Language of document : ECLI:EU:C:2018:649

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 7 août 2018 (1)

Affaire C461/17

Brian Holohan e.a.

contre

An Bord Pleanála

[demande de décision préjudicielle formée par la High Court (Haute Cour, Irlande)]

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Directive 2011/92/UE – Évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement – Zone spéciale de conservation – Évaluation appropriée des incidences d’un projet sur un site – Projet routier – Motivation – Solutions de substitution »






I.      Introduction

1.        Le droit de l’environnement de l’Union européenne impose différentes évaluations des incidences sur l’environnement. S’agissant de projets individuels qui ne s’inscrivent pas dans un programme plus large, l’évaluation des incidences sur l’environnement prévue par la directive 2011/92/CE (2) et l’évaluation appropriée des incidences sur le site concerné eu égard aux objectifs de conservation de ce site exigée par la directive 92/43/CEE (3) revêtent une importance particulière.

2.        La présente demande de décision préjudicielle, soumise à la Cour dans le cadre d’un litige portant sur l’autorisation d’une route contournant la ville de Kilkenny en Irlande, fournit à la Cour l’occasion de préciser les exigences auxquelles le contenu de ces évaluations doit répondre, notamment en ce qui concerne les espèces affectées par le projet et l’examen des solutions de substitution.

3.        Si ce sont surtout les questions concernant le traitement à réserver dans le cadre de l’évaluation des incidences sur l’environnement aux solutions de substitution qui présentent des difficultés, toutes les réponses que la Cour donnera aux questions qui lui ont été déférées apporteront cependant une contribution précieuse à la sécurité juridique dans le cadre de ces deux types d’évaluation.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive « habitats »

4.        L’article 1er, sous e), de la directive « habitats » définit l’état de conservation d’un habitat naturel comme suit :

« l’effet de l’ensemble des influences agissant sur un habitat naturel ainsi que sur les espèces typiques qu’il abrite, qui peuvent affecter à long terme sa répartition naturelle, sa structure et ses fonctions ainsi que la survie à long terme de ses espèces typiques sur le territoire visé à l’article 2.

“L’état de conservation” d’un habitat naturel sera considéré comme “favorable” lorsque :

–      son aire de répartition naturelle ainsi que les superficies qu’il couvre au sein de cette aire sont stables ou en extension

et

–      la structure et les fonctions spécifiques nécessaires à son maintien à long terme existent et sont susceptibles de perdurer dans un avenir prévisible

et

–      l’état de conservation des espèces qui lui sont typiques est favorable au sens du point i) ».

5.        L’article 2, paragraphes 2 et 3, de la directive « habitats » fixe des objectifs essentiels à son application :

« 2.      Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire.

3.      Les mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales. »

6.        L’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » soumet l’évaluation des plans et projets aux règles suivantes :

« Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public. »

7.        En vertu de l’article 7 de la directive « habitats », l’article 6, paragraphes 2 à 4, de cette dernière s’applique également en ce qui concerne les zones spéciales de conservation désignées en application de l’article 4 de la directive 2009/147/CE (4).

2.      La directive EIE

8.        Les éléments de base de l’évaluation des incidences sur l’environnement sont inscrits à l’article 3 de la directive EIE :

« L’évaluation des incidences sur l’environnement identifie, décrit et évalue de manière appropriée, en fonction de chaque cas particulier et conformément aux articles 4 à 12, les incidences directes et indirectes d’un projet sur les facteurs suivants :

a)      l’homme, la faune et la flore ;

b)      le sol, l’eau, l’air, le climat et le paysage ;

c)      les biens matériels et le patrimoine culturel ;

d)      l’interaction entre les facteurs visés aux points a), b) et c). »

9.        L’article 5, paragraphes 1 et 3, de la directive EIE indique quelles sont les informations à fournir par le maître d’ouvrage :

« 1.      Dans le cas des projets qui, en application de l’article 4, doivent être soumis à une évaluation des incidences sur l’environnement, conformément au présent article et aux articles 6 à 10, les États membres adoptent les mesures nécessaires pour s’assurer que le maître d’ouvrage fournit, sous une forme appropriée, les informations spécifiées à l’annexe IV, dans la mesure où :

a)      les États membres considèrent que ces informations sont appropriées à un stade donné de la procédure d’autorisation, par rapport aux caractéristiques spécifiques d’un projet donné ou d’un type de projet et par rapport aux éléments environnementaux susceptibles d’être affectés ;

b)      les États membres considèrent que l’on peut raisonnablement exiger d’un maître d’ouvrage qu’il rassemble ces données, compte tenu, entre autres, des connaissances et des méthodes d’évaluation existantes.

[…]

3.      Les informations à fournir par le maître d’ouvrage, conformément au paragraphe 1, comportent au minimum :

a)      une description du projet comportant des informations relatives au site, à la conception et aux dimensions du projet ;

b)      une description des mesures envisagées pour éviter et réduire des incidences négatives importantes et, si possible, y remédier ;

c)      les données nécessaires pour identifier et évaluer les effets principaux que le projet est susceptible d’avoir sur l’environnement ;

d)      une esquisse des principales solutions de substitution qui ont été examinées par le maître d’ouvrage et une indication des principales raisons de son choix, eu égard aux incidences sur l’environnement ;

e)      un résumé non technique des informations visées aux points a) à d). »

10.      L’annexe IV de la directive EIE apporte des précisions en ce qui concerne les informations à fournir en application de l’article 5 de ladite directive et notamment les solutions de substitution et les effets sur l’environnement qu’il y a concrètement lieu d’examiner :

« 2.      Une esquisse des principales solutions de substitution qui ont été examinées par le maître d’ouvrage et une indication des principales raisons de son choix, eu égard aux effets sur l’environnement.

3.      Une description des éléments de l’environnement susceptibles d’être affectés de manière notable par le projet proposé, y compris notamment la population, la faune, la flore, le sol, l’eau, l’air, les facteurs climatiques, les biens matériels, y compris le patrimoine architectural et archéologique, le paysage ainsi que l’interrelation entre les facteurs précités. »

11.      Le considérant 13 de la directive EIE fait référence à la procédure de délimitation du champ de l’évaluation prévue à l’article 5, paragraphe 2, de cette directive :

« Il convient de fixer une procédure permettant au maître d’ouvrage d’obtenir l’avis des autorités compétentes sur le contenu et l’étendue des informations à recueillir et à fournir en vue de l’évaluation. Les États membres, dans le cadre de cette procédure, peuvent exiger du maître d’ouvrage qu’il présente, entre autres, des solutions de substitution aux projets pour lesquels il a l’intention d’introduire une demande. »

III. Les faits et le renvoi préjudiciel

12.      L’An Bórd Pleanála (Agence d’aménagement du territoire, Irlande, ci-après l’« Agence ») est l’organe compétent, en Irlande, pour délivrer les permis de construire pour des projets routiers, déterminer dans ce cadre la portée de l’évaluation des incidences sur l’environnement requise et conseiller le demandeur sur la base des informations fournies par ce dernier.

13.      Au cours de l’année 2008, le maître d’ouvrage, le Kilkenny County Council (conseil du comté de Kilkenny, Irlande), a présenté à l’Agence une demande d’approbation d’un projet routier, impliquant la construction d’une nouvelle route et d’un pont enjambant la rivière Nore, ainsi que l’expropriation des propriétaires des terrains nécessaires. La construction de cette route de contournement a pour but d’achever la rocade de la ville de Kilkenny et de réduire ainsi, entre autres, la congestion du centre-ville. La route projetée traverse plusieurs zones relevant d’un régime de protection de la nature : la « Special Protection Area » (zone de protection spéciale, ci-après la « SPA ») « River Nore SPA » classée conformément à la directive « oiseaux » (code Natura 2000 : IE0004233), une « candidate Special Area of Conservation » (un site qu’il est prévu de classer comme zone spéciale de conservation, ci-après la « future SAC ») au sens de la directive « habitats », à savoir la « River Barrow and River Nore SAC » (code Natura 2000 : IE0002162), ainsi qu’un site dont le classement comme « National Heritage Area » (zone de patrimoine national) a été proposé.

