Language of document : ECLI:EU:T:2002:212

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

11 septembre 2002 (1)

«Fonctionnaires - Obligations statutaires - Déclaration de l'activité professionnelle du conjoint - Intérêt personnel de nature à compromettre l'indépendance - Obligation de dignité - Obligation d'agir dans l'intérêt des Communautés - Devoir de loyauté - Procédure disciplinaire - Responsabilité non contractuelle - Évaluation du préjudice moral»

Dans l'affaire T-89/01,

Claude Willeme, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Mes G. Vandersanden et L. Levi, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall, en qualité d'agent, assisté de Me D. Waelbroeck, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision du 19 juin 2000 portant rétrogradation du requérant du grade A 3 au grade A 6 et, d'autre part, une demande en réparation du préjudice prétendument subi par le requérant du fait de cette décision,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. R. M. Moura Ramos, président, J. Pirrung et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 14 mai 2002,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Aux termes de l'article 11 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»):

     «Le fonctionnaire doit s'acquitter de ses fonctions et régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés, sans solliciter ni accepter d'instructions d'aucun gouvernement, autorité, organisation ou personne extérieure à son institution.

Le fonctionnaire ne peut accepter d'un gouvernement ni d'aucune source extérieure à l'institution à laquelle il appartient, sans autorisation de l'autorité investie du pouvoir de nomination, une distinction honorifique, une décoration, une faveur, un don, une rémunération, de quelque nature qu'ils soient, sauf pour services rendus soit avant sa nomination, soit au cours d'un congé spécial pour service militaire ou national, et au titre de tels services.»

2.
    L'article 12, premier alinéa, du statut prévoit:

«Le fonctionnaire doit s'abstenir de tout acte et, en particulier, de toute expression publique d'opinions qui puisse porter atteinte à la dignité de sa fonction.»

3.
    L'article 13 du statut prévoit, notamment:

«Lorsque le conjoint d'un fonctionnaire exerce, à titre professionnel, une activité lucrative, déclaration doit en être faite par le fonctionnaire à l'autorité investie du pouvoir de nomination de son institution. [...]»

4.
    L'article 14 du statut prévoit:

«Tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, est amené à se prononcer sur une affaire au traitement ou à la solution de laquelle il a un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance, doit en informer l'autorité investie du pouvoir de nomination.»

Faits à l'origine du litige

5.
    Le requérant a été chef de l'unité «Sécurité» du bureau de sécurité de la Commission. Depuis sa promotion au grade A 3 en mai 1995, il a exercé les fonctions d'adjoint du directeur de ce bureau.

6.
    En 1998, l'unité de coordination de la lutte antifraude (UCLAF) a mené une enquête relative aux contrats conclus par l'Office humanitaire de la Communauté européenne (ECHO) et plus particulièrement sur les contrats d'engagement de conseils et de personnel temporaire passés par l'ECHO. Dans le cadre de cette enquête, l'UCLAF a porté son attention sur la société Perry Lux Informatic (ci-après «Perry Lux») chargée, en particulier, de la cellule budgétaire externe de l'ECHO (ci-après la «cellule budgétaire externe»). L'UCLAF a constaté l'existence d'un contrat daté du 29 décembre 1993 (ci-après le «contrat de travail»), duquel il ressortait que Perry Lux avait engagé l'épouse du requérant en tant qu'assistante technico-administrative pour une durée d'un an à compter du 1er janvier 1994. Ce contrat était assorti d'une période probatoire de six mois. Il prévoyait une rémunération brute mensuelle de 97 500 francs belges (BEF).

7.
    L'UCLAF a ensuite cherché à déterminer dans quelles conditions ce contrat de travail avait été conclu et exécuté . À cet effet, le requérant et son épouse ont été entendus par les représentants de l'UCLAF le 7 octobre 1998 .

8.
    Lors de cet entretien, le requérant et son épouse ont déclaré que M. Perry, directeur général de Perry Lux, qu'ils connaissaient à titre privé, avait proposé l'emploi en cause à l'épouse du requérant. Le requérant et son épouse ont précisé que, dans un premier temps, cette dernière avait été affectée aux bureaux de son employeur à Bruxelles où elle était intégrée dans la cellule budgétaire externe relevant de l'ECHO. Après quelque temps, elle aurait été mise à la disposition dela société pour exécuter d'autres tâches qui auraient dû lui être confiées, conformément aux termes de son contrat de travail, mais tel n'aurait pas été le cas. Par conséquent, il aurait été mis fin à ce contrat au terme de la période probatoire expirant le 30 juin 1994. Cet entretien a été consigné dans un compte rendu daté du 20 octobre 1998 qui a été adressé le même jour au requérant.

9.
    Le 8 octobre 1998, l'UCLAF a entendu le responsable de la cellule budgétaire externe, M. Desmet. Selon ce dernier, l'épouse du requérant lui aurait été imposée par M. Perry et aurait travaillé pendant les deux premières semaines de janvier 1994 pour cette cellule . M. Desmet a également déclaré que l'épouse du requérant était rémunérée comme une personne de grade A, ce qui n'était pas normal pour les personnes travaillant dans la cellule budgétaire externe.

10.
    Le 4 décembre 1998, l'UCLAF a établi son rapport dans lequel elle relève que l'épouse du requérant «a participé aux travaux de la cellule budgétaire externe relevant d'ECHO [...] pendant 2 semaines au début de l'année 1994 [et qu'elle] a été rémunérée pour un montant mensuel brut de 97 500 BEF par [...] Perry Lux jusqu'au terme de la période d'essai de six mois prévue dans le contrat». Ce rapport conclut que «les conditions de mise à disposition de [l'épouse du requérant] par [...] Perry Lux auprès des services de la Commission pourraient faire l'objet d'un examen pour apprécier, en ce qui concerne [le requérant], le respect de ses obligations professionnelles personnelles, en référence aux diverses dispositions applicables du statut».

11.
    Par courrier du 16 décembre 1998, le directeur général de la direction générale «Personnel et administration» de la Commission a informé le requérant de sa décision d'ouvrir une procédure disciplinaire le concernant au vu des éléments transmis par l'UCLAF. Les griefs formulés dans cette lettre portent sur la violation des obligations statutaires du requérant, notamment de ses devoirs d'indépendance, de loyauté et de dignité tels qu'imposés par les articles 11 à 14 du statut. Par ailleurs, cette lettre précise que, en raison de la nature des allégations portées à l'encontre du requérant, le directeur général a décidé de suspendre celui-ci de ses fonctions et d'opérer, pendant la durée de cette suspension, une retenue de la moitié de son salaire de base, conformément à l'article 88, deuxième alinéa, du statut.

