Language of document : ECLI:EU:C:2021:63

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

26 janvier 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique économique et monétaire – Article 2, paragraphe 1, et article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE – Politique monétaire – Compétence exclusive de l’Union – Article 128, paragraphe 1, TFUE – Protocole (no 4) sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne – Article 16, premier alinéa – Notion de “cours légal” – Effets – Obligation d’accepter des billets de banque libellés en euros – Règlement (CE) no 974/98 – Possibilité pour les États membres de prévoir des restrictions aux paiements au moyen de billets et de pièces libellés en euros – Conditions – Réglementation régionale excluant le paiement en espèces d’une contribution audiovisuelle à un organisme régional de droit public de radiodiffusion »

Dans les affaires jointes C‑422/19 et C‑423/19,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne), par décisions du 27 mars 2019, parvenues à la Cour le 31 mai 2019, dans les procédures

Johannes Dietrich (C‑422/19),

Norbert Häring (C‑423/19)

contre

Hessischer Rundfunk,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice–présidente, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, MM. M. Vilaras et N. Piçarra, présidents de chambre, M. T. von Danwitz, Mme C. Toader, MM. M. Safjan, D. Šváby, S. Rodin, C. Lycourgos, P. G. Xuereb (rapporteur), Mme L. S. Rossi et M. I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 juin 2020,

considérant les observations présentées :

–        pour MM. Dietrich et Häring, par Me C. A. Gebauer, Rechtsanwalt,

–        pour le Hessischer Rundfunk, par M. H. Kube, professeur de droit,

–        pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme S. Eisenberg, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par Mmes E. de Moustier et A. Daly, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par MM. J. Baquero Cruz et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents,

–        pour la Banque centrale européenne (BCE), par MM. M. Rötting, F. Malfrère et C. Kroppenstedt ainsi que par Mme R. Aragón Plaza, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, de l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, de l’article 16, premier alinéa, du protocole (no 4) sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (JO 2016, C 202, p. 230, ci-après le « protocole sur le SEBC et la BCE ») et de l’article 10 du règlement (CE) no 974/98 du Conseil, du 3 mai 1998, concernant l’introduction de l’euro (JO 1998, L 139, p. 1).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant M. Johannes Dietrich (affaire C‑422/19) et M. Norbert Häring (affaire C‑423/19) au Hessischer Rundfunk (radiodiffuseur public du Land de Hesse, Allemagne) au sujet du paiement d’une contribution audiovisuelle due à ce dernier.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le protocole sur le SEBC et la BCE

3        L’article 16, premier alinéa, du protocole sur le SEBC et la BCE est libellé comme suit :

« Conformément à l’article 128, paragraphe 1, du traité [FUE], le conseil des gouverneurs est seul habilité à autoriser l’émission de billets de banque en euros dans l’Union. La [Banque centrale européenne (BCE)] et les banques centrales nationales peuvent émettre de tels billets. Les billets de banque émis par la BCE et les banques centrales nationales sont les seuls à avoir cours légal dans l’Union. »

 Le règlement no 974/98

4        Le considérant 19 du règlement no 974/98 se lit comme suit :

« [C]onsidérant que les billets et les pièces libellés dans les unités monétaires nationales perdent leur cours légal au plus tard six mois après l’expiration de la période transitoire ; que les restrictions aux paiements au moyen de billets et de pièces, définies par les États membres en considération de motifs d’intérêt public, ne sont pas incompatibles avec le cours légal des billets et pièces libellés en euros, pour autant que d’autres moyens légaux soient disponibles pour le règlement des créances de sommes d’argent ».

5        Aux termes de l’article 10 de ce règlement :

« À partir du 1er janvier 2002, la BCE et les banques centrales des États membres participants mettent en circulation les billets libellés en euros. Sans préjudice des dispositions de l’article 15, ces billets libellés en euros sont les seuls à avoir cours légal dans tous ces États membres. »

6        Selon l’article 11 dudit règlement :

« À partir du 1er janvier 2002, les États membres participants émettent des pièces libellées en euros ou en cents et conformes aux valeurs unitaires et aux spécifications techniques que peut adopter le Conseil conformément à l’article [128], paragraphe 2, seconde phrase, [TFUE]. Sans préjudice des dispositions de l’article 15, ces pièces sont les seules à avoir cours légal dans tous ces États membres. À l’exception de l’autorité émettrice et des personnes spécifiquement désignées par la législation nationale de l’État membre émetteur, nul n’est tenu d’accepter plus de cinquante pièces lors d’un seul paiement. »

 La recommandation 2010/191/UE

7        Les considérants 1 à 4 de la recommandation 2010/191/UE de la Commission, du 22 mars 2010, concernant l’étendue et les effets du cours légal des billets de banque et pièces en euros (JO 2010, L 83, p. 70), sont libellés comme suit :

« (1)

Le statut du cours légal des billets de banque en euros est régi par l’article 128 [TFUE], dans le chapitre consacré à la politique monétaire. En vertu de l’article 3, paragraphe 1, point c), [TFUE], l’Union dispose d’une compétence exclusive dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro (les États membres participants).

(2)

En vertu de l’article 11 du règlement [no 974/98], les pièces libellées en euros sont les seules à avoir cours légal dans les États membres participants.

(3)

Il plane actuellement une incertitude au niveau de la zone euro concernant l’étendue du cours légal et ses conséquences.

