Language of document : ECLI:EU:T:2017:753

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

26 octobre 2017 (*)

« Concurrence – Concentrations – Décision infligeant une amende pour la réalisation d’une opération de concentration avant sa notification et son autorisation – Article 4, paragraphe 1, article 7, paragraphes 1 et 2, et article 14 du règlement (CE) n° 139/2004 – Négligence – Principe ne bis in idem – Gravité de l’infraction – Montant de l’amende »

Dans l’affaire T‑704/14,

Marine Harvest ASA, établie à Bergen (Norvège), représentée par M. R. Subiotto, QC,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. M. Farley, C. Giolito et F. Jimeno Fernández, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C(2014) 5089 final de la Commission, du 23 juillet 2014, infligeant une amende pour la réalisation d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 139/2004 (affaire COMP/M.7184 – Marine Harvest/Morpol), et, à titre subsidiaire, à l’annulation ou à la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. A. Dittrich (rapporteur), président, J. Schwarcz et Mme V. Tomljenović, juges,

greffier : Mme C. Heeren, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 15 septembre 2016,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        La requérante, Marine Harvest ASA, est une société de droit norvégien inscrite à la Bourse d’Oslo (Norvège) et à la Bourse de New York (États-Unis), qui pratique l’élevage et la transformation primaire du saumon au Canada, au Chili, en Écosse, dans les Îles Féroé, en Irlande et en Norvège ainsi que l’élevage et la transformation primaire du flétan blanc en Norvège. La requérante procède également à des activités de transformation secondaire en Belgique, au Chili, aux États-Unis, en France, en Irlande, au Japon, en Norvège, aux Pays-Bas, en Pologne et en République tchèque.

A.      Acquisition par la requérante de Morpol

2        Le 14 décembre 2012, la requérante a conclu un contrat d’acquisition d’actions (« Share Purchase Agreement », ci-après le « SPA ») avec Friendmall Ltd et Bazmonta Holding Ltd portant sur la cession des actions que ces sociétés détenaient dans le capital de Morpol ASA.

3        Morpol est un producteur et transformateur norvégien de saumon. Elle produit du saumon d’élevage et offre un large éventail de produits à valeur ajoutée dérivés du saumon. Elle pratique l’élevage et la transformation primaire du saumon en Écosse et en Norvège. Elle procède également à des activités de transformation secondaire en Pologne, au Royaume-Uni et au Viêt Nam. Avant son acquisition par la requérante, Morpol était inscrite à la Bourse d’Oslo.

4        Friendmall et Bazmonta Holding étaient des sociétés privées à responsabilité limitée constituées et enregistrées à Chypre. Les deux sociétés étaient contrôlées par une seule personne, M. M., fondateur et ancien président-directeur général de Morpol.

5        Grâce au SPA, la requérante a acquis un intérêt dans Morpol s’élevant à environ 48,5 % du capital social de Morpol. La clôture de cette acquisition (ci-après l’« acquisition de décembre 2012 ») a eu lieu le 18 décembre 2012.

6        Le 17 décembre 2012, la requérante a annoncé, au moyen d’un communiqué de Bourse, qu’elle allait lancer une offre publique d’achat pour les actions restantes de Morpol. Le 15 janvier 2013, la requérante a soumis, conformément à la loi norvégienne relative à la négociation de titres, une telle offre publique obligatoire d’achat pour les actions restantes de Morpol, représentant 51,5 % des actions de la société. Selon les dispositions de la loi norvégienne, l’acquéreur de plus d’un tiers des actions d’une société cotée en Bourse est contraint de présenter une offre obligatoire pour les actions restantes de cette société.

7        Le 23 janvier 2013, le conseil d’administration de Morpol a nommé un nouveau président-directeur général en remplacement de M. M., ce dernier ayant démissionné entretemps avec effet au 1er mars 2013, à la suite d’un engagement à cet effet qui avait été inclus dans le SPA.

8        À la suite du règlement et de l’exécution de l’offre publique d’achat le 12 mars 2013, la requérante détenait au total 87,1 % des actions de Morpol. Par conséquent, grâce à l’offre publique d’achat, la requérante a acquis des actions représentant environ 38,6 % du capital de Morpol, en plus des actions représentant 48,5 % du capital de Morpol, qu’elle avait déjà obtenues par l’acquisition de décembre 2012.

9        L’acquisition des actions restantes de Morpol a été réalisée le 12 novembre 2013. Le 15 novembre 2013, une assemblée générale extraordinaire a décidé de demander une radiation des actions de la cote de la Bourse d’Oslo, de réduire le nombre des membres du conseil d’administration et de supprimer le comité de nomination. Le 28 novembre 2013, Morpol n’était plus cotée à la Bourse d’Oslo.

B.      Phase de prénotification

10      Le 21 décembre 2012, la requérante a envoyé à la Commission européenne une demande de désignation d’une équipe chargée de traiter son dossier concernant l’acquisition du contrôle exclusif de Morpol. Dans cette demande, la requérante a fait savoir à la Commission que l’acquisition de décembre 2012 avait été clôturée et qu’elle n’exercerait pas ses droits de vote avant l’adoption de la décision de la Commission.

11      La Commission a demandé la tenue d’une téléconférence avec la requérante, laquelle a eu lieu le 25 janvier 2013. Pendant la téléconférence, la Commission a demandé des informations concernant la structure de l’opération et des éclaircissements quant à la question de savoir si l’acquisition de décembre 2012 pouvait déjà avoir conféré à la requérante le contrôle de Morpol.

12      Le 12 février 2013, la Commission a envoyé à la requérante une demande de renseignements concernant l’acquisition éventuelle d’un contrôle de fait de Morpol à la suite de l’acquisition de décembre 2012. Elle a également demandé que lui soient fournis l’ordre du jour et le procès‑verbal des assemblées générales de Morpol et des réunions du conseil d’administration de Morpol des trois dernières années. La requérante a répondu partiellement à cette demande le 19 février 2013 et a produit une réponse complète à celle-ci le 25 février 2013.

13      Le 5 mars 2013, la requérante a soumis un premier projet de formulaire de notification, tel que figurant à l’annexe I du règlement (CE) n° 802/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 133, p. 1) (ci-après le « premier projet de formulaire CO »). Le premier projet de formulaire CO portait essentiellement sur un marché global comprenant l’élevage ainsi que la transformation primaire et la transformation secondaire du saumon de toutes origines.

14      Le 14 mars 2013, la Commission a envoyé à la requérante une demande de renseignements complémentaires concernant le premier projet de formulaire CO. Le 16 avril 2013, la requérante a répondu à cette demande de renseignements. La Commission a considéré que cette réponse était incomplète et a envoyé d’autres demandes de renseignements les 3 mai, 14 juin et 10 juillet 2013. La requérante a répondu à ces demandes respectivement les 6 juin, 3 et 26 juillet 2013.

C.      Notification et décision autorisant la concentration sous réserve du respect de certains engagements

15      Le 9 août 2013, l’opération a été officiellement notifiée à la Commission.

16      Lors d’une réunion‑bilan qui s’est tenue le 3 septembre 2013, la Commission a informé la requérante et Morpol du fait qu’elle nourrissait des doutes sérieux quant à la compatibilité de l’opération avec le marché intérieur pour ce qui concernait un marché potentiel du saumon écossais.

17      Afin d’éliminer les doutes sérieux identifiés par la Commission, la requérante a proposé, le 9 septembre 2013, des engagements, conformément à l’article 6, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1). La Commission a soumis ces engagements initiaux à une consultation du marché. Après certaines modifications, une série d’engagements finaux a été présentée le 25 septembre 2013. La requérante s’est engagée à céder environ trois quarts de la capacité d’élevage du saumon écossais se chevauchant entre les parties à la concentration, dissipant ainsi les doutes sérieux identifiés par la Commission.

18      Le 30 septembre 2013, la Commission a adopté la décision C(2013) 6449 (affaire COMP/M.6850 – Marine Harvest/Morpol) (ci-après la « décision d’autorisation »), conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, autorisant l’opération de concentration sous réserve du respect intégral des engagements proposés.

19      Dans la décision d’autorisation, la Commission a constaté que l’acquisition de décembre 2012 avait déjà conféré à la requérante le contrôle exclusif de fait de Morpol. Elle a affirmé que l’on ne pouvait exclure une violation de l’obligation de statu quo, prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, et de l’obligation de notification, prévue à l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement. Elle a également relevé qu’elle pouvait examiner, dans le cadre d’une procédure distincte, s’il convenait d’appliquer une sanction au titre de l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

D.      Décision attaquée et procédure ayant conduit à l’adoption de celle-ci

20      Dans une lettre du 30 janvier 2014, la Commission a informé la requérante qu’une enquête était en cours concernant les éventuelles violations de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

21      Le 31 mars 2014, la Commission a adressé une communication des griefs à la requérante, conformément à l’article 18 du règlement n° 139/2004 (ci-après la « communication des griefs »). Dans la communication des griefs, la Commission est parvenue à la conclusion préliminaire selon laquelle la requérante avait violé de propos délibéré, ou au moins par négligence, l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

22      Le 30 avril 2014, la requérante a présenté sa réponse à la communication des griefs. Le 6 mai 2014, la requérante a présenté les arguments figurant dans sa réponse au cours d’une audition. Le 7 juillet 2014, une réunion du comité consultatif en matière de concentrations entre entreprises s’est tenue.

23      Le 23 juillet 2014, la Commission a adopté la décision C(2014) 5089 final, infligeant une amende pour la réalisation d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 (affaire COMP/M.7184 – Marine Harvest/Morpol) (ci-après la « décision attaquée »).

24      Les trois premiers articles du dispositif de la décision attaquée sont libellés comme suit :

« Article 1

En réalisant une concentration de dimension communautaire pendant la période s’étendant du 18 décembre 2012 au 30 septembre 2013, avant qu’elle n’ait été notifiée et déclarée compatible avec le marché intérieur, [la requérante] a violé l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 139/2004.

Article 2

Une amende de 10 000 000 euros est infligée à [la requérante] pour la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 139/2004 visée à l’article 1.

Article 3

Une amende de 10 000 000 euros est infligée à [la requérante] pour la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 139/2004 visée à l’article 1. »

25      Dans la décision attaquée, la Commission a, tout d’abord, considéré que la requérante avait acquis le contrôle exclusif de fait de Morpol après la clôture de l’acquisition de décembre 2012, car la requérante aurait eu la quasi‑certitude d’obtenir une majorité aux assemblées générales, compte tenu du taux de sa participation (48,5 %) et du taux de présence d’autres actionnaires aux assemblées générales au cours des années antérieures.

26      La Commission a, ensuite, considéré que l’acquisition de décembre 2012 ne bénéficiait pas de l’exemption prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. À cet égard, elle a relevé que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 ne s’appliquait qu’à des offres publiques d’achat ou d’échange ou à des opérations par lesquelles le contrôle au sens de l’article 3 du règlement n° 139/2004 était acquis « par l’intermédiaire de plusieurs vendeurs » au moyen d’une série de transactions sur titres. Selon la Commission, en l’espèce, la participation de contrôle a été acquise auprès d’un seul vendeur, à savoir M. M., par l’intermédiaire de Friendmall et Bazmonta Holding, grâce à l’acquisition de décembre 2012.

27      Selon la Commission, l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 n’est pas destiné à s’appliquer à des situations dans lesquelles l’acquisition d’un important volume d’actions est réalisée auprès d’un seul vendeur et où il est aisé d’établir, sur la base des votes exprimés lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires précédentes, que ce volume d’actions confère un contrôle exclusif de fait de la société cible.

28      La Commission a, de plus, relevé que l’acquisition de décembre 2012, qui avait été clôturée le 18 décembre 2012, ne faisait pas partie de la réalisation de l’offre publique d’achat, laquelle a été réalisée entre le 15 janvier et le 26 février 2013. Elle a considéré que le fait que l’acquisition de décembre 2012 était susceptible d’avoir déclenché l’obligation pour la requérante de lancer l’offre publique d’achat pour les actions restantes de Morpol était dénué de pertinence, dès lors que le contrôle de fait avait déjà été acquis par l’intermédiaire d’un seul vendeur.

29      La Commission a en outre estimé que les renvois, par la requérante, à des sources juridiques selon lesquelles « plusieurs étapes unitaires » seraient considérées comme constituant une seule concentration lorsqu’elles faisaient, de droit ou de fait, l’objet d’un lien conditionnel, semblaient être déplacés. Elle a souligné que la requérante avait acquis le contrôle de Morpol par le biais d’un seul achat de 48,5 % des actions de Morpol, et non par le biais d’opérations partielles multiples portant sur des éléments d’actifs constituant, en fin de compte, une seule entité économique.

30      La Commission a relevé que, selon l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004, pour fixer le montant de l’amende, il y avait lieu de prendre en considération la nature, la gravité et la durée de l’infraction.

31      Elle a considéré que toute violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 constituait, par nature, une infraction grave.

32      Dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction, la Commission a pris en compte le fait que, selon elle, l’infraction commise par la requérante l’avait été par négligence, que la concentration en cause soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, ainsi que le fait qu’il existait des affaires précédentes d’infractions procédurales concernant la requérante ainsi que d’autres sociétés.

33      En ce qui concerne la durée de l’infraction, la Commission a relevé qu’une violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 était une infraction instantanée et qu’elle avait été commise en l’espèce le 18 décembre 2012, à savoir à la date de la réalisation de la concentration. Elle a en outre considéré qu’une violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 était une infraction continue et qu’elle avait duré, en l’espèce, du 18 décembre 2012 jusqu’au 30 septembre 2013, à savoir de la date de la réalisation de l’acquisition de décembre 2012 jusqu’à la date de son autorisation. Selon la Commission, la durée de neuf mois et douze jours était particulièrement longue.

34      La Commission a retenu, en tant que circonstance atténuante, le fait que la requérante n’avait pas exercé ses droits de vote au sein de Morpol et l’avait maintenue en tant qu’entité séparée de la requérante pendant la procédure de contrôle de la concentration.

35      Elle a également retenu comme circonstance atténuante le fait que la requérante avait soumis une demande de désignation d’une équipe quelques jours après la clôture de l’acquisition de décembre 2012.

36      En revanche, la Commission n’a pas retenu l’existence de circonstances aggravantes.

37      La Commission a considéré que, dans le cas d’une entreprise de la taille de la requérante, le montant de la sanction devait être important pour avoir un effet dissuasif. Tel serait d’autant plus le cas lorsque l’opération de concentration en cause a soulevé des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur.

II.    Procédure et conclusions des parties

38      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 octobre 2014, la requérante a introduit le présent recours.

39      Par acte séparé, déposé le même jour au greffe du Tribunal, la requérante a demandé au Tribunal, conformément à l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, de statuer selon une procédure accélérée. Par lettre du 17 octobre 2014, la Commission a soumis ses observations quant à cette demande. Par décision du 23 octobre 2014, le Tribunal a rejeté la demande de traitement accéléré.

40      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 de son règlement de procédure, le Tribunal a posé des questions écrites aux parties et demandé à la Commission de produire certains documents. Les parties ont répondu aux questions écrites et la Commission a produit les documents demandés.

41      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler les amendes imposées à la requérante au titre de la décision attaquée ;

–        à titre très subsidiaire, réduire substantiellement les amendes imposées à la requérante au titre de la décision attaquée ;

–        en toute hypothèse, condamner la Commission aux dépens ;

–        prendre toutes autres mesures que le Tribunal juge appropriées.

42      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

43      À l’appui du recours, la requérante soulève cinq moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur manifeste de droit et de fait, en ce que la décision attaquée a rejeté l’applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. Le deuxième moyen est tiré d’une erreur manifeste de droit et de fait en ce que la décision attaquée conclut que la requérante a été négligente. Le troisième moyen est tiré d’une violation du principe général ne bis in idem. Le quatrième moyen est tiré d’une erreur manifeste de droit et de fait commise en imposant des amendes à la requérante. Enfin, le cinquième moyen est tiré d’une erreur manifeste de droit et de fait et d’une absence de motivation en ce qui concerne la fixation des niveaux des amendes.

A.      Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste de droit et de fait, en ce que la décision attaquée a rejeté l’applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004

44      Le premier moyen s’articule autour de quatre branches. La première est tirée de ce que la décision attaquée est erronée en droit et en fait en ce qu’elle a rejeté la notion de concentration unique dans le cadre de son interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. La deuxième branche est tirée d’une interprétation erronée, en fait et en droit, du libellé de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. La troisième branche est tirée d’une interprétation erronée de la raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. Enfin, la quatrième branche est tirée de ce que la requérante s’est conformée à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

45      En l’espèce, il convient d’examiner ensemble les trois premières branches du premier moyen, qui ont toutes trait à la question de l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

1.      Sur les trois premières branches du premier moyen

a)      Observations liminaires

46      Il convient de rappeler, tout d’abord, que l’article 14, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 139/2004 prévoit ce qui suit :

« La Commission peut, par voie de décision, infliger aux personnes visées à l’article 3, paragraphe 1, [sous] b), ou aux entreprises concernées des amendes jusqu’à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées au sens de l’article 5, lorsque de propos délibéré ou par négligence :

a)       elles omettent de notifier une concentration conformément à l’article 4 ou à l’article 22, paragraphe 3, avant sa réalisation, à moins qu’elles n’y soient expressément autorisées par l’article 7, paragraphe 2, ou par une décision prise en vertu de l’article 7, paragraphe 3 ;

b)       elles réalisent une concentration en violation de l’article 7. »

47      Selon l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 139/2004, « [l]es concentrations de dimension communautaire visées par le présent règlement doivent être notifiées à la Commission avant leur réalisation et après la conclusion de l’accord, la publication de l’offre publique d’achat ou d’échange ou l’acquisition d’une participation de contrôle ».

48      Selon l’article 7, paragraphe 1, du même règlement, « [u]ne concentration de dimension communautaire […] ne peut être réalisée ni avant d’être notifiée ni avant d’avoir été déclarée compatible avec le marché [intérieur] par une décision prise en vertu de l’article 6, paragraphe 1, [sous] b), ou de l’article 8, paragraphes 1 ou 2, ou sur la base de la présomption établie à l’article 10, paragraphe 6 ».

49      En outre, selon l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 :

« 1.      Une concentration est réputée réalisée lorsqu’un changement durable du contrôle résulte :

[…]

b)       de l’acquisition, par une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d’une entreprise au moins ou par une ou plusieurs entreprises, du contrôle direct ou indirect de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d’éléments d’actifs, contrat ou tout autre moyen. »

50      Enfin, selon l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, « [l]e contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise ».

51      En l’espèce, il y a lieu de constater d’emblée que, grâce à l’acquisition de décembre 2012, la requérante a acquis un intérêt dans Morpol s’élevant à environ 48,5 % du capital social de Morpol.

52      Ainsi que la Commission l’a constaté au point 55 de la décision attaquée, sans être contredite sur ce point par la requérante, à l’époque de l’acquisition de décembre 2012, Morpol était une société anonyme norvégienne et, à ce titre, les droits de vote étaient attribués selon le principe « une action donne droit à une voix ». Une simple majorité des actions présentes et votantes lors des assemblées générales suffisait donc pour adopter une motion, sauf pour quelques opérations qui nécessitaient une majorité qualifiée de deux tiers.

53      La Commission a en outre relevé à juste titre, au point 57 de la décision attaquée, qu’un actionnaire minoritaire peut être considéré comme détenant un contrôle exclusif de fait, notamment lorsque celui‑ci a la quasi‑certitude d’obtenir une majorité aux assemblées générales, compte tenu du taux de sa participation et du taux de présence d’autres actionnaires aux assemblées générales au cours des années antérieures (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, points 45 à 48).

54      Ensuite, la Commission a relevé que M. M. (par l’intermédiaire de Friendmall et Bazmonta Holding) a toujours représenté une nette majorité des votes exprimés lors des assemblées générales et que le reste du capital de Morpol était très dispersé, ce qui impliquerait que les actionnaires restants n’auraient pas été capables de former une minorité de blocage apte à dominer le pouvoir de décision de M. M., notamment en raison du faible nombre d’entre eux assistant aux assemblées générales.

55      La Commission a donc conclu, sans être contredite sur ce point par la requérante, qu’avant l’acquisition de décembre 2012 M. M. exerçait le contrôle exclusif de fait de Morpol par le biais de ses intérêts dans Friendmall et Bazmonta Holding.

56      Enfin, la Commission a conclu à juste titre que l’acquisition de décembre 2012 avait conféré à la requérante les mêmes droits et les mêmes possibilités d’exercer une influence déterminante sur Morpol que ceux dont M. M. bénéficiait antérieurement par l’intermédiaire de Friendmall et Bazmonta Holding.

57      Il résulte de ce qui précède que c’est à juste titre que la Commission a constaté, au point 68 de la décision attaquée, que la requérante avait acquis le contrôle de Morpol après la clôture de l’acquisition de décembre 2012.

58      La requérante souligne à plusieurs reprises, bien que dans d’autres contextes, qu’elle n’a pas exercé ses droits de vote avant l’autorisation de la concentration par la Commission. À cet égard, il y a lieu de constater que, selon l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, le contrôle découle notamment des droits qui confèrent la « possibilité » d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise. Le fait déterminant est donc l’acquisition de ce contrôle au sens formel et non l’exercice effectif d’un tel contrôle (voir, par analogie, arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 189). Le fait que la détention des droits de vote conférait à la requérante le contrôle de fait de Morpol n’est pas remis en cause par la circonstance que la requérante n’a pas exercé ses droits de vote avant l’autorisation de la concentration.

59      Ainsi que la Commission l’a relevé, aux points 72 et 73 de la décision attaquée, certains articles du SPA semblaient sous-entendre que la requérante n’exercerait ses droits de vote dans Morpol qu’après avoir obtenu l’autorisation des autorités de concurrence. Cependant, le SPA ne contient aucune disposition empêchant la requérante d’exercer ses droits de vote en attendant l’autorisation. La requérante aurait, dès lors, été libre d’exercer ses droits de vote dans Morpol à tout moment après la clôture de l’acquisition de décembre 2012.

60      La requérante a d’ailleurs confirmé, en réponse à une question du Tribunal posée lors de l’audience, qu’elle ne contestait pas que l’acquisition de la participation de 48,5 % de Morpol lui avait conféré le contrôle de Morpol au sens du règlement n° 139/2004.

61      Ainsi que la Commission l’a relevé, aux points 8, 13 et 66 de la décision attaquée, la clôture de l’acquisition de décembre 2012 a eu lieu le 18 décembre 2012. La requérante concède, au point 13 de la requête, que, le 18 décembre 2012, le SPA a été clôturé et les actions que M. M. possédait dans Morpol ont été transférées à la requérante.

62      La requérante ne conteste pas le fait que la concentration en cause était une concentration revêtant une dimension communautaire.

63      Étant donné que la requérante a obtenu le contrôle de Morpol grâce à l’acquisition de décembre 2012, elle aurait dû, en principe, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, notifier cette concentration à la Commission avant sa réalisation et ne pas la réaliser avant qu’elle ait été déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission.

64      Il résulte des constatations qui précèdent que la question pertinente aux fins de l’examen des trois premières branches du premier moyen est celle de savoir si l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 était applicable en l’espèce.

b)      Sur l’applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004

65      L’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 dispose ce qui suit :

« Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle à la réalisation d’une offre publique d’achat ou d’échange ou d’opérations par lesquelles le contrôle au sens de l’article 3 est acquis par l’intermédiaire de plusieurs vendeurs au moyen d’une série de transactions sur titres, y compris sur ceux qui sont convertibles en d’autres titres admis à être négociés sur un marché tel qu’une [B]ourse de valeurs pour autant :

a)       que la concentration soit notifiée sans délai à la Commission conformément à l’article 4, et

b)       que l’acquéreur n’exerce pas les droits de vote attachés aux participations concernées ou ne les exerce qu’en vue de sauvegarder la pleine valeur de son investissement et sur la base d’une dérogation octroyée par la Commission conformément au paragraphe 3. »

66      L’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 prévoit donc deux cas de figure : l’un lié à une offre publique d’achat ou d’échange (premier cas de figure) et l’autre lié à une série de transactions sur titres (second cas de figure).

67      En réponse à une question posée à cet égard lors de l’audience, la requérante a précisé qu’elle fondait son raisonnement sur le premier cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

1)      Sur le fait que la concentration en cause n’est pas couverte par le libellé de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004

68      Il convient de rappeler que, selon le premier cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, « [l]e paragraphe 1 ne fait pas obstacle à la réalisation d’une offre publique d’achat ou d’échange », pour autant que la concentration soit notifiée sans délai et que l’acquéreur n’exerce pas ses droits de vote avant l’autorisation de la concentration.

69      En l’espèce, il y a lieu de relever que la Commission n’a pas constaté que la requérante avait violé l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 en réalisant l’offre publique d’achat. Elle a constaté que la requérante avait violé l’article 7, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 par l’acquisition de décembre 2012. Il convient de rappeler que l’offre publique d’achat a seulement été soumise le 15 janvier 2013, à savoir après la clôture de l’acquisition de décembre 2012.

70      Le fait que, selon l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, le paragraphe 1 de ce même article ne fait pas obstacle à la réalisation d’une offre publique d’achat est donc, en principe, dénué de pertinence dans la présente affaire.

71      Le premier cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 permet, dans certaines circonstances, la réalisation d’une offre publique avant notification et autorisation, même si celle-ci constitue une concentration de dimension communautaire. Selon son libellé, cette disposition ne permet cependant pas la réalisation d’une acquisition privée.

72      Il y a donc lieu de constater que, selon son libellé, le premier cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 n’est pas applicable en l’espèce.

73      Bien que la requérante ait indiqué, lors de l’audience, qu’elle se fondait sur le premier cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, il convient de relever que la concentration en cause n’est pas non plus couverte par le libellé du second cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

74      Selon le second cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, « [l]e paragraphe 1 ne fait pas obstacle à la réalisation […] d’opérations par lesquelles le contrôle au sens de l’article 3 est acquis par l’intermédiaire de plusieurs vendeurs au moyen d’une série de transactions sur titres, y compris sur ceux qui sont convertibles en d’autres titres admis à être négociés sur un marché tel qu’une [B]ourse de valeurs », pour autant que certaines conditions sont remplies.

75      Il y a lieu de constater que, en l’espèce, la requérante a acquis le contrôle de Morpol par l’intermédiaire d’un seul vendeur au moyen d’une seule transaction sur titres, à savoir l’acquisition de décembre 2012, ainsi que la Commission l’a relevé au point 101 de la décision attaquée.

76      En effet, étant donné que M. M. contrôlait, à l’époque, Friendmall et Bazmonta Holding, M. M. était le seul vendeur des actions de Morpol.

77      À cet égard, la requérante a fait valoir, lors de l’audience, que, dans sa décision du 26 février 2007 (affaire LGI/Telenet – COMP/M.4521) (ci-après la « décision LGI/Telenet »), la Commission n’avait pas posé la question de savoir qui contrôlait en définitive les entités qui avaient vendu les actions de la société Telenet. Selon la requérante, ces entités, à savoir des intercommunales, étaient contrôlées en définitive par la région flamande. La requérante a souligné que, en l’espèce, la Commission s’était fondée sur la circonstance selon laquelle Friendmall et Bazmonta Holding étaient toutes deux contrôlées par M. M., de sorte que la requérante n’aurait, selon la Commission, pas acquis le contrôle par l’intermédiaire de plusieurs vendeurs, mais qu’elle n’avait pas posé la même question dans l’affaire ayant donné lieu à la décision LGI/Telenet.

78      En premier lieu, il convient de relever que le Tribunal n’est pas lié par la pratique décisionnelle de la Commission. En second lieu, il ressort du tableau relatif à la participation aux assemblées générales des actionnaires, figurant au point 59 de la décision attaquée, que Friendmall détenait à elle seule une majorité très claire de voix au cours de la totalité de ces assemblées générales. La requérante a donc acquis le contrôle exclusif de fait de Morpol même par l’intermédiaire de l’acquisition des seules actions qui appartenaient à Friendmall. En outre, ainsi que la Commission l’a constaté au point 63 de la décision attaquée, la requérante a reconnu, en réponse à la demande de renseignements de la Commission du 12 février 2013, que Morpol s’était retrouvée sous le contrôle exclusif de Friendmall, compte tenu des actions représentées dans les assemblées générales annuelles et extraordinaires. Il n’est donc pas nécessaire d’analyser en détail, dans ce cadre, les faits qui étaient à la base de la décision LGI/Telenet (voir point 77 ci-dessus).

79      Ainsi que la Commission l’a constaté, au point 66 de la décision attaquée, l’acquisition de décembre 2012 a été close le 18 décembre 2012.

80      L’offre publique d’achat a été soumise seulement le 15 janvier 2013, à savoir à une date où la requérante détenait d’ores et déjà le contrôle exclusif de fait de Morpol.

81      S’il est exact que le rachat total de Morpol par la requérante a eu lieu en plusieurs étapes et par l’intermédiaire de plusieurs vendeurs, l’acquisition du contrôle a eu lieu au moyen d’une seule transaction et par l’intermédiaire d’un seul vendeur. Le contrôle n’a donc été acquis ni par l’intermédiaire de plusieurs vendeurs ni au moyen d’une série de transactions.

82      Il s’ensuit que, selon son libellé, le second cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 n’est pas non plus applicable.

83      Il y a donc lieu de constater que, selon le libellé de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, l’acquisition de décembre 2012 n’est pas couverte par cette disposition.

84      Le raisonnement de la requérante se fonde sur l’existence d’une concentration unique, en ce sens que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat ultérieure constitueraient une unité. Il convient donc d’examiner le bien-fondé de cette argumentation.

2)      Sur l’argumentation de la requérante tirée de la prétendue existence d’une concentration unique

i)      Observations liminaires

85      La requérante fait valoir que la décision attaquée ignore le lien juridique essentiel et la conditionnalité entre l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique, et qu’elle présente un raisonnement qui est en contradiction avec le règlement n° 139/2004, la jurisprudence du Tribunal, la communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement n° 139/2004 (version rectifiée JO 2009, C 43, p. 10, ci-après la « communication consolidée sur la compétence »), la pratique décisionnelle de la Commission ainsi que la pratique dans les États membres.

86      Selon la requérante, la Commission aurait dû conclure que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat ultérieure constituaient des étapes d’une concentration unique.

87      Il convient de rappeler dans ce cadre que la requérante a précisé, lors de l’audience, qu’elle fondait son raisonnement sur le premier cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. Il en découle que la requérante fait en substance valoir que l’acquisition de décembre 2012, bien qu’antérieure au lancement de l’offre publique d’achat, faisait partie de celle-ci, de sorte que la Commission a, selon la requérante, en substance constaté une infraction consistant en la réalisation d’une offre publique d’achat, et ce bien qu’il ressortît du premier cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 que l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement ne faisait pas obstacle à une telle réalisation.

88      Il y a lieu d’examiner si l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat peuvent, ou non, être considérées comme une concentration unique.

89      Il convient de préciser, tout d’abord, que la notion de « concentration unique » ne figurait pas dans le règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1989, L 395, p. 1), qui a précédé le règlement n° 139/2004.

90      La Commission s’est, dans plusieurs décisions, appuyée sur le concept d’une « concentration unique » et le Tribunal a entériné ce concept, notamment dans l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64).

91      En ce qui concerne le règlement n° 139/2004, il y a lieu de constater que la notion de « concentration unique » figure uniquement au considérant 20, et non dans les articles de ce règlement.

92      La troisième phrase du considérant 20 du règlement n° 139/2004 est libellée de la manière suivante :

« Il convient en outre de traiter comme une concentration unique des opérations qui sont étroitement liées en ce qu’elles font l’objet d’un lien conditionnel ou prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref. »

93      Dans la pratique, la Commission s’est appuyée sur le concept de concentration unique dans deux cas de figure.

94      À cet égard, la communication consolidée sur la compétence énonce, au point 44, ce qui suit :

« Le principe selon lequel des opérations multiples peuvent être assimilées à une opération de concentration unique dans les conditions décrites ci-dessus ne s’applique que s’il en résulte une prise de contrôle d’une ou de plusieurs entreprises par la ou les mêmes personnes ou entreprises. Premièrement, il peut en être ainsi lorsqu’une activité ou une entreprise individuelle est acquise par le biais de plusieurs opérations juridiques. Deuxièmement, la prise de contrôle de plusieurs entreprises – qui, en tant que telle, pourrait être assimilée à des concentrations distinctes – peut être considérée, par les liens qu’elle fait apparaître, comme constituant une concentration unique. »

95      Il existe donc deux hypothèses, à savoir, premièrement, l’acquisition d’une activité ou d’une entreprise individuelle par le biais de plusieurs opérations juridiques et, deuxièmement, la prise de contrôle de plusieurs entreprises qui, en tant que telle, pourrait être assimilée à des concentrations distinctes.

96      Par ailleurs, la troisième phrase du considérant 20 du règlement n° 139/2004 mentionne deux possibilités afin d’établir l’existence d’une concentration unique. Les opérations doivent être étroitement liées en ce que, soit, elles font l’objet d’un lien conditionnel, soit, elles prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref.

97      En réponse à une question posée à cet égard lors de l’audience, la requérante a confirmé qu’elle se fondait sur la première possibilité mentionnée à la troisième phrase du considérant 20 du règlement n° 139/2004, relative aux transactions faisant l’objet d’un lien conditionnel, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

98      Il convient donc d’examiner la question de savoir si, en l’espèce, l’existence d’une concentration unique peut être établie sur la base de la première possibilité mentionnée à la troisième phrase du considérant 20 du règlement n° 139/2004.

