Language of document : ECLI:EU:T:2001:171

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

27 juin 2001(1)

«Décision 1999/307/CE - Intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil - Recours en annulation - Recevabilité»

Dans l'affaire T-166/99,

Luis Fernando Andres de Dios, demeurant à Bruxelles (Belgique),

Maria Soledad García Retortillo, demeurant à Càceres (Espagne),

Suzanne Kitlas, demeurant à Bruxelles,

Jacques Verraes, demeurant à Bruxelles,

représentés par Mes J.-N. Louis, G. Parmentier et V. Peere, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

soutenus par

Union syndicale-Bruxelles, ayant son siège à Bruxelles, représentée par Me S. Parmesan, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. M. Bauer et F. Anton, en qualité d'agents, assistés de M. A. Bentley, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 1999/307/CE du Conseil, du 1er mai 1999, fixant les modalités de l'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil (JO L 119, p. 49),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. A. W. H. Meij, président, A. Potocki et J. Pirrung, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 7 mars 2001,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Le 14 juin 1985 et le 19 juin 1990, certains États membres de l'Union européenne ont signé à Schengen des accords relatifs à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes. Ces accords, ainsi que les accords connexes et les règles adoptées sur la base desdits accords, visent à renforcer l'intégration européenne et, en particulier, à permettre à l'Union européenne de devenir plus rapidement un espace de liberté, de sécurité et de justice.

2.
    Le traité modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes (JO 1997, C 340, p. 1), signé à Amsterdam le 2 octobre 1997 et entré en vigueur le 1er mai 1999, comporte un protocole intégrant l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne (JO 1997, C 340, p. 93, ci-après le «protocole»). L'acquis de Schengen est constitué par les accords et les règles susmentionnés, énumérés à l'annexe du protocole.

3.
    Les articles 2, paragraphe 1, premier alinéa, et 7 du protocole disposent:

«Article 2

1. À compter de la date d'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, l'acquis de Schengen, y compris les décisions du comité exécutif institué par les accords de Schengen qui ont été adoptées avant cette date, s'appliquent immédiatement aux treize États membres visés à l'article 1er, sans préjudice du paragraphe 2 du présent article. À compter de cette date, le Conseil se substitue audit comité exécutif.

[...]

Article 7

Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, adopte les modalités d'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil.»

4.
    C'est en application de cette dernière disposition que le Conseil a arrêté, le 1er mai 1999, la décision 1999/307/CE fixant les modalités de l'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil (JO L 119, p. 49, ci-après la «décision 1999/307», la «décision attaquée» ou l'«acte attaqué»).

5.
    Selon les considérants 3 et 4 de la décision 1999/307, «cette intégration a pour but d'assurer que, lors de l'intégration de l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne, l'application et le développement des dispositions relatives à cet acquis continuent à se dérouler dans des conditions qui en assurent le bon fonctionnement», «les modalités de cette intégration [devant] permettre, d'une part, de limiter les recrutements aux nécessités de service qui résulteront pour le secrétariat général du Conseil des nouvelles tâches qu'il devra assurer et, d'autre part, de vérifier les qualités de compétence, de rendement et d'intégrité des personnes recrutées». Aux termes du considérant 6 de la même décision, le secrétaire général du Conseil doit ainsi être mis en mesure «de répondre d'une façon efficace aux besoins qui découleront de l'intégration de l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne».

6.
    Les articles 1er à 3 de la décision 1999/307 disposent:

«Article premier

1. La présente décision a pour objet de fixer les modalités de l'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil.

2. Aux fins de la présente décision, le secrétariat de Schengen est défini comme constitué par les personnes qui remplissent les conditions prévues à l'article 3, [... sous] e).

Article 2

Par dérogation au statut [des fonctionnaires des Communautés européennes], et sous réserve de la vérification du respect des conditions fixées à l'article 3 de la présente décision, l'[autorité investie du pouvoir de nomination], au sens de l'article 2 du statut, peut nommer au secrétariat général du Conseil les personnes visées à l'article 1er de la présente décision en qualité de fonctionnaires stagiaires des Communautés européennes au sens du statut et les affecter à l'un des emplois figurant à cet effet au tableau des effectifs du secrétariat général du Conseil pour l'exercice 1999, à la catégorie, dans le cadre, au grade et à l'échelon déterminés conformément au tableau d'équivalence qui figure en annexe.

