Language of document : ECLI:EU:C:2020:698

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 10 septembre 2020 (1)

Affaire C450/19

Kilpailu- ja kuluttajavirasto

en présence de

Eltel Group Oy,

Eltel Networks Oy

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande)]

« Renvoi préjudiciel – Détermination de la durée d’une infraction contre la concurrence – Critères – Ententes prolongeant leurs effets au-delà de leur cessation formelle – Conditions – Détermination des effets économiques du comportement anticoncurrentiel – Achèvement des travaux plusieurs années après la conclusion du marché – Tranches de paiement versées après les travaux »






I.      Introduction

1.        Lorsqu’une infraction alléguée à l’article 101 TFUE prend la forme d’une coordination portant sur la soumission d’offres dans le cadre d’un appel d’offres lancé pour la réalisation de travaux de construction, comment convient-il d’apprécier la date à laquelle ladite coordination a pris fin ? Cette fin peut-elle intervenir avant la fin des travaux en question, ou avant la fin de leur paiement ? Tel est, en substance, l’enjeu du présent renvoi préjudiciel.

II.    Le cadre juridique

A.      Le règlement no 1/2003

2.        L’article 25 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (2) est rédigé comme suit :

« 1)      Le pouvoir conféré à la Commission en vertu des articles 23 et 24 est soumis aux délais de prescription suivants :

a)      trois ans en ce qui concerne les infractions aux dispositions relatives aux demandes de renseignements ou à l’exécution d’inspections ;

b)      cinq ans pour toutes les autres infractions.

2)      La prescription court à compter du jour où l’infraction a été commise. Toutefois, pour les infractions continues ou répétées, la prescription ne court qu’à compter du jour où l’infraction a pris fin.

3)      La prescription en matière d’imposition d’amendes ou d’astreintes est interrompue par tout acte de la Commission ou d’une autorité de concurrence d’un État membre visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction. L’interruption de la prescription prend effet le jour où l’acte est notifié à au moins une entreprise ou association d’entreprises ayant participé à l’infraction. Constituent notamment des actes interrompant la prescription :

a)      les demandes de renseignements écrites de la Commission ou de l’autorité de concurrence d’un État membre ;

b)      les mandats écrits d’inspection délivrés à ses agents par la Commission ou par l’autorité de concurrence d’un État membre ;

c)      l’engagement d’une procédure par la Commission ou par une autorité de concurrence d’un État membre ;

d)      la communication des griefs retenus par la Commission ou par une autorité de concurrence d’un État membre.

4)      L’interruption de la prescription vaut à l’égard de toutes les entreprises et associations d’entreprises ayant participé à l’infraction.

5)      La prescription court à nouveau à partir de chaque interruption. Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait prononcé une amende ou une astreinte. Ce délai est prorogé de la période pendant laquelle la prescription a été suspendue conformément au paragraphe 6.

6)      La prescription en matière d’imposition d’amendes ou d’astreintes est suspendue aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure pendante devant la Cour de justice. »

B.      Le droit finlandais

3.        L’article 1a de la kilpailunrajoituslaki (loi relative aux restrictions de concurrence) prévoit que « [l]es dispositions des articles 81 et 82 du [traité CE] s’appliquent lorsqu’une restriction de concurrence est susceptible d’avoir une incidence sur le commerce entre États membres ».

4.        L’article 4 de cette loi est rédigé comme suit :

« Sont interdits tout accord entre professionnels, toute décision d’associations de professionnels et toute pratique concertée de professionnels qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans une mesure significative.

Sont interdits les accords, décisions et pratiques qui, notamment, consistent à :

1)      fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction ;

2)      limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

3)      répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,

4)      appliquer, à l’égard des partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes, en les plaçant ainsi dans une position concurrentielle défavorable ; ou

5)      subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. »

5.        L’article 22 de ladite loi dispose qu’« [u]ne amende ne peut pas être imposée au titre, notamment, d’une infraction à l’article 4 […] de cette même loi ou de l’article 81 ou 82 du traité CE si une proposition en ce sens n’a pas été soumise au tribunal des affaires économiques dans les cinq ans à compter de la cessation de la restriction de concurrence ou de la date à laquelle l’autorité a eu connaissance de cette restriction de concurrence ».

III. Le litige au principal et la question préjudicielle

6.        L’entreprise Fingrid Oyj est le principal client d’ouvrages de transport d’énergie électrique en Finlande. Elle y est propriétaire et responsable du développement du réseau à haute tension utilisé pour le flux général de transport d’électricité. Elle a publié le 16 avril 2007 un appel d’offres pour les travaux de construction en vue de la réalisation de la ligne de transport à 400 kV Keminmaa-Petäjäskoski. Les offres devaient être remises au plus tard le 5 juin 2007 pour une fin des travaux fixée au 12 novembre 2009.

7.        Le 4 juin 2007, l’entreprise finlandaise Eltel Networks Oy a déposé l’offre qui a remporté le marché. L’offre indique que l’achèvement du projet et la livraison au client étaient prévus pour le 12 novembre 2009. Il ressort de la décision de la kilpailu- ja kuluttajavirasto (autorité de la concurrence et de la consommation, Finlande, ci‑après l’« autorité de la concurrence ») que cette offre aurait été soumise après concertation préalable avec une autre entreprise (3) partie à l’entente prohibée présumée. Le contrat portant sur les travaux de construction a été signé entre Eltel Networks et Fingrid le 19 juin 2007. L’ouvrage a été achevé le 12 novembre 2009. La dernière tranche a été payée le 7 janvier 2010.