(4)

La présente recommandation repose sur les principales conclusions d’un rapport établi par un groupe de travail constitué de représentants des ministères des finances et des banques centrales nationales de la zone euro. »

8        Les points 1 à 4 de cette recommandation prévoient ce qui suit :

« 1.      Définition commune du cours légal

Lorsqu’il existe une obligation de paiement, le cours légal des billets de banque et pièces en euros devrait impliquer :

a)      l’acceptation obligatoire :

le bénéficiaire d’une obligation de paiement ne peut refuser les billets de banque et pièces en euros, sauf si les parties sont convenues d’un autre mode de paiement ;

b)      l’acceptation à la valeur nominale :

la valeur monétaire des billets de banque et pièces en euros est égale au montant indiqué sur les billets de banque et les pièces ;

c)      le pouvoir libératoire :

un débiteur peut s’acquitter d’une obligation de paiement en offrant des billets de banque et pièces en euros à son créancier.

2.      Acceptation des paiements en billets de banque et pièces en euros dans les transactions de détail

L’acceptation de billets de banque et pièces en euros comme moyen de paiement devrait être la règle dans les transactions de détail. Un refus ne devrait être possible que s’il est fondé sur des raisons liées au “principe de bonne foi” (si le commerçant ne dispose pas [d’] espèces suffisantes pour rendre la monnaie, par exemple).

3.      Acceptation de billets de banque de valeur élevée dans les transactions de détail.

Les billets de banque de valeur élevée devraient être acceptés comme moyen de paiement dans les transactions de détail. Ils ne devraient pouvoir être refusés que pour des raisons liées au “principe de bonne foi” (par exemple, si la valeur nominale du billet de banque est disproportionnée par rapport au montant dû au bénéficiaire du paiement).

4.      Absence de frais supplémentaires pour l’utilisation de billets de banque et de pièces en euros

Aucun frais supplémentaire ne devrait être imposé pour les paiements effectués en billets de banque et pièces en euros. »

 Le droit allemand

9        L’article 14, paragraphe l, du Gesetz über die Deutsche Bundesbank (loi sur la banque fédérale allemande), dans sa version publiée le 22 octobre 1992 (BGBl. 1992 I, p. 1782), telle que modifiée par la loi du 4 juillet 2013 (BGBl. 2013 I, p. 1981) (ci-après le « BBankG »), dispose :

« Sans préjudice de l’article 128, paragraphe 1, TFUE, la Deutsche Bundesbank [(banque fédérale allemande)] a le droit exclusif d’émettre des billets de banque dans le champ d’application de la présente loi. Les billets de banque libellés en euros sont les seuls à avoir cours légal illimité. [...] »

10      L’article 2, paragraphe 1, du Rundfunkbeitragsstaatsvertrag (traité d’État sur la contribution audiovisuelle), des 15 à 21 décembre 2010, dans sa version issue du Fünfzehnter Rundfunkänderungsstaatsvertrag (quinzième traité d’État modificatif relatif à la radiodiffusion), tel que ratifié par le Land de Hesse (Allemagne) par la loi du 23 août 2011 (GVBl. I 2011, p. 382) (ci-après le « RBStV »), est libellé comme suit :

« Dans le secteur privé, une contribution audiovisuelle est acquittée pour tout logement par le détenteur de celui–ci (le redevable de la contribution). »

11      L’article 7, paragraphe 3, du RBStV précise :

« La contribution audiovisuelle est due chaque mois. Elle doit être versée au milieu d’une période de trois mois, pour une période de trois mois respectivement. »

12      L’article 9, paragraphe 2, du RBStV prévoit :

« Le Landesrundfunkanstalt [organisme régional de radiodiffusion] compétent est habilité à fixer par voie de règlement corporatif [« Satzung »] les modalités de la procédure

[...]

2.      relative au versement de la contribution audiovisuelle, à l’exonération ou à la réduction de celle–ci.

[...] »

13      L’article 10 du RBStV énonce :

« [...]

(2)      La contribution audiovisuelle doit être versée à l’organisme régional de radiodiffusion compétent en tant que dette portable [...]

[...]

(5)      Le montant des arriérés de contribution audiovisuelle est déterminé par l’organisme régional de radiodiffusion compétent. [...] »

14      L’article 10, paragraphe 2, de la Satzung des Hessischen Rundfunks über das Verfahren zur Leistung der Rundfunkbeiträge (règlement du radiodiffuseur public du Land de Hesse relatif à la procédure de paiement des contributions audiovisuelles), du 5 décembre 2012 (ci-après le « règlement sur les contributions »), adopté sur le fondement de l’article 9, paragraphe 2, du RBStV, est libellé comme suit :

« Le débiteur de contributions audiovisuelles ne peut pas acquitter celles–ci en espèces mais uniquement par le biais des moyens de paiement suivants :

1.      autorisation de débit par prélèvement ou futur prélèvement SEPA de base,

2.      virement individuel,

3.      ordre de virement permanent. »

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

15      MM. Dietrich et Häring, détenteurs de logements dans le ressort géographique du radiodiffuseur public du Land de Hesse, ont proposé à celui-ci de s’acquitter en espèces de la contribution audiovisuelle due en application de l’article 2, paragraphe 1, du RBStV au titre, respectivement, du deuxième trimestre de l’année 2015 et du premier trimestre de l’année 2016.

