Language of document : ECLI:EU:T:2017:753

Affaire T704/14

Marine Harvest ASA

contre

Commission européenne

« Concurrence – Concentrations – Décision infligeant une amende pour la réalisation d’une opération de concentration avant sa notification et son autorisation – Article 4, paragraphe 1, article 7, paragraphes 1 et 2, et article 14 du règlement (CE) no 139/2004 – Négligence – Principe ne bis in idem – Gravité de l’infraction – Montant de l’amende »

Sommaire – Arrêt du Tribunal (cinquième chambre) du 26 octobre 2017

1.      Concentrations entre entreprises – Examen par la Commission – Obligation de suspension de la concentration – Dérogation en cas d’offre publique d’achat – Portée – Prise de contrôle de l’entreprise cible au moyen d’une seule opération d’acquisition privée suivie d’une offre publique d’achat obligatoire – Absence de concentration unique – Non-applicabilité de ladite dérogation

(Règlement du Conseil no 139/2004, art. 7, § 1 et 2 ; communication de la Commission 2009/C 43/09, point 44)

2.      Concentrations entre entreprises – Notion – Contrôle exclusif de fait – Exercice par un actionnaire minoritaire – Critères d’appréciation – Droits conférant la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité de l’entreprise – Absence d’exercice effectif desdits droits – Défaut de pertinence

(Règlement du Conseil no 139/2004, art. 3, § 1 et 2)

3.      Concentrations entre entreprises – Examen par la Commission – Obligation de suspension de la concentration – Dérogation en cas d’acquisition du contrôle par l’intermédiaire de plusieurs vendeurs au moyen d’une série de transactions sur titres – Portée

(Règlement du Conseil no 139/2004, art. 7, § 1 et 2)

4.      Droit de l’Union européenne – Notions – Interprétation – Renvoi au droit national – Inadmissibilité

5.      Concentrations entre entreprises – Examen par la Commission – Obligation de suspension de la concentration – Dérogation sur demande motivée – Mise en balance des intérêts en cause

(Règlement du Conseil no 139/2004, art. 7, § 3)

6.      Concurrence – Règles de l’Union – Infractions – Réalisation de propos délibéré ou par négligence – Notion

(Règlement du Conseil no 139/2004, art. 7 et 14, § 2)

7.      Concentrations entre entreprises – Notification – Obligation – Violation – Conséquences – Violation automatique des interdictions correspondantes – Sanctions

[Règlement no 139/2004, art. 4, § 1, 7, § 1, et 14, § 2, a) et b)]

8.      Concurrence – Amendes – Décision de la Commission imposant plusieurs sanctions pour les mêmes faits – Inapplicabilité du principe ne bis in idem

(Règlement du Conseil no 139/2004, art. 14, § 2)

9.      Concurrence – Amendes – Décision de la Commission imposant plusieurs sanctions pour les mêmes faits – Principes régissant le concours d’infractions – Violation – Absence

(Règlement du Conseil no 139/2004, art. 14, § 2)

10.    Droit de l’Union européenne – Principes généraux du droit – Principe de légalité des peines – Portée

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 49, § 1 ; règlement du Conseil no 139/2004, art. 7 et 14, § 2)

11.    Concurrence – Amendes – Principe d’égalité de traitement – Incidence de l’absence de sanction à l’encontre d’un autre opérateur économique

12.    Concentrations entre entreprises – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Absence de lignes directrices – Obligation de motivation de la décision infligeant une amende – Portée

(Art. 296, al. 2, TFUE ; règlement du Conseil no 139/2004, art. 14)

13.    Concentrations entre entreprises – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité de l’infraction – Éléments d’appréciation

[Règlement du Conseil no 139/2004, art. 4, § 1, 7, § 1, et 14, § 2, a) et b)]

14.    Concentrations entre entreprises – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité de l’infraction – Éléments d’appréciation – Prise en compte de l’existence de doutes sérieux quant à la compatibilité de la concentration avec le marché intérieur – Admissibilité

[Règlement du Conseil no 139/2004, art. 4, § 1, 7, § 1, et 14, § 2, a) et b)]

15.    Concentrations entre entreprises – Amendes – Montant – Détermination – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Prise en compte de précédents concernant d’autres sociétés – Admissibilité

[Règlement du Conseil no 139/2004, art. 4, § 1, 7, § 1, et 14, § 2, a) et b)]

16.    Concentrations entre entreprises – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Durée de l’infraction – Pouvoir d’appréciation de la Commission

[Règlement du Conseil no 139/2004, art. 7, § 1, et 14, § 2, b)]

17.    Concentrations entre entreprises – Amendes – Montant – Détermination – Respect du principe de proportionnalité – Portée

(Règlement du Conseil no 139/2004, art. 14)

18.    Concentrations entre entreprises – Amendes – Montant – Détermination – Contrôle juridictionnel – Compétence de pleine juridiction du juge de l’Union – Portée

(Règlement du Conseil no 139/2004, art. 16)

1.      En vertu de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, une concentration de dimension communautaire ne peut être réalisée ni avant d’être notifiée ni avant d’avoir été déclarée compatible avec le marché intérieur par décision de la Commission. L’article 7, paragraphe 2, dudit règlement prévoit, toutefois, deux dérogations à cette obligation de suspension de la concentration, l’une liée à une offre publique d’achat ou d’échange et l’autre liée à une série de transactions sur titres.

