Language of document : ECLI:EU:T:2022:452

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

13 juillet 2022 (*)

« Fonction publique – Personnel de l’ECDC – Harcèlement moral – Demande d’assistance – Alertes préalables – Article 31 de la charte des droits fondamentaux – Article 24 du statut – Portée du devoir d’assistance – Devoir de sollicitude – Ouverture d’une enquête – Délai raisonnable – Responsabilité – Illégalité »

Dans l’affaire T‑864/19,

AI,

HV,

HW,

HY,

représentés par Mes L. Levi et A. Champetier, avocates,

parties requérantes,

contre

Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), représenté par Mme J. Mannheim, en qualité d’agent, assistée de Mes D. Waelbroeck et A. Duron, avocats,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de MM. R. da Silva Passos, président, L. Truchot et M. Sampol Pucurull (rapporteur), juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 14 octobre 2021,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Par leur recours fondé sur l’article 270 TFUE, déposé au greffe du Tribunal le 17 décembre 2019, les requérants, AI, HV, HW et HY, demandent réparation des préjudices qu’ils auraient subis du fait, essentiellement, de l’absence de réponse adéquate du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) face aux comportements de A (ci-après le « chef d’unité ») à leur égard entre 2012 et 2018, constitutifs, selon eux, de harcèlement moral.

2        Les requérants ont été membres du personnel de l’ECDC. À l’exception de HY, ils ont tous travaillé dans l’unité dirigée par le chef d’unité.

3        Le 1er décembre 2011, AI a été nommé membre du comité du personnel.

4        Le 1er juin 2012, à la suite d’une modification de la structure organisationnelle de l’ECDC, l’unité [confidentiel] (1) a été créée (ci-après la « nouvelle unité »). HY a été nommée cheffe faisant fonction de cette unité.

5        Au cours de l’été 2012, HV a été placé sous la supervision de B.

6        Par lettre du 27 septembre 2012, le prestataire de services de santé suédois auquel l’ECDC a confié ses services médicaux a constaté qu’« un nombre exceptionnellement élevé de [membres du] personnel » faisait référence à « un environnement de travail psychologique non sain ».

7        Dans le courant du mois de décembre 2012, un « plan d’action » a été adressé à HV par sa hiérarchie, afin d’améliorer ses résultats professionnels.

8        En 2013, une personne travaillant à la section « Ressources humaines » et HV se sont réunis pour évoquer la situation que ce dernier vivait avec le chef d’unité et B.

9        Le 1er février 2013, HY a été nommée cheffe de la nouvelle unité.

10      À partir du mois d’avril 2013, le comité de pilotage des systèmes d’information au sein de l’ECDC n’a plus été présidé par le chef d’unité.

11      Par lettre du 29 avril 2013, le directeur de l’ECDC à cette époque (ci-après l’« ancien directeur ») a informé HW que, en raison de certains changements organisationnels, elle serait affectée à un autre groupe, ce qui impliquait le retrait de ses fonctions au sein du centre des opérations d’urgence en lien avec une maladie spécifique.

12      Par courriel du 16 décembre 2013, HV a reçu une communication de la section « Ressources humaines » l’informant d’un reliquat de plus de douze jours de congé pour l’année en cours (quinze jours) et de la nécessité de demander une autorisation à l’ancien directeur s’il souhaitait faire reporter à l’année 2014 plus de douze jours de congé. HV a formulé cette demande. Le chef d’unité a ensuite autorisé HV à prendre ces trois jours de congé supplémentaires avant la fin de l’année 2013, car il ne recommandait pas le report de ces jours à l’année 2014.

13      Le 18 décembre 2013, B a envoyé un courriel à HV, résumant les principaux points abordés au cours d’une réunion qu’ils avaient eue la veille, en présence de C. Parmi ces points figurait la possibilité que la section « Ressources humaines » mette en place une procédure de vérification du temps de présence au bureau de HV.

14      Au début de l’année 2014, en raison d’un conflit entre HY et le chef d’unité, l’ancien directeur a proposé une médiation avec un consultant externe, qui n’a cependant pas abouti.

15      Par lettre du 24 janvier 2014, le chef d’unité a informé HV qu’il pouvait continuer à bénéficier du système d’horaire flexible à condition que l’ECDC puisse vérifier son temps de présence effectif au bureau par le biais du contrôle de sa carte d’accès.

16      Par courriel du 4 février 2014, HV s’est plaint auprès de la cheffe de la section « Ressources humaines » de la procédure de contrôle de sa carte d’accès.

17      Le 12 mai 2014, l’ECDC a été informé par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) de la décision de ce dernier d’ouvrir une enquête à l’égard de HV en raison d’un soupçon de conflit d’intérêts dans le cadre d’un contrat.

18      Le 27 mai 2014, HV a introduit un appel contre le rapport d’évaluation concernant ses prestations de l’année 2013, considérées comme « insatisfaisantes ».

19      Par courriel du 25 juin 2014, l’ancien directeur a informé HV qu’il avait décidé de confirmer ce rapport d’évaluation.

20      À partir du 30 juin 2014, HV a été en mis en congé de maladie de longue durée, lequel s’est terminé à la fin de cette même année 2014.

21      Par courriel du 22 juillet 2014, le chef d’unité a informé HW que ses prestations de l’année 2013 avaient été qualifiées d’« insatisfaisantes » dans son rapport d’évaluation, contrairement à la notation initialement retenue par son supérieur hiérarchique direct, D. HW a introduit un appel contre ce rapport d’évaluation.

22      À la fin du mois d’août 2014, HV a demandé à la cheffe de la section « Ressources humaines » à être transféré dans une autre unité.

23      Par courriel du 17 septembre 2014, la cheffe de la section « Ressources humaines » a informé HV des raisons pour lesquelles sa demande de transfert avait été rejetée.

24      Du 1er octobre au 23 décembre 2014, HW a été mise en congé de maladie.

25      Le 12 novembre 2014, dans le cadre de son examen de l’appel de HW contre son rapport d’évaluation (voir point 21 ci-dessus), l’ancien directeur a consulté D. Par la suite, HW a également participé à une réunion avec l’ancien directeur.

26      Par courriel du 18 novembre 2014, l’ancien directeur a informé HW qu’il avait décidé de rétablir l’évaluation initiale de son supérieur hiérarchique direct, selon laquelle l’« efficacité, les compétences et les aspects de comportement évalués correspond[ai]ent au niveau requis pour le poste », ainsi que la conclusion selon laquelle l’évaluation était « satisfaisante ».

27      Dans un document daté du 17 décembre 2014, HY a décrit ce qui « cré[ait] des conditions de travail non viables et une perception de harcèlement ». Pendant la même période, HY a pris contact avec des membres du comité du personnel au sujet du chef d’unité.

28      Au cours de l’année 2015, trois membres du personnel de l’ECDC, dont HV et HW, ont pris contact avec des conseillers confidentiels en matière de harcèlement. Ainsi qu’il sera indiqué aux points 157 et 160 ci-après, les conseillers confidentiels sont des personnes nommées par l’ECDC qui ont pour mission d’assister les membres du personnel qui s’estiment victimes de harcèlement, dans le cadre d’une procédure informelle.

29      Le 11 février 2015, HW a introduit, sur le fondement de l’article 73 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de l’Office de gestion et de liquidation des droits individuels (PMO).

30      Du 15 mars au 31 octobre 2015, HW a de nouveau été mise en congé de maladie.

31      Le 26 mars 2015, HW a été informée par une personne travaillant à la section « Ressources humaines » que son contrat ne serait pas renouvelé.

32      Le 27 avril 2015, sur la base d’une suggestion de sa conseillère confidentielle, HV a envoyé un courriel au PMO visant à engager la procédure pour faire reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle dans son chef en ce qui concerne le congé visé au point 20 ci-dessus.

33      À partir du 1er mai 2015, la cheffe de l’unité « Gestion et coordination des ressources » et directrice adjointe de l’ECDC a assuré la direction de l’ECDC par intérim en remplacement du directeur (ci-après la « directrice »).

34      Le 4 mai 2015, la directrice et HV se sont réunis, en présence de la conseillère confidentielle de ce dernier et de AI, en sa qualité de membre du comité du personnel. Afin de préparer la réunion, HV avait envoyé un courriel à la directrice, décrivant les agissements du chef d’unité qu’il dénonçait et demandant de nouveau à changer d’unité.

35      Par acte déposé au greffe du Tribunal de la fonction publique à la même date, et après avoir présenté une réclamation sur la base de l’article 90, paragraphe 2, du statut, HV a introduit un recours contre le rapport d’évaluation concernant ses prestations de l’année 2013, mentionné au point 19 ci-dessus. Le recours a été enregistré sous le numéro d’affaire F‑71/15.

36      Le 19 mai 2015, la directrice et le comité du personnel se sont réunis, à l’initiative de ce dernier, au sujet du comportement du chef d’unité à l’égard d’une dizaine de membres du personnel de l’ECDC. Selon les notes personnelles que la directrice a prises après cette réunion, ces membres du personnel souhaitaient rester anonymes à ce stade. Dès lors, une description générale des comportements dénoncés a été faite par le comité du personnel. Selon cette description, ces membres, travaillant dans différentes unités, avaient fait état de situations dans lesquelles ils se sont sentis harcelés, mis sous pression ou ridiculisés. Certains d’entre eux ont également affirmé ne pas avoir eu de reconnaissance pour leur travail. Plusieurs d’entre eux auraient souffert de cette situation pendant une période assez longue, ce qui aurait affecté leur travail et leur santé. Certains avaient déjà entrepris des « démarches formelles », mais les membres du personnel concernés ne voulaient pas tous engager ce type de démarches et cherchaient, par l’intermédiaire du comité du personnel, à obtenir une solution auprès de la directrice. Cette dernière a indiqué qu’elle allait vérifier avec la section « Ressources humaines » ce qu’il serait envisageable de faire, en précisant déjà qu’elle aurait besoin d’être informée de « situations plus concrètes » et que, pour qu’elle puisse agir, la démarche ne pouvait pas être anonyme.

