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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

5 avril 2017 (*)

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Procédures de recours – Directive 89/665/CEE – Article 1er, paragraphe 1 – Article 2, paragraphe 1 – Décision du pouvoir adjudicateur portant admission d’un opérateur économique à soumissionner – Décision non susceptible de recours selon la réglementation nationale applicable »

Dans l’affaire C-391/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Superior de Justicia de Andalucía (Cour supérieure de justice d’Andalousie, Espagne), par décision du 9 juillet 2015, parvenue à la Cour le 20 juillet 2015, dans la procédure

Marina del Mediterráneo SL e.a.

contre

Agencia Pública de Puertos de Andalucía,

en présence de :

Consejería de Obras Públicas y Vivienda de la Junta de Andalucía,

Nassir Bin Abdullah and Sons SL,

Puerto Deportivo de Marbella SA,

Ayuntamiento de Marbella,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Juhász (rapporteur), C. Vajda, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 juin 2016,

considérant les observations présentées :

–        pour Marina del Mediterráneo SL e.a., par M. J. L. Torres Beltrán, procurador, et Me A. Jiménez-Blanco, abogado,

–        pour l’Agencia Pública de Puertos de Andalucía, par Me J. M. Rodríguez Gutiérrez, abogado,

–        pour la Consejería de Obras Públicas y Vivienda de la Junta de Andalucía, par Me I. Nieto Salas, abogada,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. M. A. Sampol Pucurull et Mme M. J. García-Valdecasas Dorrego, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. P. Pucciariello et F. Di Matteo, avvocati dello Stato,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. M. Fruhmann, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme E. Sanfrutos Cano et M. A. Tokár, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007 (JO 2007, L 335, p. 31) (ci-après la « directive 89/665 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Marina del Mediterráneo SL e.a., groupement temporaire d’entreprises dénommé « Marina Internacional de Marbella », à l’Agencia Pública de Puertos de Andalucía (Agence publique des ports d’Andalousie, ci-après l’« Agence ») au sujet de la régularité d’une décision de cette dernière entité d’admettre à soumissionner, dans une procédure de passation d’un marché de concession de travaux publics organisée par celle-ci, un autre groupement temporaire d’entreprises.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le deuxième considérant de la directive 89/665 énonce :

« [...] les mécanismes existant actuellement, tant sur le plan national que sur le plan communautaire, pour assurer cette application [effective des directives en matière de marchés publics] ne permettent pas toujours de veiller au respect des dispositions communautaires, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées ».

4        L’article 1er de cette directive, intitulé « Champ d’application et accessibilité des procédures de recours », dispose, à ses paragraphes 1 et 3 :

« 1.      La présente directive s’applique aux marchés visés par la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004,relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services [(JO 2004, L 134, p. 114)], sauf si ces marchés sont exclus en application des articles 10 à 18 de ladite directive.

Les marchés au sens de la présente directive incluent les marchés publics, les accords-cadres, les concessions de travaux publics et les systèmes d’acquisition dynamiques.

Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application de la directive 2004/18/CE, les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles 2 à 2 septies de la présente directive, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

[...]

3.      Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée. »

5        L’article 2 de ladite directive, intitulé « Exigences en matière de procédures de recours », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant :

a)      de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher qu’il soit encore porté atteinte aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou l’exécution de toute décision prise par le pouvoir adjudicateur ;

b)      d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l’appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause ;

c)      d’accorder des dommages et intérêts aux personnes lésées par une violation. »

6        La directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1), a été abrogée par la directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2014, L 94, p. 243). Elle énumérait à ses articles 3 à 7, figurant dans son titre I, chapitre II, section 2, les activités auxquelles elle s’appliquait.

