Language of document : ECLI:EU:C:2006:76

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 1er février 2006 (1)

Affaire C-94/04

Federico Cipolla

contre

Rosaria Portolese, épouse Fazari

[demande de décision préjudicielle introduite par la Corte d’appello di Torino (Italie)]

Affaire C-202/04

Stefano Macrino,

Claudia Capodarte

contre

Roberto Meloni

[demande de décision préjudicielle introduite par le Tribunale di Roma (Italie)]

«Article 81 CE – Mesures étatiques – Régimes nationaux relatifs aux honoraires d’avocat – Fixation de tarifs professionnels – Libre prestation des services»





1.        Dans l’affaire Arduino (2), la Cour a examiné la réglementation italienne en matière de fixation des honoraires d’avocat au regard des articles 10 CE et 81 CE. Dans le prolongement de cet arrêt, deux juridictions italiennes interrogent la Cour sur la conformité de cette réglementation avec les règles de concurrence et avec le principe de libre prestation des services.

I –    Les faits, le cadre juridique et les questions préjudicielles

2.        Dans l’affaire C‑94/04, la Corte d’appello di Torino (Italie) a, dans le cadre d’un litige opposant Me Cipolla, avocat, à l’un de ses clients, Mme Portolese, au sujet du règlement des honoraires de celui‑ci, interrogé la Cour, les 4 février et 5 mai 2004, sur la compatibilité avec les articles 10 CE, 49 CE et 81 CE de la réglementation nationale fixant les honoraires d’avocat. En mars 1991, Mme Portolese s’est adressée à Me Cipolla afin d’obtenir une indemnité pour l’occupation d’urgence de terrains lui appartenant, décidée par la commune de Moncalieri. Lors d’une réunion, Me Cipolla a demandé à sa cliente un paiement anticipé de sa prestation professionnelle d’un montant de 1 850 000 ITL, qui lui a été versé. Dans le cadre de son mandat, Me Cipolla a introduit une action en justice contre ladite commune devant le Tribunale di Torino. Par la suite, une transaction a eu lieu entre cette commune et les propriétaires, sans intervention de l’avocat. Mme Portolese a ainsi cédé son terrain à la commune par acte notarié du 27 octobre 1993.

3.        Par une note d’honoraires datée du 18 mai 1995, Me Cipolla a demandé à sa cliente un montant global de 4 125 400 ITL (2 130, 38 euros), l’avance versée ayant été déduite. Mme Portolese a contesté ce montant devant le Tribunale di Torino, qui, par un jugement des 12‑20 juin 2003, a donné acte du paiement de 1 850 000 ITL tout en rejetant les autres demandes de Me Cipolla. Ce dernier a interjeté appel de cette décision devant la Corte d’appello di Torino, en invoquant l’application du tarif des honoraires d’avocat tel que résultant de la délibération du 30 mars 1990 du Consiglio nazionale forense (Conseil national de l’ordre des avocats, ci‑après le «CNF»), approuvé par le décret ministériel n° 392, du 24 novembre 1990 (ci‑après le «décret ministériel de 1990»). Selon Me Cipolla, l’avocat et son client ne pourraient convenir d’une rémunération différente de ce tarif, qui devrait s’appliquer de manière obligatoire.

4.        En Italie, le décret royal n° 1578, du 27 novembre 1933 (3), converti en loi n° 36, du 22 janvier 1934 (4), tel que modifié par la suite (ci‑après le «décret-loi»), régit la profession d’avocat. En vertu de cette réglementation et notamment de l’article 57 de ce décret‑loi, les critères servant à déterminer les honoraires et indemnités dus aux avocats et aux avoués en matière civile, pénale et extrajudiciaire sont établis tous les deux ans par le CNF. Ce tarif des honoraires d’avocat est ensuite approuvé par le ministre de la Justice, après consultation du Comitato interministeriale dei prezzi (comité interministériel des prix) et du Consiglio di Stato (Conseil d’État) (5). L’article 58 du décret-loi prévoit que les critères visés à l’article 57 de celui‑ci sont établis par rapport à la valeur des litiges et au degré de l’autorité saisie ainsi que, en matière pénale, par rapport à la durée des procédures. Pour chaque acte ou série d’actes, un honoraire maximal et un honoraire minimal sont fixés.

5.        Selon l’article 24 de la loi n° 794, du 13 juin 1942, qui régit la profession d’avocat en Italie, «il ne peut être dérogé […] aux honoraires minimaux fixés pour les prestations d’avocat. Toute convention contraire est nulle». La jurisprudence a donné une interprétation particulièrement large à ce principe. La juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité avec le droit communautaire de cette interdiction de déroger aux honoraires prévus par le tarif des honoraires d’avocat, telle qu’interprétée par la jurisprudence. En effet, selon elle, dans l’arrêt Arduino, précité, la Cour ne se serait prononcée que sur le mode de formation du tarif et non sur ce point particulier.

6.        Par conséquent, la Corte d’appello di Torino a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le principe de la concurrence du droit communautaire, visé aux articles 10 CE, 81CE et 82 CE, s’applique-t-il également à l’offre des services légaux?

2)      Ledit principe implique-t-il ou non la possibilité de convenir entre les parties de la rémunération de l’avocat avec un effet contraignant?

3)      En toute hypothèse, ledit principe fait-il obstacle ou non à l’interdiction absolue de déroger aux rémunérations des avocats?

4)      Le principe de libre prestation des services, visé aux articles 10 CE et 49 CE, s’applique-t-il aussi à l’offre des services juridiques?

5)      Dans l’affirmative, ledit principe est-il ou non compatible avec le principe de l’interdiction absolue de déroger aux honoraires d’avocat?»

7.        Parallèlement, dans l’affaire C-202/04, le Tribunale di Roma (Italie) a également introduit devant la Cour une question ayant trait à la compatibilité avec les articles 10 CE et 81 CE d’un autre aspect de la même réglementation nationale. Les faits du litige au principal sont les suivants. M. Macrino et Mme Capodarte sont en conflit avec Me Meloni, leur avocat, qui leur réclame le paiement d’honoraires dont ils contestent le montant. Celui-ci a obtenu une injonction de paiement à leur encontre pour des prestations extrajudiciaires portant sur des questions de droits d’auteur. Le montant des honoraires a été fixé en application du tarif légal applicable à ce type de prestations. Selon lesdits clients, les prestations fournies par leur avocat se sont limitées à l’envoi d’une lettre type de contestation et à une brève correspondance avec l’avocat de la partie adverse, si bien que les honoraires réclamés seraient disproportionnés par rapport aux services fournis.

8.        Les tarifs applicables à ces faits ont été fixés par la délibération du CNF du 12 juin 1993, modifiée le 29 septembre 1994, telle qu’approuvée par décret ministériel n° 585, du 5 octobre 1994 (ci-après le «décret ministériel de 1994») (6). Le tarif des honoraires d’avocat recouvre trois catégories de prestations: les honoraires pour prestations judiciaires en matière civile et administrative, les honoraires pour prestations judiciaires en matière pénale et les honoraires pour prestations extrajudiciaires. Selon la juridiction de renvoi, l’arrêt Arduino, précité, ne traitait que des prestations judiciaires et la Cour n’a pas statué sur la possibilité pour le législateur italien de fixer des honoraires pour les prestations extrajudiciaires.

9.        C’est par conséquent en ces termes que le Tribunale di Roma a interrogé la Cour:

«Les articles 5 et 85 du traité CE (devenus articles 10 CE et 81 CE) s’opposent-ils à ce qu’un État membre adopte une mesure législative ou réglementaire qui approuve, sur la base d’un projet établi par un ordre professionnel d’avocats, un tarif fixant des minimums et des maximums pour les honoraires des membres de la profession, s’agissant de prestations ayant pour objet des activités (dites ‘extrajudiciaires’) qui ne sont pas réservées aux membres de l’ordre professionnel d’avocats, mais qui peuvent être effectuées par quiconque?»

10.      Une audience a eu lieu le 25 octobre 2005, à laquelle étaient représentés MMeloni, les gouvernements italien et allemand ainsi que la Commission des Communautés européennes.

11.      Avant de procéder à l’analyse au fond des questions formulées par les juridictions de renvoi, il convient d’examiner leur recevabilité, qui a été contestée par Me Cipolla et par le gouvernement allemand dans l’affaire C‑94/04, et par MMeloni et par le gouvernement italien dans l’affaire C‑202/04.

II – Recevabilité des questions préjudicielles

12.      Selon Me Cipolla, les questions adressées par la Corte d’appello di Torino sont irrecevables au motif, d’une part, qu’elles ne sont pas pertinentes pour résoudre le litige au principal et, d’autre part, en raison de leur caractère hypothétique.

13.      Par sa première objection, Me Cipolla soutient que le droit national applicable ne requiert pas du juge national qu’il apprécie l’existence et la licéité d’un accord entre l’avocat et sa cliente, contrairement à ce qui est exposé dans la décision de renvoi. Selon le requérant au principal, l’absence d’accord entre le professionnel et la cliente ainsi que la qualification d’acompte sur des prestations à rémunérer de la somme versée revêtent l’autorité de la chose jugée puisqu’elles n’ont pas été contestées devant le juge d’appel.

14.      Il ressort d’une jurisprudence constante que la pertinence de la question préjudicielle doit en premier lieu être établie par le juge de renvoi (7). La Cour ne peut déclarer une question irrecevable pour ce motif que si l’absence de pertinence est manifeste ou s’il n’existe aucun lien entre la question posée et l’objet du litige.

15.      Dans l’affaire au principal, au contraire, la question de savoir si la première somme versée par la cliente à son avocat constitue le paiement intégral des services qui ont été fournis à cette dernière a une incidence sur l’issue du litige, puisque la réponse à cette question détermine si l’accord passé entre l’avocat et son client concernant les honoraires dus peut primer le tarif des honoraires d’avocat.

16.      Deuxièmement, Me Cipolla argue du caractère hypothétique de la question posée. D’après lui, la validité de l’accord passé entre l’avocat et sa cliente ne serait à apprécier que s’il était démontré qu’un tel accord existe, ce qui fait défaut. C’est pourquoi, selon lui, les questions formulées par la Corte d’appello di Torino sont assimilables à une demande d’avis consultatif.