37      Le 22 mai 2015, l’ancien conseil de HV a envoyé un courriel à la directrice dans lequel il rappelait, d’une part, l’introduction du recours mentionné au point 35 ci-dessus contre le rapport d’évaluation des activités professionnelles de HV pour l’année 2013 ainsi que, d’autre part, ce qu’il qualifiait de « demande d’assistance », présentée par ce dernier le 4 mai 2015 (voir point 34 ci-dessus). Il indiquait également que le rapport d’évaluation des prestations de son client pour l’année 2014 allait dans le même sens que le précédent. En exprimant de sérieuses inquiétudes quant à la santé de HV, il demandait un règlement amiable de la situation.

38      Dans le courant du mois de mai 2015, la décision de non-renouvellement du contrat de HW a été adoptée.

39      Le 4 juin 2015, une deuxième réunion de suivi au sujet des doléances à l’égard du chef d’unité a eu lieu entre le comité du personnel et la directrice. Il ressort des notes personnelles de cette dernière que, après s’être renseignée auprès de la section « Ressources humaines », elle a expliqué aux membres du comité du personnel que, dans ce type de situation, il y avait lieu normalement de donner à la personne concernée la chance de pouvoir modifier son comportement. Dans ces conditions, la directrice a proposé de modérer une réunion entre le chef d’unité et les personnes concernées. Dans l’hypothèse où l’une de ces personnes ne souhaiterait pas participer personnellement à la réunion, son témoignage par écrit (indiquant le nom de la personne et décrivant la situation, le comportement dénoncé et son impact) pourrait être présenté par le comité du personnel. L’autre option serait de déposer ce que la directrice qualifiait de « plaintes formelles ». Celle-ci a conclu que, comme il avait été indiqué lors de la réunion du 19 mai 2015, les informations dont elle disposait, du fait de l’absence de situations concrètes et non anonymes, ne lui permettaient pas d’engager une enquête ou toute autre action.

40      Le 17 juin 2015, une troisième réunion a eu lieu entre la directrice et le comité du personnel. Selon les notes personnelles prises par la directrice à la suite de cette réunion, le comité du personnel a affirmé qu’aucune des personnes concernées ne souhaitait la tenue d’une réunion avec le chef d’unité (voir point 39 ci-dessus), car, premièrement, elles craignaient des représailles, deuxièmement, certaines d’entre elles avaient déjà tenté de recourir à des solutions amiables et, troisièmement, elles estimaient que le respect du principe d’impartialité ne serait pas garanti. La directrice a alors proposé une médiation par une personne externe, mais le comité du personnel a précisé que le souci d’impartialité n’était pas la raison principale expliquant le refus de la médiation proposée. Pour sa part, la directrice a réitéré que, sans information sur des situations concrètes non anonymes, il n’y avait pas de fondement pour l’ouverture d’une enquête ou l’engagement de quelque autre action.

41      Le 30 juin 2015, ayant été informée que trois membres du personnel de l’ECDC (dont HV et HW) avaient saisi un conseiller confidentiel, la directrice leur a demandé de remplir un formulaire d’informations complémentaires.

42      Au mois de juillet 2015, HW a informé la directrice que le PMO avait accepté sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle (voir point 29 ci-dessus).

43      Le 24 juillet 2015, en réponse à un questionnaire envoyé par la directrice lors de sa prise de fonctions par intérim, HY a souligné qu’il était nécessaire que la directrice assure un environnement de travail approprié et qu’elle ne tolère pas le comportement inacceptable de « certains cadres supérieurs ».

44      Par lettre parvenue au greffe du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne le 4 septembre 2015 dans l’affaire F‑71/15, l’ECDC a informé ledit Tribunal qu’il était parvenu à un règlement amiable avec HV, y compris sur les dépens.

45      Par lettre parvenue au greffe du Tribunal de la fonction publique le 7 septembre 2015, HV a informé ledit Tribunal qu’il se désistait de son recours dans l’affaire F‑71/15 et a confirmé l’existence d’un accord tel qu’exposé par l’ECDC.

46      Le 14 septembre 2015, HV a démissionné de son poste, en sollicitant une période de préavis raccourcie, ce qui lui a été accordé par l’ECDC.

47      Par courriels des 20 et 21 septembre 2015, en l’absence de réponse de la part de HV et de HW à la demande d’informations complémentaires (voir point 41 ci-dessus), la directrice a estimé qu’elle ne disposait pas d’un commencement de preuve de l’existence d’un harcèlement de la part du chef d’unité à leur égard qui justifierait l’ouverture d’une enquête formelle.

48      Le troisième membre du personnel mentionné au point 41 ci-dessus a, quant à lui, fourni des informations complémentaires, qui n’ont toutefois pas été jugées suffisantes par la directrice pour révéler un éventuel harcèlement moral au sens de l’article 12 bis du statut, lequel justifierait une enquête formelle.

49      Le 31 octobre 2015, HW a quitté l’ECDC.

50      En 2016, l’OLAF a clôturé l’enquête visant HV, mentionnée au point 17 ci-dessus, sans recommander l’adoption de mesures à son égard.

51      La même année, HY était membre du comité de recrutement pour un poste dans l’unité dirigée par le chef d’unité, en tant que représentante du comité du personnel. Elle a ensuite démissionné dudit comité de recrutement, considérant avoir été victime de harcèlement. Le comité du personnel en a été informé.

52      HY a été mise en congé de maladie à partir du mois de septembre 2016 jusqu’à la fin de son contrat, le 31 janvier 2018. Avant cette mise en congé, elle avait informé la directrice qu’elle souhaitait bénéficier d’un temps partiel thérapeutique.

53      À la fin de l’année 2016, HY a informé AI, en sa qualité de membre du comité du personnel, de sa mise en congé de maladie.

54      Dans le courant du mois de décembre 2016, AI et HY ont pris contact avec des conseillers confidentiels.

55      Par courriel du 5 juin 2017, la directrice a informé HY qu’elle avait l’intention de ne pas renouveler son contrat en raison des problèmes liés à ses prestations et lui a donné la possibilité de lui faire part de ses observations.

56      Le 15 juin 2017, en l’absence de réponse de HY au courriel du 5 juin 2017, la directrice lui a envoyé un SMS pour lui rappeler ledit courriel et qu’elle était disponible pour lui parler et recueillir ses observations.

57      Le 16 juin 2017, la directrice a été nommée à ce poste.

58      Le 20 juin 2017, AI a introduit une première demande d’assistance, sur la base de l’article 24 du statut, en raison du comportement du chef d’unité (ci-après la « première demande d’assistance de AI »). Après avoir décrit en détail ce comportement, AI a formulé la demande suivante à la directrice, agissant en sa qualité d’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci-après l’« AHCC ») : « Je vous serais reconnaissant de m’aider à mettre fin à cette situation qui me cause beaucoup de détresse, et je vous serais également reconnaissant de bien vouloir vérifier si ce comportement, que je perçois comme répétitif, agressif et abusif à mon égard, constitue un cas de harcèlement. »

59      Par courriel du 26 juin 2017, la directrice a informé HY que son contrat ne serait pas renouvelé en raison de problèmes liés à ses prestations.

60      Le 14 juillet 2017, AI a déposé un formulaire d’informations complétant sa première demande d’assistance.

61      Le 14 août 2017, AI a été informé qu’une décision serait prise sur les suites à donner à sa première demande d’assistance après le retour de la directrice de son congé annuel au début du mois de septembre, cette dernière souhaitant être présente pour gérer toutes les conséquences possibles de cette situation.

62      Le 27 septembre 2017, la directrice a reçu confirmation que l’OLAF n’avait pas ouvert d’enquête sur les mêmes faits que ceux dénoncés par AI dans sa première demande d’assistance.

63      Par courriel du 28 septembre 2017, AI a été informé par la directrice de l’ouverture d’une enquête administrative par l’ECDC sous la responsabilité d’un enquêteur externe. Ce dernier a également été mandaté pour enquêter sur une autre demande d’assistance, introduite le 20 juillet 2017 par D, à l’égard du comportement du chef d’unité.

64      Le 9 octobre 2017, AI a été entendu une première fois par l’enquêteur.

65      Le 26 octobre 2017, AI a pris contact avec la directrice pour l’informer de certains comportements du chef d’unité, semblables à ceux dénoncés préalablement dans sa première demande d’assistance, qui avaient eu lieu au cours d’une réunion de travail tenue le 25 octobre 2017. AI a fait part à la directrice de son sentiment de vulnérabilité et de son inquiétude à la perspective d’une réunion prévue pour le soir même, en présence également du chef d’unité. Dans ce contexte, il a demandé à être relevé des tâches dans le cadre desquelles il était en contact avec le chef d’unité.

66      La directrice a décidé de participer à la réunion du 26 octobre 2017 qui préoccupait AI. À l’issue de cette réunion, la directrice lui a demandé de réfléchir à des solutions pouvant améliorer sa situation. En réponse à cette demande, AI a transmis par écrit à la directrice une série d’options qui seraient de nature à atténuer les risques de harcèlement moral. Parmi les options, énumérées « sans ordre particulier », AI a suggéré de « transférer temporairement la responsabilité de la gestion hiérarchique de la section […] à un autre chef d’unité » ou d’« essayer d’éviter les contacts au moyen de congés, de télétravail et d’horaires flexibles ».

67      Par courriel du 7 novembre 2017, la directrice a suggéré à AI d’opter pour un régime de télétravail occasionnel pour une période plus longue que normalement prévu, à compter du 9 novembre 2017.

68      Par courriel du 8 novembre 2017, AI a répondu à la directrice, en indiquant qu’il considérait la mesure comme « fort acceptable ». Toutefois, afin d’assurer sa présence lors de réunions déjà fixées et d’organiser le travail de son équipe, AI a demandé que le début du régime de télétravail soit reporté au 13 novembre 2017.

69      Le 25 novembre 2017, AI a eu un second entretien avec l’enquêteur, au cours duquel il a décrit à ce dernier le comportement du chef d’unité lors de la réunion du 25 octobre 2017 et ses échanges ultérieurs avec la directrice.

70      Le 13 décembre 2017, AI a mis fin à sa période de télétravail occasionnel. À la même date, le chef d’unité a pris des congés jusqu’à la fin de l’année 2017. AI a, quant à lui, pris des congés au début de l’année 2018 et a repris son activité le 9 janvier 2018.

71      Le 21 janvier 2018, l’enquêteur a remis son rapport d’enquête à la directrice (ci-après le « rapport d’enquête »). Ce rapport portait non seulement sur la première demande d’assistance de AI, mais également sur la demande d’assistance de D. Selon l’enquêteur, les deux demandes d’assistance pouvaient être accueillies. À cet égard, l’enquêteur a indiqué avoir recueilli plusieurs témoignages selon lesquels le chef d’unité avait favorisé certains agents et porté préjudice au personnel en créant dans certains cas un niveau élevé d’anxiété ayant eu des conséquences sur l’état de santé.