14.      Le 11 juillet 2014, l’Agence a adopté une décision autorisant le projet d’aménagement routier connu sous le nom d’« extension de la rocade nord de Kilkenny » et accordant l’ordre d’expropriation sollicité. Les requérants au principal demandent à la High Court (Haute Cour, Irlande) de contrôler cette décision et de l’annuler pour violation du droit de l’Union.

15.      La High Court (Haute Cour) a décidé le 4 mai 2017 de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle, qui est parvenue au greffe de la Cour le 28 juillet 2017 :

« 1)      En vertu de la [directive “habitats”], une déclaration d’incidences Natura doit‑elle identifier dans leur totalité les habitats et espèces pour lesquels le site est répertorié ?

2)      En vertu de la [directive “habitats”], doit-on identifier et examiner dans une déclaration d’incidences Natura les incidences éventuelles sur toutes les espèces (et non uniquement sur les espèces protégées) qui contribuent à l’habitat protégé et en font partie ?

3)      En vertu de la [directive “habitats”], une déclaration d’incidences Natura doit-elle examiner explicitement l’incidence du projet proposé sur les espèces et habitats protégés situés tant sur le site de la zone spéciale de conservation que hors des limites de cette zone ?

4)      En vertu de la [directive EIE], une déclaration d’incidences sur l’environnement doit-elle examiner explicitement le point de savoir si le projet proposé aura des incidences significatives sur les espèces identifiées dans la déclaration ?

5)      Une option que le maître d’ouvrage a envisagée et examinée dans l’évaluation des incidences sur l’environnement et/ou qui a été préconisée par certaines parties intéressées, et/ou qui a été envisagée par l’autorité compétente, constitue-t-elle une “solution principale de substitution” au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la [directive EIE], même si cette option a été rejetée à un stade précoce ?

6)      En vertu de la [directive EIE], l’évaluation des incidences sur l’environnement doit-elle contenir suffisamment d’informations sur les incidences environnementales de chaque alternative pour permettre une comparaison entre les avantages environnementaux des différentes alternatives et/ou la déclaration d’incidences sur l’environnement doit-elle indiquer explicitement de quelle manière les incidences environnementales des alternatives ont été prises en compte ?

7)      L’exigence visée à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la [directive EIE], imposant que les raisons du choix opéré par le maître d’ouvrage soient déterminées “eu égard aux incidences sur l’environnement”, s’applique‑t‑elle uniquement à l’option retenue ou également aux principales solutions de substitution examinées, de telle sorte qu’une analyse de ces options est nécessaire aux fins d’étudier leurs incidences sur l’environnement ?

8)      Est-il compatible avec la mise en œuvre des objectifs de la [directive “habitats”], que des détails relatifs à la phase de construction (tels que la localisation de l’enceinte et les routes de transport) puissent être déterminés dans le cadre d’une décision postérieure à l’autorisation et, dans l’affirmative, une autorité compétente peut-elle consentir à ce que, pour toute autorisation de projet accordée, ces détails soient déterminés dans le cadre d’une décision unilatérale du maître d’ouvrage, puis notifiés à l’autorité compétente et non approuvés par cette dernière ?

9)      En vertu de la [directive “habitats”], une autorité compétente est-elle tenue de faire état avec suffisamment de précision et de clarté pour dissiper tout doute quant au sens et aux effets de l’expertise scientifique qui lui est soumise, de la mesure dans laquelle cette expertise préconise l’obtention d’informations supplémentaires avant l’octroi de l’autorisation du projet ?

10)      La [directive “habitats”], impose-t-elle à l’autorité compétente de fournir une justification ou motivation détaillée lorsqu’elle rejette une conclusion de son inspecteur indiquant que des informations ou des études scientifiques supplémentaires sont nécessaires avant l’octroi de l’autorisation du projet ?

11)      La [directive “habitats”], impose-t-elle à une autorité compétente, lorsque celle-ci procède à une évaluation appropriée, de fournir une motivation explicite et détaillée pour chaque élément de sa décision ? »

16.      Les requérants au principal, l’Agence, l’Irlande, la République tchèque, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. La République tchèque n’a cependant pas participé à l’audience du 16 mai 2018.

IV.    En droit

17.      Nous répondrons ci-après d’abord aux questions relatives à la directive « habitats », puis à celles portant sur la directive EIE.

A.      Sur la directive « habitats »

18.      Les questions relatives à la directive « habitats » portent tout d’abord sur l’étendue de l’évaluation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de cette directive (1), ensuite sur les pouvoirs de décision qu’il est possible de déléguer, dans le cadre de la procédure d’autorisation d’un projet en application de cette disposition, au maître d’ouvrage (2) et, enfin, sur les exigences auxquelles doit satisfaire la motivation de la décision autorisant un projet (3).

1.      Sur les trois premières questions – étendue de l’évaluation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats »

19.      Les trois premières questions de la High Court (Haute Cour) portent sur l’étendue de l’évaluation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ». La juridiction de renvoi demande notamment si certaines informations doivent figurer dans une « Natura Impact Statement » (déclaration d’incidences Natura).

20.      La directive « habitats » n’impose cependant aucune méthode particulière pour la réalisation de cette évaluation (5) et encore moins des exigences spécifiques auxquelles devrait répondre la Natura Impact Statement prévue par le droit irlandais. Par ailleurs, l’Agence fait valoir que, outre ce document, diverses observations sont également soumises, qui doivent toutes être prises en considération dans le cadre de l’évaluation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».

21.      En réponse à ces questions, la Cour peut cependant préciser quelles sont les exigences auxquelles doit répondre une évaluation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».

a)      Sur la première question préjudicielle – indication de tous les habitats et espèces protégés

22.      Par la première question, la High Court (Haute Cour) souhaite savoir si, au cours de l’évaluation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », les habitats et espèces pour lesquels le site est répertorié doivent être identifiés dans leur totalité. Cette question s’explique par le fait que plusieurs espèces et types d’habitats, pour la protection desquels le site avait été déclaré d’importance communautaire, ne sont pas mentionnés dans les documents d’évaluation.

23.      Nous démontrerons ci-après que l’évaluation doit exclure de façon univoque toute atteinte significative à tout type d’habitat et toute espèce protégés sur le site concerné, mais qu’elle peut le faire de façon implicite.

24.      L’article 6 de la directive « habitats » impose aux États membres une série d’obligations et procédures spécifiques visant à assurer, ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 2, de cette directive, le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable des habitats naturels et, en particulier, des zones spéciales de conservation (6).

25.      À cette fin, l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » prévoit une procédure d’évaluation visant à garantir, à l’aide d’un contrôle préalable, qu’un plan ou un projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site concerné, mais susceptible d’affecter ce dernier de manière significative, ne soit autorisé que pour autant qu’il ne portera (effectivement) pas atteinte à l’intégrité de ce site (7).

26.      En application de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats », ce type de plan ou projet doit faire l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site au regard des objectifs de conservation de celui-ci, lorsqu’il ne peut être exclu, sur la base d’éléments objectifs, qu’il affecte ledit site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans ou projets (8). À cette fin, il faut identifier, compte tenu des meilleures connaissances scientifiques en la matière, tous les aspects du plan ou du projet en cause pouvant affecter les objectifs de conservation de ce site (9). Cette appréciation doit être effectuée notamment à la lumière des caractéristiques et des conditions environnementales spécifiques du site concerné par un tel plan ou projet (10).