8.        Par décision du 31 octobre 2014, l’autorité de la concurrence a soumis, comme l’exige le droit finlandais, au markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques, Finlande) une proposition d’amende de 35 millions d’euros qu’elle souhaitait infliger solidairement à Eltel Networks et Eltel Group Oy (ci‑après, conjointement, « Eltel ») en raison de sa participation présumée à une entente prohibée (4). Ladite entente aurait commencé, selon la décision de l’autorité de la concurrence, au plus tard au mois d’octobre 2004 et se serait poursuivie sans interruption au moins jusqu’au mois de mars 2011. Eltel aurait ainsi enfreint l’article 4 de la loi relative aux restrictions de concurrence ainsi que l’article 101 TFUE en s’accordant, avec une autre entreprise, sur les prix, les marges et la répartition des marchés de conception et de construction de lignes de transport d’énergie électrique en Finlande.

9.        Le 30 mars 2016, le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) a rejeté la proposition d’amende de l’autorité de la concurrence. Selon lui, Eltel a cessé de participer à la restriction de concurrence alléguée avant le 31 octobre 2009 et l’autorité de la concurrence n’aurait pas rapporté la preuve d’une perduration de l’infraction après cette date. Or, il ressort de l’article 22 de la loi relative aux restrictions de concurrence que la proposition d’amende doit être soumise par l’autorité de la concurrence au markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) dans un délai de cinq ans à compter de la cessation de la restriction de concurrence. Pour ce tribunal, l’entente présumée aurait porté sur les travaux de conception de la ligne de transport d’énergie électrique en question, mais pas sur les travaux de construction en eux‑mêmes. Or, ces travaux de conception se seraient achevés au cours de l’année 2007.

10.      L’autorité de la concurrence a formé un pourvoi contre cette décision devant la juridiction de renvoi. Selon cette autorité, en substance, l’accord entre Eltel et l’autre entreprise partie à l’entente aurait été conclu avant la soumission de l’offre par Eltel et porterait sur les prix. Cette coordination interdite aurait perduré jusqu’à la date du dernier paiement (soit le 7 janvier 2010), le contrat mettant en œuvre la tarification illégale étant alors toujours en vigueur. Subsidiairement, l’autorité de la concurrence soutient que la date d’achèvement des travaux (soit le 12 novembre 2009) devrait être retenue. Les effets économiques de l’entente, au sens de la jurisprudence de la Cour, se seraient poursuivis et Fingrid aurait subi un préjudice jusqu’à ces dates en raison du prix payé. Dans le cas particulier de la passation de marchés, l’entente produirait des effets concrets et de longue durée en raison du paiement échelonné du prix. Les effets dommageables de l’entente se répercuteraient chaque année où le paiement d’une tranche est dû et impacteraient annuellement les coûts d’activités de l’entreprise victime de l’entente ainsi que ses résultats économiques. Le surcoût engendré par le prix payé, fruit de l’entente, serait également répercuté sur les clients du gestionnaire du réseau. En soumettant sa demande d’infliction d’amende au markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) le 31 octobre 2014, l’autorité de la concurrence soutient avoir agi dans le délai fixé par l’article 22 de la loi sur les restrictions de la concurrence.

11.      Eltel, pour sa part, conteste cette ligne d’analyse et soutient, en substance, que la durée de l’infraction devrait être appréciée en fonction de la période pendant laquelle les entreprises parties à l’entente ont mis en œuvre le comportement infractionnel. Dans le cas de marchés de travaux, le délai de prescription commencerait à courir à compter du jour de dépôt de l’offre, soit, en l’espèce, le 4 juin 2007. Subsidiairement, la date de la conclusion du contrat (soit le 19 juin 2007) pourrait être retenue mais, après la survenance de ces deux événements, le prix offert ou convenu fruit de l’entente n’aurait plus d’effets sur le marché. Le rythme d’avancement des travaux ou le calendrier des paiements n’auraient aucune incidence sur la concurrence sur le marché, puisqu’ils seraient sans incidence sur le prix réclamé. Toute autre interprétation, comme celle proposée par l’autorité de la concurrence, serait sans lien avec la question de la restriction de la concurrence induite par l’entente et contraire au principe de sécurité juridique. La proposition d’amende soumise par l’autorité de la concurrence aurait donc été présentée hors délai au markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques).

12.      La juridiction de renvoi, quant à elle, part du postulat que l’appel d’offres remporté par Eltel concerne un marché de travaux portant sur la construction d’une ligne de transport d’énergie électrique. Dans ce contexte particulier, elle se demande jusqu’à quand l’on peut considérer que la soumission concertée présumée et la tarification illégale qui en a résulté ont produit des effets économiques. Selon la jurisprudence nationale, le délai de cinq ans fixé par l’article 22 de la loi sur les restrictions de concurrence commence à courir à compter du jour où le dernier comportement lié à l’infraction prend fin. Elle se demande comment apprécier cela dans le cas où une partie à une entente conclut avec un tiers à cette entente un marché de travaux correspondant à ce qui a été convenu dans le cadre de l’entente, où les travaux s’achèvent plusieurs années après la conclusion du marché de travaux en question et où les paiements dus au titre de ce marché ont encore lieu après l’achèvement de l’ouvrage. Elle relève que la jurisprudence de la Cour n’offre pas de solution qui s’imposerait de toute évidence.

