ARRÊT DE LA COUR
27 avril 1999 (1)
«Sixième directive TVA Système de promotion des ventes Biens remis en
échange de la reprise de bons Livraison à titre onéreux Rabais et ristournes
de prix Notion»
Dans l'affaire C-48/97,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177
du traité CE, par le VAT and Duties Tribunal, London (Royaume-Uni), et tendant
à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Kuwait Petroleum (GB) Ltd
et
Commissioners of Customs & Excise,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 2, point 1, 5,
paragraphe 6, 11, A, paragraphe 3, sous b), et 27 de la sixième directive
77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des
législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système
commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, P. J. G. Kapteyn et G.
Hirsch (rapporteur), présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de
Almeida, C. Gulmann, D. A. O. Edward, L. Sevón et M. Wathelet, juges,
avocat général: M. N. Fennelly,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
pour Kuwait Petroleum (GB) Ltd, par M. John Walters, QC, mandaté par
M. Peter Landon, FCA,
pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John E. Collins, Assistant
Treasury Solicitor, en qualité d'agent, assisté de M. Paul Lasok, QC, et Mme
Philippa J. E. Whipple, barrister,
pour le gouvernement français, par Mme Kareen Rispal-Bellanger, sous-directeur du droit économique international et droit communautaire à la
direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M.
Gautier Mignot, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en
qualité d'agents,
pour le gouvernement portugais, par MM. Luís Fernandes, directeur du
service juridique de la direction générale des Communautés européennes
du ministère des Affaires étrangères, et Angelo Cortesão Seiça Neves,
juriste à la même direction, en qualité d'agents,
pour la Commission des Communautés européennes, par M. Peter Oliver,
membre du service juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Kuwait Petroleum (GB) Ltd, représentée
par M. John Walters, mandaté par M. Peter Landon, du gouvernement du
Royaume-Uni, représenté par M. John E. Collins, assisté de M. Paul Lasok, du
gouvernement français, représenté par M. Gautier Mignot, et de la Commission,
représentée par M. Peter Oliver et Mmes Hélène Michard, membre du service
juridique, et Francesca Riddy, fonctionnaire nationale détachée auprès du même
service, en qualité d'agents, à l'audience du 5 mai 1998,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 9 juillet 1998,
rend le présent
Arrêt
- 1.
- Par ordonnance du 15 janvier 1997, parvenue à la Cour le 6 février suivant, le VAT
and Duties Tribunal, London, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, cinq
questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 2, point 1, 5,
paragraphe 6, 11, A, paragraphe 3, sous b), et 27 de la sixième directive
77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des
législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système
commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après
la «sixième directive»).
- 2.
- Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige qui oppose Kuwait
Petroleum (GB) Ltd (ci-après «Kuwait») aux Commissioners of Customs & Excise
(ci-après les «Commissioners»), compétents, au Royaume-Uni, en matière de
perception de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»), au sujet de
l'assujettissement à la TVA de certains produits offerts par Kuwait dans le cadre
d'opérations promotionnelles réalisées entre 1991 et 1996.
La réglementation nationale
- 3.
- L'annexe 4 du Value Added Tax Act 1994 (loi de 1994 relative à la taxe sur la
valeur ajoutée) définit les opérations qui constituent des livraisons de biens ou des
prestations de services aux fins de leur assujettissement à la TVA, ou qui y sont
assimilées. Aux termes de son paragraphe 5:
«(1) Sous réserve des dispositions du sous-paragraphe (2) ci-après, lorsque les
biens d'une entreprise sont transférés ou cédés par la personne qui exerce l'activité
de l'entreprise ou le sont sous la direction de celle-ci, de sorte que ces biens ne
font ensuite plus partie des biens de l'entreprise, cette opération constitue, qu'elle
ait été effectuée à titre onéreux ou non, une livraison de biens effectuée par cette
personne.
(2) Le sous-paragraphe (1) ci-dessus ne s'applique pas lorsque le transfert ou la
cession constitue:
(a) un cadeau effectué dans le cadre de l'exercice d'une activité d'entreprise
(sauf si ce cadeau fait partie d'une série ou d'une succession de cadeaux
effectués régulièrement à la même personne), lorsque le coût n'est pas
supérieur à 10 UKL pour l'auteur du cadeau ...»
La réglementation communautaire
- 4.
- Aux termes de l'article 2, point 1, de la sixième directive:
«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:
1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre
onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti en tant que tel;
...»