17.      Il est vrai qu’il n’entre pas dans le rôle de la Cour de fournir des orientations générales à des problèmes théoriques (8). Le litige au principal a toutefois pour but de déterminer si les honoraires peuvent être fixés par un accord entre les parties ou seulement en application du tarif des honoraires d’avocat. La question posée par la juridiction de renvoi se rapportant à ce point, elle ne peut être qualifiée d’hypothétique.

18.      Dans la mesure où il a été constaté que la question soulevée par ladite juridiction n’avait pas de caractère hypothétique, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur les règles procédurales nationales applicables au litige.

19.      Une dernière objection a été évoquée par la Commission et par le gouvernement allemand qui, dans leurs observations écrites dans l’affaire Cipolla, relèvent que la situation factuelle en cause au principal ne comporte pas d’élément transfrontalier. La même remarque peut être faite s’agissant de l’affaire Macrino et Capodarte. A priori, dans le cadre d’une situation purement interne, on peut s’interroger sur l’applicabilité de l’article 49 CE, qui vise à empêcher des restrictions à la libre prestation des services d’un État membre à l’autre, et donc sur la recevabilité de la question posée par le juge national. Pourtant, en réponse à une question portant sur la libre circulation des marchandises, la Cour a relevé, au point 23 de l’arrêt Guimont (9), qu’il ne peut être considéré que l’interprétation sollicitée du droit communautaire ne serait pas nécessaire pour le juge national, même si la situation factuelle en cause est purement interne, car «une telle réponse pourrait lui être utile dans l’hypothèse où son droit national imposerait, dans une procédure telle que celle de l’espèce, de faire bénéficier un producteur national des mêmes droits que ceux qu’un producteur d’un autre État membre tirerait du droit communautaire dans la même situation». Cette jurisprudence a été suivie dans l’arrêt Anomar e.a. (10) où les questions renvoyées par la juridiction nationale portaient aussi sur la libre prestation des services. Bien que les questions de la Corte d’appello di Torino aient été posées dans le cadre d’un litige ne comportant pas d’élément transfrontalier, le juge national a pu, à bon droit, estimer qu’une réponse serait utile si le droit italien lui imposait d’étendre aux citoyens italiens les bénéfices que le droit communautaire octroie aux citoyens d’autres États membres (11). En outre, le champ d’application du droit de la concurrence, invoqué par le juge de renvoi est particulièrement large, puisqu’il est susceptible de s’appliquer à toute restriction de concurrence affectant le commerce entre États membres. Le tarif des honoraires d’avocat qui fait l’objet de la question, devrait également être soumis à un examen au regard de l’article 49 CE, même si la situation factuelle décrite par ledit juge est une situation purement interne, car il peut produire des effets sur la libre prestation des services en favorisant les prestations de services juridiques d’origine nationale (12).

20.      En l’état actuel de la jurisprudence, les objections soulevées ne paraissent donc pas de nature à remettre en cause la recevabilité des questions posées par la Corte d’appello di Torino.

21.      Dans l’affaire Macrino et Capodarte, Me Meloni et le gouvernement italien invoquent également l’irrecevabilité de la question posée par le Tribunale di Roma.

22.      Ils objectent en premier lieu que la question soulevée par le juge de renvoi serait irrecevable, car elle ne serait pas nécessaire à la résolution du litige au principal. En l’absence d’accord convenu entre les parties sur le montant des honoraires de l’avocat, ledit juge devrait, en application de l’article 2233 du code civil italien (Codice civile) fixer leur montant, sans être lié par le tarif des honoraires d’avocat (13). Cependant, ainsi qu’il est exposé dans la décision de renvoi, le litige pendant porte sur la rémunération des prestations fournies par MMeloni, au sujet de laquelle ce dernier a obtenu une injonction de paiement fondée sur le tarif des honoraires d’avocat prévu pour les prestations extrajudiciaires et dont le montant est contesté par ses clients. Il apparaît donc que la question de la légalité, au regard du droit communautaire, du tarif des honoraires d’avocat pour les prestations extrajudiciaires présente un lien avec ledit litige.

23.      En outre, le gouvernement italien conteste la pertinence de la question posée par la juridiction de renvoi dès lors qu’aucune pratique anticoncurrentielle ne serait présente, ni lors de l’élaboration du tarif, ainsi qu’il a été établi dans l’arrêt Arduino, précité, ni du fait du comportement des opérateurs. À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre le juge national et le juge communautaire instaurée par le renvoi préjudiciel, la pertinence de la question posée au regard des circonstances factuelles et du cadre juridique du litige pendant est établie par le juge national (14), si bien que l’objection du gouvernement italien doit être rejetée.

24.      Me Meloni avance encore que le juge national n’aurait pas indiqué les raisons précises qui l’ont amené à s’interroger sur l’interprétation du droit communautaire. Cet argument ne peut convaincre, dès lors que la décision de renvoi précise au contraire amplement dans quelles conditions l’interprétation du droit communautaire est utile pour la résolution du litige au principal.

25.      Dans ces conditions, il apparaît qu’aucun des arguments avancés par MMeloni ou par le gouvernement italien n’ont démontré que la question posée dans l’affaire Macrino et Capodarte serait irrecevable.

III – Analyse

26.      Les trois premières questions formulées dans l’affaire Cipolla et la question soulevée dans l’affaire Macrino et Capodarte visent toutes à délimiter le champ d’application de l’arrêt Arduino, précité. Une interprétation de cet arrêt est nécessaire pour répondre aux questions posées sur ses éventuelles limites, d’une part, s’agissant de l’inclusion des prestations extrajudiciaires et, d’autre part, sur l’interdiction faite aux avocats et à leurs clients de conclure des accords dérogeant au tarif.

27.      À cet égard, la Commission demande expressément à la Cour dans l’affaire Macrino et Capodarte de revenir sur sa jurisprudence bien établie au sujet de l’application des articles 10 CE, 81CE et 82 CE ainsi que, en particulier, de procéder à un revirement de l’arrêt Arduino, précité.

28.      La Cour s’est toujours montrée circonspecte s’agissant de renverser l’interprétation du droit affirmée dans des arrêts antérieurs. Sans déterminer si ces arrêts avaient la nature de precedent juridique, la Cour a toujours procédé avec déférence vis-à-vis d’une ligne de jurisprudence bien établie. L’autorité reconnue par la Cour aux arrêts qu’elle a rendus par le passé peut se comprendre comme découlant de la nécessité de garantir les valeurs de cohérence, d’uniformité et de sécurité juridique inhérentes à tout système de droit. Ces valeurs sont d’autant plus importantes dans le cadre d’un système d’application décentralisée du droit comme celui de l’ordre juridique communautaire. La reconnaissance, dans l’arrêt Cilfit e.a., que l’obligation de renvoi disparaît si la question soulevée a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour (15) et la possibilité pour celle-ci, établie à l’article 104, paragraphe 3, de son règlement de procédure, d’adopter une ordonnance si «une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle [elle] a déjà statué» ne peuvent être comprises qu’à la lumière de l’autorité interprétative reconnue à la Cour pour le futur (16). Même si cette dernière n’est pas formellement liée par ses propres arrêts, par la déférence qu’elle leur témoigne, elle reconnaît l’importance de la stabilité de sa jurisprudence pour son autorité interprétative et contribue à la sauvegarde de l’uniformité, de la cohérence et de la sécurité juridique au sein de l’ordre juridique communautaire.

29.      Il est vrai que la stabilité n’est pas et ne devrait pas être une valeur absolue. La Cour a aussi reconnu l’importance d’adapter sa jurisprudence, afin de prendre en compte des changements intervenus dans d’autres domaines de l’ordre juridique ou bien dans le contexte social où les normes s’appliquent. De plus, elle a admis que la survenance d’éléments nouveaux peut justifier une adaptation ou même une révision de sa jurisprudence. La Cour n’a néanmoins accepté que de manière prudente de procéder à un revirement par rapport à ses arrêts antérieurs d’une façon aussi fondamentale que celle suggérée par la Commission dans le cas présent (17).

30.      En raison de l’adoption récente de l’arrêt Arduino, précité, de l’impact que la présente affaire aura sur la même réglementation, à savoir le tarif des honoraires d’avocat, et en l’absence d’argument juridique nouveau avancé par la Commission, je ne considère pas qu’il soit approprié pour la Cour de revenir sur sa jurisprudence Arduino. En outre, pour les raisons que je développerai plus bas, je crois que le raisonnement qui a été suivi par la Cour dans ledit arrêt est compatible avec une interprétation du droit qui répond à certaines des préoccupations exposées dans leurs conclusions par les avocats généraux Léger et Jacobs, respectivement dans les affaires Arduino, précitéee, et Pavlov e.a. (18), évoquées ci-dessous.

A –    Le contrôle des mesures étatiques sous l’angle des articles 10 CE et 81 CE

31.      L’article 81 CE fait partie des règles de concurrence applicables aux comportements des entreprises. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que les mesures nationales sont visées par cet article, et seulement dans le cadre du devoir de coopération loyale des États membres pour l’application du droit communautaire. Le souci de préserver la neutralité du traité CE vis-à-vis des compétences réservées aux États membres (19), s’il ne l’empêche pas, implique toutefois de limiter le contrôle des mesures réglementaires au regard des articles 10 CE et 81 CE. Le recours par la jurisprudence à l’utilisation combinée de ces deux normes, dans l’arrêt GB‑Inno-BM (20), énonçait un principe en des termes remarquablement larges: «s’il est vrai que l’article 86 [du traité CE (devenu article 82 CE)] s’adresse aux entreprises, il n’en est pas moins vrai aussi que le traité impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles d’éliminer l’effet utile de cette disposition». Ainsi énoncé, ce principe aurait pu permettre de soumettre au droit de la concurrence toute mesure nationale ayant un effet restrictif sur la concurrence. Pourtant, la Cour a postérieurement concrétisé les exigences découlant des articles 10 CE et 81 CE de manière étroite. En application de la jurisprudence, la violation de ces articles n’est retenue que dans deux cas: si un État membre impose, favorise ou renforce les effets d’ententes prohibées par l’article 81 CE (21) ou bien si cet État retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention dans la poursuite d’intérêts économiques (22).