12.
    Le 24 décembre 1998, le requérant a introduit une réclamation contre la décision de suspension en application de l'article 90, paragraphe 2, du statut et, le même jour, il a saisi le Tribunal d'un recours en annulation de cette décision.

13.
    La décision de suspension a été annulée par l'arrêt du Tribunal du 15 juin 2000, F/Commission (T-211/98, RecFP p. I-A-107 et II-471), motif pris d'une violation des droits de la défense du requérant.

14.
    Le 12 janvier 1999, le requérant a été entendu au titre de l'article 87 du statut. Au cours de cette audition, le requérant a déclaré: «Je comprends que la Commissionestime que M. Perry a offert ce contrat à mon épouse en raison de mes fonctions auprès de la Commission. Ces accusations me choquent beaucoup. Je n'ai pas la réputation d'être quelqu'un qu'on sollicite. Je n'ai pas de relations professionnelles avec M. Perry. [...]» Au cours de cette audition, il a été demandé au requérant s'il avait encore eu des contacts avec M. Perry postérieurement à la résiliation du contrat de travail. Le requérant a répondu qu'il avait eu des contacts professionnels à la demande du cabinet du président et des contacts privés de temps en temps sous la forme de conversations téléphoniques ou de rencontres.

15.
    Le 9 avril 1999, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») a transmis au conseil de discipline le rapport de saisine, qui retient comme griefs à l'encontre du requérant un manquement aux obligations imposées par les articles 11, 12, 13 et 14 du statut.

16.
    Ce rapport de saisine fait état de l'existence d'une offre de prix, datée du 24 mai 1993, adressée par Perry Lux au requérant, en tant que chef de l'unité «Sécurité» au sein du bureau de sécurité de la Commission, dans le cadre d'un projet de la Commission visant à assurer la sécurité de sa délégation à Luanda (Angola) (ci-après l'«offre de prix»).

17.
    Le rapport de saisine a été communiqué au requérant le 9 mai 1999. Ce dernier a rédigé une note d'observations en défense qu'il a adressée au conseil de discipline, lequel l'a entendu le 26 juillet 1999.

18.
    Le 16 septembre 1999, le conseil de discipline a rendu son avis motivé, dans lequel il a recommandé d'infliger au requérant la sanction de la rétrogradation du grade A 3 au grade A 5.

19.
    En vue de son audition par l'AIPN tripartite, le requérant a adressé à cette dernière une note d'observations en défense complémentaire. Le requérant a été entendu par l'AIPN tripartite le 4 novembre 1999.

20.
    Le 11 novembre 1999, la Commission a informé le requérant de ce que le dossier disciplinaire était à sa disposition.

21.
    Par décision du 19 juin 2000 (ci-après la «décision attaquée»), l'AIPN a infligé au requérant la sanction de rétrogradation du grade A 3 au grade A 6, allant ainsi au-delà de la sanction recommandée par le conseil de discipline.

22.
    Le 11 septembre 2000, le requérant a introduit une réclamation à l'encontre de cette décision.

23.
    La Commission a répondu à la réclamation le 21 mai 2001, soit après l'expiration du délai de quatre mois à partir du jour de l'introduction de la réclamation tel que prévu à l'article 90, paragraphe 2, deuxième alinéa, du statut.

Procédure et conclusions des parties

24.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 avril 2001, le requérant a introduit le présent recours.

25.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, il a invité les parties à répondre à certaines questions lors de l'audience.

26.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 14 mai 2002.

27.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-     annuler la décision attaquée et, pour autant que de besoin, annuler la décision implicite de rejet de la réclamation;

-    condamner la Commission au paiement de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de cette décision, évalué ex aequo et bono, à titre provisionnel, à 50 000 euros;

-    condamner la défenderesse à l'ensemble des dépens.

28.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-     déclarer le recours non fondé;

-    condamner le requérant aux dépens.

Sur la demande en annulation

29.
    Au soutien de sa demande en annulation, le requérant soulève six moyens. Le premier moyen est tiré de l'absence de réalité des griefs. Le deuxième moyen est pris d'une violation des droits de la défense. Le troisième moyen est tiré d'une erreur manifeste d'appréciation, du caractère manifestement disproportionné de la sanction, d'une violation du principe de non-discrimination et d'un détournement de pouvoir. Le quatrième moyen est pris de la violation de l'obligation de motivation et de l'inadmissibilité des motifs en fait et en droit. Le cinquième moyen est tiré de la violation du caractère raisonnable des délais visés à l'article 7 de l'annexe IX du statut et de la violation du principe de bonne gestion et de saine administration. Enfin, le sixième moyen est pris de la violation du devoir de sollicitude.

30.
    Dans le cadre du premier moyen tiré de l'absence de réalité des griefs, le requérant développe une série d'arguments visant à écarter les différents griefs retenus contrelui dans la décision attaquée. La Commission, qui rejette ces arguments, a fait valoir que les comportements du requérant visés dans la décision attaquée constituent des violations aux dispositions des articles 11, premier et deuxième alinéas, 12, premier alinéa, 13 et 14 du statut ainsi qu'à l'obligation de loyauté.

Sur la violation de l'article 13 du statut

Décision attaquée

31.
    S'agissant de la violation de la disposition prévue à l'article 13 du statut, la décision attaquée contient notamment les indications suivantes (deuxième considérant, cinquième à neuvième tiret):

«Considérant qu'il résulte notamment de l'avis du Conseil de discipline que:

-    [le requérant] reconnaît que par négligence et vu le caractère aléatoire du contrat de travail [de son épouse], cette activité n'a pas été déclarée à l'AIPN, tel qu'énoncé par l'article 13 du statut,

-    le caractère aléatoire du contrat de travail ne peut justifier l'absence de déclaration de l'activité professionnelle de son épouse,

-    cette déclaration vise, entre autres, à vérifier si l'activité du conjoint n'est pas incompatible avec celle du fonctionnaire, notamment de vérifier si ces activités professionnelles ne portent pas atteinte aux obligations statutaires visées aux articles 11 et 12, 1er alinéa, à savoir que le fonctionnaire doit s'acquitter de ses fonctions en ayant en vue uniquement les intérêts des Communautés et qu'il doit s'abstenir de tout acte qui puisse porter atteinte à la dignité de sa fonction,

-    le défaut de déclaration n'a pas permis à l'AIPN d'effectuer cette vérification,

    

-    [le requérant] a ainsi manqué à son obligation visée à l'article 13 du statut, c'est-à-dire déclarer l'activité lucrative de son épouse à l'AIPN compétente,

[...].»