99      La concentration en cause en l’espèce ne relève clairement pas de la seconde hypothèse telle que définie au point 95 ci-dessus, à savoir de celle d’une prise de contrôle de plusieurs entreprises.

100    Il y a donc lieu d’examiner si la concentration en cause relève de la première hypothèse telle que définie au point 95 ci-dessus, à savoir de celle de l’acquisition d’une entreprise individuelle par le biais de plusieurs opérations juridiques.

101    La requérante considère que plusieurs opérations constituent une concentration unique si ces transactions sont interdépendantes de sorte que l’une n’aurait pas été réalisée sans les autres. Elle estime, en substance, que le seul fait que plusieurs transactions fassent l’objet d’un lien conditionnel suffit afin de considérer qu’elles font partie d’une concentration unique. Ainsi, elle relève que la Commission aurait dû considérer que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique avaient un « caractère unitaire », tant en droit qu’en fait, ce qui imposait de les examiner et de les apprécier ensemble, en tant qu’éléments d’une concentration unique.

102    En revanche, la Commission a relevé, au point 105 de la décision attaquée, qu’elle considérait « comme dénué de pertinence le fait que [la requérante] a[vait] peut‑être perçu l’acquisition de décembre 2012 et les étapes suivantes de sa reprise de Morpol comme faisant partie économiquement de la même opération ». En outre, la Commission a relevé, au point 113 de la décision attaquée, que « les renvois, par [la requérante], à des sources juridiques selon lesquelles “plusieurs étapes unitaires” seraient considérées comme constituant une concentration unique lorsqu’elles font, de droit ou de fait, l’objet d’un lien conditionnel, sembl[ai]ent être déplacés », ce qu’elle a expliqué plus en détail aux points 114 à 117 de la décision attaquée. La Commission ne s’est pas prononcée, dans la décision attaquée, sur la question de savoir s’il existait ou non une conditionnalité de droit ou de fait entre l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat ultérieure.

103    Il convient donc d’examiner la question de savoir si, dans le cadre de la première hypothèse, à savoir de celle de l’acquisition d’une entreprise individuelle par le biais de plusieurs opérations juridiques, la seule existence d’une conditionnalité de droit ou de fait est suffisante afin de constater l’existence d’une concentration unique, et cela même lorsque le contrôle de l’entreprise cible est acquis par le biais d’une seule transaction privée avant le lancement d’une offre publique d’achat.

104    Dans ce cadre, il convient d’examiner, premièrement, les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec la communication consolidée sur la compétence, deuxièmement, les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec la jurisprudence du Tribunal et avec la pratique décisionnelle de la Commission, troisièmement, les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec le considérant 20 du règlement n° 139/2004, quatrièmement, les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec la pratique dans les États membres et, cinquièmement, les arguments de la requérante selon lesquels la Commission a interprété de manière erronée la raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

ii)    Sur les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec la communication consolidée sur la compétence

105    La requérante considère que la position adoptée par la Commission dans la décision attaquée est en contradiction avec la communication consolidée sur la compétence. La requérante affirme que la communication consolidée sur la compétence indique, au point 43, que « deux ou plusieurs opérations constituent une concentration unique lorsqu’elles sont liées en droit, c’est-dire que les accords eux-mêmes sont liés par une “conditionnalité réciproque”, ou en fait, […] ».

106    Cependant, cet argument de la requérante repose sur une lecture erronée du point 43 de la communication consolidée sur la compétence. Ce point est libellé de la manière suivante :

« La conditionnalité requise implique qu’aucune des opérations ne pourrait avoir lieu sans les autres et que l’ensemble de ces opérations constitue dès lors une opération unique. Cette conditionnalité est normalement démontrée dès lors que les opérations sont liées en droit, c’est-à-dire lorsque les accords eux-mêmes sont liés par une conditionnalité réciproque. Si une conditionnalité de fait peut être établie de manière satisfaisante, elle peut être également suffisante pour permettre de considérer les opérations comme une opération de concentration unique. Pour ce faire, il convient d’évaluer, sur le plan économique, si chacune des opérations dépend de la réalisation des autres. L’interdépendance d’opérations multiples peut apparaître au vu des déclarations faites par les parties elles-mêmes ou de la conclusion simultanée des accords en cause ; en l’absence de cette simultanéité, il sera difficile de conclure à l’inter-conditionnalité de fait d’opérations multiples. Une absence manifeste de simultanéité pour des opérations faisant juridiquement l’objet d’un lien conditionnel sera, elle aussi, de nature à susciter le doute quant à leur véritable interdépendance. »

107    En ce qui concerne la notion de « concentration unique », ce point contient uniquement le constat selon lequel une conditionnalité de fait « peut » être également suffisante pour permettre de considérer les opérations comme une opération de concentration unique. Il ne résulte pas de cette formulation qu’une conditionnalité est toujours suffisante pour pouvoir assimiler des opérations multiples à une concentration unique.

108    Il convient de relever que la première phrase du point 45 de la communication consolidée sur la compétence est formulée de la manière suivante :

« Il peut dès lors y avoir concentration unique lorsque le ou les mêmes acheteurs prennent le contrôle d’une entreprise unique, c’est-à-dire d’une seule et même entité économique, par le biais de plusieurs opérations juridiques, dès lors que celles-ci font l’objet d’un lien conditionnel » (italique ajouté).

109    Ce point concerne, comme son titre l’indique, l’« [a]cquisition d’une entreprise unique » (à savoir la première hypothèse telle que définie au point 95 ci-dessus). Il est nécessaire, selon le point 45 de la communication consolidée sur la compétence, afin qu’il puisse exister une concentration unique dans la première hypothèse, que la prise de contrôle s’effectue par le biais de plusieurs opérations juridiques. Cependant, en l’espèce, la prise de contrôle s’est faite par le biais de la seule acquisition de décembre 2012, qui avait été clôturée avant le lancement de l’offre publique d’achat pour les actions restantes de Morpol.

110    La requérante s’appuie en outre sur le point 40 de la communication consolidée sur la compétence, qui énonce, à sa première phrase, que, « dans le cadre du règlement [n° 139/2004], les opérations qui constituent un tout en fonction des objectifs économiques poursuivis par les parties doivent également être appréciées dans le cadre d’une seule et même procédure ». Il y a toutefois lieu de relever que la deuxième phrase du point 40 de la communication consolidée sur la compétence précise que, « [d]ans ces cas, la modification de la structure du marché est induite par l’ensemble de ces opérations mises bout à bout ». Le point 40 de la communication consolidée sur la compétence concerne donc les situations dans lesquelles la modification de la structure du marché est induite par un ensemble d’opérations, et non les situations dans lesquelles la modification de la structure du marché, à savoir la prise de contrôle d’une entreprise cible individuelle, s’effectue au moyen d’une seule opération.

111    Selon la communication consolidée sur la compétence, lorsque le contrôle d’une entreprise unique est acquis au moyen de plusieurs opérations, il est possible, sous certaines conditions, de considérer ces opérations comme une concentration unique. La prise de contrôle au moyen de plusieurs opérations constitue donc, selon la communication consolidée sur la compétence, une condition pour pouvoir appliquer le concept de concentration unique dans la première hypothèse telle que définie au point 95 ci-dessus, à savoir celle de l’acquisition d’une activité ou d’une entreprise individuelle par le biais de plusieurs opérations juridiques.

112    La requérante fait en substance valoir que, puisque l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat ultérieure sont liées par une conditionnalité, elles constituent une concentration unique, et elle en conclut qu’elle a acquis le contrôle de Morpol au moyen de plusieurs opérations.

113    Cependant, la prise de contrôle d’une entreprise individuelle au moyen de plusieurs opérations constitue, selon la communication consolidée sur la compétence, une condition pour pouvoir considérer plusieurs opérations comme une concentration unique, et non une conséquence du fait que ces opérations constituent une concentration unique.

114    En l’espèce, cette condition n’est pas remplie, car le contrôle de Morpol n’a pas été acquis au moyen de plusieurs opérations.

115    Lors de l’audience, la requérante s’est également appuyée sur le point 38 de la communication consolidée sur la compétence. Elle a souligné qu’il ressortait de ce point que la question décisive afin d’apprécier la question de savoir si plusieurs opérations constituaient une concentration unique était celle de savoir si le « résultat final » aboutissait à une concentration unique. Selon la requérante, le « résultat final » doit être considéré comme l’acquisition de 100 % des actions de Morpol qui avait été envisagée par la requérante dès le début.

116    À cet égard, il convient de souligner que le point 38 de la communication consolidée sur la compétence constitue en substance un résumé des points 104 à 109 de l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), auxquels il est fait référence dans la note en bas de page n° 43 de cette communication. Ainsi qu’il ressort du point 128 ci-après, il résulte du point 104 de cet arrêt que la question pertinente n’est pas celle du moment auquel l’acquisition de la totalité des actions d’une entreprise cible a eu lieu, mais celle du moment auquel l’acquisition du contrôle a eu lieu. Le point 38 de la communication consolidée sur la compétence ne contient aucun élément permettant de considérer que, lorsqu’une entreprise a dès le début l’intention d’acquérir la totalité des actions d’une entreprise cible, le « résultat final » doit être défini par rapport à l’acquisition de la totalité des actions et non par rapport à l’acquisition du contrôle.

117    Au contraire, la première phrase du point 38 de la communication consolidée sur la compétence, tout comme le point 104 de l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), fait clairement référence à la définition d’une concentration figurant à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, le résultat étant « l’acquisition du contrôle » d’une ou de plusieurs entreprises. Par ailleurs, selon la troisième phrase du point 38 de la communication consolidée sur la compétence, « [t]oute la question est alors de savoir si le résultat conduit à conférer à une ou plusieurs entreprises un contrôle économique direct ou indirect sur les activités d’une ou de plusieurs autres entreprises ». Cette phrase confirme que le « résultat » doit être défini par rapport à la prise de contrôle de l’entreprise cible.

118    En l’espèce, ce résultat, à savoir l’acquisition du contrôle, a été obtenu à la suite de la seule acquisition de décembre 2012.

119    Contrairement à ce qu’affirme la requérante, la décision attaquée est donc conforme à la communication consolidée sur la compétence.

iii) Sur les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec la jurisprudence du Tribunal et la pratique décisionnelle de la Commission

120    La requérante affirme en outre que le raisonnement de la Commission dans la décision attaquée est en contradiction avec la jurisprudence du Tribunal et avec la pratique décisionnelle de la Commission.

121    À cet égard, il convient de relever ce qui suit.

122    La requérante s’appuie, en premier lieu, sur l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64).

123    Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, se posait la question de savoir si plusieurs groupes de transactions constituaient plusieurs concentrations distinctes ou une seule concentration (arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, points 8, 45 et 91). Cette affaire relève donc de la seconde hypothèse telle que définie au point 95 ci-dessus, à savoir de celle de la prise de contrôle de plusieurs entreprises qui, en tant que telle, pourrait être assimilée à des concentrations distinctes. Il convient de rappeler à cet égard que la présente affaire ne relève pas de cette seconde hypothèse (voir point 99 ci-dessus).

124    Le Tribunal a constaté qu’il appartenait à la Commission d’apprécier si plusieurs transactions « présent[aient] un caractère unitaire de sorte qu’elles constitu[aient] une seule opération de concentration au sens de l’article 3 du règlement nº 4064/89 » (arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, point 105). Il a en outre relevé que, « afin de déterminer le caractère unitaire des transactions en cause, il s’agi[ssait], dans chaque cas d’espèce, d’apprécier si ces transactions [étaient] interdépendantes de sorte que l’une n’aurait pas été réalisée sans l’autre » (arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, point 107).

125    La requérante s’appuie sur le point 107 de l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), et affirme qu’il en résulte que plusieurs opérations juridiquement distinctes ont un caractère unitaire et constituent, dès lors, une concentration unique en vertu du règlement n° 139/2004 si « ces transactions sont interdépendantes de sorte que l’une n’aurait pas été réalisée sans l’autre ».

126    Cependant, il ne saurait être déduit de l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), que, à chaque fois que plusieurs transactions sont interdépendantes, elles constituent nécessairement une concentration unique.

127    Il y a lieu de relever que, au point 104 de l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), le Tribunal a constaté ce qui suit :

« Cette définition générale et finaliste d’une opération de concentration – le résultat étant le contrôle d’une ou plusieurs entreprises – implique qu’il est indifférent que l’acquisition, directe ou indirecte, de ce contrôle, ait été réalisée en une, deux ou plusieurs étapes par le biais d’une, deux ou plusieurs transactions, pour autant que le résultat atteint constitue une seule opération de concentration » (italique ajouté).

128    L’argument de la requérante, soulevé lors de l’audience, selon lequel il ressort du point 104 de l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), que la question pertinente est celle de savoir si le contrôle est acquis à la fin de la série des transactions, peu importe à quel moment ce contrôle est acquis, doit être rejeté. À cet égard, il y a lieu de souligner que le point 104 de cet arrêt ne mentionne pas l’acquisition de l’entreprise cible qui peut se faire en une ou plusieurs étapes, mais l’acquisition du contrôle qui peut se faire en une ou plusieurs étapes. La question pertinente n’est donc pas celle du moment auquel l’acquisition de la totalité des actions d’une entreprise cible a eu lieu, mais celle du moment auquel l’acquisition du contrôle a eu lieu. Il convient de relever que, lorsque, comme en l’espèce, l’acquisition du contrôle exclusif de fait de la seule entreprise cible a lieu au moyen d’une seule première transaction, les transactions ultérieures par lesquelles l’acquéreur obtient des parts supplémentaires de cette entreprise ne sont plus pertinentes pour acquérir le contrôle et donc pour réaliser la concentration.

129    Au point 108 de l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), le Tribunal a constaté que la démarche consistant à apprécier si les transactions étaient interdépendantes tendait notamment « à assurer aux entreprises qui notifi[ai]ent une opération de concentration le bénéfice de la sécurité juridique pour l’ensemble des transactions qui réalis[ai]ent cette opération ».

130    En l’espèce, il n’existe pas un ensemble de transactions « qui réalisent [l’]opération [de concentration] », car l’opération de concentration a été réalisée par la seule acquisition de décembre 2012.

131    Enfin, le Tribunal a relevé, au point 109 de l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), qu’une opération de concentration pouvait « se réaliser même en présence d’une pluralité de transactions juridiques formellement distinctes dès lors que ces transactions [étaient] interdépendantes de sorte qu’elles ne seraient pas réalisées les unes sans les autres et dont le résultat consist[ait] à conférer à une ou à plusieurs entreprises le contrôle économique, direct ou indirect, sur l’activité d’une ou de plusieurs autres entreprises » (italique ajouté).

132    Ce point de l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), confirme que le résultat d’une « pluralité de transactions juridiques formellement distinctes » doit consister à conférer le contrôle économique sur l’activité d’une ou de plusieurs entreprises. En l’espèce, l’acquisition du contrôle est le résultat d’une seule transaction, à savoir de l’acquisition de décembre 2012, et non de plusieurs transactions.

133    Il résulte de ce qui précède qu’il ne saurait être déduit de l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), que, dans une situation dans laquelle l’acquisition du contrôle d’une seule entreprise cible a eu lieu par le biais d’une seule opération, il est nécessaire de considérer cette opération comme faisant partie d’une concentration unique, lorsque le rachat d’actions ayant abouti à la prise du contrôle et une offre publique d’achat obligatoire ultérieure sont interdépendants.

134    En deuxième lieu, la requérante s’appuie sur l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281), et sur la décision de la Commission en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt. Elle relève que, dans cette affaire, Ryanair Holdings plc (ci-après « Ryanair ») avait acquis approximativement 19 % des actions d’Aer Lingus Group plc et d’Aer Lingus Ltd (ci-après, prises ensemble, « Aer Lingus ») et avait, par la suite, lancé une offre publique, et que la Commission, suivie en cela par le Tribunal, a considéré les deux opérations comme constituant une concentration unique. Selon la requérante, il en résulte qu’une acquisition d’actions avant une offre publique et l’offre publique elle-même doivent être considérées comme une concentration unique.

135    Il convient de relever qu’il ressort du point 16 de l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281), que la Commission avait considéré, dans sa décision déclarant la concentration envisagée incompatible avec le marché intérieur, ce qui suit :

« Étant donné que Ryanair a acquis les premiers 19 % du capital social d’Aer Lingus dans une période de moins de dix jours avant le lancement de l’offre publique d’achat, et 6 % supplémentaires peu de temps après, et compte tenu des explications de Ryanair concernant l’objectif économique qu’elle poursuivait au moment où elle a effectué ces opérations, l’ensemble de l’opération comprenant l’acquisition d’actions avant et pendant la période de l’offre publique d’achat ainsi que l’offre publique d’achat proprement dite sont réputés constituer une concentration unique, au sens de l’article 3 du règlement sur les concentrations. »

136    Dans cette affaire, Ryanair n’avait pas obtenu le contrôle d’Aer Lingus au moyen d’une seule transaction avant le lancement de l’offre publique d’achat. Ainsi que la Commission le relève, c’est l’acquisition des premiers 19 % du capital social d’Aer Lingus, combinée à l’acquisition des actions que Ryanair espérait obtenir au moyen de l’offre publique d’achat, qui aurait conféré à Ryanair le contrôle d’Aer Lingus. Finalement, Ryanair n’a jamais acquis le contrôle d’Aer Lingus, car l’offre publique a expiré à la suite de la décision de la Commission d’ouvrir la procédure prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 139/2004.

137    Il ne saurait donc être conclu de cette décision de la Commission que celle-ci a considéré que l’acquisition d’une part du capital d’une entreprise au moyen d’une opération privée et une offre publique d’achat pour les parts restantes devaient toujours être considérées comme une concentration unique, même lorsque l’acquisition de la part du capital au moyen d’une opération privée a conféré à l’acheteur le contrôle exclusif de l’entreprise cible avant le lancement de l’offre publique d’achat.

138    Dans l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281), le Tribunal ne s’est pas non plus prononcé sur la question de savoir si l’acquisition du contrôle exclusif par le biais d’une seule opération privée et une offre publique obligatoire ultérieure doivent être considérées comme une concentration unique.

139    La requérante considère que, si la Commission avait appliqué le raisonnement suivi au point 101 de la décision attaquée à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281), elle n’aurait tenu aucun compte des acquisitions d’actions de Ryanair intervenues en vertu d’une convention privée avant le lancement de l’offre publique, particulièrement étant donné que de telles acquisitions privées n’ont pas conduit à l’acquisition du contrôle de l’entreprise cible.

140    Cet argument ne saurait convaincre. En effet, c’est justement le fait que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281), l’acquisition privée n’a pas conduit à l’acquisition du contrôle de l’entreprise cible qui a eu pour conséquence que le contrôle, s’il avait été obtenu, l’aurait été par le biais de plusieurs transactions.

141    En troisième lieu, la requérante s’appuie sur la décision LGI/Telenet.

142    Cependant, cette affaire ne concernait pas le cas d’une première opération par laquelle un acheteur aurait déjà acquis le contrôle d’une entreprise cible, suivie d’une seconde opération par laquelle ce même acheteur aurait acquis des parts supplémentaires de cette même entreprise cible.

143    Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision LGI/Telenet, la première opération a été la « transaction Telenet », par laquelle Telenet a acquis UPC Belgium. Cette première opération ne nécessitait pas de notification, car elle n’atteignait pas les seuils (voir point 6 de la décision LGI/Telenet). La seconde opération a été la « transaction LGE », par laquelle LGE a acquis le contrôle exclusif de Telenet, y compris d’UPC Belgium (voir point 7 de la décision LGI/Telenet). La Commission a conclu que ces opérations, qui étaient liées par une conditionnalité de fait, constituaient une concentration unique.

144    Les faits à la base de l’affaire ayant donné lieu à la décision LGI/Telenet étaient donc complètement différents de ceux à la base de la présente affaire. La requérante ne saurait donc utilement se prévaloir du fait que, dans l’affaire ayant donné lieu à la décision LGI/Telenet, la Commission a conclu à l’existence d’une concentration unique, ni en tirer des conclusions pour la présente affaire.

145    En quatrième lieu, la requérante invoque la décision de la Commission du 20 octobre 2011 (affaire COMP/M.6263, Aelia/Aéroports de Paris/JV). La requérante souligne que, dans cette affaire, la Commission a considéré comme une concentration unique les deux premières étapes de l’opération.

146    À cet égard, il y a lieu de constater que cette affaire ne concernait pas une situation dans laquelle la première des transactions suffisait pour entraîner un changement de contrôle d’une entreprise cible et que les opérations ultérieures consistaient tout simplement à acquérir des parts supplémentaires de cette même entreprise cible. Le fait que la Commission a considéré, dans cette affaire, que les deux premières transactions constituaient une concentration unique ne signifie donc pas qu’elle a considéré que la prise du contrôle exclusif d’une entreprise cible par le biais d’une seule opération d’acquisition d’actions auprès d’un seul vendeur, d’une part, et des opérations ultérieures d’achat de parts supplémentaires de l’entreprise cible, d’autre part, pouvaient constituer une concentration unique.

147    Il convient de souligner que la requérante n’identifie aucun exemple dans la pratique décisionnelle de la Commission ou dans la jurisprudence des juridictions de l’Union européenne dans lequel il aurait été constaté qu’une opération d’acquisition privée auprès d’un seul vendeur conférant à elle seule le contrôle exclusif d’une entreprise cible, d’une part, et une offre publique d’achat ultérieure pour les actions restantes de cette entreprise cible, d’autre part, constituaient une concentration unique. De manière plus générale, elle n’a présenté aucun exemple dans lequel plusieurs opérations d’achat relatives aux parts d’une seule entreprise cible auraient été considérées comme constituant une concentration unique lorsque le contrôle exclusif de l’entreprise cible avait été acquis au moyen de la première opération d’achat.

iv)    Sur les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec le considérant 20 du règlement n° 139/2004

148    La requérante affirme en outre que le raisonnement suivi par la Commission dans la décision attaquée est en contradiction avec le considérant 20 du règlement n° 139/2004. Elle souligne que ce considérant indique qu’« [i]l convient en outre de traiter comme une concentration unique des opérations qui sont étroitement liées en ce qu’elles font l’objet d’un lien conditionnel ou prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref ». Selon la requérante, ce considérant confirme l’intention du législateur que la Commission prenne en compte le lien substantiel entre les diverses étapes constituant une opération, plutôt que la structure formelle de celle-ci.

149    Il convient de rappeler que la requérante se fonde sur la première possibilité mentionnée à la troisième phrase du considérant 20 du règlement n° 139/2004, relative aux transactions faisant l’objet d’un lien conditionnel (voir point 97 ci-dessus).

150    Il y a lieu de constater que la seule phrase, très courte, citée au point 148 ci-dessus, n’est pas une définition exhaustive des conditions dans lesquelles deux opérations constituent une concentration unique. À cet égard, il convient de relever qu’un considérant d’un règlement, s’il peut permettre d’éclairer l’interprétation à donner à une règle de droit, ne saurait constituer par lui-même une telle règle (voir arrêt du 11 juin 2009, X, C‑429/07, EU:C:2009:359, point 31 et jurisprudence citée). Le préambule d’un acte de l’Union n’a pas de valeur juridique contraignante (voir arrêt du 19 juin 2014, Karen Millen Fashions, C‑345/13, EU:C:2014:2013, point 31 et jurisprudence citée).

151    Par ailleurs, si l’on considérait la phrase citée au point 148 ci-dessus comme constituant une définition exhaustive des conditions dans lesquelles deux opérations constituent une concentration unique, cela aurait pour conséquence que toutes les opérations qui font l’objet d’un lien conditionnel ou prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref devraient être traitées comme une concentration unique, et cela même lorsque ces opérations, prises ensemble, ne seraient pas suffisantes afin de transférer le contrôle de l’entreprise cible, ce qui n’aurait aucun sens.

152    Il ressort du considérant 20 du règlement n° 139/2004 que le législateur entendait entériner le concept de concentration unique. Il ne ressort cependant pas de ce considérant que le législateur souhaitait élargir ce concept.

153    Les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec le considérant 20 du règlement n° 139/2004 doivent donc être rejetés.

v)      Sur les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec la pratique dans les États membres

154    La requérante considère que le raisonnement suivi par la Commission dans la décision attaquée est en contradiction avec « la pratique dans les États membres ». À cet égard, la requérante affirme que « [l]es droits nationaux reflètent également le principe selon lequel une acquisition privée d’une participation de contrôle, suivie d’une offre publique pour les actions restantes, doit être traitée comme une concentration unique ».

155    Cependant, le seul droit national auquel la requérante fait concrètement référence est le droit français. Elle relève que, selon une lettre du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie français du 18 novembre 2002 au conseil de la société Atria Capital Partenaires, relative à une concentration dans le secteur de la coiffure à domicile (affaire C2002-39), « l’acquisition par un accord de gré à gré d’une participation dite “de contrôle” suivie de l’obligation de déposer une [offre publique d’achat] sur le capital restant » constituent deux étapes d’une même concentration.

156    La Commission souligne à cet égard que les autorités françaises commentaient la portée de l’article 6 du décret n° 2002-689, du 30 avril 2002, fixant les conditions d’application du livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence (JORF du 3 mai 2002, p. 8055) (ci-après le « décret »), lequel aurait une portée matériellement plus large que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. Ainsi, le fait que les autorités françaises aient considéré que l’article 6 du décret s’appliquait à l’acquisition d’actions sur un marché réglementé conformément à un accord privé qui déclenchait une offre publique n’aurait pas d’incidence sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

157    La requérante rétorque que, dans la lettre du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie français du 18 novembre 2002, celui-ci a d’abord établi que l’acquisition initiale et l’offre publique obligatoire qui avait suivi constituaient une concentration unique, et que c’est seulement dans un second temps que l’examen s’est porté sur l’article 6 du décret.

158    Elle fait en outre valoir que, selon la jurisprudence, et notamment l’arrêt du 7 novembre 2013, Romeo (C‑313/12, EU:C:2013:718, point 22), « les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, lorsqu’une législation nationale se conforme, pour les solutions qu’elle apporte à des situations ne relevant pas du champ d’application de l’acte de l’Union concerné, à celles retenues par ledit acte » et que la justification sous-jacente est « d’assurer un traitement identique aux situations internes et aux situations régies par le droit de l’Union, quelles que soient les conditions dans lesquelles les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union sont appelées à s’appliquer ».

159    À cet égard, il y a lieu de relever que le point 22 de l’arrêt du 7 novembre 2013, Romeo (C‑313/12, EU:C:2013:718), doit être lu à la lumière du point 23 de ce même arrêt, selon lequel « [t]el est le cas dès lors que les dispositions du droit de l’Union en cause ont été rendues applicables de manière directe et inconditionnelle, par le droit national, à de telles situations ».

160    La requérante ne présente aucun élément permettant de considérer que tel est le cas en l’espèce. Elle fait uniquement état, au point 19 de la réplique, de certains efforts du législateur français et des autorités françaises de la concurrence afin d’aligner certaines notions relatives au contrôle des concentrations utilisées dans le code de commerce français sur celles utilisées dans le règlement n° 139/2004 et dans les différentes communications publiées par la Commission. De tels efforts d’alignement n’impliquent pas que des dispositions du droit de l’Union ont été rendues applicables de manière directe et inconditionnelle.

161    En tout état de cause, le droit national ou la pratique décisionnelle d’un État membre ne peut pas lier la Commission ou les juridictions de l’Union. Selon la jurisprudence, l’ordre juridique de l’Union n’entend pas en principe définir ses qualifications en s’inspirant d’un ordre juridique national ou de plusieurs d’entre eux sans précision expresse (voir arrêt du 22 mai 2003, Commission/Allemagne, C‑103/01, EU:C:2003:301, point 33 et jurisprudence citée).

162    Par ailleurs, il convient de relever, en l’espèce, que le cadre juridique existant en France diverge de celui du droit de l’Union.

163    En effet, l’article 6 du décret est libellé de la manière suivante :

« Lorsqu’une concentration est réalisée par achat ou échange de titres sur un marché réglementé, sa réalisation effective, au sens de l’article L. 430-4 du code de commerce, intervient lorsque sont exercés les droits attachés aux titres. L’absence de décision du ministre ne fait pas obstacle au transfert desdits titres. »

164    Ainsi, le droit français diverge sur ce point de manière significative du droit de l’Union. En effet, selon le droit de l’Union, le transfert des titres est suffisant pour réaliser une concentration (voir point 58 ci-dessus), tandis que, selon le droit français, la réalisation intervient seulement au moment où sont exercés les droits attachés aux titres.

165    La position adoptée dans la lettre du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie français du 18 novembre 2002 n’a donc pas pour conséquence que, par le biais de l’application du concept de concentration unique, il soit permis à un opérateur d’acquérir le contrôle d’une entreprise cible sans autorisation préalable. En effet, il ressort clairement de cette lettre que « la suspension de la réalisation effective de l’opération au sens de l’article 6 […] s’applique aussi bien à l’exercice des droits attachés aux titres acquis hors marché qu’à celui des droits attachés aux titres faisant l’objet de l’offre publique ».

166    Cependant, en l’espèce, la requérante s’appuie sur la notion de « concentration unique » précisément pour faire valoir qu’elle était en droit de réaliser l’acquisition de décembre 2012 sans notification et autorisation préalables.

167    La requérante ne saurait donc utilement invoquer la pratique suivie en France.

vi)    Sur les arguments de la requérante selon lesquels la Commission a interprété de manière erronée la raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004

168    La requérante affirme que c’est à tort que la Commission a considéré, au point 103 de la décision attaquée, que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 n’était pas destiné à s’appliquer dans des situations dans lesquelles il était simple d’établir un contrôle de fait.

169    À cet égard, il convient de relever que le point 103 de la décision attaquée est formulé de la manière suivante :

« En revanche, l’article 7, paragraphe 2, du règlement [n° 139/2004] n’est pas destiné à s’appliquer à des situations dans lesquelles l’acquisition d’un important volume d’actions est réalisée auprès d’un seul vendeur et où il est aisé d’établir, sur la base des votes exprimés lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires précédentes, que ce volume d’actions confère un contrôle exclusif de fait sur la société cible. »

170    La Commission n’a donc pas affirmé que le seul fait qu’il soit aisé d’établir l’acquisition du contrôle exclut, de manière générale, l’application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. Au point 103 de la décision attaquée, la Commission s’est également appuyée sur le fait que l’acquisition d’un important volume d’actions conférant un contrôle exclusif de fait de la société cible avait été réalisée auprès d’un seul vendeur.

171    Il convient en outre de constater que, au point 102 de la décision attaquée, la Commission a relevé que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 était destiné « à couvrir des situations dans lesquelles il est difficile de déterminer quelles actions ou quels volumes d’actions précis acquis par l’intermédiaire de plusieurs actionnaires antérieurs placeront l’acquéreur dans une situation de contrôle de fait de la société cible » et qu’il visait « à fournir un degré suffisant de sécurité juridique dans le cas d’offres publiques d’achat ou d’échange ou de reprises rampantes, en préservant de la sorte la liquidité des [B]ourses de valeurs mobilières, et en protégeant les soumissionnaires contre des violations involontaires et imprévues de l’obligation de statu quo ».

172    Cependant, il y a lieu de considérer que, ce faisant, la Commission n’a pas affirmé qu’il y avait lieu de limiter l’application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 à des situations dans lesquelles il existait des difficultés concrètes pour établir quelles actions acquises par l’intermédiaire de plusieurs actionnaires antérieurs placeront l’acquéreur dans une situation de contrôle de fait de la société cible. Dans la décision attaquée, la Commission ne s’est pas fondée sur la seule circonstance qu’il était aisé d’établir que l’acquisition de décembre 2012 conférait à la requérante le contrôle exclusif de fait de Morpol afin d’exclure l’application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

173    La requérante fournit plusieurs exemples pour démontrer que, même dans des situations dans lesquelles l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 est applicable, il peut être facile d’établir l’acquisition du contrôle. Cependant, étant donné que la Commission n’a pas affirmé, dans la décision attaquée, que le seul fait qu’il soit aisé d’établir l’acquisition du contrôle exclut l’application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, les arguments que la requérante soulève à cet égard ne sont pas susceptibles de démontrer l’existence d’une erreur commise par la Commission dans la décision attaquée.

174    La requérante fait en outre valoir que la véritable raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 correspond à ce que la Commission elle-même a expressément formulé au point 66 de l’exposé des motifs de sa proposition de règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises [COM(2002) 711 final] (JO 2003, C 20, p. 4) (ci-après la « proposition de règlement »). Il y est indiqué :

« Conformément à ce qui avait été proposé dans le Livre vert, nous proposons d’étendre le champ d’application de la dérogation automatique prévue à l’article 7, paragraphe 2 (ancien article 7, paragraphe 3), outre les offres publiques d’acquisition, à toutes les opérations de rachat en [B]ourse à plusieurs vendeurs, c’est-à-dire aux “reprises rampantes”, de façon à éliminer toute insécurité juridique résultant de l’article 7, paragraphe 1, à l’égard de telles acquisitions. »

175    Il ressort de cette proposition que la Commission suggérait d’étendre le champ d’application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 aux « reprises rampantes ». Cependant, en l’espèce, la reprise de Morpol par la requérante n’a pas été « rampante ». En effet, l’acquisition du contrôle de Morpol ne s’est pas faite en plusieurs étapes. Au contraire, la prise de contrôle a été effectuée au moyen d’une seule opération d’achat privée auprès d’un seul vendeur, qui avait été clôturée avant le lancement de l’offre publique d’achat pour les actions restantes de Morpol.

