Language of document : ECLI:EU:T:2001:150

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

7 juin 2001 (1)

«Code des douanes communautaire - Remise des droits à l'importation - Situation particulière - Fraude commise dans le cadre d'une opération de transit communautaire externe»

Dans l'affaire T-330/99,

Spedition Wilhelm Rotermund GmbH, en liquidation judiciaire, établie à Flensburg (Allemagne), représentée par Me A. Suhr, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J.- C. Schieferer, en qualité d'agent, assisté de Me M. Núñez-Müller, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 22 juillet 1999 (référence: REM 22/98) selon laquelle la remise de droits à l'importation sollicitée n'est pas justifiée,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. A. W. H. Meij, président, A. Potocki et J. Pirrung, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 22 février 2001,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

Régime du transit communautaire externe

1.
    En vertu des articles 37, 91 et 92 du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après le «code des douanes»), des marchandises non communautaires introduites dans la Communauté qui, au lieu d'être immédiatement soumises aux droits à l'importation, sont placées sous le régime du transit communautaire externe (ci-après le TCE) peuvent circuler, sous surveillance douanière, sur le territoire douanier communautaire et ne seront mises en libre pratique qu'au poste de douane de leur lieu de destination.

2.
    Le titulaire du régime du TCE est défini par le code des douanes comme étant le «principal obligé». À ce titre, il doit présenter les marchandises intactes au bureau de douane de destination, dans le délai prescrit, et respecter les dispositions dudit régime (article 96 du code des douanes). Ces obligations prennent fin au moment de la présentation en douane des marchandises et du document correspondant au bureau de destination (article 92 du code des douanes).

3.
    Selon les articles 341, 346, 348, 350, 356 et 358 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d'application du code des douanes (JO L 253, p. 1), tel que modifié (ci-après le «règlement d'application»),les marchandises en cause doivent, tout d'abord, être présentées au bureau de douane de départ accompagnées d'une déclaration T1. Le bureau de départ prescrit le délai dans lequel les marchandises doivent être présentées au bureau de destination, annote le document T1 en conséquence, conserve l'exemplaire qui lui est destiné et remet les autres exemplaires du document T1 au principal obligé. Le transport des marchandises s'effectue sous le couvert du document T1. Après la présentation des marchandises, le bureau de destination annote les exemplaires du document T1 qu'il reçoit, en fonction du contrôle effectué, et renvoie sans tarder un exemplaire de ce document au bureau de départ par l'intermédiaire d'un organisme central.

4.
    La surveillance douanière à laquelle les marchandises transportées sous le régime du TCE sont soumises prend fin lorsque les marchandises sont mises en libre pratique, notamment par le paiement des droits à l'importation (articles 37, paragraphe 2, et 79 du code des douanes). Si les marchandises sont soustraites à cette surveillance, cela fait naître immédiatement la dette douanière à l'importation (article 203, paragraphes 1 et 2, du code des douanes). Est débiteur de cette dette, outre la personne qui a soustrait la marchandise à la surveillance douanière, notamment, et à titre solidaire, la personne qui devait exécuter les obligations découlant de l'utilisation du régime douanier sous lequel cette marchandise a été placée (articles 203, paragraphe 3, et 213 du code des douanes), c'est-à-dire le principal obligé.

Remise des droits à l'importation

5.
    En ce qui concerne la possibilité d'une remise des droits à l'importation, l'article 239, paragraphe 1, du code des douanes énonce:

«Il peut être procédé [...] à la remise des droits à l'importation [...] dans des situations [...] qui résultent de circonstances n'impliquant ni manoeuvre ni négligence manifeste de la part de l'intéressé. Les situations dans lesquelles il peut être fait application de cette disposition ainsi que les modalités de procédure à suivre à cette fin sont définies selon la procédure du comité.»

6.
    Les situations visées à l'article précité sont définies et régies par les articles 899 à 909 du règlement d'application.

7.
    L'article 905, paragraphe 1, du règlement d'application dispose:

«Lorsque l'autorité douanière de décision, saisie de la demande [...] de remise au titre de l'article 239, paragraphe 2, du code, n'est pas en mesure, sur la base de l'article 899, de décider et que la demande est assortie de justifications susceptibles de constituer une situation particulière qui résulte de circonstances n'impliquant ni manoeuvre ni négligence manifeste de la part de l'intéressé, l'État membre dont relève cette autorité transmet le cas à la Commission pour être réglé conformément à la procédure prévue aux articles 906 à 909 [...] Dans tous les autres cas, l'autorité douanière de décision rejette la demande.»