Arguments des parties

32.
    Le requérant a déclaré, lors de l'audience, qu'il n'est pas établi que l'activité lucrative de son épouse régie par le contrat de travail a été exercée à titre professionnel. De plus, selon le requérant, rien dans le dossier n'indique que l'absence de déclaration au titre de l'article 13 du statut résulte d'un acte volontaire de sa part. Cette absence de déclaration ne résulterait que d'une négligence de sa part due essentiellement à la courte durée et au caractère aléatoire du contrat detravail. Dans ces circonstances, la négligence dont il a fait preuve en omettant de procéder à la déclaration visée à l'article 13 du statut ne constituerait pas automatiquement une violation de cet article.

33.
    La Commission soutient que le fait, non contesté, pour le requérant d'avoir omis de déclarer à l'AIPN l'activité lucrative exercée à titre professionnel par son épouse est constitutif d'une violation de l'article 13 du statut. Selon la Commission, la déclaration prévue par cet article s'impose de manière générale quelles que soient la durée, la nature ou l'importance de l'activité professionnelle du conjoint du fonctionnaire.

Appréciation du Tribunal

34.
    Il convient de rappeler que, aux termes de l'article 13 du statut, le fonctionnaire est tenu de déclarer à l'AIPN de l'institution dont il dépend l'exercice par son conjoint d'une activité lucrative à titre professionnel. Cette disposition du statut s'applique quelles que soient la nature, la durée ou l'importance de l'activité lucrative, à titre professionnel, du conjoint du fonctionnaire.

35.
    En l'espèce, il est constant que l'épouse du requérant a exercé une activité lucrative dans le cadre d'un contrat de travail conclu avec Perry Lux. Il est également constant que ce contrat de travail était soumis au droit belge en ce compris la réglementation fiscale et, plus particulièrement, la retenue du précompte professionnel. C'est donc bien à titre professionnel que l'épouse du requérant exerçait une activité lucrative dans le cadre de ce contrat de travail. Dans ces circonstances, le requérant devait procéder à la déclaration visée à l'article 13 du statut. Dès lors qu'il est constant que le requérant n'a pas procédé à cette déclaration, il y a lieu de conclure que le grief tiré de la violation de l'article 13 du statut est établi.

Sur la violation de l'article 14 du statut

Décision attaquée

36.
    La décision attaquée expose notamment (deuxième considérant, douzième à quinzième tiret, vingt-deuxième et vingt-septième considérants):

«Considérant qu'il résulte notamment de l'avis du Conseil de discipline que:

[...]

-    l'article 14 du statut oblige le fonctionnaire à informer l'AIPN s'il est amené à se prononcer sur une affaire au traitement ou à la solution de laquelle il a un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance,

-    dans [le dossier relatif à la sécurité de la délégation à Luanda], le Bureau de sécurité intervenait comme support technique, c'est-à-dire comme conseiller de la DG IA et que le simple fait de recevoir à son nom personnel une offre de prix de la part d'une proche connaissance pour un marché où le Bureau de sécurité est appelé à conseiller la DG IA est de nature à susciter un conflit d'intérêts,

-    il n'est pas relevant de savoir si ce marché a finalement été attribué ou non,

-    [le requérant] qui connaissait bien M. Perry dans le cadre de sa vie privée devait faire la déclaration visée à l'article 14 du statut lorsqu'il a reçu l'offre de prix du 24 mai 1993 et que par conséquent, il a manqué à son obligation visée à l'article 14 du statut,

[...]

Considérant que le fait que son épouse ait été payée par Perry Lux sans contrepartie réelle de sa part et encore sans qu'il ait tenté de rembourser les sommes perçues sans contrepartie mettait [le requérant] dans une situation où il devenait redevable à M. Perry et où ce dernier pourrait exploiter la situation vis-à-vis [du requérant];

[...]

Considérant donc, qu'au delà des conclusions du Conseil de discipline selon lesquelles [le requérant] ne pouvait pas ignorer que sa situation compromettait son indépendance, il y a lieu de retenir que cette situation où il y avait un conflit d'intérêts et où son indépendance et sa loyauté étaient compromises relevait d'actes et d'omissions volontaires et ressortait de ses relations avec M. Perry;

[...]».

Arguments des parties

    

37.
    Le requérant conteste avoir eu à connaître d'une quelconque affaire sur laquelle il aurait été amené à se prononcer et au traitement ou à la solution de laquelle il aurait eu un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance.

38.
    Le requérant a déclaré à l'audience que c'est à tort que l'AIPN lui fait grief de ne pas l'avoir informée d'un conflit d'intérêts à l'occasion de la remise de l'offre de prix. Selon le requérant, lorsqu'il a reçu l'offre de prix, il n'avait aucun motif d'attirer l'attention de l'AIPN sur l'existence d'un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance.

39.
    Le requérant a encore précisé à l'audience que le défaut de déclaration de l'offre de prix au moment où son épouse a conclu le contrat de travail ne constitue pasdavantage une violation de l'article 14 du statut. Le requérant fait valoir, à cet égard, que, lors de la conclusion du contrat de travail le 29 décembre 1993, Perry Lux savait que son offre de prix ne pouvait aboutir à l'obtention du marché relatif à la sécurité de la délégation extérieure de la Commission à Luanda car, dès le 11 juin 1993, la commission consultative des achats et des marchés (CCAM) avait marqué son opposition de principe à l'encontre du projet visant à recourir à une société prestataire de services pour assurer la sécurité des délégations extérieures de la Commission dans les pays tiers. Cette opposition de principe aurait été confirmée lors d'une réunion interservices tenue le 6 octobre 1993, en présence de représentants du service juridique, de la direction générale «Personnel et administration» et du contrôle financier de la Commission. Le requérant a ajouté à l'audience qu'il ressort de cette chronologie qu'il ne pouvait exister de lien entre l'offre de prix et le contrat de travail et que, partant, le défaut de déclaration de l'offre de prix lors de la conclusion du contrat de travail ne saurait constituer une violation de l'article 14 du statut.

40.
    La Commission fait valoir que le requérant devait, conformément au prescrit de l'article 14 du statut, informer l'AIPN de l'existence d'un conflit d'intérêts tant à l'occasion du contrat de travail qu'à l'occasion de l'offre de prix.

