Language of document : ECLI:EU:C:2024:532

Affaire C35/23  (i)

Père

contre

Mère

(demande de décision préjudicielle, introduite par l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main)

 Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 20 juin 2024

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Responsabilité parentale – Règlement (CE) no 2201/2003 – Articles 10 et 11 – Compétence en cas de déplacement illicite d’un enfant – Résidence habituelle de l’enfant dans un État membre avant le déplacement illicite – Procédure de retour entre un pays tiers et un État membre – Notion de demande de retour – Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants »

1.        Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Règlement no 2201/2003 – Compétence en matière de responsabilité parentale – Compétence en cas d’enlèvement d’enfant – Compétence des juridictions de l’État membre de résidence habituelle de l’enfant avant son enlèvement – Champ d’application – Procédure de retour engagée sans succès au titre de la convention de La Haye de 1980 entre un pays tiers et un État membre – Absence d’incidence

[Règlement du Conseil no 2201/2003, art. 2, point 11, 10, b), i), 11, § 6 et 7, et 60]

(voir points 50-62, disp. 1)

2.        Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Règlement no 2201/2003 – Compétence en matière de responsabilité parentale – Compétence en cas d’enlèvement d’enfant – Compétence des juridictions de l’État membre de résidence habituelle de l’enfant avant son enlèvement – Condition – Demande de retour – Notion – Demande tendant au retour de l’enfant dans un État autre que l’État membre de résidence habituelle de l’enfant avant son enlèvement ou demande de garde dudit enfant introduite devant les juridictions de ce premier État membre – Exclusion

[Règlement du Conseil no 2201/2003, considérant 17 et art. 8, § 1, 10, b), i), et 11]

(voir points 66, 68-71, 73-79, 81, disp. 2)

3.        Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Règlement no 2201/2003 – Demande de retour d’un enfant – Décision de non-retour – Obligations d’information et de notification et caractère exécutoire de la décision ordonnant le retour d’un enfant – Champ d’application – Procédure de retour en vertu de la convention de La Haye de 1980 engagée entre un pays tiers et un État membre – Exclusion

(Règlement du Conseil no 2201/2003, art. 11, § 6 à 8)

(voir points 83-85, disp. 3)

Résumé

Saisie à titre préjudiciel par l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main (tribunal régional supérieur de Francfort-sur-le-Main, Allemagne), la Cour précise le champ d’application de certaines règles procédurales applicables au titre du règlement no 2201/2003 (1) en cas d’enlèvement international d’un enfant en lien avec un pays tiers.

L est née en Suisse en 2014 et a la double nationalité allemande et polonaise. Son père réside en Suisse depuis le mois de juin 2013 pour des raisons professionnelles, tandis que sa mère a vécu avec L du mois de janvier 2015 au mois d’avril 2016 en Allemagne, où le père leur rendait régulièrement visite. Au mois d’avril 2016, la mère et L ont déménagé en Pologne où, dans un premier temps, le père leur a rendu visite. À partir du mois d’avril 2017, la mère a refusé au père l’exercice de son droit de visite. Elle a inscrit L dans un jardin d’enfants en Pologne, sans le consentement du père, et elle a informé ce dernier qu’elle restait en Pologne avec leur fille.

En juillet 2017, le père a introduit une demande de retour de l’enfant vers la Suisse par l’intermédiaire de l’autorité centrale suisse (2), au titre de la convention de La Haye de 1980 (3). Un tribunal polonais a rejeté cette demande au motif que le père avait donné son consentement pour une durée indéterminée au déménagement de la mère et de L en Pologne. L’appel formé par le père contre cette décision a été rejeté.

Alors qu’il n’avait pas donné suite à une seconde demande de retour déposée en Allemagne, le père a saisi, en juillet 2018, une juridiction allemande d’une demande visant l’attribution de la garde exclusive de l’enfant, le droit de déterminer sa résidence ainsi que le retour de l’enfant chez lui, en Suisse. La juridiction saisie a rejeté cette demande pour défaut de compétence internationale. Le père a formé un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi, en faisant valoir que la compétence des juridictions allemandes découlerait des articles 10 et 11 du règlement no 2201/2003.

