Language of document : ECLI:EU:C:2024:526

Affaire C135/23

Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte eV (GEMA)

contre

GL

(demande de décision préjudicielle, introduite par l’Amtsgericht Potsdam)

 Arrêt de la Cour (première chambre) du 20 juin 2024

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29/CE – Article 3, paragraphe 1 – Communication au public – Notion – Simple fourniture d’installations – Mise à disposition dans des appartements d’appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur permettant la captation de signaux et la diffusion d’émissions – Caractère lucratif – Principe de neutralité technologique »

1.        Rapprochement des législations – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29 – Harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information – Communication au public – Notion – Critères d’appréciation

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2001/29, art. 3, § 1)

(voir points 17-26)

2.        Rapprochement des législations – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29 – Harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information – Communication au public – Notion – Mise à disposition, dans des appartements mis en location, d’appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur permettant la captation de signaux et la diffusion d’émissions – Inclusion – Condition – Public nouveau – Locataires de courte durée

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2001/29, art. 3, § 1)

(voir points 27-46 et disp.)

Résumé

Saisie à titre préjudiciel par l’Amtsgericht Potsdam (tribunal de district de Potsdam, Allemagne), la Cour précise la notion de « communication au public » d’une œuvre protégée, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE (1), dans le contexte de la mise à disposition, par l’exploitant d’un immeuble d’appartements, d’appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur permettant la captation de signaux et la diffusion d’émissions.

Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte eV (GEMA), un organisme de gestion collective des droits d’auteur dans le domaine de la musique, a introduit une demande de dommages-intérêts au titre du droit d’auteur contre GL, exploitant d’un immeuble comportant 18 appartements mis en location, au motif qu’il met à disposition, dans les appartements, ces appareils de télévision.

Afin de résoudre ce litige, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si la notion de « communication au public », visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 (ci-après la « notion de “communication au public” »), couvre la mise à disposition de tels appareils de télévision.

Appréciation de la Cour

D’emblée, la Cour rappelle que la notion de « communication au public » associe deux éléments cumulatifs, à savoir un acte de communication d’une œuvre et la communication de cette dernière à un public, et implique une appréciation individualisée. Selon la jurisprudence de la Cour, c’est, en particulier, le rôle incontournable de l’utilisateur afin de donner à ses clients l’accès à des œuvres protégées et le caractère délibéré de son intervention, notamment si celle-ci revêt un caractère lucratif, qui permettent de distinguer, d’une part, la « communication au public » et, d’autre part, la « simple fourniture d’installations » (2).

La Cour constate que, s’il appartient au juge national de déterminer si l’exploitant d’immeuble au principal effectue un acte de « communication au public », il incombe à la Cour de lui fournir des indications utiles à cet effet pour lui permettre de trancher le litige dont il est saisi.

À cet égard, la Cour relève, en premier lieu, que l’exploitant d’un immeuble d’appartements, en équipant ces appartements d’appareils de télévision et d’antennes d’intérieur qui, sans autre intervention, captent des signaux et permettent la diffusion d’émissions, notamment de musique, réalise délibérément une intervention afin de donner à ses clients l’accès à de telles émissions, à l’intérieur des appartements loués et pendant la période de location, sans qu’il soit déterminant que ceux-ci utilisent ou non cette possibilité. En outre, cette intervention de l’exploitant doit être considérée comme une prestation de service supplémentaire accomplie dans le but d’en retirer un certain bénéfice. Ainsi, l’offre d’un tel service permet d’établir le caractère lucratif de la communication. À cet égard, la circonstance que les appareils de télévision seraient reliés à une antenne « intérieure » plutôt qu’à une antenne « centrale » est dépourvue de pertinence, car une telle distinction entre les antennes ne serait pas conforme au principe de neutralité technologique.

En deuxième lieu, s’agissant de la question de savoir si les œuvres protégées sont effectivement communiquées à un public, la Cour souligne que la notion de « public » vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important. Cette notion comporte ainsi un certain seuil de minimis, ce qui exclut de cette notion un trop faible nombre de personnes concernées, voire un nombre insignifiant. Afin de déterminer ce nombre, il convient de tenir compte, notamment, du nombre de personnes pouvant avoir accès à la même œuvre parallèlement, mais également successivement. Si la juridiction de renvoi devait constater que les appartements de l’immeuble en cause au principal font l’objet de locations de courte durée, notamment au titre d’hébergement touristique, leurs locataires devraient être qualifiés de « public », étant donné qu’ils constituent ensemble un nombre indéterminé de destinataires potentiels.

En troisième lieu, la Cour indique que, pour être qualifiée de « communication au public », une œuvre protégée doit être communiquée selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés ou, à défaut, auprès d’un « public nouveau », c’est-à-dire un public n’ayant pas été déjà pris en compte par le titulaire du droit lorsqu’il a autorisé la communication initiale de son œuvre au public. À cet égard, les locataires d’appartements d’un immeuble faisant l’objet de locations de courte durée, notamment au titre d’hébergement touristique, sont susceptibles de constituer un tel public « nouveau », dès lors que ces personnes, tout en se trouvant à l’intérieur de la zone de couverture de ladite émission, ne pourraient, sans l’intervention de l’exploitant de cet immeuble, par laquelle celui-ci installe, dans ces appartements, des appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur, jouir de l’œuvre diffusée. En revanche, si la juridiction de renvoi devait constater que ces appartements sont loués à des locataires résidentiels, ces derniers ne sauraient être considérés comme un « public nouveau ».

Partant, la Cour considère que la notion de « communication au public » doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre la mise à disposition délibérée, par l’exploitant d’un immeuble d’appartements mis en location, d’appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur qui, sans autre intervention, captent des signaux et permettent la diffusion d’émissions, pour autant que les locataires de ces appartements puissent être considérés comme un « public nouveau ».


1      Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10), les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière à ce que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.


2      Selon le considérant 27 de la directive 2001/29, la « simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de cette directive ».