13.      D’une part, dans son arrêt Quinn Barlo e.a./Commission (5), la Cour aurait jugé que les effets économiques d’une restriction à la concurrence étaient susceptibles de se poursuivre jusqu’à la fin de la période où les prix illégaux ont été en vigueur et qu’il était possible de tenir compte de la période pendant laquelle les prix collusoires ont été en vigueur aux fins de l’appréciation de la durée de l’infraction (6). Ainsi, ce ne serait pas tant la forme juridique du comportement anticoncurrentiel qui importerait que les effets économiques de ce dernier. Si l’on devait considérer que de tels effets pouvaient se poursuivre même après la cessation formelle d’une infraction complexe et continue, et devaient être pris en compte dans le calcul de la durée de l’infraction, la thèse soutenue par l’autorité de la concurrence pourrait prospérer. Toutefois, la juridiction de renvoi note que la restriction de concurrence dont il s’agissait dans l’arrêt Quinn Barlo (7) était d’une tout autre nature que celle dans l’affaire au principal.

14.      D’autre part, la Cour a jugé dans son arrêt EMI Records (8) que, dans le cas d’ententes qui ont cessé d’être en vigueur, et afin d’établir la durée de l’infraction, il suffit que lesdites ententes poursuivent leurs effets au-delà de leur cessation formelle, par exemple si le comportement des intéressés laisse implicitement ressortir des éléments de concertation et de coordination propres à l’entente et aboutit au même résultat que l’entente elle‑même (9). Si, comme le soutient Eltel, les prix appliqués sur les marchés de travaux et les effets de l’entente sur la concurrence ne se poursuivent que jusqu’à la date de la soumission de l’offre, voire de la signature du contrat, alors c’est plutôt la thèse d’Eltel qui devrait être retenue, la proposition d’amende formulée par l’autorité de la concurrence devant alors être jugée comme ayant été soumise hors délai au markkinaoikeus (tribunal des affaires éonomiques).

15.      La juridiction de renvoi relève, par ailleurs, que la question de la durée de l’infraction à la concurrence présumée ne saurait être confondue avec celle du préjudice éventuellement subi par les victimes de l’entente alléguée (10).

16.      C’est dans ces conditions que le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande) a décidé de surseoir à statuer et, par décision parvenue au greffe de la Cour le 13 juin 2019, de saisir cette dernière de la question préjudicielle suivante :

« Le régime concurrentiel de l’article 101 TFUE peut-il être interprété en ce sens que, dans le cas de figure où une partie à une entente a conclu avec un tiers à l’entente un marché de travaux correspondant à ce qui avait été convenu dans le cadre de l’entente en question, l’infraction à la concurrence, en raison des effets économiques qui découlent de la situation susmentionnée, dure aussi longtemps que sont exécutées des obligations contractuelles au titre de ce marché de travaux, ou que le prix continue d’en être payé par des versements aux parties contractantes, c’est‑à‑dire jusqu’au paiement de la dernière tranche, ou au moins jusqu’à l’achèvement de l’ouvrage en question, ou bien peut-on considérer que l’infraction à la concurrence ne dure que jusqu’à la date à laquelle l’entreprise qui en est l’auteur a déposé l’offre concernant le marché en question, ou conclu le contrat relatif à la réalisation de ce marché de travaux ? »

IV.    La procédure devant la Cour

17.      L’autorité de la concurrence, Eltel, les gouvernements finlandais, allemand, italien et letton ainsi que la Commission européenne ont soumis des observations écrites à la Cour.

18.      À la suite de la décision, en date du 16 avril 2020, de la deuxième chambre de la Cour d’annuler l’audience initialement prévue devant la Cour, ladite chambre, d’une part, et l’avocat général, d’autre part, ont adressé des questions pour réponse écrite à l’ensemble des participants à la phase écrite de la présente procédure préjudicielle. L’autorité de la concurrence, Eltel, les gouvernements finlandais, italien et letton ainsi que la Commission ont transmis leurs réponses à ces questions à la Cour.

V.      Analyse

19.      La juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, comment déterminer la fin d’une infraction alléguée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE dans l’hypothèse où l’infraction a consisté en une concertation entre entreprises parties à l’entente sur les offres à soumettre dans le cadre d’un marché de conception et de travaux portant en l’occurrence sur la construction d’une ligne de transport d’énergie électrique. Cette question est adressée à la Cour dans le contexte d’une demande émanant de l’autorité de la concurrence d’infliger une amende à Eltel, les parties au principal s’opposant sur la date à laquelle le délai de prescription pour infliger l’amende aurait pris fin.

A.      Remarques liminaires

20.      Avant d’entamer l’analyse de cette question, je souhaite formuler deux séries de remarques liminaires, l’une ayant trait à une clarification du droit national, l’autre au caractère décentralisé de la mise en œuvre de la politique de concurrence de l’Union.