16      Le radiodiffuseur public du Land de Hesse a rejeté cette proposition, au motif que l’article 10, paragraphe 2, du règlement sur les contributions prévoit que ladite contribution ne peut pas être acquittée en espèces mais doit l’être par prélèvement, virement individuel ou ordre de virement permanent, et leur a envoyé des avis de paiement fixant les arriérés de la contribution audiovisuelle à leur charge ainsi qu’une pénalité de retard.

17      Les requérants au principal ont formé des recours en annulation contre ces avis de paiement. Par jugements du 31 octobre 2016, le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main (tribunal administratif de Francfort-sur-le-Main, Allemagne) a rejeté leurs recours. Par arrêts du 13 février 2018, le Hessischer Verwaltungsgerichtshof (tribunal administratif supérieur du Land de Hesse, Allemagne) a rejeté leurs appels contre ces jugements.

18      Les requérants au principal ont introduit des recours en Revision contre ces arrêts devant la juridiction de renvoi, le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne). Dans le cadre de leurs recours, ils font valoir que l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG et l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE prévoient une obligation absolue et illimitée d’accepter les billets de banque libellés en euros en tant que moyen de règlement des créances de sommes d’argent. Selon les requérants au principal, cette obligation ne pourrait être limitée que par un accord contractuel entre les parties ou en raison d’une autorisation prévue dans le droit fédéral ou le droit de l’Union. En revanche, aucune raison pratique, telle que, comme en l’occurrence, le nombre important de contribuables, ne justifierait qu’elle soit écartée.

19      La juridiction de renvoi souligne, à titre liminaire, que les recours en Revision devraient être accueillis au regard du droit interne. À cet égard, elle précise que l’exclusion de la possibilité de payer la contribution audiovisuelle au moyen de billets de banque libellés en euros, qui découle du règlement sur les contributions, viole une disposition du droit fédéral, de rang supérieur, à savoir l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG. Des considérations liées à l’économie de cette disposition et, en particulier, à sa genèse, de même qu’à son esprit ainsi qu’à sa finalité, plaideraient, en effet, en faveur d’une interprétation de ladite disposition en ce sens qu’elle fait obligation aux entités publiques d’accepter les billets de banque libellés en euros dans le cadre de l’exécution d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics. Cette obligation ne connaîtrait pas d’exception, en droit fédéral allemand, dans le contexte des procédures de recouvrement de masse telles que la perception de la contribution audiovisuelle en cause au principal. La juridiction de renvoi précise qu’elle ne dispose pas d’indices de ce que la possibilité de payer la contribution audiovisuelle en espèces mettrait en danger la dotation financière des organismes de radiodiffusion inscrite dans le droit constitutionnel.

20      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi considère que les litiges au principal soulèvent trois questions sur lesquelles il est nécessaire que la Cour statue à titre préjudiciel.

21      En premier lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité de l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG à la compétence exclusive dont l’Union dispose dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, étant donné que, selon l’article 2, paragraphe 1, TFUE, seule l’Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants dans ce domaine.

22      Elle relève à cet égard que le traité FUE ne contient aucune définition de la notion de « politique monétaire », ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, et ajoute qu’elle n’est pas en mesure de décider si la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire s’étend à la réglementation des conséquences juridiques qui sont liées au cours légal des billets de banque libellés en euros, notamment à l’obligation faite aux entités publiques d’accepter de tels billets de banque.

23      La juridiction de renvoi fait observer que l’obligation pour les entités publiques d’accepter les billets de banque libellés en euros ne concerne pas l’objectif de la politique monétaire consistant à maintenir la stabilité des prix et ne présente pas de lien direct avec les moyens énumérés dans le droit primaire pour atteindre cet objectif. En particulier, la compétence accordée par l’article 128, paragraphe 1, TFUE à la BCE et aux banques centrales nationales pour émettre les billets de banque en euros ne serait pas limitée ou modifiée par cette obligation. Cependant, la juridiction de renvoi estime que la jurisprudence de la Cour pourrait être interprétée en ce sens que les réglementations qui portent sur les effets du cours légal des billets de banque libellés en euros et, ainsi, sur le fonctionnement de la circulation monétaire relèvent de la politique monétaire. En outre, il ne serait pas exclu qu’une telle réglementation, en tant que mesure nécessaire pour l’utilisation de l’euro comme monnaie unique, puisse être fondée sur l’article 133 TFUE et, donc, qu’elle puisse être considérée comme relevant de la compétence exclusive de l’Union conformément à l’article 2, paragraphes 1 et 6, TFUE.

24      En deuxième lieu, la juridiction de renvoi souligne que la question de savoir si, compte tenu de la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro, un législateur national est autorisé à adopter une disposition telle que l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG ne se pose pas si, en vertu du droit de l’Union, il est interdit aux entités publiques d’un État membre de refuser l’exécution, en billets de banque libellés en euros, d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics. Dans cette hypothèse, l’article 10, paragraphe 2, du règlement sur les contributions serait contraire au droit de l’Union.

25      À cet égard, la juridiction de renvoi rappelle que, conformément à l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, à l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE, ainsi qu’à l’article 10, seconde phrase, du règlement no 974/98, les billets de banque libellés en euros sont les seuls à avoir cours légal dans l’Union. Or, l’obligation d’accepter les billets de banque libellés en euros ne découlerait pas de manière évidente de la notion de « cours légal », laquelle ne serait définie ni dans le traité FUE, ni dans le protocole sur le SEBC et la BCE, ni dans le règlement no 974/98. Le considérant 19 de ce règlement ne ferait que suggérer que, du point de vue du législateur de l’Union, les limitations à la possibilité de payer en espèces n’affectent pas, à elles seules, le cours légal des espèces en euros.