176    Il convient en outre de rappeler que la requérante a précisé qu’elle fondait son raisonnement sur le premier cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, à savoir celui lié à une offre publique d’achat ou d’échange (voir points 66 et 67 ci-dessus). En revanche, il ressort du point 66 de l’exposé des motifs de la proposition de règlement que la Commission proposait d’ajouter le second cas de figure qui est désormais prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, relatif aux séries de transactions sur titres, afin d’éliminer toute insécurité juridique. Au vu du fait que la concentration en cause relève, selon la requérante, du champ d’application du premier cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, il n’apparaît pas clairement quel argument la requérante souhaite tirer du fait que la Commission a proposé d’ajouter le second cas de figure afin d’éliminer toute insécurité juridique.

177    La requérante s’appuie également sur le point 134 du livre vert sur la révision du règlement n° 4064/89 (COM/2001/0745 final) (ci-après le « Livre vert »), qui est libellé comme suit :

« Les reprises “rampantes” par l’intermédiaire de la [B]ourse offrent un autre exemple de concentration impliquant des opérations multiples. Ces opérations peuvent être mises à exécution de diverses manières, plus ou moins complexes, allant des opérations relativement simples de rachat direct d’actions à un certain nombre d’actionnaires précédents, à des structures de transaction associant un nombre variable d’intermédiaires financiers recourant à toute une gamme d’instruments financiers […] Dans les scénarios de ce genre, il sera normalement peu pratique et artificiel de considérer que la concentration intervient au rachat de l’action ou du bloc d’actions conférant à l’acquéreur le contrôle (de fait) de l’entreprise cible. Au contraire, il sera évident pour toutes les parties en cause qu’un certain nombre d’acquisition[s] de droits, juridiquement distinctes, forment une unité et que l’intention est de prendre le contrôle de la société cible […] »

178    À cet égard, tout d’abord, il y a lieu d’observer qu’un document du type du Livre vert n’est qu’un document dont le but est de stimuler une réflexion au niveau européen sur un sujet particulier.

179    Il convient en outre de relever qu’il ressort de la première phrase du point 134 du Livre vert que ce point concerne les reprises « rampantes », qui constituent un « exemple de concentration impliquant des opérations multiples ». Cependant, il y a lieu de rappeler que, en l’espèce, la concentration n’a pas été « rampante » et que le contrôle de Morpol a été acquis au moyen d’une seule opération et non par le biais d’opérations multiples.

180    De plus, le point 134 du Livre vert mentionne « l’intention de prendre le contrôle de la société cible » en relation avec « un certain nombre d’acquisition[s] de droits, juridiquement distinctes ». En l’espèce, seule l’acquisition de décembre 2012 a été réalisée avec l’intention de prendre le contrôle de Morpol. Certes, la requérante a procédé au rachat total de Morpol et, pour ce faire, plusieurs opérations d’achat ont été nécessaires, à savoir notamment l’acquisition de décembre 2012 et les rachats auprès de divers actionnaires de Morpol dans le cadre de l’offre publique d’achat. Cependant, étant donné que la requérante détenait le contrôle exclusif de Morpol dès la réalisation de l’acquisition de décembre 2012, les opérations d’achats ultérieures n’ont plus été effectuées avec l’intention de prendre le contrôle de la société cible.

181    Il convient également de constater que c’est à juste titre que le Livre vert relève que, « [d]ans les scénarios de ce genre, il sera normalement peu pratique et artificiel de considérer que la concentration intervient au rachat de l’action ou du bloc d’actions conférant à l’acquéreur le contrôle (de fait) de l’entreprise cible ». Cependant, cette affirmation concerne uniquement le scénario d’une reprise « rampante ». Effectivement, lorsque plusieurs acquisitions d’actions ou de paquets d’actions sont nécessaires afin d’acquérir le contrôle de l’entreprise cible, il serait artificiel de considérer, de manière isolée, l’achat de l’action ou du paquet d’actions « décisif » comme une concentration.

182    Cependant, dans une situation comme celle de l’espèce, dans laquelle le contrôle exclusif de la seule entreprise cible a été acquis auprès d’un seul vendeur au moyen de la seule première opération, il n’est nullement artificiel de considérer cette opération comme constituant, à elle seule, une concentration.

183    La requérante souligne en outre que l’objectif de l’extension de la dérogation prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 était d’éliminer toute insécurité juridique (voir point 174 ci-dessus). Selon elle, il ressort du point 134 du Livre vert que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 doit s’appliquer même à une structure d’opérations simple pour faciliter les offres publiques et les reprises rampantes.

184    À cet égard, il convient de relever que, certes, l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 peut s’appliquer même dans le cas d’une structure d’opérations simple. Cependant, en l’espèce, ce n’est pas la simplicité de l’opération en tant que telle qui exclut l’applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, mais le fait que le contrôle a déjà été acquis auprès d’un seul vendeur par le biais de la première opération.

185    Il y a en outre lieu de souligner que, selon l’article 5 de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d’acquisition (JO 2004, L 142, p. 12), les États membres sont tenus de veiller à ce qu’une personne qui a obtenu le contrôle d’une société, au moyen d’une acquisition de titres, soit obligée de faire une offre en vue de protéger les actionnaires minoritaires de cette société. Cette offre doit être adressée à tous les détenteurs de ces titres et porter sur la totalité de leurs participations. Il s’ensuit que l’obligation pour une entreprise, qui a obtenu des titres lui conférant le contrôle d’une entreprise cible grâce à une acquisition privée, de soumettre une offre publique portant sur le reste des actions de l’entreprise cible, concerne tous les États membres de l’Union.

186    Si l’on suivait le raisonnement de la requérante, selon lequel une acquisition du contrôle par le biais d’une seule opération privée, suivie d’une offre publique obligatoire, constitue une concentration unique, cela aurait pour conséquence que, lors de concentrations impliquant des sociétés cotées en [B]ourse situées dans les États membres, l’acquisition privée de titres conférant le contrôle serait toujours couverte par l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. En effet, il existe toujours l’obligation de soumettre une offre publique d’achat qui, selon le raisonnement de la requérante, fait partie d’une concentration unique englobant l’achat conférant le contrôle ainsi que l’offre publique. Cela aurait pour conséquence que le champ d’application de l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 serait trop élargi.

187    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 est de faciliter les offres publiques et les reprises rampantes, en premier lieu, il convient de rappeler que la Commission ne lui a pas imposé une amende en raison de la réalisation de l’offre publique d’achat, mais en raison de la réalisation de l’acquisition de décembre 2012. En second lieu, il convient de rappeler que, comme il a été constaté au point 175 ci-dessus, en l’espèce, la reprise n’a pas été « rampante ».

188    Il n’apparaît pas que la position adoptée par la Commission dans la décision attaquée soit contraire au principe de sécurité juridique. Il y a lieu de rappeler que la situation de l’espèce n’est pas couverte par le libellé de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 (voir points 68 à 83 ci-dessus). Le fait que la Commission n’a pas élargi le champ d’application du concept de « concentration unique » afin de couvrir des situations dans lesquelles le contrôle d’une seule entreprise cible est acquis au moyen d’une première opération n’est pas contraire au principe de sécurité juridique.

189    Même si l’on se réfère au Livre vert afin de déterminer la raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, comme proposé par la requérante, il n’apparaît pas qu’il soit contraire à la raison d’être de cette disposition d’exclure de son champ d’application une situation dans laquelle une entreprise acquiert le contrôle exclusif de la seule entreprise cible au moyen d’une première opération privée d’achat d’actions auprès d’un seul vendeur, même si celle-ci est suivie d’une offre publique d’achat obligatoire.

190    La requérante affirme en outre que l’interprétation donnée par la Commission, aux points 102 et 103 de la décision attaquée, de la raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 est incompatible avec l’interprétation donnée par le Tribunal dans l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281, point 83). La requérante relève que, dans cet arrêt, le Tribunal « a [...] confirmé l’approche de la Commission consistant à appliquer l’article 7, paragraphe 2, du règlement [n° 139/2004] à l’acquisition d’une participation minoritaire de 19 % dans Aer Lingus faite avant le lancement d’une offre publique, qu’il a considérées comme présentant un caractère unitaire et constituant une concentration unique, bien qu’il fût sans doute simple de conclure qu’une telle participation minoritaire ne conférait pas de contrôle ».

191    À cet égard, il convient de relever que, dans l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281, point 83), le Tribunal a relevé que « l’acquisition d’une participation qui ne confère pas, en tant que telle, le contrôle au sens de l’article 3 du règlement [n° 139/2004] peut relever du champ d’application de l’article 7 dudit règlement ». Il ressort uniquement de cet arrêt qu’il est possible que l’acquisition d’une participation minoritaire, qui ne confère pas le contrôle de l’entreprise cible, suivie d’une offre publique d’achat, puisse faire partie d’une concentration unique qui relève du champ d’application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. Le Tribunal n’avait cependant pas à se prononcer sur une situation dans laquelle la première opération conférait d’ores et déjà le contrôle de l’entreprise cible (voir point 138 ci-dessus).

192    Il y a lieu de constater que, dans le cas d’une acquisition d’une participation minoritaire, qui ne confère pas le contrôle de l’entreprise cible et qui est suivie d’une offre publique d’achat, les deux opérations peuvent être mises en œuvre avec l’intention d’acquérir le contrôle de l’entreprise cible. Cependant, en l’espèce, la première opération ayant déjà conféré à la requérante le contrôle exclusif de fait de Morpol, il est exclu que l’offre publique d’achat ait été lancée avec l’intention d’acquérir le contrôle de Morpol (voir point 180 ci-dessus).

193    Il y a donc lieu de rejeter l’argumentation de la requérante fondée sur l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281).

194    La requérante affirme en outre que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 doit être interprété en sa faveur en raison du caractère pénal de l’amende, au sens de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »). Selon elle, la décision attaquée méconnaît le principe selon lequel il ne faut pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé. L’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, telle qu’effectuée dans la décision attaquée, impliquerait l’utilisation de notions tellement larges et de critères tellement vagues que la disposition pénale en cause n’aurait pas la qualité requise au titre de la CEDH en termes de clarté et de prévisibilité de ses effets.

195    La Commission souligne que, selon l’article 14, paragraphe 4, du règlement n° 139/2004, les amendes infligées en vertu de cet article n’ont pas un caractère pénal.

196    Il convient de relever que, à supposer même que les sanctions prévues à l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 aient un caractère pénal, il y aurait lieu de rejeter l’argumentation de la requérante.

197    En premier lieu, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la disposition en cause n’aurait pas la qualité requise au titre de la CEDH en termes de clarté et de prévisibilité de ses effets, celui-ci concerne en substance la prétendue violation du principe de légalité des délits et des peines, que la requérante fait valoir dans le cadre de la première branche du quatrième moyen, qui sera examinée aux points 376 à 394 ci-après.

198    En second lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la décision attaquée méconnaît le principe selon lequel il ne faut pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, il convient de relever ce qui suit.

199    Ainsi que la Commission le relève à bon droit, la requérante ne s’est pas vu infliger une amende pour avoir enfreint l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. Elle s’est vu infliger une amende, conformément à l’article 14, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 139/2004, pour avoir enfreint l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

200    Il convient en outre de rappeler que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 énonce une exception à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

201    La Commission souligne à juste titre qu’il est de jurisprudence constante que les exceptions doivent être interprétées de manière stricte (voir, en ce sens, arrêts du 17 juin 2010, Commission/France, C‑492/08, EU:C:2010:348, point 35, et du 23 octobre 2014, flyLAL-Lithuanian Airlines, C‑302/13, EU:C:2014:2319, point 27). En ce qui concerne plus particulièrement le droit de la concurrence, et notamment l’interprétation donnée aux dispositions de règlements d’exemption par catégorie, le Tribunal a confirmé, au point 48 de l’arrêt du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission (T‑24/93 à T‑26/93 et T‑28/93, EU:T:1996:139), que, compte tenu du principe général d’interdiction des ententes anticoncurrentielles, les dispositions à caractère dérogatoire insérées dans un règlement d’exemption devaient, par nature, faire l’objet d’une interprétation restrictive. Le seul fait que la Commission peut imposer des sanctions sévères pour la violation d’une disposition relevant du droit de la concurrence ne remet donc pas en cause le fait que les dispositions à caractère dérogatoire doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive. Par ailleurs, dans l’arrêt du 22 mars 1984, Paterson e.a. (90/83, EU:C:1984:123), qui concernait des questions préjudicielles posées dans le cadre de poursuites pénales (voir point 2 de cet arrêt), la Cour a constaté, au point 16, qu’un article, en tant qu’il prévoit des dérogations à l’application des règles générales d’un règlement, ne peut être interprété de façon à étendre ses effets au-delà de ce qui est nécessaire pour la protection des intérêts qu’il vise à garantir. Cet arrêt confirme que le principe selon lequel les exceptions doivent être interprétées de manière stricte s’applique même en matière pénale.

202    En tout état de cause, il convient de relever que, selon son libellé, l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 n’est pas applicable à des situations telles que celle en cause en l’espèce (voir points 68 à 83 ci-dessus).

203    La requérante essaie, en substance, d’élargir le champ d’application du concept de « concentration unique » afin d’élargir le champ d’application de l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

204    À supposer même que les amendes imposées en vertu de l’article 14 du règlement n° 139/2004 aient un caractère pénal, il ne saurait être considéré en l’espèce que la Commission a appliqué la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé. En effet, la Commission a seulement refusé d’élargir le champ d’application de l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 au-delà de son libellé et d’appliquer le concept de « concentration unique » à une situation dans laquelle le contrôle exclusif de la seule entreprise cible a été acquis au moyen d’une seule opération privée d’achat auprès d’un seul vendeur, avant le lancement d’une offre publique d’achat obligatoire.

205    L’argument de la requérante doit donc être rejeté.

206    La requérante affirme en outre que la décision attaquée est incompatible avec l’objectif de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, « qui est de faciliter les acquisitions et d’assurer la liquidité des marchés boursiers ». La décision attaquée n’aurait un impact négatif que sur les sociétés ayant un modèle de gouvernance d’entreprise généralement utilisé par les sociétés établies en Europe continentale et en Scandinavie, ce qui créerait, de fait, une discrimination entre les sociétés établies dans ces régions par rapport aux sociétés établies au Royaume-Uni et aux États-Unis, en rendant plus difficile d’acquérir et, par conséquent, en entravant l’investissement dans des sociétés établies en Europe continentale et en Scandinavie, et en ayant un impact préjudiciable sur les marchés des capitaux et les sociétés qui sont établies dans ces régions. La raison en serait que les sociétés établies en Europe continentale et en Scandinavie seraient généralement caractérisées par des actionnaires importants et concentrés, par opposition aux sociétés établies au Royaume-Uni et aux États-Unis, qui auraient tendance à avoir une structure d’actionnariat dispersée. Le refus, dans la décision attaquée, d’appliquer l’exemption d’offre publique au titre de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 à l’acquisition initiale d’une participation de contrôle ainsi qu’à l’offre publique obligatoire qui en résulte ne serait pertinent que pour les sociétés qui ont des actionnaires « concentrés ».

207    Il convient de relever que, en faisant valoir une discrimination entre les sociétés établies en Europe continentale et en Scandinavie et les sociétés établies au Royaume-Uni et aux États-Unis, la requérante s’appuie, en substance, sur le principe d’égalité de traitement. Selon une jurisprudence constante, le principe général d’égalité de traitement et de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée (voir arrêt du 11 juillet 2007, Centeno Mediavilla e.a./Commission, T‑58/05, EU:T:2007:218, point 75 et jurisprudence citée).

208    En l’espèce, il y a lieu de relever que les deux situations, à savoir, d’une part, celle d’une prise de contrôle de la seule entreprise cible au moyen d’une seule opération d’acquisition d’actions auprès d’un seul vendeur, suivie d’une offre publique d’achat obligatoire, et, d’autre part, celle d’une prise de contrôle par le moyen d’une offre publique d’achat ou par l’intermédiaire de plusieurs vendeurs au moyen d’une série de transactions, ne sont pas comparables, de sorte que rien ne s’oppose à un traitement différent. En effet, dans une situation dans laquelle le contrôle exclusif d’une seule entreprise cible est acquis au moyen de la seule première opération, il n’est nullement artificiel de considérer cette opération comme constituant, à elle seule, une concentration (voir point 182 ci-dessus). Le seul fait qu’il soit possible que, en Europe continentale et en Scandinavie, la première situation se présente plus souvent qu’au Royaume-Uni ou aux États-Unis n’implique pas qu’il faille traiter de manière identique ces situations.

209    De plus, le seul fait que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 vise à faciliter les acquisitions et à assurer la liquidité des marchés boursiers, comme le fait valoir la requérante, n’implique pas qu’il est nécessaire d’étendre le champ d’application de cette disposition au-delà de son libellé afin de faciliter encore plus les acquisitions.

210    Dans la décision attaquée ainsi que dans le mémoire en défense, la Commission indique plusieurs voies que la requérante aurait pu suivre afin de mettre en œuvre la concentration en cause sans enfreindre l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004. Ainsi, elle relève, au point 106 de la décision attaquée, que la requérante aurait pu lancer l’offre publique d’achat sans avoir acquis préalablement les actions de M. M. (première option) et que la requérante aurait pu signer un accord avec M. M. portant sur l’achat des actions avant de lancer l’offre publique d’achat, en reportant toutefois la clôture jusqu’à l’obtention de l’autorisation des autorités de concurrence (seconde option).

211    La requérante fait valoir à cet égard que ces options pourraient porter préjudice aux actionnaires minoritaires de la société cible, faciliter les abus de marché et contrarier les objectifs de la directive 2004/25. En ce qui concerne la première option, elle souligne que la politique de la Commission vise activement à empêcher que l’acquéreur ne remplace une structure d’offre obligatoire par une offre volontaire parce que cela permettrait aux offrants d’éviter de devoir lancer une offre obligatoire à un prix équitable. Par ailleurs, dans le cas de Morpol, le lancement d’une offre volontaire n’aurait pas été réalisable en pratique parce que l’acquisition de Morpol aurait été commercialement liée à l’acquisition des sociétés auxiliaires contrôlées par M. M. et que ces entités juridiques n’auraient pas pu être transférées dans le cadre d’une offre volontaire. S’agissant de la seconde option, la requérante fait valoir que celle-ci créerait un prix plancher qui pourrait être manipulé et augmenté artificiellement, ce qui serait contraire à l’objectif de la directive 2004/25, qui viserait à prévenir le risque d’abus de marché.

212    À cet égard, il convient de relever qu’il appartenait à la requérante de structurer la concentration de la manière qu’elle estimait correspondre le mieux à ses besoins, tout en respectant ses obligations prévues à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004. Ainsi que la Commission le relève, elle ne recommande ni ne prescrit aucunement une manière particulière selon laquelle la requérante doit structurer sa transaction.

213    En outre, s’agissant de la seconde option telle que définie au point 210 ci-dessus, il convient de relever ce qui suit en ce qui concerne l’argument de la requérante tiré de l’existence d’un risque de manipulation du prix des actions.

214    L’approche suivie dans la décision attaquée ne pose aucun problème en ce qui concerne la protection des droits des actionnaires minoritaires. En effet, ainsi que la requérante le souligne, selon les règles norvégiennes sur les acquisitions, l’offrant doit payer pour les actions restantes un prix qui est celui qui est le plus élevé des deux prix suivants : le prix que l’offrant a payé ou dont il a été convenu au cours d’une période de six mois avant le moment où l’offre obligatoire est déclenchée (à savoir le prix convenu dans le SPA), ou le prix sur le marché au moment où l’obligation d’offre obligatoire est déclenchée. Il est donc certain que les actionnaires minoritaires peuvent obtenir un prix équitable pour leurs actions.

215    La requérante fait toutefois valoir que, si l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 n’était pas applicable, l’offrant devrait reporter l’offre publique jusqu’à ce qu’il reçoive l’autorisation de concentration de la Commission, à un moment où le prix plancher pourrait avoir augmenté en conséquence du fait que le prix coté sur le marché excèderait le prix convenu dans le SPA. Le prix plancher serait donc sujet à des manipulations et à une hausse, imposant potentiellement que l’offrant acquière les actions restantes à un prix excédant le prix convenu dans le SPA, à savoir le prix équitable.

216    À cet égard, il y a lieu de constater qu’un risque de manipulation du prix des actions à la hausse peut, en principe, exister. Cependant, si la requérante avait considéré que, en l’espèce, ce risque existait, elle aurait pu demander à la Commission de lui accorder une dérogation en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004. Selon cette disposition, la Commission peut, sur demande, octroyer une dérogation aux obligations prévues à l’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 139/2004.

217    La Commission souligne à cet égard qu’elle a déjà octroyé dans le passé des dérogations en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004 précisément dans des situations où un retard de lancement d’une offre publique était susceptible d’entraîner des manipulations de marché. Elle présente comme exemple sa décision du 20 janvier 2005 (affaire Orkla/Elkem – COMP/M.3709) (ci-après la « décision Orkla/Elkem »), prise au titre de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004. Dans l’affaire ayant donné lieu à cette décision, Orkla, qui détenait déjà 39,85 % des actions d’Elkem, a conclu des accords individuels avec trois autres actionnaires d’Elkem. Conformément à ces accords, Orkla devait acquérir le contrôle exclusif d’Elkem. La mise en œuvre de la transaction aurait contraint Orkla à lancer une offre publique obligatoire pour les actions restantes d’Elkem conformément au droit norvégien.

218    Avant d’exécuter chacun des accords, Orkla a demandé à la Commission une dérogation conformément à l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004. Elle a souligné que, en raison du faible volume d’actions d’Elkem librement accessible, il ne serait pas difficile de manipuler à la hausse le prix de ces actions. Six jours après avoir reçu la demande d’Orkla, la Commission a octroyé une dérogation en relevant que « la suspension de l’opération [ét]ait susceptible d’avoir pour effet sur Orkla que, si elle respectait la législation norvégienne sur les valeurs mobilières applicable, Orkla s’exposerait à un risque considérable de devoir faire une offre pour les actions restantes d’Elkem à un prix nettement plus élevé après que l’opération aura été déclarée compatible avec le marché [intérieur] ». La Commission a procédé à une mise en balance des intérêts et a relevé que l’obligation de suspension pouvait sérieusement affecter les intérêts financiers d’Orkla, que l’opération ne semblait pas poser de problèmes pour la concurrence et qu’une dérogation n’affectait pas les droits légitimes d’une partie tierce.

219    L’affaire ayant donné lieu à la décision Orkla/Elkem montre donc que la possibilité de demander des dérogations en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004 constitue un moyen efficace pour répondre à des situations dans lesquelles il existe un risque de manipulation du prix des actions.

220    La requérante fait en substance valoir que l’existence (théorique) de risques de manipulation du prix des actions à la hausse oblige la Commission à interpréter de manière extensive l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. Cependant, un tel argument doit être rejeté, car l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004 permet de répondre de manière satisfaisante à une situation dans laquelle un tel risque existe.

221    L’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004 prévoit la possibilité pour la Commission de déroger à l’obligation de suspension dans un cas d’espèce, après la mise en balance des intérêts en cause. Une telle dérogation dans un cas d’espèce est un instrument plus adéquat pour répondre à d’éventuels risques de manipulation qu’une application extensive de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, qui impliquerait une application automatique de l’exception sans possibilité de procéder à une mise en balance des intérêts.

222    Lors de l’audience, la requérante a fait valoir que, dans la décision Orkla/Elkem, la Commission a reconnu l’existence d’un impératif de célérité et de la nécessité d’éviter des manipulations du marché dans des circonstances semblables à celles de l’espèce.

223    Cependant, la circonstance que, dans cette affaire, la Commission a pris en compte l’impératif de célérité et la nécessité d’éviter des manipulations du marché afin d’accorder une dérogation en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004 n’implique pas qu’il y a lieu d’interpréter de manière extensive l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

224    Enfin, la requérante a fait valoir, lors de l’audience, que, selon l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, qui précédait l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, il était nécessaire de notifier l’offre publique d’achat ou d’échange dans le délai prévu à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, à savoir dans le délai d’une semaine, et que, selon l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, il est seulement nécessaire de notifier la concentration « sans délai » à la Commission. Selon la requérante, ce changement témoigne d’une volonté du législateur d’accorder la priorité au processus d’acquisitions publiques par rapport à la procédure de contrôle des concentrations.

225    À cet égard, il convient de relever que l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 ne prévoit plus, pour la notification de concentrations, le délai d’une semaine à compter de la conclusion de l’accord ou de la publication de l’offre d’achat qui était prévu à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89.

226    Les raisons de la suppression de ce délai ressortent des points 61 à 64 de la motivation de la proposition de règlement. La Commission y a notamment relevé que « [l]a pratique des douze dernières années montr[ait] qu’une application stricte du délai d’une semaine pour soumettre les notifications […] n’[était] ni réaliste ni nécessaire » et que, « [e]u égard à l’effet suspensif de l’article 7, paragraphe 1, il [était] de l’intérêt commercial des entreprises elles-mêmes d’obtenir l’autorisation réglementaire de la Commission le plus vite possible afin de pouvoir mettre en œuvre leur concentration ».

227    Contrairement à ce que fait valoir la requérante, les raisons de la suppression de ce délai ne résident donc pas dans une volonté du législateur d’accorder la priorité au processus d’acquisitions publiques par rapport à la procédure de contrôle des concentrations.

228    Les arguments de la requérante visant à établir que l’interprétation donnée par la Commission à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 est contraire à la raison d’être de cette disposition doivent donc être rejetés.

229    Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat constituaient une concentration unique. En effet, le concept de concentration unique n’est pas destiné à s’appliquer dans un cas de figure dans lequel le contrôle exclusif de fait de la seule société cible est acquis auprès d’un seul vendeur par le biais d’une seule première transaction privée, même lorsque celle-ci est suivie par une offre publique obligatoire.

230    Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les arguments des parties relatifs à l’existence ou non d’une conditionnalité de droit ou de fait entre l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique d’achat.

2.      Sur la quatrième branche du premier moyen, tirée de ce que la requérante s’est conformée à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004

231    Dans le cadre de la quatrième branche du premier moyen, la requérante fait valoir qu’elle a respecté les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 139/2004, en notifiant la concentration sans tarder à la Commission et en n’exerçant pas ses droits de vote dans Morpol avant l’autorisation de la concentration par la Commission.

232    À cet égard, il suffit de constater que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 n’est pas applicable en l’espèce, ainsi qu’il résulte de l’examen des trois premières branches du premier moyen. La question de savoir si la requérante a respecté les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 139/2004 est donc dénuée de pertinence.

233    Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le premier moyen dans son ensemble.

B.      Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste de droit et de fait en ce que la décision attaquée conclut que la requérante a été négligente

234    La requérante soutient que c’est à tort que la Commission a considéré, dans la décision attaquée, qu’elle a été négligente. Selon elle, aucune société normalement avisée et suffisamment attentive n’aurait raisonnablement pu prévoir que l’acquisition de décembre 2012 devait être notifiée et que la participation correspondante ne pouvait être transférée à la requérante avant l’autorisation. L’interprétation donnée par la requérante à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 aurait été raisonnable, ce qui serait confirmé par l’avis juridique rendu par le conseil juridique externe de la requérante.

235    La Commission conteste les arguments de la requérante.

236    Il convient de rappeler que, selon l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, la Commission peut imposer des amendes seulement pour des violations qui ont été commises « de propos délibéré ou par négligence ».

237    S’agissant de la question de savoir si une infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence, il résulte de la jurisprudence que cette condition est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence [voir, s’agissant des infractions susceptibles d’être sanctionnées par une amende en vertu de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, EU:C:2013:404, point 37 et jurisprudence citée].

238    Le fait que l’entreprise concernée aurait qualifié de manière juridiquement erronée son comportement sur lequel la constatation de l’infraction se fonde ne peut pas avoir pour effet de l’exonérer de l’infliction d’une amende pour autant que celle-ci ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel dudit comportement (voir, par analogie, arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, EU:C:2013:404, point 38). Une entreprise ne peut pas échapper à l’infliction d’une amende lorsque l’infraction aux règles de concurrence a pour origine une erreur de cette entreprise sur la licéité de son comportement en raison de la teneur d’un avis juridique d’un avocat (voir, par analogie, arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, EU:C:2013:404, point 43).

239    C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner si c’est à juste titre que la Commission a conclu, dans la décision attaquée, que la requérante avait agi par négligence en mettant en œuvre l’acquisition de décembre 2012 en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

240    Il convient de relever, tout d’abord, que la Commission a pris en compte l’existence de conseils juridiques pour constater, au point 142 de la décision attaquée, que la requérante avait commis les infractions par négligence et non de manière intentionnelle.

241    Aux points 144 à 148 de la décision attaquée, la Commission s’est appuyée sur les éléments suivants afin de conclure que la requérante a été négligente :

–        la requérante est une grande société européenne qui possède une solide expérience des procédures de contrôle des concentrations et de notification à la Commission et aux autorités de concurrence nationales ;

–        la requérante savait, ou aurait dû savoir, que, en acquérant une participation de 48,5 % dans le capital de Morpol, elle acquérait un contrôle de fait de cette dernière ;

–        la requérante n’a pas prouvé qu’elle avait reçu de ses conseillers juridiques une appréciation relative à l’applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 avant le 18 décembre 2012, date de clôture de l’acquisition de décembre 2012 ;

–        l’existence d’un précédent concernant l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 [décision de la Commission du 21 septembre 2007 (affaire COMP/M.4730 – Yara/Kemira GrowHow) (ci-après la « décision Yara/Kemira GrowHow »)] aurait dû conduire la requérante à conclure que la réalisation de l’acquisition de décembre 2012 allait probablement aboutir à une violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, ou à tout le moins que l’applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, n’était pas simple en l’espèce, et la requérante aurait pu, et aurait dû, s’adresser à la Commission par le biais de la procédure de consultation sur l’applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 ou en demandant une dérogation à l’obligation de statu quo en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004 ;

–        la requérante s’était déjà vu infliger une amende au niveau national pour la réalisation prématurée d’une concentration dans le cadre de son acquisition de la société Fjord Seafood, de sorte qu’il y avait lieu de s’attendre à un niveau élevé de diligence de sa part.

242    La requérante conteste la pertinence de la totalité de ces éléments.

243    Il convient de relever que, en l’espèce, la requérante pouvait facilement prévoir que, en acquérant 48,5 % des actions de Morpol, elle acquérait le contrôle exclusif de fait de cette société. La requérante n’affirme pas qu’elle n’a pas eu connaissance de certains éléments factuels et qu’il ne lui a de ce fait pas été possible de comprendre que, en réalisant l’acquisition de décembre 2012, elle réalisait une concentration de dimension communautaire.

244    Il résulte d’ailleurs du communiqué de Bourse du 17 décembre 2012, mentionné au point 6 ci-dessus, que la requérante était consciente du fait que l’achat de Morpol constituait une concentration ayant une dimension communautaire. En effet, la requérante y a relevé ce qui suit :

« L’acquisition donnera très probablement lieu à une obligation de notification aux autorités de concurrence de l’Union, auquel cas Marine Harvest ne sera pas admise à exercer ses droits de vote liés à ses actions dans Morpol jusqu’à ce que l’opération ait été autorisée. »

245    Le seul fait que la requérante a considéré à tort que ses obligations se limitaient à ne pas exercer ses droits de vote avant l’autorisation ne remet pas en cause le fait qu’elle était bien consciente de la circonstance qu’il s’agissait d’une concentration de dimension communautaire.

246    Il convient de rappeler qu’il ressort clairement du libellé de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 qu’une concentration de dimension communautaire doit être notifiée avant sa réalisation et qu’elle ne doit pas être réalisée sans notification et autorisation préalables.

247    La requérante ne pouvait ignorer ces dispositions et elle n’affirme d’ailleurs pas les avoir ignorées.

248    Il convient en outre de rappeler que, selon son libellé, l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 n’est pas applicable à des situations telles que celle en cause en l’espèce (voir points 68 à 83 ci-dessus).

249    La requérante affirme que son interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 était pour le moins raisonnable, de sorte qu’elle n’aurait pas agi de manière négligente.

250    À cet égard, il convient de rappeler que, par le raisonnement suivi dans le cadre du premier moyen, la requérante essaie, en substance, d’élargir le champ d’application du concept de « concentration unique », afin d’élargir le champ d’application de l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 (voir point 203 ci-dessus). Il convient en outre de rappeler que la requérante n’identifie aucun exemple dans la pratique décisionnelle de la Commission ou dans la jurisprudence des juridictions de l’Union dans lequel plusieurs opérations d’achat relatives aux parts d’une seule entreprise cible ont été considérées comme constituant une concentration unique, lorsque le contrôle exclusif de l’entreprise cible avait été acquis au moyen de la première opération d’achat (voir point 147 ci-dessus).

251    En revanche, il existait une décision de la Commission, à savoir la décision Yara/Kemira GrowHow, dans laquelle celle-ci avait constaté, aux points 6 et 7, ce qui suit :

« 6.      Le 24 mai 2007, Yara a acquis auprès de l’État finlandais une participation de 30,05 % dans GrowHow. Yara considère que cette acquisition constitue la première étape de l’offre publique en vue de l’acquisition de GrowHow annoncée le 18 juillet 2007 et que, en tant que telle, elle serait couverte par l’exception, prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement [n° 139/2004], à l’interdiction de réaliser une concentration. Yara indique que, pendant l’examen de l’opération par la Commission, elle n’exercera pas les droits de vote conférés par la participation de 30,05 %. Les informations fournies par les parties indiquent que Yara a acquis le contrôle de GrowHow par l’acquisition de la participation de 30,05 %.