72      Du 31 janvier au 25 mars 2018, le chef d’unité a été mis en congé de maladie.

73      Le 26 mars 2018, le chef d’unité a été chargé de tâches directement confiées et supervisées par la directrice, sans aucune relation hiérarchique avec AI, le seul requérant qui travaillait encore à l’ECDC.

74      Par lettre du 10 avril 2018, AI a introduit une seconde demande d’assistance (ci-après la « seconde demande d’assistance de AI »). Dans cette demande, il dénonçait le fait que le chef d’unité avait pris contact avec plusieurs membres du personnel de l’ECDC pendant et après l’établissement du rapport d’enquête pour leur expliquer que les éléments dénoncés par AI dans sa première demande d’assistance étaient des affabulations émanant d’un employé mécontent. AI a aussi souligné que le chef d’unité était de retour au bureau après son congé de maladie et qu’il pouvait donc continuer à le diffamer ou à poursuivre son harcèlement moral envers lui.

75      Le processus d’audition du chef d’unité sur le rapport d’enquête a eu lieu dans le courant du mois d’avril et au cours de la première moitié du mois de mai 2018.

76      Le 15 mai 2018, le chef d’unité a démissionné de son poste.

77      Par lettre du 16 mai 2018, la démission du chef d’unité a été acceptée dans l’intérêt du service.

78      Par décision du 18 mai 2018 (ci-après la « décision du 18 mai 2018 »), la directrice a répondu à la première demande d’assistance de AI dans les termes suivants :

« À la suite de ma lettre du 28 septembre 2017, dans laquelle je vous informais de l’engagement de l’enquête à la suite de votre [première] demande d’assistance […], je vous écris maintenant pour vous informer de la conclusion de l’enquête et de la procédure y afférente. J’ai reçu le rapport de l’enquêteur externe […] à la fin du mois de janvier. Le résultat de l’enquête reprend votre récit ainsi que celui d’un autre plaignant, également étayé par plusieurs témoignages. L’enquêteur conclut que, de son point de vue, les deux plaintes pour harcèlement peuvent être accueillies.

[…]

Après lecture du rapport et après avoir tenu compte des informations dont je dispose, je suis arrivée à la conclusion qu’il y avait eu des éléments de harcèlement moral. Je peux par ailleurs constater que le rapport contient quelques erreurs factuelles. Tout en tenant compte du fait que [le chef d’unité], dans son rôle […], devait agir concernant certaines questions, je considère toutefois que la manière dont il a abordé ces difficultés et sa méthode de gestion ont causé un stress et une anxiété inutiles au personnel. Par conséquent, j’envisageais des mesures appropriées, mais, dans l’intervalle, [le chef d’unité] a démissionné de son poste et ne se présentera plus au bureau. Compte tenu de son absence antérieure et de sa réaffectation subséquente au cabinet de la directrice, et dès lors qu’il a démissionné, j’espère que votre [première] demande d’assistance a été entendue et que la situation qui vous angoissait n’existe plus. »

79      Le 29 mai 2018, le chef d’unité a introduit une demande d’assistance fondée, d’une part, sur la divulgation d’informations confidentielles relatives à l’enquête dont il faisait l’objet dans les médias suédois ainsi que, d’autre part, sur des menaces anonymes qu’il aurait reçues. Cette demande a donné lieu à l’ouverture d’une enquête administrative au cours de laquelle AI a été entendu. L’enquête a été close sans suite.

80      Par lettre du 30 mai 2018, AI a sollicité l’accès notamment au rapport d’enquête, ce qui lui a été refusé par décision du 20 juin 2018 (ci-après la « décision du 20 juin 2018 »).

81      Le 2 juillet 2018, AI a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contestant les décisions des 18 mai et 20 juin 2018. Dans cette réclamation, il a également introduit une demande d’indemnisation du préjudice moral qui lui aurait été causé par ces décisions, évalué à la somme de 40 000 euros.

82      Par décision du 7 septembre 2018, la directrice a rejeté la seconde demande d’assistance de AI, en l’absence d’un commencement de preuve d’un comportement contestable du chef d’unité.

83      Par lettre du 11 octobre 2018, les requérants ainsi que D ont présenté une demande indemnitaire sur la base de l’article 90, paragraphe 1, du statut. Par cette dernière, ils demandaient la réparation du préjudice qu’ils auraient subi en raison de l’absence de réponse adéquate de la part de l’ECDC face aux comportements du chef d’unité à leur égard entre 2012 et 2018, constitutifs, selon eux, de harcèlement moral.

84      Par décision du 26 octobre 2018, la directrice a rejeté la réclamation de AI mentionnée au point 81 ci-dessus.

85      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 février 2019, AI a introduit un recours en annulation contre les décisions mentionnées aux points 78, 80 et 84 ci-dessus. L’affaire a été enregistrée sous le numéro T‑65/19.

86      Par décision du 11 février 2019 (ci-après la « décision attaquée »), la directrice a rejeté dans son intégralité la demande indemnitaire du 11 octobre 2018, mentionnée au point 83 ci-dessus.

87      Par décision du 9 mars 2019, la décision du 7 septembre 2018 portant rejet de la seconde demande d’assistance de AI, mentionnée au point 82 ci-dessus, a été retirée.

88      Le 15 mars 2019, le chef d’unité a définitivement quitté l’ECDC à l’issue de la période de préavis consécutive à sa démission.

89      Le 25 mars 2019, la directrice a invité AI à une audition dans le cadre du traitement de sa seconde demande d’assistance.

90      Par décision du 5 avril 2019, la directrice a définitivement rejeté la seconde demande d’assistance de AI.

91      Par lettre du 10 mai 2019, les requérants ont introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision attaquée. D n’a pas introduit de réclamation.

92      Par lettre du 5 juillet 2019, AI a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision, mentionnée au point 90 ci-dessus, rejetant sa seconde demande d’assistance.

93      Par décision du 10 septembre 2019 (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »), la directrice a rejeté dans son intégralité la réclamation contre la décision attaquée.

94      Par décision du 4 novembre 2019, la directrice a rejeté dans son intégralité la réclamation mentionnée au point 92 ci-dessus, concernant la seconde demande d’assistance de AI.

II.    Faits postérieurs à l’introduction du recours

95      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 12 février 2020, AI a introduit un recours contre les décisions mentionnées aux points 90 et 94 ci-dessus, relatives à sa seconde demande d’assistance. L’affaire a été enregistrée sous le numéro T‑79/20.

96      Le 5 octobre 2020, AI a quitté l’ECDC.

97      Par l’arrêt du 14 juillet 2021, AI/ECDC (T‑65/19, EU:T:2021:454), le Tribunal a partiellement accueilli le recours mentionné au point 85 ci-dessus. En particulier, le Tribunal a annulé la décision du 18 mai 2018, relative à la première demande d’assistance de AI, au motif que la directrice, en violation de l’article 24 du statut, était restée en défaut d’établir à suffisance les faits à la suite du rapport d’enquête, de prendre sur cette base une position définitive et exempte d’ambiguïté quant à l’existence ou non d’un harcèlement moral au sens de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut à l’égard de AI et d’informer ce dernier des suites données à sa demande d’assistance, en particulier de lui faire connaître sa volonté initiale de résilier le contrat du chef d’unité, avant que celui-ci n’ait présenté sa démission, et les conditions dans lesquelles cette démission avait été acceptée, incluant les modalités de travail de l’intéressé durant la période de préavis. En outre, le Tribunal a partiellement annulé la décision du 20 juin 2018, refusant à AI l’accès au rapport d’enquête. Enfin, s’agissant du préjudice qui aurait découlé des décisions des 18 mai et 20 juin 2018, le Tribunal a rejeté la demande indemnitaire introduite par AI, à défaut pour ce dernier de démontrer l’existence d’un préjudice moral détachable des illégalités fondant l’annulation de ces deux décisions et non susceptible d’être intégralement réparé par cette dernière. L’arrêt du 14 juillet 2021, AI/ECDC (T‑65/19, EU:T:2021:454), n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

98      Par ordonnance du 14 juillet 2021, AI/ECDC (T‑79/20, non publiée, EU:T:2021:478), le Tribunal a rejeté le recours mentionné au point 95 ci-dessus, relatif à la seconde demande d’assistance de AI. Cette ordonnance n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

III. Conclusions des parties

99      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée et, le cas échéant, la décision de rejet de la réclamation ;

–        ordonner la réparation du préjudice matériel et moral qu’ils auraient subi ;

–        condamner l’ECDC aux dépens.

100    L’ECDC conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner les requérants aux dépens.

IV.    En droit

A.      Sur les conclusions en annulation

101    Les requérants, tout en présentant des conclusions indemnitaires, concluent à l’annulation de la décision attaquée et, le cas échéant, à celle de la décision de rejet de la réclamation.

102    À cet égard, selon une jurisprudence constante, la décision d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union européenne portant rejet d’une demande en indemnité fait partie intégrante de la procédure administrative préalable qui précède un recours en responsabilité formé devant le Tribunal. Étant donné que l’acte contenant la prise de position de cette institution, cet organe ou cet organisme pendant la phase précontentieuse a uniquement pour effet de permettre à la partie qui aurait subi un préjudice de saisir le Tribunal d’une demande en indemnité, les conclusions en annulation dirigées contre une telle décision de rejet ne peuvent pas être appréciées de manière autonome par rapport aux conclusions en responsabilité (voir arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 42 et jurisprudence citée).

103    Par conséquent, il n’y a pas lieu de statuer de manière autonome sur le premier chef de conclusions des requérants.

B.      Sur les conclusions indemnitaires

1.      Sur la fin de non-recevoir soulevée par l’ECDC 

104    L’ECDC demande que les annexes A.27 et A.43 de la requête, chacune accompagnée de plusieurs appendices, soient écartées. À cet égard, l’ECDC fait observer que les requérants renvoient à ces deux annexes, dans lesquelles sont abordées plus en détail des allégations factuelles. Or, l’ECDC rappelle que les annexes ont une fonction purement probatoire et instrumentale et ne sauraient dès lors servir à développer un moyen sommairement exposé dans la requête en avançant des griefs ou des arguments ne figurant pas dans celle‑ci.