26      La juridiction de renvoi rappelle également que le point 1 de la recommandation 2010/191, intitulé « Définition commune du cours légal », prévoit que le cours légal des billets de banque et des pièces libellés en euros devrait impliquer, notamment, leur « acceptation obligatoire » par le bénéficiaire d’une obligation de paiement, sous réserve de certaines exceptions. La juridiction de renvoi souligne, toutefois, que, conformément à l’article 288, cinquième alinéa, TFUE, les recommandations des institutions ne lient pas, de sorte que l’importance qu’il convient d’accorder à cette recommandation serait incertaine.

27      En troisième lieu, la juridiction de renvoi considère que la réponse à la question de savoir si, compte tenu de la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro, le législateur allemand était autorisé à adopter l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG n’est pas non plus nécessaire à la solution des litiges au principal, si une règle nationale, prévoyant une obligation d’accepter les billets de banque en euros dans le cadre de l’exécution d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics, peut être appliquée lorsque l’Union n’a pas exercé sa compétence exclusive. La juridiction de renvoi estime toutefois que la jurisprudence existante de la Cour ne lui permet pas de déterminer si tel est le cas.

28      C’est dans ce contexte que le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La compétence exclusive dont jouit l’Union en vertu de l’article 2, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro s’oppose-t-elle à l’adoption, par l’un de ces États membres, d’un acte législatif qui prévoit une obligation pour les entités publiques de cet État membre d’accepter les billets de banque libellés en euros dans le cadre de l’exécution d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics ?

2)      Le cours légal qu’ont les billets de banque libellés en euros en vertu de l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, de l’article 16, paragraphe 1, troisième phrase, du protocole [sur le SEBC et la BCE], ainsi que de l’article 10, deuxième phrase, du règlement [no 974/98], emporte-t-il une interdiction pour les entités publiques d’un État membre de refuser l’exécution, avec de tels billets, d’une obligation de paiement imposée par les pouvoirs publics, ou le droit de l’Union permet-il des réglementations qui excluent le paiement avec des billets de banque en euros de certaines obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics ?

3)      Dans l’hypothèse où il serait répondu par l’affirmative à la première question et par la négative à la deuxième question, un acte législatif d’un État membre dont la monnaie est l’euro, adopté dans le domaine de la compétence exclusive de l’Union pour la politique monétaire, peut-il être appliqué dès lors et aussi longtemps que l’Union n’a pas fait usage de sa compétence ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première et troisième questions

29      Par ses première et troisième questions, auxquelles il convient de répondre conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, doit être interprété en ce sens que, indépendamment de tout exercice par l’Union de sa compétence exclusive dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro, il s’oppose à la réglementation d’un État membre qui oblige les entités publiques à accepter des billets de banque libellés en euros dans le cadre de l’exécution d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics.

30      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, dans leurs observations écrites, la Commission européenne, le radiodiffuseur public du Land de Hesse et la BCE ont émis des doutes sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG, retenue par la juridiction de renvoi, selon laquelle cette disposition oblige les entités publiques à accepter les billets de banque libellés en euros dans le cadre de l’exécution d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics. En effet, cette interprétation s’éloignerait du libellé de ladite disposition, qui prévoit seulement que les billets de banque libellés en euros sont les seuls à avoir cours légal illimité.

31      À cet égard, il importe de rappeler que, en ce qui concerne l’interprétation des dispositions de l’ordre juridique national, la Cour est en principe tenue de se fonder sur les qualifications résultant de la décision de renvoi. En effet, selon une jurisprudence constante, la Cour n’est pas compétente pour interpréter le droit interne d’un État membre [arrêt du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Berlin (Extradition vers l’Ukraine), C‑398/19, EU:C:2020:1032, point 62 et jurisprudence citée].

32      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question préjudicielle en partant de la prémisse selon laquelle l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG oblige les entités publiques à accepter les billets de banque libellés en euros dans le cadre de l’exécution d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics.

33      À cet égard, il importe de relever que, selon l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, l’Union dispose d’une compétence exclusive dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro.

34      Il y a lieu également de rappeler que le traité FUE ne contient aucune définition précise de la notion de « politique monétaire » mais définit, dans ses dispositions relatives à ladite politique, à la fois les objectifs de cette politique et les moyens dont dispose le Système européen de banques centrales (SEBC) pour la mettre en œuvre (arrêt du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

35      À cet égard, il convient de relever que les dispositions du traité FUE relatives à la politique monétaire figurent dans le titre VIII de la troisième partie de celui-ci, intitulé « La politique économique et monétaire ».

36      Or, l’article 119 TFUE, qui introduit ce titre, énonce, à son paragraphe 1, que l’action des États membres et de l’Union comporte, dans les conditions prévues par les traités, l’instauration d’une politique économique fondée sur l’étroite coordination des politiques économiques des États membres, sur le marché intérieur et sur la définition d’objectifs communs, et conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre. Ce même article précise, à son paragraphe 2, que cette action comporte une monnaie unique, l’euro, ainsi que la définition et la conduite d’une politique monétaire et d’une politique de change uniques dont l’objectif principal est de maintenir la stabilité des prix et, sans préjudice de cet objectif, de soutenir les politiques économiques générales dans l’Union, conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.