La juridiction de renvoi s’interroge quant à l’applicabilité de ces dispositions, dès lors que le père a initié, sans succès, une procédure de retour de l’enfant, en vertu de la convention de La Haye de 1980, par l’intermédiaire de l’autorité centrale de la Suisse, pays tiers qui n’est pas lié par le règlement no 2201/2003. Partant, elle a décidé de saisir la Cour à titre préjudiciel.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, la Cour se prononce sur le champ d’application de la règle de compétence spéciale en matière de responsabilité parentale prévue à l’article 10 du règlement no 2201/2003. Conformément à cet article, les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle avant son déplacement ou son non-retour illicite conservent, en principe et sous certaines conditions, leur compétence internationale.

En ce qui concerne le « déplacement ou non-retour illicites d’un enfant » sur lequel se fonde l’article 10 du règlement no 2201/2003, elle considère, tout d’abord, que la définition de cette notion (4) ne dépend pas de l’engagement, nécessairement subséquent et éventuel, par le titulaire du droit de garde d’une procédure de retour de l’enfant, fondée sur la convention de La Haye de 1980.

Ensuite, l’article 10, sous b), i), du règlement no 2201/2003, selon lequel les juridictions de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant ne sont, en principe, plus compétentes en l’absence de demande de retour, dans un délai d’un an, dans l’État membre sur le territoire duquel l’enfant a été déplacé ou est retenu illicitement, ne spécifie pas qu’une demande de retour doit avoir été présentée au titre de la convention de La Haye de 1980, ni n’exclut qu’elle ait pu être présentée par l’entremise d’une autorité centrale d’un pays tiers. En effet, d’une part, conformément à l’article 60 du règlement no 2201/2003, les stipulations de la convention de La Haye de 1980 ne priment pas sur les dispositions de ce règlement dans les relations entre les États membres. D’autre part, il n’y a pas d’obligation de se prévaloir de cette convention pour demander le retour d’un enfant, une procédure de retour pouvant être fondée sur d’autres règles ou d’autres stipulations conventionnelles, notamment bilatérales.

Enfin, il ne saurait être admis, dans le silence du règlement no 2201/2003, que l’application de l’article 10 de ce règlement soit subordonnée à l’application de règles procédurales, telles que celles énoncées à l’article 11, paragraphes 6 et 7, dudit règlement (5), ayant principalement pour objet de régir la transmission et la notification d’informations (6).

En deuxième lieu, la Cour relève, à la lumière, notamment, des objectifs du règlement no 2201/2003, que ni une demande tendant au retour de l’enfant dans un État autre que l’État membre dans lequel cet enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites ni une demande de garde dudit enfant introduite devant les juridictions de cet État membre ne relèvent de la notion de « demande de retour », au sens de l’article 10, sous b), i), du règlement no 2201/2003.

En dernier lieu, la Cour précise qu’il résulte clairement du libellé de l’article 11 du règlement no 2201/2003 que cette disposition ne s’applique qu’entre États membres, en combinaison avec la convention de La Haye de 1980. Partant, les obligations d’information et de notification prévues à l’article 11, paragraphes 6 et 7, dudit règlement ainsi que le caractère exécutoire de la décision visée au paragraphe 8 de cet article 11 ne s’appliquent pas dans le cadre d’une procédure de retour qui a été mise en œuvre en vertu de ladite convention entre un pays tiers et un État membre dans lequel se trouve l’enfant à la suite d’un déplacement ou d’un non-retour illicites.


i      Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.


1      Règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1).


2      Office fédéral de la justice à Berne (Suisse).


3      Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980 (ci-après la « convention de La Haye de 1980 »).


4      Voir article 2, point 11, du règlement no 2201/2003.


5      L’article 11 de ce règlement complète la mise en œuvre de la procédure de retour de l’enfant en vertu de la convention de La Haye de 1980.


6      Il s’agit des informations, relatives à une décision de non-retour adoptée en vertu de l’article 13 de la convention de La Haye de 1980, devant être communiquées à la juridiction compétente de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant le déplacement ou le non-retour illicites.