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ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

13 juin 2024 (*)

« Référé – Concurrence – Concentrations – Demande de renseignements – Article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 139/2004 – Demande de mesures provisoires – Fumus boni juris – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑1119/23 R‑RENV,

Lagardère SA, établie à Paris (France), représentée par Mes D. Théophile, G. Aubron et C. Bocket, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. P. Caro de Sousa, B. Cullen et D. Viros, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE VICE-PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

vu l’ordonnance du 29 novembre 2023, Lagardère/Commission (T‑1119/23 R, non publiée),

vu l’ordonnance du 19 janvier 2024, Lagardère/Commission (T‑1119/23 R, non publiée, EU:T:2024:16),

vu l’ordonnance du 6 février 2024, Lagardère/Commission [C‑89/24 P(R)‑R, non publiée, EU:C:2024:120],

vu l’ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission [C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312],

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, la requérante, Lagardère SA, sollicite, d’une part, le sursis à l’exécution de la décision C(2023) 6429 final de la Commission, du 19 septembre 2023, relative à une procédure d’application de l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil (affaire M.11184 – Vivendi/Lagardère), telle que modifiée par la décision C(2023) 7464 final de la Commission, du 27 octobre 2023 (ci‑après la « décision attaquée »), et, d’autre part, à titre conservatoire, qu’il lui soit enjoint de conserver l’ensemble des documents que la décision attaquée concerne et qui sont susceptibles d’intéresser l’enquête de la Commission européenne.

 Antécédents du litige, conclusions des parties et faits postérieurs à l’introduction de la demande en référé

2        La requérante est la société mère du groupe Lagardère, un groupe français actif notamment dans le secteur des médias.

3        Le 24 octobre 2022, Vivendi SE a notifié à la Commission européenne une opération de concentration qui consistait en l’acquisition du contrôle exclusif de la requérante.

4        Le 9 juin 2023, la Commission a autorisé le projet d’opération de concentration, sous réserve du respect d’engagements souscrits par Vivendi.

5        Le 25 juillet 2023, Vivendi a été informée par la Commission de l’ouverture d’une enquête formelle portant sur une potentielle réalisation anticipée de l’opération de concentration.

6        Dans le cadre de cette procédure, par la décision C(2023) 6429 final, la Commission a adressé à la requérante une demande de renseignements, fondée sur l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1), assortie d’un délai expirant le 27 octobre 2023. Cette décision oblige la requérante, notamment, à recueillir des documents échangés, entre le 1er janvier 2020 et le 19 septembre 2023, par différents moyens de communication, reçus ou envoyés ou détenus par plusieurs personnes physiques (ci-après les « personnes concernées ») contenant certains termes de recherches définis dans son annexe, ainsi que les documents échangés entre certaines personnes concernées et d’autres personnes physiques, puis à les transmettre à la Commission. Cette obligation s’étend notamment , ainsi qu’il ressort du paragraphe 2, sous c), i), de l’annexe de cette décision, à des échanges opérés au moyen de boîtes de courrier électronique privées ou personnelles et d’appareils mobiles privés ou personnels des personnes concernées (ci-après les « outils de communication personnels »), pour autant que ces boîtes de courrier électronique et ces appareils aient été utilisés au moins une fois pour des communications professionnelles.

7        Le 27 octobre 2023, la Commission a, par la décision C(2023) 7464 final, notamment prorogé le délai initialement fixé par la décision C(2023) 6429 final au 1er décembre 2023.

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 novembre 2023, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée.

9        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 28 novembre 2023, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au juge des référés :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée, sur le fondement de l’article 279 TFUE et de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la procédure de référé ;

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée, sur le fondement de l’article 156 du règlement de procédure et de l’article 278 TFUE, jusqu’à ce que le Tribunal statue sur le recours en annulation de cette décision ;

–        à titre conservatoire, si le président du Tribunal l’estime nécessaire, lui enjoindre de conserver l’ensemble des documents des personnes concernées susceptibles d’intéresser l’enquête de la Commission ;

–        condamner la Commission aux dépens.

10      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 19 décembre 2023, la Commission conclut à ce qu’il plaise au juge des référés :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

11      Par ordonnance du 19 janvier 2024, Lagardère/Commission (T‑1119/23 R, non publiée, EU:T:2024:16), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé.

12      Le 24 janvier 2024, la Commission a, par la décision C(2024) 572 final, prorogé le délai fixé par la décision attaquée jusqu’au 7 février 2024. Elle a également prévu que la requérante se verrait imposer, en application de l’article 15 du règlement no 139/2004, une astreinte n’excédant pas 5 % de son chiffre d’affaires total journalier moyen par jour de retard à compter du premier jour ouvrable suivant l’expiration du délai prorogé.