41.
    S'agissant du contrat de travail, la Commission fait valoir qu'en exécution de ce contrat l'épouse du requérant a perçu de Perry Lux une rémunération pleine et entière pendant une période non contestée de cinq mois sans aucune contre-prestation correspondante. La conclusion et l'exécution singulière de ce contrat de travail auraient compromis l'indépendance du requérant, qui, en raison de ses fonctions et de ses relations au sein de la Commission, aurait présenté un intérêt particulier pour Perry Lux, qui souhaitait développer ses relations commerciales avec la Commission.

42.
    S'agissant de l'offre de prix, la Commission a allégué à l'audience que cette offre était intervenue dans le cadre d'un dossier spécifique visant à assurer la sécurité de la délégation de Luanda, distinct du dossier général relatif à la sécurité des délégations sur lequel la CCAM avait émis des objections de principe en juin 1993.

43.
    La Commission soutient que, à l'époque où il a reçu l'offre de prix, le requérant connaissait M. Perry à titre privé. La Commission a également soutenu à l'audience que le requérant entretenait des relations professionnelles suivies avec M. Perry lorsqu'il a reçu l'offre de prix. Selon la Commission, le seul fait pour le requérant de recevoir en son nom personnel une offre de prix d'une proche connaissance pour un marché dans le cadre duquel il était amené à se prononcer sur une telle offre de prix était de nature à susciter un conflit d'intérêts qu'il aurait dû mentionner à l'AIPN conformément à l'article 14 du statut.

44.
    L'indépendance du requérant amené à se prononcer sur l'offre de prix aurait été également compromise en raison du contrat de travail et des circonstances particulières de sa conclusion et de son exécution. Selon la Commission, lerequérant devait, à ce titre également, procéder à la déclaration visée à l'article 14 du statut.

45.
    La Commission relève enfin que le requérant n'a jamais informé l'AIPN de l'existence d'un conflit d'intérêts. Elle en conclut que le requérant a violé l'article 14 du statut.

Appréciation du Tribunal

46.
    Il convient, tout d'abord de préciser la portée de la disposition prévue à l'article 14 du statut.

47.
    Aux termes de l'article 14 du statut, le fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, est amené à se prononcer sur une affaire au traitement ou à la solution de laquelle il a un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance doit en informer l'AIPN. Eu égard au caractère fondamental des objectifs d'indépendance et d'intégrité poursuivis par cette disposition, et compte tenu de ce que l'obligation prescrite consiste, pour le fonctionnaire concerné, à informer l'AIPN à titre préventif, l'article 14 du statut a un champ d'application large. Celui-ci couvre toute circonstance que le fonctionnaire qui est amené à se prononcer sur une affaire doit raisonnablement comprendre comme étant de nature à apparaître, aux yeux de tiers, comme une source possible d'affectation de son indépendance en la matière.

48.
    À la lumière de ces considérations, il y a lieu d'apprécier si c'est à juste titre que la Commission a retenu contre le requérant la violation de l'article 14 du statut, motif pris d'un défaut de déclaration d'un conflit d'intérêts.

49.
    En ce qui concerne, premièrement, le contrat de travail, il convient de relever d'emblée que ce contrat ne constitue pas une affaire sur laquelle le requérant a été amené à se prononcer au sens de l'article 14 du statut. Ce contrat, en tant que tel, ne tombe donc pas dans le champ d'application de cet article. Dans ces circonstances, le défaut de déclaration de ce contrat ne saurait, par lui-même, constituer une violation de l'article 14 du statut.

50.
    En ce qui concerne, deuxièmement, l'offre de prix, il est constant que cette offre constitue une affaire sur laquelle le requérant était amené à se prononcer.

51.
    Il convient néanmoins de préciser le contexte dans lequel cette offre est intervenue.

52.
    Il est constant que, à partir de 1993, la Commission cherchait à élaborer une solution globale permettant d'assurer la sécurité de ses délégations dans l'ensemble des pays tiers, y compris en Afrique. Il est également établi qu'une des solutions globales qui avaient été envisagées consistait à faire appel à une société de services chargée de déléguer, au sein de chaque délégation, un prestataire de sécurité quiaurait coordonné la sécurité de la délégation concernée par le recrutement d'agents sur place.

53.
    Les parties divergent d'opinion sur la question de savoir si l'offre de prix a été soumise à la Commission dans le cadre de ce projet de solution globale. Comme indiqué au point 42 ci-dessus, la Commission a allégué pour la première fois à l'audience qu'il existait un projet de solution de sécurité pour Luanda entièrement distinct du projet de solution globale. Il convient d'emblée de constater que la Commission n'a fourni aucun élément permettant d'établir l'existence d'un tel projet spécifique. Il y a donc lieu de supposer, aux fins de l'appréciation de la violation alléguée de l'article 14 du statut, que Perry Lux a soumis l'offre de prix au requérant dans le cadre du projet de solution globale.

54.
    Il n'est pas contesté que le projet de solution globale a été soumis à la CCAM, qui, dans un rapport du 11 juin 1993, a soulevé des objections de principe à l'égard de ce projet de solution. La Commission a admis à l'audience que le dossier relatif au projet de solution globale a été clos au mois de juin 1993.

55.
    Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que, au plus tard à partir du 1er juillet 1993, le requérant n'était plus amené à se prononcer sur les offres soumises dans le cadre du projet de solution globale, en ce compris l'offre de prix.

56.
    Il convient d'examiner ensuite, sur la base des éléments concrets du dossier, si, antérieurement au 1er juillet 1993, le requérant devait raisonnablement comprendre que son indépendance dans le cadre du traitement de l'affaire relative à l'offre de prix pouvait apparaître, aux yeux de tiers, comme étant compromise.

57.
    Comme indiqué au point 43 ci-dessus, selon la Commission, l'indépendance du requérant était compromise lorsqu'il était amené à se prononcer sur l'offre de prix, premièrement, parce que l'auteur de cette offre de prix était une de ses proches connaissances. À cet égard, la Commission fait valoir que le requérant connaissait M. Perry tant à titre privé qu'à titre professionnel.