37      Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 59 de ses conclusions, il découle donc de l’article 119, paragraphe 2, TFUE que l’action des États membres et de l’Union comprend trois éléments, à savoir, une monnaie unique, l’euro, la définition et la conduite d’une politique monétaire unique, ainsi que la définition et la conduite d’une politique de change unique.

38      Partant, la notion de « politique monétaire » ne se limite pas à sa mise en œuvre opérationnelle, qui constitue, en vertu de l’article 127, paragraphe 2, premier tiret, TFUE, une des missions fondamentales du SEBC, mais implique également une dimension normative visant à garantir le statut de l’euro en tant que monnaie unique.

39      Une telle interprétation de la notion de « politique monétaire » est corroborée par l’objectif principal de cette politique, tel qu’il ressort de l’article 127, paragraphe 1, et de l’article 282, paragraphe 2, TFUE, à savoir maintenir la stabilité des prix. En effet, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 66 de ses conclusions, si le statut de l’euro en tant que monnaie unique pouvait être compris de manière différente et régi par des règles différentes dans les États membres dont la monnaie est l’euro, l’unicité de la monnaie unique serait remise en cause et, par ce biais, cet objectif de maintien de la stabilité des prix gravement compromis.

40      Cette interprétation de la notion de « politique monétaire » est également confortée par la teneur des articles 128 et 133 TFUE, figurant au chapitre 2 du titre VIII de la troisième partie du traité FUE, et qui peuvent être considérés comme des dispositions de droit monétaire, liées au statut de l’euro en tant que monnaie unique.

41      S’agissant de l’article 128 TFUE, en énonçant, à son paragraphe 1, que la BCE est seule habilitée à autoriser l’émission de billets de banque libellés en euros dans l’Union, que la BCE et les banques centrales nationales peuvent émettre de tels billets et que les billets de banque ainsi émis sont les seuls à avoir cours légal dans l’Union, cet article établit des règles relatives à l’émission des billets de banque libellés en euros dans l’Union et consacre dans le droit primaire, ensemble avec l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE, le cours légal de ces billets. En outre, en prévoyant, à son paragraphe 2, que les États membres peuvent émettre des pièces en euros, sous réserve de l’approbation par la BCE du volume de l’émission, ledit article fixe également des règles ayant pour objet d’encadrer l’émission des pièces libellées en euros.

42      Quant à l’article 133 TFUE, celui-ci habilite le législateur de l’Union, sans préjudice des attributions de la BCE, à établir les mesures de droit dérivé nécessaires à l’utilisation de l’euro en tant que monnaie unique.

43      Ainsi, l’article 128, paragraphe 1, et l’article 133 TFUE sont, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général aux points 64 à 66 de ses conclusions, le fondement de l’unicité de l’euro et constituent une condition préalable à la conduite effective de la politique monétaire de l’Union.

44      En effet, d’une part, en attribuant aux seuls billets de banque libellés en euros émis par la BCE et les banques centrales nationales un « cours légal », l’article 128, paragraphe 1, TFUE, tout comme l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE, consacre le caractère officiel de ces billets dans la zone euro, en excluant que d’autres billets puissent également bénéficier de ce caractère.

45      Dès lors que ledit article 128, paragraphe 1, TFUE ne renvoie pas au droit des États membres pour déterminer le sens et la portée de la notion de « cours légal » qu’il vise, cette dernière constitue une notion de droit de l’Union devant trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes des dispositions dans lesquelles elle figure, mais également du contexte de ces dispositions et de l’objectif poursuivi par celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, AFMB, C‑610/18, EU:C:2020:565, point 50 et jurisprudence citée).

46      À cet égard, il convient de relever que la notion de « cours légal » d’un moyen de paiement libellé dans une unité monétaire signifie, dans son sens courant, que ce moyen de paiement ne peut généralement être refusé en règlement d’une dette libellée dans la même unité monétaire, à sa valeur nominale, avec effet libératoire.

47      Cette interprétation selon le sens courant est confortée par la recommandation 2010/191, qui concerne spécifiquement l’étendue et les effets du cours légal des billets de banque et des pièces libellés en euros, étant précisé que le cours légal desdites pièces a été consacré à l’article 11 du règlement no 974/98.

48      Certes, en vertu de l’article 288, paragraphe 5, TFUE, les recommandations ne visent pas à produire des effets contraignants et ne sont pas en mesure de créer des droits que les particuliers peuvent invoquer devant un juge national. Elles font toutefois partie des actes juridiques de l’Union, de sorte que la Cour peut les prendre en considération lorsqu’elles fournissent des éléments utiles pour l’interprétation des dispositions pertinentes du droit de l’Union.

49      Or, le point 1 de la recommandation 2010/191 donne, ainsi qu’il ressort de son intitulé, la définition commune de la notion de « cours légal » en précisant que, lorsqu’il existe une obligation de paiement, le cours légal des billets de banque et des pièces libellés en euros devrait impliquer, premièrement, l’acceptation obligatoire de ces billets et pièces, deuxièmement, l’acceptation de ceux-ci à la valeur nominale et, troisièmement, leur pouvoir libératoire. Ce point atteste donc que cette notion de « cours légal » recouvre, entre autres, une obligation de principe d’acceptation des billets de banque et des pièces libellés en euros à des fins de paiement.