32.      Les deux cas se distinguent aisément. Dans la première hypothèse, une entente entre des entreprises préexiste à la mesure étatique qui la valide ou la renforce. La responsabilité de l’État naît de ce qu’il aggrave par son action un comportement déjà anticoncurrentiel. Dans le second cas, la délégation par l’État de son autorité à des entités privées, des entreprises adoptent une décision, qui est ensuite codifiée en une mesure réglementaire. L’application des articles 10 CE et 81 CE vise alors à éviter que la seule forme de l’acte empêche la soumission de celui‑ci au droit de la concurrence. À mon avis, cela implique que le concept de délégation doit être compris de façon matérielle en exigeant une appréciation du processus décisionnel aboutissant à l’adoption de la réglementation étatique. Sont incluses dans le concept de délégation matérielle les deux hypothèses suivantes: d’une part, la délégation par l’État à une entité privée du droit d’adopter un acte et d’autre part la délégation de l’autorité publique à une entité privée du contrôle du processus décisionnel aboutissant à l’adoption d’un acte réglementaire. En effet, on peut considérer que l’État a procédé à une délégation de son autorité si son intervention se borne à l’adoption formelle d’un acte, alors même que la prise en compte de l’intérêt public dépend de la manière dont les décisions sont adoptées. Concevoir la notion de «délégation» comme comportant ces deux cas renforce l’exigence de cohérence à laquelle est subordonnée l’action étatique. Ce principe de cohérence garantit que tant que l’État agit dans la poursuite de l’intérêt général, son action est soumise aux mécanismes de contrôle politique et démocratique et, s’il délègue à des opérateurs privés la poursuite de certains objectifs, alors il doit les soumettre aux règles de concurrence, qui constituent les mécanismes de contrôle du pouvoir au sein du marché. En revanche, l’État ne peut pas déléguer aux opérateurs privés du marché certains pouvoirs et les dispenser de l’application des règles de concurrence. Cette conception élargie de la délégation permet de garantir que l’exclusion de l’application des règles de droit de la concurrence est bien due à une soumission à l’intérêt public et non pas à une appropriation de l’autorité publique par des intérêts privés (23).

33.      C’est pourquoi la jurisprudence évoquée ci-dessus doit sans doute se comprendre comme impliquant d’envisager quels buts poursuit l’État pour déterminer quand son action peut être soumise au droit de la concurrence. Il faut établir si l’intervention réglementaire de l’État est dominée par le souci de préserver l’intérêt général ou, au contraire, si la prise en compte des intérêts privés est telle qu’elle risque de transformer l’objectif prédominant de la mesure étatique, qui serait alors la protection de ces intérêts. En effet, la participation d’opérateurs privés dans le processus de réglementation, au stade de la proposition d’une norme ou bien par leur présence au sein d’un organe chargé de l’élaborer, risque d’avoir une influence déterminante sur le contenu de celle-ci. Le danger serait qu’une disposition de forme réglementaire ait pour seul objet de protéger certains intérêts privés des mécanismes de la concurrence, au détriment de l’intérêt général (24).

34.      Il est hors de doute qu’il ne serait pas pour autant justifié de soumettre toute mesure étatique aux articles 10 CE et 81 CE. Les préoccupations exprimées dans leurs conclusions par les avocats généraux Jacobs et Léger, respectivement dans les affaires précitées Pavlov e.a. (25) et Arduino (26), ne vont pas en ce sens, mais restent proches de la jurisprudence. Ils développent deux critères permettant de déterminer si des mesures étatiques se trouvent en fait sous le contrôle d’acteurs privés. Selon eux, la mesure examinée ne constituerait pas une violation des articles 10 CE et 81 CE premièrement si son adoption est justifiée par la poursuite d’un intérêt public légitime et deuxièmement si les États membres supervisent activement l’intervention d’acteurs privés dans le processus décisionnel (27). Ces critères visent à établir dans quelle mesure l’État contrôle la délégation effectuée à des opérateurs privés. Bien que les critères développés soient conçus de manière cumulative, il me semble que le critère de l’intérêt public inclut l’autre critère. Il serait même de nature à amener la Cour à apprécier toutes les mesures susceptibles de réduire la concurrence. La Cour a peut être pour cette raison rejeté l’adoption d’un tel critère.

35.      Pourtant, à mon avis, les préoccupations sous-jacentes aux propositions des avocats généraux sont justes. Il me semble toutefois que la jurisprudence actuelle permet d’y répondre. On peut même se demander si la Cour n’aurait pas implicitement adopté le critère de la supervision par l’État pour vérifier le caractère réglementaire d’une mesure étatique, puisqu’elle y fait référence au point 10 de l’arrêt Arduino, précité. Il subsiste cependant des doutes sur la manière dont ce critère est apprécié par la Cour, notamment quant au caractère effectif de la supervision exercée par l’État, un contrôle formel de la nature de l’acte paraissant insuffisant (28).

36.      Une comparaison avec le droit antitrust américain, lequel connaît la théorie de l’action étatique («state action doctrine») et ne soumet les mesures étatiques qu’à un contrôle limité au regard du droit de la concurrence, va dans le même sens. En droit américain, ladite «state action doctrine» trouve son origine dans l’arrêt de la Cour Suprême des États-Unis Parker v. Brown (29), qui excluait l’application du Sherman Act à des mesures prises par les États dans le cadre de leur pouvoir souverain. La jurisprudence et la pratique des autorités de concurrence ont sensiblement évolué depuis cet arrêt (30). Une mesure réglementaire n’est ainsi exclue du champ d’application du droit antitrust que si elle remplit deux conditions cumulatives. D’une part, il est exigé que la mesure litigieuse provoquant une restriction de concurrence soit clairement articulée comme une mesure étatique, et d’autre part, que sa mise en œuvre soit encadrée par l’État.

37.      Une difficulté supplémentaire se rencontre quand des domaines identiques sont réglementés de manière différente selon les États membres concernés. En effet, tandis que les mesures d’autorégulation restent soumises au droit de la concurrence en raison de leur origine, les mesures étatiques échappent à ce dernier. En pratique, la Cour a examiné dans l’affaire Wouters e.a. (31) la compatibilité avec l’article 81 CE d’une règle ordinale interdisant la constitution de groupes multidisciplinaires, tandis qu’elle a jugé dans l’arrêt Arduino, précité, qu’une mesure nationale fixant un tarif des honoraires d’avocat n’était pas soumise aux articles 10 CE et 81 CE lus ensemble. La seule manière de garantir, au regard du droit communautaire, un contrôle cohérent de ces deux types de mesures est l’adoption d’un critère exigeant une supervision effective de l’État incluant l’examen du processus décisionnel menant à l’adoption de la norme en cause.

38.      Toutefois, il n’est sans doute pas opportun de procéder dans la présente affaire à un infléchissement de la jurisprudence, puisque la législation italienne en cause au principal a déjà été examinée dans l’arrêt Arduino, précité. Les faits du litige ayant donné lieu à cet arrêt sont proches de ceux qui sont à l’origine de l’affaire Cipolla. À la suite d’un banal accident de voiture causé par M. Arduino, M. Dessi demanda l’allocation de dommages et intérêts ainsi que le remboursement de ses frais d’avocat devant le Pretore di Pinerolo. Le juge italien accorda à la victime ce qu’elle avait demandé, mais fixa le niveau de remboursement des frais d’avocat en dessous du tarif minimum fixé par le décret ministériel de 1994. Cet arrêt fut annulé par la Cour de cassation italienne qui considéra qu’il était illégitime d’écarter le tarif en l’espèce et renvoya l’affaire devant le premier juge. Celui-ci forma un renvoi devant la Cour qui donna lieu audit arrêt Arduino.

39.      Dans cet arrêt, la Cour a examiné si les articles 10 CE et 81 CE s’opposent ou non à l’adoption et au maintien d’une mesure nationale telle que le décret ministériel de 1994. La Cour a jugé que la République italienne n’avait pas délégué à des opérateurs privés le soin de réglementer une activité puisque, en l’occurrence, le CNF soumettait seulement une proposition de tarif au ministre de la Justice, qui avait le pouvoir de faire amender ce projet ou d’en reporter l’application (32). Au point 10 du même arrêt, la Cour a toutefois fait référence à l’exercice effectif de son pouvoir de contrôle par l’État, qui a par exemple abouti à différer la mise en application du tarif approuvé par le décret ministériel de 1994 (33). À l’audience, le gouvernement italien a rappelé que, en 1973, le décret d’approbation du tarif des honoraires d’avocat avait été adopté onze mois après la date de la proposition du CNF. En 2004 également, le contrôle du processus décisionnel par l’État aurait été perceptible du fait que, dans un premier temps, le Consiglio di Stato aurait refusé son approbation, estimant qu’il ne disposait pas de tous les éléments nécessaires pour rendre son avis sur le projet de tarif qui lui était soumis. Il pourrait être soutenu que le juge national serait en meilleure position que la Cour pour procéder à cette appréciation pratique. La Cour a toutefois considéré qu’elle disposait d’éléments suffisants pour effectuer elle-même cette appréciation. Dès lors que les honoraires convenus dans les deux affaires au principal sont régis par les décrets ministériels de 1990 et de 1994, il n’y a pas lieu de procéder à un nouvel examen de cette question. Pourtant, si la Cour était saisie à l’avenir par une juridiction italienne au sujet d’un litige visant des faits gouvernés par un décret postérieur, il serait peut être approprié de renvoyer au juge national l’examen du caractère effectif du contrôle de l’État sur le processus décisionnel ayant abouti à l’adoption de ce décret.

40.      Même si l’application d’un tarif des honoraires d’avocat limite fortement la concurrence entre avocats, cependant, dès lors que la Cour a constaté dans l’arrêt Arduino, précité, que ce tarif était établi par l’État et ne procédait pas d’une délégation de ce dernier à un groupement d’entreprises, il ne peut subsister de doute quant à sa légalité au regard des articles 10 CE et 81 CE. En revanche, il reste à vérifier si ce résultat est maintenu quel que soit le champ d’application du tarif. Les questions soulevées par les juridictions de renvoi concernent précisément ce point.

B –    La compatibilité de l’inclusion des prestations extrajudiciaires dans le champ d’application du tarif des honoraires d’avocat avec le droit communautaire de la concurrence

41.      Les prestations extrajudiciaires sont à distinguer des prestations fournies dans le cadre d’un litige devant un juge. L’article 4, paragraphe 1, de la directive 77/249/CEE du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation des services par les avocats (34), sépare d’ailleurs le cas des activités relatives à la représentation et à la défense d’un client en justice ou devant des autorités publiques de toutes les autres activités. Il pourrait être argumenté que le marché des prestations juridiques extrajudiciaires se distingue du marché des prestations juridiques dans le cadre d’un litige devant un juge. En effet, dans le premier cas, l’asymétrie de l’information entre l’avocat et ses clients est moindre car les destinataires de services ont recours à un avocat de manière plus fréquente, si bien qu’ils sont mieux en mesure d’évaluer la qualité de la prestation fournie.