7.      L’article 7, paragraphe 2, [du règlement n° 139/2004] s’applique aux acquisitions de paquets d’actions auprès de “plusieurs vendeurs”, à savoir aux “offres rampantes”. La Commission considère que l’exemption prévue à l’article 7, paragraphe 2, [du règlement n° 139/2004] n’est, par conséquent, pas applicable dans une affaire où une participation de contrôle est acquise par l’acquéreur d’un unique paquet d’actions auprès d’un seul vendeur. La Commission est, dès lors, d’avis qu’une violation de l’obligation de statu quo prévue à l’article 7, paragraphe 1, [du règlement n° 139/2004] ainsi que de l’obligation de notification prévue à l’article 4, paragraphe 1, [dudit règlement] ne saurait être exclue en l’espèce et qu’elle peut examiner dans le cadre d’une procédure distincte si une sanction au titre de l’article 14, paragraphe 2, [du règlement n° 139/2004] est appropriée. »

252    Il est certes vrai que, comme le souligne la requérante, le constat selon lequel une violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 ne pouvait être exclue constitue un obiter dictum de la décision Yara/Kemira GrowHow, qui est une décision autorisant une concentration sous réserve du respect de certains engagements. Finalement, la Commission n’a pas ouvert une procédure en vue de l’imposition d’une amende au titre de l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. La requérante souligne à juste titre qu’un tel obiter dictum est dépourvu d’effets juridiques obligatoires et qu’il ne pourrait faire l’objet d’un contrôle des juridictions de l’Union.

253    Il n’en reste pas moins que même un tel obiter dictum est suceptible de donner aux opérateurs des indications sur la manière dont la Commission interprète l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. L’existence de la décision Yara/Kemira GrowHow, qui concernait une situation comparable à celle de l’espèce et dans laquelle la Commission avait relevé qu’elle considérait que l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 n’était pas applicable, est un élément qui rend plus difficile pour les entreprises la justification du fait qu’une erreur commise quant à l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 ne relevait pas d’un comportement négligent.

254    Il est certes vrai, ainsi que la requérante le souligne dans le cadre du quatrième moyen, que la décision Yara/Kemira GrowHow n’a pas été publiée au Journal officiel de l’Union européenne et que la version intégrale est seulement disponible en anglais.

255    Cependant, un avis a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2007, C 245, p. 7) dans chacune des langues officielles, indiquant un lien Internet pour accéder à l’intégralité de la décision en anglais. La Commission souligne en outre, à juste titre, que la décision Yara/Kemira GrowHow, et notamment l’interprétation donnée à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 dans cette décision, a été citée dans des travaux de praticiens. Un opérateur diligent pouvait donc avoir connaissance de cette décision et de l’interprétation donnée à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 par la Commission.

256    Il convient en outre de prendre en considération le fait que la requérante aurait pu consulter la Commission concernant la question de l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. En cas de doute concernant ses obligations en vertu du règlement n° 139/2004, le comportement approprié d’une entreprise est d’approcher la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 255). La requérante n’affirme pas qu’elle n’avait pas connaissance de cette possibilité.

257    La Commission était également en droit de prendre en considération, comme elle l’a fait au point 144 de la décision attaquée, le fait que la requérante était une grande société européenne qui possédait une solide expérience des procédures de contrôle des concentrations et de notification à la Commission et aux autorités de concurrence nationales. Ainsi, il ressort du point 252 de l’arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672), que l’expérience d’une entreprise dans le domaine des concentrations et en matière de procédures de notification est un élément pertinent dans le cadre de l’appréciation de la négligence.

258    La Commission était en outre en droit de prendre en considération, comme elle l’a fait au point 148 de la décision attaquée, le fait que la requérante (à l’époque Pan Fish) s’était déjà vu infliger une amende au niveau national pour la réalisation prématurée d’une concentration dans le cadre de son acquisition de la société Fjord Seafood. Il est certes vrai que la décision du ministre de l’Économie français du 8 décembre 2007 (affaire Pan Fish/Fjord Seafood) (ci-après la « décision Pan Fish/Fjord Seafood ») ne portait pas sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. Il n’en reste pas moins qu’il y a lieu de s’attendre à une diligence particulière de la part d’une entreprise européenne de grande taille qui s’est déjà vu infliger une amende, bien qu’au niveau national, pour la réalisation prématurée d’une concentration.

259    En l’espèce, il y a lieu de constater que la requérante a agi de manière négligente en procédant à une interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 qui n’est ni couverte par son libellé ni par la pratique décisionnelle de la Commission ou par la jurisprudence des juridictions de l’Union et qui n’est pas conforme à ce que la Commission a constaté, bien que dans un obiter dictum, dans la décision Yara/Kemira GrowHow, et ce sans contacter au préalable la Commission afin de vérifier l’exactitude de son interprétation. En agissant de la sorte, la requérante a agi à ses propres risques et elle ne peut pas valablement s’appuyer sur le prétendu caractère « raisonnable » de son interprétation.

260    Il y a donc lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel « aucune société normalement avisée et suffisamment attentive n’aurait raisonnablement pu prévoir que l’acquisition de décembre 2012 devait être notifiée et que la participation correspondante ne pouvait être transférée à [la requérante] jusqu’à l’autorisation ».

261    En ce qui concerne les arguments de la requérante tirés de l’appréciation de ses conseillers juridiques externes, il convient de relever ce qui suit.

262    D’une part, la requérante affirme que ses conseillers juridiques externes, qui seraient fort expérimentés dans les questions de droit de la concurrence, étaient d’accord pour considérer que l’acquisition de décembre 2012 et l’offre publique constituaient une concentration unique relevant de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, ce qui confirmerait le caractère raisonnable de son interprétation. D’autre part, elle affirme que son expérience liée à l’opération ayant donné lieu à la décision Pan Fish/Fjord Seafood est l’un des facteurs qui l’ont conduite à demander et à obtenir des assurances, à plusieurs occasions, quant au fait que l’acquisition d’une participation de 48,5 % dans Morpol relèverait de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. Enfin, la requérante affirme que c’est à tort que la Commission a considéré, au point 146 de la décision attaquée, qu’elle n’avait pas cherché à obtenir, et n’avait pas reçu, un quelconque avis sur la portée de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 avant le 18 décembre 2012.

263    Il y a donc lieu d’examiner le contenu des avis donnés par les conseillers juridiques externes de la requérante.

264    La requérante s’appuie sur un courriel que son conseiller juridique norvégien lui a adressé le 29 novembre 2012. Celui-ci a relevé ce qui suit :

« 6. Concurrence

L’acquisition des actions de Friendmall dans [Morpol] donnera lieu à une notification aux autorités de concurrence compétentes.

Nous ne disposons pas d’un aperçu du chiffre d’affaires des deux sociétés réparti par juridiction ni des autres informations nécessaires pour analyser de quelle manière et où il y a lieu de procéder à une telle notification.

Nous vous recommandons vivement de mettre tout en œuvre pour déterminer ces éléments de manière prioritaire étant donné qu’ils nous permettront de rédiger et de soumettre les notifications relativement rapidement après une éventuelle date d’acquisition.

Notre expérience montre que l’obtention des autorisations nécessaires pour de telles acquisitions prendra du temps. Il ne saurait être exclu qu’il vous soit enjoint de vendre des segments d’activités afin d’obtenir l’autorisation nécessaire devant certaines juridictions. Vous devriez, dès que vous saurez où cela pourrait être nécessaire, établir des stratégies quant à la manière de répondre à de telles objections.

Comme mentionné précédemment, [Marine Harvest] ne sera pas en mesure d’exercer de quelconques droits d’actionnaire dans [Morpol] liés aux actions acquises jusqu’à ce que vous ayez reçu toutes les autorisations au titre du droit de la concurrence. »

265    Il ressort clairement de ce courriel que le conseiller juridique norvégien de la requérante ne disposait pas des informations nécessaires concernant le chiffre d’affaires des entreprises concernées et qu’il n’était de ce fait pas en mesure d’analyser la question de savoir auprès de quelles autorités de concurrence l’opération devait être notifiée. La requérante ne pouvait pas s’attendre à ce que son conseiller juridique norvégien ait procédé à une analyse exhaustive des implications de la concentration du point de vue du droit de l’Union avant même d’être en possession des éléments lui permettant de trancher la question de savoir s’il s’agissait d’une concentration de dimension communautaire.

266    Il convient en outre de relever que les quelques paragraphes de ce courriel dédiés au droit de la concurrence, tels que cités au point 264 ci-dessus, ne sauraient être considérés comme une véritable analyse des obligations de la requérante en ce qui concerne les notifications et les éventuelles obligations de statu quo. La requérante ne pouvait pas déduire a contrario de la seule phrase selon laquelle, « [c]omme mentionné précédemment, [Marine Harvest] ne sera pas en mesure d’exercer de quelconques droits d’actionnaire dans [Morpol] liés aux actions acquises jusqu’à ce que vous ayez reçu toutes les autorisations au titre du droit de la concurrence » qu’elle était en droit de clôturer l’acquisition de décembre 2012 sans notification ni autorisation préalables.

267    L’existence de ce courriel de son conseiller juridique norvégien ne saurait en aucun cas exonérer la requérante de sa responsabilité.

268    Ce même conseiller juridique a adressé, le 14 décembre 2012 à 10 h 02, un courriel à un conseiller juridique du cabinet d’avocats F. qui était rédigé dans les termes suivants :

« Les négociations sur le projet [Morpol] sont, à présent, presque terminées et nous sommes assez sûrs qu’il sera parvenu à un accord au cours de la journée et que le [SPA] sera signé en fin d’après‑midi.

Le dernier projet est joint pour examen et commentaires de votre part sous l’angle du droit de la concurrence.

Personne ne s’est beaucoup concentré, et cela n’est pas inhabituel, sur cet aspect particulier jusqu’à présent. Nous avons également atteint un stade où je préférerais de loin ne pas apporter d’autres modifications au texte dans la mesure où cela peut facilement distraire les parties.

Pouvez-vous, dès lors, regarder ce projet et ne revenir vers moi qu’avec les commentaires ou les propositions de modifications que vous jugez absolument nécessaires en rapport avec la procédure d’autorisation au titre du droit de la concurrence de l’Union ?

Naturellement, cela est quelque peu urgent et je serais, par conséquent, très reconnaissant que vous y accordiez une attention immédiate. »

269    Ce courriel montre clairement que la requérante ne s’est pas comportée comme un opérateur diligent l’aurait fait. En effet, il en ressort que « personne ne s’[était] beaucoup concentré » sur l’aspect du droit de la concurrence jusqu’au jour où ce courriel a été envoyé, c’est-à-dire le jour même de la signature du SPA. Un opérateur diligent se serait concentré sur les implications de l’opération du point de vue du droit de la concurrence à un stade plus précoce.

270    Interrogé à cet égard lors de l’audience, la requérante a relevé que l’auteur du courriel du 14 décembre 2012 était également celui du courriel du 29 novembre 2012 et que ce dernier courriel démontrerait qu’il avait réfléchi au sujet du droit de la concurrence déjà à ce stade. Elle a en outre relevé que le conseiller juridique norvégien de la requérante était un avocat spécialisé en droit des sociétés et non un avocat spécialisé en matière de droit de la concurrence et qu’il avait demandé l’avis d’un spécialiste du cabinet d’avocats F. le 14 décembre 2012.

271    À cet égard, il convient de rappeler que le courriel du 29 novembre 2012 ne contient pas une véritable analyse des obligations de la requérante en ce qui concerne les notifications et les éventuelles obligations de statu quo (voir point 266 ci-dessus). S’il est vrai que le conseiller juridique norvégien a réfléchi à l’aspect du droit de la concurrence, il convient de relever que, de son propre aveu dans le courriel du 14 décembre 2012, personne ne s’était « beaucoup concentré » sur cet aspect jusqu’à cette date.

272    Il convient en outre de constater que, en relevant, lors de l’audience, que le conseiller juridique norvégien de la requérante était un avocat spécialisé en droit des sociétés et non un avocat spécialisé en matière de droit de la concurrence, la requérante a, en ce qui concerne ce conseiller juridique, pour le moins nuancé l’affirmation, figurant au point 71 de la requête, selon laquelle ses conseillers juridiques externes étaient fort expérimentés dans les questions de droit de la concurrence.

273    Le 14 décembre 2012 à 22 h 36, le conseiller juridique de la société d’avocats F. a répondu au courriel cité au point 268 ci-dessus en relevant notamment ce qui suit :

« Une question seulement : nous n’avons pu trouver une quelconque disposition couvrant la question de l’exercice des droits de vote tant que la procédure d’autorisation est pendante. Il est évident que l’acheteur ne peut exercer les droits de vote avant l’autorisation. »

274    Ce courriel, échangé entre deux conseillers juridiques externes de la requérante, ne saurait être considéré comme une véritable analyse des implications de la concentration du point de vue du droit de la concurrence, et le conseiller juridique de la société d’avocats F. ne disposait d’ailleurs pas de suffisamment de temps pour effectuer une telle analyse.

275    Il convient en outre de constater que ni le courriel du 29 novembre 2012 ni ceux du 14 décembre 2012 ne mentionnent l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

276    Le premier document qui mentionne explicitement l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 est un mémorandum du conseiller juridique norvégien de la requérante datant du 18 décembre 2012.

277    Dans ce mémorandum, après avoir cité le libellé de l’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 139/2004, ce conseiller juridique a relevé ce qui suit :

« Il résulte des considérations qui précèdent que Marine Harvest peut obtenir les actions dans Morpol, mais ne peut exercer les droits de vote liés à ces actions jusqu’à ce que l’opération soit autorisée par la Commission. Ainsi, Marine Harvest ne peut exercer ses droits en tant qu’actionnaire de Morpol et elle ne contrôlera donc, en pratique, pas la société jusqu’à ce que l’autorisation ait été obtenue. »

278    Ce mémorandum ne contient cependant pas une véritable analyse de l’applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. La simple citation du libellé de l’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 139/2004, et l’affirmation selon laquelle la requérante pouvait obtenir les actions de Morpol si elle n’exerçait pas les droits de vote, ne sauraient être assimilées à une telle analyse, notamment au vu de la circonstance que, selon son libellé, l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 n’est pas applicable. Dans ce mémorandum, le conseiller juridique norvégien de la requérante ne s’est notamment pas appuyé sur l’existence d’une concentration unique afin de justifier la prétendue applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

279    En outre, il convient de rappeler que le SPA avait déjà été signé le 14 décembre 2012. Le SPA prévoyait, à son article 7.1, que la clôture aurait lieu aussi tôt que possible et au plus tard trois jours ouvrables après la signature. De plus, il prévoyait, à son article 7.2, que, à la date de clôture, la requérante devrait démontrer avoir payé le prix d’achat. Enfin, le SPA prévoyait, à son article 7.3, que, à cette date, les vendeurs devraient démontrer qu’ils avaient transféré les actions à la requérante.

280    Le mémorandum du 18 décembre 2012 a donc été rédigé à un moment où la requérante s’était déjà engagée à clôturer l’acquisition au plus tard trois jours ouvrables après la signature du SPA.

281    En ce qui concerne le constat de la Commission, figurant au point 146 de la décision attaquée, selon lequel la requérante n’a pas produit d’éléments prouvant qu’elle avait reçu de ses conseillers juridiques une appréciation relative à l’applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 avant le 18 décembre 2012, ce qui est contesté par la requérante, il convient de relever ce qui suit.

282    Il est certes vrai que la requérante avait implicitement indiqué, à la page 14 de sa réponse du 30 avril 2014 à la communication des griefs, qu’elle avait reçu de son conseiller juridique norvégien, avant le 18 décembre 2012, l’information selon laquelle les conditions pour l’application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 étaient remplies. En effet, la requérante a indiqué que cette information avait été « réitérée à l’écrit » dans le mémorandum de ce conseiller du 18 décembre 2012.

283    Cependant, le constat de la Commission, selon lequel la requérante « n’a pas produit d’éléments prouvant » qu’elle avait reçu une telle appréciation avant le 18 décembre 2012, est correct. En effet, si la requérante a implicitement affirmé, dans sa réponse à la communication des griefs, avoir reçu de son conseiller juridique norvégien, avant le 18 décembre 2012, l’information selon laquelle les conditions pour l’application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 étaient remplies, elle n’a pas produit un élément de preuve à cet égard. Elle n’a notamment pas produit, en annexe à sa réponse à la communication des griefs, les courriels du 29 novembre et du 14 décembre 2012, cités aux points 264, 268 et 273 ci-dessus, qu’elle a produits en annexe à la requête.

284    En tout état de cause, ces courriels ne remettent pas en cause la négligence de la requérante. En ce qui concerne le courriel du 29 novembre 2012, produit devant le Tribunal, il convient de rappeler que celui-ci ne mentionne pas l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 et qu’il ne contient pas une véritable analyse des obligations de la requérante (voir points 264 à 266 ci-dessus). Il en va de même du courriel du conseiller juridique de la société d’avocats F. du 14 décembre 2012 (voir points 273 à 275 ci-dessus).

285    En tout état de cause, à supposer même que la requérante ait obtenu, avant le 18 décembre 2012, de la part de ses conseillers juridiques l’information selon laquelle l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 était applicable, cela ne remettrait pas en cause le constat selon lequel le comportement de la requérante a été négligent.

286    D’une part, il convient de rappeler qu’une entreprise ne peut pas échapper à l’infliction d’une amende lorsque l’infraction aux règles de concurrence a pour origine une erreur de cette entreprise sur la licéité de son comportement en raison de la teneur d’un avis juridique d’un avocat (voir point 238 ci-dessus).

287    D’autre part, le courriel du conseiller juridique norvégien de la requérante du 14 décembre 2012, sur lequel s’appuie la requérante, loin de confirmer que la requérante a fait preuve de diligence, est révélateur de sa négligence, car il en résulte que « personne ne s’[était] beaucoup concentré » sur l’aspect du droit de la concurrence jusqu’au jour même de la signature du SPA.

288    Si la requérante s’était comportée comme un opérateur diligent, elle se serait assurée qu’une analyse complète des implications du SPA du point de vue du droit de la concurrence soit effectuée avant la signature du SPA, d’autant plus que le SPA prévoyait que la clôture de l’acquisition devait avoir lieu au plus tard trois jours ouvrables après sa signature.

289    La requérante s’appuie également sur un courriel que l’avocat de la société F. lui a envoyé le 27 janvier 2013. À cet égard, il convient de constater que ce courriel a été envoyé après la clôture de l’acquisition de décembre 2012 et qu’il ne saurait donc en aucun cas exonérer la requérante de sa responsabilité. Par ailleurs, ce courriel ne contient pas une véritable analyse des conditions prévues à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, mais se limite en substance à reproduire le libellé de cette disposition. Ce courriel ne mentionne notamment pas la notion de « concentration unique ».

290    Il résulte de tout ce qui précède que c’est à juste titre que la Commission a constaté que la violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 avait été commise par négligence.

291    Il y a donc lieu de rejeter le deuxième moyen.

C.      Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe général ne bis in idem

292    La requérante soutient que la Commission lui a imposé, dans la décision attaquée, deux amendes pour un seul et même comportement, en violation du principe général ne bis in idem. Elle relève qu’une violation de l’obligation de notification, prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 entraîne nécessairement une violation de l’obligation de statu quo, prévue à l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement. Selon elle, la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 est l’infraction la plus spécifique, tandis que la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement est l’infraction la plus générale, de sorte que la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 englobe la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement ou empêche, à tout le moins, la Commission d’imposer une amende distincte pour celle-ci.

293    La Commission conteste les arguments de la requérante.

1.      Observations liminaires sur la relation entre l’article 4, paragraphe 1, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 14, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 139/2004

294    Il convient de relever que, ainsi que la requérante le fait valoir et que la Commission le concède, une violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 entraîne automatiquement une violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004. En effet, si une entreprise viole l’obligation, prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, de notifier une concentration avant sa réalisation, cela a pour conséquence qu’elle enfreint l’interdiction de réaliser une concentration avant sa notification et son autorisation.

295    L’inverse n’est cependant pas vrai. En effet, lorsqu’une entreprise notifie une concentration avant sa réalisation, mais qu’elle réalise cette concentration avant que cette dernière ait été déclarée compatible avec le marché intérieur, elle viole l’article 7, paragraphe 1, mais non l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

296    Il y a en outre lieu de rappeler que l’article 14, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 139/2004 prévoit la possibilité d’imposer des amendes, d’une part, pour une violation de l’obligation de notification prévue à l’article 4 de ce règlement et, d’autre part, pour une réalisation d’une concentration en violation de l’article 7 du même règlement.

297    Il résulte de ce qui précède que, lorsqu’une entreprise viole l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, elle viole automatiquement l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement, ce qui entraîne, selon le libellé de ce règlement, la possibilité pour la Commission d’imposer des amendes aussi bien au titre de l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 139/2004 qu’au titre de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du même règlement.

298    Il convient d’observer qu’il s’agit d’une situation qui existe seulement depuis l’entrée en vigueur du règlement n° 139/2004. À cet égard, il convient de rappeler que l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 ne prévoit plus, pour la notification de concentrations, le délai d’une semaine à compter de la conclusion de l’accord ou de la publication de l’offre d’achat qui était prévu à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89 (voir point 225 ci-dessus).

299    Il était possible, sous le règlement n° 4064/89, d’enfreindre l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, sans enfreindre l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement. En effet, une entreprise qui notifiait une concentration plus d’une semaine après la conclusion de l’accord, mais qui attendait l’autorisation de la Commission avant de la réaliser, enfreignait l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, mais non l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement.

300    En ce qui concerne les sanctions prévues, il convient de relever que, selon l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 4064/89, l’absence de notification conformément à l’article 4 du même règlement était passible d’amendes d’un montant allant de 1 000 à 50 000 écus seulement. La réalisation d’une opération de concentration en violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89 était, en vertu de l’article 14, paragraphe 2, sous b), de ce règlement, passible d’amendes jusqu’à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées.

301    En revanche, dans le règlement n° 139/2004, la violation de l’obligation de notification prévue à l’article 4 ne figure plus à l’article 14, paragraphe 1, mais à l’article 14, paragraphe 2, de ce même règlement, ce qui implique que l’échelle des peines pour la violation de l’article 4, paragraphe 1, et celle pour la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement sont désormais identiques et correspondent à la possibilité d’imposer des amendes jusqu’à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées.

302    Bien que l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 prévoie une obligation de faire (notifier une concentration avant sa réalisation) et que l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement prévoie une obligation de ne pas faire (ne pas réaliser une concentration avant sa notification et son autorisation), une violation de l’obligation de faire entraîne automatiquement une violation de l’obligation de ne pas faire prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004. En effet, selon le cadre juridique actuel, c’est uniquement au moment de la réalisation d’une concentration qu’il est possible de savoir en définitive si une entreprise n’a pas notifié la concentration avant sa réalisation.

303    Il s’ensuit que, au moment où une entreprise viole l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, une violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 commence automatiquement. En effet, au moment de la réalisation de la concentration, l’entreprise concernée enfreint l’obligation de notifier la concentration avant sa réalisation, prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, et l’interdiction correspondante de réaliser une concentration avant notification, prévue à l’article 7, paragraphe 1, premier cas de figure, du règlement n° 139/2004. En même temps, elle enfreint l’interdiction de réaliser une concentration avant autorisation, prévue à l’article 7, paragraphe 1, second cas de figure, du règlement n° 139/2004, car une concentration qui n’a pas été notifiée ne peut pas être déclarée compatible avec le marché intérieur.

304    Dans ce cadre, il convient de relever qu’il n’est pas contesté en l’espèce qu’une violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 constitue une violation instantanée. Cependant, une violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 est une infraction continue qui dure aussi longtemps que l’opération n’est pas déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission, ainsi que la Commission l’a constaté aux points 128, 165 et 166 de la décision attaquée (voir, s’agissant de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 212).

305    En l’espèce, la Commission a relevé, au point 127 de la décision attaquée, que le comportement donnant lieu à la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 et à la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement était un seul et même comportement, à savoir la réalisation d’une concentration revêtant une dimension communautaire avant sa notification et son autorisation. En réponse à une question écrite posée à cet égard par le Tribunal, la Commission a confirmé qu’elle ne contestait pas que les faits ayant entraîné la violation de ces deux dispositions étaient identiques en l’espèce.

306    Il y a lieu de constater que le cadre juridique actuel est inhabituel, en ce qu’il existe deux articles dans le règlement n° 139/2004 dont la violation est passible d’amendes dans la même échelle de peines, mais pour lesquels une violation du premier entraîne nécessairement une violation du second. Il convient cependant le relever qu’il s’agit du cadre juridique que la Commission a dû appliquer et que la requérante ne soulève pas d’exception d’illégalité en ce qui concerne certaines dispositions du règlement n° 139/2004.

2.      Sur l’applicabilité en l’espèce du principe ne bis in idem

307    Selon une jurisprudence constante, le principe ne bis in idem doit être respecté dans les procédures tendant à l’infliction d’amendes, relevant du droit de la concurrence. Ce principe interdit, en matière de concurrence, qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel pour lequel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours (voir arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, point 94 et jurisprudence citée).

308    La Cour a considéré, dans des affaires relevant du droit de la concurrence, que l’application du principe ne bis in idem était soumise à la triple condition d’identité des faits, d’unité de contrevenant et d’unité de l’intérêt juridique protégé (voir arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, point 97 et jurisprudence citée).

309    Il ressort de la jurisprudence citée au point 307 ci-dessus que le principe ne bis in idem a deux volets. Il interdit aussi bien qu’une entreprise soit « poursuivie » une nouvelle fois et que cette entreprise soit « condamnée » une nouvelle fois. Cependant, selon la formulation reprise au point 307 ci-dessus, les deux volets présupposent que l’entreprise en cause a été sanctionnée ou déclarée non responsable « par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours ».

310    Il convient en outre de rappeler que l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est formulé de la manière suivante :

« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi. »

311    Cet article contient également les deux volets, à savoir l’interdiction d’une double poursuite et celle d’une double sanction (poursuivi ou puni). Il convient en outre de relever que cet article mentionne clairement un jugement « définitif », sans effectuer de différenciation entre les deux volets. De plus, il mentionne le fait que la personne concernée a « déjà » été acquittée ou condamnée par un jugement, ce qui confirme la circonstance qu’il doit s’agir d’un jugement antérieur.

312    Certes, le principe ne bis in idem s’applique dans les procédures tendant à l’imposition d’amendes, relevant du droit de la concurrence, et cela indépendamment de la qualification de ces amendes comme étant de nature pénale ou non. En outre, en matière de droit de la concurrence, dans laquelle les amendes sont infligées par la Commission, l’existence d’un « jugement » imposant une amende n’est pas nécessaire. Ainsi que cela est reflété dans la formulation reproduite au point 307 ci-dessus, il suffit qu’il existe une « décision » antérieure qui n’est plus susceptible de recours. Ainsi, la seule existence d’une décision de la Commission infligeant une amende, qui n’a pas été contestée dans les délais et qui n’est donc plus susceptible de recours, suffit pour que le principe ne bis in idem puisse s’appliquer. Cependant, l’élément « définitif » qui ressort de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux s’applique également en droit de la concurrence, ainsi qu’il ressort de la formulation « décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours ».

313    Ensuite, l’article 4, paragraphe 1, du protocole n° 7 de la CEDH est formulé de la manière suivante :

« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État. »

314    Cette disposition contient également les deux volets, à savoir l’interdiction d’une double poursuite et d’une double sanction (poursuivi ou puni), et elle présuppose également l’existence d’un jugement « définitif ». De plus, elle mentionne le fait que la personne concernée a « déjà » été acquittée ou condamnée par un jugement, ce qui confirme la circonstance qu’il doit s’agir d’un jugement antérieur.

315    Le libellé de ces dispositions ne couvre donc pas une situation dans laquelle une autorité impose deux sanctions dans une seule et même décision, comme c’est le cas en l’espèce.

316    Cela est conforme à la raison d’être du principe ne bis in idem. En effet, selon ce principe, lorsque l’auteur de l’infraction est poursuivi et condamné, il doit savoir que, par l’exécution de la peine, il a expié sa faute, et n’a plus à craindre une nouvelle sanction (conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans les affaires Gözütok et Brügge, C‑187/01 et C‑385/01, EU:C:2002:516, point 49).

317    L’imposition de deux sanctions dans une seule et même décision n’est pas contraire à cet objectif. En effet, ainsi que la Commission l’a relevé, en réponse à une question écrite posée à cet égard aux parties, lorsque deux sanctions sont imposées dans une seule et même décision, l’intéressé peut aller de l’avant en sachant qu’il ne sera pas à nouveau sanctionné à l’égard de la même infraction.

318    Il est certes vrai que, dans la requête, la requérante n’a pas explicitement invoqué le principe ne bis in idem, mais le principe nemo debet bis puniri pro uno delicto. La requérante a cependant confirmé, en réponse à une question écrite posée à cet égard par le Tribunal, que le principe qu’elle invoquait correspondait au deuxième volet du principe ne bis in idem, à savoir l’interdiction d’une double sanction, et qu’elle n’invoquait pas un principe distinct du principe ne bis in idem. La Commission a également confirmé, en réponse aux questions écrites posées par le Tribunal, que le principe nemo debet bis puniri pro uno delicto correspondait au deuxième volet du principe ne bis in idem.

319    Il y a lieu de constater que le principe ne bis in idem ne s’applique pas en l’espèce, car les sanctions ont été imposées par la même autorité dans une seule et même décision.

320    Ce résultat n’est remis en cause ni par les arguments de la requérante ni par la jurisprudence des juridictions de l’Union ou de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »).

321    La requérante a affirmé, en réponse aux questions écrites posées par le Tribunal, que la jurisprudence bien établie des juridictions de l’Union en matière de droit de la concurrence comptait plusieurs exemples dans lesquels le principe ne bis in idem a été appliqué lorsque plusieurs amendes avaient été imposées dans une seule et même décision.

322    À cet égard, en premier lieu, la requérante s’appuie sur l’arrêt du 21 juillet 2011, Beneo-Orafti (C‑150/10, EU:C:2011:507). Elle affirme qu’il ressort du point 68 de cet arrêt que la Cour a appliqué le principe ne bis in idem en examinant la question de savoir si le principe ne bis in idem s’opposait à une application cumulative des mesures prévues à l’article 26, paragraphe 1, et à l’article 27 du règlement n° 968/2006 de la Commission, du 27 juin 2006, portant modalités d’exécution du règlement (CE) n° 320/2006 du Conseil instituant un régime temporaire de restructuration de l’industrie sucrière dans la Communauté européenne (JO 2006, L 176, p. 32).

323    Il convient cependant de relever que, dans cette affaire, la Cour a constaté que le principe ne bis in idem n’avait pas vocation à s’appliquer au motif que seule l’une des trois mesures en cause dans cette affaire pouvait être qualifiée de sanction (arrêt du 21 juillet 2011, Beneo-Orafti, C‑150/10, EU:C:2011:507, point 74). La Cour ayant nié l’applicabilité du principe ne bis in idem pour une autre raison, elle ne s’est simplement pas prononcée sur la question de savoir si ce principe s’applique dans une situation dans laquelle plusieurs sanctions sont imposées dans une seule et même décision, ou dans laquelle une deuxième sanction est imposée alors que la décision imposant la première sanction n’est pas encore devenue définitive.

324    Dans la mesure où la requérante s’appuie sur les conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Beneo-Orafti (C‑150/10, EU:C:2011:164), il suffit de constater que la Cour n’a pas suivi ces conclusions en ce qui concerne l’applicabilité du principe ne bis in idem.

325    En deuxième lieu, la requérante invoque l’arrêt du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission (T‑217/03 et T‑245/03, EU:T:2006:391). Les parties requérantes dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt ont fait valoir que la Commission avait violé le principe ne bis in idem en imposant, dans une seule décision, des amendes à plusieurs associations dont les membres étaient pour partie identiques. Selon ces requérantes, ces membres auraient dès lors subi indirectement plusieurs amendes.

326    Le Tribunal s’est limité à constater, au point 344 de l’arrêt du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission (T‑217/03 et T‑245/03, EU:T:2006:391), que l’identité de contrevenants faisait défaut, dans la mesure où la décision attaquée ne sanctionnait pas plusieurs fois les mêmes entités ou les mêmes personnes pour les mêmes faits, de sorte qu’il n’y avait pas atteinte au principe ne bis in idem. Il ne s’est donc pas prononcé sur la question de savoir si le principe ne bis in idem peut s’appliquer dans le cas où plusieurs sanctions ont été imposées dans une seule et même décision.

327    Dans l’arrêt statuant sur le pourvoi contre ce dernier arrêt, à savoir l’arrêt du 18 décembre 2008, Coop de France bétail et viande e.a./Commission (C‑101/07 P et C‑110/07 P, EU:C:2008:741, point 130), qui est également cité par la requérante, la Cour s’est limitée à confirmer l’approche du Tribunal.

328    En troisième lieu, la requérante s’appuie sur l’arrêt du 5 octobre 2011, Transcatab/Commission (T‑39/06, EU:T:2011:562). Dans cet arrêt, le Tribunal a conclu à l’absence d’atteinte au principe ne bis in idem au motif qu’il n’y avait ni identité des faits ni identité des contrevenants (voir points 255 à 259 de cet arrêt). Le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si le principe ne bis in idem s’applique dans une situation dans laquelle plusieurs amendes ont été imposées dans une seule et même décision.