105    Les requérants rétorquent que la requête peut être étayée et complétée, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, à condition que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels le recours est fondé ressortent, à tout le moins sommairement, du texte de la requête elle-même, ce qui serait le cas en l’espèce.

106    En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, ainsi que de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, la requête doit contenir l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens.

107    S’agissant des annexes de la requête, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier dans ces dernières les éléments qui pourraient fonder le recours. En effet, les annexes ont une fonction purement probatoire et instrumentale, et ne sauraient dès lors servir à développer un moyen sommairement exposé dans la requête en avançant des griefs ou des arguments ne figurant pas dans celle‑ci (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2007, France Télécom/Commission, T‑340/03, EU:T:2007:22, points 30 et 167 et jurisprudence citée).

108    En l’espèce, les annexes A.27 et A.43, qui sont intitulées, respectivement, « Éléments factuels concernant la situation de HV » et « Éléments factuels concernant la situation de HY », constituent des compléments de la requête, rédigés aux fins de la procédure juridictionnelle par les avocates des requérants. N’ayant pas une fonction probatoire ou instrumentale, ces annexes sont, dès lors, irrecevables.

109    La fin de non-recevoir soulevée par l’ECDC doit donc être accueillie.

2.      Sur le fond

a)      Sur les demandes indemnitaires respectives des requérants

110    Dans leur recours, les requérants exposent avoir subi un préjudice matériel et moral résultant de l’absence de réponse adéquate de l’ECDC aux comportements du chef d’unité à leur égard entre 2012 et 2018, constitutifs, selon eux, de harcèlement moral.

1)      AI

111    AI fait valoir qu’il avait, déjà dans le courant du mois de mai 2012, informé l’ancien directeur du comportement erratique du chef d’unité au cours d’une réunion avec les membres du comité du personnel. AI affirme avoir subi lui-même un harcèlement de la part du chef d’unité depuis 2013 et avoir connu, en sa qualité de membre du comité du personnel, des plaintes d’autres collègues en 2014 et en 2015. Dès 2015, selon lui, il n’a cessé d’évoquer sa situation avec son supérieur direct, D, et s’est plaint fréquemment du comportement du chef d’unité. D aurait fait part à la directrice de ces plaintes avant le 20 juin 2017, date à laquelle AI a introduit sa première demande d’assistance.

112    Par ailleurs, AI fait valoir que sa première demande d’assistance n’a pas été traitée de manière satisfaisante ni dans un délai raisonnable. La démission du chef d’unité n’aurait pas constitué, en l’absence d’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de ce dernier, un suivi adéquat de cette demande.

113    AI estime que le comportement fautif de l’ECDC lui a causé un préjudice matériel lié à l’absence de promotion au grade A 9, portant sur un montant de 176 400 euros, qui correspond au surplus de rémunération qu’il aurait perçu en cas de promotion en 2015. AI allègue également avoir subi un préjudice moral, estimé à 180 000 euros, en raison du stress anormalement élevé qu’il aurait subi au travail au cours de la période allant de 2012 à 2018.

2)      HV

114    HV affirme avoir commencé à être victime de harcèlement moral de la part du chef d’unité en 2012. Il s’est aussi plaint du comportement de B à son égard. Il dénonce, notamment, le refus partiel du report de ses jours de congé de 2013 à 2014, le caractère injustifié et humiliant de la vérification de sa carte d’accès, une tentative illégale d’accès par le chef d’unité à sa boîte de messagerie électronique en 2014, une fausse accusation de la part de ce dernier qui a conduit à l’ouverture d’une enquête de l’OLAF à son égard et le rejet de sa demande d’être réaffecté à une autre unité.

115    Pour démontrer la détérioration de son état de santé en raison du harcèlement moral dénoncé, HV souligne qu’il a été mis en congé de maladie 3 jours en 2012, 30 jours en 2013, 121 jours en 2014 et 6 mois en 2015, avant sa démission le 14 septembre 2015. Il produit également des certificats médicaux.

116    HV fait valoir qu’il a dénoncé le comportement du chef d’unité à plusieurs reprises. À cet égard, il fait état des démarches décrites aux points 8, 16, 28, 32, 34 et 37 ci-dessus. HV explique devant le Tribunal que c’est en raison de sa maladie qu’il n’a pas rempli le formulaire d’informations complémentaires envoyé par la directrice le 30 juin 2015, mentionné au point 41 ci-dessus.

117    HV estime que le comportement fautif de l’ECDC lui a causé un préjudice matériel lié à sa démission avant le terme de son contrat de travail, portant sur un montant de 508 364,64 euros, ce qui correspond à la rémunération qu’il aurait perçue en cas de maintien à son poste pour une durée de dix ans supplémentaires. HV invoque également un préjudice moral, estimé à 90 000 euros, en raison des souffrances qu’il aurait subies au cours de la période allant de 2012 à 2015 sur le plan physique, mental et du point de vue de sa vie privée.

3)      HW

118    HW fait valoir que ses supérieurs hiérarchiques directs étaient satisfaits de son travail, contrairement au chef d’unité, dont elle soutient qu’il « voulait se débarrasser d’elle ». Elle affirme que ce dernier était très agressif envers elle, criant souvent dans des réunions bilatérales ou en public. De même, il aurait parlé en français lors de réunions, sachant pertinemment qu’elle ne maîtrisait pas cette langue. La dégradation de l’état de santé de HW aurait commencé lorsque le chef d’unité aurait décidé, en 2013, de lui retirer ses fonctions au sein du centre des opérations d’urgence en lien avec une maladie spécifique. L’animosité du chef d’unité à son égard se serait également révélée au cours de l’exercice d’évaluation de ses prestations pour l’année 2013, décrit aux points 21, 25 et 26 ci-dessus. Le non-renouvellement de son contrat, annoncé le 26 mars 2015 et décidé formellement dans le courant du mois de mai 2015, ferait aussi partie du harcèlement dénoncé.

119    Pour prouver la détérioration de son état de santé, HW indique que, jusqu’au 30 septembre 2014, elle n’avait pris que quelques jours de congé isolés ou quelques brèves périodes de congé de maladie. Sa première période de congé de maladie de plus longue durée a commencé le 1er octobre et s’est terminée le 23 décembre 2014. HW a repris le travail au début du mois de janvier 2015. Elle a ensuite été mise en congé de maladie de longue durée à partir du 15 mars 2015, jusqu’au 31 octobre 2015, date de la fin de son contrat. Après plusieurs mois de congé de maladie, HW a finalement déposé une demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie, qui a été acceptée.

120    Selon HW, l’ancien directeur a reconnu dans le courant du mois de novembre 2014 que le comportement du chef d’unité dans l’exercice d’évaluation de ses prestations pour l’année 2013 (voir points 21, 25 et 26 ci-dessus) n’avait pas été acceptable. Elle signale qu’elle a également saisi un conseiller confidentiel en 2015 (voir point 28 ci-dessus) et a informé la directrice de l’origine professionnelle de sa maladie (voir point 42 ci-dessus). HW explique qu’elle n’a pas rempli le formulaire d’informations complémentaires envoyé par la directrice le 30 juin 2015 (voir point 41 ci-dessus), car elle était très malade, déprimée et découragée.

121    À la date d’introduction du présent recours, HW a affirmé être encore sous traitement et avoir dû attendre deux ans après son départ de l’ECDC avant de pouvoir trouver un nouvel emploi, qu’elle exerce à domicile en raison de ses problèmes de santé. Elle a produit des certificats médicaux.

122    HW estime que le comportement fautif de l’ECDC lui a causé un préjudice matériel lié au non-renouvellement de son contrat en 2015, estimé devant le Tribunal à 455 248,37 euros, ce qui correspond à une partie de la rémunération qu’elle aurait perçue si son contrat avait été renouvelé pour une durée de cinq ans. HW soutient également avoir subi un préjudice moral, estimé à 120 000 euros, en raison du stress anormalement élevé dont elle aurait souffert pendant la période allant de 2011 à 2015.

4)      HY

123    HY fait valoir que ses prestations ont été considérées comme satisfaisantes dans tous ses rapports d’évaluation, à l’exception du dernier. Elle souligne que, pendant une première période d’emploi, elle a été amenée à prendre des décisions qui n’étaient pas nécessairement en concordance avec celles de la directrice (alors cheffe de l’unité « Gestion et coordination des ressources ») et du chef d’unité. Par ailleurs, par suite du changement mentionné au point 10 ci-dessus, le chef d’unité aurait perdu une partie de son pouvoir dans la gestion des technologies d’information et de communication.

124    Selon HY, en septembre ou octobre 2013, elle a été sollicitée pour effectuer certaines tâches pour l’ancien directeur et le conseil d’administration de l’ECDC, à la suite de quoi elle aurait commencé à subir des pressions de la part du chef d’unité, faisant l’objet de dénigrement, de diffamation, d’humiliations, d’intimidations, de discrédit et d’un rejet généralisé.

125    En 2014, l’ancien directeur lui aurait retiré son soutien en la laissant très exposée au comportement agressif, intimidant et humiliant du chef d’unité. Elle dénonce également une microgestion par ses supérieurs hiérarchiques et la proposition, par l’ancien directeur, d’une codirection de la nouvelle unité qu’elle dirigeait avec le chef d’unité.

126    En 2015, lorsque la directrice a pris ses fonctions par intérim, HY et son équipe auraient été submergées d’évaluations et d’audits, et la directrice ne l’aurait pas protégée contre les comportements abusifs qui se sont poursuivis, bien que de manière plus subtile. Ainsi, l’équipe de HY se serait vu imposer environ sept audits, enquêtes ou évaluations en un an.

127    HY dénonce également la diffamation dont elle aurait fait l’objet en 2016, lors d’une procédure de recrutement au sein de l’unité dirigée par le chef d’unité (voir point 51 ci-dessus).

128    HY affirme qu’elle a souffert de problèmes de santé croissants. Elle souligne avoir été mise en congé de maladie depuis le mois de septembre 2016 jusqu’à la fin de son contrat, le 31 janvier 2018. L’absence de renouvellement de son contrat constitue, selon HY, l’expression du harcèlement dont elle était victime.

