Language of document : ECLI:EU:C:2024:528

Affaire C801/21 P

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle

contre

Indo European Foods Ltd

 Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 20 juin 2024

« Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Demande de marque de l’Union européenne figurative Abresham Super Basmati Selaa Grade One World’s Best Rice – Marque verbale antérieure non enregistrée du Royaume-Uni BASMATI – Règlement (CE) no 207/2009 – Article 8, paragraphe 4 – Règlement (UE) 2017/1001 – Article 72 – Motif relatif de refus – Opposition – Recours devant la chambre de recours – Rejet – Recours devant le Tribunal – Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique – Articles 126 et 127 – Période de transition – Conséquences de la fin de la période de transition sur la protection de la marque antérieure – Circonstances postérieures à l’adoption de la décision litigieuse – Persistance de l’objet du recours et de l’intérêt à agir »

1.        Recours en annulation – Conditions de recevabilité – Intérêt à agir – Examen d’office par le juge

(Art. 263, 4e al., TFUE)

(voir points 45, 76)

2.        Recours en annulation – Objet – Demande d’annulation d’une décision fondée sur un droit antérieur disparu après l’adoption de cette décision – Persistance de l’objet du recours – Condition – Absence de retrait de l’acte attaqué

(Art. 263 TFUE)

(voir points 58, 59)

3.        Marque de l’Union européenne – Procédure de recours – Recours devant le juge de l’Union – Recours formé contre une décision rejetant une opposition à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne – Intérêt à agir – Condition – Recours susceptible de procurer un bénéfice à la partie l’ayant intenté – Critères d’appréciation

(Art. 263, 4e al., TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil 2017/1001, art. 72)

(voir points 78-83)

4.        Marque de l’Union européenne – Procédure de recours – Recours devant le juge de l’Union – Compétence du Tribunal – Injonction adressée à l’Office – Exclusion

(Règlement du Parlement européen et du Conseil 2017/1001, art. 72, § 6)

(voir point 93)

Résumé

Saisie d’un pourvoi formé par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), qu’elle rejette, la Cour se prononce sur la question de la conservation de l’objet du recours et de la persistance de l’intérêt à agir de l’opposant suite à la disparition, à une date postérieure à la décision confirmant le rejet de l’opposition et à l’introduction d’un recours devant le Tribunal contre cette décision, de la protection conférée au droit antérieur en raison de la fin de la période de transition instaurée par l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union (1).

Le 14 juin 2017, M. Chakari a demandé, auprès de l’EUIPO, l’enregistrement de la marque de l’Union européenne figurative Abresham Super Basmati Selaa Grade One World’s Best Rice, pour des produits à base de riz. Indo European Foods Ltd a formé opposition (2) sur le fondement de la marque verbale antérieure non enregistrée du Royaume-Uni BASMATI qui, en vertu du droit applicable au Royaume-Uni, lui permettrait d’empêcher l’usage de la marque demandée. La division d’opposition a rejeté celle-ci.

Par la suite, la chambre de recours a confirmé ce rejet, par décision du 2 avril 2020 (ci-après la « décision litigieuse »), au motif qu’Indo European Foods n’avait pas démontré que le nom « basmati » lui permettait d’interdire l’utilisation de la marque demandée au Royaume-Uni.

Par l’arrêt du 6 octobre 2021 (3), le Tribunal a annulé la décision litigieuse. Il a jugé, d’une part, que le retrait du Royaume-Uni de l’Union n’avait pas entraîné la perte de l’objet du litige, étant donné que la décision litigieuse était intervenue durant la période de transition pendant laquelle la marque antérieure concernée continuait de bénéficier de la même protection que celle dont elle aurait bénéficié en l’absence du retrait du Royaume-Uni. D’autre part, il a considéré que l’intérêt à agir d’Indo European Foods perdurait.

L’EUIPO a donc introduit un pourvoi contre cet arrêt, en soulevant un moyen unique tiré de la violation de l’exigence de la persistance de l’intérêt à agir de la partie requérante.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, la Cour se prononce sur l’examen, par le Tribunal, de la conservation de l’objet du litige. Ainsi, elle constate que l’argumentation de l’EUIPO selon laquelle le Tribunal a confondu la question de la persistance de l’intérêt à agir avec la date à laquelle la légalité d’une décision contestée doit être appréciée repose sur une lecture erronée de l’arrêt du Tribunal. En effet, s’agissant de l’objet du litige, le Tribunal s’est limité à en examiner la persistance au regard de la fin de la période de transition qui était intervenue au cours de l’instance devant lui.

Par ailleurs, la Cour souligne que, selon une jurisprudence constante, l’objet du litige doit perdurer, de même que l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours ou, le cas échéant, le pourvoi soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté. Elle rappelle également que, dès lors qu’une décision faisant l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal n’a pas été formellement retirée, ce dernier est fondé à constater que le litige conserve son objet. Un tel constat n’est pas remis en cause par la caducité de la décision contestée survenue après l’introduction du recours.