329    Enfin, la requérante s’appuie sur l’arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72). Elle fait valoir que, dans cet arrêt, le principe ne bis in idem a été appliqué à une décision de la Commission du 24 janvier 2007 qui n’était pas encore définitive, tout du moins concernant Toshiba et d’autres principaux destinataires, même à la date du prononcé de l’arrêt de la Cour, le 14 février 2012.

330    Il convient cependant de relever que, dans l’arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72, points 98 à 103), la Cour a rejeté l’applicabilité du principe ne bis in idem pour un autre motif, à savoir l’absence d’identité des faits.

331    La requérante affirme en outre que, dans l’arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72), la Cour a appliqué le principe ne bis in idem dès « l’adoption de la décision [de la Commission] ». Il y a lieu de constater qu’il est certes vrai que, au point 103 de cet arrêt, la Cour mentionne une « décision de la Commission prise avant l’adoption de la décision de ladite autorité nationale de concurrence » et non une décision « devenue définitive » avant cette date. Il n’en reste pas moins que, au point 94 de cet arrêt, la Cour relève clairement que le principe ne bis in idem interdit « qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel du chef duquel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours ». Il ressort donc clairement de cet arrêt que le principe ne bis in idem ne s’applique pas en l’absence d’une décision antérieure définitive.

332    Il y a lieu de constater que la requérante n’identifie aucun arrêt des juridictions de l’Union dans lequel une violation du principe ne bis in idem aurait été constatée dans une situation dans laquelle plusieurs sanctions ont été imposées dans une seule et même décision, ou dans laquelle une deuxième sanction a été imposée avant que la décision imposant la première sanction soit devenue définitive.

333    En ce qui concerne la jurisprudence de la Cour EDH, il ressort clairement de celle-ci que le principe ne bis in idem ne s’applique pas dans une situation dans laquelle plusieurs sanctions sont imposées dans une seule et même décision.

334    Ainsi, il ressort de l’arrêt de la Cour EDH du 7 décembre 2006, Hauser-Sporn c. Autriche (CE:ECHR:2006:1207JUD003730103), que le seul fait qu’un acte soit constitutif de plus d’une infraction n’est pas contraire à l’article 4 du protocole n° 7 de la CEDH. Selon ce même arrêt, c’est uniquement dans l’hypothèse où plusieurs infractions basées sur les mêmes faits sont poursuivies consécutivement, l’une après une décision finale concernant l’autre, qu’il y a lieu, selon la Cour EDH, d’examiner si les infractions comportent les mêmes éléments essentiels.

335    Par ailleurs, dans l’arrêt de la Cour EDH du17 février 2015, Boman c. Finlande (CE:ECHR:2015:0217JUD004160411), celle-ci a relevé que :

« L’article 4 du [p]rotocole n° 7 [de la CEDH] vise à interdire que des procédures criminelles qui ont donné lieu à une décision “définitive” soient intentées de nouveau.

[...]

Les décisions qui sont susceptibles de faire l’objet d’un recours ordinaire sont exclues du champ d’application de la garantie prévue à l’article 4 du [p]rotocole n° 7 [de la CEDH] tant que le délai pour former un tel recours n’a pas expiré. »

336    La requérante a concédé, en réponse aux questions écrites posées par le Tribunal, que, en cas de sanctions successives, la Cour EDH appliquait le principe ne bis in idem si la décision imposant la première sanction était devenue définitive.

337    Elle affirme cependant que la jurisprudence des juridictions de l’Union offre une protection plus étendue contre la double peine, en appliquant ce principe dès l’adoption d’une décision, même si celle-ci n’est pas encore devenue définitive.

338    Cet argument ne saurait être retenu. En effet, il ressort clairement de la jurisprudence citée au point 307 ci-dessus que le principe ne bis in idem « interdit, en matière de concurrence, qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel du chef duquel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours ». Ainsi qu’il ressort des points 322 à 332 ci-dessus, ce principe n’est pas remis en cause par la jurisprudence sur laquelle s’appuie la requérante.

339    Enfin, il y a lieu d’observer que, dans la requête, la requérante a également mentionné le principe d’imputation (Anrechnungsprinzip). En réponse aux questions écrites posées par le Tribunal, la requérante a précisé que le troisième moyen était fondé sur une violation du principe ne bis in idem et que le principe d’imputation constituait un principe distinct mais lié au principe ne bis in idem, et que le principe d’imputation avait été appliqué dans des cas dans lesquels le principe ne bis in idem ne jouait pas entièrement. La requérante a en outre précisé que, selon elle, le principe d’imputation n’avait pas besoin d’entrer en jeu en l’espèce, car le principe ne bis in idem serait d’application. Elle soutient que, en tout état de cause, même si le Tribunal jugeait qu’il existe des raisons d’appliquer le principe d’imputation en l’espèce, le résultat devrait sans aucun doute être le même, à savoir que le montant de la première amende devrait être déduit de celui de la seconde.

340    Il convient de relever que le principe d’imputation a été discuté, en matière de droit de la concurrence, dans des situations concernant des amendes infligées dans un État membre ou dans un État tiers.

341    Dans l’arrêt du 13 février 1969, Wilhelm e.a. (14/68, EU:C:1969:4), qui a été prononcé à un moment où le règlement n° 1/2003 n’était pas encore en vigueur (voir, s’agissant de la situation après la création du réseau européen de la concurrence, arrêt du 13 juillet 2011, ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission, T‑144/07, T‑147/07 à T‑150/07 et T‑154/07, EU:T:2011:364, point 187), la Cour a dit pour droit ce qui suit. Les autorités de concurrence des États membres peuvent, en principe, intervenir contre une entente, en application de leur loi interne, même lorsqu’une procédure parallèle concernant cette entente est pendante devant la Commission. Elle a également relevé, au point 11 de cet arrêt, que, si la possibilité d’une double procédure devait conduire à un cumul de sanctions, une exigence générale d’équité impliquait qu’il soit tenu compte de toute « décision répressive antérieure » pour la détermination d’une éventuelle sanction (voir également, en ce sens, arrêt du 6 avril 1995, Sotralentz/Commission, T‑149/89, EU:T:1995:69, point 29). La Cour a en outre relevé, au point 3 de l’arrêt du 14 décembre 1972, Boehringer Mannheim/Commission (7/72, EU:C:1972:125), que, en fixant le montant d’une amende, la Commission était obligée de tenir compte de sanctions qui auraient « déjà » été supportées par la même entreprise pour le même fait, lorsqu’il s’agissait de sanctions infligées pour infraction au droit des ententes d’un État membre.

342    Il s’agit donc d’un principe qui s’applique lorsqu’il existe une « décision répressive antérieure » ou, en d’autres termes, dans le cas de sanctions pour infractions au droit des ententes d’un État membre ayant « déjà » été supportées par la même entreprise pour le même fait, et non dans le cas d’une imposition de deux amendes par la même autorité dans une seule et même décision. Il est d’ailleurs tout à fait approprié de traiter ces types de situations de manière différente. En effet, lorsque la Commission et l’autorité d’un État membre imposent des sanctions pour la même entente, il existe un risque que chaque amende, prise isolément, soit proportionnée, mais que les deux amendes, prises ensemble, soient disproportionnées, si l’existence de la première amende n’est pas prise en compte lors de la fixation de la seconde amende. Cependant, lors de la fixation de plusieurs amendes dans une seule et même décision, la Commission peut s’assurer que ces amendes, prises ensemble, soient proportionnées, et le Tribunal peut également examiner cette question.

343    Enfin, la requérante a fait valoir, en réponse aux questions écrites posées par le Tribunal, que, au regard des principes de l’égalité de traitement et de proportionnalité, l’imposition d’une double peine pour un même comportement était aussi injuste dans des procédures parallèles que dans des procédures successives. Cet argument ne saurait être retenu. En effet, lors de l’imposition de deux sanctions par une même autorité dans une seule et même décision, cette dernière peut s’assurer que les sanctions, prises ensemble, soient proportionnées, et le juge peut également vérifier la proportionnalité des sanctions, prises ensemble (voir point 342 ci-dessus). L’imposition de deux sanctions pour un même comportement, par une même autorité dans une seule et même décision, ne saurait donc être considérée, en tant que telle, comme étant contraire aux principes de l’égalité de traitement et de proportionnalité.

344    Au vu de tout ce qui précède, le principe ne bis in idem et le principe d’imputation ne s’appliquent pas à une situation dans laquelle plusieurs sanctions sont imposées dans une seule et même décision, même si ces sanctions sont imposées pour les mêmes faits. En réalité, lorsqu’un même comportement viole plusieurs dispositions passibles d’amendes, la question de savoir si plusieurs amendes peuvent être imposées dans une seule et même décision ne relève pas du principe ne bis in idem, mais des principes régissant le concours d’infractions (voir, s’agissant des problèmes liés au concours d’infractions, les points 345 à 373 ci-après).

3.      Sur les arguments de la requérante relatifs au concours d’infractions

345    La requérante fait valoir que, selon le droit international et le droit allemand, le principe de « conflit apparent » ou « faux conflit » (unechte Konkurrenz) signifie que, lorsqu’un acte semble relever de deux dispositions légales, la disposition principalement applicable exclut toutes les autres dispositions sur la base des principes de subsidiarité, de consommation ou de spécialité, et que de nombreux autres États membres appliquent le principe de conflit apparent sous une forme ou une autre. Selon elle, un certain nombre d’autres États membres n’ont pas explicitement recours à la notion de conflit apparent ou de faux conflit, mais interdisent également l’imposition d’une double sanction pour une infraction plus grave et une infraction moindre incluse dans la première.

346    S’agissant des dispositions en cause en l’espèce, la requérante fait valoir, plus particulièrement, que la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 est l’infraction la plus spécifique, tandis que la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement est l’infraction la plus générale, de sorte que la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 englobe la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement ou empêche, à tout le moins, la Commission d’imposer une amende distincte pour celle-ci.

347    La Commission conteste les arguments de la requérante.

348    Il y a lieu de constater que, en droit de la concurrence de l’Union, il n’existe pas de règles spécifiques concernant le concours d’infractions. Il convient donc d’examiner les arguments de la requérante tirés des principes du droit international et des ordres juridiques des États membres.

349    Il convient de rappeler que, selon l’argumentation de la requérante (voir point 345 ci-dessus), la « disposition principalement applicable » exclut toutes les autres dispositions.

350    À cet égard, la Commission souligne à juste titre que le législateur n’a pas défini une infraction comme étant plus grave que l’autre, toutes deux étant soumises au même plafond maximal conformément à l’article 14, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 139/2004. Il n’y a donc pas lieu de considérer l’une de ces dispositions comme étant « principalement applicable ».

351    S’agissant de l’argument de la requérante, selon lequel l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, est l’infraction la plus spécifique qui englobe la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, il convient en outre de relever ce qui suit.

352    Il y a lieu de rappeler qu’une infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 est une infraction instantanée, tandis qu’une infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 est une infraction continue qui trouve son point de départ au même moment où l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 est commise (voir point 304 ci-dessus).

353    Par ailleurs, il y a lieu de relever que, selon l’article 1er, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) n° 2988/74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO 1974, L 319, p. 1), le délai de prescription est de trois ans en ce qui concerne les infractions aux dispositions relatives aux notifications des entreprises. Il s’ensuit que le délai de prescription est de trois ans pour les infractions à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004. En revanche, pour les infractions à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2988/74, le délai de prescription est de cinq ans (voir, par analogie, arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 209).

354    Suivre le raisonnement de la requérante aurait pour conséquence qu’une entreprise qui viole tant l’obligation de notifier que l’interdiction de réaliser une concentration avant son autorisation serait avantagée par rapport à une entreprise qui viole uniquement l’interdiction de réaliser une concentration avant son autorisation.

355    En effet, une entreprise qui notifie une concentration avant sa réalisation, mais qui la réalise avant d’en avoir obtenu l’autorisation, est passible d’amendes en vertu de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 139/2004, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement. Elle peut donc être sanctionnée pour une infraction continue, qui dure aussi longtemps que l’opération n’est pas déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission, et pour laquelle un délai de prescription de cinq ans est applicable.

356    Si cette même entreprise n’avait même pas notifié la concentration avant sa réalisation, la Commission pourrait, selon le raisonnement suivi par la requérante, uniquement imposer une amende en vertu de l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 139/2004, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, de ce même règlement. L’entreprise pourrait donc uniquement être sanctionnée pour une infraction instantanée, pour laquelle un délai de prescription de seulement trois ans s’applique. Cela signifierait qu’une entreprise serait avantagée en violant, outre l’interdiction de réaliser une concentration avant son autorisation, l’obligation de la notifier.

357    Il est cependant exclu d’interpréter le règlement n° 139/2004 d’une manière qui mènerait à un tel résultat aberrant.

358    L’argument de la requérante, selon lequel l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 est l’infraction la plus spécifique qui englobe la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, ne saurait donc être retenu.

359    Ce résultat n’est pas remis en cause par les arguments de la requérante, soulevés lors de l’audience, visant à remettre en cause le fait que les infractions à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 sont soumises à un délai de prescription de seulement trois ans. En effet, selon le libellé très clair de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2988/74, le délai de prescription est de trois ans en ce qui concerne les infractions aux dispositions relatives aux notifications des entreprises.

360    La circonstance, soulignée par la requérante, que le législateur a augmenté le plafond maximal d’amendes prévu pour la violation de l’obligation de notification, en prévoyant, à l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, un plafond maximal de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées, contre un plafond maximal de 50 000 écus qui était prévu à l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 4064/89 (voir point 300 ci-dessus), n’est pas de nature à modifier le délai de prescription, qui est toujours réglé par l’article 1er, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2988/74.

361    En tout état de cause, à supposer même que le délai de prescription pour la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 et celui pour la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement soient identiques, cela ne remettrait pas en cause la circonstance, au demeurant non contestée par la requérante, qu’une infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 est une infraction instantanée, tandis qu’une infraction à l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement est une infraction continue. Même dans cette hypothèse, le fait de considérer l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 comme l’infraction la plus spécifique qui englobe la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce même règlement, aurait donc pour conséquence qu’une entreprise serait avantagée en violant, outre l’interdiction de réaliser une concentration avant son autorisation, l’obligation de la notifier. En effet, si l’on suivait le raisonnement de la requérante, une entreprise qui viole uniquement l’interdiction de réaliser une concentration avant d’avoir obtenu l’autorisation pourrait être sanctionnée pour une infraction continue, qui dure aussi longtemps que l’opération n’est pas déclarée compatible avec le marché intérieur, tandis qu’une entreprise qui viole également l’obligation de notifier la concentration avant sa réalisation pourrait uniquement être sanctionnée pour une infraction instantanée. Cette dernière entreprise serait donc avantagée par rapport à la première, d’une part, en ce qui concerne la durée de l’infraction et, d’autre part, en ce qui concerne le point de départ du délai de prescription. L’argument de la requérante ne saurait donc être retenu.

362    Il y a donc lieu de constater que c’est à juste titre que la Commission a sanctionné la requérante pour la violation des deux dispositions.

363    Ce résultat n’est pas remis en cause par les autres arguments soulevés par la requérante.

364    La requérante affirme que « la jurisprudence constante des juridictions internationales interdit la double sanction d’une personne pour avoir violé une disposition qui ne peut être violée sans violer une autre disposition ». Elle cite, à cet égard, des arrêts du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ci-après le « TPIY ») et du Tribunal pénal international pour le Rwanda.

365    La requérante s’appuie notamment sur le jugement du TPIY, Le Procureur c/ Vidoje Blagojević & Dragan Jokić, affaire n° IT-02-60-T, 17 janvier 2005, par. 799, qui énonce ce qui suit :

« [P]lusieurs déclarations de culpabilité ne peuvent être prononcées sur la base de différentes dispositions du Statut, mais à raison du même comportement, que si chacune de ces dispositions comporte un élément nettement distinct qui fait défaut dans l’autre. […] L’infraction la plus spécifique englobe celle qui l’est moins, puisque la commission de la première implique forcément que la deuxième a également été commise. »

366    Il résulte de l’arrêt du TPIY,Le Procureur c/ Dragoljub Kunarac, Radomir Kovač et Zoran Vuković, affaire n° IT‑96‑23 & IT‑96‑23/1‑A, 12 juin 2002, par. 168, que cette approche est largement inspirée de l’arrêt de la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis) dans l’affaire Blockburger v. United States, 284 U.S. 299 (1932).

367    Il convient en outre de relever que, dans l’arrêt Alfred Musema c/ Le Procureur, affaire n° ICTR-96-13-A, 16 novembre 2001, par. 360, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a constaté que les approches nationales concernant la question des condamnations multiples sur la base des mêmes faits divergeaient.

368    Il y a lieu de relever que le seul fait que le TPIY applique, aux fins de ses arrêts infligeant des sanctions pénales, un certain critère d’examen, trouvant son origine dans le droit des États-Unis, n’implique nullement que la Commission ou les juridictions de l’Union soient obligées d’appliquer ce même critère. Il convient de souligner que le TPIY n’examine pas la conformité avec les droits fondamentaux des décisions prises ou des arrêts prononcés au niveau national. Il se limite à énoncer, aux fins des sanctions pénales qu’il impose lui-même, des principes qu’il applique dans le cas où un même acte viole plusieurs dispositions pénales. Le TPIY a donc tout simplement déterminé, aux fins de ses propres arrêts, l’approche qu’il considérait comme étant la plus appropriée. Cela n’implique nullement que le TPIY a énoncé un principe général de droit international que tous les États ou l’Union devraient suivre. Il en va de même de la jurisprudence du Tribunal pénal international pour le Rwanda.

369    Les arguments de la requérante tirés de la jurisprudence du TPIY et du Tribunal pénal international pour le Rwanda doivent donc être rejetés.

370    La requérante affirme en outre que l’objectif même du principe ne bis in idem est « d’empêcher le cumul des sanctions pour un comportement qui, comme en l’espèce, viole simultanément des dispositions juridiques distinctes ».

371    À cet égard, il convient de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une question relevant du principe ne bis in idem. En outre, les règles relatives au concours d’infractions n’interdisent pas de manière générale qu’une entreprise soit sanctionnée pour une violation de plusieurs dispositions juridiques distinctes, même si ces dispositions ont été violées par le même comportement.

372    La requérante se limite à faire référence au principe de « conflit apparent » ou « faux conflit » qui signifie que lorsqu’un acte semble relever de deux dispositions légales, la disposition principalement applicable exclut toutes les autres dispositions (voir point 345 ci-dessus). L’application de ce principe présuppose toutefois qu’il existe une « disposition principalement applicable ». S’il n’existe pas une telle disposition, comme c’est le cas en l’espèce, la violation simultanée de dispositions juridiques distinctes constitue un concours idéal d’infractions.

373    Étant donné que, en l’espèce, il n’existe pas une disposition principalement applicable, il y a lieu de rejeter l’argumentation de la requérante.

374    Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

D.      Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur manifeste de droit et de fait commise en imposant des amendes à la requérante

375    Le quatrième moyen s’articule autour de deux branches, tirées, la première, d’une violation des principes de sécurité juridique et nullum crimen, nulla poena sine lege et, la seconde, d’une violation du principe général d’égalité de traitement.

1.      Sur la première branche, tirée d’une violation des principes de sécurité juridique et nullum crimen, nulla poena sine lege

376    La requérante fait valoir que l’imposition d’une amende en l’espèce viole l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux et l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, qui prévoient que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Selon elle, l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, telle qu’effectuée dans la décision attaquée, implique l’utilisation de notions tellement larges et de critères tellement vagues que la disposition pénale en cause n’aurait pas la qualité requise au titre de la CEDH en termes de clarté et de prévisibilité de ses effets.

377    Il convient de rappeler, tout d’abord, que, selon la jurisprudence, le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (voir arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 40 et jurisprudence citée).

378    De même, il résulte de la jurisprudence que le principe de légalité s’impose tant aux normes de caractère pénal qu’aux instruments administratifs spécifiques imposant ou permettant d’imposer des sanctions administratives et qu’il s’applique non seulement aux normes qui établissent les éléments constitutifs d’une infraction, mais également à celles qui définissent les conséquences qui découlent d’une infraction aux premières (voir arrêt du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, EU:T:2006:270, point 72 et jurisprudence citée).

379    En l’espèce, il convient de rappeler que la requérante s’est vu infliger une amende, conformément à l’article 14, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 139/2004, pour avoir enfreint l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 (voir point 199 ci-dessus). Le libellé de ces dispositions est clair. Aucune de ces dispositions ne contient de larges notions ni de vagues critères.

380    La requérante invoque, en substance, l’absence de clarté de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, qui prévoit une exception.

381    À cet égard, il convient de relever que, à supposer même que l’exigence de clarté découlant du principe de légalité des peines s’applique à des dispositions prévoyant une exception à une interdiction dont l’infraction est passible d’amendes, l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 n’est, selon son libellé, pas applicable à des situations telles que celle en cause en l’espèce (voir points 68 à 83 ci-dessus).

382    La requérante pouvait donc savoir, à partir du libellé des dispositions pertinentes, que la réalisation de l’acquisition de décembre 2012 sans notification et autorisation préalables était passible d’amendes.

383    Étant donné que la requérante pouvait le savoir à partir du libellé des dispositions pertinentes, il n’était pas nécessaire qu’elles aient fait l’objet d’une interprétation par les tribunaux. En effet, selon la formulation citée au point 377 ci-dessus, il faut que le justiciable puisse savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et « au besoin » à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.

384    Il est certes vrai que l’obiter dictum dans la décision Yara/Kemira GrowHow ne correspond pas à une interprétation par des tribunaux, et encore moins à une « jurisprudence constante et publiée ». À cet égard, il convient de relever que, outre le texte de la loi elle-même, il y a lieu de tenir compte de la question de savoir si les notions indéterminées utilisées ont été précisées par une jurisprudence constante et publiée (voir arrêt du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, T‑446/05, EU:T:2010:165, point 129 et jurisprudence citée).

385    Cependant, les arguments de la requérante à cet égard sont inopérants, car une précision par la jurisprudence n’est pas nécessaire lorsque le libellé des dispositions en cause est clair et ne comporte pas de notions indéterminées nécessitant une précision.

386    Il convient de rappeler dans ce cadre que la requérante essaie, en substance, d’élargir le champ d’application du concept de « concentration unique » et d’élargir ainsi le champ d’application de l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 (voir point 203 ci-dessus).

387    Le principe de légalité des délits et des peines n’implique pas qu’il soit nécessaire d’interpréter de manière large le champ d’application d’un concept qui ne se trouve pas dans le libellé d’une disposition prévoyant une exception à une interdiction dont l’infraction est passible d’amendes, afin d’élargir le champ d’application de cette exception au-delà de son libellé.

388    L’existence d’une infraction et l’imposition des amendes étaient prévisibles pour la requérante. Il convient de rappeler que, dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, le caractère négligent du comportement de la requérante a déjà été constaté.

389    Par ailleurs, le seul fait que, au moment où une infraction est commise, les juridictions de l’Union n’ont pas encore eu l’occasion de se prononcer spécifiquement sur un comportement précis n’exclut pas, en tant que tel, qu’une entreprise doit, le cas échéant, s’attendre à ce que son comportement puisse être déclaré incompatible avec les règles de concurrence du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 43).

390    Il ressort également de la jurisprudence de la Cour EDH que le caractère inédit, au regard notamment de la jurisprudence, de la question juridique posée ne constitue pas en soi une atteinte aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité de la loi, dès lors que la solution retenue faisait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles (Cour EDH, 1er septembre 2016, X et Y c. France, CE:ECHR:2016:0901JUD004815811). Il ressort en outre du paragraphe 60 de ce même arrêt que, même dans le cas où l’articulation des dispositions en cause dans un cas d’espèce peut constituer une difficulté sérieuse d’interprétation, cela n’implique pas que l’autorité compétente est dans l’incapacité de qualifier juridiquement les fautes commises dans un cas d’espèce.

391    L’argument de la requérante, selon lequel l’approche de la Commission dans la présente affaire était en contradiction avec l’approche qu’elle a suivie dans l’affaire ayant donné lieu à la décision LGI/Telenet, a déjà été rejeté aux points 141 à 144 ci-dessus.

392    En ce qui concerne l’affirmation de la requérante selon laquelle, en l’absence de précédents pertinents, la pratique des juridictions de l’Union et de la Commission, établie de longue date, a été de s’abstenir d’imposer une quelconque amende, ou de n’imposer qu’une amende symbolique, il y a lieu de relever qu’il n’existe pas de pratique constante en ce sens. Certes, il existe des affaires dans lesquelles la Commission n’a imposé aucune amende ou a imposé une amende symbolique en l’absence de précédents. Cependant, dans d’autres affaires, la Commission a imposé des amendes élevées même dans des situations dans lesquelles il n’existait pas de précédents relatifs à un comportement présentant les mêmes caractéristiques.

393    Il ressort de la jurisprudence que le fait qu’un comportement présentant les mêmes caractéristiques n’ait pas encore été examiné dans des décisions antérieures n’exonère pas une entreprise de sa responsabilité (arrêts du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, EU:C:1983:313, point 107, et du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 901). Dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts, la Commission a imposé des amendes qui n’étaient pas d’un montant symbolique.

394    Il convient donc de rejeter la première branche du quatrième moyen.

2.      Sur la seconde branche, tirée d’une violation du principe général d’égalité de traitement

395    Dans le cadre de la seconde branche du quatrième moyen, la requérante invoque, en substance, trois cas antérieurs et réclame le même traitement. Il s’agit, premièrement, de l’affaire ayant donné lieu à la décision Yara/Kemira GrowHow, deuxièmement, de l’arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission (T‑86/95, EU:T:2002:50), et, troisièmement, de l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245).

396    Ainsi que la requérante le souligne, la présente affaire et l’affaireayant donné lieu à la décision Yara/Kemira GrowHow concernent toutes deux l’acquisition d’une participation initiale « de départ » auprès d’un principal actionnaire de la société cible, qui a donné lieu à une obligation de lancer une offre publique. L’offre publique a été lancée peu de temps après la réalisation de l’acquisition initiale, et les acquéreurs ont informé la Commission de la concentration peu de temps après celle-ci et se sont abstenus d’exercer les droits de vote.

397    Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Yara/Kemira GrowHow, la Commission n’a pas ouvert d’enquête et n’a pas imposé d’amendes. Selon la requérante, aucune différence objective ne justifie le traitement différent de la société Yara et de la requérante. La requérante invite le Tribunal à adopter l’approche suivie dans son arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission (T‑86/95, EU:T:2002:50, point 487), dans lequel il a constaté qu’une amende n’était pas justifiée parce que la Commission n’avait pas infligé d’amende dans une décision antérieure relative à un comportement similaire.

398    À cet égard, il convient de relever que la circonstance que la Commission n’a pas infligé d’amende à l’auteur d’une violation des règles de concurrence ne saurait, à elle seule, empêcher que soit infligée une amende à l’auteur d’une infraction de même nature (arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission, T‑86/95, EU:T:2002:50, point 487). En outre, dès lors qu’une entreprise a, par son propre comportement, commis une violation des règles de concurrence, elle ne saurait échapper à toute sanction au motif que d’autres opérateurs économiques ne se sont pas vu infliger d’amende, lorsque, comme en l’espèce, le juge de l’Union n’est pas saisi de la situation de ces derniers (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2014, Sasol e.a./Commission, T‑541/08, EU:T:2014:628, point 194).

399    Il convient en outre de relever que, dans l’arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission (T‑86/95, EU:T:2002:50), le Tribunal ne s’est pas limité à constater que la Commission n’avait pas infligé d’amende dans une décision antérieure relative à un comportement similaire afin de justifier l’annulation de l’amende. Le Tribunal a notamment constaté que « le traitement juridique qu’il convenait de réserver à ce type d’accord, en particulier en raison de ses liens étroits avec le transport maritime qui fait l’objet d’une réglementation tout à fait spécifique et exceptionnelle en droit de la concurrence, ne présentait pas un caractère d’évidence et soulevait, notamment, des questions complexes tant de nature économique que juridique » (arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission, T‑86/95, EU:T:2002:50, point 484), que « de nombreux éléments ont pu inciter les requérantes à croire en la légalité de l’accord en cause » (arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission, T‑86/95, EU:T:2002:50, point 485) et que, « dans sa décision 94/980, la Commission n’a pas infligé d’amende aux compagnies parties à cet accord, alors que, non seulement, l’accord en cause prévoyait également la fixation des prix du segment terrestre du transport multimodal, mais contenait, en outre, d’autres infractions graves aux règles de concurrence » (arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission, T‑86/95, EU:T:2002:50, point 487). En ce qui concerne la décision 94/980/CE de la Commission, du 19 octobre 1994, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/34.446 – Trans Atlantic Agreement) (JO 1994, L 376, p. 1), le Tribunal a constaté qu’il s’agissait d’une décision « rendue très peu de temps avant la décision attaquée » (arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission, T‑86/95, EU:T:2002:50, point 487).

400    Il convient de relever que la décision 94/980 date du 19 octobre 1994 et que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission (T‑86/95, EU:T:2002:50), la communication des griefs avait été notifiée par lettre du 21 décembre 1992 et la décision attaquée datait du 21 décembre 1994, ainsi qu’il ressort des points 20 et 22 de cet arrêt.

401    Il s’ensuit que les opérateurs en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission (T‑86/95, EU:T:2002:50) n’avaient pas eu la possibilité de prendre en considération les clarifications apportées par la Commission dans sa décision 94/980 afin d’éviter une infraction aux règles de concurrence. En effet, lorsqu’ils ont pu prendre connaissance de la décision de la Commission datant du 19 octobre 1994, ils n’étaient pas en mesure de modifier de manière rétroactive leur comportement ayant donné lieu à la communication des griefs notifiée par lettre du 21 décembre 1992.

402    Cependant, en l’espèce, la décision Yara/Kemira GrowHow datait de plus de cinq ans au moment où la requérante a commis les infractions à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, ainsi que la Commission le souligne à juste titre. La requérante aurait donc pu prendre en considération l’interprétation donnée à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 par la Commission dans cette décision, bien que dans un obiter dictum, et, le cas échéant, contacter la Commission au sujet de l’interprétation qu’il convenait de donner à cette disposition.

403    La requérante affirme à cet égard que la Commission ignore un élément essentiel de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission (T‑86/95, EU:T:2002:50), qui rendrait la différence dans le temps sans pertinence ou, à tout le moins, insignifiante. Cette dernière affaire aurait impliqué une décision d’infraction au titre de l’article 101 TFUE, par comparaison avec un simple obiter dictum dans la décision Yara/Kemira GrowHow, à savoir une décision d’autorisation de concentration.

404    Cet argument de la requérante ne saurait être retenu. En effet, le seul fait que la décision 94/980 constituait une décision constatant une infraction ne pouvait être d’aucune aide pour les opérateurs afin d’éviter des infractions qu’ils avaient déjà commises à la date de cette décision. Cependant, en l’espèce, l’existence de l’obiter dictum dans la décision Yara/Kemira GrowHow était susceptible de donner des indications sur la manière dont il convenait d’interpréter l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 et donc d’aider la requérante à éviter de commettre les infractions en cause.

405    Il convient en outre d’observer que la requérante s’appuie, d’une part, sur une prétendue pratique des juridictions de l’Union et de la Commission qui consisterait à s’abstenir d’imposer une quelconque amende ou à n’imposer qu’une amende symbolique en l’absence de précédents pertinents (voir point 392 ci-dessus) et, d’autre part, sur le principe d’égalité de traitement par rapport à une autre entreprise à laquelle aucune amende n’avait été imposée.

406    Si la logique de ce raisonnement était suivie, la Commission ne pourrait jamais imposer d’amendes au-delà d’un montant symbolique. En effet, lors de la première décision qui concerne un comportement particulier, elle serait contrainte de ne pas imposer d’amendes au-delà d’un montant symbolique, en l’absence de précédents pertinents. Pour les affaires ultérieures, elle serait obligée de ne pas imposer d’amendes au-delà d’un montant symbolique, en vertu du principe d’égalité de traitement.

407    Il y a lieu de considérer que le principe d’égalité de traitement, par rapport à une entreprise à laquelle aucune amende n’a été imposée dans une décision antérieure pour le même type de comportement, peut, en principe, être utilement invoqué seulement par des opérateurs qui n’ont pas eu la possibilité de prendre en considération les clarifications données dans la décision antérieure, pour éviter d’enfreindre les règles de concurrence, car cette décision est intervenue à un moment où l’infraction avait déjà été commise.

408    Par ailleurs, en l’espèce, il n’existait pas de nombreux éléments ayant pu inciter la requérante à croire en la légalité de son comportement, contrairement à ce que le Tribunal a constaté dans l’arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission (T‑86/95, EU:T:2002:50, point 485).

409    Il résulte de ce qui précède que, en l’espèce, il n’y a pas lieu de suivre la même approche que celle suivie dans l’arrêt du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission (T‑86/95, EU:T:2002:50), et que la requérante ne saurait utilement invoquer cet arrêt afin d’étayer son argument tiré d’une prétendue violation du principe d’égalité de traitement.

410    En ce qui concerne l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), il convient de relever que, dans cet arrêt, le Tribunal a conclu qu’il était justifié de ne pas imposer d’amende (point 1633 de l’arrêt). La requérante demande au Tribunal d’adopter la même conclusion dans la présente affaire.

