Language of document : ECLI:EU:T:2014:906

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

16 octobre 2014 (*)

« Recours en annulation – Programme de soutien à la stabilité de Chypre – Déclaration de l’Eurogroupe concernant la restructuration du secteur bancaire à Chypre – Désignation erronée de la partie défenderesse dans la requête – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑328/13,

Tameio Pronoias Prosopikou Trapezis Kyprou, établi à Nicosie (Chypre), représenté par Mes E. Efstathiou, K. Efstathiou et K. Liasidou, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Smulders, J.‑P. Keppenne et M. Konstantinidis, en qualité d’agents,

et

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. A. Sáinz de Vicuña Barroso, N. Lenihan et F. Athanasiou, en qualité d’agents, assistés de Mes W. Bussian, W. Devroe et D. Arts, avocats,

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande d’annulation de la déclaration de l’Eurogroupe du 25 mars 2013 concernant, notamment, la restructuration du secteur bancaire à Chypre,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen (rapporteur), président, Mme I. Pelikánová et M. E. Buttigieg, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

 Traité MES

1        Le 2 février 2012, a été conclu à Bruxelles (Belgique) le traité instituant le mécanisme européen de stabilité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, l’Irlande, la République italienne, la République de Chypre, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Malte, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la République portugaise, la République de Slovénie, la République slovaque et la République de Finlande (ci-après le « traité MES »). Conformément à ses articles 1er et 2 et à son article 32, paragraphe 2, les parties contractantes de ce traité, à savoir les États membres dont la monnaie est l’euro, instituent entre elles une institution financière internationale, le mécanisme européen de stabilité (MES), qui possède la personnalité juridique. Le traité MES est entré en vigueur le 27 septembre 2012.

2        Le considérant 1 du traité MES est libellé comme suit :

« Le Conseil européen est convenu le 17 décembre 2010 qu’il était nécessaire que les États membres de la zone euro mettent en place un mécanisme permanent de stabilité. [Le MES] assumera le rôle actuellement attribué à la Facilité européenne de stabilité financière (‘FESF’) et au Mécanisme européen de stabilisation financière (‘MESF’) en fournissant, pour autant que de besoin, une assistance financière aux États membres de la zone euro. »

3        L’article 3 du traité MES décrit le but de celui-ci comme suit :

« Le MES a pour but de mobiliser des ressources financières et de fournir, sous une stricte conditionnalité adaptée à l’instrument d’assistance financière choisi, un soutien à la stabilité à ses membres qui connaissent ou risquent de connaître de graves problèmes de financement, si cela est indispensable pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble et de ses États membres. À cette fin, il est autorisé à lever des fonds en émettant des instruments financiers ou en concluant des accords ou des arrangements financiers ou d’autres accords ou arrangements avec ses membres, des institutions financières ou d’autres tiers. »

4        L’article 4 du traité MES énonce ce qui suit :

« 1. Le MES est doté d’un conseil des gouverneurs et d’un conseil d’administration, ainsi que d’un directeur général et des effectifs jugés nécessaires.

[…]

3. L’adoption d’une décision d’un commun accord requiert l’unanimité des membres participant au vote. Les abstentions ne font pas obstacle à l’adoption d’une décision d’un commun accord.

4. Par dérogation au paragraphe 3, une procédure de vote d’urgence est utilisée lorsque la Commission et la [Banque centrale européenne] considèrent toutes deux que le défaut d’adoption urgente d’une décision relative à l’octroi ou à la mise en œuvre d’une assistance financière, telle que définie aux articles 13 à 18, menacerait la soutenabilité économique et financière de la zone euro […] »

5        L’article 5, paragraphe 3, du traité MES prévoit que « [l]e membre de la Commission européenne en charge des affaires économiques et monétaires et le président de la [Banque centrale européenne], ainsi que le président de l’Eurogroupe (s’il n’est pas lui-même président ou gouverneur), peuvent participer aux réunions du conseil des gouverneurs [du MES] en qualité d’observateurs ».

6        L’article 6, paragraphe 2, du traité MES énonce que « [l]e membre de la Commission européenne en charge des affaires économiques et monétaires et le président de la [Banque centrale européenne] peuvent chacun désigner un observateur [au conseil d’administration du MES] ».