7        La directive 2004/18 a été abrogée par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics (JO 2014, L 94, p. 65). Elle disposait à son article 57, intitulé « Exclusions du champ d’application », figurant dans son titre III, lui-même intitulé « Règles dans le domaine des concessions de travaux publics » :

« Le présent titre ne s’applique pas aux concessions de travaux publics :

a)      qui sont octroyées pour les marchés publics de travaux dans les cas visés aux articles 13, 14 et 15 de la présente directive ;

b)      qui sont octroyées par des pouvoirs adjudicateurs exerçant une ou plusieurs des activités visées aux articles 3 à 7 de la directive 2004/17/CE, lorsque ces concessions sont octroyées pour l’exercice de ces activités.

Toutefois, la présente directive continue à s’appliquer aux concessions de travaux publics qui sont octroyées par des pouvoirs adjudicateurs exerçant une ou plusieurs des activités visées à l’article 6 de la directive 2004/17/CE et octroyées pour ces activités, aussi longtemps que l’État membre concerné se prévaut de la faculté visée à l’article 71 de ladite directive pour en différer l’application. »

 Le droit espagnol

8        L’article 25, paragraphe 1, de la Ley 29/1998 reguladora de la Jurisdicción Contencioso-Administrativa (loi 29/1998 relative au contentieux administratif), du 13 juillet 1998 (BOE n° 167, du 14 juillet 1998, p. 23516), définit l’objet du recours dans le cadre de la procédure du contentieux administratif et, plus précisément, l’acte administratif attaquable en ces termes :

« [l]e recours contentieux administratif est recevable concernant les dispositions à caractère général, ainsi que contre les actes explicites et implicites de l’administration publique qui mettent fin à la voie administrative, qu’ils soient définitifs ou préparatoires, si ces derniers tranchent, directement ou indirectement, le fond de l’affaire, entraînent l’impossibilité de poursuivre la procédure ou de se défendre, ou occasionnent des préjudices irréparables à des droits ou à des intérêts légitimes. »

9        L’article 107, paragraphe 1, de la Ley 30/1992 de Régimen Jurídico de las Administraciones Públicas y del Procedimiento Administrativo Común (loi 30/1992 relative au régime juridique des administrations publiques et à la procédure administrative commune), du 26 novembre 1992 (BOE n° 285, du 27 novembre 1992, p. 40300), telle que modifiée par la Ley 4/1999 (loi 4/1999), du 13 janvier 1999 (BOE n° 12, du 14 janvier 1999, p. 1739) (ci-après la « loi 30/1992 »), prévoit :

« Contre les décisions et les actes préparatoires qui tranchent, directement ou indirectement, le fond de l’affaire, qui entraînent l’impossibilité de poursuivre la procédure ou de se défendre, ou qui occasionnent des préjudices irréparables à des droits ou à des intérêts légitimes, les intéressés peuvent introduire les recours hiérarchiques et les recours gracieux facultatifs fondés sur tout motif de nullité ou d’annulation prévu aux articles 62 et 63 de la [loi 30/1992].

L’opposition aux actes préparatoires pourra être invoquée par les intéressés afin d’être prise en considération dans la décision mettant un terme à la procédure. »

10      La Ley 30/2007 de Contratos del Sector Público (loi 30/2007 relative aux marchés publics), du 30 octobre 2007 (BOE n° 261, du 31 octobre 2007, p. 44336), a été modifiée par la Ley 34/2010 (loi 34/2010), du 5 août 2010 (BOE n° 192, du 9 août 2010, p. 69400) (ci-après la « loi 30/2007 »), dans le but d’introduire, à ses articles 310 à 320, des dispositions relatives au recours spécial en matière de marchés publics.