21.      En premier lieu, en ce qui concerne l’état du droit national, à première vue, et même si les questions préjudicielles adressées à la Cour sont revêtues d’une forte présomption de pertinence pour la résolution du litige au principal (11), il ressortait du dossier soumis à la Cour que l’article 22 de la loi relative aux restrictions de concurrence prévoyait deux points de départ possibles au délai de prescription de cinq ans, à savoir soit la fin de l’infraction, soit le moment où l’autorité de la concurrence a eu connaissance des comportements anticoncurrentiels. Or, ladite autorité a eu connaissance de ces comportements le 31 janvier 2013 et a soumis sa proposition d’amende le 31 octobre 2014. Si le second point de départ du délai de prescription prévu à l’article 22 de la loi relative aux restrictions de la concurrence devait être retenu, l’on pourrait douter de l’utilité de la réponse de la Cour à la question préjudicielle posée pour la résolution du litige au principal.

22.      Ces doutes ont toutefois été levés par les compléments d’information reçus par la Cour en réponse à ses questions. Il semble, en effet, constant entre Eltel et le gouvernement finlandais que, dans le cas d’une infraction unique et continue qui a déjà pris fin, seul le premier point de départ du délai de prescription de cinq ans – soit la date de la fin de l’infraction – soit d’application. L’utilité de la question posée en vue de la résolution du litige au principal ne fait donc plus de doute.

23.      En second lieu, il faut constater que nous sommes ici en présence d’une mise en œuvre décentralisée de la politique de concurrence de l’Union. À ce titre, il faut immédiatement relever que le régime de prescription qui s’applique dans le cadre des actions menées par les autorités nationales de la concurrence n’est pas, en tant que tel, organisé par le droit de l’Union.

24.      Certes, le chapitre VII du règlement no 1/2003 est consacré à la prescription. Toutefois, les règles qu’il édicte en la matière ne sont applicables qu’à la Commission. En particulier, l’article 25, paragraphe 1, de ce règlement prévoit que le pouvoir de sanction de la Commission est soumis à un délai de prescription de cinq ans en ce qui concerne les infractions à l’article 101 TFUE. Le délai commence à courir à compter du jour où l’infraction a été commise ou, pour les infractions continues ou répétées, à compter du jour où l’infraction a pris fin (12). Il ressort du dossier que le législateur national aurait choisi d’enserrer l’action de l’autorité de la concurrence dans le même délai de prescription que celui fixé par le législateur de l’Union à la Commission, soit cinq ans.

25.      La directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur (13), sans imposer de délai, a consacré le principe selon lequel, pour la mise en œuvre effective de l’article 101 TFUE, « des règles réalistes » devaient être prévues consistant notamment à « suspendre ou [...] interrompre les délais nationaux de prescription pendant la durée de la procédure devant les [autorités nationales de la concurrence] d’un autre État membre ou [devant] la Commission » sans pour autant empêcher les États membres de maintenir ou d’introduire des délais de prescription absolus, pour autant que ces délais « ne rendent pas la mise en œuvre effective [de l’article 101 TFUE] pratiquement impossible ou excessivement difficile » (14). L’article 29 de la directive 2019/1 confirme ces exigences. La détermination du délai national de prescription relève donc, dans l’esprit du législateur de l’Union, de la responsabilité des États membres et, partant, du principe de l’autonomie procédurale.

26.      On notera toutefois que la question posée n’a pas tant trait à la durée du délai de prescription en tant que telle qu’au moment à partir duquel ce délai commence à courir. Comme évoqué plus haut, le règlement no 1/2003 fait partir ce délai à partir du moment où l’infraction a pris fin. Or, la détermination de la durée de l’infraction alléguée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE relève sans aucun doute du droit de l’Union.

B.      Sur la durée de l’infraction dans un contexte tel que celui du litige au principal

27.      Aux fins d’apprécier la durée de l’infraction alléguée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dans le cadre du litige au principal, il faut en rappeler les caractéristiques essentielles. Ainsi, ladite infraction a consisté en une coordination entre entreprises en vue de la manipulation de procédures d’appel d’offres lancées dans le cadre de marchés publics de travaux. Le marché a été conclu le même mois que l’offre a été déposée. Toutefois, les travaux, comme les paiements, se sont étalés sur plusieurs années : les travaux se sont achevés deux ans et cinq mois après le dépôt de l’offre et la conclusion du contrat, alors que le dernier paiement est intervenu deux ans et sept mois après la survenance de ces deux événements.

1.      Durée de l’infraction dans la jurisprudence de la Cour

28.      En soi, la question de la durée d’une entente se pose fréquemment devant la Cour puisque la sévérité de la sanction dépend notamment de la durée de l’infraction, de sorte que les entreprises auxquelles un comportement enfreignant l’article 101, paragraphe 1, TFUE est reproché développent fréquemment une argumentation en lien avec cette durée dans l’objectif de la réduire.

29.      Comme la juridiction de renvoi l’a relevé, la Cour a déjà jugé, en ce qui concerne une entente qui a cessé d’être en vigueur, que pour que l’article 101 TFUE soit applicable il suffit que cette entente poursuive ses effets économiques au-delà de la cessation formelle de sa vigueur (15). Plus précisément, « une entente n’est réputée poursuivre ses effets que si le comportement des intéressés laisse implicitement ressortir l’existence des éléments de concertation et de coordination propres à l’entente et aboutit au même résultat que celui visé par l’entente » (16).