7        L’article 12 du traité MES définit les principes auxquels le soutien à la stabilité est soumis et il prévoit, en son paragraphe 1, ce qui suit :

« Si cela est indispensable pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble et de ses États membres, le MES peut fournir à un membre du MES un soutien à la stabilité, subordonné à une stricte conditionnalité adaptée à l’instrument d’assistance financière choisi. Cette conditionnalité peut prendre la forme, notamment, d’un programme d’ajustement macroéconomique ou de l’obligation de continuer à respecter des conditions d’éligibilité préétablies. »

8        La procédure d’octroi d’un soutien à la stabilité à un membre du MES est décrite à l’article 13 du traité MES comme suit :

« 1. Un membre du MES peut adresser une demande de soutien à la stabilité au président du conseil des gouverneurs. Cette demande indique le ou les instruments d’assistance financière à envisager. Dès réception de cette demande, le président du conseil des gouverneurs charge la Commission européenne, en liaison avec la [Banque centrale européenne] :

a)      d’évaluer l’existence d’un risque pour la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble ou de ses États membres, à moins que la [Banque centrale européenne] n’ait déjà soumis une analyse en vertu de l’article 18, paragraphe 2 ;

b)      d’évaluer la soutenabilité de l’endettement public. Lorsque cela est utile et possible, il est attendu que cette évaluation soit effectuée en collaboration avec le [Fonds monétaire international] ;

c)      d’évaluer les besoins réels ou potentiels de financement du membre du MES concerné.

2. Sur la base de la demande du membre du MES et de l’évaluation visée au paragraphe 1, le conseil des gouverneurs peut décider d’octroyer, en principe, un soutien à la stabilité au membre du MES concerné sous la forme d’une facilité d’assistance financière.

3. S’il adopte une décision en vertu du paragraphe 2, le conseil des gouverneurs charge la Commission européenne – en liaison avec la [Banque centrale européenne] et, lorsque cela est possible, conjointement avec le [Fonds monétaire international] – de négocier avec le membre du MES concerné un protocole d’accord définissant précisément la conditionnalité dont est assortie cette facilité d’assistance financière. Le contenu du protocole d’accord tient compte de la gravité des faiblesses à traiter et de l’instrument d’assistance financière choisi. Parallèlement, le directeur général du MES prépare une proposition d’accord relatif à la facilité d’assistance financière précisant les modalités et les conditions financières de l’assistance ainsi que les instruments choisis, qui sera adoptée par le conseil des gouverneurs.

Le protocole d’accord doit être pleinement compatible avec les mesures de coordination des politiques économiques prévues par le [traité FUE], notamment avec tout acte de droit de l’Union européenne, incluant tout avis, avertissement, recommandation ou décision s’adressant au membre du MES concerné.

4. La Commission européenne signe le protocole d’accord au nom du MES, pour autant qu’il respecte les conditions énoncées au paragraphe 3 et qu’il ait été approuvé par le conseil des gouverneurs.

5. Le conseil d’administration approuve l’accord relatif à la facilité d’assistance financière qui précise les aspects financiers du soutien à la stabilité à octroyer ainsi que, le cas échéant, les modalités du versement de la première tranche de l’assistance.

[…]

7. La Commission européenne – en liaison avec la [Banque centrale européenne] et, lorsque cela est possible, conjointement avec le [Fonds monétaire international] – est chargée de veiller au respect de la conditionnalité dont est assortie la facilité d’assistance financière. »

 Difficultés financières de la République de Chypre et mesures initialement adoptées

9        Au cours des premiers mois de l’année 2012, certaines banques établies à Chypre, dont la Trapeza Kyprou Dimosia Etairia Ltd (BoC), ont eu de graves difficultés financières. La République de Chypre a jugé nécessaire leur recapitalisation et a présenté à cet égard au président de l’Eurogroupe une demande d’assistance financière de la Facilité européenne de stabilité financière (FESF) ou du MES.

10      Par déclaration du 27 juin 2012, l’Eurogroupe a indiqué que l’assistance financière demandée serait fournie soit par la FESF soit par le MES, dans le cadre d’un programme d’ajustement macroéconomique devant se concrétiser dans un protocole d’accord dont la négociation serait menée, d’une part, par la Commission européenne, conjointement avec la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI), et, d’autre part, par les autorités chypriotes.