411    Dans l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), le Tribunal a retenu les éléments suivants qui justifiaient de ne pas imposer d’amende :

–        en premier lieu, les parties requérantes dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt avaient dévoilé, de leur propre initiative, les pratiques qui avaient été retenues par la Commission comme constituant des pratiques abusives (points 1603 à 1610 de l’arrêt) ;

–        en deuxième lieu, la décision en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt constituait la première décision dans laquelle la Commission avait apprécié directement la légalité des pratiques adoptées par les conférences maritimes en matière de contrats de services au regard des règles de concurrence (points 1611 à 1614 de l’arrêt) ;

–        en troisième lieu, le traitement juridique qu’il convenait de réserver aux pratiques en cause ne présentait pas un caractère d’évidence et soulevait des questions complexes sur le plan juridique (points 1615 et 1616 de l’arrêt) ;

–        en quatrième lieu, l’abus résultant des pratiques en matière de contrats de services ne constituait pas une forme classique de pratique abusive (points 1617 à 1621 de l’arrêt) ;

–        en cinquième lieu, les parties requérantes dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt avaient toutes les raisons de croire, au cours de la procédure administrative, que la Commission ne leur infligerait pas d’amende du fait de leurs pratiques en matière de contrats de services (points 1622 à 1632 de l’arrêt).

412    Il convient d’examiner les arguments soulevés par la requérante à l’appui de son affirmation selon laquelle la situation à la base de l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), est comparable à celle à la base de la présente affaire.

413    La requérante affirme, en premier lieu, que, tout comme les parties requérantes dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), elle a relevé la prétendue infraction de sa propre initiative, en informant immédiatement la Commission de l’opération de concentration.

414    À cet égard, il convient de relever que les circonstances de la présente affaire ne sont nullement comparables à celles à la base de l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245).

415    Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), la notification de l’accord en cause avait eu lieu sur une base volontaire. Le Tribunal a constaté, à cet égard, qu’aucun des règlements en cause ne prévoyait un système de notification obligatoire pour l’octroi d’une exemption individuelle, de sorte que la notification de l’accord TACA, à savoir l’accord en cause dans cette affaire, avait été effectuée par les parties requérantes sur une base volontaire (arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245, point 1606).

416    En l’espèce, la requérante était obligée de notifier la concentration en cause, qui constituait une concentration de dimension communautaire, et elle a d’ailleurs estimé être obligée de la notifier en vertu de l’article 7, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 139/2004, lu en combinaison avec l’article 4 de ce même règlement.

417    En outre, en l’espèce, la notification a eu lieu après la réalisation de la concentration, tandis que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), les entreprises en cause avaient notifié l’accord en cause avant son entrée en vigueur. Ainsi qu’il ressort des points 34 et 37 de l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), l’accord en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt avait été notifié le 5 juillet 1994 et il est entré en vigueur le 24 octobre 1994.

418    La requérante affirme, en second lieu, que la décision en l’espèce constitue la première décision dans laquelle la Commission a apprécié la portée de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 de la manière dont elle l’a fait. Tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), la décision attaquée serait donc la première décision dans laquelle la Commission a apprécié directement la légalité des pratiques en question.

419    À cet égard, il convient de relever que, dans la décision Yara/Kemira GrowHow, la Commission s’était déjà prononcée, bien que dans un obiter dictum, sur l’interprétation qu’il convenait de donner à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. La situation se présentant dans la présente affaire n’est donc pas comparable à celle à la base de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245).

420    La requérante s’appuie en outre sur le point 1614 de l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245). À ce point, le Tribunal a constaté :

« [S]’il est exact […] que, dans sa communication des griefs dans l’affaire TAA, elle a indiqué aux parties au TAA qu’elle envisageait d’infliger des amendes pour abus de position dominante en matière de contrats de services, il doit être observé que, dans sa décision finale, la Commission n’a constaté aucune infraction à l’article 86 du traité sur ce point. Dans ces circonstances, eu égard au caractère provisoire de la communication des griefs, les requérantes ont pu croire que la Commission avait retiré ses griefs concernant l’application de l’article 86 du traité aux pratiques en matière de contrats de services. »

421    La requérante considère que, par analogie, en l’absence d’action de la Commission à l’égard de la société Yara, elle pouvait croire que la Commission avait retiré ses griefs concernant l’application de l’exemption prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

422    Cependant, ces situations ne sont pas comparables. Une communication des griefs constitue uniquement un document préparatoire qui n’est d’ailleurs pas publié. Dans l’affaire TAA, mentionnée au point 1614 de l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), la Commission avait d’ailleurs adopté une décision, mais elle n’avait pas constaté l’existence d’une infraction consistant en un abus de position dominante en matière de contrats de services dans cette décision. C’est dans ces circonstances que le Tribunal avait constaté que les parties requérantes dans cette affaire pouvaient croire que la Commission avait retiré une partie de ses griefs.

423    En revanche, l’obiter dictum dans la décision Yara/Kemira GrowHow était susceptible de donner aux entreprises une indication sur la manière dont la Commission interprétait l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. Le fait qu’elle n’a pas entamé de procédure à l’encontre de la société Yara ne permet pas aux opérateurs de considérer que la Commission est revenue sur cette interprétation. En effet, la Commission dispose d’une marge d’appréciation concernant la question de savoir s’il convient ou non de poursuivre une infraction aux règles de concurrence et elle peut définir ses propres priorités. Il n’est nullement permis de conclure que la Commission considère qu’un comportement est légal au motif qu’elle décide de ne pas ouvrir une enquête à cet égard.

424    Ensuite, la requérante s’appuie sur le point 1615 de l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245). À ce point, le Tribunal a relevé qu’« il ne saurait être sérieusement contesté que le traitement juridique qu’il convenait de réserver aux pratiques des conférences maritimes sur les contrats de services ne présentait pas, en particulier en raison de leurs liens étroits avec les accords faisant l’objet de l’exemption par catégorie prévue par une réglementation tout à fait spécifique et exceptionnelle en droit de la concurrence, un caractère d’évidence et soulevait, notamment, des questions complexes sur le plan juridique ». La requérante considère que l’interprétation donnée dans la décision attaquée à l’exemption prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 était, de même, loin de présenter un caractère d’évidence.

425    Il y a cependant lieu de relever que, au point 1615 de l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), le Tribunal s’est notamment appuyé sur les liens étroits existants entre les pratiques en cause et « les accords faisant l’objet de l’exemption par catégorie prévue par une réglementation tout à fait spécifique et exceptionnelle en droit de la concurrence ». Il s’agissait donc de circonstances tout à fait particulières, ce qui fait défaut en l’espèce.

426    De plus, la requérante relève que le Tribunal a constaté, au point 1617 de l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), que « l’abus résultant des pratiques en matière de contrats de services ne constitu[ait] pas une forme classique de pratique abusive au sens de l’article 86 du traité ». Selon elle, la présente affaire constitue, tout au plus, une affaire d’interprétation erronée d’une exemption, plutôt qu’une claire violation classique de l’obligation de statu quo.

427    À cet égard, il suffit de rappeler que l’obligation de notifier la concentration en cause et d’attendre son autorisation avant sa réalisation découle clairement du libellé de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004. Le fait que la requérante a pu interpréter de manière erronée l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 ne saurait l’exonérer de sa responsabilité.

428    Enfin, la requérante souligne que le Tribunal a relevé, aux points 1626 et 1627 de l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), que, « en dépit d’un échange de correspondance continu avec les parties au TACA au cours de la procédure administrative dans la présente affaire, la Commission n’a pas, jusqu’à l’envoi de la communication des griefs, informé lesdites parties qu’elle entendait qualifier les pratiques en cause non seulement de restrictions de concurrence au sens de l’article 85 du traité, mais également d’abus de position dominante au sens de l’article 86 du traité », et qu’« il [convenait] de rappeler que l’ensemble des amendes infligées par la décision attaquée l’[avait] été pour la période s’étendant de la notification de l’accord TACA à l’envoi de la communication des griefs ».

429    La requérante affirme que, par analogie, en dépit d’un échange de correspondance continu entre elle-même et la Commission au sujet de la portée de l’exemption prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, la Commission n’a pas, jusqu’à l’envoi de la décision d’autorisation, informé la requérante qu’elle entendait qualifier l’opération de violation de l’obligation de statu quo. En outre, selon la requérante, « l’ensemble des amendes infligées par la [décision] l’a été pour la période s’étendant de la notification de l’[opération] à [son autorisation] ».

430    À cet égard, il convient de souligner que la situation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245) n’est nullement comparable à celle en cause en l’espèce.

431    Tout d’abord, il y a lieu de relever que l’affirmation de la requérante selon laquelle, par analogie avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), en l’espèce, « l’ensemble des amendes infligées par la [décision] l’a été pour la période s’étendant de la notification de l’[opération] à [son autorisation] », est dépourvue de tout fondement.

432    Dans la décision attaquée, la Commission a constaté une infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, qui avait été commise le 18 décembre 2012, et une infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, qui avait été commise dans la période comprise entre le 18 décembre 2012 et le 30 septembre 2013.

433    La première prise de contact de la requérante avec la Commission, à savoir la demande de désignation d’une équipe chargée de traiter son dossier concernant l’acquisition du contrôle exclusif de Morpol, datait du 21 décembre 2012.

434    Même à la date de la première prise de contact de la requérante avec la Commission, l’infraction à l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 était donc terminée et celle à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 avait commencé. Tel était également le cas, à plus forte raison, à la date de la notification formelle, à savoir le 9 août 2013.

435    La requérante ayant contacté la Commission seulement après avoir commis les infractions, elle ne peut nullement réclamer le même traitement que celui accordé aux parties requérantes dans l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), qui avaient notifié l’accord TACA, sur une base volontaire, avant son entrée en vigueur (voir points 415 et 417 ci-dessus).

436    Par ailleurs, il ressort du point 1620 de l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, « ce n’[étai]t que dans la communication des griefs, après trois années d’examen des pratiques en cause, que la Commission a[vait] indiqué pour la première fois aux parties au TACA qu’elle envisageait d’appliquer l’article 86 du traité auxdites pratiques, et ce alors même qu’il ressort[ait] de la correspondance échangée au cours de la procédure administrative qu’elle avait déjà examiné en détail ces pratiques à la fin de 1994 et au début de 1995 », et que, « [à] ce stade, la Commission n’a[vait] toutefois, à aucun moment, fait allusion à une application éventuelle de l’article 86 du traité ».

437    En l’espèce, il convient de rappeler que la première prise de contact de la requérante avec la Commission, à savoir la demande de désignation d’une équipe chargée de traiter son dossier concernant l’acquisition du contrôle exclusif de Morpol, datait du 21 décembre 2012. Ainsi qu’il ressort du point 21 de la décision attaquée, en l’absence de tout contact pris par la requérante après la présentation de la demande de désignation d’une équipe, la Commission a demandé la tenue d’une téléconférence, laquelle a eu lieu le 25 janvier 2013. Pendant la téléconférence, la Commission a demandé des informations concernant la structure de l’opération et des éclaircissements quant à la question de savoir si l’acquisition de décembre 2012 pouvait déjà avoir conféré à la requérante le contrôle de Morpol.

438    Le fait que la Commission a, dès le début, montré un intérêt concernant une éventuelle violation de l’obligation de statu quo est confirmé par un courriel que le conseiller juridique de la société d’avocats F. a écrit le 27 janvier 2013 à la requérante. Dans ce courriel, ce conseiller juridique a écrit que, « [s]ur demande de l’équipe chargée de l’affaire, nous avons brièvement expliqué la structure de l’opération » et que, « [d]ans ce cadre, la Commission a manifesté un intérêt particulier s’agissant du déroulement de l’opération concernant la réalisation ».

439    De plus, le 12 février 2013, la Commission a envoyé à la requérante une demande de renseignements concernant l’acquisition éventuelle d’un contrôle de fait de Morpol à la suite de l’acquisition de décembre 2012. Dans cette demande de renseignements, la Commission a notamment posé la question suivante :

« Veuillez expliquer, à la lumière de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement [n° 139/2004], le calendrier que vous proposez pour la notification. En particulier, veuillez expliquer pourquoi vous considérez que l’obligation de statu quo prévue à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement ne s’applique pas à l’acquisition par Marine Harvest d’une participation de 48,5 % dans Morpol par l’intermédiaire de Friendmall et de Bazmonta. »

440    La Commission a donc, peu de temps après la première prise de contact de la requérante, exprimé des préoccupations relatives à une éventuelle violation de l’obligation de statu quo. Cette situation n’est nullement comparable à celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), dans laquelle ce n’était qu’« après trois années d’examen des pratiques en cause, que la Commission a[vait] indiqué pour la première fois aux parties au TACA qu’elle envisageait d’appliquer l’article 86 du traité auxdites pratiques » (voir point 436 ci-dessus).

441    Il résulte de ce qui précède que les analogies, que la requérante essaie d’établir entre la présente affaire et l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245), ne sauraient convaincre.

442    Il y a donc lieu de rejeter également la seconde branche du quatrième moyen et, par conséquent, le quatrième moyen dans son ensemble.

E.      Sur le cinquième moyen, tiré d’une erreur manifeste de droit et de fait et d’une absence de motivation en ce qui concerne la fixation des niveaux des amendes

443    Le cinquième moyen s’articule autour de cinq branches, tirées, la première, d’une absence de motivation en ce qui concerne la fixation du montant de l’amende, la deuxième, d’une appréciation erronée de la gravité des infractions alléguées, la troisième, d’une appréciation erronée de la durée de l’infraction alléguée, la quatrième, de ce que l’amende est disproportionnée et, la cinquième, de ce que la décision attaquée n’admet pas, à tort, de circonstances atténuantes.

1.      Sur la première branche, tirée d’une absence de motivation en ce qui concerne la fixation du montant de l’amende

444    La requérante fait valoir que la motivation de la décision attaquée en ce qui concerne le montant de l’amende se limite à deux points concis (points 206 et 207 de la décision attaquée) qui ne contiennent que des considérations générales. Selon elle, l’amende imposée est donc entachée d’une absence de motivation adéquate et doit être annulée.

445    La Commission conteste les arguments de la requérante.

446    Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure adoptée et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 15 avril 1997, Irish Farmers Association e.a., C‑22/94, EU:C:1997:187, point 39 et jurisprudence citée). Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 6 mars 2003, Interporc/Commission, C‑41/00 P, EU:C:2003:125, point 55 et jurisprudence citée).

447    En ce qui concerne les amendes imposées en vertu de l’article 14 du règlement n° 139/2004, il convient de rappeler que, selon le paragraphe 3 de ce même article, « [p]our fixer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération la nature, la gravité et la durée de l’infraction ».

448    En outre, selon l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, la Commission peut infliger des amendes jusqu’à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées au sens de l’article 5 de ce même règlement pour une violation de l’obligation de notification prévue à l’article 4 du règlement n° 139/2004 et pour une réalisation d’une concentration en violation de l’article 7 de ce même règlement.

449    Par ailleurs, il y a lieu de relever que la Commission n’a pas adopté de lignes directrices énonçant la méthode de calcul qui s’imposerait à elle dans le cadre de la fixation du montant des amendes en vertu de l’article 14 du règlement n° 139/2004, ce que la requérante admet d’ailleurs.

450    En l’absence de telles lignes directrices, le cadre de l’analyse de la Commission doit être celui de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004 (voir, par analogie, arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 228). Elle est toutefois tenue de faire apparaître d’une façon claire et non équivoque dans la décision attaquée les éléments pris en compte dans la détermination du montant de l’amende (arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 228).

451    En l’espèce, sous le titre « 5. Montant des amendes » de la décision attaquée figurent seulement deux points, à savoir les points 206 et 207. Dans ces points, la Commission se limite en substance à constater que, dans le cas d’une entreprise de la taille de la requérante, le montant de la sanction doit être important pour avoir un effet dissuasif, que cela est d’autant plus le cas lorsque l’opération qui a été réalisée avant d’être autorisée a soulevé des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur et que, « [a]fin d’infliger une amende pour l’infraction et d’en prévenir le renouvellement, et compte tenu des circonstances spécifiques de l’espèce », il convenait d’infliger, en vertu de l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, une amende de 10 000 000 euros pour la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 et une amende de 10 000 000 euros pour la violation de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement.

452    Cependant, ainsi que la Commission le souligne, il ressort de la référence aux « circonstances spécifiques de l’espèce », faite au point 207 de la décision attaquée, qu’il y a également lieu de tenir compte des développements figurant sous le titre « 4. La décision d’infliger des amendes » de ladite décision, à savoir des points 124 à 205.

453    Dans ces points, la Commission a examiné les facteurs énumérés à l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004, à savoir la nature, la gravité et la durée de l’infraction (voir, à cet égard, le résumé figurant aux points 31 à 33 ci-dessus). Dans ce cadre, elle a fait apparaître de façon claire et non équivoque les éléments pris en compte dans la détermination du montant de l’amende, permettant ainsi à la requérante de se défendre et au Tribunal d’exercer son contrôle. Dans le cadre des deuxième et troisième branches du cinquième moyen, la requérante conteste d’ailleurs en détail les appréciations de la Commission quant à la gravité et la durée de l’infraction, ce qui confirme que l’examen de ces facteurs dans la décision attaquée est suffisamment précis pour permettre à la requérante de se défendre.

454    La requérante souligne que la Commission n’a mentionné ni le montant de départ de l’amende, ni l’approche suivie pour le fixer, ni le poids attribué aux facteurs influençant l’amende.

455    À cet égard, il y a lieu de relever que, lorsque la Commission n’a pas adopté de lignes directrices énonçant la méthode de calcul qui s’imposerait à elle dans le cadre de la fixation du montant des amendes en vertu d’une disposition déterminée et que le raisonnement de la Commission apparaît d’une façon claire et non équivoque dans la décision attaquée, celle-ci n’est pas tenue de chiffrer, en valeur absolue ou en pourcentage, le montant de base de l’amende et les éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes (arrêts du 15 décembre 2010, E.ON Energie/Commission, T‑141/08, EU:T:2010:516, point 284, et du 26 novembre 2014, Energetický a průmyslový et EP Investment Advisors/Commission, T‑272/12, EU:T:2014:995, point 101).

456    L’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû spécifier le montant de base de l’amende ainsi que le poids attribué aux divers facteurs doit donc être rejeté.

457    Ce résultat n’est pas remis en cause par la jurisprudence citée par la requérante.

458    En ce qui concerne les arrêts du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission (C‑386/10 P, EU:C:2011:815), et du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission (C‑295/12 P, EU:C:2014:2062), il convient de relever qu’il s’agit d’arrêts concernant des violations des articles 101 ou 102 TFUE et que, dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts, des lignes directrices pour le calcul des amendes étaient applicables.

459    Il est certes vrai que le Tribunal a relevé, au point 142 de l’arrêt du 6 avril 1995, Trefilunion/Commission (T‑148/89, EU:T:1995:68), qu’il était « souhaitable que les entreprises – afin de pouvoir arrêter leur position en toute connaissance de cause – puissent connaître en détail, selon tout système que la Commission jugerait opportun, le mode de calcul de l’amende qui leur a été infligée, sans être obligées, pour ce faire, d’introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission ».

460    Il y a toutefois lieu de relever que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la requérante avait fait valoir que la Commission n’avait pas précisé si elle retenait comme base de calcul de l’amende le chiffre d’affaires global de l’entreprise ou uniquement celui concernant la France voire le Benelux. Dans cette affaire, c’était seulement au cours de la procédure devant le Tribunal que la Commission a précisé qu’elle avait utilisé comme base de calcul de l’amende le chiffre d’affaires en treillis soudés réalisé par les entreprises sur le marché géographique en cause (voir, en ce sens, arrêt du 6 avril 1995, Trefilunion/Commission, T‑148/89, EU:T:1995:68, points 135, 136 et 142).

461    Dans cette affaire, la Commission avait donc effectué un calcul basé sur un chiffre d’affaires réalisé sur un marché précis, mais elle ne l’avait pas spécifié dans la décision attaquée. C’est dans ce contexte que la citation reprise au point 459 ci-dessus doit être lue. Par ailleurs, dans l’arrêt du 6 avril 1995, Trefilunion/Commission (T‑148/89, EU:T:1995:68, points 140 à 144), le Tribunal a rejeté le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

462    La requérante fait en outre valoir, au point 104 de la requête, que « la décision [attaquée] n’explique pas en quoi le chiffre d’affaires de [la requérante] et le profit, le cas échéant, que [la requérante] pourrait tirer de l’infraction alléguée à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement [n° 139/2004] ont eu une incidence sur le niveau de l’amende ». Elle affirme de plus, au point 104 de la requête, qu’« [u]ne amende doit être propre à l’auteur de l’infraction et à l’infraction et doit être déterminée en prenant en compte, entre autres, le chiffre d’affaires ou le capital de l’entreprise et le profit tiré de l’infraction alléguée ». Selon la requérante, elle n’a tiré aucun profit de l’infraction alléguée.

463    En réponse à une question posée lors de l’audience relative à la question de savoir si le point 104 de la requête concernait la motivation de la décision attaquée ou bien une erreur matérielle dans la décision attaquée, la requérante a confirmé que ce point concernait la motivation de la décision attaquée, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

464    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la décision attaquée n’explique pas en quoi le chiffre d’affaires de la requérante a eu une incidence sur le niveau de l’amende, il convient de relever que la Commission a indiqué, dans la note en bas de page n° 5 de la décision attaquée, le chiffre d’affaires mondial de la requérante.

465    Il convient en outre de relever que, dans le cadre de l’examen des éléments pertinents pour la détermination de l’amende, la Commission a fait à plusieurs reprises référence à la taille de la requérante. Ainsi, elle a relevé, au point 144 de la décision attaquée, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction, que la requérante était « une grande société européenne ». De plus, elle a relevé, au point 150 de la décision attaquée, également dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction, que « l’opération aurait combiné sur [l]e marché potentiel [de saumon écossais] deux des plus gros éleveurs et transformateurs primaires de l’EEE ». Ce dernier constat a été répété au point 172 de la décision attaquée, dans le cadre de l’appréciation de la durée de l’infraction. Enfin, la Commission a relevé, au point 206 de la décision attaquée, qu’elle a pris en compte la taille de la requérante pour la fixation du montant de l’amende.

466    Il ressort donc clairement de la motivation de la décision attaquée que la Commission a pris en compte la taille de la requérante dans le cadre de la fixation du montant de l’amende.

467    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la décision attaquée n’explique pas en quoi le profit, le cas échéant, que la requérante pourrait tirer de l’infraction alléguée à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 a eu une incidence sur le niveau de l’amende, il convient de constater que la Commission n’a pas examiné, dans la décision attaquée, l’éventuelle existence d’un profit que la requérante avait pu tirer de l’infraction. Il s’ensuit clairement que la Commission n’a pas pris en compte l’éventuel profit ou l’éventuelle absence de profit que la requérante a pu tirer de l’infraction afin de fixer le montant de l’amende. Il n’existe donc pas un défaut de motivation sur ce point.

468    Par ailleurs, même à supposer que l’argument soulevé au point 104 de la requête doive être interprété, contrairement à la déclaration faite par la requérante lors de l’audience, en ce sens que la requérante invoque également une erreur matérielle en ce que la Commission a omis de prendre en considération l’absence de profit tiré de l’infraction, il conviendrait de rejeter un tel argument comme non fondé.

469    Il ressort de la jurisprudence qu’il n’existe pas de liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction (voir, s’agissant des infractions à l’article 101 TFUE, arrêt du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, EU:C:1997:375, point 33, et des infractions à l’article 102 TFUE, arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C‑549/10 P, EU:C:2012:221, point 107).

470    Il n’existe notamment pas d’obligation pour la Commission d’examiner la question de savoir si un requérant a tiré un profit d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004. Dans ce cadre, il convient de relever qu’il ne s’agit pas d’un élément constitutif d’une infraction à l’article 4, paragraphe 1, ou à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 et qu’il n’est pas toujours possible de déterminer si un requérant a tiré ou non un profit de la réalisation d’une concentration avant sa notification et son autorisation et encore moins de quantifier ce profit.

471    La requérante cite plusieurs arrêts à l’appui de son affirmation selon laquelle l’amende doit être déterminée en prenant en compte, entre autres, le profit tiré de l’infraction alléguée. Il convient de relever que la jurisprudence citée par la requérante dans ce cadre concerne des affaires relatives à des infractions à l’article 101 TFUE (arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, EU:C:1983:158, point 129 ; du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 242 ; du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, EU:C:2009:505, point 96, et du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 56) ou à l’article 102 TFUE (conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2013:619, point 117).

472    Seules les conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire E.ON Energie/Commission (C‑89/11 P, EU:C:2012:375), citées par la requérante dans ce cadre, concernaient un autre type d’infraction, à savoir un bris de scellé. À cet égard, il y a lieu de constater que la Cour n’a pas suivi les conclusions de l’avocat général Bot et a rejeté le pourvoi dans l’arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission (C‑89/11 P, EU:C:2012:738), contrairement à ce qu’avait proposé l’avocat général. Par ailleurs, il ne ressort pas des conclusions de l’avocat général Bot dans cette affaire que celui-ci aurait considéré que la Commission est tenue d’examiner dans tous les cas le profit tiré de l’infraction commise. Il s’est limité à relever, au point 114 de ses conclusions, qu’il y avait lieu de tenir compte de tous les éléments caractérisant l’affaire, « tels que », inter alia, le profit que l’entreprise concernée a pu tirer de l’infraction commise. Il s’est donc borné à énumérer des exemples de critères pouvant être pris en considération, tout en rappelant, au point 113 de ses conclusions, la jurisprudence selon laquelle il n’existe aucune liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte.

473    Par ailleurs, il convient de relever qu’il ressort de la jurisprudence que, même dans le cadre d’une infraction à l’article 101 TFUE, le fait qu’une entreprise n’ait retiré aucun bénéfice de l’infraction ne saurait faire obstacle à ce qu’une amende soit infligée, sous peine de faire perdre à cette dernière son caractère dissuasif (voir arrêt du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, EU:T:2008:254, point 441 et jurisprudence citée). La Commission n’est pas tenue, en vue de fixer le montant des amendes, de prendre en considération l’absence de bénéfice tiré de l’infraction en cause (voir arrêt du 29 novembre 2005, SNCZ/Commission, T‑52/02, EU:T:2005:429, point 90 et jurisprudence citée). La Commission n’est pas obligée d’établir, en toutes circonstances, aux fins de la détermination du montant de l’amende, l’avantage financier lié à l’infraction constatée. L’absence d’un tel avantage ne saurait être considérée comme une circonstance atténuante (voir arrêt du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, EU:T:2008:254, point 442 et jurisprudence citée).

474    De même, la Commission n’est pas tenue de prendre en compte, en vue de fixer le montant des amendes, l’éventuelle absence de profit tiré de la réalisation d’une concentration avant sa notification et son autorisation.

475    L’appréciation du profit engendré par l’infraction peut, certes, être pertinente si la Commission se fonde précisément sur un tel profit pour évaluer la gravité de cette infraction et/ou pour calculer les amendes (arrêt du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, EU:T:2000:77, point 4882). Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce.

476    Il convient en outre de relever que, afin d’étayer la circonstance selon laquelle elle n’a tiré aucun profit de l’infraction alléguée, la requérante s’appuie, au point 71 de la réplique, notamment sur le fait qu’elle n’a pas exercé ses droits de vote dans Morpol jusqu’à l’autorisation de la concentration. Cet élément a été pris en compte par la Commission en tant que circonstance atténuante (points 196 et 198 de la décision attaquée).

477    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a ni violé son obligation de motivation ni commis une erreur matérielle en s’abstenant de déterminer et de prendre en compte l’éventuel profit ou l’éventuelle absence de profit tiré de l’infraction.

2.      Sur la deuxième branche, tirée d’une appréciation erronée de la gravité des infractions alléguées

478    La requérante affirme qu’aucun des facteurs pris en compte dans la décision attaquée aux fins de l’appréciation de la gravité, à savoir la négligence, les doutes sérieux quant à la compatibilité de l’opération avec le marché intérieur et l’existence de précédents concernant la requérante et d’autres sociétés, n’est pertinent.

479    La Commission conteste les arguments de la requérante.

480    Il convient de relever, tout d’abord, que la requérante ne conteste pas les considérations figurant aux points 131 à 136 de la décision attaquée relatives à la nature de l’infraction. Dans ces points, la Commission a considéré que toute violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 était, par nature, une infraction grave. Cette appréciation, qui doit être entérinée, se fondait notamment sur le point 235 de l’arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672). À ce point, le Tribunal avait constaté que c’était à juste titre que la Commission avait relevé que, « [e]n subordonnant à une notification et une autorisation préalables les concentrations de dimension communautaire, le législateur communautaire a entendu assurer l’effectivité du contrôle des concentrations de dimension communautaire par la Commission, en permettant à cette dernière, le cas échéant, d’empêcher la réalisation de ces concentrations avant qu’une décision finale n’ait été adoptée et, partant, de prévenir des atteintes irréparables et permanentes à la concurrence ». Le Tribunal avait également relevé que « [l]a Commission a donc pu, sans commettre d’erreur, qualifier l’infraction de grave, compte tenu de sa nature ».

481    La requérante conteste cependant la pertinence des facteurs pris en compte par la Commission dans le cadre de l’appréciation concrète de la gravité des infractions en cause en l’espèce.

482    Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que la gravité d’une infraction doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce, sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 241).

a)      Sur la prise en compte de la négligence de la requérante

483    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel son comportement n’a pas été négligent, il suffit de rappeler que cet argument a été rejeté dans le cadre de l’examen du deuxième moyen.

484    Contrairement à ce qu’affirme la requérante, il n’existait pas une erreur excusable de sa part. La notion d’erreur excusable, qui trouve sa source directement dans le souci du respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, ne peut viser, selon une jurisprudence constante, que des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, notamment, l’institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’une personne normalement avertie (voir arrêt du 15 septembre 2011, CMB et Christof/Commission, T‑407/07, non publié, EU:T:2011:477, point 99 et jurisprudence citée). En l’espèce, la requérante n’a pas fait preuve de toute la diligence requise d’une personne normalement avertie, ce qui exclut l’existence d’une erreur excusable de sa part.

b)      Sur la prise en compte de l’existence de doutes sérieux quant à la compatibilité de l’opération avec le marché intérieur

485    En ce qui concerne la prise en compte par la Commission de l’existence de doutes sérieux quant à la compatibilité de l’opération avec le marché intérieur, il convient de relever ce qui suit.

486    Au point 150 de la décision attaquée, la Commission a rappelé que l’acquisition de Morpol par la requérante avait été autorisée à la suite de la présentation, par la requérante, d’un large éventail de mesures correctives pour dissiper les doutes sérieux soulevés par la Commission en ce qui concerne le marché potentiel du saumon écossais. Elle a en outre relevé que l’opération de concentration aurait combiné sur ce marché potentiel deux des plus gros éleveurs et transformateurs primaires de l’Espace économique européen (EEE).

487    La Commission a considéré que la concentration réalisée avait pu avoir une incidence négative sur la concurrence sur le marché potentiel du saumon écossais pendant toute la durée de l’infraction. Selon la Commission, bien que la requérante n’ait pas exercé ses droits de vote dans Morpol, il était au moins possible que l’interaction concurrentielle entre la requérante et Morpol ait été affectée en conséquence de l’acquisition de décembre 2012.

488    Il convient de relever que la requérante ne soulève aucun argument susceptible de remettre en cause l’appréciation de la Commission selon laquelle la concentration en cause soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur. Elle conteste cependant la prise en compte de ce facteur en tant qu’élément rendant les infractions plus graves. Elle considère que l’affirmation figurant au point 157 de la décision attaquée, selon laquelle « le seul fait que l’opération a soulevé des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur est en soi un facteur qui rend l’infraction plus grave », dénature le raisonnement tenu par le Tribunal dans son arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672, point 247), selon lequel « la présence d’un dommage concurrentiel rendrait l’infraction encore plus grave ».

489    En ce qui concerne l’interprétation qu’il convient de donner à l’arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672), il convient de relever ce qui suit.

490    L’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait une concentration pour laquelle la Commission avait constaté qu’elle ne posait pas de problèmes de concurrence. La Commission a relevé, au point 194 de la décision C(2009) 4416 final, du 10 juin 2009 (affaire COMP/M.4994 – Electrabel/Compagnie nationale du Rhône) (ci-après la « décision Electrabel »), que « la présence d’un dommage concurrentiel rendrait effectivement l’infraction plus sérieuse » et que « l’absence d’un tel dommage concurrentiel dans la présente affaire [était] un élément important à prendre en compte pour fixer le montant de l’amende », mais que, « [t]outefois, le fait que la transaction n’ait pas posé de problèmes de concurrence n’[était] pas de nature à affecter le caractère sérieux de l’infraction ». Cette affirmation doit être lue à la lumière du fait que la Commission avait constaté, au point 191 de cette même décision, que toute infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89 était par nature une infraction sérieuse.

491    La Commission a donc constaté que l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89 demeurait, de par sa nature, une infraction grave, et cela bien que la concentration n’ait pas posé de problèmes de concurrence. Il n’est pas permis d’en conclure a contrario, comme la requérante essaie de le faire, que l’existence de problèmes de concurrence ne peut ajouter à la gravité de l’infraction alléguée. En effet, la Commission n’a pas constaté que l’existence ou non de problèmes de concurrence était dénuée de pertinence pour l’appréciation de la gravité de l’infraction, mais seulement que l’infraction demeurait par nature une infraction grave, même en l’absence de tout problème de concurrence posé par la concentration.