11      L’article 310, paragraphe 2, de la loi 30/2007, constituant une disposition spécifique au domaine des marchés publics mettant en œuvre la règle générale prévue à l’article 107, paragraphe 1, de la loi 30/1992, dispose :

« Les actes suivants pourront faire l’objet du recours :

a)      Les avis de marché, les cahiers des charges et les documents contractuels fixant les conditions régissant l’adjudication.

b)      Les actes préparatoires pris pendant la procédure d’adjudication, dès lors qu’ils décident, directement ou indirectement, de l’adjudication, empêchent de poursuivre la procédure, entraînent l’impossibilité de se défendre ou causent des préjudices irréparables à des droits ou à des intérêts légitimes. Les actes de la commission d’adjudication décidant d’exclure des soumissionnaires sont considérés comme des actes préparatoires empêchant de poursuivre la procédure.

c)      Les décisions d’adjudication adoptées par les pouvoirs adjudicateurs. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      Le 12 avril 2011, Marina del Mediterráneo SL e.a. ont introduit auprès de l’organe administratif compétent un recours spécial en matière de marchés publics contre la décision de la commission d’adjudication d’admettre le groupement temporaire d’entreprises constitué par Nassir bin Abdullah and Sons SL, Puerto Deportivo de Marbella SA et l’Ayuntamiento de Marbella (municipalité de Marbella, Espagne) (ci‑après le « second groupement temporaire d’entreprises »), à participer à la procédure de passation du marché de concession de travaux publics dit « Extension du port de Marbella “la Bajadilla” ».

13      Cette procédure était engagée par l’Agence, un organisme public ad hoc, disposant d’une autonomie fonctionnelle et d’une personnalité juridique propre au sein de la Consejería de Obras Públicas y Vivienda de la Junta de Andalucía (ministère des Travaux publics et du Logement d’Andalousie, Espagne). L’appel d’offres a été lancé le 27 novembre 2010. Selon des indications faites à l’audience devant la Cour, la valeur dudit marché est de l’ordre de 77 000 000 euros.

14      Les deux groupements temporaires d’entreprises en cause au principal étaient les seuls soumissionnaires participant à cette procédure d’appel d’offres.

15      Dans leur recours, Marina del Mediterráneo e.a. font valoir, en substance, que tant la réglementation nationale que celle de l’Union ont été enfreintes en raison de la participation du second groupement temporaire d’entreprises à la procédure engagée, dans la mesure où, d’une part, la municipalité de Marbella est une administration publique qui n’est pas considérée comme un entrepreneur au sens de la réglementation nationale et qui ne peut être considérée comme un opérateur économique sans fausser les règles de la libre concurrence et d’égalité entre les soumissionnaires et où, d’autre part, ce groupement temporaire d’entreprises ne remplit pas les conditions de solvabilité économique et financière requises dans la mesure où les risques financiers qu’il prend sont couverts par le budget de cette municipalité.

16      Par décision du 3 mai 2011, le directeur exécutif de l’Agence a rejeté ce recours. Dans cette décision, il se réfère à la jurisprudence de la Cour et, plus particulièrement, à l’arrêt du 23 décembre 2009, CoNISMa (C‑305/08, EU:C:2009:807), qui reconnaît la qualité de soumissionnaire à toute entité publique ou groupement de telles entités, qui offrent des services sur le marché, même à titre occasionnel. En outre, ledit directeur considère que la solvabilité financière du second groupement temporaire d’entreprises est établie compte tenu des recettes du budget de la municipalité de Marbella.

17      Ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, le marché public en cause au principal a été attribué, par décision du 6 juin 2011, à ce second groupement temporaire d’entreprises. Le recours administratif formé contre cette décision par Marina del Mediterráneo e.a. a été rejeté par décision du 11 juillet 2011.

18      Par lettre du 5 juillet 2011, Marina del Mediterráneo e.a. ont introduit un recours contentieux administratif auprès du Tribunal Superior de Justicia de Andalucía (Cour supérieure de justice d’Andalousie, Espagne), contre la décision du 3 mai 2011 du directeur exécutif de l’Agence. Dans ce recours, ledit groupement, en réitérant les arguments avancés devant cet organe administratif dans le cadre du recours spécial en matière de marchés publics, demande l’annulation de cette décision et, dès lors, l’annulation des actes postérieurs à celle-ci, en particulier de la décision du 6 juin 2011 portant attribution du marché en cause au second groupement temporaire d’entreprises.