30.      La Cour a repris cette jurisprudence et l’a appliquée dans le domaine de l’édition dans son arrêt Binon (17), dans lequel elle a donc jugé que l’article 101 TFUE était également applicable « si un comportement parallèle des éditeurs s’était prolongé après la cessation de l’ancien accord sans qu’aucun accord soit intervenu [...] [l]e régime de concurrence instauré par les articles [101 et suivants TFUE] s’intéress[ant] aux résultats économiques des accords, ou de toute forme comparable de concertation ou de coordination, plutôt qu’à leur forme juridique » (18). Partant, l’article 101 TFUE devait être considéré applicable si l’ensemble des accords dont il était question dans cette affaire « a[vait] pour résultat de laisser, en fait, l’agréation des points de vente au détail à l’appréciation de l’agence ou organisme créé par elle dans le cadre de ces accords » (19).

31.      Dans son arrêt plus récent Quinn Barlo e.a./Commission (20), les requérantes au pourvoi reprochaient au Tribunal d’avoir méconnu le principe général de la présomption d’innocence en prolongeant la durée de la première période de leur participation à l’entente au-delà de la date de la deuxième réunion anticoncurrentielle, alors que le Tribunal avait constaté que, au cours de cette réunion tenue au mois de juin 1998, les participantes s’étaient mises d’accord sur une hausse des prix pour le mois d’octobre de cette même année (21). La Cour a jugé qu’« il [était] de jurisprudence constante que le régime de concurrence instauré par les articles 101 et 102 TFUE s’intéresse aux résultats économiques des accords ou de toute autre forme comparable de concertation ou de coordination, plutôt qu’à leur forme juridique. Par conséquent, en cas d’ententes qui ont cessé d’être en vigueur, il suffit, pour que l’article 101 TFUE soit applicable, qu’elles poursuivent leurs effets au‑delà de la cessation formelle des contacts collusoires. Il en découle que la durée d’une infraction peut être appréciée en fonction de la période pendant laquelle les entreprises incriminées ont mis à exécution un comportement interdit par cet article [...]. En d’autres termes, le Tribunal aurait pu théoriquement constater l’existence d’une infraction, par exemple, pendant toute la période pendant laquelle les prix collusoires ont été en vigueur, ce qui aurait abouti, en l’espèce, à un résultat objectivement moins favorable aux intérêts des requérantes » (22).

32.      Si les trois arrêts susmentionnés fournissent quelques pistes intéressantes pour notre analyse, il faut cependant constater qu’aucun n’est à lui seul suffisant pour répondre à la question préjudicielle posée. En effet, la jurisprudence de la Cour à laquelle la juridiction de renvoi s’est abondamment référée doit être replacée dans son contexte, c’est‑à‑dire dans le cadre propre à chaque entente alors en cause, dont aucune n’est comparable à celle du litige au principal. Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt EMI (23), l’existence d’éléments de concertation et de coordination implicites avait pu être constatée. Dans l’arrêt Binon (24), l’accord avait formellement pris fin, mais un accord de fait semblait persister. Enfin, dans l’arrêt Quinn Barlo e.a./Commission (25), si la Cour a rappelé sa jurisprudence sur les ententes qui ont cessé d’être en vigueur mais dont les effets se poursuivent, c’est pour constater très concrètement qu’un accord sur les prix pour le futur avait été passé lors de la dernière réunion collusoire.

2.      Durée de l’infraction et intérêt juridique protégé

33.      En même temps qu’il faut donc recontextualiser la portée de ces trois arrêts pour la résolution de notre affaire, l’arrêt T‑Mobile Netherlands e.a. (26) mérite notre attention. La Cour a ainsi jugé que « l’article [101 TFUE] vise, à l’instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, à protéger non pas uniquement les intérêts directs des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle. [...] [L]a constatation de l’existence de l’objet anticoncurrentiel d’une pratique concertée ne saurait être subordonnée à celle d’un lien direct de celle‑ci avec les prix à la consommation. [...] [U]ne pratique concertée a un objet anticoncurrentiel au sens de l’article [101, paragraphe 1, TFUE] lorsque, en raison de sa teneur ainsi que de sa finalité et compte tenu du contexte juridique et économique dans lequel elle s’insère, elle est concrètement apte à empêcher, à restreindre ou à fausser la concurrence au sein du marché commun. Il n’est pas nécessaire que la concurrence soit réellement empêchée, restreinte ou faussée ni qu’il existe un lien direct entre cette pratique concertée et les prix à la consommation. L’échange d’informations entre concurrents poursuit un objet anticoncurrentiel lorsqu’il est susceptible d’éliminer les incertitudes quant au comportement envisagé par les entreprises concernées » (27).

34.      Ainsi, l’arrêt T-Mobile Netherlands e.a. permet d’appréhender la question de la durée de l’infraction sous un prisme différent de celui des arrêts EMI (28), Binon (29) et Quinn Barlo e.a/Commission (30), en ce que l’une des questions fondamentales auxquelles il importe de répondre pour la détermination de la durée de l’infraction est celle de l’intérêt juridique protégé, c’est‑à‑dire le libre choix du client, la possibilité d’obtenir de meilleures offres aux meilleures conditions possibles selon une libre concurrence, comme le soutient notamment la Commission dans ses observations écrites. Dès lors, l’infraction existe tant que la collusion, formelle ou de fait, restreint cette possibilité. Apprécier la durée de l’infraction nécessite donc d’évaluer l’impact de ladite infraction sur l’intérêt juridique protégé et donc, in fine, la portée exacte de l’entente, qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer.

