut ne pas toujours être aisé pour une juridiction nationale de cerner la marge de manœuvre admissible lorsqu’il s’agit de procéder à nouvelle modulation d’une sanction légale. En particulier, en fonction du libellé de la législation nationale concernée et du hiatus effectif entre la gravité du manquement et la rigueur de la sanction prévue dans cette législation, l’on peut hypothétiquement concevoir une série d’interventions. Par exemple, une juridiction pourrait envisager de laisser inappliquée une sanction accessoire, de calculer le montant de la sanction sans tenir compte d’éléments qui le rendent excessif, ou d’aller simplement en deçà du minimum légal. De toute évidence, certaines interventions sont plus « invasives » que d’autres pour ce qui concerne le rôle conféré traditionnellement au législateur (41).

76.      Or, toute incertitude quant à l’application correcte de dispositions nationales à la suite de la déclaration de leur incompatibilité avec le droit de l’Union est normalement destinée à être de courte durée. En effet, au sein des systèmes juridictionnels nationaux organisés typiquement de manière hiérarchique, il appartiendra aux plus hautes juridictions nationales (42) de contrôler les décisions des juridictions inférieures et, au besoin, d’unifier la jurisprudence au niveau national (43). Pour permettre un tel contrôle et assurer une interprétation et application uniformes du droit à l’égard de l’ensemble des particuliers, il est crucial, selon moi, que, lorsqu’elles procèdent à une nouvelle modulation des sanctions, les juridictions inférieures expliquent de façon adéquate les raisons pour lesquelles elles ont considéré que ces sanctions légales étaient disproportionnées et les paramètres qu’elles ont utilisés aux fins de la nouvelle modulation.

77.      En outre, lorsque le système juridique national permet aux juridictions inférieures de demander directement des indications à ces juridictions supérieures, par exemple par le mécanisme spécifique du renvoi préjudiciel, le droit de l’Union ne fait en principe pas obstacle à l’emploi de tels mécanismes si la juridiction nationale le juge utile. Naturellement, s’il devait aussi se poser des questions d’interprétation (ou de validité) du droit de l’Union, la juridiction de renvoi pourrait (ou devrait) également saisir la Cour de justice au titre de l’article 267 TFUE, étant donné qu’il n’y a pas de contrariété à poursuivre les deux procédures en parallèle ou en suivant (44). Même s’il exige assurément davantage de temps et de ressources, un tel « trialogue » peut s’avérer particulièrement profitable dans certaines situations complexes où il s’agit de concilier les principes du droit de l’Union et les principes constitutionnels nationaux.

78.      En tout état de cause, il me paraît évident que les considérations que je viens d’exposer ne constituent (idéalement) qu’une solution provisoire au problème, car, lorsque la législation nationale est laissée en partie inappliquée en raison de son incompatibilité avec le droit de l’Union, l’on pourrait s’attendre à ce que le législateur national intervienne et modifie cette législation de manière à supprimer définitivement les éléments donnant lieu à cette incompatibilité.

79.      Eu égard à ce qui précède, selon moi, la Cour devrait répondre aux première et deuxième questions préjudicielles en ce sens que : i) la législation nationale adoptée pour mettre en œuvre la décision 2006/928 entre dans le champ d’application du droit de l’Union ; ii) le principe de proportionnalité des peines s’oppose à l’application d’une sanction telle que celle en cause si, au vu de toutes les circonstances de l’affaire, l’intensité de la sanction en cause n’est pas en adéquation avec la gravité des infractions commises par le requérant, compte tenu des objectifs poursuivis par la législation nationale pertinente, ou si cette sanction va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs poursuivis par la législation nationale, et iii) si tel est le cas, la juridiction nationale doit laisser cette législation inappliquée dans la mesure où elle exige l’infliction d’une sanction disproportionnée, tout en faisant ce qui est en son pouvoir pour imposer une sanction efficace et dissuasive.

2.      Sur la troisième question préjudicielle : une protection juridictionnelle effective et le droit de travailler

80.      Par la troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si le droit de travailler, garanti à l’article 15, paragraphe 1, de la Charte, et le droit à un recours effectif, garanti à l’article 47 de celle‑ci, s’oppose à une sanction telle que celle en cause.