13      Le 30 janvier 2024, la requérante a fourni à la Commission 481 517 documents répondant aux critères définis par la décision attaquée, issus des outils de communication professionnels des personnes concernées.

14      Par ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission [C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312], le vice-président de la Cour a annulé l’ordonnance du 19 janvier 2024, Lagardère/Commission (T‑1119/23 R, non publiée, EU:T:2024:16). En outre, statuant définitivement sur la condition relative à l’urgence, il a constaté que cette condition était remplie, eu égard au préjudice grave et irréparable découlant du fait que, en vue de se conformer à la décision attaquée, la requérante serait contrainte de commettre des infractions pénales, et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal pour qu’il soit statué sur la condition relative au fumus boni juris et pour que soit effectuée, le cas échéant, la mise en balance des intérêts en présence.

15      Dans ses observations présentées à la suite de l’ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission [C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312], la requérante conclut à ce qu’il plaise au juge des référés :

–        ordonner, sur le fondement de l’article 156 du règlement de procédure et de l’article 278 TFUE, le sursis à l’exécution de la décision attaquée telle que modifiée par la décision C(2024) 572 final, jusqu’à ce que le Tribunal statue sur le recours en annulation de la décision attaquée ;

–        ordonner à la Commission de suspendre tous les accès de ses agents et de ses fonctionnaires en charge du dossier aux documents fournis à la Commission le 30 janvier 2024 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

16      Dans ses observations présentées à la suite de l’ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission [C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312], la Commission conclut à ce qu’il plaise au juge des référés :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens exposés dans le cadre des procédures T‑1119/23 R, C‑89/24 P(R) et T‑1119/23 R-RENV.

 En droit

 Sur la persistance de lintérêt à agir

17      Dans ses observations présentées à la suite de l’ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission [C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312], la Commission indique que la requérante lui a fourni, le 30 janvier 2024, une partie des documents demandés. De plus, la requérante aurait obtenu le consentement de certaines des personnes concernées pour la collecte des documents visés par la décision attaquée contenus dans leurs outils de communication personnels, excluant ainsi la réalisation du préjudice en cause en l’espèce. La demande serait donc irrecevable ou devenu sans objet, en ce qu’elle a trait aux documents contenus dans les outils de communication professionnels des personnes concernées et à ceux contenus dans les outils de communication personnels desdites personnes pour lesquels celles-ci ont consenti à leur collecte.

18      En réponse à une question du juge des référés, la requérante a confirmé avoir fourni, le 30 janvier 2024, l’ensemble des documents issus des outils de communication professionnels des personnes concernées, répondant aux critères de recherche de la décision attaquée, sous réserve de ceux faisant l’objet de garanties procédurales spécifiques et de ceux qu’elle n’a pas été techniquement en mesure de collecter. Elle estime néanmoins qu’elle conserve un intérêt à demander la suspension de la décision à l’égard de ces documents, notamment afin d’éviter que la Commission puisse y accéder et les exploiter. Elle a également indiqué que l’accord reçu de certaines personnes concernées pour la collecte de documents contenus dans leurs outils de communication personnels reflète l’exécution d’une instruction de leur employeur et ne saurait être assimilé à l’expression d’un consentement de leur part.

19      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, au moment d’accorder des mesures provisoires, il convient d’apprécier si la partie requérante a justifié d’un intérêt à l’obtention des mesures sollicitées (voir ordonnance du 17 décembre 1996, Moccia Irme/Commission, T‑164/96 R, EU:T:1996:205, point 26 et jurisprudence citée).

20      S’agissant, en premier lieu, de la persistance de l’intérêt à l’obtention des mesures sollicitées, en ce qu’elles ont trait à des documents qui ont été communiqués à la Commission, il y a lieu de relever que, par la décision attaquée, la Commission demande à la requérante de fournir les informations visées à l’annexe de ladite décision et que, par la présente procédure, la requérante sollicite, notamment, d’ordonner le sursis à l’exécution de cette décision.

21      Or, force est de constater que, ainsi qu’il ressort des points 17 et 18 ci-dessus, il est constant entre les parties que la requérante a, le 30 janvier 2024, fourni à la Commission une partie des documents visés par la décision attaquée.

22      Il s’ensuit que la décision attaquée a été partiellement exécutée, de sorte que, en ce qu’elle a trait auxdits documents, sa suspension n’aurait plus de sens (voir, en ce sens, ordonnances du 22 mai 1978, Simmenthal/Commission, 92/78 R, EU:C:1978:106, point 7, et du 16 juin 2015, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15 R, non publiée, EU:T:2015:389, point 17).