27.      Lorsqu’un plan ou un projet risque de compromettre les objectifs de conservation du site, il doit être considéré comme susceptible d’affecter ce site de manière significative (11). Le fait de ne pas porter atteinte à l’intégrité d’un site en tant qu’habitat naturel, au sens de l’article 6, paragraphe 3, deuxième phrase, de la directive « habitats », suppose de le préserver dans un état de conservation favorable. À cette fin, il faut maintenir durablement les caractéristiques constitutives du site concerné, liées à la présence d’un type d’habitat naturel dont l’objectif de préservation a justifié la désignation de ce site dans la liste des sites d’importance communautaire, au sens de cette directive (12). Il doit en aller de même, mutatis mutandis, en ce qui concerne les espèces protégées.

28.      Comme la République tchèque l’expose très justement, il n’y a en principe pas lieu d’examiner les incidences sur certains types d’habitats et espèces inscrits aux annexes I et II de la directive « habitats », ainsi que celles sur des oiseaux migrateurs et oiseaux inscrits à l’annexe I de la directive « oiseaux » qui, bien qu’ils soient présents sur le site en cause, ne sont pas couverts par les objectifs de conservation. Il n’en va cependant ainsi que si leur présence est si faible qu’il n’est pas nécessaire de compléter les objectifs de conservation du site pour les y inclure.

29.      Enfin, l’évaluation effectuée au titre de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats » ne saurait comporter des lacunes. Elle doit contenir des constatations et des conclusions complètes, précises et définitives, de nature à dissiper tout doute scientifique raisonnable quant aux effets des travaux qui sont envisagés sur le site protégé concerné (13). De plus, une évaluation ne saurait être considérée comme « appropriée », au sens de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats », lorsque manquent des données actualisées concernant les habitats et les espèces protégés (14).

30.      L’évaluation doit dès lors faire apparaître sans la moindre ambiguïté pour quelles raisons les types d’habitats et espèces protégés ne sont pas affectés. Dans certains cas, il peut suffire pour cela de constater que seuls certains types d’habitats et espèces protégés sont présents sur les surfaces concernées, c’est‑à‑dire que d’autres types d’habitats et espèces protégés sur le site n’y sont pas présents. L’évaluation doit cependant également montrer que les travaux sur les surfaces concernées ne peuvent pas comporter d’effets préjudiciables pour ces autres types d’habitats et espèces dans la mesure où ils sont présents sur d’autres parties du site.

31.      En revanche, le fait de garder le silence au sujet de certains types d’habitats ou espèces ne constituera pas, en règle générale, des constatations et des conclusions complètes, précises et définitives, de nature à dissiper tout doute scientifique raisonnable quant aux effets des travaux en cause.

32.      Il convient dès lors de répondre à la première question que, si l’évaluation au titre de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » ne doit pas identifier explicitement dans leur totalité les habitats et les espèces pour lesquels le site a été répertorié en tant que site d’importance communautaire ou est protégé en tant que zone spéciale de conservation en vertu de la directive « oiseaux », elle doit à tout le moins contenir implicitement des constatations et des conclusions complètes, précises et définitives, de nature à dissiper tout doute scientifique raisonnable quant aux effets des travaux en cause sur les types d’habitats et espèces protégés.

b)      Sur la deuxième question préjudicielle – prise en compte d’autres types d’habitats et espèces

33.      Par la deuxième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si la directive « habitats » exige que, dans le cadre d’une évaluation au titre de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », soient identifiées et examinées les éventuelles incidences sur toutes les espèces (et non pas uniquement sur les espèces protégées) qui contribuent à l’habitat protégé et en font partie.

34.      Il est important de rappeler que ce sont les objectifs de conservation du site concerné, c’est-à-dire en premier lieu les espèces et types d’habitats protégés, qui déterminent les exigences auxquelles doit répondre cette évaluation (15). Cependant, il peut être nécessaire d’inclure des incidences négatives sur d’autres espèces et habitats dans l’évaluation.

35.      Les autres espèces sont en tout cas d’importance pour l’évaluation dans la mesure où elles font partie d’habitats protégés. Ainsi que les requérants au principal le font observer, cela est inscrit dans la définition de l’état de conservation d’un habitat naturel figurant à l’article 1er, sous e), de la directive « habitats ». Cette définition inclut expressément les espèces typiques de l’habitat concerné. Si ces espèces sont affectées sur les surfaces occupées par cet habitat, alors l’habitat en souffre lui aussi.

36.      La directive « habitats » ne fait qu’esquisser une définition des espèces typiques d’un habitat donné ; en effet, ces espèces ressortent en partie de la dénomination des différents types d’habitats, dénomination qui fait souvent référence à une ou plusieurs espèces végétales déterminées. Ainsi, le nom du type d’habitat prioritaire « forêts alluviales à Alnus glutinosa et Fraxinus excelsior (Alno-Padion, Alnion incanae, Salicion albae) » (code Natura 2000 : 91E0*), présent dans la future SAC, mentionne déjà l’aulne glutineux (Alnus glutinosa) et le frêne commun (Fraxinus excelsior), ainsi que le merisier à grappe (Prunus padus), l’aulne blanc (Alnus incana) et le saule commun (Salix alba).

37.      L’étude et le débat scientifiques sur les différents types d’habitats devraient permettre d’identifier d’autres espèces typiques. Le manuel d’interprétation de la Commission concernant les types d’habitats figurant à l’annexe I de la directive « habitats » (16) fournit à cet égard des indications précieuses, même s’il est bien entendu dépourvu d’effet contraignant sur le plan juridique.

38.      Pour le type d’habitat 91E0*, ce manuel, outre les espèces d’arbres qui ressortent déjà de la dénomination de l’habitat, mentionne le peuplier noir (Populus nigra), le saule fragile (Salix fragilis), le bouleau pubescent (Betula pubescens) et l’orme de montagne (Ulmus glabra), ainsi que presque vingt espèces de la strate herbacée.

39.      Les espèces typiques d’un habitat protégé ne se limitent cependant pas aux espèces végétales. Ainsi, pour le type d’habitat « estuaires » (code Natura 2000 : 1130), qui est également présent dans la future SAC, mais ne sera probablement pas touché par le projet en cause, le manuel d’interprétation de la Commission mentionne des communautés d’espèces benthiques invertébrées (des mollusques ou gastéropodes, par exemple, ainsi qu’un grand nombre d’autres espèces animales de petite taille), ainsi que le fait que ce type d’habitat comprend d’importantes aires d’alimentation pour un grand nombre d’oiseaux (17).

40.      Par ailleurs, des espèces et habitats qui ne sont pas expressément protégés peuvent également être d’une importance essentielle pour la conservation des types d’habitats et espèces protégés. Le gouvernement tchèque mentionne ainsi, très justement, leur importance pour l’alimentation des espèces protégées, mais ils peuvent aussi avoir encore d’autres fonctions dans le cycle de vie des espèces protégées.

41.      Il est reconnu que certains habitats peuvent avoir une grande importance pour la reproduction de certaines espèces. Ainsi, la continuité des fleuves, rivières et ruisseaux est une condition préalable pour que des poissons migrateurs tels que le saumon (Salmo salar) atteignent leurs zones de frai.

42.      De plus, certaines espèces protégées dépendent au cours de leur cycle de vie d’autres espèces bien précises. Ainsi, la larve de la moule perlière d’eau douce européenne (Margaritifera margaritifera) et la larve de la moule perlière d’eau douce endémique dans la rivière Nore (Margaritifera durrovensis), qui sont toutes deux présentes dans la future SAC en cause, vivent pendant un certain temps comme parasites dans les branchies de la truite fario (Salmo trutta fario) ou du saumon (18).

43.      Bien entendu, cela ne signifie pas que des incidences négatives sur les espèces typiques des types d’habitats protégés et sur les autres espèces et habitats pertinents doivent nécessairement être considérées comme portant atteinte aux objectifs de conservation du site, ce qui fait obstacle à l’approbation du plan ou du projet. Une atteinte auxdites espèces ne fait obstacle au projet que s’il existe un doute scientifique raisonnable sur le fait qu’elle ne nuira pas à l’état de conservation des types d’habitats et espèces protégés sur le site concerné.