81.      Selon moi, un examen de la compatibilité de la législation nationale en cause avec les dispositions susmentionnées de la Charte serait plus que probablement superflu si la juridiction nationale devait parvenir à la conclusion que cette législation enfreint le principe de proportionnalité. Je vais donc procéder à l’analyse en partant de l’hypothèse que cette législation est conforme au principe de proportionnalité.

a)      Larticle 15, paragraphe 1, de la Charte

82.      L’article 15 de la Charte, intitulé « Liberté professionnelle et droit de travailler », prévoit à son paragraphe 1 que « [t]oute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée ».

83.      Cette disposition établit un principe général qui trouve une expression plus spécifique dans un certain nombre d’autres dispositions de la Charte, ou qui se voit compléter par celles-ci, telles que l’article 5 (« Interdiction de l’esclavage et du travail forcé ») et l’article 16 (« Liberté d’entreprise ») (45). De plus, le droit au travail présente des liens solides, même si implicites, avec la protection de la dignité humaine, consacrée à l’article 1er de la Charte (46).

84.      Les « Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux » (47) font en premier lieu référence à la jurisprudence de la Cour, qui, depuis les années 70, admet l’existence d’un droit aux libres choix et exercice des activités professionnelles (48). Elles indiquent également que la disposition s’inspire de l’article 1er, paragraphe 2, de la charte sociale européenne (49) et du point 4 de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (50). La première de ces dispositions exige des parties de « protéger de façon efficace le droit pour le travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris », tandis que la seconde proclame que « [t]oute personne a droit à la liberté du choix et de l’exercice d’une profession, selon les dispositions régissant chaque profession » (51).

85.      En conséquence, et au vu de sa formulation large (« toute personne », « travailler », « profession »), je pense que l’article 15, paragraphe 1, de la Charte est censé avoir un champ d’application ratione personae et un champ d’application ratione materiae assez étendus. En particulier, bien que l’accent ait été mis tout particulièrement sur le droit à l’autodétermination des personnes, la portée de cette disposition de la Charte va bien au-delà de cet aspect. En effet, son libellé paraît couvrir les diverses dimensions du droit au travail : disponibilité, accessibilité, acceptabilité et qualité (52).

86.      Il n’en demeure pas moins vrai que j’hésiterais à considérer une fonction publique élective, telle que celle de maire, comme relevant du terme « travailler » au sens de l’article 15, paragraphe 1, de la Charte.

87.      Certes, donner une définition précise et complète du terme « travailler » – même aux seules fins de l’article 15, paragraphe 1, de la Charte – paraît être une mission impossible. Certains dictionnaires définissent le terme « travailler » comme exprimant le fait pour une personne d’exercer une activité afin de gagner sa vie ou le fait pour une personne d’exercer une activité pour laquelle elle consent des efforts physiques ou intellectuels, en général pour de l’argent. Si tel est le cas, l’exercice d’une fonction publique élective pourrait dans un certain sens correspondre à ces définitions : il s’agit d’une activité qui exige des efforts (principalement) intellectuels et pour laquelle la personne reçoit habituellement une rémunération.

88.      Toutefois, certaines caractéristiques essentielles des fonctions publiques électives se concilient mal avec ce qui précède : l’objectif que poursuit une personne qui s’engage dans cette activité (servir sa communauté), mais également la façon dont on peut accéder à ladite activité (uniquement par une élection publique), la durée limitée pendant laquelle elle peut être exercée (durée du mandat), certaines prérogatives spéciales qui sont souvent attachées au statut qu’elle confère (sur le plan, entre autres, des pouvoirs, de la responsabilité et de la liberté d’action) et les caractéristiques de sa rétribution (qui n’est pas nécessairement en adéquation avec l’importance de la position et des responsabilités assumées dans ce cadre). Je peux avoir une vision « classique » ou peut-être « romantique » des charges publiques électives, mais il me paraît difficile de les considérer comme constituant l’équivalent juridique d’un emploi, d’une activité professionnelle ou d’un métier.