8.
    En vertu de l'article 907, premier alinéa, du règlement d'application, la Commission prend, «après consultation d'un groupe d'experts composé de représentants de tous les États membres [...], une décision établissant soit que la situation particulière examinée justifie l'octroi [...] de la remise, soit qu'elle ne le justifie pas».

Faits à l'origine du litige

Manoeuvres frauduleuses

9.
    Au cours des années 1994 et 1995, la requérante, commissionnaire en douane, a demandé et obtenu, à 93 reprises, du bureau de douane allemand Oberelbe (le bureau de départ) l'application du régime du TCE pour des marchandises non communautaires. À chaque fois, la société allemande Food Trading ou, le cas échéant, la société espagnole Maerkaafrika - le destinataire désigné des marchandises - apparaissait en qualité de mandant. Toutes les marchandises devaient être transportées en Espagne et présentées au bureau de douane de destination à Las Palmas. À cet effet, la requérante a utilisé les documents T1 sous le couvert desquels le transport des marchandises jusqu'en Espagne devait s'effectuer. Concernant l'achèvement en Espagne des opérations de transit en cause, le bureau de départ a reçu du bureau de destination - en conformité apparente avec l'article 356, paragraphes 1 et 2, du règlement d'application - le cinquième exemplaire de chaque document T1. Dans tous les cas, ce renvoi a été effectué par le bureau principal des douanes de Madrid, compétent en tant qu'organisme central.

10.
    Il s'est avéré que les exemplaires de document T1 renvoyés au bureau de départ portaient de fausses signatures ainsi que des cachets de service falsifiés et qu'aucune marchandise n'a jamais été transportée en Espagne.

11.
    Il est apparu que, immédiatement après que les marchandises étaient placées sous le régime du TCE, deux employés de la société Food Trading échangeaient avec les chauffeurs des camions chargés des marchandises en cause - ces camions appartenant à des sociétés de transport distinctes de la requérante - les documents de transit initiaux contre des documents de transport indiquant des lieux de destination en Allemagne. Les documents de transit initiaux étaient ensuite soit envoyés une fois par mois au prétendu destinataire des marchandises établi en Espagne, la société Maerkaafrika, soit remis à un ressortissant espagnol, complice de la fraude, à l'occasion de ses voyages d'affaires en Allemagne.

12.
    En Espagne, les documents de transit initiaux étaient remis à un autre complice, qui se chargeait d'obtenir du bureau de destination à Las Palmas les certificats de présentation des marchandises. Selon les indications données par les employés susmentionnés, lesdits certificats auraient été fournis par un fonctionnaire espagnol des douanes dénommé «José Luis», dont l'identité complète est demeurée inconnue, qui aurait été muté et serait désormais en fonction au bureau des douanes de Lanzarote. L'épouse dudit fonctionnaire travaillerait encore au service des registres du bureau des douanes de Las Palmas.

13.
    En outre, en réponse à une question écrite adressée au bureau espagnol de destination au sujet du sort de divers exemplaires de document T1, le bureau allemand de départ a reçu une lettre datée du 26 septembre 1995 qui constitue un faux complet. Cette lettre, rédigée sur le papier officiel à en-tête du bureau des douanes espagnoles, «certifie» la régularité des documents en question. Elle a été expédiée avec le courrier officiel du bureau des douanes. En effet, les frais d'affranchissement ont été acquittés au moyen d'une machine à affranchir du bureau des douanes espagnol. Le cachet indique le 4 octobre 1995 comme date de renvoi. Le numéro d'enregistrement 1880 figurant sur la lettre précitée a aussi été attribué à un autre document, en l'occurrence un décompte d'heures supplémentaires, par le bureau des douanes le jour de l'envoi de la lettre.

14.
    Ce n'est qu'à la suite de plaintes de la part d'importateurs de volaille allemands faisant état de prix anormalement bas offerts par la société Food Trading en Allemagne que l'enquête a été entamée et la fraude détectée.