129    HY fait valoir qu’elle a dénoncé à plusieurs reprises sa situation en entreprenant les démarches décrites aux points 27, 43 et 51 à 54 ci-dessus. Elle affirme que le document daté du 17 décembre 2014, mentionné au point 27 ci-dessus, concernant les éléments qui créaient, selon elle, des conditions de travail non viables et une perception de harcèlement, se référait aux agissements du chef d’unité.

130    HY indique qu’elle a eu un accident de la route en 2016 et qu’elle a failli en avoir deux autres en raison de son état de santé affaibli. Au cours de son congé de maladie durant les mois de septembre 2016 à janvier 2018, elle n’aurait reçu aucun signe de la part de ses collègues. La décision de non-renouvellement de son contrat n’aurait donné lieu à aucune manifestation d’empathie. HY a produit des certificats médicaux ainsi que la description de son dossier médical de 2016 à 2018.

131    HY fait valoir que le comportement fautif de l’ECDC lui a causé un préjudice matériel lié au non-renouvellement de son contrat en 2017, portant sur un montant de 552 625,40 euros, ce qui correspond à la rémunération qu’elle aurait perçue si son contrat avait été renouvelé pour une durée de cinq ans. HY soutient également avoir subi un préjudice moral, estimé à 90 000 euros, en raison du stress anormalement élevé dont elle aurait souffert pendant la période allant du mois de septembre 2013 au mois de septembre 2016.

b)      Sur les conditions exigées pour engager la responsabilité de l’Union

132    Il convient de rappeler que l’engagement de la responsabilité d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement qui lui est reproché, la réalité du préjudice allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement reproché et le préjudice allégué, ces trois conditions étant cumulatives (voir arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 47 et jurisprudence citée).

133    Au regard de la responsabilité accrue de l’Union lorsqu’elle agit en tant qu’employeur, la seule constatation d’une illégalité commise, selon les cas, par l’autorité investie du pouvoir de nomination ou l’AHCC, qu’il s’agisse d’un acte ou d’un comportement décisionnel, est suffisante pour considérer comme remplie la première des trois conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité de l’Union pour les dommages causés à ses fonctionnaires et agents en raison d’une violation du droit de la fonction publique de l’Union (voir arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 50 et jurisprudence citée).

134    S’agissant des cas dans lesquels une illégalité peut être constatée, il y a lieu de prendre en considération la marge d’appréciation dont dispose l’administration. Ainsi, lorsque l’administration doit adopter un comportement déterminé en vertu des textes en vigueur, des principes généraux ou des droits fondamentaux, ou encore des règles qu’elle s’est imposées à elle-même, un simple manquement à une telle obligation est susceptible d’engager la responsabilité de l’administration concernée. En revanche, lorsqu’elle dispose d’une large marge d’appréciation, notamment lorsqu’elle n’est pas tenue d’agir dans un sens déterminé en vertu du cadre juridique applicable, seule l’erreur manifeste d’appréciation est constitutive d’une illégalité (voir arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 51 et jurisprudence citée).

135    C’est à l’aune de ces considérations qu’il convient d’examiner les griefs invoqués par les requérants dans le cadre leurs demandes indemnitaires.

c)      Sur les illégalités alléguées

136    Ainsi qu’il ressort des points 110 à 131 ci-dessus, chacun des requérants expose avoir subi un préjudice matériel et moral résultant de l’absence de réponse adéquate de l’ECDC aux comportements du chef d’unité à son égard entre 2012 et 2018, constitutifs, selon eux, de harcèlement moral.

137    En particulier, les requérants font valoir que la faute commise par l’ECDC est double. D’une part, ni l’ancien directeur, ni la directrice, ni la responsable des ressources humaines ne leur auraient garanti un environnement de travail sûr pendant six ans (de 2012 à 2018), malgré les alertes lancées par eux-mêmes, au moins à dix reprises, ainsi que par d’autres agents au sujet du comportement grave du chef d’unité. D’autre part, l’ECDC aurait réagi trop tard, les préjudices subis étant déjà irréversibles. L’ECDC aurait été informé de l’état de santé des requérants, puisque plusieurs certificats médicaux avaient été produits, et il disposait de toutes les informations nécessaires au sujet du comportement du chef d’unité dès le 30 juin 2015.

138    Par son inaction, l’ECDC aurait violé l’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6 de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JO 1989, L 183, p. 1), l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut, le devoir de sollicitude ainsi que l’obligation d’assistance prévue à l’article 24 du statut. S’agissant de cette dernière, les requérants font observer que la démission du chef d’unité n’a pas constitué un suivi adéquat des réclamations et que la première demande d’assistance de AI n’a pas été traitée de manière satisfaisante dans un délai raisonnable.

139    L’ECDC conteste l’existence d’une illégalité. Il fait valoir, en substance, qu’aucune demande d’assistance fondée sur l’article 24 du statut n’a été déposée jusqu’à la première demande d’assistance de AI, présentée le 20 juin 2017, date à partir de laquelle la directrice aurait pris toutes les mesures nécessaires pour établir les faits et mettre fin à la situation en cause. Avant cette date, compte tenu des informations dont elle disposait, qui étaient anonymes et dépourvues de précision, la directrice n’aurait pas pu ouvrir d’enquête ou adopter d’autres mesures.

140    Afin de déterminer l’existence ou non d’un comportement fautif de la part de l’ECDC en l’espèce, il convient d’examiner, en premier lieu, les griefs portant sur le caractère inapproprié du traitement de la première demande d’assistance de AI, datant du 20 juin 2017, et, en second lieu, les griefs relatifs aux alertes lancées par les requérants avant cette date.

141    L’examen de ces griefs doit être effectué à la lumière, d’une part, des obligations de protection des fonctionnaires et des agents qui incombent à l’administration et, d’autre part, des règles de l’ECDC applicables aux faits litigieux.

1)      Rappel des obligations de protection des fonctionnaires et des agents qui incombent à l’administration

142    Le droit de tout travailleur à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité est expressément consacré à l’article 31, paragraphe 1, de la Charte. L’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut fait explicitement référence à des conditions de travail répondant à des normes de santé et de sécurité appropriées.

143    Selon les explications afférentes à l’article 31 de la Charte, lesquelles, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, doivent être prises en considération pour l’interprétation de celle-ci, son article 31, paragraphe 1, se fonde sur la directive 89/391, invoquée également par les requérants.

144    Selon la jurisprudence, les institutions, les organes et les organismes de l’Union sont tenus, tant au titre de l’article 31 de la Charte qu’au titre des articles 12 bis et 24 du statut, de garantir à leurs fonctionnaires et à leurs agents des conditions de travail qui respectent leur santé, leur sécurité et leur dignité et, par conséquent, de mettre à leur disposition en temps utile des procédures permettant d’assurer que leurs conditions de travail répondent à ces exigences (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, CH/Parlement, T‑83/18, EU:T:2018:935, point 123 et jurisprudence citée).

145    Le devoir d’assistance prévu à l’article 24 du statut implique d’intervenir avec toute l’énergie nécessaire en présence d’un incident incompatible avec l’ordre et la sérénité du service. En effet, la finalité dudit devoir d’assistance est de donner aux fonctionnaires et aux agents en activité une sécurité pour le présent et pour l’avenir afin que, dans l’intérêt général du service, ils puissent s’acquitter au mieux de leurs fonctions (voir arrêt du 14 juillet 2021, AI/ECDC, T‑65/19, EU:T:2021:454, point 100 et jurisprudence citée).

146    Le devoir de sollicitude de l’administration à l’égard de ses agents ainsi que le principe de bonne administration impliquent notamment que, lorsqu’elle prend une décision sur une demande d’assistance d’un fonctionnaire ou d’un agent en vertu de l’article 24 du statut, l’autorité compétente prenne en considération l’ensemble des éléments susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi de celui du fonctionnaire ou de l’agent concerné (voir arrêt du 26 mars 2015, CN/Parlement, F‑26/14, EU:F:2015:22, point 51 et jurisprudence citée).

147    Il appartient, en principe, au fonctionnaire ou à l’agent qui estime pouvoir se prévaloir de l’article 24 du statut de présenter une demande d’assistance à l’institution, à l’organe ou à l’organisme dont il relève. Il est toutefois possible que certaines circonstances exceptionnelles puissent obliger l’administration concernée à procéder sans demande préalable de l’intéressé, mais de sa propre initiative, à une action d’assistance déterminée (arrêt du 12 juin 1986, Sommerlatte/Commission, 229/84, EU:C:1986:241, point 20).

148    En ce qui concerne les mesures à prendre dans une situation qui entre dans le champ d’application de l’article 24 du statut, l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation, sous le contrôle du juge de l’Union, dans le choix des mesures et des moyens d’application de l’article 24 du statut (voir arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 82 et jurisprudence citée).

149    Lorsqu’il existe un commencement de preuve suffisant des allégations formulées dans une demande d’assistance, l’administration est tenue d’ouvrir une enquête administrative afin d’éclaircir les faits et de pouvoir adopter ensuite, le cas échéant, les mesures d’assistance appropriées, sans disposer à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité d’ouvrir et de conduire ladite enquête administrative (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement (T‑730/18, EU:T:2019:725, point 84 et jurisprudence citée).

150    S’agissant de l’exigence selon laquelle le demandeur d’assistance doit apporter un commencement de preuve de la réalité de la conduite abusive dont il affirme être victime, l’administration en cause ne saurait être tenue de mener une enquête administrative sur la base de simples allégations dénuées de preuve, étant entendu que, dans la définition des mesures qu’elle estime appropriées en vue d’établir la réalité et la portée des faits allégués, l’administration doit également veiller à protéger les droits des personnes mises en cause dans une demande d’assistance et susceptibles d’être visées par une enquête (voir arrêt du 19 décembre 2019, ZQ/Commission, T‑647/18, non publié, EU:T:2019:884, point 58 et jurisprudence citée).

151    Enfin, il convient de rappeler que l’objectif d’une enquête administrative est d’établir les faits et d’en tirer, en connaissance de cause, les conséquences appropriées tant au regard du cas faisant l’objet de l’enquête que, d’une manière générale et afin de satisfaire au principe de bonne administration, pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise à l’avenir. La conduite jusqu’à son terme d’une enquête administrative peut, à l’inverse, permettre d’infirmer les allégations faites par la prétendue victime, permettant alors de réparer les torts qu’une telle accusation, si celle-ci devait s’avérer non fondée, a pu causer chez la personne visée en tant que harceleur présumé par une procédure d’enquête (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2018, Curto/Parlement, T‑275/17, EU:T:2018:479, point 59 et jurisprudence citée).