19      Par décision du 19 février 2015, la juridiction nationale saisie a informé les parties au principal de l’existence éventuelle d’un motif d’irrecevabilité du recours contentieux administratif introduit, qui résulterait de la réglementation nationale définissant les actes susceptibles de faire l’objet d’un recours spécial en matière de passation de marchés publics. Conformément à cette réglementation, peuvent faire l’objet de recours les actes préparatoires qui décident, directement ou indirectement, de l’adjudication, empêchent de poursuivre la procédure, entraînent l’impossibilité de se défendre ou causent des préjudices irréparables à des droits ou à des intérêts légitimes.

20      Par conséquent, la décision d’une commission d’adjudication de ne pas exclure un soumissionnaire mais, au contraire, d’admettre son offre et de l’autoriser à participer à la procédure d’adjudication engagée ne constitue pas un acte décisionnel susceptible de recours, ce qui n’empêche pas, toutefois, la personne concernée de dénoncer les irrégularités éventuelles observées pour les invoquer a posteriori en attaquant l’acte portant adjudication du marché en cause, qui a un caractère décisionnel.

21      La juridiction de renvoi a des doutes au sujet de la compatibilité de cette réglementation avec les dispositions du droit de l’Union en matière de marchés publics, telles qu’interprétées par la Cour, notamment dans l’arrêt du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau (C-26/03, EU:C:2005:5).

22      Eu égard à ces considérations, le Tribunal Superior de Justicia de Andalucía (Cour supérieure de justice d’Andalousie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      À la lumière des principes de coopération loyale et d’effet utile de la directive, l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/665 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition nationale telle que l’article 310, paragraphe 2, de la loi 30/2007 [...], dans la mesure où cette disposition empêche les actes préparatoires du pouvoir adjudicateur, comme la décision d’admettre une offre d’un soumissionnaire, dont il est allégué qu’elle ne respecte pas les dispositions relatives à la justification de la solvabilité technique et économique prévues par la législation nationale et la législation de l’Union, de faire l’objet du recours spécial en matière de marchés publics ?

2)      En cas de réponse par l’affirmative à la première question, l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/665 produisent-ils un effet direct ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

23      À titre liminaire, s’agissant des doutes exprimés par le gouvernement espagnol quant à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, il convient de rappeler que, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, de la directive 89/665, lu à la lumière du considérant 2 de la directive 2007/66, la directive 89/665 ne s’applique, dans un contexte tel que celui de l’affaire au principal, qu’aux marchés relevant du champ d’application de la directive 2004/18, à l’exception toutefois des cas où ces marchés sont exclus en application des articles 10 à 18 de cette dernière directive. Les considérations qui suivent sont donc fondées sur la prémisse que la directive 2004/18 est applicable au marché en cause au principal et, par conséquent, que la directive 89/665 est également applicable à la procédure au principal, ce qu’il incombe cependant à la juridiction de renvoi de vérifier.

 Sur la première question

24      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/665 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale en vertu de laquelle la décision d’admettre un soumissionnaire à la procédure d’adjudication, décision dont il est allégué qu’elle viole le droit de l’Union en matière de marchés publics ou la législation nationale le transposant, ne figure pas parmi les actes préparatoires d’un pouvoir adjudicateur qui peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel autonome.

25      Si l’article 310, paragraphe 2, sous b), de la loi 30/2007 permet d’introduire un recours autonome contre les actes préparatoires par lesquels il est décidé, directement ou indirectement, de l’adjudication, qui empêchent de poursuivre la procédure, qui entraînent l’impossibilité de se défendre ou causent des préjudices irréparables à des droits ou à des intérêts légitimes, les autres actes préparatoires, tels que la décision d’admission d’un soumissionnaire à une procédure, peuvent, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, uniquement être contestés dans le cadre d’un recours contre la décision portant attribution d’un marché public.