44.      Par conséquent, l’évaluation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » prend en compte de manière appropriée les incidences sur les objectifs de conservation du site uniquement si elle inclut les incidences négatives sur les espèces typiques des types d’habitats protégés ainsi que sur les autres espèces et habitats, dans la mesure où ceux-ci sont nécessaires à la conservation des types d’habitats et espèces protégés.

c)      Sur la troisième question préjudicielle – prise en compte des habitats et des espèces hors des zones de conservation concernées

45.      Par la troisième question, la High Court (Haute Cour) souhaite savoir si une évaluation en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » doit examiner explicitement l’incidence du projet proposé sur les espèces et habitats protégés situés tant sur le site de la zone spéciale de conservation que hors des limites de cette zone.

46.      Dans ce contexte, les requérants au principal invoquent à juste titre l’article 2, paragraphe 3, de la directive « habitats ». Aux termes de cette disposition, les mesures prises en vertu de ladite directive tiennent compte, entre autres, des particularités régionales et locales. Pour l’examen des éventuelles atteintes portées au site, cela signifie qu’il n’est pas possible de les examiner en faisant abstraction des alentours du site et des particularités qui peuvent y être constatées.

47.      La Cour a également déjà dit pour droit que les activités en dehors du site protégé, qui sont à l’origine d’une atteinte à l’intérieur du site en question, doivent également être examinées en application de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » (19). L’arrêt concernant la centrale de Moorburg présente à cet égard un intérêt particulier pour la présente affaire. Était alors en cause le fait que le système de refroidissement de la centrale risquait d’entraîner la mort de poissons et d’affecter la reproduction de ces derniers, que des zones de conservation créées en amont visaient précisément à protéger. Dès lors qu’il existait un risque que la centrale n’entraîne une diminution du nombre des poissons susceptibles d’atteindre les zones de conservation, le projet de centrale portait atteinte à l’intégrité desdites zones de conservation.

48.      L’atteinte portée à des espèces en dehors de la future SAC ou de la SPA est par conséquent pertinente lors de l’évaluation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » si ces espèces sont protégées directement ou en tant qu’espèces typiques d’un habitat protégé ou si elles sont d’une autre manière nécessaires à la conservation d’habitats ou d’espèces protégés.

49.      En outre, des atteintes portées à des habitats en dehors des sites protégés peuvent également avoir de l’importance. Il en va notamment ainsi si une zone de conservation protège certaines espèces, mais ne comprend pas tous les habitats utilisés par ces espèces. Dans ce cas, la détérioration de ces habitats à l’extérieur des sites protégés peut affecter les populations d’espèces protégées sur les sites en question.

50.      Nous ne pouvons pas non plus exclure que, d’un point de vue scientifique, il soit possible d’identifier certaines interactions en conséquence desquelles une atteinte à un habitat en dehors d’une zone spéciale de conservation affecte non seulement des espèces, mais aussi des habitats à l’intérieur du site.

51.      Le point de savoir si les habitats situés en dehors de la zone spéciale de conservation sont des types d’habitats figurant à l’annexe I de la directive « habitats » est en revanche à l’évidence sans importance. En effet, ces habitats sont, par principe, uniquement protégés dans les zones de conservation.

52.      L’évaluation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » doit par conséquent également inclure des atteintes portées aux espèces ou aux habitats en dehors des zones de conservation si ces atteintes sont susceptibles d’avoir des incidences négatives sur les objectifs de conservation desdites zones.

2.      Sur la huitième question préjudicielle – pouvoirs de décision du maître d’ouvrage

53.      La huitième question vise à savoir s’il est compatible avec la directive « habitats » que des détails relatifs à la phase de construction (tels que l’emplacement du complexe et le tracé) puissent être déterminés dans le cadre d’une décision postérieure à l’autorisation et, dans l’affirmative, si l’autorité compétente peut consentir à ce que, pour toute autorisation de projet accordée, ces détails soient déterminés dans le cadre d’une décision unilatérale du maître d’ouvrage (en l’espèce le conseil du comté de Kilkenny), laquelle doit être notifiée à l’autorité compétente (c’est-à-dire l’Agence), mais n’est pas soumise à l’approbation de cette dernière.

54.      Aux termes de l’article 6, paragraphe 3, deuxième phrase, de la directive « habitats », les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur le plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné.

55.      Pour cette raison, l’évaluation effectuée au titre de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats » ne saurait comporter des lacunes. Elle doit contenir des constatations et des conclusions complètes, précises et définitives, de nature à dissiper tout doute scientifique raisonnable quant aux effets des travaux qui sont envisagés sur le site protégé concerné (20).

56.      Par conséquent seules peuvent être laissées au maître d’ouvrage des décisions à propos desquelles il n’existe aucun doute scientifique raisonnable que leurs effets n’affecteront pas le site.

57.      Il est possible d’éliminer tout doute de ce type en assortissant l’autorisation de conditions suffisamment précises qui encadrent ces décisions de manière que ces dernières ne puissent pas porter atteinte à l’intégrité du site.

58.      C’est au juge national qu’il appartiendra de vérifier au regard des circonstances concrètes du projet en cause si ces exigences sont en l’occurrence satisfaites.

59.      Dans l’hypothèse où il ne serait pas encore possible, lors de l’approbation de principe du plan ou du projet, de procéder à un examen complet des conditions concernant les détails relatifs à la phase de construction, il faudrait – comme le gouvernement tchèque l’a fait observer – mettre en œuvre une procédure d’évaluation et d’approbation en plusieurs étapes. Cette façon de procéder est bien connue en matière d’évaluation des incidences sur l’environnement (21).

60.      Il convient dès lors de répondre à la huitième question préjudicielle que des détails relatifs à la phase de construction peuvent être déterminés par décision unilatérale du maître d’ouvrage postérieurement à l’approbation du projet en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » uniquement si tout doute scientifique raisonnable est exclu sur le point de savoir que les effets de ces décisions ne porteront pas atteinte à l’intégrité du site.

3.      Sur les neuvième à onzième questions préjudicielles – motivation des décisions de l’autorité compétente

61.      Par les neuvième à onzième questions, la juridiction de renvoi souhaite en savoir plus sur les exigences auxquelles doit satisfaire la motivation d’une décision en vertu de l’article 6, paragraphe 3, deuxième phrase, de la directive « habitats », en particulier sur le point de savoir si l’autorité compétente doit expressément dissiper certains doutes quant au caractère suffisant des informations disponibles.

62.      Du point de vue du droit de l’Union, il est possible de se méprendre sur le sens de ces questions ; en effet, la motivation exigée à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit uniquement faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (22). Là n’est cependant pas la question.

63.      Le litige au principal porte au contraire sur le point de savoir si la motivation fournie suffit à justifier la décision de l’Agence. En effet, les parties le reconnaissent unanimement, en application de l’article 6, paragraphe 3, deuxième phrase, de la directive « habitats », un plan ou un projet ne peut être approuvé que si l’évaluation contient des constatations et des conclusions complètes, précises et définitives, de nature à dissiper tout doute scientifique raisonnable quant aux effets des travaux qui sont envisagés sur le site protégé concerné (23). Cette évaluation doit donc, dans son ensemble, exposer de façon suffisamment détaillée et claire pourquoi tout doute scientifique raisonnable est exclu.

64.      L’Irlande fait dans ce contexte une comparaison pertinente avec la jurisprudence relative à la directive EIE, selon laquelle il n’est pas exigé que les décisions adoptées en application de cette directive contiennent elle-même les raisons pour lesquelles elles ont été prises, mais, dans l’hypothèse où une personne intéressée le demande, l’autorité administrative compétente a l’obligation de lui communiquer lesdites raisons ou les informations et les documents pertinents en réponse à la demande présentée (24).

65.      Cela vaut également pour les décisions prises sur le fondement de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », dans la mesure où cette disposition ne prévoit aucune forme particulière en ce qui concerne l’accord des autorités sur le projet, mais se borne à exiger une évaluation appropriée. Il est dès lors possible de renvoyer aux documents qui matérialisent l’évaluation des incidences au lieu de motiver la décision en détail. Il faut toutefois souligner que cette façon de procéder ne doit pas avoir pour effet de porter atteinte à la protection effective des droits conférés aux intéressés par le droit de l’Union (25).