Procédure administrative

15.
    L'autorité douanière allemande s'est retournée contre la requérante en sa qualité de principal obligé et a réclamé les droits à l'importation litigieux. La requérante ayant demandé la remise de ces droits, les autorités allemandes (le Hauptzollamt Hamburg-St. Annen et le ministère fédéral des Finances) ont transmis le dossier à la Commission, en vertu de l'article 905 du règlement d'application. Dans leur courrier, elles ont indiqué se trouver en présence d'une situation particulière qui résultait de circonstances n'impliquant ni manoeuvre ni négligence manifeste de la part de la requérante.

16.
    Par lettre du 20 avril 1999, la Commission a transmis à la requérante un exposé des données factuelles et une appréciation provisoire dont il ressortait qu'elle avait l'intention de prendre une décision défavorable. Selon la Commission, une remise ne serait pas justifiée en l'absence de preuve de la complicité active d'un ou de plusieurs fonctionnaires des douanes communautaires, les documents transmis par les autorités allemandes ne permettant de conclure à l'existence d'un telle complicité. Enfin, la requérante n'aurait peut-être pas fait preuve de toute la diligence nécessaire dans le cadre de sa surveillance des entreprises chargées du transport des marchandises en cause.

17.
    En réponse, la requérante a exposé, dans une lettre du 4 mai 1999, les raisons pour lesquelles elle considérait que seule une complicité active de fonctionnaires des douanes espagnoles expliquait la réussite de la fraude. En outre, elle a contesté avoir été tenue de surveiller les transporteurs des marchandises.

18.
    La Commission a procédé à la consultation d'un groupe d'experts prévue à l'article 907, paragraphe 1, du règlement d'application. Elle a fait valoir, devant le Tribunal, que le représentant du royaume d'Espagne a affirmé, lors d'une réunion de ce groupele 11 juin 1999, qu'il n'existait aucun indice d'une complicité de fonctionnaires espagnols. Ce représentant aurait également indiqué que, même en admettant qu'il y ait eu corruption de fonctionnaires des douanes espagnoles, ce fait ne suffisait pas, à lui seul, à expliquer le déroulement des événements en question.

Décision attaquée

19.
    Le 22 juillet 1999, la Commission a adopté une décision selon laquelle il n'existe aucune situation particulière justifiant la remise des droits (ci-après la «décision attaquée»). Cette décision a été notifiée à la requérante le 27 septembre 1999 par le Hauptzollamt Hamburg-St. Annen.

20.
    Dans la décision attaquée, la Commission fait valoir, en substance, que la requérante doit assumer, en sa qualité de principal obligé, la responsabilité du bon déroulement des opérations de TCE même lorsqu'elle est victime d'agissements frauduleux de la part de tiers. Une telle situation relèverait du risque commercial que doit supporter normalement le principal obligé. Une appréciation différente ne serait possible que lorsqu'une contribution de représentants de l'administration douanière à l'accomplissement de cette fraude serait établie, et ce dans la mesure où l'intéressé peut légitimement placer sa confiance dans le fait que l'exercice de la fonction administrative n'est pas a priori vicié par des agents des douanes corrompus. Or, les éléments contenus dans le dossier fourni par les autorités allemandes ne permettraient pas de conclure que l'implication certaine d'un ou de plusieurs fonctionnaires des douanes dans le processus de fraude a été constatée par une autorité habilitée à cet effet. Il n'existerait donc aucune situation particulière justifiant la remise des droits.

21.
    La Commission s'étant prononcée contre une remise des droits à l'importation, le Hauptzollamt Hamburg-St. Annen a rejeté, par décision du 21 septembre 1999, la demande de remise.

Procédure et conclusions des parties

22.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 novembre 1999, la requérante a introduit le présent recours qui vise, en substance, à l'annulation de la décision attaquée.

23.
    En outre, elle avait demandé au Tribunal, d'une part, d'ordonner aux autorités allemandes la production de dossiers supplémentaires en tant qu'éléments de preuve de la participation de fonctionnaires espagnols aux agissements frauduleux en cause et, d'autre part, de constater que l'intervention d'un mandataire dès la procédure administrative préalable était nécessaire. Eu égard aux observations présentées sur ces points par la Commission dans son mémoire en défense, la requérante a déclaré, dans sa réplique, qu'elle retirait ces deux demandes.

24.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, posé aux parties plusieurs questions écrites.

25.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal à l'audience du 22 février 2001.

26.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    faire injonction à la partie défenderesse, en application de l'article 233 CE, d'accueillir ses demandes de remise des droits à l'importation;

-    condamner la partie défenderesse aux dépens.