89.      Cependant, abstraction faite de ce que je viens d’exposer, l’on pourrait aussi se demander si le droit d’éligibilité pour accéder à une charge publique n’est pas régi et protégé – en tant que leges speciales – par les dispositions constitutionnelles qui consacrent les droits politiques des personnes. L’on pourrait soutenir que cela implique que des sanctions telles que celle en cause seraient régies par les règles qui concernent les limitations aux droits politiques des personnes. Dans ce cas, au niveau du droit de l’Union, il y aurait plutôt lieu de se tourner, en particulier, vers les articles 39 et 40 de la Charte (53), l’article 2 TUE, l’article 20, paragraphe 2, sous b), TFUE et l’article 22 TFUE (54). Toutefois, ces dispositions accordent, elles aussi, une certaine marge de manœuvre aux autorités nationales (55). Une interdiction d’exercer des fonctions publiques électives pendant une période donnée pour les personnes reconnues responsables de certains types de comportements illégaux n’est pas prima facie incompatible avec ces dispositions (56).

90.      En tout cas, même si l’on devait être d’avis qu’assumer une fonction publique élective devrait être considéré comme relevant du terme « travailler » au sens de l’article 15, paragraphe 1, de la Charte, je crois que la limitation instaurée par la législation nationale en cause pourrait, en principe, être justifiée.

91.      À cet égard, il y a lieu d’observer que le droit au travail garanti à l’article 15, paragraphe 1, de la Charte n’apparaît pas comme une prérogative absolue, mais doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société et que, par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’exercice de ce droit dans les conditions prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (57). Cette dernière disposition autorise les limitations aux droits fondamentaux, pour autant qu’elles soient prévues par la loi, respectent le contenu essentiel du droit fondamental concerné, répondent effectivement aux objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure en question et ne constituent pas, au regard de ces objectifs, une intervention démesurée et intolérable.

92.      Ces conditions me semblent être remplies, du moins en principe.

93.      Tout d’abord, l’interdiction de briguer des fonctions publiques pour les personnes qui ont été considérées comme ayant agi illégalement dans une situation de conflit d’intérêts est incontestablement prévue par une loi : l’article 25 de la loi no 176/2010. Ensuite, les objectifs poursuivis par la sanction en cause correspondent à ceux d’intérêt général reconnus au niveau de l’Union : décourager les personnes exerçant des fonctions publiques d’agir en poursuivant leurs propres intérêts privés et éviter une répétition éventuelle de tels actes. Enfin, la législation nationale concernée paraît respecter le contenu essentiel du droit fondamental en cause. En effet, ce qui pourrait être considéré comme étant le « noyau intouchable » du droit (58) (in primis, la possibilité pour une personne de rechercher, en étant libre de toute ingérence, une profession satisfaisante permettant de garantir ses moyens de subsistance) ne paraît pas être affecté. Un seul type spécifique de fonction est interdite (les fonctions publiques électives), et ce pour une période de temps limitée (trois ans).

94.      Partant, au cas où, comme mentionné précédemment au point 81, la législation nationale en cause est considérée comme étant proportionnée, il n’existerait pas non plus de violation de l’article 15, paragraphe 1, de la Charte (si cette disposition devait être applicable).

b)      Larticle 47 de la Charte

95.      L’article 47 de la Charte (« Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial ») prévoit, entre autres, que « [t]oute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article ». Cette disposition codifie ce que la Cour a invariablement considéré comme un principe général du droit de l’Union, issu des traditions constitutionnelles communes des États membres (59).

96.      En ce qui concerne la portée de l’article 47 de la Charte, les droits des personnes qui y sont inscrits correspondent à ceux garantis à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 13 de la CEDH (60), et les obligations faites aux autorités des États membres correspondent à celles qui sont imposées au second alinéa de l’article 19, paragraphe 1, TUE (61).

97.      D’emblée, je rappellerais que, au titre de l’article 47 de la Charte, la reconnaissance du droit à un recours effectif, dans un cas d’espèce donné, suppose que la personne qui l’invoque se prévale d’un droit ou d’une liberté spécifique garanti par le droit de l’Union ou que cette personne fasse l’objet de poursuites constituant une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (62).