23      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments avancés par la requérante.

24      Ainsi, tout d’abord, l’allégation de la requérante selon laquelle le préjudice découlerait de l’accès de la Commission aux documents visés par la décision attaquée et de sa faculté de les exploiter doit être écartée. En effet, dans l’ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission [C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312], le vice-président de la Cour a identifié le préjudice grave et irréparable en cause en l’espèce comme découlant de la collecte et de la transmission, par la requérante, des documents en cause et non de l’accès par les agents et fonctionnaires de la Commission à ceux-ci ou de leur exploitation. L’intérêt à agir de la requérante ne saurait donc être justifié par l’objectif d’éviter que la Commission ait accès aux documents en cause et puisse les exploiter. Le fait, évoqué par la requérante, que les fonctionnaires de la Commission en charge du dossier n’ont actuellement pas accès auxdits documents est sans influence à cet égard.

25      Dans ce contexte, il importe de préciser que le vice-président de la Cour ayant renvoyé l’affaire devant le Tribunal uniquement pour qu’il soit statué sur la condition relative au fumus boni juris et pour que soit effectuée, le cas échéant, la mise en balance des intérêts en présence, le juge des référés ne saurait, sans outrepasser sa compétence, identifier un autre préjudice permettant de constater la persistance de l’intérêt de la requérante à demander la suspension de la décision attaquée.

26      Ensuite, l’argument de la requérante selon lequel elle aurait été contrainte par la décision C(2024) 572 final de fournir, sous peine d’astreinte, les documents en cause ne saurait prospérer. En effet si, certes, l’article 2 de cette décision prévoit, sur le fondement de l’article 15 du règlement no 139/2004, l’infliction d’une astreinte à compter de l’expiration du délai prorogé par l’article 1er de ladite décision, il convient également de relever que l’obligation de fournir les documents, et ce à une date antérieure à celle fixée par la décision C(2024) 572 final, découle, en premier lieu, de la décision attaquée, laquelle évoque déjà la possibilité d’infliger, sur le fondement, notamment, de l’article 15, paragraphe 1, règlement no 139/2004, des astreintes par jour de retard à compter de la date fixée dans la décision. Ainsi, avant l’expiration du délai fixé par la décision C(2024) 572 final, la possibilité qu’une astreinte soit infligée à la requérante existait déjà potentiellement, sous réserve des périodes pendant laquelle la décision attaquée a été suspendue.

27      En outre, il convient également d’écarter l’argument de la requérante selon lequel, en substance, le fait d’accepter que la fourniture de documents entraîne la perte de son intérêt à agir pour obtenir la suspension de la décision attaquée à leur égard reviendrait à nier son droit au recours et son droit d’obtenir des mesures provisoires. En effet, il s’agit uniquement, ainsi qu’il ressort du point 22 ci-dessus, de la conséquence de l’exécution partielle de la décision attaquée, la requérante conservant, en principe, un intérêt à demander la suspension de cette décision à l’égard des documents qui n’ont pas été fournis. Il convient aussi, dans ce contexte et pour les mêmes motifs, de rejeter l’argumentation de la requérante selon laquelle il suffirait à la Commission de forcer l’exécution d’une décision par astreinte pour ôter à son destinataire son droit de solliciter des mesures provisoires.

28      Enfin, est sans conséquence le fait que, lors de l’adoption de l’ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission [C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312], la transmission de certains documents était connue du vice-président de la Cour, dès lors que cette question ne relevait pas de l’objet du pourvoi contre l’ordonnance du 19 janvier 2024, Lagardère/Commission (T‑1119/23 R, EU:T:2024:16).

29      Il résulte de ce qui précède qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la demande en référé en ce qu’elle a trait aux documents fournis à la Commission le 30 janvier 2024.

30      S’agissant, en second lieu, de la persistance de l’intérêt à l’obtention des mesures sollicitées en ce qu’elles ont trait à des documents visés par la décision attaquée contenus dans des outils de communication personnels dont les personnes concernées auraient consenti à la collecte, il y a lieu de relever que la requérante admet que, si les personnes concernées consentent à ce qu’elle collecte lesdits documents, sa responsabilité ne sera pas engagée, tout en soulignant qu’un tel consentement devrait être libre et éclairé. Il s’ensuit que l’existence d’un tel consentement permet d’éviter la survenance du préjudice en cause en l’espèce.