42.      Le tarif des honoraires d’avocat, tel qu’il résulte des décrets ministériels, que ce soit celui de 1990 ou de 1994, prévoit d’ailleurs des dispositions spécifiques pour les prestations fournies dans le cadre d’un litige porté devant un juge, que celui-ci soit civil, administratif ou pénal, d’une part, et les prestations fournies dans un cadre non contentieux, d’autre part. Les prestations juridiques fournies dans le cadre d’un contentieux affectent directement l’accès au juge des justiciables. En pratique, d’ailleurs, l’aide judiciaire est souvent cantonnée à ce type de prestations (35).

43.      Sans spécifiquement faire référence aux caractéristiques des prestations extrajudiciaires, la Commission, dans ses observations écrites dans l’affaire Macrino et Capodarte ainsi qu’à l’audience, défend la thèse selon laquelle il faudrait revenir sur la solution adoptée par la Cour dans l’arrêt Arduino, précité, pour constater qu’une mesure étatique restreignant la concurrence viole les articles 10 CE et 81 CE, sauf si elle peut être justifiée par des objectifs d’intérêt public et si elle est proportionnée à ces objectifs. Ce faisant, la Commission suit l’argumentation défendue par les avocats généraux Léger et Jacobs, évoquée au point 30 des présentes conclusions.

44.      Pour les raisons exposées ci-dessus, il me semble que l’arrêt Arduino, précité, ne permet pas une lecture autre que celle de l’exclusion de l’application de l’article 81 CE, lu en combinaison avec l’article 10 CE, à ce type de mesure étatique, bien qu’il ait un effet anticoncurrentiel aggravé par rapport à un tarif qui ne concernerait que les prestations judiciaires. En effet, les conclusions atteintes dans cet arrêt sont fondées sur le caractère étatique de l’ensemble de la réglementation en cause, à savoir le tarif des honoraires d’avocat et non sur la nature spécifique de ses effets anticoncurrentiels potentiels selon les différents types de prestations juridiques concernés.

45.      En revanche, le juge national a le devoir, quand il interprète le droit national, de choisir, dès lors qu’il possède une certaine discrétion en la matière, l’interprétation la plus conforme possible avec le droit communautaire, et la plus susceptible d’atteindre ses objectifs (36). Or il résulte de l’article 60 du décret-loi, que le juge est libre de fixer de manière discrétionnaire les honoraires pour les prestations extrajudiciaires dans les limites des maximums et des minimums, également sans motivation; avec une motivation adéquate, le juge peut en outre ignorer les limites minimales et maximales du tarif (37). Par conséquent, et afin de ne pas renforcer l’effet anticoncurrentiel du tarif, le juge national sera tenu, dans toute la mesure du possible, de faire usage de son pouvoir d’appréciation lorsqu’il tranche un litige portant sur le montant des honoraires prévu audit tarif pour des prestations extrajudiciaires.

46.      En définitive, je propose à la Cour de constater qu’il découle de l’arrêt Arduino, précité, que l’article 81 CE, lu en combinaison avec l’article 10 CE, ne s’oppose pas à une mesure nationale fixant un tarif des honoraires d’avocat, même en ce qui concerne les services extrajudiciaires, à condition que cette mesure ait été soumise à une supervision effective de l’État et dès lors que le pouvoir du juge de déroger aux montants fixés par le tarif est interprété en conformité avec le droit communautaire de façon à limiter l’effet anticoncurrentiel de ladite mesure.

C –    La compatibilité de l’interdiction de dérogation au tarif des honoraires d’avocat avec le droit communautaire de la concurrence

47.      La question posée dans l’affaire Cipolla porte sur l’interdiction faite aux avocats et à leurs clients de déroger au tarif des honoraires d’avocat tels qu’il ressort du décret ministériel de 1994. Ainsi que rappelé au point 5 des présentes conclusions, il apparaît que, aux termes de l’article 24 de la loi n° 794 «il ne peut être dérogé […] aux honoraires minimaux fixés pour les prestations d’avocat. Toute convention contraire est nulle». Il faut toutefois noter que cette interdiction n’est absolue qu’entre le client et son avocat, puisqu’il est au contraire loisible au juge de déroger au tarif (38).

48.      Il ressort de l’article 60 du décret‑loi, cité au point 45 ci-dessus, que le juge national peut fixer de manière discrétionnaire les honoraires dans les limites des maximums et des minimums. Avec une motivation adéquate, ce juge peut en outre ignorer les limites minimales et maximales du tarif. Le pouvoir du juge est identique s’agissant des prestations juridiques fournies dans le cadre de litiges devant des juridictions.

49.      Il est vrai que la question de la compatibilité de l’interdiction de dérogation au tarif des honoraires d’avocat avec les articles 81 CE et 10 CE n’est pas spécifiquement évoquée dans l’arrêt Arduino, précité. Or, une interprétation restrictive de la possibilité de déroger audit tarif par le juge national renforcerait les effets anticoncurrentiels dudit tarif en limitant considérablement la concurrence par les prix entre avocats. C’est pourquoi, afin d’assurer le respect de l’effet utile du droit communautaire de la concurrence, le juge national est tenu d’interpréter le droit national de telle sorte que ces effets anticoncurrentiels soient les plus réduits possible (39).

50.      Par conséquent, je suggère de répondre à la question posée dans l’affaire Cipolla qu’il découle de l’arrêt Arduino, précitée, que l’article 81 CE, lu en combinaison avec l’article 10 CE, ne s’oppose pas à une mesure nationale interdisant aux avocats et à leurs clients de déroger au tarif des honoraires d’avocat, à condition que la mesure ait été soumise à une supervision effective de l’État et dès lors que le pouvoir du juge de déroger aux montants fixés par le tarif est interprété en conformité avec le droit communautaire de façon à limiter l’effet anticoncurrentiel de ladite mesure.

D –    La compatibilité du tarif des honoraires d’avocat avec le principe de libre prestation des services

51.      Les services juridiques fournis par des avocats sont des prestations de services au sens de l’article 50 CE (40). L’article 49 CE interdit les restrictions à la libre prestation des services à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. Plus généralement, la jurisprudence a condamné les restrictions à la libre prestation des services impliquant le déplacement du destinataire de la prestation (41) ou bien le seul déplacement des services (42).

52.      L’article 52, paragraphe 1, CE habilite le Conseil de l’Union européenne à adopter des directives pour réaliser la libération d’un service déterminé. C’est sur ce fondement que la directive 77/249 a été adoptée. Il est en particulier prévu à l’article 4, paragraphe 1, de celle‑ci que les activités relatives à la représentation et à la défense d’un client en justice ou devant des autorités publiques sont exercées dans chaque État membre d’accueil dans les conditions prévues par les avocats établis dans cet État, à l’exclusion de toute condition de résidence ou d’inscription à une organisation professionnelle dans ledit État.

53.      D’après une jurisprudence constante, constituent une restriction «les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité» (43).

54.      Afin d’établir si l’article 49 CE et la directive 77/249 s’opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, il convient en premier lieu de vérifier si elle comporte une restriction à la libre prestation des services, pour voir dans un second temps si celle-ci peut être justifiée par les raisons mentionnées à l’article 46, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 55 CE, ou par des raisons impérieuses d’intérêt général.

1.      L’existence d’une restriction à la libre prestation des services

55.      Comme les autres libertés, le principe de la libre prestation des services a pour objectif de promouvoir le décloisonnement des marchés nationaux, par la possibilité ouverte aux prestataires de services et à leurs clients de bénéficier pleinement du marché intérieur communautaire. Il s’agit à la fois de permettre auxdits prestataires d’exercer leur activité sur un plan transnational et d’ouvrir aux consommateurs l’accès à des services fournis par des prestataires établis dans d’autres États membres. La libre prestation des services s’intègre ainsi dans «le statut fondamental des ressortissants des États membres» (44) constitué par la citoyenneté européenne, dont elle représente la dimension transnationale.

56.      Pour la réalisation de cet objectif, les États membres sont tenus de prendre en compte les effets qu’auront les mesures qu’ils adoptent pour réguler leur marché national sur l’exercice par les prestataires établis dans d’autres États membres de leur droit à la libre prestation des services. Dans ce cadre, ne sont pas uniquement prohibées les discriminations en raison de la nationalité, mais aussi les discriminations imposant, pour l’exercice d’une activité transnationale, des coûts supplémentaires ou entravant l’accès au marché national des prestataires établis dans d’autres États membres (45).

57.      Un cadre d’analyse identique se dessine pour les quatre libertés. En matière de libre circulation des marchandises, dans l’arrêt Deutscher Apothekerverband (46), la Cour a sanctionné une mesure nationale au motif qu’elle gênait davantage les pharmacies situées en dehors de l’Allemagne que celles situées sur le territoire allemand, privant ainsi les premières d’un moyen important d’accéder au marché allemand. Une référence au critère de l’accès au marché a aussi été retenue dans l’arrêt CaixaBank France (47) qui touchait à la liberté d’établissement. Un raisonnement proche a été appliqué au domaine des services dans l’arrêt Alpine Investments, précité (48). Il a aussi été jugé qu’une réglementation nationale traitant les revenus de capitaux d’origine non finlandaise de manière moins favorable que les dividendes distribués par des sociétés établies en Finlande constitue une restriction à la libre circulation des capitaux (49).

58.      La ligne commune adoptée par ces arrêts me semble être qu’une restriction aux libertés de circulation est constituée par toute politique nationale aboutissant à traiter les situations transnationales de manière moins favorable que les situations purement nationales (50). À cette réserve près, les États membres demeurent libres de réguler l’activité économique sur leur territoire, l’application des libertés de circulation n’ayant pas vocation à instaurer une harmonisation réglementaire (51).

59.      Le traitement moins favorable des situations transnationales peut prendre des formes variées. Souvent, il se manifeste comme un frein à l’accès au marché national, soit qu’il protège des positions acquises sur ce marché, soit qu’il rende plus difficile la participation au marché de prestataires transfrontaliers. Il convient d’examiner la législation italienne en cause au principal à la lumière de ce critère.