11      La République de Chypre et les autres États membres dont la monnaie est l’euro sont parvenus à un accord politique sur un projet de protocole d’accord en mars 2013. Par déclaration du 16 mars 2013, l’Eurogroupe a salué cet accord et a évoqué certaines mesures d’ajustement prévues, parmi lesquelles la création d’une taxe sur les dépôts bancaires. L’Eurogroupe a indiqué que, eu égard à ce contexte, il considérait que l’octroi d’une assistance financière susceptible d’assurer la stabilité financière de la République de Chypre et de la zone euro était, en principe, justifié et a invité les parties intéressées à accélérer les négociations en cours.

12      Le 18 mars 2013, la République de Chypre a ordonné la fermeture des banques les jours ouvrables des 19 et 20 mars 2013. Par déclaration du même jour, le président de l’Eurogroupe a indiqué que la taxe sur les dépôts bancaires, en combinaison avec l’assistance financière demandée, serait utilisée pour restaurer la viabilité du secteur bancaire chypriote et, ainsi, pour assurer la stabilité financière de Chypre. Toutefois, il a indiqué que l’Eurogroupe était d’avis que les petits déposants devraient bénéficier d’un traitement différent de celui des grands déposants, en soulignant l’importance de garantir pleinement les dépôts inférieurs à 100 000 euros. Enfin, le président de l’Eurogroupe a, au nom de celui-ci, encouragé les autorités et le parlement chypriotes à mettre en œuvre rapidement les mesures convenues.

13      Les autorités chypriotes ont décidé de proroger la fermeture des banques jusqu’au 28 mars 2013 afin d’éviter une ruée vers les guichets.

14      Le 19 mars 2013, le parlement chypriote a rejeté le projet de loi du gouvernement chypriote relatif à la création d’une taxe sur tous les dépôts bancaires de Chypre. Le gouvernement chypriote a, dès lors, élaboré un nouveau projet prévoyant uniquement la restructuration de deux banques, la Cyprus Popular Bank Public Co Ltd (Laïki) et la BoC.

15      Le 22 mars 2013, le parlement chypriote a adopté la O peri exiyiansis pistotikon kai allon idrimaton nomos [loi sur l’assainissement d’établissements de crédit et d’autres établissements, ci-après la « loi du 22 mars 2013 », EE, annexe I(I), n° 4379, 22.3.2013, p. 117]. En vertu du point 3 (1) et du point 5 (1) de cette loi, la Banque centrale de Chypre (BCC) a été chargée de l’assainissement des établissements visés par ladite loi, conjointement avec le ministère des Finances. À cette fin, le point 12 (1) de la loi du 22 mars 2013 prévoit, d’une part, que la BCC peut, par le biais d’un décret, restructurer les dettes et les obligations d’un établissement soumis à une procédure de résolution, y compris par voie de réduction, de modification, de rééchelonnement ou de novation du capital nominal ou du solde de tout genre de créances existantes ou futures sur cet établissement ou par le biais d’une conversion de titres de dette en fonds propres. Ce point prévoit, d’autre part, que les « dépôts garantis », au sens du point 2, cinquième alinéa, de la loi du 22 mars 2013, sont exclus de ces mesures. Il est constant entre les parties qu’il s’agit des dépôts inférieurs à 100 000 euros.

 Déclaration attaquée

16      Par déclaration du 25 mars 2013 (ci-après la « déclaration attaquée »), l’Eurogroupe a indiqué être parvenu à un accord avec les autorités chypriotes sur les éléments essentiels d’un futur programme macroéconomique d’ajustement ayant le soutien de tous les États membres dont la monnaie est l’euro ainsi que de la Commission, de la BCE et du FMI. En outre, l’Eurogroupe a salué les plans de restructuration du secteur financier mentionnés en annexe à cette déclaration.

17      L’annexe de la déclaration attaquée est rédigée comme suit :

« À la suite d’une présentation des projets politiques des autorités [de la République de Chypre], qui ont été largement salués par l’Eurogroupe, il y a eu accord sur ce qui suit :

1. La Laïki est immédiatement démantelée – avec une contribution complète des actionnaires, des détenteurs d’obligations et des déposants non assurés – selon une résolution de la [BCC] en utilisant le cadre de résolution bancaire nouvellement adopté.

2. La Laïki est scindée en une structure de défaisance et en une banque assainie. La structure de défaisance devra disparaître progressivement.