- 5.
- L'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive dispose:
«Est assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux le prélèvement par un
assujetti d'un bien de son entreprise pour ses besoins privés ou ceux de son
personnel ou qu'il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu'il affecte à des
fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont
ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée.
Toutefois, ne sont pas visés les prélèvements effectués pour les besoins de
l'entreprise pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons.»
- 6.
- L'article 11, A, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive prévoit:
«A l'intérieur du pays
...
3. Ne sont pas à comprendre dans la base d'imposition:
...
b) les rabais et ristournes de prix consentis à l'acheteur ou au preneur et
acquis au moment où s'effectue l'opération.»
Le litige au principal
- 7.
- L'essence commercialisée par Kuwait sous la marque «Q8» est vendue au détail
soit directement par Kuwait, dans environ 110 stations-service qui lui appartiennent
et qui sont gérées par elle ou pour son propre compte, soit par environ 500
revendeurs indépendants auxquels Kuwait vend l'essence Q8 en qualité de grossiste.
- 8.
- Entre 1991 et 1996, Kuwait a exploité un système de promotion des ventes, auquel
participaient les stations-service lui appartenant ainsi qu'environ 160 revendeurs
indépendants. Dans le cadre de ce système, les clients se voyaient offrir un bon
«Q8 Sails» pour chaque quantité complète de douze litres d'essence achetée. Le
prix de l'essence était identique, que le client prenne ou non les bons Q8 Sails (ci-après les «bons Q8») qui lui étaient offerts. Lorsqu'un client avait rassemblé un
nombre suffisant de bons Q8, il avait le droit, contre leur remise, de choisir, dans
une liste dénommée «catalogue de cadeaux», des biens ou, occasionnellement, des
services matérialisés par un titre (tels des billets de théâtre) que Kuwait s'engageait
à lui fournir dans un certain délai.
- 9.
- Chacun des revendeurs indépendants participant à l'opération s'engageait à payer
à Kuwait, au cours de la période couverte par la promotion, un montant
supplémentaire par litre, majoré de la TVA sur le volume total d'essence vendu au
cours de cette même période. Ce montant supplémentaire, qui était initialement
de 0,22 pence par litre, a été porté à 0,33 pence par litre en 1993.
- 10.
-
Par lettre du 16 juin 1995, les Commissioners ont décidé que Kuwait, qui avait
déduit la TVA perçue en amont sur les biens acquis en vue de leur remise contre
les bons Q8, devait la payer en aval sur ceux des articles remis aux clients dont le
coût était supérieur à 10 UKL, en arguant du fait que ces biens étaient livrés par
Kuwait «autrement qu'à titre onéreux».
- 11.
- Kuwait a formé un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi au
motif que les biens remis en échange de la reprise des bons Q8 étaient au contraire
livrés par elle à titre onéreux, la contrepartie consistant en une partie indéterminée
du prix, TVA comprise, payé par le consommateur tant pour la fourniture de
l'essence que pour la remise ultérieure de biens en échange des bons Q8, en sorte
qu'elle avait déjà acquitté la TVA sur cette opération.
- 12.
- Le VAT and Duties Tribunal a jugé que, au regard du droit anglais, la remise des
bons Q8 au client devait être qualifiée d'unilatérale et de séparée de l'opération
principale qu'était l'achat d'essence. De même, cette juridiction a estimé que les
bons Q8 étaient obtenus à titre gratuit.
- 13.
- Toutefois, cette dernière a indiqué que la cause («consideration») au sens du droit
anglais des contrats était une notion différente de celle de contrepartie
(«consideration») entendue comme la valeur d'une livraison servant de base à la
TVA en droit fiscal. Dès lors, estimant qu'une interprétation du droit
communautaire lui était nécessaire pour trancher le litige dont il est saisi, le VAT
and Duties Tribunal, London, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour
les questions suivantes:
«Lorsqu'un fournisseur de biens gère un système de promotion de ses activités,
dans le cadre duquel, essentiellement:
i) le promoteur fournit à des fins commerciales, conformément aux règles du
système, des biens en échange de la reprise de bons;
ii) aucun paiement en argent n'est demandé lors de la remise de ces biens;
iii) les biens sont remis en échange de la reprise de bons qu'un acheteur de
biens accompagnés de bons a obtenus en payant le prix plein au détail de
ces biens, sans effectuer aucun paiement monétaire identifiable pour les
bons;
1) Les termes 'rabais et ristournes de prix consentis à l'acheteur ou au
preneur et acquis au moment où s'effectue l'opération, figurant à l'article
11, partie A, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive du Conseil,
doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils couvrent l'ensemble du coût des
biens remis en échange de la reprise des bons?