Article 3

L'[autorité investie du pouvoir de nomination] peut procéder aux nominations prévues à l'article 2 après avoir vérifié que les personnes en cause:

a)    sont ressortissantes d'un des États membres;

b)    se trouvent en position régulière au regard des lois de recrutement qui leur sont applicables en matière militaire;

c)    offrent les garanties de moralité requises pour l'exercice de leurs fonctions;

d)    remplissent les conditions d'aptitude physique requises pour l'exercice de ces fonctions;

e)    fournissent les pièces justificatives prouvant:

    i)    qu'elles étaient employées au secrétariat de Schengen à la date du 2 octobre 1997 soit en tant que membre du collège des secrétaires généraux du Benelux en situation de mise à disposition du secrétariat de Schengen, soit en tant qu'agent lié par un contrat de travail à l'Union économique Benelux, soit en tant qu'agent statutaire du secrétariat du Benelux en situation de mise à disposition du secrétariat de Schengen et y exerçaient une activité effective;

    ii)    qu'elles étaient encore employées au secrétariat de Schengen à la date du 1er mai 1999

        et

    iii)    qu'elles exerçaient effectivement au secrétariat de Schengen, aux dates visées aux points i) et ii), des fonctions liées à l'application et au développement de l'acquis de Schengen, d'assistance à la présidence et aux délégations, de gestion des affaires financières et budgétaires, de traduction et/ou d'interprétation, de documentation ou de secrétariat, à l'exclusion des tâches de support technique ou administratif;

f)    fournissent tout document ou pièce justificative, diplôme, titre ou certificat, établissant qu'elles disposent du niveau de qualification ou d'expérience requis pour exercer les fonctions correspondant à la catégorie ou au cadre dans lequel elles doivent être intégrées.»

7.
    L'article 5 de la décision 1999/307 prévoit que celle-ci «entre en vigueur le jour de son adoption» et qu'elle est «applicable à partir du 1er mai 1999».

8.
    Son article 6 dispose que «le secrétaire général du Conseil est destinataire de la présente décision».

Faits à l'origine du litige

9.
    À partir de 1986 et jusqu'en 1995, les quatre requérants ont tous été au service du secrétariat de Schengen, et cela pendant des durées différentes, à savoir, M. de Dios, plus de quatre ans, Mme Retortillo, plus d'un an et demi, Mme Kitlas, plus de trois ans, et, M. Verraes, plus de six ans. À la date d'introduction du présent recours, ils travaillaient soit comme travailleurs indépendants (free-lance), soit comme membres du personnel de la Commission.

10.
    Selon les requérants, il a été prévu la création d'environ 70 emplois permanents au Conseil pour permettre au secrétariat général de ce dernier d'assurer les nouvelles tâches découlant de l'intégration de l'acquis de Schengen.

Procédure

11.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 juillet 1999, les requérants ont introduit le présent recours.

12.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 22 septembre 1999, le Conseil a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114 du règlement de procédure du Tribunal.

13.
    Par ordonnance du 2 décembre 1999, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis l'Union syndicale-Bruxelles à intervenir au soutien des conclusions des requérants.

14.
    Le 6 décembre 1999, les requérants ont présenté leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité.

15.
    La partie intervenante a présenté ses observations sur cette exception le 25 janvier 2000.

16.
    Par ordonnance du 9 mars 2000, le Tribunal (deuxième chambre) a joint au fond l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Conseil.

17.
    Par lettre du 6 juillet 2000, les requérants ont renoncé au dépôt d'une réplique.

18.
    Par lettre du 11 septembre 2000, la partie intervenante a renoncé à déposer un mémoire en intervention.

19.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

20.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience du 7 mars 2001.

Conclusions des parties

21.
    Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    condamner le Conseil aux dépens.