27.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable dans la mesure où il vise à ce qu'il lui soit fait injonction d'accueillir les demandes de remise des droits à l'importation de la requérante;

-    pour le reste, rejeter le recours comme non fondé;

-    condamner la requérante aux dépens;

-     à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la requérante obtiendrait gain de cause, la condamner aux dépens en application de l'article 87, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, dans la mesure où elle s'est partiellement désistée de ses demandes.

28.
    À l'audience, la requérante a déclaré se désister du deuxième chef de ses conclusions. La Commission a, en conséquence et une nouvelle fois, demandé à ce qu'il soit fait application de l'article 87, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de procédure.

En droit

29.
    La requérante invoque, en substance, un moyen unique, tiré d'une application erronée, par la Commission, des articles 239, paragraphe 1, du code des douanes et 905, paragraphe 1, du règlement d'application. Elle déclare ne pas contester que l'achèvement irrégulier d'une opération de TCE fait naître une dette douanière à la charge du principal obligé. Toutefois, elle estime que les conditions d'une remise des droits à l'importation dus sont réunies en l'espèce.

30.
    Il y a donc lieu d'examiner si la Commission a commis une erreur en considérant que le cas de la requérante ne constituait pas une situation particulière, une telle situation résultant nécessairement de circonstances n'impliquant ni manoeuvre ni négligence manifeste de la part de la requérante.

31.
    Dans ce contexte, il est constant entre les parties que les éléments du dossier ne permettent pas de conclure à l'existence de manoeuvres frauduleuses de la part de la requérante.

32.
    La question de savoir si les autres conditions d'application de la réglementation pertinente sont réunies en l'espèce est, en revanche, contestée.

Arguments des parties

Sur l'absence de négligence manifeste

33.
    La requérante souligne que l'absence d'un comportement fautif de sa part a amené les autorités allemandes à décider la transmission de ses demandes de remise à la Commission. Ces autorités seraient donc arrivées à la conclusion, dans le cadre de l'examen administratif initial, qu'une remise des droits serait justifiée. Dans la mesure où la Commission lui reproche de ne pas avoir respecté les obligations découlant du régime du TCE pour les 93 opérations de transit en cause, la requérante affirme avoir formulé, durant la période litigieuse, bien plus que 93 demandes d'application du régime du TCE. Elle aurait contacté, à intervalles irréguliers, les entreprises de transport et les chauffeurs concernés en demandant des renseignements précis sur le déroulement des transports. N'ayant pas constaté d'irrégularités à ces occasions, la requérante en déduit qu'aucune des 93 opérations de transit en cause n'a fait l'objet de ces contrôles ou que les chauffeurs interrogés, auxquels les documents de transit avaient été retirés, ont fourni des renseignements inexacts par peur de perdre leur emploi ou pour d'autres motifs.

34.
    Selon la Commission, il est permis de se demander si la requérante n'a pas commis une négligence manifeste, avec pour conséquence qu'une remise des droits à l'importation est a priori exclue. En effet, en tant que principal obligé, la requérante aurait été tenue de respecter les dispositions du régime du TCE. Or, il n'existerait aucun indice donnant à penser que la requérante avait pris quelque mesure que ce soit pour surveiller, au moins par des contrôles ponctuels, l'exécution du transport et la présentation en douane des marchandises en cause. Une fois obtenu le placement desdites marchandises sous le régime du TCE, la requérante ne se serait manifestement plus préoccupée de rien. Ce comportement serait, au moins, négligent. Toutefois, il ne serait pas nécessaire d'examiner si le comportement de la requérante constituait une négligence manifeste au sens des articles 239 du code des douanes et 905 du règlement d'application. En effet, la Commission n'aurait pas basé la décision attaquée sur la négligence de la requérante, mais sur l'inexistence d'une situation particulière.

35.
    À l'audience, la Commission a encore soutenu que la négligence de la requérante - caractérisée notamment par le fait que cette dernière s'est abstenue de se renseigner, par le biais de télécopies adressées à l'administration douanière espagnole, sur le déroulement des opérations de transit en Espagne - avait augmenté le risque commercial normalement encouru, à savoir celui d'être victime d'agissements frauduleux de tiers. Selon la Commission, cette négligence s'opposait à la reconnaissance, en faveur de la requérante, d'une situation particulière.