50      D’autre part, en ce qu’il permet au législateur de l’Union d’établir les mesures nécessaires à l’usage de l’euro en tant que monnaie unique, l’article 133 TFUE, qui a succédé à l’article 123, paragraphe 4, CE, lui-même ayant succédé à l’article 109 L, paragraphe 4, du traité CE, reflète l’exigence d’établir des principes uniformes pour tous les États membres dont la monnaie est l’euro en vue de sauvegarder l’intérêt global de l’Union économique et monétaire et de l’euro comme monnaie unique et, par conséquent, comme il a été relevé au point 39  du présent arrêt, de contribuer à la poursuite de l’objectif principal de la politique monétaire de l’Union consistant à maintenir la stabilité des prix.

51      Il s’ensuit que la compétence prévue initialement à l’article 109 L, paragraphe 4, du traité CE, puis à l’article 123, paragraphe 4, CE, et désormais consacrée à l’article 133 TFUE habilite le seul législateur de l’Union à préciser le régime juridique du cours légal reconnu aux billets libellés en euros par l’article 128, paragraphe 1, TFUE ainsi que par l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE, et du cours légal reconnu aux pièces libellées en euros par l’article 11 du règlement no 974/98, dans la mesure où cela s’avère nécessaire à l’usage de l’euro en tant que monnaie unique.

52      Conformément à l’article 2, paragraphe 1, TFUE, une telle compétence exclusive exclut toute compétence des États membres en la matière, sauf s’ils agissent en vertu d’une habilitation donnée par l’Union ou pour mettre en œuvre les actes de l’Union.

53      Il convient de préciser à cet égard, afin de répondre plus particulièrement à la troisième question, que, même dans la circonstance où l’Union n’aurait pas exercé sa compétence exclusive, l’adoption ou le maintien par un État membre d’une disposition relevant de cette compétence ne pourraient être justifiés par cette seule circonstance.

54      En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 39 de ses conclusions, lorsqu’une compétence est attribuée à l’Union à titre exclusif, la perte de compétence des États membres se produit de manière immédiate et, contrairement à ce qui est le cas pour les domaines relevant d’une compétence partagée, il est sans importance, aux fins de cette perte, que l’Union ait ou non exercé sa propre compétence (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 1981, Commission/Royaume-Uni, 804/79, EU:C:1981:93, point 20).

55      Cela étant, d’une part, il ne saurait être considéré comme nécessaire à l’utilisation de l’euro en tant que monnaie unique, au sens de l’article 133 TFUE, et, plus particulièrement, à la consécration du cours légal des billets de banque libellés en euros, prévu à l’article 128, paragraphe 1, TFUE et à l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE, d’imposer une obligation absolue d’acceptation de ces billets de banque comme moyen de paiement. En effet, il découle des précisions contenues aux points 46 à 49 du présent arrêt que ce cours légal exige non pas une acceptation absolue, mais seulement une acceptation de principe des billets de banque libellés en euros comme moyen de paiement. D’autre part, il n’est pas davantage nécessaire à l’utilisation de l’euro en tant que monnaie unique et, plus particulièrement, à la préservation de l’effectivité du cours légal des espèces libellées en euros que le législateur de l’Union fixe, de manière exhaustive et uniforme, les exceptions à cette obligation de principe, pour autant que soit garantie la possibilité pour tout débiteur, en règle générale, de s’acquitter d’une obligation de paiement au moyen de telles espèces.

56      Il s’ensuit que la compétence exclusive de l’Union en matière de politique monétaire est, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 98 de ses conclusions, sans préjudice de la compétence dont disposent les États membres dont la monnaie est l’euro pour réglementer les modalités d’exécution des obligations de paiement, tant de droit public que de droit privé, pour autant notamment qu’une telle réglementation n’affecte pas le principe selon lequel, en règle générale, il doit être possible de s’acquitter d’une obligation de paiement au moyen de telles espèces. Ainsi, cette compétence exclusive n’empêche pas un État membre, dans le cadre de l’exercice de ses compétences propres, telle que l’organisation de son administration publique, d’adopter une mesure qui oblige cette administration à accepter des paiements en espèces de la part des administrés ou, ainsi qu’il est envisagé dans le cadre de la deuxième question, qui introduit, pour un motif d’intérêt public, une dérogation à cette obligation pour des paiements imposés par les pouvoirs publics, sous réserve du respect de certaines conditions qui seront précisées dans l’examen de cette question.

57      Il incombe à la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter le droit national, de vérifier si l’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du BBankG doit être interprété, au regard de son objectif et de son contenu, comme une mesure ayant été adoptée dans le cadre des compétences propres des États membres, telle que décrite au point précédent.

58      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et troisième questions préjudicielles que l’article 2, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), l’article 128, paragraphe 1, et l’article 133 TFUE ainsi qu’avec l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE, doit être interprété en ce sens que, indépendamment de tout exercice par l’Union de sa compétence exclusive dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro, il s’oppose à ce qu’un État membre adopte une disposition qui, au regard de son objectif et de son contenu, détermine le régime juridique du cours légal des billets de banque libellés en euros. En revanche, il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre adopte, dans l’exercice d’une compétence qui lui est propre, telle que l’organisation de son administration publique, une disposition qui contraint ladite administration à accepter le paiement en espèces des obligations pécuniaires qu’elle impose.