22.
    La partie intervenante se rallie aux conclusions des requérants.

23.
    Le Conseil conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable ou non fondé;

-    condamner les requérants aux dépens.

Sur la recevabilité du recours

24.
    Le présent recours a été introduit sur le fondement de l'article 230 CE. Par ce recours, les requérants dénoncent l'impossibilité dans laquelle les place la décision 1999/307 de pouvoir être nommés fonctionnaires au secrétariat général du Conseil,du fait qu'ils n'appartiennent pas à la catégorie des personnes visées par cette décision.

25.
    Par conséquent, le recours doit satisfaire aux conditions de recevabilité prévues par l'article 230, quatrième alinéa, CE, selon lequel toute personne physique ou morale peut former un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.

Arguments des parties

26.
    Tout en admettant qu'ils ne sont pas formellement destinataires de la décision 1999/307, les requérants considèrent que cette dernière les concerne individuellement au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE (arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 222). En effet, l'élément décisif qui caractériserait les requérants par rapport à toute autre personne résulterait de l'article 1er, paragraphe 2, de la décision 1999/307, qui comporte une redéfinition, aux fins de la décision attaquée, du «secrétariat de Schengen». Selon cette disposition, ledit secrétariat se trouverait constitué non plus de toutes les personnes qui y travaillaient, mais uniquement des personnes qui remplissent les conditions énumérées à l'article 3 de la décision 1999/307. Seul le «secrétariat de Schengen» ainsi redéfini ferait l'objet de l'intégration au secrétariat général du Conseil.

27.
    Selon les requérants, se distingue ainsi a contrario un groupe délimité de personnes qui se trouvent exclues de l'intégration en cause et qui sont, dès lors, affectées négativement par la décision attaquée. Il s'agirait des personnes qui faisaient partie du secrétariat de Schengen, mais qui, ne remplissant pas les conditions d'intégration susmentionnées, n'entrent pas dans la nouvelle définition dudit article 1er, paragraphe 2.

28.
    Les requérants relèvent que, au moment de l'adoption de l'acte attaqué, le nombre et l'identité des personnes qui seraient affectées négativement par celui-ci étaient connus ou, au moins, vérifiables. Les requérants en feraient partie. De plus, le changement de la situation de ces personnes trouverait son origine dans la redéfinition ad hoc du secrétariat de Schengen opérée par la décision 1999/307. Or, en excluant a priori les requérants du recrutement envisagé, le Conseil aurait violé ses obligations, notamment celles d'instaurer une procédure de recrutement conforme aux dispositions pertinentes du statut et de tenir compte de la situation des requérants qui possèdent des qualifications équivalentes, voire supérieures, à celles des personnes recrutées en application de la décision attaquée.

29.
    La partie intervenante souligne l'intérêt de l'ensemble des fonctionnaires communautaires pour la solution qui sera apportée au fond du litige, dans la mesure où le respect du statut des fonctionnaires des Communautés européennes(ci-après le «statut») est essentiel pour la fonction publique. En ce qui concerne la recevabilité du recours, elle estime que les moyens et arguments développés par le Conseil sont étroitement liés au fond du litige.

30.
    Le Conseil estime que le recours doit être déclaré irrecevable. En effet, les requérants ne seraient ni destinataires de la décision 1999/307 ni individuellement concernés par cette dernière.

31.
    Dans la mesure où les requérants prétendent disposer de compétences concernant l'acquis de Schengen équivalentes, voire supérieures, à celles requises par la décision attaquée, le Conseil soutient que les requérants doivent démontrer qu'ils sont individualisés d'une manière analogue à celle du destinataire de l'acte en cause. La décision 1999/307 étant un acte d'ordre général adressé à l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») du Conseil, les requérants ne seraient pas en mesure d'établir une telle individualisation.