2) La livraison des biens remis en échange de la reprise des bons doit-elle être
assimilée à une 'livraison effectuée à titre onéreux au sens de l'article 5,
paragraphe 6, de cette directive?
3) Lorsque les biens remis en échange de la reprise des bons sont fournis
autrement qu'à titre onéreux ou le sont 'à titre gratuit, l'article 5,
paragraphe 6, doit-il être interprété en ce sens qu'il impose que la remise
de ces biens soit assimilée à une livraison à titre onéreux, bien que cette
remise soit effectuée pour les besoins de l'entreprise de l'assujetti?
4) Y a-t-il lieu de donner aux questions qui précèdent une réponse différente:
a) lorsque tous les bons repris pour chaque article faisant partie des
biens remis en échange de la reprise de bons ont été obtenus lors
d'achats de biens accompagnés de bons effectués auprès du
promoteur du système?
b) lorsque ces bons ont tous été obtenus lors d'achats de biens
accompagnés de bons effectués auprès d'un opérateur ayant la qualité
de revendeur participant au système; ou
c) lorsque les bons repris ont été obtenus en partie lors d'achats de biens
accompagnés de bons effectués auprès du promoteur et en partie lors
d'achats de tels biens effectués auprès d'un ou plusieurs revendeurs
participant au système?
5) En cas de réponse négative à la troisième question, le Royaume-Uni est-il
en droit, sur la base de l'article 27 de la sixième directive du Conseil et de
la dérogation qu'il a obtenue en 1977, de réclamer au promoteur une taxe
en aval basée sur le coût que représentent pour lui les biens remis en
échange de la reprise des bons, en plus de la taxe en aval qui est comprise
dans le prix plein au détail des biens accompagnés de bons?»
Sur la première question
- 14.
- Par sa première question, la juridiction nationale demande en substance si l'article
11, A, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive doit être interprété en ce sens
que les termes «rabais» et «ristournes» peuvent recouvrir une remise de prix
portant sur la totalité du coût de la livraison des biens remis en échange de la
reprise des bons.
- 15.
- A cet égard, il convient de relever, à titre liminaire, que Kuwait elle-même ne
prétend pas qu'elle a accordé à ses clients un rabais ou une ristourne de prix au
sens de cette disposition. Au contraire, elle fait valoir que les clients ont versé, pour
les biens remis en échange des bons Q8, une partie du prix payé à l'occasion des
achats d'essence. Dès lors, elle estime que la première question n'est pas
pertinente.
- 16.
- Ainsi que les gouvernements du Royaume-Uni, français et portugais l'ont à juste
titre relevé, l'octroi d'un rabais ou d'une ristourne de prix présuppose la livraison
d'un bien à titre onéreux. En effet, les termes mêmes de «ristourne» et de
«rabais» font référence à une réduction seulement partielle du prix total convenu.
En revanche, lorsque la réduction représente 100 % du prix, il s'agit en réalité
d'une remise à titre gratuit. Or, la transmission d'un bien à titre gratuit relève de
l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive.
- 17.
- Il y a donc lieu de répondre à la première question que l'article 11, A, paragraphe
3, sous b), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que les termes
«rabais» et «ristournes» ne peuvent recouvrir une remise de prix portant sur la
totalité du coût d'une livraison de biens.
Sur les deuxième, troisième et quatrième questions
- 18.
- Par ses deuxième, troisième et quatrième questions, qu'il convient d'examiner
ensemble, la juridiction nationale demande en substance si l'article 5, paragraphe
6, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que le prélèvement, par
une société pétrolière, de biens qui sont transmis à un acheteur d'essence en
échange de bons qu'il a, en fonction de la quantité achetée, obtenus en payant le
prix plein au détail à la pompe, conformément au système décrit aux points 7 à 9
du présent arrêt, doit être assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux au sens
de cette même disposition.
- 19.
- A titre liminaire, il convient de relever que, en l'espèce, la remise des biens en
échange des bons Q8 a été effectuée pour les besoins de l'entreprise puisque l'objet
de la promotion pour Kuwait, comme pour les revendeurs indépendants participant
à l'opération, était, comme la juridiction nationale l'a constaté, d'augmenter le
volume des ventes d'essence. Pour cette raison, un assujetti se trouvant dans la
même situation que celle de Kuwait est autorisé à déduire, conformément à l'article
17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, le montant de la TVA payée en
amont pour l'achat de ces biens.