35.      En appliquant les enseignements de l’arrêt T-Mobile Netherlands e.a. (31), si l’entente décrite dans la demande de renvoi préjudiciel ne devait concerner que le seul marché portant sur la conception et la construction de la ligne de transport à 400 kV Keminmaa-Petäjäskoski, l’objet anticoncurrentiel de l’entente disparaît au plus tard après la signature du contrat. En effet, après cette signature, il n’y aurait plus d’accord persistant entre les entreprises parties à l’entente (32), de sorte que l’on ne pourrait pas non plus considérer que les prix collusoires, entendus comme l’expression d’une volonté des parties à l’entente de s’accorder sur les prix à appliquer pour de futurs marchés, seraient encore « en vigueur », au sens de l’arrêt Quinn Barlo e.a./Commission (33). La période pendant laquelle les entreprises incriminées ont mis à exécution un comportement prohibé, toujours au sens de cet arrêt, prendrait donc fin avec la signature du contrat.

36.      Sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’opérer, un tel constat pourrait s’expliquer eu égard aux caractéristiques propres à chaque marché de travaux, et sans préjudice de l’existence éventuelle de preuves au sujet de l’existence d’une entente portant sur le marché de travaux en cause au principal et d’autres marchés de travaux futurs (34). Si, comme le soutient Eltel, l’on devait retenir que le prix du marché de travaux de construction de la ligne Keminmaa-Petäjäskoski avait été déterminé en fonction de ses caractéristiques propres (à savoir la réalisation d’un ouvrage unique, sur une zone géographique particulière, dans une période déterminée et selon un procédé technique défini), il ne serait pas, selon moi, possible de considérer que ce prix a eu sur le marché, entendu cette fois au sens large, des effets allant au-delà du contrat dans le cadre duquel il avait été fixé.

3.      Durée de l’infraction et intention infractionnelle

37.      Force est néanmoins de constater que la Cour dispose de peu d’informations sur les composantes du comportement infractionnel reproché dans le cadre du litige au principal. Elle ne dispose pas d’informations sur les éventuels contacts ou réunions collusoires qui se seraient poursuivis après la signature du contrat, par exemple. Il ressort simplement des informations supplémentaires fournies à la Cour dans le cadre des réponses écrites à ses questions que la manipulation de l’appel d’offres aurait consisté en un accord passé avec l’autre entreprise partie à l’entente sur le prix fixe à proposer, l’autre partie devant proposer un prix nécessairement plus élevé que celui offert par Eltel. Fingrid aurait reçu en tout quatre offres. Dans ces conditions, si l’on admet que l’entente n’a porté que sur ce marché, la signature du contrat à l’issue de l’appel d’offres constitue non seulement la cristallisation de la mise en pratique de l’entente, le climax de la restriction de la concurrence qui en a découlé (les concurrents potentiels du marché étant ainsi évincés), mais également la fin de la période pendant laquelle les prix collusoires ont été « en vigueur », au sens de la jurisprudence Quinn Barlo e.a. / Commission (35).

38.      En d’autres termes, la durée de l’infraction ne saurait être déconnectée de l’intention infractionnelle des entreprises participant à l’entente. Dans un domaine quasi pénal comme celui du droit des ententes (36), faire dépendre la durée de l’infraction d’un élément extérieur à la volonté des commettants, comme les modalités d’exécution et de réalisation des travaux ou le calendrier des paiements, ne paraît pas admissible. Cela reviendrait à confisquer de la volonté des parties la possibilité qui doit leur être reconnue de mettre fin à tout moment à leur comportement infractionnel. Par exemple, en cas d’impossibilité de s’acquitter du prix convenu dans le contrat ou de refus, admettrait-on de prolonger d’autant, et donc potentiellement pour une durée indéterminée, la durée de l’infraction au seul motif que le prix collusoire reste dû ? Je ne le crois pas.

39.      C’est la raison pour laquelle je ne suis pas convaincu par la position défendue par l’autorité de la concurrence et le gouvernement finlandais. Les effets économiques de l’entente ne doivent ainsi pas être confondus avec les effets préjudiciables qu’elle a provoqués. Les effets restrictifs de la concurrence induits pas la manipulation de marché en cause au principal, aboutissant à l’exclusion des concurrents soumissionnaires ainsi qu’à la limitation éventuellement artificielle du choix du « client », doivent être distingués des effets économiques plus larges ayant résulté pour le client et, incidemment, pour les clients du client (comme la répercussion du prix faussé par le client, cette répercussion n’étant pas, per se, la preuve que le comportement infractionnel imputable à Eltel a perduré mais n’en représentant qu’une de ses conséquences) (37).

40.      Dans ces conditions, pour que l’infraction se poursuive au-delà de sa cessation formelle (ce qui serait, dans le cas du litige au principal, la signature du contrat), encore faut-il que le comportement prohibé continue à pouvoir être caractérisé sans pour autant que puissent constituer des éléments de cette caractérisation les effets qui ne relèvent pas strictement du comportement anticoncurrentiel reproché.

41.      Afin de déterminer le moment où prend fin l’infraction dans un contexte tel que celui en cause au principal, il faut enfin souligner que, si l’entreprise à laquelle le comportement anticoncurrentiel est reproché n’a finalement pas remporté le marché, la date de la fin de l’infraction, en dehors de tout autre élément laissant penser que l’infraction s’est prolongée au-delà du marché en question, pourra être celle de la soumission de l’offre. En d’autres termes, la date de la signature du contrat ne saurait être considérée comme déterminant, en toute hypothèse, la fin de l’infraction, cette dernière devant nécessairement être appréciée au regard des éléments subjectifs et objectifs qui la caractérisent.