2)      Règles de l’ECDC applicables aux faits litigieux

i)      Règles concernant la conduite des enquêtes administratives et des procédures disciplinaires

152    Dans le courant du mois de novembre 2012, l’ECDC s’est doté de règles concernant la conduite des enquêtes administratives et des procédures disciplinaires (ci-après la « règle d’exécution no 29 »).

153    L’article 4, paragraphe 1, de la règle d’exécution no 29 prévoit qu’une enquête administrative est ouverte par le directeur en tant qu’AHCC, de sa propre initiative ou à la demande de tout chef d’unité ou du chef des ressources humaines ou de tout autre agent désigné de la section « Ressources humaines ».

154    Le paragraphe 2 dudit article 4 établit que, avant d’ouvrir une enquête, l’ECDC consulte l’OLAF afin de s’assurer que ce dernier ne procède pas à une enquête concernant les mêmes faits.

155    Le paragraphe 4 du même article dispose que, « dès qu’une enquête administrative suggère qu’un agent peut être personnellement impliqué, ce membre du personnel est tenu informé, pour autant que cette information ne fasse pas obstacle à l’enquête ». Cette disposition précise aussi que « des conclusions visant nominativement un agent ne peuvent être tirées à l’issue de l’enquête que si celui-ci a eu la possibilité de s’exprimer sur tous les faits qui le concernent » et que « [l]es conclusions font état de cet avis ».

ii)    Règles en matière de lutte contre le harcèlement moral et le harcèlement sexuel

156    L’ECDC s’est également doté de règles en matière de lutte contre le harcèlement moral et le harcèlement sexuel. En réponse à une question du Tribunal, l’ECDC a précisé que ces règles figurent dans l’annexe de sa règle d’exécution no 33, adoptée le 14 août 2017 et entrée en vigueur le lendemain (ci-après la « règle d’exécution no 33 »).

157    La section 7.1 de la règle d’exécution no 33 prévoit :

« Toute personne qui se sent victime de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel est en droit d’introduire une demande d’assistance informelle ou formelle. Dans un premier temps, [il] est fortement conseillé [au personnel] de chercher à régler le problème par la conciliation, par le biais de la procédure informelle, avec l’aide d’un conseiller confidentiel. Toute personne qui se sent victime de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel est toutefois, dès le début, libre d’ouvrir une procédure formelle conformément au statut [...], comportant des délais plus longs. La procédure informelle peut également aboutir à une procédure formelle s’il s’avère impossible de trouver une solution. »

158    La section 7.5 de la règle d’exécution no 33, intitulée « Cas récurrents », établit ce qui suit :

« Des demandes d’assistance émanant de personnes différentes concernant un même individu soulèvent des préoccupations. Celles-ci seront donc portées à la connaissance de la section “Ressources humaines” et de l’[AHCC] du harceleur présumé. L’[AHCC] décide des suites les plus appropriées à donner. La section “Ressources humaines” informe l’enquêteur des cas récurrents qu’elle identifie. L’enquêteur en informe l’[AHCC], qui engagera, le cas échéant, les procédures prévues à l’annexe IX du statut. »

159    Après l’adoption de la règle d’exécution no 33, un autre document, intitulé « Procédure informelle concernant les cas de harcèlement moral et de harcèlement sexuel – Manuel pour les conseillers confidentiels de l’ECDC », a été établi par l’ECDC (ci-après le « manuel pour les conseillers confidentiels de l’ECDC »).

160    Ainsi qu’il ressort de la section 1 de ce manuel, celui-ci a pour but de clarifier les obligations et les droits de toutes les parties concernées par la procédure informelle en matière de harcèlement et de définir leur rôle dans le cas où il s’avère impossible de trouver une solution et qu’une procédure formelle est ouverte. Il précise également le rôle des conseillers confidentiels dans le cadre de la procédure informelle.

161    La section 3.7 du manuel pour les conseillers confidentiels de l’ECDC prévoit qu’« une procédure formelle est ouverte sur la base d’une demande d’assistance écrite du plaignant conformément à l’article 24 du statut, soumise au responsable des ressources humaines et au conseiller juridique, qui sont responsables de l’ouverture de cette procédure ». Cette disposition précise également que, « [d]ans des cas très rares et problématiques, lorsque la santé de la victime est en danger et qu’elle n’est pas en mesure de demander elle-même l’ouverture de la procédure formelle, les conseillers confidentiels peuvent prendre contact avec la section “Ressources humaines”, le chef de l’unité “Gestion et coordination des ressources” ou le directeur, sans le consentement de la victime ».

162    Au cours de l’audience, l’ECDC a indiqué que, avant l’adoption de la règle d’exécution no 33, le 14 août 2017, des informations sur les projets de règles en matière de harcèlement figuraient sur le site intranet de l’agence, mais qu’il en ressortait également de manière claire qu’il ne s’agissait que de projets de règles. Il ressort également du dossier que des conseillers confidentiels avaient déjà été nommés en 2015.

3)      Sur les griefs portant sur le caractère inapproprié du traitement de la première demande d’assistance de AI

163    AI fait valoir que sa première demande d’assistance, datant du 20 juin 2017, n’a pas été traitée de manière satisfaisante ni dans un délai raisonnable. Après cette première demande, le chef d’unité aurait encore eu la possibilité de le dénigrer, en introduisant lui-même une demande d’assistance le visant le 29 mai 2018. Selon lui, le régime de télétravail qui lui a été accordé par la directrice du 13 novembre au 9 décembre 2017 n’était manifestement pas la solution idéale, car cette mesure impliquait de le renvoyer chez lui en maintenant le chef d’unité à son poste, ce qui accentuait encore le sentiment d’impunité. La décision du 18 mai 2018, en réponse à sa première demande d’assistance, aurait été adoptée par la directrice près de cinq mois après avoir reçu le rapport d’enquête. Enfin, la démission du chef d’unité, mentionnée dans la décision du 18 mai 2018, n’aurait pas constitué, en l’absence d’ouverture d’une procédure disciplinaire à son égard, un suivi adéquat de sa première demande d’assistance.

164    En premier lieu, s’agissant du grief selon lequel la première demande d’assistance de AI n’a pas été traitée dans un délai raisonnable, le Tribunal constate qu’un délai de trois mois environ s’est écoulé entre la présentation de cette demande d’assistance et l’ouverture de l’enquête. Ce délai s’explique cependant par, premièrement, l’envoi par AI le 14 juillet 2017 d’un formulaire d’informations complémentaires, deuxièmement, la nécessité de consulter au préalable l’OLAF conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la règle d’exécution no 29 et, troisièmement, la période estivale.

165    De même, plus de trois mois se sont certes écoulés entre la date de dépôt du rapport d’enquête et celle à laquelle ce rapport a été communiqué au chef d’unité. Toutefois, ce délai s’explique par le congé de maladie du chef d’unité intervenu pendant cette période. La décision de la directrice d’attendre le retour du chef d’unité, dans le courant du mois d’avril 2018, pour recueillir ses observations sur le rapport d’enquête était justifiée par la nécessité d’entendre utilement le chef d’unité, en application notamment de l’article 4, paragraphe 4, de la règle d’exécution no 29 (voir point 155 ci-dessus).

166    Sur la base de ces constatations, ce grief doit être rejeté.

167    En deuxième lieu, s’agissant du grief selon lequel le chef d’unité aurait eu la possibilité de dénigrer AI à la suite de l’introduction de sa première demande d’assistance, il y lieu de constater que, lorsque ce dernier s’est adressé à la directrice le 26 octobre 2017 au sujet d’une réunion qui devait se tenir en présence du chef d’unité et que, pour cette raison, il appréhendait (voir point 65 ci-dessus), la directrice y a participé afin d’éviter des incidents. Par ailleurs, la demande d’assistance introduite par le chef d’unité le 29 mai 2018 portait sur la divulgation dans les médias suédois d’informations confidentielles relatives à l’enquête dont il faisait l’objet et a été close sans suite (voir point 79 ci-dessus).

168    AI ne saurait donc faire valoir qu’il n’a pas été protégé à la suite de l’introduction de sa première demande d’assistance face aux comportements abusifs allégués du chef d’unité, de sorte que le présent grief doit également être rejeté.

169    En troisième lieu, s’agissant du grief tiré du caractère inapproprié du régime de télétravail accordé à AI, force est de constater que ce régime a été suggéré par lui-même dans une liste, établie à la demande de la directrice, dans laquelle il avait mentionné plusieurs solutions possibles, sans ordre de préférence. Il résulte de son courriel du 8 novembre 2017 (voir point 68 ci-dessus) qu’il a estimé que cette mesure était appropriée. Durant la période qui a suivi, le régime de télétravail de AI et les vacances prises en fin d’année ont permis que ce dernier et le chef d’unité travaillent simultanément sur leur lieu de travail habituel, dans une relation de hiérarchie, seulement trois semaines environ au mois de janvier 2018, jusqu’à la mise en congé de maladie du chef d’unité. Lorsque ce congé s’est terminé, à la fin du mois de mars 2018, il n’a pas repris ses fonctions antérieures, mais a été chargé de tâches directement confiées et supervisées par la directrice, en n’ayant plus de lien hiérarchique avec AI.

170    À la lumière de ces éléments, il y a lieu de constater que les mesures adoptées ont permis de limiter les contacts entre AI et le chef d’unité et revêtaient un caractère approprié. Le présent grief n’est donc pas fondé.

171    En quatrième et dernier lieu, s’agissant du grief selon lequel l’acceptation de la démission du chef d’unité sans engagement d’une procédure disciplinaire n’aurait pas constitué un suivi adéquat de la première demande d’assistance de AI, il n’est nullement étayé dans le cadre de la présente affaire et ne satisfait pas aux exigences établies par l’article 76, sous d), du règlement de procédure. Ce grief est donc irrecevable.

172    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, les griefs portant sur le caractère inapproprié du traitement de la première demande d’assistance de AI doivent être rejetés dans leur ensemble.

4)      Sur les griefs relatifs aux alertes lancées par les requérants avant la première demande d’assistance de M. AI

173    Les requérants font valoir que l’ECDC ne leur a pas garanti un environnement de travail sûr malgré les alertes nombreuses et répétées qu’eux-mêmes et d’autres agents de l’ECDC avaient lancées avant la première demande d’assistance de AI.