- 20.
- Selon Kuwait, la circonstance que les biens transmis par elle l'ont été pour les
besoins de son entreprise exclut l'application de l'article 5, paragraphe 6, de la
sixième directive. La première phrase de ce paragraphe ne viserait pas un tel
prélèvement. En effet, la TVA étant une taxe sur la consommation, une taxe en
aval serait nécessaire en cas d'affectation des biens qui constitue une consommation
par l'assujetti. Or, la fourniture de biens remis à la suite de la reprise des bons ne
constituerait pas une consommation de ces biens par l'entreprise.
- 21.
- A cet égard, il convient de relever que l'objectif de l'article 5, paragraphe 6, de la
sixième directive consiste notamment à assurer une égalité de traitement entre
l'assujetti qui prélève un bien de son entreprise à des fins privées et un
consommateur ordinaire qui achète un bien du même type (voir arrêts du 6 mai
1992, De Jong, C-20/91, Rec. p. I-2847, point 15, et du 26 septembre 1996, Enkler,
C-230/94, Rec. p. I-4517, point 33).
- 22.
- Toutefois, il découle de son libellé même que l'article 5, paragraphe 6, première
phrase, de la sixième directive assimile à une livraison effectuée à titre onéreux et,
dès lors, soumet à la TVA le prélèvement par un assujetti d'un bien de son
entreprise qu'il transmet à titre gratuit, lorsque ce bien a ouvert droit à une
déduction de la TVA perçue en amont, sans qu'il soit en principe décisif que cette
transmission intervienne ou non pour les besoins de l'entreprise. En effet, la
seconde phrase de cette disposition, qui exclut de la taxation les prélèvements
effectués pour les besoins de l'entreprise pour donner des cadeaux de faible valeur
et des échantillons, serait dépourvue de sens si la première phrase ne soumettait
pas à la TVA les prélèvements que l'assujetti transmet à titre gratuit, même pour
les besoins de l'entreprise.
- 23.
- En outre, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 26 de ses conclusions,
cette interprétation est corroborée par l'historique de l'article 5, paragraphe 6, de
la sixième directive. En effet, le point 6 de l'annexe A de la deuxième directive
67/228/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des
législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires
Structure et modalités d'application du système commun de taxe sur la valeur
ajoutée (JO 1967, 71, p. 1303), ainsi que l'article 5, paragraphe 3, sous a), de la
proposition de la sixième directive, présentée par la Commission au Conseil le 29
juin 1973 (JO C 80, p. 1), prévoyaient notamment que les prélèvements effectués
pour donner des échantillons et des cadeaux de faible valeur qui, fiscalement,
peuvent être rangés parmi les frais généraux ne devaient pas, contrairement à la
règle générale, être considérés comme livraisons imposables. Il en découle que
lesdits prélèvements, même effectués pour les besoins de l'entreprise, doivent, si
les cadeaux ne sont pas de faible valeur, être considérés comme livraisons
imposables.
- 24.
- Kuwait fait valoir, par ailleurs, que l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive
ne s'applique pas parce qu'il n'y a pas, dans l'affaire au principal, transmission à
titre gratuit au sens de cette disposition. En effet, la contrepartie de la remise des
bons et, par conséquent, de la délivrance des biens échangés contre ceux-ci
consisterait en une partie identifiable du prix, TVA comprise, payé par le client lors
de l'achat de l'essence. Le client paierait donc également les biens obtenus dans le
cadre de l'opération promotionnelle. Tel aurait été l'accord conclu avec le
consommateur final dans les stations-service appartenant à Kuwait. Cette analyse
serait en substance la même en cas d'implication de revendeurs indépendants dans
le processus de distribution, lesquels agissaient, quant à la remise des bons Q8 et
à la perception de la partie du prix afférente, pour le compte de Kuwait.
- 25.
- En revanche, les gouvernements du Royaume-Uni, français et portugais considèrent
que, nonobstant le fait que tout assujetti devrait rechercher dans les recettes qu'il
perçoit la couverture de toutes les dépenses qu'il engage, dans un système comme
celui en cause au principal, le client, en achetant l'essence, ne verserait aucune
contrepartie pour les bons et les cadeaux qui lui seront remis.