66.      Sur cette base, il est relativement aisé de répondre aux différentes questions.

a)      Sur la neuvième question préjudicielle – explication d’une expertise scientifique

67.      La neuvième question vise à savoir si l’autorité compétente est tenue de faire état, avec suffisamment de précision et de clarté pour dissiper tout doute quant au sens et aux effets de l’expertise scientifique qui lui est soumise, de la mesure dans laquelle cette expertise préconise l’obtention d’informations supplémentaires avant l’octroi de l’autorisation du projet.

68.      L’existence d’une telle obligation dépend en substance du niveau de clarté du contenu de l’expertise concernée. Si cette expertise exclut déjà elle-même de façon suffisamment claire tout doute scientifique raisonnable, l’autorité n’est pas tenue de fournir d’autres explications.

69.      En revanche, si l’expertise n’élimine pas elle-même tous les doutes avec la clarté nécessaire, l’autorité ne peut marquer son accord sur le projet qu’à condition de fournir des informations supplémentaires permettant d’éliminer les doutes qui subsistent.

b)      Sur la dixième question préjudicielle – motivation du rejet d’une conclusion de l’inspecteur

70.      La dixième question concerne l’hypothèse où l’autorité compétente ne suit pas une conclusion de son inspecteur.

71.      Une nouvelle fois, c’est l’exclusion de tout doute scientifique raisonnable qui sert de critère à la nécessité de fournir des informations complémentaires. Si la conclusion de l’inspecteur fait naître de tels doutes, l’autorité ne peut marquer son accord sur le projet qu’à condition de fournir des informations complémentaires qui dissipent ces doutes.

72.      Contrairement à ce que soutiennent l’Agence et l’Irlande, le rapport entre l’inspecteur et l’autorité est à cet égard sans importance. L’élément décisif est, au contraire, le point de savoir si les conclusions de l’inspecteur font naître des doutes scientifiques raisonnables quant au bien-fondé de la décision de l’autorité.

c)      Sur la onzième question préjudicielle – motivation de tous les éléments d’une décision

73.      La onzième question, enfin, vise à généraliser les enseignements tirés concernant l’obligation de motivation et à savoir si l’autorité doit fournir une motivation explicite et détaillée pour chaque élément de sa décision.

74.      La règle est, une nouvelle fois, que l’autorité compétente doit motiver à tout le moins les éléments de sa décision susceptibles de faire naître un doute scientifique raisonnable de façon suffisamment explicite et détaillée pour dissiper ce doute.

75.      Concernant l’argument avancé par l’Agence à cet égard, selon lequel sa décision repose non pas uniquement sur la « Natura Impact Statement », mais aussi sur un grand nombre d’autres informations, il convient d’observer que la motivation de la décision doit montrer clairement sur lesquelles de ces informations elle s’appuie. Si les indications fournies sont contradictoires, la motivation doit éliminer les contradictions de sorte à exclure tout doute scientifique raisonnable quant au bien-fondé de la décision.

d)      Réponse aux neuvième à onzième questions préjudicielles

76.      Il convient par conséquent de répondre aux neuvième à onzième questions que l’autorité compétente est tenue de motiver les éléments de sa décision d’autoriser un projet en application de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », qui sont susceptibles de faire naître un doute scientifique raisonnable sur le point de savoir que les effets de ce projet ne porteront pas atteinte à l’intégrité du site, de façon suffisamment explicite et détaillée pour dissiper ce doute. Il en va tout spécialement ainsi lorsque ce doute résulte des conclusions d’un inspecteur. L’autorité peut motiver sa décision en renvoyant à une expertise scientifique, mais celle-ci doit elle aussi être propre à exclure tout doute scientifique raisonnable.

B.      Sur la directive EIE

77.      En ce qui concerne les questions préjudicielles relatives à la directive EIE, il convient de déterminer tout d’abord la version applicable ratione temporis de celle-ci. La décision de renvoi se réfère en effet à plusieurs reprises à la directive EIE telle que modifiée ; en vertu de l’article 3 de la directive 2014/52/UE (26), les modifications apportées par cette dernière à la directive EIE sont toutefois uniquement d’application à des projets concernant lesquels certains actes procéduraux ont été accomplis après le 16 mai 2017. Or, l’autorisation en cause au principal a été octroyée le 11 juillet 2014 et – comme le reconnaissent la juridiction de renvoi et les parties – reste dès lors soumise aux exigences de la directive EIE dans sa version initiale.

78.      Sur cette base, nous répondrons d’abord à la question relative aux informations sur les incidences sur certaines espèces avant de nous pencher sur la question de l’examen des solutions de substitution.

1.      Sur la quatrième question préjudicielle – examen des incidences sur les espèces dans le cadre de l’évaluation des incidences sur l’environnement

79.      La quatrième question porte sur l’examen des incidences sur l’environnement lors de l’évaluation des incidences. Elle vise à savoir si une déclaration d’incidences sur l’environnement doit examiner explicitement le point de savoir quelles incidences significatives le projet proposé aura sur les espèces identifiées dans la déclaration.

80.      L’Agence met en doute la pertinence de cette question pour la procédure nationale, au motif que cette question ne fait pas partie de celles au sujet desquelles les requérants au principal ont été autorisés à introduire un recours. Toutefois, selon une jurisprudence constante (27), les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées. Au regard de ces critères, la quatrième question préjudicielle est recevable.

81.      La déclaration d’incidences sur l’environnement visée dans la quatrième question est une notion de droit irlandais qu’il n’appartient pas à la Cour d’interpréter. Selon les déclarations de l’Agence concernant l’article 50, paragraphe 2, du Roads Act (loi sur les routes), elle comporte cependant en substance les informations que le maître d’ouvrage doit, conformément à l’article 5, paragraphe 3, de la directive EIE, fournir dans le cadre de sa demande d’autorisation.

82.      Nous comprenons cette question dès lors en ce sens qu’elle tend à savoir si l’article 5, paragraphe 3, de la directive EIE exige que le maître d’ouvrage fournisse les informations visées dans la question. Aux termes de l’article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive EIE, les informations à fournir par le maître d’ouvrage comportent au minimum, entre autres, les données nécessaires pour identifier et évaluer les effets principaux que le projet est susceptible d’avoir sur l’environnement.

83.      Les éléments environnementaux à examiner sont précisés à l’article 5, paragraphe 1, et à l’annexe IV, point 3, de la directive EIE. En vertu de ces dispositions, le maître d’ouvrage doit fournir une description des éléments de l’environnement susceptibles d’être affectés de manière notable par le projet proposé, ce qui inclut notamment la faune et la flore. Cela répond à l’objectif de l’évaluation des incidences sur l’environnement énoncé à l’article 3, sous a), de la directive EIE, qui est d’identifier, décrire et évaluer les incidences directes et indirectes du projet sur la faune et la flore.

84.      La faune et la flore étant constituées des différentes espèces présentes sur le site, le maître d’ouvrage doit fournir des informations concernant les effets sur certaines espèces. Cette obligation ne couvre pas à toutes les incidences sur toutes les espèces existantes, mais seulement les effets principaux. Le fait que, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive EIE, le maître d’ouvrage doit uniquement fournir les informations appropriées et que l’on peut raisonnablement exiger de lui, vient au demeurant confirmer cette restriction aux effets principaux.

85.      La notion d’« effets principaux » doit être interprétée à la lumière de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 2, paragraphe 1, de la directive EIE, aux termes desquels les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement doivent être soumis à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences. Des incidences qui ne sont pas susceptibles d’être notables ne sont, en revanche, pas des effets principaux au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la directive EIE.