 Sur la deuxième question

59      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE ainsi que l’article 10, seconde phrase, du règlement no 974/98 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui exclut la possibilité de s’acquitter en espèces d’une obligation de paiement imposée par les pouvoirs publics.

60      Il convient de souligner que la réponse à cette question n’est nécessaire que dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi parviendrait à la conclusion, sur la base de la réponse de la Cour aux première et troisième questions, que l’article 14, paragraphe 1, du BBankG, interprété de la manière exposée au point 32 du présent arrêt, n’est pas compatible avec la compétence exclusive de l’Union s’agissant de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro, et que le défendeur au principal avait ainsi la faculté d’adopter l’article 10, paragraphe 2, du règlement sur les contributions.

61      À cet égard, il importe de relever que le cours légal des billets de banque libellés en euros est consacré non seulement dans le droit primaire, à l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE ainsi que, sous un libellé repris presque à l’identique, à l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE, mais également dans le droit dérivé, à l’article 10, seconde phrase, du règlement no 974/98. En outre, comme il a été relevé au point 47 du présent arrêt, si le traité FUE ne consacre que le cours légal des billets de banque libellés en euros, l’article 11, deuxième phrase, de ce règlement confère également cours légal aux pièces libellées en euros.

62      À cet égard, si les termes des dispositions dont l’interprétation est sollicitée dans le cadre de la deuxième question font obstacle à l’adoption d’une règle nationale ayant pour objet ou pour effet d’abolir en droit ou en fait les espèces en euros, notamment en remettant en cause la possibilité, en règle générale, de s’acquitter d’une obligation de paiement au moyen de telles espèces, ils ne permettent pas à eux seuls de déterminer si une règle nationale se bornant à restreindre l’utilisation des espèces en vue d’acquitter une obligation de paiement imposée par les pouvoirs publics serait également contraire au droit de l’Union.

63      En ce qui concerne le contexte de ces dispositions, il importe de relever que le considérant 19 du règlement no 974/98 précise que les restrictions aux paiements au moyen de billets et de pièces, définies par les États membres en considération de motifs d’intérêt public, ne sont pas incompatibles avec le cours légal des billets et des pièces libellés en euros, pour autant que d’autres moyens légaux soient disponibles pour le règlement des créances de sommes d’argent.

64      Il convient de rappeler à ce sujet que, même si le préambule d’un acte de l’Union n’a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué ni pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ni pour interpréter ces dispositions dans un sens contraire à leur libellé, il est susceptible d’en préciser le contenu, les considérants qui figurent dans ce préambule constituant des éléments d’interprétation importants de nature à éclairer sur la volonté de l’auteur de cet acte (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Puppinck e.a./Commission, C‑418/18 P, EU:C:2019:1113, points 75 et 76 ainsi que jurisprudence citée).

65      S’agissant plus particulièrement de la mention, dans le considérant 19 du règlement no 974/98, des « motifs d’intérêt public », il y a lieu de relever que, alors que certaines versions linguistiques de ce considérant, telles que celle en langue allemande, utilisent l’expression « motifs d’ordre public », d’autres versions linguistiques, telles que celles en langue anglaise ou française, emploient l’expression « motifs d’intérêt public ». Or, la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer, à cet égard, un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Ainsi, en présence d’une telle disparité, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Naturschutzbund Deutschland – Landesverband Schleswig-Holstein, C‑297/19, EU:C:2020:533, point 43).

66      Les restrictions aux paiements au moyen de billets et de pièces libellés en euros pouvant, en pratique, tout aussi bien être justifiées par des motifs d’ordre public tenant à la sécurité ou à la lutte contre la criminalité que par l’intérêt public d’assurer une organisation efficace des paiements dans la société, il convient, afin d’assurer une application uniforme des motifs dérogatoires dans tous les États membres, de retenir l’expression qui a le sens plus large, à savoir celle de « motifs d’intérêt public ».

67      Dans ces conditions, l’article 10, seconde phrase, et l’article 11, deuxième phrase, du règlement no 974/98, lus à la lumière du considérant 19 de ce règlement, doivent être compris en ce sens que, d’une part, le cours légal de ces billets et pièces implique, en principe, une obligation d’acceptation desdits billets et pièces, et, d’autre part, cette obligation peut, en principe, être restreinte par les États membres en considération de motifs d’intérêt public.

68      Il convient de préciser que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 129 de ses conclusions et comme l’a souligné la majorité des parties intéressées ayant présenté des observations, de telles restrictions doivent être proportionnées à l’objectif d’intérêt public poursuivi.

69      En effet, compte tenu du fait que, en imposant de telles restrictions dans l’exercice de leurs compétences souveraines, les États membres limitent la possibilité, reconnue par le droit de l’Union, en règle générale, de s’acquitter d’une obligation de paiement au moyen de billets et de pièces libellés en euros, ces États membres doivent s’assurer que les mesures qu’ils prennent respectent le principe de proportionnalité, lequel fait partie des principes généraux du droit de l’Union.

70      Or, le principe de proportionnalité exige, selon une jurisprudence constante de la Cour, que les mesures concernées soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Spiegel Online, C‑516/17, EU:C:2019:625, point 34 et jurisprudence citée).

71      En l’occurrence, s’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si la réglementation en cause au principal respecte les conditions mentionnées aux points 68 à 70 du présent arrêt, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut néanmoins, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans sa décision (voir, en ce sens, arrêt du 2 mai 2019, Fundación Consejo Regulador de la Denominación de Origen Protegida Queso Manchego, C‑614/17, EU:C:2019:344, point 37 et jurisprudence citée).