31      Or, il ressort du dossier que, à la suite de réunions tenues en octobre et novembre 2023 entre la requérante et les personnes concernées, une seule d’entre elles avait fait part de son accord pour la collecte des documents visés par la décision attaquée contenus sur ses outils de communication personnels. De plus, lorsqu’elle a sollicité, le 2 février 2024, les personnes concernées afin, notamment, d’obtenir leur coopération pour l’exécution de la décision attaquée, la requérante a insisté sur le contenu de la décision C(2024) 572 final, en particulier sur la possibilité d’infliction d’une astreinte et sur la nécessité de collecter rapidement les documents en cause. Il importe de souligner, dans ce contexte, que, comme l’indique la requérante, ce courrier électronique ne sollicitait pas l’expression du consentement des personnes concernées à la collecte des documents contenus dans leurs outils de communication personnels, mais directement la remise de ces documents. Il convient enfin de constater que, comme la Commission l’indique, à la suite de ce courrier électronique, sur les douze personnes concernées ayant indiqué utiliser des outils de communication personnels à des fins professionnelles, seules deux personnes concernées ont refusé expressément la collecte des documents en cause.

32      Eu égard à ces circonstances, il n’apparaît pas établi que le consentement donné par des personnes concernées pour la collecte des documents visés par la décision attaquée contenus dans des outils de communication personnels puisse être qualifié de libre et éclairé.

33      La fin de non-recevoir soulevée à cet égard par la Commission, dans ses observations présentées à la suite de l’ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission [C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312], doit donc être écartée.

 Sur la recevabilité du chef de conclusions tendant à ce quil soit ordonné à la Commission de suspendre laccès de ses agents et fonctionnaires aux documents fournis le 30 janvier 2024

34      En réponse à une question du juge des référés, la Commission a indiqué que le chef de conclusions contenu dans les observations de la requérante présentées à la suite de l’ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission [C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312], et visant à ce qu’elle suspende l’accès de ses agents et fonctionnaires aux documents fournis le 30 janvier 2024 était irrecevable.

35      À cet égard, force est de constater que ce chef de conclusions est manifestement irrecevable, en tant qu’il modifie l’objet de la demande en référé déposée le 28 novembre 2023 et constitue un nouveau chef de conclusions [voir, par analogie, ordonnance du 20 mars 2023, Xpand Consortium e.a./Commission, C‑739/22 P(R), non publiée, EU:C:2023:228, point 20]. Il doit, en tout état de cause, être écarté, pour les motifs exposés au point 24 ci-dessus.

36      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il convient d’examiner le fond de la demande en référé dans la mesure où celle-ci vise la suspension de la décision attaquée en ce qu’elle a trait aux documents qui n’ont pas encore été fournis à la Commission.

 Sur le fond

 Considérations générales

37      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

38      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

39      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence [voir ordonnance du 24 mai 2022, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement et Espagne, C‑629/21 P(R), EU:C:2022:413, point 175 et jurisprudence citée].

40      Compte tenu des éléments du dossier, le vice-président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

41      Dans les circonstances de l’espèce, eu égard au fait qu’il a été définitivement statué sur la condition relative à l’urgence dans l’ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission [C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312] (voir point 14 ci-dessus), il convient d’examiner tout d’abord si la condition relative au fumus boni juris est satisfaite.

 Sur le fumus boni juris

42      Il convient de rappeler que la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est notamment le cas lorsque l’un de ces moyens révèle l’existence de questions de droit complexes dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond, ou lorsque le débat mené entre les parties dévoile l’existence d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas à l’évidence [voir ordonnance du 24 mai 2022, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement et Espagne, C‑629/21 P(R), EU:C:2022:413, point 188 et jurisprudence citée].

43      En l’espèce, dans le cadre de sa démonstration relative au fait qu’il est satisfait à cette condition, la requérante invoque six moyens. Il convient d’examiner d’emblée certains griefs relatifs, en substance, à l’impossibilité, pour la requérante, de mettre en œuvre la décision attaquée sans s’exposer à l’engagement de sa responsabilité, lesquels figurent dans le premier moyen, tiré d’un détournement de pouvoir, et dans le cinquième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique.

44      Dans le cadre du premier moyen, la requérante fait valoir, notamment, qu’elle est dans l’impossibilité de mettre en œuvre la décision attaquée. À cet égard, elle précise qu’elle n’est pas une autorité publique, qu’elle ne dispose pas de prérogatives de puissance publique et qu’elle est soumise au respect des règles applicables entre personnes privées, en particulier au droit du travail, au secret des correspondances et au secret des sources journalistiques. Selon la requérante, en exigeant d’elle d’opérer des fouilles dans les outils de communication de ses salariés, la décision attaquée l’expose à un risque de plaintes et de sanctions. De plus, elle ne serait techniquement et légalement pas en mesure d’accéder à certaines données dont la communication est ordonnée par la Commission.