Sur l'existence d'une situation particulière

36.
    La requérante considère que les résultats des enquêtes menées par les autorités allemandes prouvent que les infractions ont été commises en Espagne et que, au moins, un fonctionnaire espagnol des douanes a dû être impliqué dans les agissements frauduleux. Selon la requérante, la preuve d'une participation d'un tel fonctionnaire résulte, avant tout, du déroulement des faits tel qu'il a été constaté par les autorités allemandes.

37.
    Dans la mesure où la Commission exige que l'autorité nationale compétente ait formellement constaté la participation de fonctionnaires des douanes à des fraudes, la requérante rétorque que les preuves d'une telle participation ne peuvent être rapportées que si le fonctionnaire en cause est nommément identifié. En outre, même en cas d'identification d'un tel fonctionnaire, une preuve formelle ne serait pas possible lorsque, par exemple, le fonctionnaire se soustrait aux poursuites par sa fuite, n'est pas pénalement responsable ou décède au cours de l'instruction, ou lorsque la prescription s'oppose à ce que des arrêts soient rendus en matière civile ou pénale.

38.
    Si la Commission mentionne comme preuve formelle la reconnaissance par l'État membre concerné de la participation punissable d'un douanier en fonction dans son administration, la requérante estime qu'il est irréaliste d'admettre qu'un État membre puisse accepter une telle reconnaissance. Selon la requérante, il refusera de reconnaître un tel fait en invoquant, notamment, la présomption d'innocence dans l'hypothèse où aucune preuve formelle ne serait apportée, et ce d'autant plus que l'État membre sait qu'il s'expose, en cas de reconnaissance, à un recours de la Commission en paiement des droits éludés.

39.
    La requérante s'oppose, enfin, à l'argument de la Commission, selon lequel elle aurait pu porter plainte en Espagne ou engager une action en responsabilité de l'État espagnol. Elle estime que la régularité de la décision attaquée ne saurait dépendre du point de savoir quelles autres possibilités de protection juridictionnelle ont été ou non utilisées. Par ailleurs, elle aurait supposé que les autorités espagnoles diligenteraient d'elles-mêmes une enquête, eu égard aux conclusions de l'enquête des autorités allemandes portées à leur connaissance. Or, cela n'aurait nullement eu lieu ou cela aurait été infructueux, selon les indications fournies à la Commission par le royaume d'Espagne. La requérante suppose qu'une plainte introduite par elle aurait conduit au même résultat.

40.
    La Commission soutient, à titre liminaire, que la remise de droits à l'importation prévue à l'article 239, paragraphe 1, du code des douanes constitue un cas spécial par rapport aux situations visées aux articles 236 à 238 de ce code. Au regard de ce cas spécial, la remise des droits au titre de l'article 905, paragraphe 1, du règlement d'application constituerait, en outre, une dérogation par rapport aux situations prévues aux articles 900 à 903 dudit règlement. Cette dérogation ne pourrait être interprétée que strictement.

41.
    En l'espèce, la requérante fonderait la prétendue existence d'une situation particulière uniquement sur la participation de fonctionnaires des douanes espagnoles aux infractions. Or, la Commission devrait tenir compte non seulement des intérêts d'un opérateur économique de bonne foi et de celui de la Communauté au respect de la législation douanière, mais aussi des intérêts des fonctionnaires douaniers incriminés, dont l'innocence est présumée. Cela serait d'autant plus nécessaire que ces fonctionnaires n'ont pas été entendus dans la procédure administrative relative à la demande de remise des droits. Par conséquent, la Commission ne pourrait fonder l'existence d'une situation particulière sur des infractions commises par des fonctionnaires des douanes que si ces dernières sont prouvées, ce qui dépend essentiellement des enquêtes menées par l'État membre au service duquel se trouvent les fonctionnaires en question.

42.
    La Commission ajoute que la corruption passive chez les fonctionnaires des douanes et la falsification de documents douaniers sont punissables dans tous les États membres. Il existerait aussi dans tous les États membres la possibilité d'ouvrir des procédures sur la base de ces éléments et de s'appuyer sur le résultat d'enquêtes formelles. Or, en l'espèce, la requérante n'aurait ni porté plainte en Espagne ni intenté une action en responsabilité de l'État espagnol pour le préjudice subi en raison de la violation supposée du droit communautaire par des fonctionnaires des douanes espagnoles.