32.
    Pour autant que les requérants allèguent que l'acte attaqué a pour effet de les exclure définitivement de la catégorie des personnes susceptibles d'être intégrées au secrétariat général du Conseil, ce dernier rétorque que les requérants se trouvent exclus du champ d'application de l'acte attaqué parce que, comme beaucoup d'autres ressortissants européens, ils ne satisfont pas aux conditions objectives figurant dans l'article 3, sous e), dudit acte. Ils n'apporteraient aucun élément tendant à prouver une intention de la part du Conseil de les exclure individuellement ou qu'il y aurait un lien de causalité entre la connaissance par le Conseil de leur situation particulière et l'acte attaqué.

33.
    Le Conseil soutient, enfin, qu'il n'avait aucune obligation de tenir compte de la situation particulière de quiconque au stade où il a fixé, dans l'acte attaqué, en termes généraux et objectifs les modalités de recrutement qui visaient à répondre aux exigences découlant de l'acquis de Schengen ainsi qu'à ses propres besoins.

Appréciation du Tribunal

34.
    Il est constant que les requérants ne sont pas les destinataires de la décision 1999/307. En vertu de son article 6, celle-ci ne s'adresse qu'au secrétaire général du Conseil. D'ailleurs, les requérants ont abandonné, dans leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité, la thèse initialement avancée dans leur requête, selon laquelle ils seraient destinataires de la décision attaquée, pour soutenir que celle-ci les concerne directement et individuellement. Il est également constant que les requérants ne remplissent pas les conditions d'intégration établies à l'article 3, sous e), de la décision attaquée.

35.
    Par conséquent, il y a lieu d'examiner si l'acte attaqué constitue une «décision» qui concerne les requérants individuellement, au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE, étant précisé que cet examen doit s'attacher non pas à la forme dans laquelle l'acte a été adopté, mais exclusivement à sa substance (arrêt de la Cour du 11novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 9). À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a précisé, dès son arrêt du 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e.a./Conseil (16/62 et 17/62, Rec. p. 901, 918), que le terme «décision» figurant à l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, quatrième alinéa, CE) doit être entendu dans le sens technique résultant de l'article 189 du traité CE (devenu article 249 CE) (ordonnance de la Cour du 12 juillet 1993, Gibraltar et Gibraltar Development/Conseil, C-168/93, Rec. p. I-4009, point 11).

36.
    Une décision ainsi définie se distingue d'un acte de nature normative, le critère de distinction devant être recherché dans la portée générale ou non de l'acte en question (ordonnance Gibraltar et Gibraltar Development/Conseil, précitée, point 11). Or, un acte ne saurait être considéré comme constituant une décision s'il s'applique à des situations déterminées objectivement et produit ses effets juridiques à l'égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite (arrêt Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e.a./Conseil, précité, p. 918 et 919, arrêt de la Cour du 6 octobre 1982, Alusuisse/Conseil et Commission, 307/81, Rec. p. 3463, point 9, et ordonnance du Tribunal du 19 juin 1995, Kik/Conseil et Commission, T-107/94, Rec. p. II-1717, point 35).

37.
    En l'espèce, il y a donc lieu d'analyser la nature de la décision 1999/307 et, en particulier, les effets juridiques qu'elle vise à produire ou produit effectivement.

38.
    À cet égard, il convient de rappeler que, adoptée sur le fondement de l'article 7 du protocole, selon lequel le Conseil «adopte les modalités d'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil», la décision 1999/307 fixe lesdites modalités en définissant, dans son article 1er, paragraphe 2, le secrétariat de Schengen, aux fins de l'intégration envisagée, comme constitué par «les personnes qui remplissent les conditions prévues à l'article 3, [... sous] e)». Aux termes de l'article 2 de cette décision, c'est «par dérogation au statut, et sous réserve de la vérification du respect des conditions fixées à l'article 3 [... que] l'AIPN [...] peut nommer au secrétariat général du Conseil les personnes visées à l'article 1er de la présente décision en qualité de fonctionnaires stagiaires». En vertu de son article 3, l'AIPN «peut procéder aux nominations prévues à l'article 2 après avoir vérifié [notamment] que les personnes en cause [...] étaient employées au secrétariat de Schengen à la date du 2 octobre 1997 [...] et y exerçaient une activité effective [... et] qu'elles étaient encore employées au secrétariat de Schengen à la date du 1er mai 1999».