98.      Pour les raisons exposées précédemment aux points 20 et 21, tel est le cas en ce qui concerne le requérant dans l’affaire au principal et, partant, l’article 47 de la Charte est applicable à la présente procédure.

99.      Le droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte comprend divers éléments, parmi lesquels les droits de la défense, le principe d’égalité des armes, le droit d’accès aux tribunaux ainsi que le droit de se faire conseiller, défendre et représenter (63).

100. Dans la présente affaire, ce droit implique que la personne invoquant une atteinte aux droits qui lui sont garantis par le droit de l’Union ait la possibilité effective d’accéder à un tribunal compétent pour assurer le respect de ces droits et, à cette fin, pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre le litige dont il se trouve saisi (64). Les pouvoirs de la juridiction nationale doivent évidemment comprendre ceux de contrôler la légalité de l’acte attaqué et d’annuler, le cas échéant, cet acte ainsi que les sanctions infligées par celui-ci.

101. En l’espèce, je crois comprendre que, dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi est compétente pour examiner toutes les questions pertinentes de fait et de droit dans le contrôle de la validité du rapport d’évaluation. Si celui-ci devait être considéré comme étant illégal, elle dispose du pouvoir de l’annuler et, par voie de conséquence, d’invalider l’infliction des peines qu’il déclenche.

102. Dans ces conditions, je ne vois aucun élément dans le dossier de l’affaire qui pourrait constituer la moindre violation de l’article 47 de la Charte. En particulier, le requérant n’a rien fait valoir à cet égard dans son argumentation. De surcroît, les informations fournies par la juridiction de renvoi ainsi que par les autres parties ayant déposé des observations ne comportent aucune indication que les voies de recours prévues en droit roumain pourraient être de facto inefficaces.

103. Au vu des considérations qui précèdent, selon moi, la Cour devrait répondre à la troisième question préjudicielle en ce sens que l’article 15, paragraphe 1, et l’article 47 de la Charte ne font pas obstacle à une peine telle que celle en cause, pour autant que la peine soit proportionnée et que les personnes qui sont concernées aient effectivement la possibilité de contester la légalité des rapports d’évaluation et les peines qui y sont rattachées.

V.      Conclusion

104. En conclusion, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par la Curtea de Apel Timișoara (cour d’appel de Timișoara, Roumanie) comme suit :

1)      Une législation nationale adoptée aux fins de mettre en œuvre la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption entre dans le champ d’application du droit de l’Union.

2)      Le principe de proportionnalité des peines s’oppose à une législation nationale en vertu de laquelle est infligée automatiquement à la personne considérée comme ayant agi illégalement en situation de conflit d’intérêts une sanction consistant en une interdiction d’exercer des fonctions publiques électives pour une période préétablie de trois ans, si, au vu de toutes les circonstances pertinentes, l’intensité de la sanction n’est pas en adéquation avec la gravité de l’infraction commise par le requérant, compte tenu des objectifs poursuivis par cette législation nationale, ou si cette sanction va au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.

3)      Lorsque la législation nationale concernée est contraire à l’exigence de proportionnalité, la juridiction nationale doit laisser cette législation inappliquée dans la mesure où elle exige que soit infligée à une personne une sanction disproportionnée et cette juridiction doit faire ce qui est en son pouvoir pour imposer une sanction efficace et dissuasive.

4)      L’article 15, paragraphe 1, et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne font pas obstacle à une législation nationale telle que celle en cause, pour autant que les sanctions infligées soient proportionnées et que les personnes concernées aient effectivement la possibilité de contester la légalité des rapports d’évaluation et des sanctions qui y sont rattachées.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Pour un aperçu, avec des références supplémentaires, voir Peters, A., et Handschin, L. (éd.), Conflict of Interest in Global, Public and Corporate Governance, Cambridge University Press, 2012.