60.      En l’espèce, bien que le tarif des honoraires d’avocat établi par la réglementation en cause soit indistinctement applicable aux avocats établis en Italie et à ceux établis dans d’autres États membres qui souhaitent prester des services en Italie, il produit des restrictions à la libre prestation des services dans plusieurs hypothèses, dans lesquelles ces derniers sont placés dans une situation moins favorable que leurs homologues italiens.

61.      Au préalable, on peut constater que le tarif est élaboré en tenant seulement compte de la situation des avocats italiens, sans envisager les situations transnationales (52). Il convient donc d’examiner si les critères retenus pour fixer les honoraires sont spécifiques aux avocats établis en Italie ou bien s’ils sont applicables aux avocats établis dans d’autres États membres. En effet, certaines dispositions du tarif risquent de créer des restrictions à la libre circulation. Il s’agit en premier lieu des honoraires minimaux ainsi que des honoraires maximaux fixés par ledit tarif. D’autres dispositions de celui‑ci seront évoquées en ce qu’elles pourraient aussi se révéler problématiques au regard du principe de libre prestation des services. Afin d’établir si elles restreignent la libre prestation des services, j’examinerai successivement les effets sur les situations transfrontalières de chacune de ces dispositions.

a)      Les honoraires minimaux fixés dans le tarif

62.      Les honoraires minimaux fixés dans le tarif constituent-ils une restriction à la libre prestation des services par les avocats établis hors d’Italie?

63.      Il découle d’une jurisprudence déjà ancienne de la Cour que les régimes étatiques de réglementation de prix incluant la prohibition de vendre en dessous d’un prix minimal «ne constituent pas en eux-mêmes des mesures d’effet équivalant à une restriction quantitative, mais peuvent produire un tel effet lorsque les prix se situent à un niveau tel que les produits importés seraient défavorisés par rapport aux produits nationaux identiques, soit parce qu’ils ne pourraient pas être écoulés profitablement dans les conditions fixées, soit que l’avantage concurrentiel résultant de prix de revient inférieurs serait neutralisé» (53).

64.      La transposition de ce raisonnement de la libre circulation des marchandises au domaine du droit d’établissement a été effectuée par la Cour dans l’arrêt CaixaBank France, précité. La Cour a constaté que la réglementation française interdisant la rémunération des comptes de dépôts à vue constituait «un obstacle sérieux à l’exercice de leurs activités […] qui affecte leur accès au marché», car elle prive les sociétés étrangères de la possibilité de livrer «une concurrence plus efficace aux établissements de crédit traditionnellement implantés dans l’État membre d’établissement» (54). De la même manière, pour la libre prestation des services, il convient de s’assurer que l’avantage concurrentiel des avocats établis hors d’Italie n’est pas neutralisé par la réglementation de cet État membre. La comparaison doit porter sur la situation des avocats établis dans d’autres États membres par rapport à leurs homologues déjà établis en Italie.

65.      Les honoraires minimaux fixés dans le tarif empêchent les avocats établis dans un État membre autre que la République italienne de prester des services juridiques dans cet État à des honoraires inférieurs à ces minimaux, quand bien même ils en auraient la possibilité, grâce par exemple à leur spécialisation dans un domaine précis (55). L’effet discriminatoire des honoraires minimaux serait renforcé du fait que leur niveau résulte du tarif élaboré par le CNF, composé uniquement d’avocats inscrits au barreau italien, et, ainsi que l’a reconnu le gouvernement italien lors de l’audience, ne tient compte que des frais encourus par les avocats nationaux (56). Les honoraires minimaux constituent donc une restriction à la libre prestation des services, dans la mesure où ils neutralisent l’avantage concurrentiel des avocats établis hors d’Italie. Contrairement à ce que prétend le gouvernement allemand, cette constatation n’est pas altérée par le fait que la concurrence entre avocats ne s’exerce pas uniquement sur les prix, mais aussi sur la qualité des services fournis. Corollairement, les citoyens italiens souhaitant faire appel aux services d’un avocat établi dans un autre État membre sont privés de bénéficier pleinement des avantages du marché commun, car l’accès à des services juridiques à un coût inférieur à celui fixé par le tarif italien leur est interdit, même si ces services sont disponibles dans un autre État membre.

b)      Les honoraires maximaux fixés dans le tarif

66.      Le tarif en cause comporte également des honoraires maximaux, que les avocats exerçant en Italie ne peuvent dépasser, quel que soit l’endroit où ils sont établis.

67.      La jurisprudence a déjà examiné des régimes de prix comportant des prix maximaux. Il en ressort que lorsque l’effet du prix maximal est de réduire la marge commerciale des importateurs qui doivent déduire de ce prix leurs frais d’importation, celui-ci est contraire à la libre circulation des marchandises (57). La condamnation des prix maximaux est exprimée en termes généraux: il est conclu à l’existence d’une restriction à la libre circulation «lorsque les prix se situent à un niveau tel que l’écoulement des produits importés devient soit impossible, soit plus difficile que celui des produits nationaux» (58).

68.      L’arrêt AMOK (59), cité par le gouvernement allemand à l’audience pour contester le fait que le tarif produirait une restriction à la libre prestation des services n’est pas pertinent en l’espèce. En effet, dans cet arrêt, la Cour examinait une règle procédurale allemande qui plafonne le montant de remboursement ordonné par le juge des frais d’avocat à hauteur de ceux applicables aux avocats établis en Allemagne. À la différence de la présente réglementation, le tarif allemand ne s’oppose toutefois pas à ce que les avocats étrangers et leurs clients fixent librement le niveau des honoraires (60).

69.      Or, des coûts supplémentaires peuvent naître pour les avocats du fait qu’ils fournissent des services en Italie tout en étant établis dans un autre État membre, ne serait-ce qu’en termes de frais de déplacement pour rencontrer leurs clients ou venir plaider devant une juridiction italienne (61). Mais les honoraires maximaux ne sont fixés qu’en référence à la situation des avocats établis en Italie. Par conséquent, de tels honoraires réduisent la marge bénéficiaire des avocats établis hors d’Italie par rapport à celle des avocats établis en Italie. Dans cette mesure au moins, la fixation d’honoraires maximaux par le tarif constitue une restriction à la prestation transfrontalière de services juridiques.

70.      En outre, le niveau supérieur du tarif en cause pourrait aussi constituer un frein à la libre prestation des services en empêchant que la qualité des prestations fournies par des avocats établis dans d’autres États membres que l’Italie soient correctement rémunérée, si bien que certains avocats exigeant des honoraires élevés seraient dissuadés de prester leurs services en Italie.

c)      Autres restrictions potentielles à la libre prestation des services découlant de l’interdiction de déroger au tarif

71.      En application du décret ministériel, que ce soit celui de 1990 ou celui de 1994, les avocats exerçant en Italie sont tenus de facturer leurs services à partir de la liste limitative des prestations juridiques figurant au tarif. Il leur est donc en principe interdit de fixer le montant de leurs honoraires au moyen d’une autre méthode, par exemple en fonction du temps consacré à l’étude du dossier par chaque collaborateur selon le degré d’expertise de ceux-ci. Pourtant, ces deux systèmes offrent au client la possibilité de comprendre le montant des honoraires qu’il doit acquitter et contribuent de manière égale à réduire l’asymétrie de l’information existant entre l’avocat et son client. En tout cas, imposer aux avocats établis hors d’Italie, qui font exercice de leur liberté à y prester des services, de facturer leurs honoraires à partir des catégories de services établies par le tarif engendre pour eux un coût supplémentaire. S’ils utilisent habituellement un autre système de facturation, ils seront contraints de l’abandonner, au moins pour les prestations fournies en Italie. Par conséquent, l’obligation imposée aux avocats établis dans d’autres États membres qui prestent des services en Italie de facturer leurs interventions à partir des catégories de services établies par le tarif, en ce qu’elle engendre des coûts supplémentaires pour eux, pourrait constituer une restriction à leur liberté de prestation de services.

72.      L’article 15 du décret ministériel de 1994, relatif aux litiges devant un tribunal commercial, civil ou administratif (62), qui stipule que les avocats peuvent facturer leurs frais au montant forfaitaire de 10 % de la somme de leurs honoraires et des droits de justice ne prend pas en compte la diversité des situations factuelles (63). Cet article n’envisage pas les situations transfrontalières, pour lesquelles les frais engagés pourraient dépasser ce forfait. Ainsi, il risque d’être défavorable aux avocats faisant exercice de leur liberté de prestation de services en Italie.

73.      La fixation d’honoraires de résultat est aussi encadrée par le décret ministériel de 1990, applicable aux litiges devant un tribunal commercial, civil ou administratif, puisqu’il est prévu à l’article 5, paragraphe 3, de celui‑ci que de tels honoraires doivent être compris dans la limite de deux fois les tarifs maximaux prévus (64). Les avocats étrangers fournissant leurs services en Italie sont empêchés par cette mesure de fixer librement les honoraires dus par leurs clients. Ainsi, les avocats établis dans d’autres États membres sont privés d’un moyen particulièrement efficace pour entrer sur le marché italien (65).

74.      De manière générale, tandis que les avocats établis en Italie peuvent organiser la répartition des coûts au sein de leur cabinet en fonction des honoraires fixés dans le tarif, il n’est, au contraire, pas possible aux avocats établis dans d’autres États membres de s’organiser en fonction du tarif italien, puisque, par définition, ils n’exercent qu’une partie de leur activité en Italie.

75.      Dans toutes ces hypothèses, le tarif des honoraires d’avocat constitue un obstacle à la libre prestation des services sur le marché italien des avocats établis dans d’autres États membres. En conclusion, il apparaît que le décret-loi constitue une restriction à la libre prestation des services au sens de l’article 49 CE, dont il convient maintenant de vérifier si elle peut être justifiée. Aucun argument relatif à l’article 46, paragraphe 1, CE, lu en combinaison avec l’article 55 CE, n’ayant été présenté (66), je n’envisagerai qu’une justification sous l’angle de raisons impérieuses d’intérêt général. Les intervenants ayant focalisé leurs arguments sur la question des honoraires minimaux, j’étudierai d’abord ce point.