58.
    Il convient de relever d'emblée que, à l'évidence, l'existence de relations professionnelles entre un fonctionnaire et un tiers ne saurait, en principe, impliquer que l'indépendance du fonctionnaire est compromise ou apparaît comme telle lorsque ce fonctionnaire est appelé à se prononcer sur une affaire dans laquelle ce tiers intervient. De surcroît, contrairement aux allégations de la Commission, il ne ressort d'aucun élément du dossier que, antérieurement à l'offre de prix, le requérant et M. Perry entretenaient des relations professionnelles. Dès lors que la Commission n'allègue aucun élément particulier permettant de comprendre en quoi l'existence alléguée de relations professionnelles entre le requérant et M. Perry était de nature à compromettre l'indépendance du premier, ces prétendues relations professionnelles ne sauraient fonder l'obligation d'une information à l'AIPN par application de l'article 14 du statut.

59.
    S'agissant des relations privées qu'entretenaient le requérant avec M. Perry lors de la remise de l'offre de prix, il ressort du dossier que ces relations consistaient à avoir, de temps en temps, des conversations téléphoniques et à se rencontrer lors de certains événements. Le dossier révèle aussi que l'épouse du requérant avait fait la connaissance de M. Perry à titre privé lors d'un de ces événements et que c'est lors d'une manifestation culturelle qu'elle avait fait part à M. Perry de son désir de travailler à Bruxelles. De ces seuls éléments, il ne saurait être déduit que M. Perry était une connaissance proche du requérant et que ce dernier devait comprendre que les relations qu'il entretenait à titre privé avec lui étaient de nature à apparaître, aux yeux de tiers, comme une source possible d'affectation de son indépendance lorsqu'il était amené à se prononcer sur l'offre de prix.

60.
    La Commission soutient, deuxièmement (voir point 44 ci-dessus), que l'indépendance du requérant, amené à se prononcer sur l'offre de prix, était également compromise en raison du contrat de travail et, plus particulièrement, des circonstances particulières de sa conclusion et de son exécution.

61.
    Il est constant entre les parties que la négociation du contrat de travail a eu lieu dans le courant du mois de décembre 1993, que ce contrat est daté du 29 décembre 1993 et qu'il portait sur une période d'un an à partir du 1er janvier 1994. Tous ces éléments étant postérieurs au 1er juillet 1993, ils ne sauraient être retenus pour établir la violation des dispositions de l'article 14 du statut.

62.
    Il résulte de ce qui précède que le grief relatif à la violation de l'article 14 du statut n'est pas établi.

Sur la violation des articles 11 et 12, premier alinéa, du statut ainsi que du devoir de loyauté

Décision attaquée

63.
    S'agissant de la violation des dispositions des articles 11 et 12, premier alinéa, du statut ainsi que du devoir de loyauté, la décision attaquée contient notamment les indications suivantes (deuxième considérant, dixième, onzième, seizième et dix-septième tirets, quatorzième, vingt-deuxième considérants et vingt-septième à vingt-neuvième considérant):

«Considérant qu'il résulte notamment de l'avis du Conseil de discipline que:

[...]

-    [le requérant] a menti en affirmant, lors de son audition du 12 janvier 1999, qu'il n'avait jamais eu de relations professionnelles avec M. C. Perry,

-    il est cependant apparu, au cours de la procédure en référé introduite devant le Tribunal de première instance par [le requérant], que dans lecadre d'un marché de prestations de services lancé par la Commission pour assurer la sécurité de la Délégation de la Commission à Luanda, [...] Perry Lux [...] a envoyé une offre de prix [au requérant], chef de l'unité 'Sécurité extérieure' à l'époque, le 24 mai 1993,

[...]

-    [le requérant] a [...] porté atteinte à la confiance déposée en lui au vu de son grade élevé et de son expérience de longues années au service de l'institution, en empêchant celle-ci à deux reprises de vérifier qu'il respectait bien ses obligations statutaires,

-    [le requérant], vu son expérience et ses qualifications, ne pouvait pas ignorer que le fait pour son épouse de conclure un contrat avec un contractant de la Commission sur base d'un contrat de travail pour lequel les prestations de travail ont été inexistantes pendant 5,5 mois sur 6 compromettait gravement son indépendance dans l'exercice de ses fonctions;

[...]

Considérant que l'engagement de son épouse [non sur la base de ses qualités professionnelles, mais sur la base de relations préexistantes entre lui et M. Perry] compromettait déjà l'indépendance du [requérant];

[...]

Considérant que le fait que son épouse ait été payée par Perry Lux sans contrepartie réelle de sa part et encore sans qu'il ait tenté de rembourser les sommes perçues sans contrepartie mettait [le requérant] dans une situation où il était redevable à M. Perry et où ce dernier pourrait exploiter la situation vis-à-vis [du requérant];

[...]

Considérant donc, qu'au-delà des conclusions du Conseil de discipline selon lesquelles [le requérant] ne pouvait pas ignorer que sa situation compromettait son indépendance, il y a lieu de retenir que cette situation où il y avait un conflit d'intérêts et où son indépendance et sa loyauté étaient compromises relevait d'actes et d'omissions volontaires et ressortait de ses relations avec M. Perry;

Considérant, dans le cadre de l'exercice de leurs responsabilités, que la Commission est en droit de s'attendre à une probité particulièrement élevée et un comportement au-dessus de tout doute ou soupçon sur le plan de l'indépendance, de la loyauté et de l'absence de conflit d'intérêts de la part de tout fonctionnaire exerçant des fonctions au niveau A 3 (dans ce cas, d'un fonctionnaire exerçant desfonctions de chef d'unité et puis de directeur adjoint), et notamment des hauts fonctionnaires du service de sécurité;

Considérant que [le requérant], par son comportement décrit ci-avant, a rompu les liens de confiance qui doivent régner entre lui-même et son institution;

[...]».

Arguments des parties

64.
    Le requérant conteste avoir violé les articles 11 et 12 du statut et avoir manqué à son devoir de loyauté. Il a fait valoir à l'audience que le défaut de déclaration du contrat de travail et de l'offre de prix ne constitue pas, en lui-même, une violation des articles 11 et 12 du statut ou un manquement à son devoir de loyauté. Selon le requérant, la Commission reste en défaut de démontrer en quoi les obligations imposées par ces articles et par le devoir de loyauté ont été méconnues.

65.
    À cet égard, le requérant fait valoir, en substance, que ni les conditions de la conclusion du contrat de travail ni les conditions de son exécution ne sont de nature à mettre en cause sa loyauté et son indépendance.