86.      Différents aspects peuvent être déterminants pour savoir quelles incidences sont à considérer comme notables. Des éléments d’orientation essentiels ressortent de la réglementation protégeant les éléments environnementaux concernés.

87.      Ainsi, d’éventuelles incidences sur des espèces qui sont protégées, par exemple par la directive « habitats » – ou par le droit national –, sont en règle générale à considérer comme notables (28) et le maître d’ouvrage doit par conséquent fournir des informations à leur sujet, même si ce ne sont chaque fois que quelques spécimens isolés qui sont affectés.

88.      En revanche, si seuls sont affectés des spécimens isolés d’espèces communes qui ne font l’objet d’aucune protection particulière, il ne s’agira normalement pas d’effets principaux sur lesquels le maître d’ouvrage doit fournir des informations.

89.      Il peut arriver que les circonstances concrètes du cas d’espèce imposent une autre conclusion concernant les éventuels effets principaux. Ainsi, une atteinte affectant un seul spécimen d’une espèce commune peut être notable s’il s’agit d’un spécimen extraordinaire, par exemple un arbre d’un âge exceptionnel.

90.      Cela signifie que, pour pouvoir remettre en cause une autorisation par la voie judiciaire, au motif d’une violation de l’article 5, paragraphe 3, de la directive EIE, le requérant doit exposer quelles sont les incidences notables possibles du projet que le maître d’ouvrage n’a pas suffisamment étudiées et examinées. Le seul fait que certaines espèces soient mentionnées, sans être examinées plus en détail, n’est à cet égard pas suffisant. En fonction des espèces concernées, il peut cependant être relativement aisé d’expliquer pourquoi les éventuelles incidences peuvent être notables.

91.      En résumé, il convient de répondre à la quatrième question que, en application de l’article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive EIE, le maître d’ouvrage doit fournir les informations nécessaires pour identifier et évaluer les incidences notables que le projet est susceptible d’avoir sur la faune et la flore. Ces informations comprennent notamment les incidences sur les espèces protégées, ainsi que sur les espèces dont les populations affectées sont pour d’autres raisons d’une importance particulière.

2.      Sur les cinquième à septième questions préjudicielles – examen des solutions de substitution dans le cadre de l’évaluation des incidences sur l’environnement

92.      Les cinquième à septième questions concernent les informations à fournir par le maître d’ouvrage sur des solutions de substitution au projet en cause. En effet, dans l’affaire au principal, la question avait été examinée, aux tout début de la conception du projet, de savoir si la route de contournement pourrait « enjamber » la zone inondable au moyen d’un pont. Cette option a cependant été écartée pour des raisons de coût. Les questions posées par la High Court (Haute Cour) visent à savoir si le maître d’ouvrage doit néanmoins fournir des informations sur les incidences de cette variante du projet routier sur l’environnement.

a)      Sur la cinquième question préjudicielle – les principales solutions de substitution

93.      La cinquième question vise à savoir si une alternative est à considérer comme l’une des « principales solutions de substitution » au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive EIE même dans le cas où le maître d’ouvrage l’a écartée au tout début de la conception du projet.

94.      C’est l’influence de ces solutions de substitution sur les incidences du projet sur l’environnement, ou sur son absence d’incidences, qui devrait être déterminante pour savoir quelles solutions de substitution sont à considérer comme « principales ». En effet, aux termes de son article 3, la directive EIE a pour objectif que les incidences des projets sur l’environnement soient identifiées, décrites et évaluées. La présentation de solutions de substitution a donc un intérêt surtout dans la mesure où elles pourraient influencer les incidences du projet sur l’environnement.

95.      Vu sous cet angle, le moment auquel une solution de substitution est rejetée est sans importance, mais il peut, indirectement, influer sur la portée de la motivation à fournir, qui fait l’objet des sixième et septième questions.

96.      Par conséquent, sont « principales » au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive EIE des solutions de substitution qui pourraient avoir une influence significative sur les incidences du projet sur l’environnement.

b)      Sur le rattachement à l’examen effectué par le maître d’ouvrage

97.      Bien que la décision de renvoi ne contienne pas de question à ce sujet, il convient, avant d’aborder les sixième et septième questions, de se pencher sur le fait que l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive EIE exige uniquement des informations sur les solutions de substitution qui ont été examinées par le maître d’ouvrage. La juridiction de renvoi part effectivement du principe que le maître d’ouvrage a « examiné » cette variante de la route de contournement. La décision de principe du législateur de l’Union de rattacher l’évaluation à l’examen effectué par le maître d’ouvrage est cependant également d’importance en ce qui concerne les informations que le maître d’ouvrage fournit sur les solutions de substitution qu’il a examinées.

98.      Compte tenu de l’objectif de garantir un niveau de protection élevé poursuivi par la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement, inscrit à l’article 191, paragraphe 2, TFUE ainsi qu’à l’article 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et des principes de précaution et d’action préventive, également inscrits à l’article 191, paragraphe 2, TFUE, il semble souhaitable que les alternatives à un projet soient examinées de la façon la plus complète possible. Cela permettrait de choisir la variante du projet qui en limite les incidences négatives sur l’environnement à un minimum.

99.      Conformément à cette logique, le rapport d’évaluation stratégique des incidences sur l’environnement des plans et programmes, à établir conformément à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/42/CE (29), inclut les solutions de substitution raisonnables.

100. À l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive EIE, le législateur de l’Union a cependant opté pour une autre approche. En vertu de cette disposition, les informations à fournir par le maître d’ouvrage comportent au minimum une esquisse des principales solutions de substitution qui ont été examinées par le maître d’ouvrage et une indication des principales raisons de son choix, eu égard aux incidences sur l’environnement. L’annexe IV, point 2, de la directive EIE reprend cette même règle.

–       Sur la genèse de la législation

101. Ainsi que l’exposent la juridiction de renvoi, l’Agence et l’Irlande, cette décision du législateur ressort clairement de la genèse de la directive 97/11/CE (30). En effet, tant la Commission (31) que le Parlement européen (32) avaient proposé de faire peser sur le maître d’ouvrage l’obligation de fournir une description des principales solutions de substitution envisageables. Ils n’ont cependant pas réussi à s’imposer.

102. En outre, la Commission avait déjà proposé en 1980 une description des solutions de substitution raisonnablement envisageables (33) et le Conseil a même limité l’obligation imposée au maître d’ouvrage à la formulation qui figure toujours dans la directive EIE actuellement en vigueur (34).

103. Malgré des propositions de la Commission (35) et du Parlement (36) qui allaient plus loin, les dernières modifications, non encore applicables, apportées à la directive EIE par la directive 2014/52, continuent d’exiger, au nouvel article 5, paragraphe 1, sous d), de la directive EIE, uniquement une description des solutions de substitution raisonnables qui ont été examinées par le maître d’ouvrage.

104. La genèse et l’évolution de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive EIE confirment ainsi la conclusion que l’on peut déjà tirer de son libellé, à savoir que le maître d’ouvrage doit uniquement fournir des informations sur les solutions de substitution qu’il a examinées, mais non sur des solutions de substitution qui seraient peut-être judicieuses, mais sur lesquelles il ne s’est pas arrêté.

–       Sur la convention d’Espoo

105. La convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière, signée à Espoo le 25 février 1991 (37), mentionnée dans la décision de renvoi, impose des obligations plus étendues d’examiner des solutions de remplacement, indépendamment des exigences de fond du projet. En effet, en application de l’article 4, paragraphe 1, et de l’annexe II, sous b) et c), de la convention d’Espoo, une description des solutions de remplacement qui peuvent être raisonnablement envisagées ainsi que de leur impact sur l’environnement doit être fournie.

106. Toutefois, l’article 2, paragraphe 2, de la convention d’Espoo ne prévoit pas d’évaluation des incidences sur l’environnement pour tous les projets relevant de la directive EIE, mais uniquement pour certains projets susceptibles d’avoir un impact transfrontière préjudiciable important.