3      Résolution 51/59 ; voir principe II de celle-ci.


4      Recommandation no R (2000) 10 du Comité des ministres aux États membres sur les codes de conduite pour les agents publics ; voir article 8 de cette recommandation.


5      JO 2006, L 354, p. 56.


6      Signée à Rome le 4 novembre 1950, ci-après la « CEDH ».


7      Ci-après la « Cour EDH ».


8      Arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 153 à 165).


9      Voir, par exemple, arrêt du 22 mars 2022, bpost (C‑117/20, EU:C:2022:202, point 25 et jurisprudence citée).


10      Sur l’importance de ce dernier élément, voir, entre autres, décision de la Cour EDH, 1er février 2007, Storbråten c. Norvège (CE:ECHR:2007:0201DEC001227704).


11      Voir, entre autres, arrêts de la Cour EDH, 28 octobre 1999, Escoubet c. Belgique (CE:ECHR:1999:1028JUD002678095, § 37), ainsi que du 17 juin 2021, Miniscalco c. Italie (CE:ECHR:2021:0617JUD005509313, § 64).


12      Voir, entre autres, arrêts de la Cour EDH du 9 octobre 2003, Ezeh et Connors c. Royaume-Uni (CE:ECHR:2003:1009JUD003966598, § 103), du 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande (CE:ECHR:2006:1123JUD007305301, § 38), et du 19 février 2013, Müller-Hartburg c. Autriche (CE:ECHR:2013:0219JUD004719506, §§ 42 à 49).


13      Voir, par exemple, arrêt de la Cour EDH du 13 février 2003, Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie (CE:ECHR:2003:0213JUD004134098), et décision de la Cour EDH du 6 décembre 2018, Cătăniciu c. Roumanie, (CE:ECHR:2018:1206DEC002271717, §§ 38 à 41). Voir, pour des références supplémentaires à la jurisprudence de la Cour EDH et aux décisions de la Commission européenne des droits de l’homme (à présent dissoute), Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, préparé au sein du Greffe de la Cour EDH, 2022, p. 14 et 15 (consultable en ligne).


14      Voir arrêts de la Cour EDH du 21 octobre 1997, Pierre-Bloch c. France (CE:ECHR:1997:1021JUD002419494, §§ 53 à 60), du 6 janvier 2011, Paksas c. Lituanie (CE:ECHR:2011:0106JUD003493204, §§ 66 à 68), et du 17 juin 2021, Miniscalco c. Italie (CE:ECHR:2021:0617JUD005509313, §§ 59 à 73), ainsi que décision de la Cour EDH du 18 mai 2021, Galan c. Italie (CE:ECHR:2021:0518DEC006377216, §§ 80 à 97).


15      Voir arrêt de la Cour EDH du 24 avril 2007, Matyjek c. Pologne (CE:ECHR:2007:0424JUD003818403). Or, ainsi que la Cour EDH l’a expliqué dans sa décision du 18 mai 2021, Galan c. Italie (CE:ECHR:2021:0518DEC006377216, § 77), il existait des circonstances particulières dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Matyjek c. Pologne, parmi lesquelles : i) le nombre assez élevé de personnes affectées par la législation concernée ; ii) l’infliction de la peine par un tribunal composé de juges siégeant dans les chambres criminelles des juridictions, et ce à la suite d’une procédure où les règles du code de procédure pénale étaient appliquées, et iii) la rigueur particulière de la sanction (la révocation de la personne de son poste dans la fonction publique et l’interdiction pour elle de poser sa candidature à un grand nombre de postes pendant dix ans).


16      Voir, par exemple, arrêt du 4 octobre 2018, Link Logistik N&N (C‑384/17, EU:C:2018:810, point 40 et jurisprudence citée).


17      Voir, entre autres, arrêts du 5 mars 2020, OPR-Finance (C‑679/18, EU:C:2020:167, point 26), et du 11 février 2021, K. M. (Sanctions infligées au capitaine de navire) (C‑77/20, EU:C:2021:112, point 38).


18      Voir, par exemple, arrêt du 16 juillet 2015, Chmielewski (C‑255/14, EU:C:2015:475, point 22 et jurisprudence citée).