3. La banque assainie est intégrée dans la [BoC] à l’aide du cadre de résolution bancaire et après consultation des conseils d’administration de la BoC et de la Laïki. Elle apportera une [aide d’urgence en cas de crise de liquidité (ELA)] s’élevant à [neuf] milliards d’euros. Seuls les dépôts non garantis de la BoC resteront gelés jusqu’à ce que la recapitalisation ait été réalisée et pourront ensuite être soumis à des conditions appropriées.

4. Le conseil des gouverneurs de la BCE apportera des liquidités à la BoC en respectant les règles applicables.

5. La BoC sera recapitalisée par le biais d’une conversion des dépôts non garantis en fonds propres avec une contribution complète des actionnaires et des détenteurs d’obligations.

6. La conversion sera effectuée de manière à sécuriser un ratio de capital de 9 % à la fin du programme.

7. Tous les détenteurs de dépôts garantis dans toutes les banques bénéficieront d’une protection totale en conformité avec la législation pertinente de [l’Union].

8. L’enveloppe du programme (jusqu’à [dix] milliards d’euros) ne servira pas à recapitaliser la Laïki ou la [BoC]. »

 Mesures de restructuration bancaire adoptées à Chypre

18      Le 25 mars 2013, le gouverneur de la BCC a soumis la BoC et la Laïki à une procédure d’assainissement. Le 29 mars 2013, deux décrets ont été publiés à cette fin sur le fondement de la loi du 22 mars 2013, à savoir :

–        le to peri diasosis me idia mesa tis Trapezas Kyprou Dimosias Etaireias Ltd Diatagma tou 2013, Kanonistiki Dioikitiki Praxi No. 103 [décret de 2013 sur l’assainissement par des moyens propres de la BoC, acte administratif réglementaire n° 103, ci-après le « décret n° 103 », EE, annexe III(I), n° 4645, 29.3.2013, p. 769 à 780] ;

–        le to Peri tis Polisis Orismenon Ergasion tis Cyprus Popular Bank Public Co Ltd Diatagma tou 2013, Kanonistiki Dioikitiki Praxi No. 104 [décret de 2013 sur la vente de certaines activités de la Laïki, acte administratif réglementaire n° 104, ci-après le « décret n° 104 », EE, annexe III(I), n° 4645, 29.3.2013, p. 781 à 788].

19      Le décret n° 103 prévoit une recapitalisation de la BoC, aux frais, notamment, de ses déposants non garantis, de ses actionnaires et de ses créanciers obligataires, afin qu’elle puisse continuer à fournir des services bancaires. Ainsi, les dépôts non garantis ont été convertis en actions de la BoC, à savoir 37,5 % de chaque dépôt non garanti, en titres convertibles par la BoC soit en actions soit en dépôts, à savoir 22,5 % de chaque dépôt non garanti, et en titres pouvant être convertis en dépôts par la BCC, à savoir 40 % de chaque dépôt non garanti. Le décret n° 103, conformément à son point 10, est entré en vigueur le 29 mars 2013, à 6 heures.

20      Quant au décret n° 104, les dispositions combinées des points 2 et 5 de celui-ci prévoient, pour le 29 mars 2013, à 6 h 10, le transfert de certains éléments d’actif et de passif de la Laïki à la BoC, y compris les dépôts inférieurs à 100 000 euros. Les dépôts supérieurs à 100 000 euros ont été maintenus auprès de la Laïki, en attendant sa liquidation.

21      Lors de l’entrée en vigueur des décrets nos 103 et 104, le requérant, Tameio Pronoias Prosopikou Trapezis Kyprou, était titulaire de dépôts auprès de la BoC.

22      L’application des mesures prévues par le décret no 103 a provoqué une réduction substantielle de la valeur de ces dépôts.

23      Après l’adoption des décrets nos 103 et 104, la Commission a engagé de nouvelles discussions avec les autorités chypriotes en vue de la finalisation du protocole d’accord.

 Octroi d’une assistance financière à la République de Chypre

24      Lors de sa réunion du 24 avril 2013, le conseil des gouverneurs du MES a :

–        confirmé, d’une part, que la Commission et la BCE avaient été chargées d’effectuer les évaluations visées à l’article 13, paragraphe 1, du traité MES et, d’autre part, que la Commission, en collaboration avec la BCE et le FMI, avait été chargée de négocier le protocole d’accord avec la République de Chypre ;

–        décidé d’octroyer un soutien à la stabilité à la République de Chypre sous la forme d’une facilité d’assistance financière (ci-après la « FAF »), conformément à la proposition du directeur général du MES ;

–        approuvé le projet de protocole d’accord et

–        chargé la Commission de signer ce protocole au nom du MES.