174    Dans leur argumentation concernant l’existence d’une illégalité, les requérants énumèrent les dix alertes suivantes, qui ont eu lieu entre 2012 et 2016. Dans le courant du mois de mai 2012, AI aurait adressé une réclamation verbale à l’ancien directeur. En 2013, HV aurait demandé l’assistance de la section « Ressources humaines ». À la fin du mois d’août 2014, HV aurait de nouveau écrit à la section « Ressources humaines » et son avocat aurait fait part de ses inquiétudes au sujet du comportement du chef d’unité. Dès 2015, AI aurait discuté de la situation avec son supérieur hiérarchique, D. Ce dernier aurait fait part des inquiétudes de AI à l’ECDC. Dans le courant du mois d’avril 2015, HV aurait, selon ses propres termes, « demandé l’assistance du PMO (chef d’unité), en fournissant des preuves de l’impact négatif du comportement du chef d’unité sur sa santé ». Les requérants soulignent que le 4 mai 2015, HV a envoyé « un courriel très détaillé à l[a directrice] pour demander son assistance ». Au cours des réunions qui ont été tenues durant les mois de mai et de juin 2015 entre le comité du personnel et la directrice, AI aurait averti cette dernière de l’attitude préjudiciable du chef d’unité. Dans le courant du mois de décembre 2016, AI et HY auraient alerté un conseiller confidentiel. Cette alerte aurait été précédée de celle lancée par HW dans le courant du printemps 2015. Enfin, le service médical aurait également été parfaitement informé de la situation, notamment en raison des congés de maladie des requérants.

175    Dans la section de la requête intitulée « Cadre factuel », les requérants mentionnent d’autres alertes qui auraient été lancées avant la première demande d’assistance de AI. Ces dernières, sur lesquelles l’ECDC a pris position dans ses mémoires, seront également examinées par le Tribunal dans la mesure où ces éléments se rattachent à l’illégalité alléguée.

176    Les requérants rappellent que la jurisprudence n’exige pas qu’un fonctionnaire ou un agent ait présenté une demande d’assistance pour pouvoir invoquer le devoir de sollicitude qui incombe à l’administration, pour autant que l’administration ait été alertée par d’autres moyens. En l’espèce, selon les requérants, l’ECDC aurait dû ouvrir une enquête et leur apporter une assistance adéquate, notamment en vertu de son devoir de sollicitude.

177    Au cours de l’audience, les requérants se sont également référés à la jurisprudence rappelée au point 147 ci-dessus, selon laquelle, dans le respect de l’article 24 du statut, des circonstances exceptionnelles peuvent obliger une institution, un organe ou un organisme de l’Union à apporter une assistance d’office, sans qu’il ne s’agisse d’une réponse à une demande individuelle. À cet égard, les requérants font observer que, conformément à la section 3.7 du manuel pour les conseillers confidentiels de l’ECDC (voir point 161 ci-dessus), ces derniers peuvent prendre contact avec la section « Ressources humaines », le chef de l’unité « Gestion et coordination des ressources » ou le directeur sans le consentement de la victime dans des cas très rares et problématiques, lorsque la santé de la victime est en danger et qu’elle n’est pas en mesure elle-même de demander l’engagement de la procédure formelle. Selon les requérants, même si ce manuel n’a été adopté qu’en 2017, cette disposition démontre que le devoir d’assistance peut imposer à l’administration d’agir même en l’absence de plainte officielle.

178    L’ECDC rétorque que les requérants n’ont pas apporté la preuve de certaines des alertes informelles mentionnées au point 174 ci-dessus.

179    S’agissant des autres alertes, l’ECDC fait observer que, certes, HW, HV ainsi qu’une troisième personne ont engagé une procédure informelle en 2015 par la saisine de conseillers confidentiels, ce dont la directrice a été informée. Cette dernière a adressé à ces trois membres du personnel une demande d’informations complémentaires par des courriels distincts en date du 30 juin 2015. Toutefois, faute de réponse de HW et de HV, la directrice a classé l’affaire sans suite par courriels, respectivement, du 20 et du 21 septembre 2015. L’ECDC précise que le troisième membre du personnel a fourni des informations complémentaires, qui n’ont toutefois pas été jugées suffisantes pour révéler un éventuel harcèlement moral au sens de l’article 12 bis du statut, justifiant l’engagement d’une enquête formelle.

180    L’ECDC souligne le caractère informel des alertes des requérants et l’absence de demande d’assistance au titre de l’article 24 du statut jusqu’à celle présentée par AI le 20 juin 2017. En réponse à une question du Tribunal, l’ECDC n’a pas exclu que le courriel du 4 mai 2015 de HV, adressé à la directrice, puisse être qualifié de demande d’assistance, qualification donnée par le conseil de HV dans un courriel du 22 mai 2015 (voir point 37 ci-dessus). Dans cette hypothèse cependant, il y aurait lieu de considérer que cette demande d’assistance aurait été rejetée par la directrice par son courriel du 21 septembre 2015. HV n’ayant pas contesté cette décision en 2015, il ne saurait, par le biais d’une demande en indemnité, chercher à obtenir un résultat identique à celui que lui aurait procuré l’aboutissement d’un recours en annulation qu’il a omis d’intenter en temps utile. L’ECDC s’en est toutefois remis à la sagesse du Tribunal sur cette question.

181    Enfin, au cours de l’audience, l’ECDC a fait valoir que la directrice n’a pas attendu la présentation d’une demande d’assistance formelle pour agir, en demandant des informations complémentaires à HV et à HW, sans toutefois obtenir de réponse de leur part. L’ECDC souligne également qu’elle a eu, par ailleurs, des réunions avec le comité du personnel le 19 mai ainsi que les 4 et 17 juin 2015 au sujet des agissements du chef d’unité à l’égard de plusieurs membres du personnel (voir points 36, 39 et 40 ci-dessus) et qu’elle aurait proposé certaines solutions. Toutefois, en l’absence de situations concrètes et non anonymes, elle n’aurait pu ouvrir une enquête.

182    Ainsi qu’il a été rappelé au point 147 ci-dessus, il appartient, en principe, au fonctionnaire ou à l’agent qui estime pouvoir se prévaloir de l’article 24 du statut de présenter une demande d’assistance à l’institution, à l’organe ou à l’organisme dont il relève. Toutefois, certaines circonstances exceptionnelles peuvent obliger l’administration à procéder sans demande préalable de l’intéressé, mais de sa propre initiative, à une action d’assistance déterminée. Par ailleurs, les obligations découlant pour l’administration du devoir de sollicitude sont substantiellement renforcées lorsqu’est en cause la situation d’un fonctionnaire ou d’un agent dont il est avéré que la santé, physique ou mentale, est affectée (voir arrêt du 15 septembre 2011, Esders/Commission, F‑62/10, EU:F:2011:141, point 80 et jurisprudence citée).

183    En l’espèce, certains évènements, rappelés aux points 36 et 39 à 42 ci-dessus, sont survenus en 2015.

184    En effet, les conseillers confidentiels ont informé la directrice à cette époque de l’existence de trois procédures informelles engagées par trois membres du personnel, dont HV et HW, au sujet du comportement du chef d’unité. Ces deux requérants étaient, par ailleurs, en congé de maladie. Les noms de ces trois personnes ont été communiqués à la directrice. Ainsi qu’il a été confirmé au cours de l’audience, le chef d’unité a également été informé de l’existence de ces trois procédures informelles.

185    Ce signalement a eu lieu, car, même si les règles internes de l’ECDC en matière de lutte contre le harcèlement n’avaient pas été formellement adoptées à cette époque, la directrice et la section « Ressources humaines » devaient être informées lorsque trois procédures informelles avaient été engagées au sujet du comportement d’un même agent. Le 14 août 2017, lesdites règles en matière de lutte contre le harcèlement ont été adoptées. Une attention particulière est portée dans ces règles aux cas récurrents. En effet, leur section 7.5 prévoit que l’AHCC doit en être informée et qu’elle « décide des suites les plus appropriées à donner » (voir point 158 ci-dessus).

186    En parallèle à ce signalement pour cause de récurrence, la directrice et le comité du personnel se sont réunis trois fois dans le courant des mois de mai et de juin 2015, ce comité relayant les doléances d’une dizaine de membres du personnel de l’ECDC dénonçant le même type d’agissements, dont ils s’estimaient victimes.

187    L’ECDC a expliqué au cours de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, que 75 personnes dépendaient du chef d’unité. Par ailleurs, tous les contrats du personnel de l’ECDC étaient temporaires et soumis à renouvellement, ce qui renforçait le pouvoir d’influence du chef d’unité.

188    Dans cette situation, la directrice a proposé de modérer elle-même ou de faire modérer par une personne tierce une réunion entre le chef d’unité et les personnes concernées. Dans l’hypothèse où l’une de ces personnes n’aurait pas souhaité participer personnellement à la réunion, son témoignage par écrit (indiquant le nom de la personne et décrivant la situation, le comportement dénoncé et son impact) pouvait être présenté par le comité du personnel. Par ailleurs, la directrice a indiqué que l’autre option pour les personnes concernées serait de déposer des demandes d’assistance (voir point 39 ci-dessus). Toutefois, la réunion proposée par la directrice n’a pas eu lieu, car, selon le comité du personnel, les personnes concernées avaient, notamment, peur des représailles (voir point 40 ci-dessus). La directrice s’est également adressée aux trois membres du personnel ayant saisi à cette date un conseiller confidentiel, dont HV et HW, pour leur demander des renseignements complémentaires sur leur situation personnelle (voir point 41 ci-dessus).

189    Les requérants font cependant valoir que ces mesures ont été insuffisantes, en l’absence de protection contre le comportement du chef d’unité et d’ouverture d’une enquête sur les faits dénoncés.

190    Toutefois, il ne saurait, dans le cadre du présent recours, être valablement reproché à l’ECDC de ne pas avoir procédé à une action déterminée à l’égard des requérants sur la base de l’obligation d’assistance prévue à l’article 24 du statut, du devoir de sollicitude qui incombe à l’administration et de l’obligation pour cette dernière de garantir des conditions de travail qui respectent la santé et la dignité, également invoqués par les requérants (voir point 138 ci-dessus).