66.
    En ce qui concerne la conclusion du contrat de travail, le requérant soutient, tout d'abord, que, lorsque ce contrat a été conclu, Perry Lux jouissait d'une excellente réputation au sein de la Commission. Par ailleurs, le requérant fait valoir que ses fonctions au sein du bureau de sécurité ne pouvaient présenter pour Perry Lux un intérêt, puisqu'il exerçait des fonctions de nature technique et opérationnelle n'impliquant aucune tâche relative à la gestion du personnel ou à la gestion administrative et financière. En outre, il allègue que le bureau de sécurité ne disposait d'aucun budget pour contracter avec un prestataire de services. Dans ces circonstances, selon le requérant, rien ne pouvait le conduire à s'interroger sur l'honorabilité de M. Perry, sur le caractère régulier de ses pratiques ou encore sur les intentions qu'il pouvait éventuellement avoir en proposant à son épouse un contrat de travail.

67.
    S'agissant de l'existence et de l'exécution du contrat, le requérant allègue que celui-ci était régulier, déclaré et visait à pourvoir un poste vacant pour lequel son épouse avait les qualifications requises. Par ailleurs, le requérant allègue que ce contrat a été exécuté pendant une période d'environ un mois, à l'issue de laquelle son épouse a été mise en disponibilité conformément au contrat et à la pratique de Perry Lux à l'égard de ses experts qualifiés. Le contrat n'aurait, ensuite, pas été poursuivi jusqu'à son terme à défaut pour l'épouse du requérant de recevoir une nouvelle affectation. Dans ces conditions, rien dans l'exécution du contrat n'aurait été de nature à porter atteinte à l'indépendance où à la loyauté du requérant.

68.
    La Commission soutient que le requérant, en raison de son expérience et de ses qualifications, ne pouvait ignorer que le fait pour son épouse de conclure uncontrat avec Perry Lux, un cocontractant de la Commission, et de percevoir une rémunération pleine et entière pendant six mois sans contre-prestation réelle compromettait gravement son indépendance vis-à-vis de Perry Lux dans l'exercice de ses fonctions, en violation de l'article 11 du statut.

69.
    La Commission a ajouté à l'audience que, sous couvert de la rémunération sans contre-prestation de son épouse, le requérant a perçu des sommes importantes en violation de l'article 11,deuxième alinéa, du statut.

70.
    Elle soutient, enfin, que les articles 11 et 12 du statut font partie des dispositions qui expriment l'obligation de loyauté du fonctionnaire à l'égard de son institution et qui doivent le conduire, et ce d'autant plus qu'il a un grade élevé, à faire preuve d'un comportement au-dessus de tout soupçon, afin que les liens de confiance existant entre cette institution et lui-même soient toujours préservés. En omettant, en apparence volontairement, de déclarer l'offre de prix et le contrat de travail, le requérant aurait nui à la dignité de la fonction et aurait rompu la confiance que la Commission doit pouvoir avoir en ses fonctionnaires. La Commission a ajouté à l'audience que, par ce double défaut de déclaration, le requérant l'a empêchée de vérifier le respect par celui-ci des obligations imposées par les articles 11 et 12, premier alinéa, du statut.

Appréciation du Tribunal

71.
    En ce qui concerne l'article 11, premier alinéa, du statut, il y a lieu de rappeler que cette disposition prévoit que le fonctionnaire doit s'acquitter de ses fonctions et régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés, sans solliciter ni accepter d'instructions d'aucun gouvernement, autorité, organisation ou personne extérieure à son institution. Cette disposition exige du fonctionnaire qu'il adopte, en toutes circonstances, une attitude guidée exclusivement par les intérêts des Communautés et prohibe tout comportement qui, au vu des éléments de l'espèce, dénote la prise en compte, par le fonctionnaire concerné, d'un intérêt autre que l'intérêt communautaire.

72.
    Aucun élément du dossier ne permet d'établir que le requérant aurait pris en compte un intérêt autre que celui des Communautés. La Commission ne démontre ni n'allègue aucune circonstance concrète à l'occasion de laquelle le requérant aurait pris en compte un intérêt autre que l'intérêt communautaire. Dans ces conditions, il n'est pas établi que le requérant a violé l'article 11, premier alinéa, du statut.

73.
    L'article 11, deuxième alinéa, du statut fait défense au fonctionnaire d'accepter d'une source extérieure à son institution, sans autorisation de l'AIPN, une faveur, un don, une rémunération de quelque nature qu'ils soient. Il convient d'examiner si, comme le soutient la Commission, la perception par l'épouse du requérant d'une rémunération sans contre-prestation correspondante constitue une violation de cette disposition.

74.
    Le statut prévoit le droit pour le conjoint d'un fonctionnaire de percevoir une rémunération sans que cela ne constitue, en soi, une violation à l'article 11, deuxième alinéa, du statut. Ainsi, aux termes de l'article 13 du statut, le conjoint d'un fonctionnaire peut exercer une activité lucrative et, partant, percevoir une rémunération sans qu'il soit nécessaire pour le fonctionnaire d'obtenir l'autorisation de l'AIPN. L'article 13 du statut requiert uniquement que le fonctionnaire déclare l'activité lucrative exercée à titre professionnel par son conjoint. Même si, à la suite de cette déclaration, l'AIPN constate une incompatibilité entre les fonctions du fonctionnaire et l'activité lucrative exercée à titre professionnel par son conjoint, l'existence d'une telle incompatibilité ne constitue pas une violation d'une obligation statutaire du fonctionnaire. Il en résulte que la perception d'une rémunération par l'épouse du requérant sans autorisation préalable de l'AIPN ne saurait constituer, en tant que telle, une violation par ce dernier de l'article 11, deuxième alinéa, du statut.

75.
    Le fait non contesté que l'épouse du requérant a perçu une rémunération pendant une période de six mois alors qu'elle n'a fourni aucune contre-prestation effective pendant la plus grande partie de cette période n'est pas de nature à remettre en question la conclusion tirée au point précédent. En effet, il n'est pas contesté que l'épouse du requérant est restée à la disposition de son employeur jusqu'au terme de la période probatoire de 6 mois.

76.
    En ce qui concerne l'article 12, premier alinéa, du statut, il convient de rappeler que cette disposition exige du fonctionnaire qu'il s'abstienne de tout comportement qui puisse porter atteinte à la dignité de sa fonction.