25      Le protocole d’accord a été signé le 26 avril 2013 par le ministre des Finances de la République de Chypre, par le gouverneur de la BCC et par M. O. Rehn, vice-président de la Commission, au nom de celle-ci.

26      Le 8 mai 2013, le conseil d’administration du MES a approuvé l’accord relatif à la FAF ainsi qu’une proposition relative aux modalités de paiement d’une première tranche d’aide à la République de Chypre. Cette tranche a été divisée en deux versements effectués, respectivement, le 13 mai 2013, de l’ordre de deux milliards d’euros, et le 26 juin 2013, de l’ordre d’un milliard d’euros. Une deuxième tranche d’aide, de l’ordre d’un milliard et demi d’euros, a été versée le 27 septembre 2013.

 Procédure et conclusions des parties

27      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 juin 2013, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la déclaration attaquée, « qui a acquis sa forme définitive par [le décret no 103] du gouverneur de la [BCC], agissant en qualité de représentant du [Système européen de banques centrales], par laquelle a été décidé l’‘assainissement par des moyens propres’ de la [BoC] et qui constitue en substance une décision commune de la [BCE] ainsi que de la Commission » ;

–        à titre subsidiaire, déclarer que, indépendamment de sa forme et de son type, la déclaration attaquée constitue, en substance, une « décision commune de la [BCE] et/ou de la Commission » ;

–        à titre plus subsidiaire, annuler la déclaration attaquée, « indépendamment de sa forme et de son type » ;

–        à titre encore plus subsidiaire, « annuler la décision commune de la [BCE] et/ou de la Commission […] adoptée à travers l’Eurogroupe, quelle que soit sa forme ou son type » ;

–        condamner la BCE et/ou la Commission aux dépens.

28      Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal, respectivement, les 1er et 9 octobre 2013, la Commission et la BCE ont soulevé des exceptions d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. Elles concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ;

–        condamner le requérant aux dépens.

29      Le requérant a présenté ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité de la Commission et de la BCE le 4 décembre 2013.

 En droit

30      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Aux termes du paragraphe 4 du même article, le Tribunal statue sur la demande ou la joint au fond.

31      En l’espèce, le Tribunal estime qu’il est suffisamment éclairé par les pièces versées au dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

32      Il convient d’examiner, d’abord, la recevabilité des premier, troisième et quatrième chefs de conclusions et, ensuite, celle du deuxième chef de conclusions.

 Sur la recevabilité des premier, troisième et quatrième chefs de conclusions

33      Il y a lieu de considérer que, par les premier, troisième et quatrième chefs de conclusions, le requérant demande l’annulation de la déclaration attaquée.

34      La Commission et la BCE font valoir que cette demande est irrecevable et présentent plusieurs arguments en ce sens, que le requérant conteste.

35      À cet égard, en premier lieu, il y a lieu de relever que, aux termes de l’article 44, paragraphe 1, sous b), du règlement de procédure, la requête visée à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne contient la désignation de la partie contre laquelle elle est formée.

36      La désignation dans la requête, par erreur, d’une partie défenderesse autre que l’auteur de l’acte attaqué n’entraîne pas l’irrecevabilité de la requête, si cette dernière contient des éléments permettant d’identifier sans ambiguïté la partie à l’encontre de laquelle elle est formée, telle la désignation de l’acte attaqué et de son auteur. Dans un tel cas, il convient de considérer comme partie défenderesse l’auteur de l’acte attaqué, bien qu’il ne soit pas évoqué dans la partie introductive de la requête. Toutefois, ce cas de figure doit être distingué de celui dans lequel la partie requérante persiste dans la désignation de la partie défenderesse évoquée dans la partie introductive de la requête, en pleine conscience du fait que celle-ci n’est pas l’auteur de l’acte attaqué. Dans ce dernier cas, il convient de tenir compte de la partie défenderesse désignée dans la requête et, le cas échéant, de tirer les conséquences de cette désignation quant à la recevabilité du recours (voir ordonnance du Tribunal du 16 octobre 2006, Aisne et Nature/Commission, T‑173/06, non publiée au Recueil, points 17 et 18, et la jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 22 novembre 1990, Mommer/Parlement, T‑162/89, Rec. p. II‑679, points 19 et 20).