191    En effet, l’existence de circonstances exceptionnelles qui auraient dû conduire l’ECDC à ouvrir d’office une enquête administrative ou à adopter d’autres mesures d’assistance à l’égard des requérants n’a pas été établie, car les faits en cause ne font pas ressortir une impossibilité pour ces derniers d’introduire une demande d’assistance. À cet égard, l’allégation relative à la peur de représailles, formulée par les requérants sans faire référence à des situations concrètes et exceptionnelles, ne démontre pas cette impossibilité.

192    Par ailleurs, il n’a pas été établi, ni même allégué devant le Tribunal, que les requérants étaient dans une situation exceptionnelle qui aurait obligé les conseillers confidentiels à prendre contact avec les autorités compétentes sans leur consentement, en demandant l’ouverture d’une enquête ou l’adoption d’autres mesures.

193    S’agissant du service médical, les requérants affirment qu’il disposait d’informations au sujet du chef d’unité, mais sans preuve à l’appui. Par ailleurs, il n’est pas allégué que ces informations auraient concerné les agissements du chef d’unité à l’égard des requérants.

194    En ce qui concerne la situation particulière de chaque requérant, aucun élément du dossier ne démontre que les autorités compétentes aient été informées de manière précise de la situation personnelle de AI avant le 20 juin 2017. L’existence de la plainte verbale qu’il affirme avoir présentée à l’ancien directeur en 2012, dont le contenu n’est pas décrit, n’est pas prouvée. La participation de AI, en sa qualité de membre du comité du personnel, aux réunions tenues dans le courant des mois de mai et de juin 2015 avec la directrice n’est pas contestée. Toutefois, AI ne démontre pas que des éléments concrets et pertinents sur sa situation personnelle ont été communiqués à la directrice lors de ces réunions. En outre, même dans l’hypothèse où, comme l’affirment les requérants, D aurait fait part à la directrice, avant le 20 juin 2017, des plaintes de AI, il ne s’agirait que d’un seul signalement indirect. Par ailleurs, aucune précision n’est apportée sur les faits concrets que D aurait dénoncés. Enfin, il y a lieu d’observer que, dès que AI a fourni des éléments concrets et pertinents dans sa première demande d’assistance, la directrice a adopté des mesures adéquates de protection et traité cette demande dans un délai raisonnable (voir points 163 à 172 ci-dessus).

195    Il y a lieu de conclure qu’aucune des violations alléguées, rappelées au point 190 ci-dessus, ne peut être identifiée à l’égard de AI, sans qu’il soit besoin d’adopter la mesure d’instruction demandée par les requérants visant à ce que le Tribunal ordonne l’audition de D comme témoin.

196    S’agissant de HW, elle n’a pas répondu à la demande d’informations complémentaires qui lui a été adressée par la directrice, de la propre initiative de celle-ci, le 30 juin 2015. Les requérants affirment que la situation de HW a été discutée au cours des réunions qui ont été tenues durant les mois de mai et de juin 2015, mais ils n’en rapportent pas la preuve, ni ne décrivent les allégations formulées. Il en va de même des échanges que HW a pu avoir avec l’ancien directeur en 2014 dans le cadre de l’exercice d’évaluation de ses prestations pour l’année 2013.

197    Dans ces conditions, aucune des illégalités dénoncées ne peut être identifiée à l’égard de HW.

198    S’agissant de HY, sa situation est différente de celle des autres requérants dès lors que, étant elle-même cheffe d’unité, elle n’avait pas de lien de subordination avec le chef d’unité. En réponse à une question du Tribunal, les requérants ont indiqué que la fonction spécifique de chef d’unité de HY et son appartenance à l’équipe de direction (qui réunissait les cinq chefs d’unité et la directrice) avaient eu pour conséquence qu’il était délicat, pour le comité du personnel, de la traiter de la même manière que les autres membres du personnel de l’ECDC. Les requérants affirment toutefois que la situation de HY a également été discutée au cours des réunions tenues dans le courant des mois de mai et de juin 2015, mais ils n’en apportent pas la preuve, ni ne décrivent les allégations formulées. Immédiatement après ces réunions, HY a rempli un questionnaire envoyé par la directrice lors de sa prise de fonctions par intérim. Dans ce document, HY a souligné la nécessité que cette dernière assure un environnement de travail approprié et qu’elle ne tolère pas le comportement inacceptable de « certains cadres supérieurs ». Outre le fait qu’il s’agissait d’une demande abstraite, le nom du chef d’unité n’était pas mentionné. HY affirme avoir envoyé « un autre courrier électronique alarmant le 7 octobre 2015 », mais ce courriel ne figure pas dans le dossier.

199    Les requérants invoquent également un document rédigé par HY, daté du 17 décembre 2014, qui dénonçait « des conditions de travail non viables » et qui aurait été envoyé à l’ancien directeur et à la directrice afin d’être discuté au cours d’une réunion prévue pour le 21 janvier 2015, qui n’a finalement pas eu lieu. Les requérants ont fait valoir que ce document visait le chef d’unité. L’ECDC ne conteste pas que les relations entre le chef d’unité et HY étaient difficiles et qu’une tentative de médiation entre eux n’avait pas abouti. Au cours de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, l’ECDC a cependant mis en doute le fait que le document daté du 17 décembre 2014 se référait au chef d’unité et qu’il ait été effectivement transmis à la direction de l’ECDC.

200    À cet égard, il y a lieu de constater que le document daté du 17 décembre 2014 ne mentionne pas le nom du chef d’unité. En outre, même dans l’hypothèse où il devrait être considéré que ce document concernait le chef d’unité, force est de constater que HY y a décrit uniquement des éléments qui créaient, selon elle, « une perception de harcèlement » et qu’elle n’apporte pas la preuve qu’il ait été communiqué à l’ancien directeur ou à la directrice.

201    Il y a lieu de conclure qu’aucune des violations alléguées ne peut être identifiée à l’égard de HY, sans qu’il soit besoin d’adopter la mesure d’instruction demandée par les requérants visant à ce que le Tribunal ordonne l’audition de E comme témoin.

202    Enfin, s’agissant de HV, il convient de souligner qu’il n’a pas répondu à la demande d’informations complémentaires qui lui avait été adressée par la directrice, à l’initiative de celle-ci, le 30 juin 2015. Avant cette date, il ressort du dossier que HV et une personne travaillant à la section « Ressources humaines » se sont réunis en 2013 au sujet du comportement du chef d’unité et de B. Toutefois, la preuve des allégations concrètes formulées au cours de cette réunion n’a pas été apportée. Par courriel du 4 février 2014, HV a informé la cheffe de la section « Ressources humaines » de la mise en œuvre d’une procédure de contrôle de son badge. Toutefois, ce courriel ne contenait pas d’allégation de harcèlement. L’ECDC ne conteste pas que, à la fin du mois août 2014, HV a sollicité auprès de la section « Ressources humaines » un changement d’unité, mais ce dernier ne décrit pas les agissements concrets qu’il a pu dénoncer à cette date. HV a également pris contact avec le PMO en avril 2015, mais l’ECDC n’en a pas été informé. En ce qui concerne l’argument selon lequel, dans le courant du mois de juin 2015, HV aurait informé la directrice du harcèlement qu’il vivait, outre le fait qu’il a été avancé devant le Tribunal à un stade tardif de la procédure, aucune preuve de ces allégations n’est apportée.

203    Certes, dans un courriel du 4 mai 2015, qualifié de « demande d’assistance » par les requérants, HV a transmis à la directrice des allégations concrètes concernant le comportement du chef d’unité depuis le mois de décembre 2012 et sur sa propre situation, y compris sa demande de changement d’unité et ses rapports d’évaluation négatifs (voir points 34, 37 et 174 ci-dessus). Toutefois, HV ne saurait se prévaloir utilement de cette demande dans le cadre du présent recours pour dénoncer une inaction de l’ECDC, dès lors qu’il n’a pas répondu à la demande d’informations complémentaires qui lui a été envoyée par la directrice le 30 juin 2015, ni contesté la conclusion de cette dernière, communiquée par courriel du 21 septembre 2015, selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’allégations et de preuves indiquant l’existence d’un possible harcèlement pour justifier l’ouverture d’une enquête sur la situation. En effet, ainsi que les requérants l’ont reconnu en réponse à une question du Tribunal, une partie ne saurait, par le biais d’une demande en indemnité, chercher à obtenir un résultat identique à celui que lui aurait procuré le succès d’un recours en annulation qu’il a omis d’intenter en temps utile (voir arrêt du 18 novembre 2014, McCoy/Comité des régions, F‑156/12, EU:F:2014:247, point 96 et jurisprudence citée).

204    Il s’ensuit qu’aucune des illégalités dénoncées ne saurait être retenue à l’égard de HV.

205    Eu égard aux considérations qui précèdent, les griefs des requérants portant sur le caractère inapproprié du traitement des alertes qu’ils avaient lancées avant la première demande d’assistance de AI doivent être rejetés dans leur ensemble.

d)      Conclusion

206    En l’absence d’illégalité à l’égard des requérants, il y lieu de rejeter les conclusions indemnitaires dans leur ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les conditions relatives à l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité.

 Sur les dépens

207    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

208    Selon l’article 135, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsque l’équité l’exige, le Tribunal peut décider qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

209    En l’espèce, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en condamnant, dans un souci d’équité, chaque partie à supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Chaque partie supporte ses propres dépens.

da Silva Passos

Truchot

Sampol Pucurull

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 juillet 2022.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

II. Faits postérieurs à l’introduction du recours

III. Conclusions des parties

IV. En droit

A. Sur les conclusions en annulation

B. Sur les conclusions indemnitaires

1. Sur la fin de non-recevoir soulevée par l’ECDC

2. Sur le fond

a) Sur les demandes indemnitaires respectives des requérants

1) AI

2) HV

3) HW

4) HY

b) Sur les conditions exigées pour engager la responsabilité de l’Union

c) Sur les illégalités alléguées

1) Rappel des obligations de protection des fonctionnaires et des agents qui incombent à l’administration

2) Règles de l’ECDC applicables aux faits litigieux

i) Règles concernant la conduite des enquêtes administratives et des procédures disciplinaires

ii) Règles en matière de lutte contre le harcèlement moral et le harcèlement sexuel

3) Sur les griefs portant sur le caractère inapproprié du traitement de la première demande d’assistance de AI

4) Sur les griefs relatifs aux alertes lancées par les requérants avant la première demande d’assistance de M. AI

d) Conclusion

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Données confidentielles occultées.