492    Dans l’arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672), le Tribunal a entériné l’approche de la Commission. Il a notamment relevé, au point 246 de l’arrêt, que « la Commission sout[enait] à juste titre que l’analyse ex post de l’absence d’effet d’une opération de concentration sur le marché ne saurait raisonnablement être un facteur déterminant pour qualifier la gravité de l’atteinte au système de contrôle ex ante ». Il a en outre constaté, au point 247 de l’arrêt, ce qui suit :

« Cela n’empêche toutefois pas que l’absence d’effets sur le marché soit un élément pertinent à prendre en compte pour fixer le montant de l’amende, ainsi que la Commission le reconnaît au considérant 194 de la décision attaquée. Elle fait d’ailleurs également valoir à juste titre dans ce même considérant que la présence d’un dommage concurrentiel rendrait l’infraction encore plus grave. »

493    Il y a lieu de relever que l’affirmation figurant au point 246 de l’arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672), selon laquelle « l’analyse ex post de l’absence d’effet d’une opération de concentration sur le marché ne saurait raisonnablement être un facteur déterminant pour qualifier la gravité de l’atteinte au système de contrôle ex ante », ne saurait être interprétée en ce sens que l’existence ou non d’un dommage concurrentiel ne joue aucun rôle dans l’appréciation de la gravité de l’infraction. Cela ressort du point 247 de cet arrêt, dans lequel le Tribunal a constaté que « la présence d’un dommage concurrentiel rendrait l’infraction encore plus grave ». L’affirmation figurant au point 246 de cet arrêt doit être lue à la lumière de la circonstance que le Tribunal répondait à l’argument d’Electrabel selon lequel l’infraction ne pouvait pas présenter un caractère grave, car elle n’avait causé aucune atteinte à la concurrence.

494    Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Electrabel, la Commission et le Tribunal se sont prononcés sur deux cas de figure. Premièrement, ils ont constaté que l’absence d’effet dommageable sur la concurrence, qui se présentait lorsque la concentration réalisée prématurément ne posait aucun problème de concurrence, ne changeait rien au caractère (par nature) grave de l’infraction. Deuxièmement, ils ont relevé, à titre d’illustration, que la présence d’effets dommageables aurait rendu l’infraction encore plus grave.

495    Il existe cependant un troisième cas de figure sur lequel la Commission et le Tribunal n’ont pas pris position dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Electrabel. Il s’agit de la « situation intermédiaire », dans laquelle la concentration, telle que réalisée prématurément, posait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, mais dans laquelle il ne peut pas être déterminé si sa réalisation dans la forme initialement envisagée et non autorisée par la Commission a eu ou non des effets dommageables sur la concurrence.

496    Se pose donc la question de savoir si, dans ce troisième cas de figure, la Commission peut retenir la circonstance que la concentration posait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur en tant que facteur rendant l’infraction plus grave.

497    Il y a lieu de répondre par l’affirmative. En effet, il ne serait pas adéquat de traiter de la même manière la réalisation prématurée de concentrations qui soulèvent des doutes sérieux quant à leur compatibilité avec le marché intérieur et la réalisation prématurée de concentrations qui ne soulèvent aucun problème de concurrence.

498    À cet égard, il convient de relever que le but de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 est d’assurer l’efficacité du système du contrôle ex ante des effets d’opérations de concentrations de dimension communautaire (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 246). Il convient en outre de relever que l’objectif de la réglementation de l’Union en matière de contrôle des concentrations est la prévention d’atteintes irréparables et permanentes à la concurrence (arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 245). Le système de contrôle des concentrations vise à permettre à la Commission d’exercer « un contrôle effectif de toutes les concentrations en fonction de leur effet sur la structure de concurrence » (considérant 6 du règlement n° 139/2004).

499    Dans le cas de concentrations qui soulèvent des doutes sérieux quant à leur compatibilité avec le marché intérieur, les possibles risques pour la concurrence liés à une réalisation prématurée ne sont pas les mêmes que dans le cas de concentrations qui ne soulèvent pas de problèmes de concurrence.

500    Le fait qu’une concentration soulève des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur rend donc la réalisation prématurée de cette concentration plus grave que la réalisation prématurée d’une concentration qui ne soulève pas de problèmes de concurrence, sauf si, malgré le fait qu’elle soulève de tels doutes sérieux, il peut être exclu dans un cas d’espèce que sa réalisation dans la forme initialement envisagée et non autorisée par la Commission ait pu avoir des effets dommageables sur la concurrence.

501    C’est donc à juste titre que la Commission a constaté, au point 157 de la décision attaquée, que « le seul fait que l’opération a[vait] soulevé des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur [était] en soi un facteur qui rend[ait] l’infraction plus grave », et ce après avoir explicitement constaté, au point 151 de la décision attaquée, que la concentration réalisée avait pu avoir une incidence négative sur la concurrence sur le marché potentiel du saumon écossais pendant toute la durée de l’infraction et qu’il était au moins possible que l’interaction concurrentielle entre la requérante et Morpol ait été affectée en conséquence de l’acquisition de décembre 2012.

502    Il n’est pas permis de conclure a contrario du constat effectué dans l’arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672, point 247), selon lequel « la présence d’un dommage concurrentiel rendrait l’infraction encore plus grave », que c’est uniquement lorsque des effets dommageables effectifs peuvent être démontrés que cela est de nature à rendre l’infraction plus grave. En effet, le fait que le Tribunal a relevé, à titre d’illustration, que la présence d’effets dommageables aurait rendu l’infraction plus grave ne permet pas de conclure qu’il s’agit de la seule hypothèse qui rendrait l’infraction plus grave. Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Electrabel, la Commission et le Tribunal ne se sont tout simplement pas prononcés sur la « situation intermédiaire », telle que définie au point 495 ci-dessus.

503    La requérante fait valoir que, aux points 156 et 157 de la décision attaquée, la Commission explique paradoxalement que « la présence d’un dommage concurrentiel rendrait l’infraction encore plus grave », bien qu’« une analyse ex post de l’effet d’une opération de concentration sur le marché ne saurait raisonnablement être un facteur déterminant pour qualifier la gravité de l’atteinte au système de contrôle ex ante ».

504    À cet égard, il convient de relever que la Commission a repris le contenu des affirmations du Tribunal dans l’arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672, points 246 et 247), telles que citées au point 492 ci-dessus. Il suffit de rappeler les observations quant à l’interprétation qu’il convient de donner à ces points dudit arrêt (point 493 ci-dessus).

505    Il convient d’examiner la question de savoir si c’est à juste titre que la Commission a considéré, au point 151 de la décision attaquée, que la concentration réalisée avait pu avoir une incidence négative sur la concurrence sur le marché potentiel du saumon écossais pendant toute la durée de l’infraction et qu’« il [était] au moins possible que l’interaction concurrentielle entre Marine Harvest et Morpol ait été affectée en conséquence de l’acquisition de décembre 2012 ».

506    À cet égard, premièrement, la Commission a relevé, au point 151 de la décision attaquée, que l’ancien président-directeur général de Morpol, M. M., avait démissionné avec effet au 1er mars 2013 à la suite d’une disposition incluse dans le SPA qui avait été signé avec la requérante. Selon la Commission, l’acquisition par la requérante d’une participation de 48,5 % dans le capital de Morpol semblait dès lors avoir été capable d’influencer les décisions stratégiques au sein de Morpol, telles que le remplacement du président-directeur général, indépendamment de l’exercice effectif des droits de vote lors des assemblées générales des actionnaires.

507    La requérante fait valoir à cet égard que l’acquisition de décembre 2012 n’a pas été un facteur décisif dans la décision de M. M. de renoncer à ses fonctions. Au contraire, selon elle, la structure de gouvernance d’entreprise de Morpol, y compris la démission de M. M., avait fait l’objet de discussions intenses au sein du conseil d’administration de Morpol depuis plus d’un an.

508    En l’espèce, il n’est pas possible de déterminer avec certitude si la décision de M. M. de renoncer à ses fonctions a, ou non, été influencée par l’acquisition de décembre 2012.

509    Certes, la requérante démontre qu’une démission éventuelle de M. M. avait fait l’objet de discussions avant même l’acquisition de décembre 2012, en présentant notamment les procès-verbaux des réunions du conseil de Morpol des 12 et 15 septembre 2011. La requérante a également relevé que Morpol avait rencontré d’importants problèmes de gouvernance d’entreprise, que la plus importante banque créancière de Morpol avait voulu réduire son exposition aux dettes de Morpol et que ces évènements avaient conduit à une chute du prix de l’action de Morpol, qui était passé d’approximativement 21 couronnes norvégiennes (NOK) à l’époque de sa cotation à la Bourse d’Oslo en 2010 à moins de 8 NOK en novembre 2012. La Commission ne conteste pas ces circonstances.

510    Cependant, cela n’exclut pas que la clôture de l’acquisition de décembre 2012, et notamment la clause incluse dans le SPA à cet effet, ait pu avoir une influence sur la décision de M. M. de démissionner. Selon l’article 12.1.1 du SPA, M. M. s’était engagé à démissionner de son poste de président-directeur général de Morpol au plus tard le 1er mars 2013. Il semble d’ailleurs assez probable que la décision de démissionner précisément avec effet au 1er mars 2013 ait été influencée par l’exécution du SPA. Ainsi que la Commission le souligne à juste titre, si la requérante avait suspendu l’exécution du SPA dans l’attente de l’autorisation, M. M. n’aurait pas été tenu de se conformer à l’article 12.1.1 du SPA avant l’achèvement de la transaction.

511    Deuxièmement, la Commission a relevé, au point 151 de la décision attaquée, que la requérante avait « intégré une grande partie des bénéfices réalisés par Morpol via l’acquisition de décembre 2012 ». Elle a considéré que, par conséquent, « les effets financiers probables de l’acquisition de décembre 2012, qui [avaient] éliminé les incitations pour [la requérante] à maintenir la contrainte concurrentielle exercée sur Morpol avant l’acquisition, [étaient] considérés comme étant suffisants pour avoir donné lieu à une atteinte potentielle à la concurrence ».

512    La requérante fait valoir que l’affirmation de la Commission, selon laquelle l’intégration par la requérante d’une partie importante des bénéfices de Morpol a éliminé les facteurs qui l’incitaient à maintenir la pression concurrentielle, est dénuée de fondement et que, en toute hypothèse, elle n’est pas propre à l’infraction. Selon elle, il en va également ainsi de toute concentration qui n’a pas été réalisée étant donné qu’après l’autorisation, les sociétés acquéreuses récupéreraient souvent rétroactivement les bénéfices résultant des activités entre la signature de l’accord et sa clôture.

513    À cet égard, il y a lieu de relever que les situations ne sont pas les mêmes. En effet, en l’espèce, la requérante a intégré une grande partie des bénéfices réalisés par Morpol avant d’avoir reçu l’autorisation de la concentration. Les incitations à maintenir la contrainte concurrentielle exercée sur Morpol étaient donc susceptibles d’être moins fortes que dans le cas d’une société qui a seulement la perspective de récupérer rétroactivement les bénéfices résultant des activités réalisés après la signature de l’accord, une fois l’autorisation de la concentration obtenue.

514    Les deux éléments examinés aux points 506 à 513 ci-dessus étaient à eux seuls suffisants afin de justifier le constat, effectué au point 151 de la décision attaquée, selon lequel une incidence négative sur la concurrence sur le marché potentiel du saumon écossais pendant toute la durée de l’infraction était possible.

515    Il n’est donc pas nécessaire d’examiner la pertinence du troisième élément sur lequel la Commission s’est appuyée, au point 151 de la décision attaquée, à savoir qu’il ne pouvait être exclu, selon la Commission, que la requérante, en tant qu’actionnaire le plus important de Morpol, avait acquis un accès privilégié à des données commerciales de Morpol durant la période s’étendant entre la clôture de l’acquisition de décembre 2012 et l’adoption de la décision d’autorisation.

516    Il y a donc lieu de constater que les mesures prises par la requérante, à savoir le non-exercice des droits de vote et la séparation des entités jusqu’à l’autorisation de la concentration, n’ont pas été susceptibles de supprimer le risque d’un dommage concurrentiel causé par la réalisation de la concentration en cause dans la forme initialement envisagée et non autorisée par la Commission, même si ces mesures ont pu réduire l’éventuel effet anticoncurrentiel.

517    Il résulte de ce qui précède que la situation de l’espèce relève de la « situation intermédiaire » telle que définie au point 495 ci-dessus, à savoir d’une situation dans laquelle la concentration, telle que réalisée prématurément, posait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, mais pour laquelle il ne peut pas être déterminé si sa réalisation dans la forme initialement envisagée et non autorisée par la Commission a, ou non, eu des effets dommageables sur la concurrence.

518    L’argument de la requérante, soulevé lors de l’audience, selon lequel la Commission se serait appuyée sur les éléments mentionnés aux points 506, 511 et 515 ci-dessus seulement au stade du mémoire en défense, manque en fait. En effet, ces éléments figurent au point 138 de la communication des griefs ainsi qu’au point 151 de la décision attaquée.

519    La requérante affirme en outre que, lorsque la Commission se fonde sur l’impact prétendu sur le marché d’une infraction alléguée pour établir la gravité de celle-ci, elle doit prouver ses affirmations à suffisance de droit, à savoir en fournissant des indices concrets et crédibles indiquant l’impact avec une probabilité raisonnable. À l’appui de cette affirmation, la requérante cite les arrêts du 27 septembre 2006, Roquette Frères/Commission (T‑322/01, EU:T:2006:267, point 75), du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission (T‑43/02, EU:T:2006:270), du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission (T‑59/02, EU:T:2006:272, point 161), et du 6 mai 2009, KME Germany e.a./Commission (T‑127/04, EU:T:2009:142, point 68).

520    À cet égard, il y a lieu de relever que la jurisprudence citée par la requérante concerne les ententes. Par exemple, le Tribunal a relevé, au point 68 de l’arrêt du 6 mai 2009, KME Germany e.a./Commission (T‑127/04, EU:T:2009:142), que « le Tribunal a jugé à plusieurs reprises que l’impact concret d’une entente sur le marché [devait] être considéré comme suffisamment démontré si la Commission [était] en mesure de fournir des indices concrets et crédibles indiquant, avec une probabilité raisonnable, que l’entente [avait] eu un impact sur le marché ».

521    Il convient en outre de relever que, selon les termes du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3), qui étaient applicables dans les arrêts du Tribunal sur lesquels s’appuie la requérante cités au point 519 ci-dessus, pour calculer l’amende en fonction de la gravité de l’infraction, la Commission tenait notamment compte de « l’impact concret [de l’infraction] sur le marché lorsqu’il [était] mesurable ».

522    La jurisprudence citée par la requérante ne saurait donc remettre en cause les considérations figurant aux points 495 à 501 ci-dessus. Il convient notamment de rappeler que l’objectif de la réglementation de l’Union en matière de contrôle des concentrations est la prévention d’atteintes irréparables et permanentes à la concurrence (voir point 498 ci-dessus).

523    Il y a lieu de relever que, en ce qui concerne les infractions à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, le seul fait que des effets dommageables à la concurrence soient possibles, car la concentration réalisée dans la forme initialement envisagée et non autorisée par la Commission soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, peut être pris en compte dans l’appréciation de la gravité de l’infraction, même si la Commission ne démontre pas une « probabilité raisonnable » de l’existence de tels effets.

524    Certes, lorsque l’existence d’effets dommageables pour la concurrence résultant de la réalisation d’une concentration dans la forme initialement envisagée et non autorisée par la Commission peut être démontrée, cela est susceptible de rendre l’infraction encore plus grave qu’une infraction relevant de la « situation intermédiaire ». Cela n’empêche pas que le seul fait que des effets dommageables pour la concurrence ne puissent être exclus rend l’infraction plus grave que la réalisation prématurée d’une concentration qui ne soulève aucun problème de concurrence.

525    Enfin, la requérante souligne qu’elle n’a jamais tiré et ne s’est même pas attendue à tirer un quelconque bénéfice de ce que la Commission considère comme une infraction aux règles sur le contrôle des concentrations, car elle s’est conformée aux exigences de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, en s’abstenant d’exercer ses droits de vote dans Morpol.

526    À cet égard, il convient de rappeler que le fait qu’une entreprise n’ait retiré aucun bénéfice de l’infraction ne saurait faire obstacle à ce qu’une amende soit infligée, sous peine de faire perdre à cette dernière son caractère dissuasif (voir point 473 ci-dessus).

527    Il convient en outre de rappeler que le fait que la requérante n’a pas exercé ses droits de vote dans Morpol jusqu’à l’autorisation de la concentration a été pris en compte par la Commission en tant que circonstance atténuante (voir point 476 ci-dessus).

528    Il résulte de ce qui précède que c’est à juste titre que la Commission a pris en compte, en l’espèce, la circonstance que la concentration posait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur en tant que facteur rendant l’infraction plus grave.

c)      Sur la prise en compte des précédents concernant la requérante et d’autres sociétés

529    La Commission a relevé, au point 159 de la décision attaquée, que la requérante (à l’époque Pan Fish) s’était déjà vu infliger une amende en 2007 par les autorités de la concurrence françaises pour avoir violé l’obligation de statu quo lors de son acquisition de Fjord Seafood. Elle a en outre relevé que « [c]ela signifi[ait] que ce n’[était] pas la première fois que [la requérante] viol[ait] l’obligation de statu quo dans le contexte d’une procédure de contrôle d’une opération de concentration ».

530    La Commission a considéré, au point 163 de la décision attaquée, que « la sanction antérieure aurait dû inciter [la requérante] à apprécier avec un soin particulier ses obligations en ce qui concerne le contrôle des opérations de concentration à l’époque de l’acquisition de décembre 2012 » et que, « [à] ce titre, l’existence d’une violation de l’obligation de statu quo au niveau national rend[ait] l’infraction plus grave ».

531    La Commission a en outre souligné, au point 160 de la décision attaquée, que le règlement n° 139/2004 était déjà en vigueur depuis plus de dix ans et que des dispositions semblables concernant l’obligation de statu quo existaient dans le règlement n° 4064/89, lequel était resté en vigueur pendant plus de treize ans. De plus, elle a relevé qu’elle avait déjà engagé des poursuites contre d’autres sociétés et leur avait infligé des amendes pour violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89 et qu’elle avait également adopté plusieurs autres décisions sur le fondement de l’article 14 du règlement n° 4064/89. Selon la Commission, la requérante aurait par conséquent « dû être pleinement consciente du cadre juridique et de l’application de ces règles par la Commission ».

1)      Sur la prise en compte de l’affaire ayant donné lieu à la décision Pan Fish/Fjord Seafood

532    La requérante fait valoir que le fait de la punir plus sévèrement au motif prétendu qu’elle était récidiviste, parce qu’elle avait été sanctionnée en France dans la décision Pan Fish/Fjord Seafood, n’est pas conforme à la jurisprudence selon laquelle la récidive implique qu’une personne a commis de nouvelles infractions après avoir été sanctionnée pour des infractions similaires.

533    Cependant, ainsi que la Commission le souligne, elle n’a pas considéré l’existence d’infractions procédurales antérieures commises par la requérante comme une circonstance aggravante. Elle a explicitement constaté, au point 201 de la décision attaquée, qu’il n’y avait pas de circonstances aggravantes en l’espèce.

534    Il convient en outre de relever que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas utilisé les termes « récidive » ou « récidiviste ». Certes, c’est plutôt à la substance de la décision attaquée qu’à la terminologie qu’il convient de se référer afin d’examiner si la Commission a retenu le fait que la requérante était récidiviste.

535    À cet égard, il y a lieu de relever que la prise en compte de la récidive « vise à inciter les entreprises, qui ont manifesté une propension à s’affranchir des règles de la concurrence, à modifier leur comportement » (arrêt du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission, T‑101/05 et T‑111/05, EU:T:2007:380, point 67). En l’espèce, la Commission n’a pas, même implicitement, constaté dans la décision attaquée qu’il était nécessaire d’imposer une sanction plus élevée au motif que la sanction imposée dans la décision Pan Fish/Fjord Seafood n’avait pas été suffisante pour dissuader la requérante de commettre d’autres infractions. Aux points consacrés au nécessaire effet dissuasif de l’amende, à savoir aux points 157, 172 et 206 de la décision attaquée, la Commission a seulement fait référence à la taille de la requérante, à la circonstance que l’opération en cause avait soulevé des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur et au fait qu’une atteinte à la concurrence ne pouvait être exclue. Contrairement à ce que considère la requérante, la Commission n’a donc pas pris en compte une prétendue récidive de la requérante. L’argumentation de la requérante est donc fondée sur une prémisse erronée.

536    Ainsi qu’il ressort du point 163 de la décision attaquée, la Commission a considéré que « la sanction antérieure aurait dû inciter [la requérante] à apprécier avec un soin particulier ses obligations en ce qui concerne le contrôle des opérations de concentration à l’époque de l’acquisition de décembre 2012 ». C’est « [à] ce titre » que la Commission a constaté que l’existence d’une violation de l’obligation de statu quo au niveau national rendait l’infraction plus grave.

537    À cet égard, il convient de rappeler qu’il est constaté au point 258 ci-dessus que la Commission était en droit de prendre en compte le fait que la requérante s’était déjà vu infliger une amende au niveau national pour la réalisation prématurée d’une concentration, et qu’il y a lieu de s’attendre à une diligence particulière de la part d’une entreprise européenne de grande taille qui s’est déjà vu infliger une amende, bien qu’au niveau national, pour la réalisation prématurée d’une concentration.

538    Il s’agit d’un élément qui peut être pris en compte lors de l’appréciation, d’une part, de l’existence d’une négligence de la part de la requérante et, d’autre part, du degré de cette négligence.

539    Aux points 159 et 163 de la décision attaquée, la Commission a pris en compte l’existence du précédent dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Pan Fish/Fjord Seafood comme étant un élément qui augmentait le degré de négligence de la requérante et qui, à ce titre, « rend[ait] l’infraction plus grave ». En effet, le constat, figurant au point 163 de la décision attaquée, selon lequel la sanction antérieure aurait dû inciter la requérante à apprécier avec un soin particulier ses obligations en ce qui concerne le contrôle des opérations de concentration, concerne, en substance, le degré de négligence. Lors de l’audience, la Commission a confirmé s’être reposée, dans la décision attaquée, sur l’affaire ayant donné lieu à la décision Pan Fish/Fjord Seafood uniquement comme un facteur qui concernait le degré de négligence de la requérante.

540    Lors de l’audience, la requérante a concédé que la Commission avait pris en compte l’affaire ayant donné lieu à la décision Pan Fish/Fjord Seafood dans le cadre de l’appréciation de la négligence. Toutefois, la requérante a fait valoir que cette affaire n’était pas pertinente dans le cadre de l’appréciation de l’existence ou du degré de négligence, car les faits à la base de cette affaire seraient complètement différents de ceux à la base de la présente affaire, de sorte qu’elle n’aurait pu en tirer des conclusions utiles pour la présente affaire.

541    À cet égard, il convient de rappeler qu’il est certes vrai que la décision Pan Fish/Fjord Seafood ne portait pas sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 (voir point 258 ci-dessus). Cependant, le fait que la requérante s’était déjà vu infliger une amende, bien qu’au niveau national, pour la réalisation prématurée d’une concentration implique qu’il y avait lieu de s’attendre à une diligence particulière de la part de la requérante (voir point 258 ci-dessus). À ce titre, l’existence de ce précédent augmentait le degré de négligence de la requérante, ce qui constituait un facteur rendant l’infraction plus grave.

542    La Commission n’a donc commis aucune erreur en prenant en considération l’affaire ayant donné lieu à la décision Pan Fish/Fjord Seafood dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction.

2)      Sur la prise en compte d’affaires concernant d’autres sociétés

543    La requérante fait valoir que l’affirmation figurant au point 160 de la décision attaquée selon laquelle « la Commission avait déjà engagé des poursuites contre d’autres sociétés et leur avait infligé des amendes pour violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement [n° 4064/89] » ne tient pas compte du problème essentiel qui serait qu’aucune de ces affaires ne concernerait la portée de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 ou de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89.

544    À cet égard, il y a lieu de constater que, au point 160 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le règlement n° 139/2004 était déjà en vigueur depuis plus de dix ans et que des dispositions semblables concernant l’obligation de statu quo existaient dans le règlement n° 4064/89, lequel était resté en vigueur pendant plus de treize ans. Elle a en outre observé qu’elle avait déjà engagé des poursuites contre d’autres sociétés et leur avait infligé des amendes pour violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, et qu’elle avait également adopté plusieurs autres décisions sur la base de l’article 14 du règlement n° 4064/89.

545    Ce faisant, la Commission a, en substance, justifié le fait qu’elle n’avait plus de raison de se montrer « clémente » dans la fixation des amendes au titre de l’article 14 du règlement n° 139/2004.

546    À cet égard, il convient de relever que, certes, la Commission peut choisir d’imposer des amendes d’un faible montant lorsqu’elle applique pour la première fois ou les premières fois une disposition lui permettant d’imposer une amende. Cependant, la Commission peut légalement considérer qu’elle n’a plus de raison de procéder de cette manière lorsqu’elle a déjà à plusieurs reprises imposé des amendes en application de cette disposition.

547    L’argument de la requérante selon lequel les précédents ne concernaient pas l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 ou l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 est, dans ce cadre, dénué de pertinence. En effet, l’existence de précédents, dans lesquels des amendes avaient été imposées sur la base de l’article 14 du règlement n° 4064/89, était susceptible de prévenir la requérante qu’elle risquait l’imposition de lourdes sanctions en cas de violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004. Le fait notamment que la Commission avait déjà imposé une lourde sanction, à savoir une amende de 20 millions d’euros, dans la décision Electrabel était susceptible de fournir à la requérante une indication du fait qu’elle risquait l’imposition de lourdes sanctions en cas de réalisation prématurée de la concentration en cause.

548    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission n’a pas ouvert d’enquête et n’a imposé aucune amende dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Yara/Kemira GrowHow, il suffit de constater que, au point 160 de la décision attaquée et dans les notes en bas de page nos 64 et 65 de cette dernière, la Commission ne s’est pas appuyée sur cette affaire.

549    Enfin, la requérante fait valoir que la conclusion, au point 163 de la décision attaquée, selon laquelle l’existence d’affaires précédentes d’infractions procédurales concernant la requérante ainsi que d’autres sociétés rend l’infraction de la requérante plus grave, est manifestement entachée d’erreurs de droit et de fait.

550    Cependant, au point 163 de la décision attaquée, la Commission a relevé que « la sanction antérieure », à savoir la sanction imposée dans la décision Pan Fish/Fjord Seafood, aurait dû inciter la requérante à apprécier avec un soin particulier ses obligations et que, « [à] ce titre, l’existence d’une violation de l’obligation de statu quo au niveau national rend[ait] l’infraction plus grave ». La Commission a donc seulement constaté, au point 163 de la décision attaquée, que l’existence d’une infraction précédente commise par la requérante dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Pan Fish/Fjord Seafood rendait l’infraction plus grave. Elle n’a cependant pas constaté que l’existence d’affaires précédentes d’infractions procédurales concernant d’autres sociétés rendait l’infraction de la requérante plus grave.

551    Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter la deuxième branche du cinquième moyen.

3.      Sur la troisième branche, tirée d’une appréciation erronée de la durée de l’infraction alléguée

552    La requérante affirme que, pour justifier son refus d’exclure la période de prénotification de la durée de l’infraction, la Commission a erronément affirmé, au point 173 de la décision attaquée, que la requérante n’avait pas été suffisamment disposée à communiquer des informations au cours de la phase de prénotification. Selon la requérante, la Commission n’a pas respecté, dans la décision attaquée, le principe d’égalité de traitement dans son appréciation de la durée de l’infraction, en n’adoptant pas la même approche que celle suivie dans sa décision Electrabel, qui consistait à exclure la période de prénotification et celle de l’examen de la concentration de la durée de l’infraction.

553    La Commission conteste les arguments de la requérante.

554    Tout d’abord, il convient de rappeler que, aux points 128 et 165 de la décision attaquée, la Commission a constaté qu’une violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 était une infraction instantanée et que cette violation avait été commise en l’espèce le 18 décembre 2012, à savoir le jour de la clôture de l’acquisition de décembre 2012.

555    La Commission a en outre relevé, aux points 128 et 166 de la décision attaquée, qu’une violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 était une infraction continue qui durait aussi longtemps que l’opération n’était pas déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission conformément au règlement n° 139/2004. Selon la Commission, en l’espèce, l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 a commencé le 18 décembre 2012 et a cessé à la date d’adoption de la décision d’autorisation, à savoir le 30 septembre 2013.

556    La Commission a par conséquent retenu une durée de neuf mois et douze jours concernant l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004. Elle a considéré que cette période pouvait être regardée comme étant particulièrement longue, en particulier pour ce qui concerne une opération de concentration présentant des effets anticoncurrentiels potentiels.

557    Enfin, la Commission a estimé qu’il était « justifié, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, de tenir compte de la période de prénotification ainsi que de l’enquête approfondie de phase I, aux fins de calculer la durée de la violation de l’article 7, paragraphe 1[, du règlement n° 139/2004] ». En premier lieu, la Commission a rappelé à cet égard que l’opération envisagée avait soulevé de sérieux doutes sur le marché potentiel du saumon écossais et qu’il ne pouvait être exclu qu’il se fût produit une atteinte à la concurrence. Dans ces circonstances, une amende devait, selon la Commission, exercer un effet dissuasif le plus fort possible. En second lieu, la Commission a relevé que la requérante n’avait pas été suffisamment disposée à communiquer des informations au cours de la phase de prénotification pour justifier l’exclusion de cette période de la durée totale de l’infraction, pour les motifs expliqués plus en détail aux points 174 à 194 de la décision attaquée.

558    La requérante ne conteste pas le fait que la violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 constituait une infraction instantanée. La troisième branche du cinquième moyen concerne uniquement l’appréciation par la Commission de la durée de l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

559    En ce qui concerne la durée de l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a constaté, au point 212 de l’arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672), que « la capacité d’exercer une influence déterminante sur l’activité de l’entreprise contrôlée s’inscri[vait] nécessairement dans la durée à compter de la date d’acquisition du contrôle et jusqu’à la fin de celui-ci » et que « l’entité ayant acquis le contrôle de l’entreprise continu[ait] de l’exercer en violation de l’obligation de suspension découlant de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 4064/89 jusqu’au moment où elle y met[tait] fin, en obtenant l’autorisation de la Commission ou en abandonnant le contrôle ». Le Tribunal a en outre précisé, au point 212 de cet arrêt, que « l’infraction persist[ait] aussi longtemps que demeur[ait] le contrôle acquis en violation dudit article 7, paragraphe 1, et que la concentration n’a[vait] pas été autorisée par la Commission » et que c’était « donc à bon droit que la Commission a[vait] qualifié l’infraction comme ayant un caractère continu jusqu’à la date de l’autorisation de la concentration ou, le cas échéant, jusqu’à une date antérieure prise en compte au vu des circonstances de l’espèce ».

560    Ces considérations, qui concernaient l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, s’appliquent par analogie à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

561    En application de ces principes, le point de départ de l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 était le 18 décembre 2012, à savoir la date de la réalisation de la concentration en cause, ainsi que la Commission l’a constaté à juste titre. La requérante ne conteste d’ailleurs pas le point de départ retenu par la Commission pour l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

562    En ce qui concerne la date à laquelle l’infraction a pris fin, il ressort des considérations figurant au point 559 ci-dessus qu’une infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 prend fin au moment où la Commission autorise la concentration ou au moment où l’entreprise en cause abandonne le contrôle. Une infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 prend également fin au moment où une éventuelle dérogation à l’obligation de suspension est accordée par la Commission, au titre de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 139/2004.

563    En l’espèce, c’est donc à juste titre que la Commission a constaté que l’infraction avait pris fin à la date à laquelle la concentration avait été autorisée par la Commission, à savoir le 30 septembre 2013. En effet, aucune dérogation à l’obligation de suspension n’avait été accordée par la Commission, ni même demandée par la requérante, et cette dernière n’a, à aucun moment, abandonné le contrôle de Morpol. L’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 a donc duré du 18 décembre 2012 au 30 septembre 2013, soit une durée de neuf mois et douze jours, ainsi que la Commission l’a constaté.

564    Aux points 172 à 195 de la décision attaquée, la Commission a motivé en détail sa décision de n’exclure ni la période de prénotification ni la période de l’enquête approfondie de phase I, aux fins de déterminer la durée de la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

565    La requérante considère que la Commission aurait dû exclure la période de prénotification de la durée de l’infraction et elle conteste plusieurs des considérations figurant aux points 172 à 195 de la décision attaquée.

566    À cet égard, il y a lieu de relever que, lorsque la Commission constate une infraction d’une durée de neuf mois et douze jours, il est tout à fait normal qu’elle prenne en compte cette durée aux fins de la fixation de l’amende. Certes, la Commission peut décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas tenir compte d’une partie de la durée d’une infraction, tout comme elle a le droit de décider de ne pas poursuivre une infraction. Cependant, il n’existe, en principe, pas d’obligation pour la Commission de ne pas prendre en considération une partie de la durée d’une infraction.

567    Interrogée, lors de l’audience, sur la question de savoir pourquoi il existait, selon elle, une obligation d’exclure la période de prénotification de la durée de l’infraction, la requérante a précisé que cet argument était fondé uniquement sur le principe d’égalité de traitement et qu’elle réclamait le même traitement que celui accordé à la société Electrabel dans la décision Electrabel.

568    À cet égard, il convient de relever que, au point 215 de sa décision Electrabel, la Commission a décidé, « dans le cadre de sa discrétion et sans préjudice de sa position de principe », de ne pas prendre en considération la période couvrant la prénotification et l’examen de la concentration et de constater l’existence d’une infraction seulement jusqu’au moment où Electrabel avait informé la Commission de la concentration.