45      Dans le cadre du cinquième moyen, la requérante soulève, notamment, un grief pris de ce que la décision attaquée porte atteinte au principe de sécurité juridique en la contraignant à prendre des mesures illégales. À cet égard, elle fait valoir que la collecte des données personnelles de ses salariés viole le droit au respect de leur vie privée et l’expose à une sanction pénale. De même, elle estime que la collecte de données relevant du secret des sources constitue une violation des droits des journalistes qui l’expose à des sanctions. Enfin, elle souligne que, alors que la décision attaquée définit les documents demandés comme étant tous les fichiers informatiques en sa possession ou sous son contrôle, les boîtes de courrier électronique personnelles et les téléphones ou tablettes personnels de ses employés ne sont ni en sa possession, ni détenus par elle, ni sous son contrôle, et sont en fait inaccessibles, tant d’un point de vue purement matériel que juridique.

46      La Commission conteste l’argumentation de la requérante. Ainsi, s’agissant des arguments avancés dans le cadre du premier moyen, elle conteste tant l’impossibilité technique que juridique de mettre en œuvre la décision attaquée. Elle souligne que, en tout état de cause, la collecte des documents a eu lieu. Quant à la circonstance selon laquelle le prestataire auquel la requérante a eu recours ne dispose pas des autorisations nécessaires pour procéder à la collecte des documents, elle ne saurait, en tant que tel, matérialiser une impossibilité de procéder à cette collecte. Le reproche selon lequel elle ferait fi de l’incapacité de la requérante à mettre en œuvre la décision attaquée serait en outre inopérant, dans le cadre dudit moyen, en ce qu’il ne tend pas à remettre en cause les fins poursuivies par la Commission.

47      S’agissant des arguments avancés dans le cadre du cinquième moyen, la Commission estime qu’ils ne sont pas susceptibles de démontrer que l’objet de la demande figurant dans la décision attaquée ou les renseignements demandés par celle-ci ne sont pas clairs ou précis, de sorte qu’ils sont inopérants dans le cadre dudit moyen. En tout état de cause, ils sont, selon la Commission, dénués de fondement.

48      À cet égard, il convient de relever qu’il ressort de la jurisprudence que la Commission ne saurait imposer, par une décision, sous peine de son invalidité, une obligation dont l’exécution serait, dès sa naissance, de manière objective et absolue, impossible à réaliser (arrêts du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C‑75/97, EU:C:1999:311, point 86, et du 7 octobre 2010, DHL Aviation et DHL Hub Leipzig/Commission, T‑452/08, non publié, EU:T:2010:427, point 42).

49      En l’espèce, la requérante affirme, en substance, qu’elle est juridiquement et matériellement dans l’incapacité d’accéder aux documents stockés, notamment, sur des outils de communication personnels des personnes concernées et que l’exécution de la décision attaquée l’exposerait à un risque de plaintes et de sanctions.

50      À cet égard, premièrement, il convient de rappeler que, en son paragraphe 2, l’annexe de la décision attaquée définit les documents concernés comme étant tous les fichiers informatiques en possession de, détenus par ou sous le contrôle de la requérante et précise que ceux-ci incluent les documents sur l’ensemble des boîtes de courrier électronique privées ou personnelles (pour autant qu’elles aient été utilisées pour des communications professionnelles au moins une fois) ainsi que des appareils mobiles, dont les téléphones portables ou tablettes (y compris des téléphones portables ou tablettes privés ou personnels, pour autant qu’ils aient été utilisés pour des communications professionnelles au moins une fois), incluant les messages instantanés et les SMS.

51      Or, la Commission n’a avancé aucun argument susceptible, à première vue, de remettre en cause l’argumentation de la requérante selon laquelle, en substance, les outils de communication personnels des personnes concernées n’étaient ni en sa possession, ni détenu par elle, ni sous son contrôle.

52      Deuxièmement, il y a lieu de souligner que l’exécution de la décision attaquée est susceptible de conduire la requérante à commettre des actes pour lesquels elle pourrait être mise en cause et, le cas échéant, sanctionnée.

53      En effet, ainsi que le vice-président de la Cour l’a constaté, en vue d’exécuter pleinement la décision attaquée, la requérante, qui n’est pas une autorité publique, devrait accéder, dans une large mesure, aux communications de certains de ses salariés et mandataires sociaux, alors que le droit français ne lui confère pas explicitement un tel pouvoir. Ainsi, la requérante serait contrainte, afin d’exécuter la décision attaquée, d’adopter un comportement dont il est probable qu’il pourrait justifier l’engagement de sa responsabilité pénale et, en conséquence, l’exposer à des sanctions pénales [voir, en ce sens, ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission, C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312, points 71 et 75].