26      Il y a lieu de rappeler que le libellé de l’article 1er, paragraphe 1, de ladite directive suppose, par l’emploi des termes « en ce qui concerne les procédures », que toute décision d’un pouvoir adjudicateur qui relève des règles issues du droit de l’Union en matière de marchés publics et qui est susceptible de les enfreindre soit soumise au contrôle juridictionnel prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la même directive. Cette disposition se réfère donc de manière générale aux décisions d’un pouvoir adjudicateur sans faire de distinction entre ces décisions en fonction de leur contenu ou du moment de leur adoption (voir arrêt du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau, C‑26/03, EU:C:2005:5, point 28 et jurisprudence citée).

27      Cette acception large de la notion de « décision » d’un pouvoir adjudicateur est confirmée par le fait que la disposition de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665 ne prévoit aucune restriction en ce qui concerne la nature et le contenu des décisions qui y sont visées. En outre, une interprétation restrictive de cette notion serait incompatible avec la disposition de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de cette directive, qui impose aux États membres de prévoir des procédures de référé à l’égard de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs (voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau, C‑26/03, EU:C:2005:5, point 30 et jurisprudence citée).

28      Il s’ensuit que la décision admettant un soumissionnaire à une procédure d’adjudication, telle que celle en cause au principal, constitue une décision au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de ladite directive.

29      Cette interprétation de la notion de « décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs » susceptibles de recours n’est pas remise en cause par la circonstance que la Cour a jugé, au point 35 de l’arrêt du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau (C‑26/03, EU:C:2005:5), que des agissements qui s’insèrent dans le cadre de la réflexion interne du pouvoir adjudicateur en vue de la passation d’un marché public ne sont pas susceptibles de recours. En effet, s’agissant de l’admission de l’offre d’un soumissionnaire en cause au principal, il y a lieu de considérer qu’une telle décision sort, par sa nature même, du cadre de la réflexion interne du pouvoir adjudicateur. Par ailleurs, la décision a été communiquée à Marina del Méditerraneo e.a.

30      S’agissant du moment à partir duquel un recours doit être ouvert, il convient de rappeler que, ainsi qu’il résulte du deuxième considérant de la directive 89/665, cette dernière vise à renforcer les mécanismes existants, tant sur le plan national que sur le plan de l’Union, pour assurer l’application effective des directives en matière de passation des marchés publics, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées. À cet effet, l’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, de celle-ci impose aux États membres l’obligation de « garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et en particulier aussi rapides que possible » (voir arrêt du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a., C‑470/99, EU:C:2002:746, point 74).

31      Or, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, si la directive 89/665 n’a pas formellement prévu le moment à partir duquel la possibilité de recours prévue à son article 1er, paragraphe 1, est ouverte, l’objectif de ladite directive, visé au point précédent, n’autorise pas les États membres à subordonner l’exercice du droit de recours au fait que la procédure de marché public en cause a formellement atteint un stade déterminé (voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau, C‑26/03, EU:C:2005:5, point 38).

32      En l’absence de réglementation de l’Union fixant le moment à partir duquel la possibilité de recours doit être ouverte, il appartient, conformément à une jurisprudence constante, au droit national de régler les modalités de la procédure juridictionnelle destinée à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Ces modalités procédurales ne doivent, toutefois, pas être moins favorables que celles concernant les recours similaires prévus pour la protection des droits tirés de l’ordre juridique interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (arrêts du 30 septembre 2010, Strabag e.a., C‑314/09, EU:C:2010:567, point 34 ; du 6 octobre 2015, Orizzonte Salute, C‑61/14, EU:C:2015:655, point 46, ainsi que du 26 novembre 2015, MedEval, C‑166/14, EU:C:2015:779, points 32, 35 et 37).

33      Notamment, les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits conférés par le droit de l’Union aux candidats et aux soumissionnaires lésés par des décisions des pouvoirs adjudicateurs ne peuvent pas porter atteinte à l’effet utile de la directive 89/665 (voir, en ce sens, arrêts du 3 mars 2005, Fabricom, C‑21/03 et C‑34/03, EU:C:2005:127, point 42 ; du 6 octobre 2015, Orizzonte Salute, C‑61/14, EU:C:2015:655, point 47, ainsi que du 15 septembre 2016, Star Storage e.a., C‑439/14 et C‑488/14, EU:C:2016:688, point 43).