37      La déclaration attaquée se présente comme un document dans lequel l’Eurogroupe mentionne, d’une part, l’accord auquel il est parvenu avec les autorités chypriotes et, d’autre part, certaines de ses observations à cet égard. Le requérant n’a pas dirigé son recours contre l’Eurogroupe, mais, et il a insisté sur ce point dans ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité, contre la Commission et la BCE. Il y a donc lieu d’examiner si, comme le requérant le fait valoir, la déclaration attaquée peut effectivement être imputée à la Commission et à la BCE de sorte que ces dernières devraient être considérées comme ses auteurs et, ainsi, comme les parties contre lesquelles le recours devait être dirigé.

38      Il convient donc d’analyser les caractéristiques de l’Eurogroupe ainsi que ses rapports avec la Commission et la BCE au regard du contenu de la déclaration attaquée.

39      L’Eurogroupe est évoqué à l’article 137 TFUE, qui prévoit que les modalités des réunions entre ministres des États membres dont la monnaie est l’euro sont fixées par le protocole n° 14 sur l’Eurogroupe.

40      Quant aux dispositions de ce protocole, elles sont rédigées comme suit :

« Article premier

Les ministres des États membres dont la monnaie est l’euro se réunissent entre eux de façon informelle. Ces réunions ont lieu, en tant que de besoin, pour discuter de questions liées aux responsabilités spécifiques qu’ils partagent en matière de monnaie unique. La Commission participe aux réunions. La [BCE] est invitée à prendre part à ces réunions, qui sont préparées par les représentants des ministres chargés des finances des États membres dont la monnaie est l’euro et de la Commission.

Article 2

Les ministres des États membres dont la monnaie est l’euro élisent un président pour deux ans et demi, à la majorité de ces États membres. »

41      Premièrement, il découle de ce qui précède que l’Eurogroupe est un forum de discussion, au niveau ministériel, des représentants des États membres dont la monnaie est l’euro, et non un organe décisionnel. Ce forum informel, dont le but est de faciliter l’échange de vues concernant certaines questions spécifiques d’intérêt commun aux États membres qui en font partie, est doté d’une certaine structure institutionnelle, dans la mesure où il dispose d’un président élu pour une durée déterminée. Or, il n’y a aucune raison pour considérer cette structure comme étant intégrée à celle de la Commission ou à celle de la BCE.

42      Deuxièmement, il y a lieu d’observer que, même si la participation de la Commission et de la BCE aux réunions de l’Eurogroupe est prévue à l’article 1er du protocole sur ce dernier, la Commission pouvant également contribuer à la préparation desdites réunions, l’Eurogroupe constitue une réunion informelle des ministres des États membres concernés.

43      Troisièmement, il ne ressort pas des règles relatives à l’Eurogroupe que cette entité ait reçu une délégation de compétence de la Commission ou de la BCE, contrairement à ce que le requérant fait valoir, ni que ces institutions puissent exercer des compétences de contrôle à son égard ou lui adresser des recommandations, et encore moins des instructions contraignantes.

44      Dès lors, contrairement à ce que le requérant fait valoir, il n’est pas possible de considérer que l’Eurogroupe est contrôlé par la Commission ou la BCE, ni qu’il agit en tant que mandataire de ces institutions.

45      Eu égard à ce qui précède, force est de constater que les déclarations adoptées par l’Eurogroupe, comme la déclaration attaquée, ne peuvent pas être imputées à la Commission ou à la BCE. Il y a lieu d’ajouter qu’il n’y a aucun élément dans le dossier qui pourrait conduire à la conclusion que la déclaration attaquée devrait être considérée comme une déclaration établie en réalité par la Commission et la BCE.

46      Ensuite, il y a lieu d’observer que les arguments du requérant pourraient également être interprétés en ce sens que, selon lui, la déclaration attaquée est en tout état de cause imputable au MES et que, ce dernier étant prétendument contrôlé par la Commission et la BCE, la déclaration attaquée peut être, en dernière instance, imputée à ces institutions.

47      À cet égard, il y a lieu de relever que, tel qu’il ressort des points 4, 5, 6 et 8 ci-dessus, le traité MES confère certaines tâches à la Commission et à la BCE liées à la mise en œuvre des objectifs qu’il fixe. Toutefois, aucune disposition du traité MES ne permet de considérer que le MES ait reçu une délégation de compétence de ces institutions, ni que celles-ci puissent exercer des compétences de contrôle à son égard ou lui adresser des injonctions.