39.
    Cette réglementation utilise des critères objectifs et généraux pour déterminer la catégorie des personnes susceptibles d'être intégrées au secrétariat général du Conseil et, a contrario, celle des personnes qui sont définitivement exclues de cette possibilité d'intégration. En outre, en prévoyant que les modalités d'intégration dérogent au statut - dont le régime de recrutement a incontestablement uncaractère normatif -, la décision attaquée instaure un système distinctif de celui du statut, qui, tout en ayant un caractère sui generis, est également de nature normative. La décision 1999/307 s'applique, dès lors, à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l'égard de deux catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite, à savoir les personnes qui satisfont aux conditions d'intégration prévues et celles qui ne les remplissent pas.

40.
    Il est certes vrai que la décision 1999/307 affecte la situation des requérants en ce qu'elle les exclut de la possibilité d'intégration, alors qu'une personne qui satisfait aux conditions prévues dans ladite décision peut en bénéficier. Toutefois, la circonstance que la décision attaquée puisse avoir des effets concrets différents pour les divers sujets de droit auxquels elle s'applique ne saurait priver celle-ci de son caractère général et abstrait (voir arrêt du Tribunal du 21 février 1995, Campo Ebro e.a./Conseil, T-472/93, Rec. p. II-421, point 36, et ordonnance de la Cour du 18 décembre 1997, Sveriges Betodlares et Henrikson/Commission, C-409/96 P, Rec. p. I-7531, point 37).

41.
    La nature normative de la décision 1999/307 n'est pas davantage mise en cause par l'argument tiré de ce que, à la date du 1er mai 1999, le Conseil aurait déjà connu les personnes visées par celle-ci. En effet, la portée générale et, partant, la nature normative d'un acte ne sont pas affectées par la possibilité de déterminer le nombre ou même l'identité des sujets de droit auxquels il s'applique à un moment donné, tant qu'il est constant que cette application s'effectue en vertu d'une situation objective de droit ou de fait, définie en relation avec la finalité de cet acte (ordonnances du Tribunal du 15 septembre 1998, Molkerei Großbraunshain et Bene Nahrungsmittel/Commission, T-109/97, Rec. p. II-3533, point 52, et la jurisprudence citée, et du 9 novembre 1999, CSR Pampryl/Commission, T-114/99, Rec. p. II-3331, point 46).

42.
    Or, l'objectif poursuivi par la décision attaquée consistait, aux termes de son considérant 3, à garantir que, lors de l'intégration de l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne, l'application et le développement des dispositions relatives à cet acquis continuent à se dérouler dans des conditions qui en assurent le bon fonctionnement. Dans ces circonstances, le Conseil avait tout intérêt à s'assurer que la mise en oeuvre pratique de l'acte envisagé ne risquât pas de compromettre, notamment par une insuffisance du nombre des personnes susceptibles de satisfaire aux conditions d'intégration, la réalisation de l'objectif susmentionné, sans que cela ait pu transformer l'acte attaqué en un faisceau de décisions individuelles.

43.
    En tout état de cause, l'éventuelle connaissance des seuls bénéficiaires potentiels de la décision attaquée ne saurait remettre en question le caractère normatif de cette dernière vis-à-vis de la catégorie des personnes qui, ne remplissant pas les conditions d'intégration prévues par celle-ci, sont définitivement exclues de son champ d'application.

44.
    Il résulte de ces considérations que l'acte attaqué se présente, nonobstant son intitulé de «décision», comme une mesure de portée générale qui s'applique à des situations déterminées objectivement.

45.
    Toutefois, la jurisprudence a précisé que, dans certaines circonstances, un tel acte peut concerner individuellement certains particuliers intéressés (arrêts de la Cour du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C-358/89, Rec. p. I-2501, point 13, et du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309/89, Rec. p. I-1853, point 19). Dans une telle hypothèse, un acte communautaire pourrait alors à la fois revêtir un caractère normatif et, à l'égard de certains particuliers intéressés, un caractère décisionnel (arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-2941, point 50). Tel est le cas si l'acte en cause atteint une personne physique ou morale en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne (arrêt Codorniu/Conseil, précité, point 20).