107. En vue d’une application uniforme, il serait certes souhaitable d’interpréter la directive EIE en harmonie avec la convention d’Espoo (38), étant donné que la directive vise à mettre en œuvre de larges parties de la convention (39). Par ailleurs, les compétences de l’Union doivent être exercées dans le respect du droit international ; par conséquent, le droit dérivé de l’Union doit par principe être interprété en harmonie avec les engagements internationaux de l’Union (40).

108. Eu égard à son libellé et à sa genèse, il n’est cependant pas possible d’interpréter l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive EIE en ce sens qu’un projet peut uniquement être approuvé si les solutions de substitution qui peuvent être raisonnablement envisagées ont également été décrites et leurs incidences sur l’environnement évaluées.

109. La juridiction de renvoi ne demande pas si, pour certains projets, la règle relative à l’examen des solutions de substitution énoncée par la convention d’Espoo doit être considérée comme étant d’application directe en complément de la directive EIE, étant donné que, eu égard aux termes, à l’objet et à la nature de la convention, elle comporte une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur (41). Toutefois, cette question ne serait, en fin de compte, probablement pas pertinente pour l’issue du litige, dès lors que, selon toute apparence, le projet en cause ne relève pas du champ d’application de ladite convention. Il n’y a donc pas lieu que la Cour se prononce sur ce point.

–       Appréciation de ce régime au regard de l’économie et des objectifs de la directive EIE

110. À première vue, il semble peu satisfaisant que l’examen des solutions de substitution dans le cadre de l’évaluation des incidences sur l’environnement dépende de façon déterminante du maître d’ouvrage. Ce régime est cependant conforme – à tout le moins dans son principe – à la nature de la directive EIE, qui est avant tout de procédure.

111. En effet, il ne ressort pas de la directive EIE si et dans quelle mesure les raisons du choix du maître d’ouvrage, eu égard aux incidences sur l’environnement, doivent être prises en considération lors de la décision sur le projet, car cette directive n’énonce aucune exigence de fond à laquelle l’approbation du projet devrait satisfaire (42).

112. L’obligation « fondamentale » ou « essentielle » prévue à l’article 3 de la directive EIE, invoquée par les requérants au principal, qui impose non seulement d’identifier et de décrire les effets directs et indirects d’un projet sur certains facteurs, mais aussi de les évaluer de manière appropriée, en fonction de chaque cas particulier (43), n’a pas encore eu pour effet que le projet en question serait soumis à des exigences de fond.

113. En conséquence, le maître d’ouvrage ne peut être tenu d’envisager des solutions de substitution puis de les documenter que sur la base d’autres règles.

114. Une autorisation en vertu de l’article 6, paragraphe 4, de la directive « habitats » suppose ainsi l’absence de toute solution alternative. Dans l’affaire au principal, l’octroi d’une telle autorisation pourrait être envisagé dans l’hypothèse où il ne serait pas possible d’éliminer tout doute scientifique raisonnable sur le point de savoir que le projet ne porte pas atteinte à l’intégrité des zones de conservation concernées.

115. En outre, dans la présente affaire, la protection des espèces pourrait également imposer un examen de solutions de substitution. En effet, il ressort de la décision de renvoi que – probablement en raison de la présence de chauves-souris – la nécessité de déroger au système de protection stricte de l’article 12 de la directive « habitats » a été débattue (44). En vertu de l’article 16 de la directive « habitats », ce type de dérogation n’est possible que s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante.

116. Il est également possible que l’autorité compétente exige du maître d’ouvrage qu’il fournisse des informations sur des solutions de substitution, comme le prévoit le considérant 13 de la directive EIE. Cela devrait notamment être nécessaire lorsque la décision de l’autorité d’approuver, ou non, le projet implique l’exercice d’un pouvoir d’appréciation.

117. Enfin, le Royaume-Uni fait valoir à juste titre que l’examen des solutions de substitution dans le cadre de l’évaluation stratégique des incidences de plans et programmes sur l’environnement compense à tout le moins partiellement l’absence d’examen obligatoire des solutions de substitution dans le cadre de l’évaluation des incidences de projets sur l’environnement.

c)      Sur les sixième et septième questions préjudicielles – incidences des solutions de substitution sur l’environnement

118. Les sixième et septième questions visent à savoir quelles informations le maître d’ouvrage doit fournir en ce qui concerne les incidences de la solution de substitution sur l’environnement. Le principe même d’une obligation d’exposer certaines informations est l’objet de la septième question, alors que la sixième question concerne apparemment la portée de cet exposé.

119. Aux termes de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive EIE, les informations à fournir par le maître d’ouvrage comportent au minimum les principales raisons de son choix, eu égard aux incidences sur l’environnement.

120. Cette règle constitue une nouvelle manifestation du fait que, dans la logique de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive EIE, l’examen des différentes solutions possibles par le maître d’ouvrage occupe une place centrale. À tout le moins cette directive ne l’oblige pas de faire son choix en fonction des incidences des différentes solutions possibles sur l’environnement, ni même d’en tenir compte lors de sa décision. Son obligation se limite, au contraire, à divulguer les raisons de son choix, pour autant qu’elles aient trait aux incidences sur l’environnement.

121. Toutefois, si, comme cela semble être le cas dans l’affaire au principal, le choix n’est pas déterminé par les incidences sur l’environnement, mais par des considérations purement financières, alors le maître d’ouvrage ne devrait pas être tenu d’exposer les raisons qui sont intervenues dans son choix.

122. En particulier, l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive EIE n’impose pas l’obligation d’identifier, de décrire et d’évaluer les incidences de la solution de substitution sur l’environnement.

123. Toutefois, la situation sera différente si des exigences de fond découlant d’autres règles obligent le maître d’ouvrage à prendre les solutions alternatives en considération (45). Dans ce cas, il doit également les exposer en application de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive EIE et indiquer, pour autant qu’elles aient trait aux incidences sur l’environnement, les raisons qui justifient dans le cadre de ces autres règles d’opter pour la solution choisie.

124. En application de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive EIE, le maître d’ouvrage doit donc exposer les raisons qui sont intervenues dans le choix qu’il a opéré entre les différentes solutions possibles, pour autant qu’elles aient trait aux incidences du projet et des autres solutions possibles sur l’environnement.

V.      Conclusion

125. À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit à la demande de décision préjudicielle de la High Court (Haute Cour, Irlande) :

1)      Si l’évaluation au titre de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013, ne doit pas identifier explicitement la totalité des habitats et des espèces pour lesquels le site a été répertorié en tant que site d’importance communautaire ou est protégé en tant que zone spéciale de conservation en vertu de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages, telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013, elle doit à tout le moins contenir implicitement des constatations et des conclusions complètes, précises et définitives, de nature à dissiper tout doute scientifique raisonnable quant aux effets des travaux en cause sur les types d’habitats et les espèces protégés (première question).

2)      L’évaluation en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2013/17, prend en compte de manière appropriée les incidences sur les objectifs de conservation du site uniquement si elle inclut les incidences négatives sur les espèces typiques des types d’habitats protégés ainsi que sur les autres espèces et habitats, dans la mesure où ceux-ci sont nécessaires à la conservation des types d’habitats et des espèces protégés (deuxième question).

3)      L’évaluation en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2013/17, doit également inclure des atteintes aux espèces ou aux habitats en dehors des zones de conservation si ces atteintes sont susceptibles d’avoir des incidences négatives sur les objectifs de conservation desdites zones (troisième question).

4)      Des détails relatifs à la phase de construction peuvent être déterminés par décision unilatérale du maître d’ouvrage postérieurement à l’approbation du projet en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2013/17, uniquement si tout doute scientifique raisonnable est exclu sur le point de savoir que les effets de ces décisions ne porteront pas atteinte à l’intégrité du site (huitième question).