42.      Dans le même ordre d’idée, la date de la signature du contrat peut être réputée marquer la fin de l’infraction, ou encore la fin de la vigueur des prix collusoires, à condition que le contrat marque de manière suffisamment précise l’échange de volonté des parties en ce qui les concerne. Cela suppose donc que le contrat soit suffisamment clair quant à la question du prix des travaux, en l’occurrence.

4.      Durée de l’infraction, mise en œuvre effective de l’article 101 TFUE et Union de droit

43.      L’autorité de la concurrence ainsi que les gouvernements finlandais et allemand soutiennent que retenir une durée trop courte de l’infraction dans un cas comme celui en cause dans le cadre du litige au principal contreviendrait à l’exigence d’effectivité de l’article 101 TFUE.

44.      Je suis évidemment sensible à cet argument.

45.      Pour autant, je relève que, dès lors que le droit de l’Union, en application de principes caractéristiques d’une Union de droit, admet le principe même de la prescription de l’action de ses institutions, et de ses alliées nationales que sont les autorités nationales de la concurrence, pour poursuivre et sanctionner les infractions à l’article 101 TFUE, il faut renoncer, dans le même temps, à toute idée d’une effectivité absolue de l’article 101 TFUE et accepter donc que certaines infractions à cette disposition restent impunies. Autrement dit, la fin ne peut justifier tous les moyens (38).

46.      En outre, j’ajoute qu’il s’agit, dans le cadre du litige au principal, d’un cas de figure plutôt spécifique et que le délai de prescription de cinq ans prévu par le droit national paraissait, prima facie, rendre tout à fait possible une intervention de l’autorité de la concurrence (39). La mise en œuvre effective de l’article 101 TFUE ne saurait justifier que l’on prolonge artificiellement, en particulier au-delà de la volonté infractionnelle des commettants, la durée de l’infraction pour en permettre la poursuite. Cela est d’autant plus impérieux que, comme l’a souligné la Commission, la durée de l’infraction est un élément dont il est tenu compte pour la fixation du montant de l’amende (40).

47.      Partant, il résulte de mon analyse que l’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens que, dans le cas où une partie à une entente a conclu avec un tiers à l’entente un marché de travaux correspondant à ce qui avait été convenu dans le cadre de l’entente en question, et dans la mesure où ladite entente était limitée à ce marché, la fin de l’infraction à la concurrence est réputée être intervenue, en principe, à la date à laquelle l’entreprise qui en est l’auteur a déposé l’offre concernant le marché en question ou, le cas échéant, conclu le contrat relatif à la réalisation de ce marché de travaux. Une telle interprétation est toutefois sans préjudice de l’appréciation, par la juridiction de renvoi, du contenu dudit contrat et de son degré de précision, notamment en termes de prix, de la portée exacte de l’entente, des éléments objectifs et subjectifs qui la caractérisent, de ses effets anticoncurrentiels et de l’analyse des différentes preuves de comportements collusoires révélées par l’enquête menée par l’autorité de la concurrence.

VI.    Conclusion

48.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande) :

L’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens que, dans le cas où une partie à une entente a conclu avec un tiers à l’entente un marché de travaux correspondant à ce qui avait été convenu dans le cadre de l’entente en question, et dans la mesure où ladite entente était limitée à ce marché, la fin de l’infraction à la concurrence est réputée être intervenue, en principe, à la date à laquelle l’entreprise qui en est l’auteur a déposé l’offre concernant le marché en question ou, le cas échéant, conclu le contrat relatif à la réalisation de ce marché de travaux. Une telle interprétation est toutefois sans préjudice de l’appréciation, par la juridiction de renvoi, du contenu dudit contrat et de son degré de précision, notamment en termes de prix, de la portée exacte de l’entente, des éléments objectifs et subjectifs qui la caractérisent, de ses effets anticoncurrentiels et de l’analyse des différentes preuves de comportements collusoires révélées par l’enquête menée par l’autorité de la concurrence.


1      Langue originale : le français.


2      JO 2003, L 1, p. 1.


3      L’autre entreprise en question a, durant l’année 2013, introduit une demande de clémence auprès de l’autorité de la concurrence, demande qui a conduit ladite autorité à enquêter sur l’entente. Le 31 octobre 2014, l’autorité de la concurrence a accordé la clémence à cette autre entreprise et l’a exemptée de toute sanction.


4      À cet égard, il y a lieu de préciser qu’il ressort du dossier que l’existence d’une entente prohibée entre Eltel et l’autre entreprise partie à l’entente alléguée n’a toujours pas été juridiquement établie de manière définitive. Eltel conteste tant devant la juridiction de renvoi que devant la Cour que l’autorité de la concurrence ait démontré à suffisance une telle existence dans sa décision du 31 octobre 2014. Pour sa part, le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) aurait jugé que l’entente n’aurait porté que sur les travaux de conception de la ligne de transport d’énergie électrique concernée par l’appel d’offres, contrairement à ce qui semble être l’appréciation de l’autorité de la concurrence et de la juridiction de renvoi. Puisqu’il n’appartient pas à la Cour de déterminer si, oui ou non, une telle entente a effectivement existé ou de déterminer son éventuelle portée, chaque référence contenue dans ces conclusions à une entente à laquelle Eltel a participé devra s’entendre comme une référence à une entente prohibée strictement présumée.