43.
    La Commission fait remarquer que l'article 96, paragraphe 1, du code des douanes impose des obligations de surveillance très étendues au principal obligé. Ces obligations seraient pratiquement vidées de leur substance si ce dernier pouvait fonder sa demande de remise des droits sur de simples affirmations. Une réponse favorable à cette demande se basant sur de simples indices pourrait d'ailleurs nuire, peut-être de façon irréparable, à l'intérêt de la Communauté à percevoir les droits à l'importation dus. En effet, si la Commission approuvait une remise des droits sur la base de simples indices et s'il s'avérait par la suite que la naissance de la dette douanière n'était pas due à une participation punissable de fonctionnaires des douanes, la perception des droits à l'importation serait sérieusement compromise.

44.
    La Commission indique que, pour les raisons susmentionnées, la participation de fonctionnaires des douanes à la violation de dispositions de la législation douanière ne doit pas seulement faire l'objet d'affirmations, mais encore de preuves formelles, comme par exemple une condamnation pénale, la décision d'une juridiction civile ou une mesure disciplinaire prononcées contre le fonctionnaire en cause, ou le fait que le fonctionnaire a reçu une injonction de payer lui-même les droits à l'importation encause. Selon la Commission, il est aussi possible de tenir compte, en tant que preuve, de la reconnaissance formelle et motivée de l'État membre au service duquel se trouve le fonctionnaire des douanes, portant sur la participation de ce dernier à la violation de la législation douanière.

45.
    Or, en l'espèce, la participation délictueuse de fonctionnaires des douanes espagnoles n'aurait pas été prouvée. La requérante et les autorités allemandes, qui considèrent justifiée la remise des droits, s'appuieraient essentiellement sur les déclarations de personnes mises en cause dans le cadre des enquêtes menées en Allemagne. Toutefois, ces déclarations ne pourraient pas remplacer un acte de reconnaissance, ni même une autre déclaration dans le même sens, provenant des autorités espagnoles ou des fonctionnaires espagnols censés avoir participé à la fraude. Elles ne constitueraient que des indices qui permettent tout au plus des déductions, mais ne pourraient pas remplacer une preuve que le gouvernement espagnol lui-même n'a jamais été en mesure d'apporter dans le cadre de la procédure de consultation prévue à l'article 907 du règlement d'application.

Appréciation du Tribunal

46.
    Il y a lieu de souligner, à titre liminaire, que la décision attaquée, dans laquelle la Commission se prononce contre la remise des droits à l'importation litigieux, n'est pas fondée sur l'existence d'une négligence manifeste de la requérante. Ainsi que la Commission l'a elle-même relevé, cette décision ne contient aucune référence à cette notion et se limite à constater l'inexistence, en l'espèce, d'une situation particulière.

47.
    Devant le Tribunal, la Commission a néanmoins soutenu que la négligence de la requérante s'opposait à la reconnaissance, en faveur de celle-ci, d'une situation particulière.

48.
    Cette argumentation ne saurait être retenue.

49.
    À cet égard, il suffit de rappeler que la question d'une éventuelle négligence de la requérante avait effectivement été soulevée par la Commission dans sa lettre du 20 avril 1999 contenant une appréciation provisoire de la demande de remise. Or, après avoir pris connaissance des observations critiques de la requérante du 4 mai 1999 sur ce point et à la suite de la réunion du groupe d'experts du 11 juin 1999 en la matière, la Commission n'a intentionnellement retenu, dans la décision attaquée, aucune négligence, manifeste ou non, de la part de la requérante.

50.
    Il s'ensuit que la décision attaquée, rendue après l'avis consultatif du groupe d'experts instauré à cet effet et en vertu du large pouvoir d'appréciation dont la Commission jouit dans ce domaine (arrêt du Tribunal du 9 novembre 1995, France-aviation/Commission, T-346/94, Rec. p. II-2841, point 34), ne permet pas à cette dernière d'alléguer dans le cadre de la présente instance que le comportement de la requérante, qui a été analysé dans la décision attaquée, a été négligent. Les explicationsécrites et orales données par les représentants de la Commission devant le Tribunal quant à la prétendue négligence de la requérante ne sauraient valablement constituer une motivation supplémentaire de cette décision (voir, en ce sens, les arrêts du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a. et British Midland Airways/Commission, T-371/94 et T-394/94, Rec. p. II-2405, point 116, et du 25 mai 2000, Ufex e.a./Commission, T-77/95, Rec. p. II-2167, point 54).