En l’occurrence, la Cour constate que, pour considérer que le recours n’avait pas perdu son objet, le Tribunal s’est fondé sur le constat que l’objet du litige était la décision litigieuse, intervenue avant la fin de la période de transition. Étant donné que l’EUIPO ne conteste ni que, à la date à laquelle le Tribunal a statué, la décision litigieuse n’avait pas été formellement retirée ni que la fin de la période de transition n’a pas eu pour effet de faire disparaître rétroactivement cette décision, elle conclut que son argumentation n’est donc pas fondée.

En deuxième lieu, la Cour examine la question de l’appréciation de la persistance de l’intérêt à agir. À cet égard, elle rejette l’argument de l’EUIPO selon lequel le Tribunal aurait omis de prendre en compte la nature spécifique de la procédure d’opposition, la fonction essentielle de la marque, le principe de territorialité ainsi que le caractère unitaire de la marque de l’Union européenne.

En effet, tout d’abord, cette argumentation est fondée sur la prémisse que, s’agissant d’un recours dirigé contre une décision d’une chambre de recours rejetant une opposition, le maintien d’un intérêt à agir devant le Tribunal doit être apprécié au regard des seuls intérêts juridiques protégés par le règlement sur la marque de l’Union européenne applicable et dépend ainsi du seul point de savoir si un risque de conflit peut encore survenir lorsque le Tribunal statue. Or, cette prémisse supposerait de limiter les éléments pouvant être pris en considération afin d’apprécier la persistance de l’intérêt à agir d’un requérant formant un recours au titre de l’article 72 du règlement 2017/1001 (4) par rapport à celui formant un recours au titre de l’article 263 TFUE, et ne trouve d’appui ni dans les textes applicables ni dans la jurisprudence.

Ensuite, la Cour relève que l’existence d’un intérêt à agir en annulation suppose que, par son résultat, le recours soit susceptible de procurer un bénéfice à la personne qui l’a introduit. Ainsi, la question de savoir si, s’agissant d’une décision rejetant une opposition à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, la personne ayant formé l’opposition est susceptible de retirer un bénéfice d’un recours devant le Tribunal doit être appréciée de manière concrète, à l’aune de l’ensemble des conséquences susceptibles de découler du constat d’une éventuelle illégalité ayant entaché cette décision et de la nature du préjudice prétendument subi. Or, en l’espèce, d’une part, le Tribunal était fondé à constater que l’objet du recours n’avait pas disparu. D’autre part, la décision litigieuse a confirmé le rejet de l’opposition sur la base du constat que les conditions d’application de l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001 n’étaient pas satisfaites. Partant, dès lors que c’est la violation de cette disposition par la chambre de recours qu’Indo European Foods a invoquée au soutien de son recours devant le Tribunal, et que la décision litigieuse est préjudiciable à ses intérêts économiques, l’annulation de celle-ci serait susceptible de lui procurer un bénéfice.

Enfin, la circonstance que l’autre partie devant la chambre de recours pourrait, si le recours devant cette instance était accueilli, transformer sa demande de marque en demandes de marques nationales dans tous les États membres à compter de la fin de la période de transition est sans influence sur l’intérêt à agir d’Indo European Foods à l’égard de la décision litigieuse.

En troisième lieu, la Cour analyse l’argumentation par laquelle l’EUIPO allègue que le Tribunal a violé l’article 72, paragraphe 6, du règlement 2017/1001 relatif à l’exécution des arrêts des juridictions de l’Union par l’EUIPO, en ce qu’il lui aurait imposé de ne pas examiner le maintien de l’intérêt à agir ainsi que de ne pas tenir compte des effets juridiques de la fin de la période de transition prévue par l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union.

D’une part, elle précise que, si l’institution, l’organe ou l’organisme dont émane l’acte annulé est tenu, afin de se conformer à un arrêt d’annulation et de lui donner pleine exécution, de respecter son dispositif et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire, il n’appartient toutefois pas au Tribunal d’adresser des injonctions à l’EUIPO. D’autre part, elle constate que le Tribunal s’est limité, en substance, à constater l’intérêt d’Indo European Foods à agir devant le Tribunal. Partant, il ne saurait être considéré que le Tribunal aurait imposé à l’EUIPO lesdites prétendues obligations.


1      Articles 126 et 127 de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7).


2      Fondée sur l’article 8, paragraphe 4, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).


3      Arrêt du 6 octobre 2021, Indo European Foods/EUIPO - Chakari (Abresham Super Basmati Selaa Grade One World’s Best Rice) (T 342/20, EU:T:2021:651).


4      Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).