54      Certes, il ressort du dossier que, a priori, s’agissant des documents visés par la décision attaquée provenant des outils de communication personnels des personnes concernées, à l’exception de ceux intégrés à une démarche dite « Apportez Votre Équipement personnel de Communication » (AVEC), qui semblent pouvoir être contrôlés par l’employeur sans le consentement de la personne concernée en ce qui concerne les applications à caractère professionnel qui y sont installées, le consentement de la personne concernée à l’accès à ces outils et à la collecte de ces documents apparaît comme étant susceptible de lever les obstacles évoqués par la requérante. En particulier, il convient de rappeler que, comme la requérante l’a indiqué en réponse à une question du juge des référés, si les personnes concernées consentaient à ce que la requérante collecte des documents sur leurs outils de communication personnels, celle-ci ne risquerait plus d’engager sa responsabilité, tout en soulignant qu’un tel consentement devrait être libre et éclairé.

55      Toutefois, d’une part, force est de constater que la décision attaquée ne contient aucune disposition relative au consentement des personnes concernées s’agissant de l’accès par la requérante et de la transmission à la Commission des documents provenant de leurs outils de communication personnels, ni aucune indication pratique à cet égard.

56      Dans ce contexte, il convient d’écarter l’argumentation de la Commission selon laquelle le consentement des personnes concernées n’est pas requis pour la collecte et le traitement des données à caractère personnel dans le cadre d’une réponse à une demande d’informations de sa part. En effet, la question qui se pose en l’espèce est celle du consentement à l’accès et à la collecte de documents dans le contexte du droit à la vie privée et du secret des correspondances, et non celle d’un consentement à la collecte et au traitement de données à caractère personnel. Or, un consentement est nécessaire pour que la requérante puisse accéder et collecter les documents issus des outils de communication personnels des personnes concernées.

57      D’autre part, aux fins de l’exécution de la décision attaquée, la requérante ne dispose, à première vue, d’aucun moyen de contrainte pour imposer aux personnes concernées la remise de tels documents, alors même que le fait de ne pas les fournir à la Commission l’expose aux sanctions prévues par les articles 14 et 15 du règlement no 139/2004. La Commission n’en a d’ailleurs évoqué aucun, tout en admettant elle-même, en substance, que l’obtention du consentement des personnes concernées est tributaire des efforts que la requérante met en œuvre pour expliquer la portée de la décision attaquée. Il convient d’ajouter que, en tout état de cause, la requérante ne saurait exercer une contrainte sur les personnes concernées pour qu’elles fournissent un consentement sans que ce dernier perde son caractère libre.

58      Enfin, il est à relever, sans que cela soit décisif, que la requérante a affirmé que, à défaut de bénéficier des autorisations exigées par le droit français, le prestataire auquel elle recourt n’est pas en mesure de collecter certains documents stockés sur certaines applications tierces. Or, la Commission n’a pas contesté le bien-fondé de cette affirmation. Elle s’est, en substance, bornée à indiquer que la circonstance selon laquelle le prestataire auquel la requérante a eu recours ne dispose pas des autorisations nécessaires ne saurait matérialiser une impossibilité de procéder à la collecte requise. Elle n’a cependant pas apporté d’éléments permettant d’établir qu’une telle autorisation aurait, à première vue, pu être délivrée dans les circonstances de l’espèce.

59      Il résulte de ce qui précède que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur le recours principal, les griefs relatifs, en substance, à l’impossibilité, pour la requérante, de mettre en œuvre la décision attaquée sans s’exposer à l’engagement de sa responsabilité n’apparaissent pas, à première vue, dépourvus de fondement sérieux et méritent donc un examen approfondi qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit l’être dans le cadre de la procédure au fond.

60      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris.

 Sur la mise en balance des intérêts

61      Selon la jurisprudence, les risques liés à chacune des solutions possibles doivent être mis en balance dans le cadre de la procédure de référé. Concrètement, cela implique notamment d’examiner si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à obtenir le sursis à l’exécution de l’acte attaqué prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de celui‑ci. Lors de cet examen, il convient de déterminer si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui serait provoquée par son exécution immédiate et, inversement, dans quelle mesure le sursis serait de nature à faire obstacle aux objectifs poursuivis par l’acte attaqué au cas où le recours dans l’affaire principale serait rejeté (voir ordonnance du 29 octobre 2020, Facebook Ireland/Commission, T‑451/20 R, non publiée, EU:T:2020:515, point 115 et jurisprudence citée). S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la situation juridique créée par une ordonnance de référé doit être réversible, il y a lieu de relever que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe, de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire, en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (voir ordonnance du 20 juillet 2016, MSD Animal Health Innovation et Intervet international/EMA, T‑729/15 R, non publiée, EU:T:2016:435, point 75 et jurisprudence citée).