72      En ce qui concerne les motifs d’intérêt public invoqués pour justifier l’exclusion, par la réglementation en cause au principal, du paiement en espèces de la contribution audiovisuelle, il y a lieu de relever que, dans ses observations écrites, le radiodiffuseur public du Land de Hesse a souligné que, compte tenu des quelque 46 millions de contribuables en Allemagne, l’obligation d’acquitter la contribution audiovisuelle par des moyens de paiement scripturaux vise à garantir le recouvrement effectif de cette contribution et à éviter des coûts supplémentaires considérables.

73      À cet égard, il est effectivement dans l’intérêt public que les dettes de sommes d’argent envers les autorités publiques puissent être honorées d’une manière qui n’implique pas pour elles un coût déraisonnable qui les empêcherait d’assurer les services fournis à moindre coût.

74      Il y a donc lieu de considérer que le motif d’intérêt public tiré de la nécessité de garantir l’exécution d’une obligation de paiement imposée par les pouvoirs publics est susceptible de justifier une restriction aux paiements en espèces, notamment lorsque le nombre de contribuables auprès desquels la créance doit être récupérée est très élevé.

75      En ce qui concerne la condition selon laquelle les mesures en cause ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis, il ressort de la décision de renvoi que la réglementation en cause au principal prévoit, pour le règlement de la contribution audiovisuelle, d’autres moyens légaux que les espèces, à savoir le prélèvement, le virement individuel ou le virement permanent.

76      Or, la restriction en cause au principal semble être à la fois apte et nécessaire pour réaliser l’objectif consistant à procéder au recouvrement effectif de la contribution audiovisuelle, en ce qu’elle permet d’éviter à l’administration d’être exposée à une charge financière déraisonnable au regard du coût qu’impliquerait la mise en place généralisée d’une procédure permettant aux contribuables de s’acquitter de la contribution audiovisuelle en espèces.

77      Il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier si une telle restriction est proportionnée à cet objectif, en particulier au regard du fait que les moyens légaux alternatifs de paiement de la contribution audiovisuelle peuvent ne pas être facilement accessibles à toutes les personnes redevables de celle-ci, ce qui impliquerait de prévoir, pour les personnes n’ayant pas accès à ces moyens, une possibilité de payer en espèces.

78      Il découle de ce qui précède qu’il convient de répondre à la deuxième question que l’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE ainsi que l’article 10, seconde phrase, du règlement no 974/98 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui exclut la possibilité de s’acquitter d’une obligation de paiement imposée par les pouvoirs publics au moyen de billets de banque libellés en euros, à la condition, premièrement, que cette réglementation n’ait pas pour objet ni pour effet de déterminer le régime juridique du cours légal de ces billets, deuxièmement, qu’elle ne conduise pas, en droit ou en fait, à une abolition desdits billets, notamment en remettant en cause la possibilité, en règle générale, de s’acquitter d’une obligation de paiement au moyen de telles espèces, troisièmement, qu’elle ait été adoptée en considération de motifs d’intérêt public, quatrièmement, que la restriction aux paiements en espèces qu’implique cette réglementation soit apte à réaliser l’objectif d’intérêt public poursuivi et, cinquièmement, qu’elle ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de celui-ci, en ce sens que d’autres moyens légaux soient disponibles pour s’acquitter de l’obligation de paiement.

 Sur les dépens

79      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1)      L’article 2, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), l’article 128, paragraphe 1, et l’article 133 TFUE ainsi qu’avec l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole (no 4) sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, doit être interprété en ce sens que, indépendamment de tout exercice par l’Union européenne de sa compétence exclusive dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro, il s’oppose à ce qu’un État membre adopte une disposition qui, au regard de son objectif et de son contenu, détermine le régime juridique du cours légal des billets de banque libellés en euros. En revanche, il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre adopte, dans l’exercice d’une compétence qui lui est propre, telle que l’organisation de son administration publique, une disposition qui contraint ladite administration à accepter le paiement en espèces des obligations pécuniaires qu’elle impose.

2)      L’article 128, paragraphe 1, troisième phrase, TFUE, l’article 16, premier alinéa, troisième phrase, du protocole (no 4) sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne ainsi que l’article 10, seconde phrase, du règlement (CE) no 974/98 du Conseil, du 3 mai 1998, concernant l’introduction de l’euro, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui exclut la possibilité de s’acquitter d’une obligation de paiement imposée par les pouvoirs publics au moyen de billets de banque libellés en euros, à la condition que, premièrement, cette réglementation n’ait pas pour objet ni pour effet de déterminer le régime juridique du cours légal de ces billets, deuxièmement, qu’elle ne conduise pas, en droit ou en fait, à une abolition desdits billets, notamment en remettant en cause la possibilité, en règle générale, de s’acquitter d’une obligation de paiement au moyen de telles espèces, troisièmement, qu’elle ait été adoptée en considération de motifs d’intérêt public, quatrièmement, que la restriction aux paiements en espèces qu’implique cette réglementation soit apte à réaliser l’objectif d’intérêt public poursuivi et, cinquièmement, qu’elle ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de celui-ci, en ce sens que d’autres moyens légaux soient disponibles pour s’acquitter de l’obligation de paiement.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.