48      Ce qui précède est confirmé par la jurisprudence de la Cour, selon laquelle, d’une part, les fonctions confiées à la Commission et à la BCE dans le cadre du traité MES ne comportent aucun pouvoir décisionnel propre et, d’autre part, les activités exercées par ces deux institutions dans le cadre du même traité n’engagent que le MES (arrêt de la Cour du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, non encore publié au Recueil, point 161).

49      Dès lors, même à supposer que la déclaration attaquée puisse être attribuée au MES et non à l’Eurogroupe, une telle circonstance ne permettrait pas de considérer que la Commission ou la BCE sont à l’origine de l’adoption de cette déclaration.

50      Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que la déclaration attaquée ne peut pas être imputée aux parties défenderesses. Conformément à la jurisprudence visée au point 36 ci-dessus, les premier, troisième et quatrième chefs de conclusions doivent donc être rejetés comme étant irrecevables.

51      En second lieu, il y a lieu de relever, à titre surabondant, que, conformément à une jurisprudence constante, ne constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 263, premier alinéa, TFUE que les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci (arrêts de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 9, et du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C‑68/94 et C‑30/95, Rec. p. I‑1375, point 62 ; ordonnance du Tribunal du 5 novembre 2003, Kronoply/Commission, T‑130/02, Rec. p. II‑4857, point 43).

52      Conformément à une jurisprudence établie, pour déterminer si un acte ou une décision produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci, il y a lieu de s’attacher à sa substance (ordonnance de la Cour du 13 juin 1991, Sunzest/Commission, C‑50/90, Rec. p. I‑2917, point 12, et ordonnance du Tribunal du 14 mai 2009, US Steel Košice/Commission, T‑22/07, non publiée au Recueil, point 41).

53      S’agissant de la substance de la déclaration attaquée, il importe de rappeler que l’Eurogroupe ne peut pas être considéré comme étant un organe décisionnel. En effet, les dispositions régissant son fonctionnement ne l’habilitent pas à adopter des actes juridiquement contraignants. En principe, une déclaration de l’Eurogroupe ne peut donc pas être considérée comme un acte destiné à produire des effets juridiques à l’égard des tiers (voir, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 1er décembre 2005, Italie/Commission, C‑301/03, Rec. p. I‑10217, point 28 ; ordonnances du Tribunal du 3 novembre 2008, Srinivasan/Médiateur, T‑196/08, non publiée au Recueil, points 11 et 12, et du 3 décembre 2008, RSA Security Ireland/Commission, T‑210/07, non publiée au Recueil, points 53 à 55).

54      La teneur de la déclaration attaquée, lue dans ce contexte, établit que cette déclaration n’est pas susceptible de produire de tels effets juridiques.

55      En effet, par cette déclaration, l’Eurogroupe, notamment :

–        a indiqué être parvenu à un accord avec les autorités chypriotes sur certains éléments d’un futur programme d’ajustement (premier alinéa de la déclaration attaquée) ;

–        a salué plusieurs mesures qui, selon lui, ont fait l’objet d’un accord avec ces autorités (troisième, cinquième et sixième alinéas de la déclaration attaquée) ;

–        a pris acte de certains engagements adoptés par lesdites autorités (neuvième et dixième alinéas de la déclaration attaquée) ;

–        a incité à la mise en œuvre immédiate de l’accord entre la République hellénique et la République de Chypre (septième alinéa de la déclaration attaquée) ;

–        a demandé aux autorités chypriotes et à la Commission de finaliser le protocole d’accord (huitième alinéa de la déclaration attaquée) ;

–        a confirmé que, comme il l’avait indiqué le 16 mars 2013, la République de Chypre pourrait bénéficier, en principe, d’une FAF à la lumière des observations précédentes (onzième alinéa de la déclaration attaquée) ;

–        a précisé qu’il s’attendait à ce que le conseil des gouverneurs du MES fût en mesure d’approuver formellement la proposition d’une FAF pendant la troisième semaine d’avril 2013, sous réserve de l’achèvement des « procédures nationales » (douzième alinéa de la déclaration attaquée) ;

–        a énuméré les mesures qui, selon lui, avaient fait l’objet d’un accord en son sein après la présentation des plans des autorités chypriotes (annexe de la déclaration attaquée, voir point 17 ci-dessus).