19      Voir, en ce sens et avec d’autres références à la jurisprudence, conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Chmielewski (C‑255/14, EU:C:2015:308, points 29 et 30).


20      Voir, entre autres, arrêts du 12 juillet 2001, Louloudakis (C‑262/99, EU:C:2001:407, points 69 à 71), et du 9 février 2012, Urbán (C‑210/10, EU:C:2012:64, points 29 et 41). Voir, également, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka (C‑203/12, EU:C:2013:320, point 42).


21      Voir arrêt du 16 juillet 2015, Chmielewski (C‑255/14, EU:C:2015:475, points 28 et 29). Voir également, par analogie, arrêt du 17 octobre 2013, Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka (C‑203/12, EU:C:2013:664, point 38).


22      Voir, en ce sens, arrêt du 11 février 2021, K. M. (Sanctions infligées au capitaine de navire) (C‑77/20, EU:C:2021:112, point 39).


23      Arrêt du 8 mars 2022 (C‑205/20, ci-après l’« arrêt NE », EU:C:2022:168).


24      Voir arrêt NE, point 29.


25      De toute évidence, le sujet est particulièrement complexe et, aux fins de la présente affaire, il n’est pas nécessaire d’en dire davantage à cet égard, car cela exigerait une discussion assez longue et approfondie.


26      Voir l’arrêt de principe du 11 novembre 1981, Casati (203/80, EU:C:1981:261, point 27). Voir, également, arrêt du 28 avril 2011, El Dridi (C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, points 53 à 55).


27      Voir, par exemple, arrêt du 5 avril 1979, Ratti (148/78, EU:C:1979:110, point 24).


28      Voir, entre autres, arrêts du 7 juillet 1976, Watson et Belmann (118/75, EU:C:1976:106, points 18 à 21), ainsi que du 29 février 1996, Skanavi et Chryssanthakopoulos (C‑193/94, EU:C:1996:70, points 35 à 39).


29      Voir, en particulier, arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, points 17 à 27).


30      Arrêt du 21 septembre 1989, Commission/Grèce (68/88, EU:C:1989:339, points 23 à 25). Voir, également, arrêt du 13 septembre 2005, Commission/Conseil (C‑176/03, EU:C:2005:542, point 31).


31      Arrêt du 24 juin 2019, Popławski (C‑573/17, EU:C:2019:530).


32      Conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Bezirkshauptmannschaft Hartberg‑Fürstenfeld (Effet direct) (C‑205/20, ci-après les « conclusions dans l’affaire NE », EU:C:2021:759, point 37).


33      Conclusions dans l’affaire NE, points 91 à 111.


34      Voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, point 43 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêt du 21 décembre 2016, Remondis (C‑51/15, EU:C:2016:985, points 40 et 41).


35      Voir, entre autres, arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, point 47 et jurisprudence citée).


36      Voir, en particulier, arrêts du 14 octobre 2004, Omega (C‑36/02, EU:C:2004:614, point 37), et du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a. (C‑391/20, EU:C:2022:638, point 82 et jurisprudence citée).


37      Voir, par analogie, arrêt du 19 décembre 2019, Deutsche Umwelthilfe (C‑752/18, EU:C:2019:1114, points 29 à 56).


38      Voir, tout particulièrement, arrêt NE, points 42, 44, 52 et 53.


39      Établi, au niveau de l’Union, à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte. Ce principe implique que « la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment ». Voir, entre autres, arrêt du 3 mai 2007, Advocaten voor de Wereld (C‑303/05, EU:C:2007:261, point 50 et jurisprudence citée de la Cour EDH). Mise en italique par mes soins.


40      Arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, points 46 et suiv. ainsi que jurisprudence citée). Voir, de même, conclusions dans l’affaire NE, point 111.


41      Voir, à cet égard, Viganò, F., « La proporzionalità della pena tra diritto costituzionale italiano e diritto dell’Unione europea : sull’effetto diretto dell’art. 49, paragrafo 3, della Carta alla luce di una recentissima sentenza della Corte di giustizia », Sistema Penale, 2022, consultable en ligne.