569    Néanmoins, la Commission a également constaté, au point 211 de sa décision Electrabel, qu’une infraction à l’article 7 du règlement n° 4064/89 ne pouvait prendre fin que lorsque la Commission autorisait la concentration ou, le cas échéant, accordait une dérogation.

570    Il y a lieu de constater que le seul fait que la Commission a décidé, dans un cas d’espèce, de ne pas tenir compte d’une partie de la durée de l’infraction, et cela expressément « dans le cadre de sa discrétion et sans préjudice de sa position de principe », n’est pas de nature à modifier le cadre juridique applicable.

571    La référence faite, au point 212 de l’arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672), à « une date antérieure [à la date d’autorisation de la concentration] prise en compte au vu des circonstances de l’espèce » doit être comprise comme une référence à la faculté pour la Commission, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas tenir compte d’une période de l’infraction afin de fixer sa durée. Il n’en résulte pas une obligation pour la Commission de retenir, en tant que date de fin de l’infraction, une date antérieure à celle de la date d’autorisation de la concentration par la Commission.

572    Afin de justifier sa décision de n’exclure ni la phase de prénotification ni la phase d’examen de la concentration de la durée de l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, la Commission a relevé, au point 172 de la décision attaquée, que l’opération envisagée avait soulevé des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur et qu’il ne pouvait être exclu qu’il se fût produit une atteinte à la concurrence, au moins dans une certaine mesure, après la réalisation de l’opération envisagée et avant son autorisation.

573    Cette considération est à elle seule suffisante afin de justifier le fait que la Commission n’a pas retenu la même approche que celle suivie dans sa décision Electrabel, consistant à exclure la période couvrant la prénotification et l’examen de la concentration de la durée de l’infraction.

574    Dans ce cadre, il convient de rappeler que, dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Electrabel, la Commission a constaté que la concentration n’avait posé aucun problème de concurrence. Cela implique que la réalisation prématurée de cette concentration n’avait pas eu d’effet dommageable sur la concurrence.

575    Cependant, en l’espèce, la présence d’effets dommageables sur la concurrence en raison de la réalisation prématurée de la concentration ne saurait être exclue (voir points 505 à 517 ci-dessus). Dans ces circonstances, il ne serait pas adéquat que la Commission exclue la période couvrant la prénotification et l’examen de la concentration de la durée de l’infraction. En effet, le risque d’effets dommageables sur la concurrence augmente, dans un tel cas, avec la durée de l’infraction. La situation de la requérante et celle de la société Electrabel dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Electrabel ne sont donc pas comparables, de sorte que la requérante ne peut utilement invoquer le principe d’égalité de traitement.

576    Il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments de la requérante visant à contester l’appréciation de la Commission, dans la décision attaquée, selon laquelle la requérante s’était montrée réticente à fournir à la Commission toutes les données pertinentes concernant le marché. À supposer même que la requérante ait fait preuve d’une attitude coopérative lors de la procédure de notification de la concentration, comme elle le soutient, cela ne justifierait pas d’appliquer la même approche que celle suivie dans la décision Electrabel et d’exclure la période comprenant la prénotification et l’examen de la concentration de la durée de l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

577    Il résulte de ce qui précède que la Commission a correctement apprécié la durée de l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 et que c’est à juste titre qu’elle n’a exclu ni la période de prénotification ni la période d’examen de la concentration de la durée de l’infraction.

578    Il y a donc lieu de rejeter la troisième branche du cinquième moyen.

4.      Sur la quatrième branche, tirée de ce que l’amende est disproportionnée

579    La quatrième branche du cinquième moyen s’articule autour de trois griefs, tirés, le premier, de ce que l’amende excède ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, le deuxième, de ce que l’amende est disproportionnée par rapport à la durée et à la gravité des infractions alléguées et, le troisième, de ce que l’amende est excessive et doit être réduite.

580    Il convient de rappeler, tout d’abord, que le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés. Il s’ensuit que les montants des amendes ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés, c’est-à-dire par rapport au respect des règles de concurrence, et que le montant de l’amende infligée à une entreprise au titre d’une infraction en matière de concurrence doit être proportionné à l’infraction, appréciée dans son ensemble, en tenant compte, notamment, de la gravité de celle-ci (voir arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 279 et jurisprudence citée).

581    En outre, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 16 du règlement n° 139/2004, la Cour de justice de l’Union européenne statue avec compétence de pleine juridiction sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte ; elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (voir arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑272/09 P, EU:C:2011:810, point 103 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06, EU:T:2011:560, point 265).

a)      Sur le premier grief, tiré de ce que l’amende excède ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi

582    La requérante rappelle que la Commission a considéré, au point 206 de la décision attaquée, qu’une amende importante était nécessaire pour assurer un effet dissuasif suffisant. La requérante concède que, selon l’arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission (T‑332/09, EU:T:2012:672, point 282), la Commission « est fondée à prendre en considération la nécessité de garantir [aux amendes] un effet suffisamment dissuasif ». Cependant, selon la requérante, cela ne rend, en soi, pas une amende « nécessaire » à la réalisation de l’objectif poursuivi en l’espèce. Selon elle, une décision constatant une infraction et clarifiant la portée de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 aurait été suffisante en l’espèce pour assurer la sécurité juridique et aurait constitué la mesure la moins contraignante.

583    À cet égard, il y a lieu de rappeler que plusieurs arguments de la requérante visant à établir que la Commission aurait commis une erreur en imposant une amende allant au-delà d’une amende symbolique ont déjà été rejetés dans le cadre de l’examen du quatrième moyen.

584    En ce qui concerne, plus particulièrement, l’effet dissuasif de l’amende, il convient de relever qu’une simple décision constatant une infraction et clarifiant la portée de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 n’aurait pas eu le même effet dissuasif que la décision attaquée, infligeant une amende de 20 millions d’euros (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 295). Il était donc nécessaire d’imposer une amende importante afin d’atteindre l’objectif d’assurer, dans le futur, le respect des règles de concurrence.

585    Le seul fait que les infractions ont été commises par négligence n’implique pas qu’il n’était pas nécessaire d’imposer des amendes d’un montant suffisamment dissuasif. À cet égard, il convient de relever que l’affaire ayant donné lieu à la décision Electrabel concernait également une infraction commise par négligence (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 276).

586    En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la présente affaire concerne une éventuelle infraction commise en raison d’une mauvaise interprétation, excusable, de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, il suffit de rappeler que le comportement de la requérante a été négligent et qu’il n’existait pas une erreur excusable de sa part (voir l’examen du deuxième moyen ainsi que le point 484 ci-dessus).

587    La requérante n’a donc soulevé aucun argument, dans le cadre du premier grief de la quatrième branche du cinquième moyen, susceptible de remettre en cause la proportionnalité de l’amende imposée.

b)      Sur le deuxième grief, tiré de ce que l’amende est disproportionnée par rapport à la durée et à la gravité des infractions alléguées

588    La requérante fait valoir que, en raison des erreurs de droit et de fait commises dans l’appréciation de la gravité et de la durée de l’infraction alléguée, l’amende est manifestement disproportionnée par rapport à la gravité et à la durée réelles de l’infraction alléguée.

589    À cet égard, il suffit de rappeler que les arguments de la requérante relatifs aux prétendues erreurs commises par la Commission dans l’appréciation de la gravité et de la durée des infractions ont été rejetés dans le cadre de l’examen des deuxième et troisième branches du cinquième moyen.

590    Il y a donc lieu de rejeter le deuxième grief de la quatrième branche du cinquième moyen.

c)      Sur le troisième grief, tiré de ce que l’amende est excessive et doit être réduite

591    La requérante relève que, dans la décision attaquée, la Commission a imposé une amende identique à celle imposée dans la décision Electrabel, même si des différences significatives existent entre les deux affaires, notamment en termes de durée des infractions alléguées et de chiffre d’affaires global des entreprises. Elle souligne que la durée de l’infraction dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Electrabel était plus de 4,5 fois supérieure à celle de l’infraction à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004 en l’espèce. La requérante relève en outre que l’amende imposée dans la décision Electrabel équivalait à 0,04 %des revenus globaux de l’auteur de l’infraction, contre 1 %en l’espèce. Elle souligne en outre que l’amende imposée dans la décision Electrabel équivalait à seulement 0,42 % de l’amende maximale autorisée, contre 10 % en l’espèce. En outre, l’amende imposée à Electrabel équivalait à environ 1/13 de la valeur de l’opération, tandis qu’elle était d’environ 1/6 de la valeur de l’opération dans la présente affaire.

592    À cet égard, il convient de rappeler que, comme la requérante l’admet, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (voir arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 259 et jurisprudence citée).

593    La requérante souligne à cet égard qu’elle ne demande pas au Tribunal d’appliquer la même formule mathématique que celle appliquée dans la décision Electrabel, ce qui entraînerait une réduction de l’amende imposée à la requérante selon un coefficient de 25. Elle demande cependant à ce qu’il plaise au Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de prendre en compte la différence de traitement entre Electrabel et la requérante, qui serait frappante, et de prendre dûment en compte les circonstances de l’espèce.

594    Il convient de relever que, certes, l’amende est en l’espèce beaucoup plus élevée, par rapport au chiffre d’affaires de la requérante, que celle imposée dans la décision Electrabel, bien que ces deux amendes soient identiques en termes absolus (20 millions d’euros dans les deux affaires). Il convient cependant de rappeler que les décisions antérieures de la Commission en matière d’amende ne peuvent être pertinentes au regard du respect du principe d’égalité de traitement que s’il est démontré que les données circonstancielles des affaires relatives à ces autres décisions sont comparables avec celles de l’espèce (voir arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, EU:T:2012:332, point 262 et jurisprudence citée).

595    En l’espèce, premièrement, il y a lieu de tenir compte du fait que, dans la décision Electrabel, la Commission avait seulement imposé une amende pour violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89. En l’espèce, la Commission pouvait à bon droit infliger deux amendes pour les violations de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

596    Deuxièmement, il y a lieu de tenir compte du fait que, en l’espèce, l’opération envisagée soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur et que la réalisation prématurée de la concentration a pu avoir des effets négatifs sur la concurrence, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Electrabel. Ce seul fait justifie l’imposition d’une amende beaucoup plus importante que celle imposée dans la décision Electrabel.

597    La requérante fait valoir à cet égard que la Commission avait souligné, dans sa décision Electrabel, que le fait que la transaction n’avait pas posé de problèmes de concurrence n’était pas de nature à affecter le caractère sérieux de l’infraction et que la présence d’un dommage concurrentiel aurait rendu l’infraction plus sérieuse. Selon la requérante, ni l’affaire ayant donné lieu à la décision Electrabel ni la présente affaire n’ont impliqué un quelconque dommage effectif à la concurrence.

598    À cet égard, il suffit de rappeler, d’une part, que le fait qu’une concentration soulève des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur rend la réalisation prématurée de cette concentration plus grave que la réalisation prématurée d’une concentration qui ne soulève pas de problèmes de concurrence, sauf s’il peut être exclu dans un cas d’espèce que sa réalisation dans la forme initialement envisagée et non autorisée par la Commission ait pu avoir des effets dommageables sur la concurrence (voir point 500 ci-dessus), et, d’autre part, que, en l’espèce, une incidence négative de la réalisation prématurée de la concentration sur la concurrence ne peut être exclue (voir point 514 ci-dessus).

599    La requérante fait en outre valoir que le contexte de la présente affaire, à savoir, premièrement, le recours à l’exemption prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, deuxièmement, le respect concomitant des conditions prévues à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 et, troisièmement, la pleine coopération avec la Commission lors de l’élaboration d’un ensemble de mesures correctives appropriées, rend toute différence factuelle éventuelle avec l’affaire ayant donné lieu à la décision Electrabel insignifiante.

600    En ce qui concerne le premier élément, il y a lieu de rappeler que la présente affaire concerne une infraction commise par négligence, tout comme l’infraction en cause dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Electrabel. La circonstance que l’erreur de la requérante a pu porter sur la portée de l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 ne rend pas l’infraction moins grave.

601    En ce qui concerne le deuxième élément, il y a lieu de relever que la Commission a pris en compte les circonstances que la requérante n’avait pas exercé ses droits de vote au sein de Morpol et qu’elle avait maintenu Morpol en tant qu’entité séparée de la requérante pendant la procédure de contrôle de la concentration en tant que circonstances atténuantes (points 196 et 198 de la décision attaquée). Il y a cependant lieu de rappeler que ces mesures n’excluent pas que la réalisation prématurée de la concentration ait pu avoir des effets négatifs sur la concurrence (voir point 516 ci-dessus).

602    En ce qui concerne le troisième élément, la Commission souligne à juste titre qu’il était dans l’intérêt commercial de la requérante elle-même de proposer des mesures correctives. Si la requérante n’avait pas proposé de telles mesures, la Commission aurait lancé les procédures de la deuxième phase, lesquelles auraient prolongé l’infraction et auraient en fin de compte pu conduire à l’interdiction de la concentration. Le fait que la requérante a proposé des mesures correctives appropriées ne rend donc pas l’infraction moins grave.

603    Il y a en outre lieu de relever, s’agissant de la comparaison entre la présente affaire et l’affaire ayant donné lieu à la décision Electrabel, que le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées dans la réglementation en cause, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de la concurrence de l’Union. En effet, l’application efficace des règles de la concurrence de l’Union exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (voir arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, EU:T:2012:672, point 286 et jurisprudence citée).

604    À cet égard, la requérante fait valoir que la présente affaire ne concerne pas une violation claire de l’obligation de statu quo et qu’elle concernerait tout au plus une interprétation erronée de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 due à une erreur excusable. Dès lors, selon la requérante, aucun argument de politique de la concurrence ne pourrait justifier le niveau de l’amende en l’espèce.

605    S’agissant de cet argument de la requérante, il suffit de rappeler que le comportement de la requérante a été négligent et qu’il n’y avait pas une erreur excusable de sa part (voir l’examen du deuxième moyen ainsi que le point 484 ci-dessus).

606    Il y a en outre lieu de relever que le montant global des deux amendes imposées en l’espèce correspond à environ 1 % du chiffre d’affaires de la requérante. La Commission indique à cet égard que ce montant correspond à 10 % du montant maximal autorisé.

607    La Commission souligne à juste titre, dans le mémoire en défense, que le choix de fixer l’amende à un montant situé à l’extrémité inférieure de la fourchette autorisée reflète l’équilibre recherché par la Commission entre, d’une part, la gravité des infractions commises, l’effet négatif potentiel sur la concurrence qu’aurait pu causer l’opération de concentration, la taille et la complexité de la structure de la requérante et la nécessité d’appliquer une sanction suffisamment dissuasive, et, d’autre part, certaines circonstances atténuantes telles que l’attitude davantage négligente que délibérée de la requérante, le fait qu’elle a demandé des conseils juridiques, le fait qu’elle n’a pas exercé les droits de vote que lui conférait sa participation au capital et la séparation des deux activités jusqu’à l’autorisation de l’opération.

608    Au vu des éléments mentionnés au point 607 ci-dessus, le montant des amendes ne saurait être considéré comme disproportionné. Effectivement, le montant des amendes, même prises ensemble, se situe à l’extrémité inférieure de la fourchette autorisée, ce qui reflète un juste équilibre entre les facteurs à prendre en compte et ce qui est proportionné au vu des circonstances de l’espèce. Pour ces raisons, il y a lieu de considérer que le montant des amendes imposées est approprié au regard des circonstances de l’espèce.

609    Aucun des arguments et des preuves avancés par la requérante ne permet au Tribunal, dans le cadre de l’exercice de sa pleine juridiction, de constater que les amendes imposées ne seraient pas appropriées.

610    S’agissant de l’argumentation de la requérante selon laquelle les juridictions de l’Union ont significativement réduit les amendes imposées par la Commission dans des circonstances semblables à la présente affaire, il convient de constater que, ainsi que le souligne la Commission, les faits à la base de ces affaires n’étaient pas comparables à ceux à la base de la présente affaire.

611    En premier lieu, en ce qui concerne l’arrêt du 28 mars 1984, Officine Bertoli/Commission (8/83, EU:C:1984:129), il convient de relever que la Cour a réduit de 75 % l’amende imposée à la partie requérante pour une infraction à l’article 60 CECA. Elle a relevé, au point 29 de cet arrêt, ce qui suit :

« [C]ertaines circonstances particulières au cas d’espèce justifient une réduction, pour des motifs d’équité. Au cours des dernières trente années, la requérante, malgré de nombreux contrôles effectués par la Commission, n’à, jusqu’à ce jour, jamais fait l’objet de sanctions pour infraction aux règles en matière de prix, de prélèvements ou encore de quotas. À cette circonstance s’ajoute le caractère incertain des communiqués de la Commission qui, tout en avertissant les entreprises concernées du renforcement et de l’extension des contrôles sur le respect des prix et conditions de vente imposés par l’article 60 du traité CECA, n’a pas attiré leur attention sur l’intention de la Commission de sanctionner, comme elle en avait le pouvoir, plus sévèrement les infractions qui seraient constatées. »

612    La requérante affirme à cet égard que, « [d]e manière similaire, l’exemption de l’obligation de statu quo a été introduite quelque 25 ans avant la décision » et qu’« aucune sanction n’a jamais été imposée pour une application erronée de l’exemption ».

613    À cet égard, il y a lieu de relever que la Commission n’a pas imposé une amende pour une application erronée de l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, mais pour la violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004. Il ne s’agit pas de la première affaire dans laquelle la Commission a imposé des amendes pour la réalisation d’une concentration avant sa notification et avant son autorisation.

614    Par ailleurs, les considérations figurant au point 29 de l’arrêt du 28 mars 1984, Officine Bertoli/Commission (8/83, EU:C:1984:129), concernaient la situation d’une seule et même entreprise à laquelle aucune amende n’avait été imposée, malgré de nombreux contrôles. Ces considérations ne peuvent pas être transposées à la situation de la totalité des entreprises, lorsqu’aucune sanction n’a été imposée à aucune entreprise.

615    En outre, en ce qui concerne le respect des règles de concurrence, il n’existe pas un système de contrôles réguliers, contrairement à la situation se présentant dans l’arrêt du 28 mars 1984, Officine Bertoli/Commission (8/83, EU:C:1984:129).

616    En deuxième lieu, en ce qui concerne l’arrêt du 19 octobre 1983, Lucchini Siderurgica/Commission (179/82, EU:C:1983:280), la requérante souligne que la Cour a réduit de 50 % l’amende qui avait été imposée pour le dépassement du quota de production d’acier.

617    La Cour a constaté que des « circonstances exceptionnelles » justifiaient de s’écarter du taux-règle imposé par la Commission. À cet égard, elle a relevé que, dans le trimestre en question, la partie requérante dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt avait rencontré des difficultés exceptionnelles à respecter le quota attribué et qu’elle avait réalisé une diminution de sa production ultérieure. La Cour a en outre constaté que la partie requérante dans cette affaire avait offert à l’avance, par telex, la compensation du dépassement du quota par une réduction de sa production ultérieure et que la Commission n’avait pas répondu à ce telex, en violation des règles de bonne administration, laissant la partie requérante dans l’incertitude sur la question de savoir si elle acceptait son offre (arrêt du 19 octobre 1983, Lucchini Siderurgica/Commission, 179/82, EU:C:1983:280, points 25 à 27).

618    La requérante affirme qu’elle a également minimisé toute conséquence négative de son éventuelle infraction en s’abstenant d’exercer ses droits de vote et en maintenant Morpol en tant qu’entité séparée pendant la procédure d’autorisation de la Commission. En outre, selon la requérante, la Commission a laissé la requérante dans l’incertitude quant à la question de savoir si l’exemption prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 s’appliquait jusqu’à la conclusion par elle du processus de contrôle de la concentration.

619    Cependant, en l’espèce, à la différence de la situation à la base de l’arrêt du 19 octobre 1983, Lucchini Siderurgica/Commission (179/82, EU:C:1983:280), il n’existe pas de taux-règle pour l’imposition d’une amende pour une infraction à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004. Ainsi qu’il ressort du point 25 de l’arrêt du 19 octobre 1983, Lucchini Siderurgica/Commission (179/82, EU:C:1983:280), l’amende devait être fixée, selon une décision générale, à un montant de 75 écus par tonne de dépassement, sauf dans des cas exceptionnels justifiant de s’écarter de ce taux-règle.

620    En l’espèce, le fait que la requérante a réduit le risque d’effets négatifs sur la concurrence, en s’abstenant d’exercer ses droits de vote et en maintenant Morpol en tant qu’entité séparée au cours de la période d’examen de la concentration, a dûment été pris en compte par la Commission, aux points 196 et 198 de la décision attaquée, au titre des circonstances atténuantes. Il n’y a donc pas lieu de prendre en compte cette circonstance une seconde fois, en réduisant le montant des amendes imposées par la Commission.

621    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission a laissé la requérante dans l’incertitude sur la question de savoir si l’exemption prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 s’appliquait, il suffit de constater que, la requérante n’ayant pas approché la Commission afin d’obtenir des clarifications quant à l’applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004 en l’espèce, elle ne peut pas reprocher à la Commission de l’avoir laissée dans l’incertitude à ce sujet. À la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 octobre 1983, Lucchini Siderurgica/Commission (179/82, EU:C:1983:280), il n’y a pas eu, en l’espèce, une prise de contact de la requérante qui serait restée sans réponse de la part de la Commission.

622    En troisième lieu, la requérante s’appuie sur l’arrêt du 16 mai 1984, Eisen und Metall/Commission (9/83, EU:C:1984:177), dans lequel la Cour a réduit de 50 % le montant de l’amende imposée par la Commission à la partie requérante, un négociant en acier, pour avoir effectué des sous-cotations par rapport à son barème publié et pour avoir donc appliqué des conditions inégales dans le cadre de transactions comparables (voir points 27 et 41 à 46 de l’arrêt).

623    Dans cet arrêt, la Cour a constaté que, lorsqu’une violation a été commise par un négociant, l’influence plus réduite que celui-ci peut exercer sur la situation de marché constitue une circonstance qui atténue la gravité de l’infraction et que, dans ces circonstances, l’application d’une amende très élevée ne saurait être justifiée que par des circonstances qui démontrent une gravité particulière de la violation commise par un négociant (arrêt du 16 mai 1984, Eisen und Metall/Commission, 9/83, EU:C:1984:177, points 43 et 44). C’est dans ces circonstances que la Cour a constaté, au point 45 de cet arrêt, qu’une amende égale à 110 % des sous-cotations n’était pas justifiée, la Commission ayant motivé le montant de l’amende par la seule référence au fait que le montant de l’amende devait être d’un niveau tel qu’il était suffisant pour dissuader l’entreprise de commettre de nouvelles sous-cotations.

624    Il ressort donc seulement de l’arrêt du 16 mai 1984, Eisen und Metall/Commission (9/83, EU:C:1984:177), que la référence à la nécessité d’un effet suffisamment dissuasif ne suffit pas pour démontrer une gravité particulière d’une violation commise par un négociant.

625    En l’espèce, la Commission n’était pas obligée de démontrer une gravité particulière de l’infraction afin de justifier l’imposition d’une amende élevée. En effet, il ne saurait être affirmé que la requérante pouvait seulement exercer une influence réduite sur le marché.

626    Pour autant que la requérante s’appuie sur une erreur excusable commise dans l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, il suffit de rappeler que cet argument a déjà été rejeté au point 484 ci-dessus.

627    En quatrième lieu, la requérante s’appuie sur l’arrêt du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission (T‑77/92, EU:T:1994:85). Au point 94 de cet arrêt, le Tribunal a relevé que « la Commission n’a[vait] pas pris en considération le fait que le chiffre d’affaires réalisé avec les produits concernés par l’infraction était relativement faible par rapport à celui résultant de l’ensemble des ventes réalisées par Parker » et que « la fixation d’une amende appropriée ne [pouvait] être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global ». Le Tribunal a donc réduit l’amende d’environ 43 %, en la ramenant de 700 000 écus à 400 000 écus (point 95 de l’arrêt).

628    La requérante fait valoir que, de manière similaire, les ventes de saumon écossais d’élevage réalisées en 2012 par Morpol, secteur dans lequel la Commission a identifié des problèmes de concurrence, étaient relativement faibles par rapport à l’ensemble de ses ventes, à savoir 5 %.

629    À cet égard, il convient de relever que l’arrêt du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission (T‑77/92, EU:T:1994:85), concernait une infraction à l’article [101 TFUE]. En ce qui concerne les violations de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, il n’est pas adéquat de calculer le montant de l’amende sur la base de la valeur des ventes dans le secteur concerné par d’éventuels problèmes de concurrence. En effet, la réalisation d’une concentration avant notification et autorisation ne concerne pas exclusivement le secteur du marché pour lequel des problèmes de concurrence ont pu être identifiés par la Commission. Sinon, l’amende devrait, en principe, être fixé à 0 euro dans le cas d’une concentration n’ayant posé aucun problème de concurrence.

630    Par ailleurs, en l’espèce, la Commission n’a pas effectué un « simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global », mais elle a pris en compte une multitude d’éléments dans le cadre de l’appréciation de la nature, de la gravité et de la durée de l’infraction.

631    Il y a donc lieu de rejeter la quatrième branche du cinquième moyen.

5.      Sur la cinquième branche, tirée de ce que la décision attaquée n’admet pas, à tort, de circonstances atténuantes

632    La requérante fait valoir que la Commission aurait dû admettre à titre de circonstances atténuantes les éléments suivants :

–        la coopération de la requérante dans le cadre de la procédure de contrôle des concentrations ;

–        l’absence de précédents pertinents ;

–        l’existence d’une erreur excusable qui était à l’origine des infractions alléguées.

633    La Commission conteste les arguments de la requérante.

634    En premier lieu, en ce qui concerne la prétendue coopération de la requérante dans le cadre de la procédure de contrôle des concentrations, à la supposer avérée, il convient de relever qu’il ne s’agirait pas d’une circonstance atténuante dans le cadre d’une procédure relative à des infractions à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

635    Il est certes vrai que, dans les procédures relatives aux infractions aux articles 101 ou 102 TFUE, la coopération d’un requérant dans le cadre de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prise en compte en tant que circonstance atténuante. Dans de telles affaires, dans lesquelles la Commission vise à établir des infractions, il n’est pas du tout évident que les entreprises visées par l’enquête montrent une attitude coopérative et aident activement la Commission à établir l’infraction.

636    Cependant, en l’espèce, la requérante ne s’appuie pas sur une prétendue coopération lors de la procédure administrative visant à établir les infractions à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004.

637    Elle affirme simplement qu’elle avait été coopérative lors de la procédure de contrôle des concentrations. À cet égard, il convient de souligner qu’il est tout à fait logique qu’une entreprise qui souhaite obtenir l’autorisation d’une concentration coopère avec la Commission afin d’accélérer la procédure, ce qui est dans son propre intérêt (voir, s’agissant de la proposition de mesures correctives par la requérante, point 602 ci-dessus).

638    Il ne saurait donc être reproché à la Commission de ne pas prendre en compte une telle coopération à titre de circonstance atténuante.

639    En deuxième lieu, la requérante affirme que la Commission aurait dû lui accorder le bénéfice d’une circonstance atténuante liée à l’absence de précédents pertinents établissant une violation de l’obligation de statu quo en rapport avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004. La requérante souligne à cet égard que, dans sa décision du 18 février 1998 (affaire n° IV/M.920 – Samsung/AST) (ci-après la « décision Samsung/AST ») ainsi que dans sa décision du 10 février 1999 (affaire n° IV/M.969 – A. P. Møller) (ci-après la « décision A. P. Møller »), la Commission a admis comme facteur atténuant le fait que le comportement en cause était intervenu à un moment où elle n’avait pas encore pris de décision constatant une infraction au sujet du comportement en question.

640    À cet égard, il y a lieu de relever qu’il n’existe aucune obligation pour la Commission de prendre en considération, à titre de circonstance atténuante, le fait qu’un comportement ayant exactement les mêmes caractéristiques que celui en cause n’a pas encore donné lieu à l’imposition d’une amende. En outre, premièrement, il convient de rappeler que, dans la décision Yara/Kemira GrowHow, la Commission s’était déjà prononcée sur l’interprétation qu’il convenait de donner à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, bien que dans un obiter dictum (voir point 419 ci-dessus). Deuxièmement, la Commission a, dans plusieurs affaires, imposé des amendes au titre de l’article 14 du règlement n° 4064/89, même si ces affaires ne concernaient pas l’interprétation de l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004.

641    En ce qui concerne la décision Samsung/AST, il convient de relever que la Commission a constaté, à son considérant 28, point 5, que cette décision était « la première [qu’elle avait] prise […] en application de l’article 14 du règlement [n° 4064/89] ». Au considérant 21 de la décision A. P. Møller, la Commission a constaté que « les infractions [avaient] été commises en même temps que celle faisant l’objet de la décision Samsung, alors que la Commission n’avait pas encore pris de décision en vertu de […] l’article 14 du règlement [n° 4064/89] », que « [c]e fait [avait] été considéré comme une circonstance atténuante dans la décision Samsung » et que « le même raisonnement [était] applicable en l’espèce. »

642    Dans ces décisions, la Commission ne s’est donc pas limitée à constater qu’elle n’avait pas encore imposé d’amende pour un comportement ayant exactement les mêmes caractéristiques, mais elle a relevé qu’aucune décision en vertu de l’article 14 du règlement n° 4064/89 n’était intervenue. La situation en l’espèce n’est donc pas comparable à celles à la base des décisions Samsung/AST et A. P. Møller.

643    En troisième lieu, la requérante fait valoir que, même à supposer que la décision attaquée puisse, à bon droit, qualifier de négligentes les prétendues violations par la requérante de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 139/2004, la décision ne laisserait pas la requérante bénéficier de la circonstance atténuante résultant du fait que l’infraction alléguée a été causée par une erreur excusable et ne visait pas à contourner le contrôle de la Commission.

644    À cet égard, il suffit de constater que l’existence d’une erreur excusable présuppose que la personne concernée a fait preuve de toute la diligence requise d’une personne normalement avertie (voir point 484 ci-dessus). Le constat d’une négligence de la part de la requérante exclut donc nécessairement l’existence d’une erreur excusable de sa part.

645    Il convient donc de rejeter également la cinquième branche du cinquième moyen ainsi que le cinquième moyen dans son ensemble.

646    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

647    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Marine Harvest ASA est condamnée aux dépens.

Dittrich

Schwarcz

Tomljenović

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 octobre 2017.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

A. Acquisition par la requérante de Morpol

B. Phase de prénotification

C. Notification et décision autorisant la concentration sous réserve du respect de certains engagements

D. Décision attaquée et procédure ayant conduit à l’adoption de celle-ci

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste de droit et de fait, en ce que la décision attaquée a rejeté l’applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004

1. Sur les trois premières branches du premier moyen

a) Observations liminaires

b) Sur l’applicabilité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004

1) Sur le fait que la concentration en cause n’est pas couverte par le libellé de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004

2) Sur l’argumentation de la requérante tirée de la prétendue existence d’une concentration unique

i) Observations liminaires

ii) Sur les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec la communication consolidée sur la compétence

iii) Sur les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec la jurisprudence du Tribunal et la pratique décisionnelle de la Commission

iv) Sur les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec le considérant 20 du règlement n° 139/2004

v) Sur les arguments de la requérante selon lesquels la position de la Commission est en contradiction avec la pratique dans les États membres

vi) Sur les arguments de la requérante selon lesquels la Commission a interprété de manière erronée la raison d’être de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004

2. Sur la quatrième branche du premier moyen, tirée de ce que la requérante s’est conformée à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004

B. Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste de droit et de fait en ce que la décision attaquée conclut que la requérante a été négligente

C. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe général ne bis in idem

1. Observations liminaires sur la relation entre l’article 4, paragraphe 1, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 14, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 139/2004

2. Sur l’applicabilité en l’espèce du principe ne bis in idem

3. Sur les arguments de la requérante relatifs au concours d’infractions

D. Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur manifeste de droit et de fait commise en imposant des amendes à la requérante

1. Sur la première branche, tirée d’une violation des principes de sécurité juridique et nullum crimen, nulla poena sine lege

2. Sur la seconde branche, tirée d’une violation du principe général d’égalité de traitement

E. Sur le cinquième moyen, tiré d’une erreur manifeste de droit et de fait et d’une absence de motivation en ce qui concerne la fixation des niveaux des amendes

1. Sur la première branche, tirée d’une absence de motivation en ce qui concerne la fixation du montant de l’amende

2. Sur la deuxième branche, tirée d’une appréciation erronée de la gravité des infractions alléguées

a) Sur la prise en compte de la négligence de la requérante

b) Sur la prise en compte de l’existence de doutes sérieux quant à la compatibilité de l’opération avec le marché intérieur

c) Sur la prise en compte des précédents concernant la requérante et d’autres sociétés

1) Sur la prise en compte de l’affaire ayant donné lieu à la décision Pan Fish/Fjord Seafood

2) Sur la prise en compte d’affaires concernant d’autres sociétés

3. Sur la troisième branche, tirée d’une appréciation erronée de la durée de l’infraction alléguée

4. Sur la quatrième branche, tirée de ce que l’amende est disproportionnée

a) Sur le premier grief, tiré de ce que l’amende excède ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi

b) Sur le deuxième grief, tiré de ce que l’amende est disproportionnée par rapport à la durée et à la gravité des infractions alléguées

c) Sur le troisième grief, tiré de ce que l’amende est excessive et doit être réduite

5. Sur la cinquième branche, tirée de ce que la décision attaquée n’admet pas, à tort, de circonstances atténuantes

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.