46.
    À la lumière de cette jurisprudence, il y a lieu de vérifier si, en l'espèce, les requérants sont concernés par l'acte attaqué en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou s'il existe une situation de fait qui les caractérise, au regard de celui-ci, par rapport à toute autre personne.

47.
    Les requérants font valoir que leur individualisation résulte du fait que le Conseil n'a pas instauré une procédure de recrutement conforme aux dispositions pertinentes du statut, à laquelle ils auraient pu participer. Dans ce contexte, ils reprochent au Conseil, au titre de leur troisième moyen de fond, d'avoir commis un détournement de procédure et de pouvoir. Ils ajoutent que le Conseil aurait dû tenir compte de leur situation particulière, en ce qu'ils possèdent des qualifications équivalentes, voire supérieures, à celles des personnes recrutées en application de la décision attaquée.

48.
    Toutefois, il convient de constater que, par cette argumentation, les requérants visent à contester la légalité de la décision 1999/307. L'examen de leur thèse relève donc du fond de l'affaire. Ainsi que le Tribunal l'a déjà jugé dans son ordonnance Molkerei Großbraunshain et Bene Nahrungsmittel/Commission, précitée (point 62, et la jurisprudence citée), une telle argumentation, par laquelle les requérants reprochent à l'institution de les avoir privés de droits procéduraux, est dénuée de pertinence dans l'appréciation de la recevabilité d'un recours dirigé contre un acte normatif - qui jouit, en principe, d'une présomption de légalité -, à moins qu'il ne soit établi que le choix de cette institution constitue un détournement de procédure. Or, selon une jurisprudence constante, il n'y a détournement de procédure, qui n'est qu'une forme du détournement de pouvoir, qu'en présence d'indices objectifs, pertinents et concordants qui permettent d'établir que l'acte litigieux visait un but autre que celui poursuivi par la réglementation en cause.

49.
    À cet égard, il convient de relever, d'emblée, que le moyen tiré d'un détournement de procédure et de pouvoir se limite, en l'espèce, à une simple affirmation générale dépourvue d'éléments de preuve concrets.

50.
    Par ailleurs, le dossier ne comporte aucun indice permettant de supposer que le Conseil ait choisi la procédure d'intégration litigieuse pour priver les requérants d'une procédure de concours, à laquelle ils auraient pu éventuellement participer, de sorte que la décision attaquée aurait constitué l'«aboutissement d'une procédure viciée dans tous ses éléments» (voir, en ce sens, ordonnance Molkerei Großbraunshain et Bene Nahrungsmittel/Commission, précitée, point 63, et la jurisprudence citée).

51.
    Au contraire, ainsi que le Tribunal l'a jugé dans son arrêt de ce jour, Leroy e.a./Conseil (T-164/99, T-37/00 et T-38/00, non encore publié au Recueil, points 58 à 68, 74 et 75), d'une part, l'article 7 du protocole a permis au Conseil d'adopter les modalités d'intégration du secrétariat de Schengen contestées par les requérants et, d'autre part, la fixation, dans la décision 1999/307, d'une période de référence s'étalant du 2 octobre 1997 jusqu'au 1er mai 1999 n'était pas arbitraire au regard de l'objectif poursuivi, à savoir le recrutement d'un personnel expérimenté dans des conditions assurant le bon fonctionnement de l'intégration de l'acquis de Schengen (considérants 3, 4 et 6 de la décision attaquée).

52.
    Ces considérations suffisent pour exclure, au stade de l'examen de la recevabilité du présent recours, que le choix, par le Conseil, de la procédure d'intégration litigieuse, y compris la période de référence du 2 octobre 1997 au 1er mai 1999, au lieu de la procédure de recrutement prévue au statut, puisse individualiser les requérants au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE.