42      Telles que, par exemple, les cours constitutionnelles, les cours suprêmes et/ou les conseils d’État.


43      Voir, en ce sens, conclusions dans l’affaire NE, points 102 à 104.


44      Voir, à ce sujet, Amalfitano, C., et Cecchetti, L., « Sentenza n. 269/2017 della Corte costituzionale e doppia pregiudizialità : l’approccio della Corte di giustizia dell’Unione europea », Eurojus, 2022, p. 206 à 217.


45      Voir, entre autres, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Schaible  (C‑101/12, EU:C:2013:334, points 23 à 26).


46      Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Lidl (C‑134/15, EU:C:2016:169, point 26). Voir, également, de manière approfondie sur le sujet, Ashiagbor, D., « Comment to Article 15 of the Charter », in Peers, S., Hervey, T., Kenner, J., et Ward, A. (éd.), The EU Charter of Fundamental Rights – A Commentary, Hart Publishing, 2014, p. 425 à 427.


47      Document 2007/C 303/02 (JO 2007, C 303, p. 17).


48      Les « Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux » se réfèrent aux arrêts du 14 mai 1974, Nold/Commission (4/73, EU:C:1974:51, points 12 à 14), du 13 décembre 1979, Hauer (44/79, EU:C:1979:290), et du 8 octobre 1986, Keller (234/85, EU:C:1986:377, point 8).


49      Signée à Turin le 18 octobre 1961 et modifiée le 3 mai 1996.


50      Adoptée le 9 décembre 1989 par une déclaration de tous les États membres, à l’exception du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (État membre à l’époque).


51      Mise en italique par mes soins.


52      J’emprunte ces termes à l’observation générale no 18 du Conseil économique et social des Nations unies, « Le droit au travail », adoptée le 24 novembre 2005.


53      Ces dispositions concernent, respectivement, le « [d]roit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen » et le « [d]roit de vote et d’éligibilité aux élections municipales ». C’est cette dernière disposition qui est particulièrement pertinente dans la présente affaire.


54      Aux termes de l’article 2 TUE, la « démocratie » figure parmi les valeurs sur lesquelles repose l’Union. Entre autres, les articles 9 à 12 ainsi que l’article 14, paragraphe 3, TUE et l’article 223, paragraphe 1, TFUE contiennent également des dispositions concernant les principes démocratiques.


55      Voir, en outre, articles 8 et 12 de l’acte portant élection des représentants à l’assemblée au suffrage universel direct (JO 1976, L 278, p. 5), tel que modifié ; et article 6, paragraphe 1, de la directive 93/109/CE du Conseil, du 6 décembre 1993, fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants (JO 1993, L 329, p. 34), telle que modifiée.


56      Voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2015, Delvigne (C‑650/13, EU:C:2015:648, points 40 et suiv.). Une telle mesure n’est pas non plus prima facie incompatible avec la CEDH ; voir jurisprudence de la Cour EDH citée plus haut.


57      Voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2016, Muladi (C‑447/15, EU:C:2016:533, point 51 et jurisprudence citée).


58      Voir, pour cette expression, avec d’autres références, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Pologne/Parlement et Conseil (C‑401/19, EU:C:2021:613, points 98 et 99).


59      Voir, à cet égard, arrêt du 15 mai 1986, Johnston (222/84, EU:C:1986:206, point 18).


60      Voir arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 117 et jurisprudence citée).


61      Voir, entre autres, arrêt du 1er août 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Refus de prise en charge d’un mineur égyptien non accompagné) (C‑19/21, EU:C:2022:605, point 36 et jurisprudence citée).


62      Voir, tout récemment, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une juridiction constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, point 34 et jurisprudence citée). Voir, également, mes conclusions dans l’affaire Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Refus de prise en charge d’un mineur égyptien non accompagné) (C‑19/21, EU:C:2022:279, points 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée).


63      Voir, par exemple, arrêt du 6 novembre 2012, Otis e.a. (C‑199/11, EU:C:2012:684, point 48).


64      Voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale) (C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 66 et jurisprudence citée).