51.
    L'unique question à trancher en l'espèce est donc de savoir si la situation de la requérante doit être considérée comme une situation particulière au sens de l'article 905, paragraphe 1, du règlement d'application.

52.
    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, cette disposition comporte une clause générale d'équité, destinée à couvrir une situation exceptionnelle dans laquelle se trouve l'opérateur économique concerné par rapport aux autres opérateurs exerçant la même activité (arrêts de la Cour du 25 février 1999, Trans-Ex-Import, C-86/97, Rec. p. I-1041, point 18, et du 7 septembre 1999, De Haan, C-61/98, Rec. p. I-5003, point 52). Elle est, notamment, destinée à être appliquée lorsque les circonstances qui caractérisent le rapport entre l'opérateur économique concerné et l'administration sont telles qu'il n'est pas équitable d'imposer à cet opérateur un préjudice qu'il n'aurait normalement pas subi (arrêt du Tribunal du 19 février 1998, Eyckeler & Malt/Commission, T-42/96, Rec. p. II-401, point 132).

53.
    En outre, dans le cadre du large pouvoir d'appréciation dont elle dispose en la matière (arrêt France-aviation/Commission, précité, point 34), la Commission doit apprécier l'ensemble des éléments de fait afin de déterminer si ceux-ci sont constitutifs d'une situation particulière et mettre en balance l'intérêt de la Communauté à s'assurer du respect des dispositions douanières, d'une part, et l'intérêt de l'opérateur économique de bonne foi à ne pas supporter des préjudices dépassant le risque commercial ordinaire, d'autre part (arrêt Eyckeler & Malt/Commission, précité, point 133). Dès lors que les conditions d'application de la clause générale d'équité sont réunies, l'intéressé a droit, sous peine de priver cette clause de son effet utile, à ce qu'il soit procédé à la remise des droits à l'importation (arrêt Eyckeler & Malt/Commission, précité, point 134, et la jurisprudence citée).

54.
    Enfin, s'agissant des relations procédurales définies par les articles 905 et suivants du règlement d'application entre la Commission et les autorités douanières nationales, il convient de relever que l'autorité douanière nationale confrontée à une demande de remise doit procéder à l'appréciation initiale du point de savoir s'il existe des éléments de justification susceptibles de constituer une situation particulière. Si cette autorité estime qu'une réponse affirmative à cette question est justifiée, elle doit transmettre le dossier à la Commission, qui procède à l'appréciation définitive, sur la base des éléments transmis, de l'existence d'une situation particulière justifiant la remise des droits (conclusions de l'avocat général M. Jacobs dans l'affaire Bacardi, C-253/99, non encore publiées au Recueil, point 98, renvoyant à l'arrêt Trans-Ex-Import, précité, points 19 à 21), le cas échéant après avoir demandé la communication d'élémentsd'information complémentaires en vertu de l'article 905, paragraphe 2, du règlement d'application.

55.
    En l'espèce, les éléments factuels transmis par les autorités allemandes à la Commission n'ont pas été remis en question, ni complétés, la Commission n'ayant pas formulé de demandes d'informations complémentaires. En effet, la décision attaquée est expressément fondée sur les éléments contenus dans le dossier fourni par ces autorités, la Commission s'étant seulement interrogée sur le point de savoir si ces éléments permettaient de conclure à la complicité active d'un fonctionnaire des douanes espagnoles.

56.
    Sur la base dudit dossier, il est constant que les renvois au bureau allemand de départ du cinquième exemplaire du document T1 ont été effectués, dans tous les cas, par la voie officielle de l'administration douanière espagnole (voir ci-dessus point 9). Il est également constant que, en réponse à la demande du bureau allemand de départ, ce dernier a reçu une lettre rédigée sur le papier officiel à en-tête du bureau espagnol de destination et portant un numéro d'enregistrement apparemment régulier, à savoir le numéro 1880. En outre, cette lettre a été expédiée, elle aussi, avec le courrier officiel sortant du bureau espagnol de destination, les frais d'affranchissement ayant été acquittés au moyen d'une machine à affranchir du même bureau (voir ci-dessus point 13).