2.      La justification éventuelle de la restriction à la libre prestation des services provoquée par la fixation d’honoraires minimaux

76.      Dans leurs observations écrites ainsi que lors de l’audience, MMeloni ainsi que les gouvernements italien et allemand ont présenté des arguments pour justifier l’atteinte à la libre prestation des services constituée par la fixation d’honoraires minimaux par la réglementation italienne en cause au principal. Leurs justifications recouvrent deux aspects.

a)      Le principe de l’accès à la justice

77.      Me Meloni et le gouvernement allemand ont fait référence au principe de l’accès à la justice et au respect des droits de la défense en tant que raison impérieuse d’intérêt général. Me Meloni renvoie à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) ainsi qu’à l’article 24 de la Constitution italienne.

78.      Le droit au juge a en effet été reconnu comme un principe fondamental du droit communautaire (67). La Cour a jugé que, en matière pénale, ce droit peut également inclure le droit d’être défendu par un avocat (68). L’article 47, paragraphes 2 et 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (69) prévoit aussi que «toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice».

79.      Le gouvernement allemand fait valoir que si les honoraires minimaux étaient supprimés, les honoraires seraient calculés en fonction du temps consacré à l’affaire, ce qui aurait pour conséquence que les honoraires dus pour des actions en réparation d’un faible montant seraient comparativement élevés par rapport à la valeur du litige. Les personnes à faible revenu seraient désavantagées par un tel système. À l’audience, le gouvernement allemand a expliqué que les honoraires minimaux pour des affaires d’un faible montant pouvaient être fixés en dessous du coût de revient, mais qu’il existait une possibilité de compensation avec les honoraires minimaux applicables dans d’autres affaires.

80.      Toutefois, il n’apparaît pas clairement en quoi la fixation d’honoraires minimaux contribuerait à garantir un égal accès de tous les citoyens à la justice. Au contraire, comme l’a souligné la Commission durant l’audience, si tel était l’objectif poursuivi par la réglementation italienne en cause au principal, il serait seulement nécessaire de fixer des honoraires maximaux pour éviter que le niveau des honoraires ne dépasse un certain seuil. Par ailleurs, je ne vois pas dans ladite réglementation de lien clair entre la fixation des honoraires minimaux et la possibilité pour les avocats de maintenir un niveau équitable de rémunération en compensant leurs coûts non couverts dans certaines affaires avec les honoraires perçus dans d’autres affaires. La justification avancée par le gouvernement allemand à ce sujet me paraît purement hypothétique. Dans ces conditions, il semble que l’adoption d’honoraires minimaux pour les services fournis par les avocats ne peut être apte à atteindre l’objectif légitime de garantir l’accès de tous à la justice. Plus délicate est la question de déterminer si elle favorise l’accès égal à la justice. Cette question a trait à la seconde justification avancée du bon fonctionnement de la profession d’avocat.

b)      Le bon fonctionnement de la profession d’avocat

81.      Parallèlement, le gouvernement italien fonde son argumentation sur les contraintes d’organisation de la profession d’avocat, telles qu’évoquées aux points 97 et 122 de l’arrêt Wouters e.a., précité. Il en ressort que l’objectif «de concevoir des règles d’organisation, de qualification, de déontologie, de contrôle et de responsabilité, qui procurent la nécessaire garantie d’intégrité et d’expérience aux consommateurs finaux des services juridiques et à la bonne administration de la justice» peut justifier une restriction à la libre prestation des services (70).

82.      Si les États membres sont libres d’organiser leur système procédural et contentieux (71) ainsi que de définir les conditions d’exercice de la profession d’avocat (72), leur marge de manœuvre est toutefois encadrée par le droit communautaire. C’est pourquoi il leur revient de démontrer en quoi la fixation d’honoraires minimaux serait apte à garantir le bon fonctionnement de cette profession.

83.      L’argument principal, exposé aussi bien par le gouvernement italien que par le gouvernement allemand lors de l’audience, a trait au risque qu’une concurrence acharnée entre avocats ne conduise à une concurrence par les prix qui entraînerait une détérioration de la qualité des services fournis, au détriment des consommateurs. Ce risque serait d’autant plus prégnant que le marché des services juridiques est caractérisé par une asymétrie de l’information entre avocats et consommateurs, ces derniers ne disposant pas des paramètres indispensables pour évaluer la qualité des services qui leur sont rendus (73).

84.      Le gouvernement italien ajoute que seule l’existence de prix minimaux permettrait de s’assurer d’une séparation des intérêts des avocats et de leurs clients. En effet, fournir des services de mauvaise qualité pour un prix faible pourrait être dans l’intérêt de l’avocat, mais se révéler finalement contraire à celui de son client. Ce gouvernement invoque aussi la nécessité de préserver la dignité de la profession d’avocat, qui nécessiterait de fixer un montant minimal pour leurs honoraires. Au regard de ce dernier argument, ledit gouvernement n’explique ni en quoi cette mesure serait apte à protéger la dignité de la profession d’avocat, ni pourquoi une telle mesure serait nécessaire uniquement pour cette profession et non pour d’autres professions libérales.

85.      Bien que la Cour n’ait pas examiné ce point dans l’arrêt Arduino, précité, l’avocat général Léger s’était interrogé, dans ses conclusions, sur la possibilité de justifier l’adoption d’honoraires minimaux pour garantir la qualité des prestations fournies par les avocats. Au point 117 de ses conclusions, il a exprimé ses doutes en ces termes: «On ne voit pas en quoi un régime de prix obligatoires empêcherait des membres de la profession d’offrir des services de qualité médiocre si, par ailleurs, leurs qualifications, leur compétence ou leur sens moral font défaut».

86.      Les interrogations de l’avocat général Léger sont partagées par la doctrine économique, selon laquelle il ne serait aucunement démontré que la suppression des honoraires minimaux conduirait systématiquement à une détérioration conséquente de la qualité des services juridiques fournis (74). En l’absence de possibilité d’apporter des éléments de preuve, le gouvernement allemand a toutefois tenté d’invoquer un «lien de causalité négatif» découlant, selon lui, du fait que, en dessous d’un certain montant d’honoraires, la qualité des prestations n’était plus garantie. Mais cela présupposerait qu’elle le serait au-delà d’un certain montant d’honoraires. En soi, cela ne serait au surplus pas suffisant pour justifier la fixation d’honoraires minimaux. Il importerait de démontrer que l’élimination des honoraires minimaux provoquerait automatiquement une diminution de la qualité des prestations juridiques.

87.      Pour que la justification évoquée par le gouvernement italien soit de nature à compenser la restriction à la libre prestation des services que la réglementation en cause au principal entraîne, il est indispensable d’établir un lien direct entre cette dernière et le bon fonctionnement de la profession d’avocat. En effet, l’impact discriminatoire de cette réglementation, du fait que les honoraires minimaux sont calculés par rapport aux conditions matérielles dans lesquelles se trouvent les avocats nationaux et en tenant compte de la participation essentielle pour l’élaboration de cette mesure du CNF, impose une obligation de justification renforcée. Or, bien que l’objectif d’assurer le bon fonctionnement de cette profession soit légitime, le gouvernement italien n’a pas démontré en quoi la fixation d’honoraires minimaux serait apte à l’atteindre. Alors qu’il existe déjà une grande marge entre les honoraires les plus bas et les plus élevés, cela ne produit pas d’incitation à fournir des prestations juridiques de faible qualité à des prix bas. La République italienne n’a pas démontré qu’il existerait une corrélation entre le niveau des honoraires et la qualité des prestations fournies, et que notamment les prestations à prix bas seraient de moindre qualité. La même conclusion peut être renforcée si l’on prend en compte la situation dans les États membres qui n’ont pas de régime de contrôle des prix. Les honoraires d’avocat semblent être établis sur la base d’une série d’éléments: le degré de spécialisation, l’organisation interne, les économies d’échelle et non seulement ou de manière prédominante en fonction de la qualité des prestations fournies.

88.      En tout cas, le gouvernement italien n’a pas recherché s’il n’existait pas d’alternative moins restrictive de la libre prestation des services que cette mesure (75). Tout d’abord, il faut souligner que la qualité peut être contrôlée par d’autres mécanismes, alternativement à la fixation d’honoraires par les pouvoirs publics, pour assurer le bon fonctionnement de la profession d’avocat en réduisant l’asymétrie d’information entre celui-ci et son client. La Commission en évoque trois. Le contrôle de l’accès à la profession d’avocat par l’emploi de critères de sélection stricts serait une première voie. Renforcer la possibilité pour les clients des avocats de contester le montant des honoraires réclamés serait une autre possibilité. Enfin, appliquer de manière sévère les règles disciplinaires dissuaderait également les avocats d’adopter vis-à-vis de leurs clients des comportements non conformes à la déontologie.

89.      À cet égard, il est vrai qu’il n’est pas déterminant de relever que dans la plupart des États membres ainsi que dans de nombreux États tiers il n’existe pas d’honoraires minimaux applicables aux prestations juridiques effectuées par les avocats (76). Les gouvernements italien et allemand ont opposé à juste titre à cet argument qu’il reviendrait à supprimer leur liberté de définir les modalités d’organisation de la profession juridique dans leur droit national. Cependant, en l’absence de preuve claire du risque soulevé par la République italienne et la République fédérale d’Allemagne, l’expérience des autres États membres peut être pertinente pour mettre en doute dans une certaine mesure l’existence d’un lien de causalité entre la fixation d’honoraires minimaux et la plus grande qualité des prestations fournies.

90.      Le gouvernement allemand tente aussi de présenter la règle des honoraires minimaux comme s’intégrant dans un système plus vaste. Il estime que les honoraires payés aux avocats doivent être envisagés dans le cadre du règlement des dépens comme permettant au consommateur de prévoir le coût d’une procédure judiciaire. Il invoque à cet égard l’arrêt AMOK, précité, qui examinait une règle allemande selon laquelle les honoraires acquittés par la partie ayant succombé à l’issue d’une procédure ne pouvaient dépasser le tarif applicable aux avocats établis en Allemagne. Cependant, tandis que l’instauration d’un maximum, comme dans la règle allemande en cause dans l’affaire AMOK, précitée, permet effectivement d’accroître la sécurité juridique, il ne peut être tiré de conclusion semblable d’une règle prévoyant des honoraires minimaux, puisque les avocats peuvent par définition fixer leurs honoraires au-delà de ce montant. Pour satisfaire à cette exigence, il serait moins restrictif d’exiger une information préalable du consommateur sur le mode de calcul des honoraires qu’il devra acquitter. L’asymétrie d’information serait ainsi contrebalancée par des moyens moins restrictifs pour la libre prestation des services que la fixation de montants minimaux.