77.
    La Commission fonde la violation de cette obligation sur le caractère prétendument intentionnel de l'omission de déclaration de l'existence de l'offre de prix et du contrat de travail. S'agissant de l'offre de prix, la Commission déduit le caractère intentionnel de cette omission du fait que le requérant aurait menti lors de son audition du 12 janvier 1999 en affirmant ne jamais avoir eu de relations professionnelles avec M. Perry. Il ressort du compte rendu de cette réunion que le requérant a seulement affirmé: «Je n'ai pas de relations professionnelles avec M. Perry.» Il ne saurait être déduit de cette affirmation que le requérant a voulu indiquer à la Commission qu'il n'avait jamais eu de relations professionnelles avec M. Perry. En effet, il ressort également du dossier que, lors de cette audition, le requérant a affirmé qu'il a eu des contacts professionnels avec M. Perry . Il n'est donc pas établi que le requérant a menti lors de son audition du 12 janvier 1999. Le défaut de déclaration de l'offre de prix n'apparaît donc pas comme étant intentionnel. S'agissant du défaut de déclaration du contrat de travail, la défenderesse n'allègue aucun élément permettant de conclure au caractère intentionnel de cette omission. Dans ces circonstances et en l'absence de toute allégation par la Commission d'autres éléments permettant d'établir une violation de l'obligation de dignité, il n'est pas établi que le requérant a contrevenu aux obligations prévues à l'article 12, premier alinéa, du statut.

78.
    S'agissant de l'obligation de loyauté, il y a lieu de préciser que cette obligation est violée lorsque, par un défaut de coopération loyale, le fonctionnaire empêche l'institution de vérifier si ce fonctionnaire respecte ses obligations statutaires (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mai 1997, N/Commission, T-273/94, RecFP p. I-A-97 et II-289, point 132).

79.
    Comme indiqué ci-dessus au point 70, la Commission soutient que la violation de l'obligation de loyauté réside dans le fait que le défaut de déclaration de l'offre de prix et du contrat de travail ne lui a pas permis de vérifier le respect par le requérant des obligations imposées par les articles 11 et 12, premier alinéa, du statut.

    

80.
    Il ressort des points 72, 74 et 77 ci-dessus que rien dans le dossier ne permet d'établir une violation des dispositions des articles 11 et 12, premier alinéa, du statut. Dans ces circonstances, la déclaration du contrat de travail et de l'offre de prix aurait été inopérante pour apprécier l'existence d'une violation des articles 11 et 12, premier alinéa, du statut. Il n'est donc pas établi que le requérant a violé son obligation de loyauté en n'informant pas l'AIPN de l'offre de prix et du contrat de travail.

81.
    Il se dégage de l'examen de ce premier moyen que c'est à tort que l'AIPN a retenu la violation des articles 11, 12, premier alinéa, et 14 du statut. En revanche, la Commission était fondée à retenir la violation par le requérant de l'article 13 du statut.

82.
    Il s'ensuit que le moyen pris de l'absence de réalité des griefs doit être accueilli dans la mesure précisée au point précédent. Dans ces circonstances, il n'est pas nécessaire que le Tribunal statue sur les autres moyens et arguments développés par le requérant dans sa demande en annulation.

83.
    Eu égard au caractère unique et indivisible de la sanction disciplinaire contenue dans la décision attaquée et au fait que cette sanction repose sur les griefs retenus dans cette décision considérés dans leur ensemble, il y a lieu d'annuler la décision attaquée dans son intégralité. Dans ces conditions et vu la marge d'appréciation dont dispose l'AIPN en matière de sanction disciplinaire, il ne revient pas au Tribunal de se substituer à celle-ci pour décider de la sanction disciplinaire pouvant correspondre, le cas échéant, au grief qui s'avère établi au terme de l'examen de ce premier moyen (voir, en ce sens, notamment, arrêt de la Cour du 30 mai 1973, De Greef/Commission, 46/72, Rec. p. 543, points 45 et 46; arrêt du Tribunal du 17 octobre 1991, de Compte/Parlement, T-26/89, Rec. p. II-781, point 220).

Sur la demande en réparation

Arguments des parties

84.
    Le requérant fait valoir que les illégalités invoquées à l'appui du premier chef de demande constituent autant de fautes imputables à la Commission qui lui causent un préjudice.

85.
    À cet égard, le requérant relève, tout d'abord, que la décision attaquée a gravement, sinon irrémédiablement, compromis sa carrière. Il fait valoir, ensuite, que sa réputation dans le domaine de la sécurité est détruite du fait de l'atteinte réelle portée à sa probité et à son honorabilité. Il fait observer, en outre, qu'il a été exclu du monde du travail tant par le maintien de la suspension dont il a fait l'objet au-delà de quatre mois, jusqu'à l'adoption de la décision attaquée, que par le défaut de réintégration depuis l'arrêt d'annulation de la décision de suspension. Il invoque, enfin, un préjudice moral subi par sa femme et par son fils. Plus particulièrement, son épouse souffrirait considérablement d'une situation à ses yeux incompréhensible et son fils aurait redoublé son année scolaire. Le requérant soutient que ces préjudices ne sauraient être adéquatement et complètement réparés uniquement par l'annulation de la décision attaquée. Il évalue, ex aequo et bono et à titre provisionnel, son préjudice total, moral et matériel, à 50 000 euros. Il a toutefois précisé à l'audience que les préjudices allégués sont des préjudices moraux.

86.
    La Commission fait valoir, à titre principal, que le recours en indemnité doit être rejeté dans la mesure où l'examen des moyens présentés au soutien de la demande en annulation n'a révélé aucune illégalité qui lui soit imputable. Il n'y aurait, partant, aucune faute de nature à engager la responsabilité de cette institution.

87.
    À titre subsidiaire, la Commission fait valoir, premièrement, que le requérant n'a pas précisé l'étendue du dommage qu'il aurait subi et se contente d'une estimation ex aequo et bono, dommages matériel et moral confondus et ce, à titre provisionnel, alors que, selon la jurisprudence, il lui incombe, sauf circonstances particulières qu'il n'établit ni n'allègue, de chiffrer l'étendue de son préjudice (arrêts de la Cour du 14 mai 1975, CNTA/Commission, 74/74, Rec. p. 533, et du 28 mars 1979, Granaria/Conseil et Commission, 90/78, Rec. p. 1081; arrêt du Tribunal du 20 septembre 1990, Hanning/Parlement, T-37/89, Rec. p. II-463).