53.
    Dans le cadre de leur grief concernant la procédure de recrutement instaurée dans la décision attaquée, les requérants reprochent également au Conseil de n'avoir pas tenu compte de leur situation particulière. Quant à cet argument, force est de constater que la Cour et le Tribunal ont déjà déclaré recevables des recours en annulation introduits à l'encontre d'un acte à caractère normatif dans la mesure où il existait une disposition de droit supérieur qui imposait à l'auteur de l'acte de tenir compte de la situation particulière des parties requérantes (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 17 juin 1998, UEAPME/Conseil, T-135/96, Rec. p. II-2335, point 90, et la jurisprudence citée). Il y a, toutefois, lieu de constater que les requérants n'ont indiqué aucune disposition de droit supérieur qui aurait obligé le Conseil à prendre en considération la situation de personnes qui, comme eux, sont exclues du champ d'application de la décision 1999/307. Par ailleurs, une telle disposition n'existe pas dans le droit communautaire primaire relatif à l'intégration de l'acquis de Schengen. Dès lors, les requérants ne sauraient se prévaloir de cet élément d'individualisation.

54.
    Pour la même raison, l'argumentation concernant l'appartenance des requérants à un cercle fermé de particuliers doit être écartée. En effet, pour que l'existence d'untel cercle puisse avoir une pertinence en tant qu'élément de nature à individualiser les particuliers en question au regard d'un acte normatif, il faut, selon une jurisprudence constante, que l'institution dont émane l'acte attaqué ait eu l'obligation de tenir compte, lors de l'adoption dudit acte, de la situation spécifique de ces particuliers [voir ordonnance du Tribunal du 3 juin 1997, Merck e.a./Commission, T-60/96, Rec. p. II-849, point 58, et la jurisprudence citée, ainsi qu'ordonnance du président de la Cour du 12 octobre 2000, Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil et Commission, C-300/00 P(R), Rec. p. I-8797, point 46, et la jurisprudence citée]. Or, en l'espèce, une telle obligation n'était pas imposée au Conseil.

55.
    Pour autant que les requérants se réfèrent, encore, à la longue durée de leurs activités au service du secrétariat de Schengen, qui leur aurait permis d'acquérir l'expérience et la compétence voulues pour une intégration au secrétariat général du Conseil, il y a lieu de relever qu'il ne s'agit là ni de qualités qui leur seraient particulières ni d'une situation de fait qui les caractériserait par rapport à toute autre personne. À cet égard, il suffit de constater que beaucoup d'autres personnes seraient, en principe, capables d'exercer au sein du Conseil des fonctions relatives à la gestion de l'acquis de Schengen, telles que des fonctionnaires en poste dans des autorités nationales ayant coopéré avec le secrétariat de Schengen, des diplômés d'études universitaires portant sur l'acquis de Schengen ou des avocats spécialisés en la matière, sans pour autant remplir les conditions d'intégration posées par la décision attaquée. Le fait pour chacun des requérants d'avoir été au service du secrétariat de Schengen à une certaine période - qui avait d'ailleurs expiré longtemps avant l'adoption de la décision 1999/307 - n'est donc pas de nature à les individualiser par rapport à d'autres personnes qui, comme eux, ne remplissent pas les conditions d'intégration posées par cette décision.

56.
    Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sauraient être considérés comme individuellement concernés par la décision attaquée. Les requérants ne satisfaisant pas à cette condition de recevabilité posée par l'article 230, quatrième alinéa, CE, il n'est pas nécessaire d'examiner la question de savoir s'ils sont directement concernés.

57.
    Dès lors, le présent recours doit être déclaré irrecevable.

Sur les dépens

58.
    En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé et le Conseil ayant conclu à leur condamnation aux dépens, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens et, solidairement, ceux du Conseil.

59.
    Conformément à l'article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du même règlement, l'Union syndicale-Bruxelles, partie intervenue au soutien des conclusions des requérants, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)    Les parties supporteront leurs propres dépens ainsi que, solidairement, ceux exposés par le Conseil.

3)    La partie intervenante supportera ses propres dépens.

Meij
Potocki
Pirrung

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 juin 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. W. H. Meij


1: Langue de procédure: le français.