5      Arrêt du 30 mai 2013 (C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351).


6      Arrêt du 30 mai 2013, Quinn Barlo e.a./Commission (C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351, point 40).


7      Arrêt du 30 mai 2013 (C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351).


8      Arrêt du 15 juin 1976 (51/75, EU:C:1976:85).


9      La juridiction de renvoi se réfère ici aux points 30 et 31 de l’arrêt du 15 juin 1976, EMI Records (51/75, EU:C:1976:85).


10      Sur ce point, la juridiction de renvoi précise que le droit finlandais retient comme date à laquelle le dommage s’est produit (et donc comme point de départ du délai de prescription en matière d’indemnisation) non pas la date du paiement du prix mais la date de conclusion du contrat.


11      Parmi une jurisprudence abondante, voir arrêts du 31 janvier 2017, Lounani (C‑573/14, EU:C:2017:71, point 56 et jurisprudence citée), ainsi que du 27 février 2020, Land Sachsen-Anhalt (Rémunération des fonctionnaires et juges) (C‑773/18 à C‑775/18, EU:C:2020:125, point 28 et jurisprudence citée).


12      Voir article 25, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.


13      JO 2019, L 11, p. 3. Il faut noter que le délai de transposition de cette directive n’est pas encore échu (voir article 34, paragraphe 1, de ladite directive).


14      Considérant 70 de la directive 2019/1.


15      Voir arrêt du 15 juin 1976, EMI Records (51/75, EU:C:1976:85, point 30).


16      Arrêt du 15 juin 1976, EMI Records (51/75, EU:C:1976:85, point 31).


17      Arrêt du 3 juillet 1985 (243/83, EU:C:1985:284).


18      Arrêt du 3 juillet 1985, Binon (243/83, EU:C:1985:284, point 17).


19      Arrêt du 3 juillet 1985, Binon (243/83, EU:C:1985:284, point 18).


20      Arrêt du 30 mai 2013, Quinn Barlo e.a./Commission(C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351)


21      Voir arrêt du 30 mai 2013, Quinn Barlo e.a./Commission(C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351, points 32 et 33).


22      Arrêt du 30 mai 2013, Quinn Barlo e.a./Commission (C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351, point 40). Mise en italique par mes soins.


23      Arrêt du 15 juin 1976 (51/75, EU:C:1976:85).


24      Arrêt du 3 juillet 1985 (243/83, EU:C:1985:284).


25      Arrêt du 30 mai 2013 (C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351).


26      Arrêt du 4 juin 2009 (C‑8/08, EU:C:2009:343).


27      Arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a. (C‑8/08, EU:C:2009:343, points 38, 39 et 43). Mise en italique par mes soins.


28      Arrêt du 15 juin 1976 (51/75, EU:C:1976:85).


29      Arrêt du 3 juillet 1985 (243/83, EU:C:1985:284).


30      Arrêt du 30 mai 2013 (C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351).


31      Arrêt du 4 juin 2009 (C‑8/08, EU:C:2009:343).


32      Cela est vrai que l’on considère un accord formel ou de fait.


33      Arrêt du 30 mai 2013 (C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351).


34      Il semble toutefois ressortir du dossier soumis à la Cour, ainsi que du délai de prescription de cinq ans à compter de la cessation de la restriction à la concurrence (voir article 22 de la loi relative aux restrictions de concurrence) qui est d’application dans le cadre du litige au principal, que l’entente alléguée ne s’est pas prolongée au-delà du marché de travaux en question. Cette appréciation revient, en tout état de cause, à la juridiction de renvoi.


35      Arrêt du 30 mai 2013 (C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351).


36      Sur ce thème, voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire ThyssenKrupp Nirosta/Commission (C‑352/09 P, EU:C:2010:635, points 48 à 52) ou encore conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Schenker & Co. e.a. (C‑681/11, EU:C:2013:126, point 40) ainsi que sa prise de position relative à l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH, EU:C:2014:2475, point 149).


37      J’ajoute ici que la question de la répercussion du prix collusoire sur la capacité économique du client ou sur les prix éventuellement appliqués aux clients finals semble devoir être appréciée d’une manière spécifique dans un contexte tel que celui du litige au principal, dont il semble ressortir que l’offre d’Eltel était la moins-disante des quatre offres soumises à Fingrid. Je précise que le fait que l’offre d’Eltel ait été la moins-disante n’enlève évidemment rien à son caractère anticoncurrentiel eu égard à son effet d’exclusion des autres soumissionnaires [dans le même ordre d’idée, voir arrêt du 21 février 1995, SPO e.a./Commission (T‑29/92, EU:T:1995:34, point 151)].


38      Dans un même ordre d’idée, voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2011:552, point 54).


39      Il ne nous est pas demandé, dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, de nous prononcer sur la compatibilité avec le principe d’effectivité de l’article 101 TFUE du régime national de prescription. Comme l’a fait remarquer la Commission, la durée du délai de prescription n’est pas le seul critère qui doit être pris en considération puisque d’autres éléments, comme ceux tenant aux conditions dans lesquelles ce délai peut être interrompu ou suspendu, se révèlent également déterminants à cette fin.


40      Voir article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003.