91.      Le gouvernement allemand ajoute, dans ses observations écrites, que l’interdiction de déroger aux honoraires minimaux assure une application simple et efficace du principe de remboursement des dépens. Autoriser les avocats à fixer des honoraires inférieurs à un seuil minimal risquerait d’aboutir à ce que la partie ayant succombé doive finalement rembourser un montant plus important que celui que la partie ayant obtenu gain de cause a acquitté et compliquerait l’administration de la preuve en ce domaine. Il suffit à cet égard de remarquer que la suppression des honoraires minimaux n’entraînerait sans doute pas la conséquence décrite par ce gouvernement, mais bien une réduction des frais incombant à la partie ayant succombé, qui ne peut être tenue de rembourser une somme qui n’a pas été exposée.

92.      Même s’il existait un lien entre les tarifs minimaux et la qualité des prestations juridiques fournies, ces tarifs ne peuvent toutefois perdurer pour toutes les prestations juridiques. En effet, dès lors que des non‑avocats peuvent, sous respect de certaines conditions, fournir des conseils extrajudiciaires, sans être soumis aux honoraires minimaux, leur maintien ne paraît pas justifié pour ce type de prestations. L’incohérence que dénote la coexistence sur le même marché d’opérateurs soumis aux honoraires minimaux et d’acteurs libres de cette obligation empêche de considérer que la restriction à la libre prestation des services pourrait être justifiée au nom de la qualité des prestations fournies aux consommateurs de ces services.

93.      Au vu des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de constater que la restriction à la libre prestation des services constituée par la fixation d’honoraires minimaux ne peut être justifiée par un motif impérieux d’intérêt général.

94.      Finalement, il faut aborder deux derniers points. Comme il a été développé plus haut, la réglementation italienne en cause au principal soulève des questions en ce qu’il prévoit des honoraires minimaux, mais aussi du fait des honoraires maximaux. Toutefois, le juge national n’a pas évoqué ce dernier aspect. À cette constatation s’ajoute qu’une analyse des éventuelles justifications des honoraires maximaux est plus complexe et délicate que celle des honoraires minimaux (77) et que ce point n’a pas été débattu. Il me semble ainsi plus approprié de ne pas aborder cette partie de la législation italienne, ce qui n’est au demeurant pas nécessaire pour résoudre le litige au principal. Cependant, l’interdiction de dérogation aux honoraires minimaux soulève indirectement aussi celle de l’interdiction des honoraires de résultat. En réalité, ceux-ci peuvent aboutir à des honoraires inférieurs aux honoraires minimaux et seraient donc interdits. Il est vrai aussi, que le raisonnement évoqué ci-dessus paraît leur être applicable, puisqu’il n’existe pas de lien entre une qualité plus basse des prestations fournies et l’autorisation des honoraires de résultat. En outre, pour la justification tenant à l’accès à la justice, la possibilité de fixer des honoraires de résultat peut, au contraire, améliorer celui‑ci en permettant à des parties sans moyens financiers d’avoir accès à la justice, le risque étant supporté par les avocats. Dans certains cas, c’est même l’existence d’honoraires de résultat qui permet d’intenter une action collective en justice. En tout cas, l’analyse de cet aspect n’est pas fondamental pour permettre à la juridiction de statuer in concreto, et même s’il est indissociablement lié à celle des honoraires minimaux, il me paraît plus prudent, pour les raisons déjà avancées dans le cadre des honoraires maximaux, de ne pas statuer sur ce point.

IV – Conclusion

95.      À la lumière des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de déclarer:

Dans l’affaire C-202/04:

«Ainsi qu’il découle de l’arrêt du 19 février 2002, Arduino (C‑35/99, Rec. p. I‑1529), l’article 81 CE, lu en combinaison avec l’article 10 CE, ne s’oppose pas à une mesure nationale fixant un tarif des honoraires d’avocat, telle que celle en cause, même en ce qui concerne les services extrajudiciaires, à condition que cette mesure ait été soumise à une supervision effective par l’État et dès lors que le pouvoir du juge de déroger aux montants fixés par le tarif est interprété en conformité avec le droit communautaire de façon à limiter l’effet anticoncurrentiel de ladite mesure.»

Dans l’affaire C-94/04:

«Ainsi qu’il découle de l’arrêt Arduino, précité, l’article 81 CE, lu en combinaison avec l’article 10 CE, ne s’oppose pas à une mesure nationale interdisant aux avocats et à leurs clients de déroger au tarif pour les honoraires d’avocat, telle que celle en cause, à condition que la mesure ait été soumise à une supervision effective par l’État et dès lors que le pouvoir du juge de déroger aux montants fixés par le tarif est interprété en conformité avec le droit communautaire de façon à limiter l’effet anticoncurrentiel de ladite mesure.

L’article 49 CE s’oppose à une mesure nationale fixant par un tarif des montants minimaux pour les honoraires d’avocat, telle que celle en cause.»


1 – Langue originale: le portugais.


2 – Arrêt du 19 février 2002 (C‑35/99, Rec. p. I‑1529).


3 – GURI n° 281, du 5 décembre 1933.


4 – GURI n° 24, du 30 janvier 1934.


5 – Point 6 de l’arrêt Arduino, précité.


6 – GURI n° 247, du 21 octobre 1994, p. 5.


7 – Arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi (C‑297/88 et C‑197/89, Rec. p. I‑3763, points 33 et 34);  du 17 juillet 1997, Leur‑Bloem (C‑28/95, Rec. p. I‑4161, point 24), et du 30 septembre 2003, Inspire Art (C-167/01, Rec. p. I-10155, point 43).


8 – Arrêts du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, Rec. p. 3045, point 18); du 15 juin 1995, Zabala Erasun e.a. (C-422/93 à C-424/93, Rec. p. I‑1567, point 29), et du 5 février 2004, Schneider (C‑380/01, Rec. p. I‑1389, point 22).


9 – Arrêt du 5 décembre 2000 (C‑448/98, Rec. p. I‑10663).


10 – Arrêt du 11 septembre 2003 (C‑6/01, Rec. p. I‑8621, point 41).


11 – Cela ressort de l’article 3 de la Constitution italienne relatif au principe d’égalité, tel qu’interprété par la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) dans ses arrêts n° 249, du 16 juin 1995 (GURI, 1a serie speciale Corte costituzionale, n° 26, du 21 juin 1995), et n° 443, du 30 décembre 1997 (GURI, 1a serie speciale Corte costituzionale, n° 1, du 7 janvier 1998).


12 – Pour les marchandises, la Cour a suivi ce type de raisonnement dans son arrêt du 7 mai 1997, Pistre e.a. (C-321/94 à C-324/94, Rec. p. I-2343, points 44 et 45), qu’elle a étendu aux services dans ses arrêts du 5 juin 1997, SETTG (C-398/95, Rec. p. I‑3091); du 29 avril 1999, Ciola (C‑224/97, Rec. p. I‑2517, points 11 et 12), ainsi que du 8 mars 2001, Gourmet International Products (C-405/98, Rec. p. I‑1795, points 37 et 38).


13 – L’article 2233 du code civil régit la rémunération du contrat de prestation de services et dispose: «[L]a rémunération, si elle n’est pas convenue entre les parties et ne peut être déterminée selon les tarifs ou usages, est fixée par le juge, après avoir entendu l’avis de l’association professionnelle dont relève le professionnel» (p. 3 de la traduction française de la décision de renvoi dans l’affaire Cipolla).


14 – Voir arrêts précités Dzodzi, Leur‑Bloem et Inspire Art.


15 – Arrêt du 6 octobre 1982 (283/81, Rec. p. 3415, point 21).


16 – La logique sous-jacente du système est de garantir une application uniforme du droit communautaire sans exiger qu’un renvoi soit fait par les juridictions nationales dans chaque cas où un problème de droit communautaire est soulevé, mais sans interdire pour autant auxdites juridictions de former un renvoi si la Cour a déjà statué. Sinon, les juridictions nationales ne pourraient demander à celle‑ci de procéder au revirement d’interprétations du droit qu’elle a prononcées, ce qui pourrait conduire, à long terme, à créer une irréversibilité absolue de la jurisprudence dans certains domaines du droit (puisque, bien souvent, la Cour n’a l’occasion de revoir sa jurisprudence que lorsqu’un renvoi lui est soumis). Une telle interdiction est absente même des systèmes juridiques où la règle du precedent est appliquée avec le plus de rigueur. À cet égard, l’article 104, paragraphe 3, du règlement de procédure ne devrait pas être considéré comme empêchant les juridictions nationales de demander expressément à la Cour de revoir une jurisprudence bien établie. Il demeure bien sûr loisible à la Cour d’accepter une telle possibilité ou d’adopter une ordonnance en application dudit article 104, paragraphe 3, confirmant sa jurisprudence sur un point précis de droit.


17 – Une exception à cette attitude de la Cour se trouve dans l’arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, Rec. p. I‑6097), où la Cour a pris en considération les conséquences de sa jurisprudence passée dans le contexte social des normes applicables et des systèmes juridiques chargés de l’application de celles‑ci. La Cour s’est prononcée au point 14 de cet arrêt en ces termes: «Étant donné que les opérateurs économiques invoquent de plus en plus l’article 30 du traité [CE (devenu, après modification, article 28 CE)] pour contester toute espèce de réglementations qui ont pour effet de limiter leur liberté commerciale, même si elles ne visent pas les produits en provenance d’autres États membres, la Cour estime nécessaire de réexaminer et de préciser sa jurisprudence en la matière».


18 – Arrêt du 12 septembre 2000 (C-180/98 à C-184/98, Rec. p. I‑6451).


19 – Triantafyllou, D., «Les règles de la concurrence et l’activité étatique y compris les marchés publics», Revue Trimestrielle de Droit Européen, nº 1, 1996, p. 57, voir spécialement p. 64.


20 – Arrêt du 16 novembre 1977 (13/77, Rec. p. 2115, point 31).


21 – Arrêt du 9 septembre 2003, CIF (C‑198/01, Rec. p. I‑8055, point 46).