5)      L’autorité compétente est tenue de motiver les éléments de sa décision d’autoriser un projet en application de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2013/17, qui sont susceptibles de faire naître un doute scientifique raisonnable sur le point de savoir que les effets de ce projet ne porteront pas atteinte à l’intégrité du site, de façon suffisamment explicite et détaillée pour dissiper ce doute. Il en va tout spécialement ainsi lorsque ce doute résulte des conclusions d’un inspecteur. L’autorité peut motiver sa décision en renvoyant à une expertise scientifique, mais celle-ci doit elle aussi être propre à exclure tout doute scientifique raisonnable (neuvième, dixième et onzième questions).

6)      En application de l’article 5, paragraphe 3, sous c), de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, le maître d’ouvrage doit fournir les données nécessaires pour identifier et évaluer les incidences notables que le projet est susceptible d’avoir sur la flore et la faune (quatrième question).

7)      Sont « principales » au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2011/92 des solutions de substitution qui pourraient avoir une influence significative sur les incidences du projet sur l’environnement (cinquième question).

8)      En application de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2011/92, le maître d’ouvrage doit exposer les raisons qui sont intervenues dans le choix qu’il a opéré entre les différentes solutions possibles, pour autant qu’elles aient trait aux incidences du projet et des autres solutions possibles sur l’environnement (sixième et septième questions).


1      Langue originale : l’allemand.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1, ci-après la « directive EIE »).


3      Directive du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 193) (ci-après la « directive “habitats” »).


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17 (ci-après la « directive “oiseaux” »).


5      Arrêt du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging (C‑127/02, EU:C:2004:482, point 52).


6      Arrêts du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 31), ainsi que du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 106).


7      Arrêts du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging (C‑127/02, EU:C:2004:482, point 34), ainsi que du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 108).


8      Arrêts du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging (C‑127/02, EU:C:2004:482, point 45) ; du 13 décembre 2007, Commission/Irlande (C‑418/04, EU:C:2007:780, point 238) ; du 26 mai 2011, Commission/Belgique (C‑538/09, EU:C:2011:349, point 53), ainsi que du 12 avril 2018, People Over Wind et Sweetman (C‑323/17, EU:C:2018:244, point 34).


9      Arrêts du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 51) ; du 26 avril 2017, Commission/Allemagne (Moorburg) (C‑142/16, EU:C:2017:301, point 57), ainsi que du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 113).


10      Arrêts du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging (C‑127/02, EU:C:2004:482, point 49), ainsi que du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 112).


11      Arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, point 30), ainsi que du 15 mai 2014, Briels e.a. (C‑521/12, EU:C:2014:330, point 20).


12      Arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, point 39) ; du 15 mai 2014, Briels e.a. (C‑521/12, EU:C:2014:330, point 21) ; du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 47), ainsi que du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 116).


13      Arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, point 44) ; du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 50), ainsi que du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 114).


14      Arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 137).


15      Voir point 27 des présentes conclusions.


16      Commission européenne, direction générale de l’environnement, unité « Nature et biodiversité » (ENV B.3), Interpretation Manual of European Union Habitats – EUR 28, avril 2013, accessible à l’adresse http://ec.europa.eu/environment/nature/legislation/habitatsdirective/docs/Int_Manual_EU28.pdf, voir notamment p. 7.


17      Ibid., p. 11.


18      Araujo, R., et Ramos, A., Action plan for Margaritifera margaritifera in Europe, p. 13 [document du Conseil de l’Europe, T-PVS(2000)10revE, accessible à l’adresse https://rm.coe.int/168074690e].


19      Arrêts du 10 janvier 2006, Commission/Allemagne (C‑98/03, EU:C:2006:3, point 45), ainsi que du 26 avril 2017, Commission/Allemagne (Moorburg) (C‑142/16, EU:C:2017:301, points 29 à 31).


20      Arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, point 44) ; du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 50), ainsi que du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 114).


21      Arrêts du 7 janvier 2004, Wells (C‑201/02, EU:C:2004:12, points 52 et 53) ; du 28 février 2008, Abraham e.a. (C‑2/07, EU:C:2008:133, point 26), ainsi que du 17 mars 2011, Brussels Hoofdstedelijk Gewest e.a. (C‑275/09, EU:C:2011:154, point 33).


22      Voir, par exemple, arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks (C‑333/07, EU:C:2008:764, point 63), ainsi que du 5 mars 2015, Banco Privado Português et Massa Insolvente do Banco Privado Português (C‑667/13, EU:C:2015:151, point 44).


23      Arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, point 44) ; du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 50), ainsi que du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 114).


24      Arrêts du 30 avril 2009, Mellor (C‑75/08, EU:C:2009:279, point 61), ainsi que du 16 février 2012, Solvay e.a. (C‑182/10, EU:C:2012:82 point 64).


25      Arrêts du 30 avril 2009, Mellor (C‑75/08, EU:C:2009:279, point 59), ainsi que du 16 février 2012, Solvay e.a. (C‑182/10, EU:C:2012:82 point 59).


26      Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 modifiant la directive 2011/92 (JO 2014, L 124, p. 1).


27      Arrêt du 13 juin 2018, Deutscher Naturschutzring (C‑683/16, EU:C:2018:433, point 29).


28      Voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2011, Commission/Espagne (Alto Sil/ours brun) (C‑404/09, EU:C:2011:768, point 86).


29      Directive du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (JO 2001, L 197, p. 30).


30      Directive du Conseil du 3 mars 1997 modifiant la directive 85/337/CEE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 1997, L 73, p. 5).


31      Annexe, point 11, de la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 85/337 [JO 1994, C 130, p. 8 ; COM(93) 575 final, p. 23].


32      Amendement no 57 de l’avis du Parlement du 11 octobre 1995 (JO 1995, C 287, p. 83, p. 100).


33      Article 6, paragraphe 1, premier tiret, de la proposition de directive du Conseil concernant l’évaluation des incidences sur l’environnement de certains ouvrages publics et privés (JO 1980, C 169, p. 14).


34      Annexe III, point 2, de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 1985, L 175, p. 40).


35      Article 5, paragraphe 2, sous d), de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2011/92 [COM(2012) 628 final].


36      Rapport sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2011/92 (A7‑0277/2013, amendement no 57).


37      Ci-après la « convention d’Espoo » (JO 1992, C 104, p. 7). Aux termes du considérant 15 de la directive EIE, l’Union a ratifié cette convention le 24 juin 1997 par une décision non publiée du Conseil (voir proposition de première décision du Conseil, JO 1992, C 104, p. 5).


38      Voir arrêts du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie (C‑240/09, EU:C:2011:125, point 42), ainsi que du 15 mars 2018, North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy (C‑470/16, EU:C:2018:185, point 50).


39      Voir proposition de déclaration de la Communauté économique européenne, conformément à l’article 17, paragraphe 5, de la convention d’Espoo (Finlande) sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière, relative à l’étendue de ses compétences (JO 1992, C 104, p. 6), ainsi que considérant 15 de la directive EIE.


40      Arrêts du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation (C‑286/90, EU:C:1992:453, point 9), du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 291), ainsi que du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864, point 123).


41      Arrêts du 15 juillet 2004, Pêcheurs de l’étang de Berre (C‑213/03, EU:C:2004:464, point 39), ainsi que du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie (C‑240/09, EU:C:2011:125, point 44 et jurisprudence citée).


42      Arrêts du 13 décembre 2007, Commission/Irlande (C‑418/04, EU:C:2007:780, point 231), ainsi que du 14 mars 2013, Leth (C‑420/11, EU:C:2013:166, point 46).


43      Arrêt du 3 mars 2011, Commission/Irlande (C‑50/09, EU:C:2011:109, points 37, 38 et 41).


44      C’est cette disposition que citent les arrêts du 16 mars 2006, Commission/Grèce (C‑518/04, non publié, EU:C:2006:183, point 16), ainsi que du 11 janvier 2007, Commission/Irlande (C‑183/05, EU:C:2007:14, point 30), mentionnés dans l’ordonnance de renvoi à propos de la protection du site.


45      Voir points 113 à 116 des présentes conclusions.