62      En l’espèce, il s’agit de mettre en balance, d’une part, l’intérêt d’éviter un préjudice grave et irréparable pouvant découler, ainsi que le reconnait la Commission, du fait que la requérante soit contrainte, afin d’exécuter la décision attaquée, d’adopter un comportement dont il est probable qu’il pourrait justifier l’engagement de sa responsabilité pénale et, en conséquence, l’exposer à des sanctions pénales et, d’autre part, l’intérêt public de préserver l’efficacité des règles de concurrence de l’Union.

63      À cet égard, il est à souligner que, dans le cadre du litige principal, le Tribunal sera appelé à statuer sur le point de savoir si la décision attaquée doit être annulée, notamment, en ce que sa mise en œuvre impliquerait pour la requérante d’adopter un comportement dont il est probable qu’il pourrait justifier l’engagement de sa responsabilité pénale et, en conséquence, l’exposer à des sanctions pénales.

64      Cependant, un arrêt d’annulation serait privé d’effet utile si la présente demande en référé était rejetée, étant donné que ce rejet aurait pour conséquence d’obliger la requérante à adopter un tel comportement et, partant, à contribuer au préjudice grave et irréparable pouvant en découler.

65      Dans ce contexte, il est à relever que, contrairement à ce que prétend la Commission, l’éventuelle annulation de la décision attaquée par le Tribunal dans l’affaire principale ne permettrait pas de remédier à la situation qui résulterait de sa mise en œuvre immédiate. En effet, ainsi que l’a retenu le vice-président de la Cour, une éventuelle annulation de la décision attaquée ne permettait ni de dégager la requérante de sa responsabilité pénale ni de remettre en cause les appréciations portées sur elle en raison de la commission d’infractions pénales [ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission, C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312, point 78].

66      S’agissant de l’argument de la Commission selon lequel la démonstration de la probabilité que des poursuites seraient effectivement engagées n’a pas été apportée, il doit être écarté, dès lors que, en tout état de cause, ainsi que l’a retenu le vice-président de la Cour, le préjudice identifié en l’espèce est prévisible avec un degré de probabilité suffisant [voir, en ce sens, ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission, C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312, points 75 et 76].

67      En ce qui concerne les arguments de la Commission relatifs au principe de primauté, il y a lieu de rappeler, d’une part, que l’article 288, quatrième alinéa, TFUE prévoit qu’une décision est obligatoire dans tous ses éléments pour les destinataires qu’elle désigne et, d’autre part, que tout juge national saisi dans le cadre de sa compétence a, en tant qu’organe d’un État membre, l’obligation, par application du principe de coopération énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, d’appliquer intégralement le droit de l’Union directement applicable et de protéger les droits que celui‑ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle‑ci soit antérieure ou postérieure à la règle du droit de l’Union (ordonnance du 14 juillet 2021, Commission/Pologne, C‑204/21 R, EU:C:2021:593, point 172). Néanmoins, eu égard à la nature et à l’objet de la présente procédure, en particulier au fait qu’elle ne vise qu’à émettre des injonctions ayant un caractère provisoire et ne préjugeant en rien la décision du juge statuant au principal (voir, en ce sens, ordonnance du 12 décembre 1995, Connolly/Commission, T‑203/95 R, EU:T:1995:208, point 25), la suspension provisoire de la décision attaquée n’aurait pas pour effet de faire primer des dispositions nationales sur ladite décision, ni donc de remettre en cause le principe de primauté du droit de l’Union. Au demeurant, il n’appartient pas au juge des référés de se prononcer sur une hypothétique contrariété des règles de droit national invoquées en l’espèce au droit de l’Union. Il convient donc d’écarter l’argument de la Commission selon lequel la requérante ne saurait valablement invoquer la contrariété entre certaines dispositions de droit interne et les effets que comporterait l’exécution de la décision attaquée, ainsi que, pour les mêmes motifs, celui selon lequel le principe de primauté et celui de présomption de validité des actes de l’Union empêcheraient un État membre de considérer que l’exécution d’une décision de la Commission constitue un comportement pénalement répréhensible.