- 26.
- Il convient de relever d'abord qu'une livraison de biens n'est effectuée «à titre
onéreux» au sens de l'article 2, point 1, de la sixième directive que s'il existe entre
le fournisseur et l'acheteur un rapport juridique au cours duquel des prestations
réciproques sont échangées, le prix perçu par le fournisseur constituant la contre-valeur effective du bien fourni (voir, en ce sens, en matière de prestations de
services, arrêt du 3 mars 1994, Tolsma, C-16/93, Rec. p. I-743, point 14).
- 27.
- Or, même s'il appartient à la juridiction nationale de rechercher si, lors de l'achat
de l'essence, les clients et Kuwait étaient convenus, le cas échéant par le biais des
revendeurs indépendants, qu'une partie du prix payé pour l'essence, fût-elle ou non
identifiable, constituerait la contre-valeur des bons Q8 ou des biens délivrés contre
reprise de ceux-ci, il y a lieu de relever qu'aucun élément du dossier ne permet de
conclure que les intéressés ont effectivement échangé de telles prestations
réciproques.
- 28.
- D'une part, il convient de constater que, comme M. l'avocat général l'a relevé au
point 43 de ses conclusions, la vente de l'essence et la transmission de biens en
échange des bons constituent deux transactions distinctes.
- 29.
- D'autre part, dans l'affaire au principal, notamment deux considérations plaident,
s'agissant de la remise de biens en échange des bons Q8, en faveur d'une
transmission à titre gratuit, au sens de l'article 5, paragraphe 6, de la sixième
directive, de sorte que leur prélèvement est assimilé à une livraison effectuée à titre
onéreux et, à ce titre, imposable.
- 30.
- En premier lieu, les biens remis en échange des bons Q8 étaient qualifiés, dans le
cadre du système de promotion mis en place par Kuwait, de cadeaux.
- 31.
- En second lieu, il est constant que l'acheteur d'essence Q8, qu'il prenne ou non les
bons, devait payer le même prix au détail et que la facture relative à l'achat
d'essence, que Kuwait ou les revendeurs indépendants devaient, en vertu de
l'article 22, paragraphe 3, de la sixième directive, délivrer aux clients qui étaient
eux-mêmes des assujettis, ne mentionnait que ce prix. Dans ces conditions, Kuwait
ne peut valablement soutenir que, contrairement à ce qui figurait sur les factures
qu'elle délivrait, le prix payé par les acheteurs d'essence contenait en réalité une
partie représentant la valeur des bons Q8 ou des biens échangés contre ces bons.
- 32.
- Il y a donc lieu de répondre aux deuxième, troisième et quatrième questions que
l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que
le prélèvement, par une société pétrolière, de biens qui sont transmis à un acheteur
d'essence en échange de bons qu'il a, en fonction de la quantité achetée, obtenus
en payant le prix plein au détail à la pompe, conformément à un système de
promotion tel que celui de l'affaire au principal, doit, lorsque les biens ne sont pas
de faible valeur, être assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux au sens de
cette disposition.
- 33.
- Eu égard à la réponse donnée aux deuxième, troisième et quatrième questions, il
n'y a pas lieu de répondre à la cinquième question.
Sur les dépens
- 34.
- Les frais exposés par les gouvernements du Royaume-Uni, français, portugais, ainsi
que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire
l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au
principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il
appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par le VAT and Duties Tribunal, London,par ordonnance du 15 janvier 1997, dit pour droit:
1) L'article 11, A, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE
du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des
États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système
commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être
interprété en ce sens que les termes «rabais» et «ristournes» ne peuvent
recouvrir une remise de prix portant sur la totalité du coût d'une livraison
de biens.
2) L'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive 77/388 doit être interprété
en ce sens que le prélèvement, par une société pétrolière, de biens qui sont
transmis à un acheteur d'essence en échange de bons qu'il a, en fonction de
la quantité achetée, obtenus en payant le prix plein au détail à la pompe,
conformément à un système de promotion tel que celui de l'affaire au
principal, doit, lorsque les biens ne sont pas de faible valeur, être assimilé
à une livraison effectuée à titre onéreux au sens de cette disposition.
Rodríguez Iglesias Kapteyn
Hirsch
Mancini Moitinho de Almeida Gulmann
Edward Sevón Wathelet
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Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 avril 1999.
Le greffier
Le président
R. Grass
G. C. Rodríguez Iglesias