88.
    Elle fait observer, deuxièmement, que le requérant a perçu la totalité de sa rémunération au grade A 3 pendant la procédure disciplinaire jusqu'au 1er juillet 2000. Elle ajoute que le préjudice matériel ne saurait résulter que d'une perte de revenus et d'une atteinte illégitime à son patrimoine. Or la perte de revenus serait inhérente à la décision de rétrogradation et serait justifiée, puisque les faits seraient établis et que la sanction serait proportionnée. Il en irait de même du préjudice moral, qui, lui aussi, serait inhérent à la rétrogradation.

89.
    Elle indique, troisièmement, que le défaut de réintégration est dû au fait qu'il n'a pas été aisé de trouver immédiatement un poste vacant susceptible de convenir au requérant. De plus, l'occupation d'un emploi vacant serait justifié par la nécessité du service et non par les convenances personnelles du fonctionnaire (arrêt de laCour du 5 juin 1980, Belfiore/Commission, 108/79, Rec. p. 1769). La Commission note que depuis le 1er juin 2001, et suivant son accord pour cette nouvelle affectation, «le requérant fait partie des effectifs de la DG ADMIN/Luxembourg».

90.
    Elle affirme, quatrièmement, que le traumatisme subi par répercussion par les proches du requérant est une conséquence directe de son comportement répréhensible et ne saurait empêcher l'AIPN de prononcer la sanction méritée et justifiée par les circonstances de la cause.

91.
    À titre éminemment subsidiaire, pour le cas où le Tribunal annulerait la décision attaquée, la Commission soutient que, aux termes d'une jurisprudence constante, l'annulation d'un acte de l'administration attaqué par un fonctionnaire constitue en elle-même une réparation adéquate et en principe suffisante de tout préjudice matériel ou moral que celui-ci peut avoir subi (arrêt de la Cour du 7 février 1990, Culin/Commission, C-343/87, Rec. p. I-225; arrêt du Tribunal du 16 décembre 1993, Moat/Commission, T-58/92, Rec. p. II-1443).    

Appréciation du Tribunal

92.
    Il convient de relever d'emblée que, ainsi que le requérant l'a précisé à l'audience, la demande en réparation porte uniquement sur les dommages moraux.

93.
    Il y a lieu de relever, ensuite, que, contrairement à ce que soutient la Commission, la seule circonstance que le requérant ait évalué son dommage ex aequo et bono et à titre provisionnel ne suffit pas à démontrer que la requête et, plus particulièrement, la demande en réparation ne satisfait pas aux exigences de l'article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

94.
    Il convient donc d'examiner si la responsabilité de la Commission peut être engagée sur la base des éléments avancés par le requérant. Aux termes d'une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité des Communautés suppose que soient établies l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (arrêts du Tribunal du 9 février 1994, Latham/Commission, T-3/92, RecFP p. I-A-23 et II-83, point 63; du 15 février 1996, Ryan-Sheridan/FEACVT, T-589/93, RecFP p. I-A-27 et II-77, point 141, et du 28 septembre 1999, Hautem/BEI, T-140/97, RecFP p. I-A-171 et II-897, point 83).

95.
    Il ressort des conclusions auxquelles le Tribunal est arrivé dans le cadre de l'examen du recours en annulation que l'existence d'un comportement illégal imputable à la Commission est établie (voir point 83 ci-dessus).

96.
    Il convient, à ce stade, d'examiner la réalité des dommages allégués et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement reproché à la Commission et ces dommages.

97.
    Sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la réalité du préjudice allégué consistant en une atteinte à la réputation professionnelle du requérant, il convient, à supposer ce préjudice établi, de constater que l'annulation faisant disparaître la décision attaquée, cette annulation constitue en principe une réparation adéquate et suffisante de cet élément du préjudice. En effet, selon une jurisprudence constante, sauf dans des circonstances particulières, l'annulation de la décision attaquée par un fonctionnaire constitue, en elle-même, une réparation adéquate et, en principe, suffisante du préjudice que ce fonctionnaire peut avoir subi (arrêt Culin/Commission, précité, points 25 à 29; arrêts du Tribunal du 27 février 1992, Plug/Commission, T-165/89, Rec. p. II-367, point 118, et Hautem/BEI, précité, point 82). Dès lors que le requérant n'a ni établi ni allégué des circonstances particulières pour lesquelles l'annulation de la décision attaquée ne réparerait pas adéquatement la prétendue atteinte à sa réputation professionnelle, il convient de considérer, à supposer cette atteinte établie, que l'annulation de la décision attaquée constitue une réparation adéquate de ce préjudice.

98.
    S'agissant des possibles répercussions négatives de la procédure disciplinaire sur la carrière du requérant, un tel préjudice est, à ce stade, de nature purement hypothétique et, en tant que tel, n'est pas susceptible d'engager la responsabilité de la Communauté (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 3 juillet 2001, E/Commission, T-24/98 et T-241/99, RecFP p. I-A-149 et II-681, point 106).

99.
    S'agissant du dommage moral dont souffrirait le fils du requérant, ce dernier allègue que le dommage consiste dans l'échec scolaire que son fils a subi. Il convient de relever, à cet égard, que le requérant n'allègue aucun élément susceptible d'établir un lien de causalité entre cet échec et le comportement reproché à la Commission.

100.
    En ce qui concerne le dommage moral dont souffrirait l'épouse du requérant, il convient de relever que ce dernier n'apporte aucun élément concret de nature à prouver l'existence de ce préjudice.

101.
    S'agissant, enfin, du dommage résultant de la mise à l'écart du requérant du monde du travail, il convient de considérer que cette mise à l'écart constitue un dommage moral qui résulte bien du comportement illégal de la Commission. Par ailleurs, il ne saurait être considéré que ce dommage est adéquatement réparé par l'annulation de la décision attaquée. Cette annulation ne saurait avoir pour effet d'effacer rétroactivement le fait pour le requérant d'avoir été écarté de toute activité professionnelle entre le 16 décembre 1998 et le 1er juin 2001. Dans ces circonstances particulières, il y a lieu d'octroyer au requérant une indemnisation symbolique d'un euro.

102.
    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de faire droit à la demande en réparation dans la limite d'un euro.

Sur les dépens

103.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en l'essentiel de ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

déclare et arrête:

1)    La décision de la Commission du 19 juin 2000 portant rétrogradation du requérant du grade A 3 au grade A 6 est annulée.

2)    La Commission est condamnée à verser au requérant la somme d'un euro au titre de la réparation du dommage moral subi par celui-ci.

3)    La Commission est condamnée aux dépens.

Moura Ramos
Pirrung
Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 septembre 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. M. Moura Ramos


1: Langue de procédure: le français.