34      En ce qui concerne spécifiquement la décision admettant un soumissionnaire à une procédure d’adjudication, telle que celle en cause au principal, le fait que la réglementation nationale en cause au principal exige, en toute hypothèse, que le soumissionnaire attende la décision d’attribution du marché en cause avant de pouvoir introduire un recours contre l’admission d’un autre soumissionnaire méconnaît les dispositions de la directive 89/665.

35      Cette interprétation n’est pas remise en question par la constatation selon laquelle la réalisation complète de l’objectif poursuivi par la directive 89/665 serait compromise s’il était loisible aux candidats et aux soumissionnaires d’invoquer à tout moment de la procédure d’adjudication des infractions aux règles de passation des marchés, obligeant ainsi le pouvoir adjudicateur à reprendre la totalité de la procédure afin de corriger ces infractions (arrêt du 12 mars 2015, eVigilo, C‑538/13, EU:C:2015:166, point 51 et jurisprudence citée). Cette constatation concerne, en effet, la justification des délais raisonnables de forclusion des recours contre les décisions susceptibles d’être attaquées et non pas l’exclusion d’un recours autonome contre la décision admettant un soumissionnaire à une procédure d’adjudication, telle qu’elle résulte de la réglementation en cause au principal.

36      De plus, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si les autres conditions relatives à l’accessibilité des procédures de recours prévues par la directive 89/665 sont remplies. À cet égard, il convient de relever que, selon les dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, et paragraphe 3, de ladite directive, afin que les recours contre les décisions prises par un pouvoir adjudicateur puissent être considérées comme efficaces, ils doivent être accessibles au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée du droit de l’Union en matière de marchés publics ou des règles transposant ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2016, PFE, C‑689/13, EU:C:2016:199, point 23). Il appartient dès lors, plus particulièrement, au juge national de déterminer, dans le cadre du litige au principal, si Marina del Mediterráneo e.a. ont ou ont eu un intérêt à obtenir le marché en cause et ont été lésées ou risquaient d’être lésées par la décision de l’Agence admettant l’offre du second groupement temporaire d’entreprises.

37      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/665 doivent être interprétés en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, ils s’opposent à une législation nationale en vertu de laquelle la décision d’admettre un soumissionnaire à la procédure d’adjudication, décision dont il est allégué qu’elle viole le droit de l’Union en matière de marchés publics ou la législation nationale le transposant, ne figure pas parmi les actes préparatoires d’un pouvoir adjudicateur qui peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel autonome.

 Sur la seconde question

38      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande si l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/665 produisent un effet direct.

39      À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que les dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de cette directive sont inconditionnelles et suffisamment précises pour fonder un droit en faveur d’un particulier qui, le cas échéant, peut s’en prévaloir contre un pouvoir adjudicateur (voir arrêt du 2 juin 2005, Koppensteiner, C‑15/04, EU:C:2005:345, point 38).

40      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 70 de ses conclusions, une telle appréciation vaut également pour l’article 2, paragraphe 1, sous a), de ladite directive, eu égard tant au libellé clair et précis de cette disposition qu’à la proximité de l’objet de celle-ci de celui de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la même directive.

41      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la seconde question que l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/665 produisent un effet direct.

 Sur les dépens

42      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007, doivent être interprétés en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, ils s’opposent à une législation nationale en vertu de laquelle la décision d’admettre un soumissionnaire à la procédure d’adjudication, décision dont il est allégué qu’elle viole le droit de l’Union en matière de marchés publics ou la législation nationale le transposant, ne figure pas parmi les actes préparatoires d’un pouvoir adjudicateur qui peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel autonome.

2)      L’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/665, telle que modifiée par la directive 2007/66, produisent un effet direct.

Signatures


* Langue de procédure : l’espagnol.