56      Dans la déclaration attaquée, l’Eurogroupe s’est donc livré, de façon très générale, à un compte rendu de certaines mesures convenues sur le plan politique avec la République de Chypre en vue de stabiliser la situation financière de celle-ci et a annoncé des négociations ultérieures probables, ainsi qu’encouragé d’autres négociations et démarches qu’il a estimé nécessaires ou souhaitables. Toutefois, dans cette déclaration, l’Eurogroupe n’a exprimé aucune position définitive quant à l’octroi de la FAF à la République de Chypre ni quant aux conditions que cet État membre devrait respecter pour bénéficier de l’assistance demandée.

57      À cet égard, il importe de relever, d’une part, que l’Eurogroupe n’a pas indiqué que cette assistance serait octroyée à la République de Chypre dans le seul cas où celle-ci mettrait en œuvre des mesures de restructuration bancaire telles que celles prévues par les décrets nos 103 et 104.

58      D’autre part, alors que, dans le troisième alinéa de la déclaration attaquée, l’Eurogroupe a salué les plans de restructuration du secteur financier spécifiés dans l’annexe de cette déclaration, il n’a pas indiqué que ces plans étaient considérés comme faisant partie du programme d’ajustement macroéconomique que la République de Chypre pourrait être tenue de respecter pour bénéficier d’une assistance financière, conformément à l’article 12, paragraphe 1, du traité MES.

59      Enfin, il ressort implicitement, mais nécessairement, de la déclaration attaquée que l’Eurogroupe, loin de s’arroger la faculté d’octroyer ou de refuser l’assistance demandée, a estimé que cette décision ne relevait pas de sa compétence, mais de celle du conseil des gouverneurs du MES. En effet, d’une part, tout en évitant de confirmer si la FAF serait octroyée ou non, l’Eurogroupe s’est borné à indiquer qu’il s’attendait à ce que le conseil des gouverneurs du MES fût en mesure d’en approuver formellement l’octroi. D’autre part, l’Eurogroupe a signalé, en substance, que cette approbation devait être ratifiée par les membres du MES selon ses procédures internes.

60      Il y a donc lieu de considérer que la déclaration attaquée est de nature purement informative, l’Eurogroupe ayant informé le public de l’existence de certains accords adoptés sur le plan politique, ainsi qu’exprimé son avis quant à la probabilité de l’octroi de la FAF par le MES, mais n’ayant pas adopté un acte susceptible de produire des effets juridiques à l’égard des tiers sur cette question.

61      Dès lors, s’il est vrai que l’annexe de la déclaration attaquée comporte des formulations qui pourraient paraître catégoriques, notamment celles selon lesquelles, d’une part, la Laïki est immédiatement démantelée, avec une contribution complète des actionnaires, des détenteurs d’obligations et des déposants non assurés, et, d’autre part, la BoC sera recapitalisée par le biais d’une conversion des dépôts non garantis en fonds propres avec une contribution complète des actionnaires et des détenteurs d’obligations (voir point 17 ci-dessus), ces affirmations ne peuvent être lues de manière isolée, mais doivent, au contraire, être replacées dans leur contexte, lequel fait clairement ressortir la teneur purement informative de la déclaration attaquée.

62      La déclaration attaquée n’étant pas susceptible de produire des effets juridiques à l’égard des tiers, les premier, troisième et quatrième chefs de conclusions doivent également être rejetés comme étant irrecevables, pour les raisons exposées aux points 51 à 61 ci-dessus.

 Sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions

63      Par le deuxième chef de conclusions, présenté à titre subsidiaire, le requérant demande en substance au Tribunal de constater, de manière déclaratoire, que les auteurs de la déclaration attaquée sont la BCE et la Commission et non l’Eurogroupe.

64      À cet égard, il suffit de rappeler que le Tribunal n’est pas compétent pour prononcer des arrêts déclaratoires dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 9 décembre 2003, Italie/Commission, C‑224/03, Rec. p. I‑14751, points 20 à 22).

65      Force est donc de constater que le deuxième chef de conclusions est irrecevable, comme la BCE le fait valoir à juste titre.

66      Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté comme étant irrecevable.

 Sur les dépens

67      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission et de la BCE.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme étant irrecevable.

2)      Tameio Pronoias Prosopikou Trapezis Kyprou est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et par la Banque centrale européenne (BCE).

Fait à Luxembourg, le 16 octobre 2014.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       H. Kanninen


* Langue de procédure : le grec.