22 – Arrêts du 3 décembre 1987, Aubert (136/86, Rec. p. 4789, point 23), et du 18 juin 1998, Commission/Italie (C‑35/96, Rec. p. I‑3851); Arduino, précité, point 35, et ordonnance du 17 février 2005, Mauri (C‑250/03, Rec. p. I‑1267, point 30).


23 – Conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Arduino, précitée, point 91, et de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Albany (arrêt du 21 septembre 1999, C-67/96, Rec. p. I‑5751), point 184.


24 – Point 91 des conclusions dans l’affaire Arduino, précitée.


25 – Points 156 à 165.


26 – Points 86 à 91.


27 – Points 161 à 163 des conclusions dans l’affaire Pavlov e.a., précitée.


28 – Point 106 des conclusions dans l’affaire Arduino, précitée.


29 – 317 U.S. 341 (1943).


30 – Delacourt, J., et Zywicki, T., «The FTC and State Action: Evolving views on the proper role of government», Antitrust Law Journal, 2005, vol. 72, p. 1075.


31 – Arrêt du 19 février 2002 (C‑309/99, Rec. p. I‑1577).


32 – Arrêt Arduino, précité, point 41.


33 – Voir aussi point 107 des conclusions dans l’affaire Arduino, précitée.


34 – JO L 78, p. 17.


35 – Selon l’article 10 de la directive 2003/8/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, visant à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l’établissement de règles minimales communes relatives à l’aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires (JO L 26, p. 41), le bénéfice de l’aide judiciaire n’est étendu aux procédures extrajudiciaires que «lorsque la loi fait obligation aux parties de recourir à celles‑ci ou lorsque les parties en litige y sont renvoyées par le juge».


36 – Sur l’obligation du juge national d’interpréter, dans toute la mesure du possible, le droit national en conformité avec le droit communautaire, voir arrêts du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann (14/83, Rec. p. 1891); du 13 novembre 1990, Marleasing (C-106/89, Rec. p. I‑4135), et du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, Rec. p. I‑8835).


37 – Interprétation développée dans les observations du gouvernement italien dans l’affaire Macrino et Capodarte.


38 – Article 60 du décret-loi et point 42 de l’arrêt Arduino, précité.


39 – Arrêts précités CIF et Pfeiffer e.a..


40 – Arrêt du 3 décembre 1974, Van Binsbergen (33/74, Rec. p. 1299).


41 – Voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone (286/82 et 26/83, Rec. p. 377, point 16)


42 – Arrêts du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda (C‑288/89, Rec. p. I‑4007); Säger (C‑76/90, Rec. p. I‑4221); du 5 octobre 1994, TV10 (C‑23/93, Rec. p. I‑4795), et du 10 mai 1995, Alpine Investments (C‑384/93, Rec. p. I‑1141, point 21).


43 – Arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard (C‑55/94, Rec. p. I‑4165, point 37), et du 3 octobre 2000, Corsten (C‑58/98, Rec. p. I‑7919, point 33). Voir également, arrêt du 13 juillet 2004, Bacardi France (C‑429/02, Rec. p. I‑6613, point 31).


44 – Arrêt du 20 septembre 2001, Grzelczyk (C‑184/99, Rec. p. I‑6193).


45 – Voir points 37 à 40 de mes conclusions du 7 avril 2005 dans l’affaire Marks & Spencer (arrêt du 13 décembre 2005, C‑446/03, non encore publiés au Recueil).


46 – Arrêt du 11 décembre 2003 (C‑322/01, Rec. p. I‑14887, point 74).


47 – Arrêt du 5 octobre 2004 (C‑442/02, Rec. p. I‑8961, point 12).


48 – Il est indiqué au point 38 dudit arrêt, que l’interdiction en cause «conditionne directement l’accès au marché des services dans les autres États membres». Au point 59 de ses conclusions dans l’affaire Bacardi France, précitée, l’avocat général Tizzano note que la restriction à la libre prestation des services provient de ce que les règles françaises en cause «sont un obstacle direct […] en ce qui concerne l’accès au marché».


49 – Arrêt du 7 septembre 2004, Manninen (C‑319/02, Rec. p. I‑7477, point 23).


50 – Conclusions Marks & Spencer, précitées.


51 – Voir point 28 des conclusions de l’avocat général Tesauro dans l’affaire Hünermund e.a. (arrêt du 15 décembre 1993, C‑292/92, Rec. p. I‑6787), et point 60 des conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire CaixaBank France, précitée.


52 – Arrêts du 29 janvier 1985, Cullet (231/83, Rec. p. 305), et du 19 mars 1991, Commission/Belgique (C‑249/88, Rec. p. I‑1275, point 10).


53 – Arrêt du 13 novembre 1986, Edah (80/85 et 159/85, Rec. p. 3359, point 11). Voir aussi arrêts du 26 février 1976, Tasca (65/75, Rec. p. 291); du 24 janvier 1978, Van Tiggele (82/77, Rec. p. 25); Cullet, précité, point 23, et du 7 mai 1991, Commission/Belgique (C‑287/89, Rec. p. I‑2233, point 17).


54 – Arrêt CaixaBank France, précité, points 12 et 13. Notons que, même si l’arrêt Keck et Mithouard, précité, était applicable en matière de droit d’établissement, le résultat atteint serait le même puisqu’il y aurait en tout cas une discrimination de fait qui rendrait la notion de «modalité de vente» inapplicable (point 16 de cet arrêt).


55 – Voir point 48 des conclusions de l’avocat général Alber dans l’affaire Commission/Italie (arrêt du 29 mai 2001, C‑263/99, Rec. p. I‑4195).


56 – Il n’est, par exemple, pas tenu compte du fait que les avocats étrangers pourraient avoir des coûts fixes plus faibles.


57 – Arrêts du 5 juin 1985, Roelstraete (116/84, Rec. p. 1705, point 21), et du 19 mars 1991, Commission/Belgique, précité, point 7.


58 – Arrêt du 19 mars 1991, Commission/Belgique, précité, point 15. Dans l’arrêt du 29 novembre 1983, Roussel Laboratoria e.a. (181/82, Rec. p. 3849, points 21 et 23), la Cour examinait un régime de prix soumettant à un régime distinct les biens importés et les biens produits localement, qui indexait le prix des produits importés à un indice ayant une signification différente d’un État membre de production à l’autre en raison des dispositions légales et des conditions économiques de formation du prix de référence. La Cour a jugé que l’écoulement des produits importés est défavorisé ou rendu plus difficile en tout cas chaque fois que le niveau de prix auquel renvoie, pour les produits des autres États membres, la réglementation de l’État membre d’importation est inférieur à celui applicable aux produits nationaux.


59 – Arrêt du 11 décembre 2003 (C‑289/02, Rec. p. I‑15059).


60 – Point 46 des conclusions de l’avocat général Mischo dans l’affaire AMOK, précitée.


61 – Voir point 44 des conclusions dans l’affaire Commission/Italie (arrêt du 29 mai 2001, précité).


62 – Les articles correspondants sont l’article 11 pour les litiges extrajudiciaires et l’article 8 pour les litiges devant un juge pénal.


63 – Cette somme forfaitaire a été élevée à 15 % par le décret ministériel de 2004.


64 – Ce seuil a été élevé à quatre fois les honoraires maximaux en 1994 et, depuis 2004, une approbation préalable du CNF est requise.


65 – Arrêt CaixaBank, précité.


66 – Dans son arrêt du 21 juin 1974, Reyners (2/74, Rec. p. 631), la Cour avait rejeté l’hypothèse selon laquelle les avocats participeraient à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 45 CE.


67 – Arrêt du 15 mai 1986, Johnston (222/84, Rec. p. 1651, points17 à 19).


68 – Arrêt du 28 mars 2000, Krombach (C‑7/98, Rec. p. I‑1935, point 39). Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ce droit inclut les affaires civiles. Dans son arrêt Golder c. Royaume‑Uni (arrêt du 21 février 1975, série A n° 18), celle-ci condamne le refus d’accorder le recours à un avocat à un détenu qui souhaitait intenter une action civile comme une violation du droit d’accès au juge tel que protégé par l’article 6 de la CEDH.


69 – Charte proclamée à Nice le 7 décembre 2000 (JO C 364, p. 1). Voir aussi l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans son arrêt Airey c. Irlande (arrêt du 9 octobre 1979, série A n° 32, point 26), cette dernière a estimé que cet article peut parfois astreindre l’État à pourvoir l’assistance d’un membre du barreau quand elle se révèle indispensable à un accès effectif au juge.


70 – Voir aussi arrêts Van Binsbergen, précité; du 25 février 1988, Commission/Allemagne (427/85, Rec. p. 1123), et du 12 décembre 1996, Reisebüro Broede (C‑3/95, Rec. p. I‑6511).


71 – Arrêts du 15 décembre 1971, International Fruit Company e.a. (51/71 à 54/71, Rec. p. 1107), et du 8 novembre 2005, Leffler (C-443/03, non encore publié au Recueil, point 49).


72 – Arrêts du 12 juillet 1984, Klopp (107/83, Rec. p. 2971, point 17); Reisebüro Broede, précité, point 37; Wouters e.a., précité, point 99, et ordonnance Mauri, précitée.


73 – Sur l’asymétrie de l’information qui caractérise les marchés des services professionnels, voir conclusions dans les affaires précitées Arduino, point 112, et Pavlov e.a., point 85.


74 – Kwoka, J., «The Federal Trade Commission and the professions: a quarter century of accomplishments and some new challenges», Antitrust Law Journal, 2005, p. 997.


75 – Voir arrêt du 15 novembre 2005, Commission/Autriche (C‑320/03, non encore publié au Recueil, points 87 à 89). En l’espèce la République d’Autriche aurait dû, pour démontrer qu’il n’existait pas de mesure moins restrictive à la libre circulation des marchandises qu’une interdiction de circulation des poids lourds, procéder à la recherche d’alternatives avant d’adopter cette mesure.


76 – Communication de la Commission – Rapport sur la concurrence dans le secteur des professions libérales, du 9 février 2004 [COM(2004)83 final, p. 13], désigne la République d’Autriche, la République fédérale d’Allemagne et la République italienne comme États membres possédant encore un contrôle des prix (prix minimaux et maximaux) en matière d’honoraires d’avocat.


77 – Notamment s’agissant de leurs conséquences pour l’égal accès à la justice.