57.
    Les faits décrits ci-dessus, qui relèvent des manoeuvres frauduleuses en cause, ne peuvent raisonnablement s'expliquer que par la complicité active d'un employé du bureau espagnol de destination ou par une organisation défaillante de ce bureau permettant à un tiers d'utiliser les équipements de l'administration douanière espagnole. En effet, seule une personne qui avait accès au courrier officiel entrant et sortant du bureau espagnol de destination et qui était informée des activités courantes de ce bureau avait, comme en l'espèce, la possibilité d'accomplir les formalités douanières relatives à un régime de transit particulier et d'expédier une lettre apparemment officielle en réponse à une demande formelle d'un autre bureau. S'agissant ainsi d'opérations purement internes à l'administration d'un État membre sur lesquels la requérante n'avait aucun droit de regard et qu'elle ne pouvait, d'une quelconque façon, influencer, la Commission ne pouvait se contenter de constater que la requérante ne se trouvait pas dans une situation particulière, dès lors que ces circonstances dépassaient le risque commercial ordinaire encouru par celle-ci.

58.
    Dans ces circonstances, la Commission ne pouvait valablement se limiter à envisager la seule possibilité d'une complicité active d'un fonctionnaire douanier déterminé et exiger que soit apportée, par la requérante, le cas échéant par la production d'un acte des autorités espagnoles compétentes, la preuve formelle et définitive d'une telle complicité. Ce faisant, la Commission a méconnu, d'une part, son obligation d'apprécier, elle-même, l'ensemble des éléments de fait afin de déterminer si ces derniers sont constitutifs d'une situation particulière et, d'autre part, le caractère autonome de la procédure prévue par les articles 905 et suivants du règlementd'application. En effet, à l'issue de cette procédure, c'est la Commission seule qui, sur proposition de l'autorité nationale demanderesse et après consultation d'un groupe d'experts, rend sa décision, cette dernière n'étant pas, selon les dispositions applicables, tributaire des conclusions d'éventuelles procédures nationales préalables.

59.
    Eu égard au caractère autonome de cette procédure de remise des droits, la requérante n'était pas non plus tenue de s'adresser aux autorités espagnoles compétentes et d'introduire, le cas échéant, un recours en responsabilité dirigé contre l'État espagnol, mais pouvait se borner à déclencher la procédure de remise instaurée au niveau communautaire. En outre, la requérante ayant le choix entre diligenter une action en Espagne ou introduire un recours en annulation contre une décision d'une institution communautaire au titre de l'article 230 CE, le fait d'avoir préféré cette seconde solution ne saurait être qualifié d'abus de procédure.

60.
    Enfin, dans la mesure où la Commission invoque, de manière générale, les intérêts pécuniaires de la Communauté, il suffit de relever que ces intérêts doivent s'effacer devant la reconnaissance du fait que la requérante se trouve dans une situation particulière, telle que prévue par les articles 239, paragraphe 1, du code des douanes et 905, paragraphe 1, du règlement d'application. En effet, la reconnaissance de l'existence d'une situation particulière, définie par le législateur communautaire, ne saurait porter atteinte aux intérêts pécuniaires de la Communauté dans une mesure inacceptable. D'une part, cette reconnaissance est limitée à un cas individuel où un risque commercial exceptionnel s'est réalisé. D'autre part, elle ne saurait raisonnablement être considérée comme devant amener les opérateurs économiques autres que le bénéficiaire à un comportement laxiste au regard du respect des dispositions douanières.

61.
    Il résulte de ce qui précède que la Commission a commis une erreur en estimant, dans la décision attaquée, que la requérante ne se trouvait pas dans une situation particulière au sens de l'article 905, paragraphe 1, du règlement d'application. Il y a lieu, en conséquence, d'annuler cette décision.

Sur les dépens

62.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Selon le paragraphe 5, premier alinéa, du même article, la partie qui se désiste est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens par l'autre partie.

63.
    En l'espèce, il convient de constater que la Commission a succombé pour l'essentiel et que les conclusions et demandes dont la requérante s'est désistée en cours d'instance avaient un caractère purement technique et n'ont pas particulièrement compliqué la préparation par la Commission de sa défense. Dans ces circonstances, il y a lieu de condamner la Commission à supporter ses propres dépens et neuf dixièmes des dépens exposés par la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la Commission du 22 juillet 1999 (référence: REM 22/98), selon laquelle la remise de droits à l'importation sollicitée n'est pas justifiée, est annulée.

2)    La Commission supportera ses propres dépens et neuf dixièmes de ceux exposés par la requérante, laquelle supportera un dixième de ses dépens.

Meij Potocki Pirrung

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juin 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. W. H. Meij


1: Langue de procédure: l'allemand.