68      Quant à l’argument de la Commission selon lequel ordonner des mesures provisoires irait à l’encontre de la jurisprudence du juge des référés, qui a montré une réticence à s’immiscer dans les enquêtes en cours, force est de constater que la jurisprudence évoquée par cette institution à cet égard concerne, notamment, l’hypothèse dans laquelle la demande de mesures provisoires vise à empêcher la Commission d’exercer ses pouvoirs d’enquête et de sanction immédiatement après l’ouverture d’une procédure administrative et ce avant même qu’elle ait adopté les actes interlocutoires ou définitifs dont la partie requérante désire éviter l’exécution. Or, tel n’était pas le cas en l’espèce, la décision attaquée étant un acte postérieur à l’ouverture de la procédure. Au demeurant, le juge des référés a déjà eu l’occasion de suspendre des décisions de demandes de renseignements adoptées dans le contexte du droit de la concurrence (voir, en ce sens, ordonnance du 29 octobre 2020, Facebook Ireland/Commission, T‑451/20 R, non publiée, EU:T:2020:515).

69      Enfin, il convient de relever que, certes, comme la Commission le relève, le sursis à l’exécution de la décision attaquée l’empêcherait d’examiner les documents demandés à la requérante jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours principal. Toutefois, l’octroi des mesures provisoires sollicitées ne reviendrait qu’à maintenir, pour une période limitée, le statu quo, sans porter atteinte de manière définitive à l’efficacité des règles de concurrence de l’Union. Au demeurant, s’agissant des documents déjà fournis, elle a elle-même accepté, dans un esprit de coopération, la suspension du traitement desdits documents jusqu’à ce que le juge des référés rende son ordonnance et a désactivé les accès à la salle de données virtuelle contenant les documents identifiés comme étant de nature personnelle.

70      Il résulte de ce qui précède que l’intérêt de la Commission à voir rejeter la demande en référé doit céder devant l’intérêt défendu par la requérante.

71      En conséquence, toutes les conditions étant réunies à cet effet, il y a lieu de faire droit à la demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée.

72      S’agissant du chef de conclusions visant à ce qu’il soit enjoint à la requérante de conserver l’ensemble des documents concernés par la décision attaquée, force est de constater que, s’il a été présenté dans la demande en référé, il n’a pas été réitéré dans les observations présentées à la suite de l’ordonnance du 11 avril 2024, Lagardère/Commission [C‑89/24 P(R), non publiée, EU:C:2024:312]. Au demeurant, à la suite de la fourniture à la Commission de certains documents le 30 janvier 2024, il est dénué d’intérêt à l’égard de ces derniers. S’agissant des documents non encore fournis, il s’agit de documents contenus sur des outils de communication personnels des personnes concernées. Or, ainsi qu’il a été relevé au point 51 ci-dessus, ceux-ci ne sont ni en la possession de la requérante, ni détenus par elle, ni sous son contrôle, de sorte que l’injonction sollicitée serait impossible à mettre en œuvre. Il n’en demeure pas moins que, afin d’en limiter la possibilité de destruction ou de disparition, il y a lieu d’ordonner à la requérante de demander aux personnes concernées de prendre toutes les mesures utiles pour assurer la conservation, dans un format qui garantit leur intégrité et leur caractère inaltérable, des documents visés à l’annexe de la décision attaquée qui n’ont pas encore été fournis à la Commission.

73      Il y a encore lieu d’ajouter que, dans l’hypothèse où les parties conviendraient d’un modus operandi concernant la collecte de tout ou partie des documents visés par la décision attaquée qui n’ont pas encore été fournis à la Commission, permettant, notamment, de recueillir le consentement libre et éclairé des personnes concernées, il demeure loisible à la Commission de saisir le juge des référés d’une demande au titre de l’article 159 du règlement de procédure.

74      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE VICE-PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il n’y a plus lieu de statuer sur la demande en référé pour autant qu’elle a trait aux documents fournis à la Commission européenne le 30 janvier 2024.

2)      Il est sursis à l’exécution de la décision C(2023) 6429 final de la Commission, du 19 septembre 2023, relative à une procédure d’application de l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil (affaire M.11184 – Vivendi/Lagardère), telle que modifiée par la décision C(2023) 7464 final de la Commission, du 27 octobre 2023, pour autant qu’elle a trait à des documents qui n’ont pas été fournis à la Commission le 30 janvier 2024.

3)      Il est ordonné à Lagardère SA de demander aux personnes concernées par la décision C(2023) 6429 final, telle que modifiée par la décision C(2023) 7464 final, de prendre toutes les mesures utiles pour assurer la conservation, dans un format qui garantit leur intégrité et leur caractère inaltérable, des documents visés à l’annexe de cette décision qui n’ont pas encore été fournis à la Commission.

4)      La demande en référé est rejetée pour le surplus.

5)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 13 juin 2024.

Le greffier

 

Le vice-président

V. Di Bucci

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.