Selon le premier cas de figure prévu à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, le paragraphe 1 dudit article ne fait pas obstacle à la réalisation d’une offre publique d’achat ou d’échange, pour autant que la concentration soit notifiée sans délai et que l’acquéreur n’exerce pas ses droits de vote avant l’autorisation de la concentration. Selon son libellé, ce premier cas de figure n’est, par conséquent, pas applicable en cas de prise de contrôle d’une entreprise au moyen d’une seule opération d’acquisition privée, même si cette acquisition est suivie d’une offre publique d’achat obligatoire.

Il n’est pas non plus possible de considérer qu’une telle opération d’acquisition privée et l’offre publique d’achat ultérieure constituent des étapes d’une « concentration unique » au sens de la troisième phrase du considérant 20 du règlement no 139/2004 et du point 44 de la communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement no 139/2004. Certes, la prise de contrôle d’une entreprise individuelle par le biais de plusieurs opérations juridiques qui font l’objet d’un lien conditionnel peut constituer une concentration unique. Toutefois, lorsque le contrôle de l’entreprise cible est acquis au moyen d’une seule transaction privée avant le lancement d’une offre publique d’achat, les transactions ultérieures à l’acquisition du contrôle par lesquelles l’acquéreur obtient des parts supplémentaires de l’entreprise cible ne sont plus pertinentes pour acquérir le contrôle et donc pour réaliser la concentration.

Par ailleurs, si une acquisition du contrôle par le biais d’une seule opération privée, suivie d’une offre publique obligatoire, constituait une concentration unique, cela aurait pour conséquence que, lors de concentrations impliquant des sociétés cotées en bourse situées dans les États membres, l’acquisition privée de titres conférant le contrôle serait toujours couverte par l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, dans la mesure où une telle acquisition privée emporte toujours l’obligation de soumettre une offre publique d’achat. Cela aurait pour conséquence que le champ d’application de l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 serait trop élargi.

Le concept de concentration unique n’est, par conséquent, pas destiné à s’appliquer dans un cas de figure dans lequel le contrôle exclusif de fait de la seule société cible est acquis auprès d’un seul vendeur par le biais d’une seule première transaction privée, même lorsque celle-ci est suivie par une offre publique obligatoire.

(voir points 48, 66, 68, 72, 108, 109, 128, 186, 229)

2.      Voir le texte de la décision.

(voir points 51-59)

3.      Voir le texte de la décision.

(voir points 74-82)

4.      Voir le texte de la décision.

(voir point 161)

5.      Voir le texte de la décision.

(voir points 215-223)

6.      Selon l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, la Commission peut imposer des amendes seulement pour des violations de l’article 7 dudit règlement qui ont été commises « de propos délibéré ou par négligence ». Cette condition est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence.

Le fait que l’entreprise concernée aurait qualifié de manière juridiquement erronée son comportement sur lequel la constatation de l’infraction se fonde ne peut pas avoir pour effet de l’exonérer de l’infliction d’une amende pour autant que celle-ci ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel dudit comportement.

Dans ce contexte, l’entreprise concernée agit de manière négligente lorsqu’elle procède à une interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 qui n’est ni couverte par son libellé ni par la pratique décisionnelle de la Commission ou par la jurisprudence des juridictions de l’Union et qui n’est pas conforme à ce que la Commission a constaté, bien que dans un obiter dictum, dans une décision antérieure dont un avis a été publié au Journal officiel de l’Union européenne dans chacune des langues officielles, et ce sans contacter au préalable la Commission afin de vérifier l’exactitude de son interprétation. En agissant de la sorte, l’entreprise concernée agit à ses propres risques et elle ne peut pas valablement s’appuyer sur le prétendu caractère « raisonnable » de son interprétation.

De plus, une entreprise ne peut pas échapper à l’infliction d’une amende lorsque l’infraction aux règles de concurrence a pour origine une erreur de cette entreprise sur la licéité de son comportement en raison de la teneur d’un avis juridique d’un avocat.

Dans le cadre de l’appréciation de la négligence, la Commission est, en outre, en droit de prendre en considération le fait que la société concernée est une grande société européenne avec une solide expérience des procédures de contrôle des concentrations et de notification à la Commission et aux autorités de concurrence nationales, qui s’était déjà vu infliger une amende, bien qu’au niveau national, pour la réalisation prématurée d’une concentration. Dans une telle situation, il y a, en effet, lieu de s’attendre à une diligence particulière de la part de la société concernée.

(voir points 236-238, 255, 257-259)

7.      Au moment où une entreprise enfreint l’obligation, prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, de notifier une concentration avant sa réalisation, une violation de l’interdiction correspondante de réaliser une concentration avant sa notification, prévue à l’article 7, paragraphe 1, premier cas de figure, dudit règlement commence automatiquement. En même temps, elle enfreint l’interdiction de réaliser une concentration avant autorisation, prévue à l’article 7, paragraphe 1, second cas de figure, du règlement no 139/2004, car une concentration qui n’a pas été notifiée ne peut pas être déclarée compatible avec le marché intérieur.

En ce qui concerne les sanctions prévues, la violation de l’obligation prévue à l’article 4 du règlement no 139/2004 et la violation de l’interdiction prévue à l’article 7, paragraphe 1, second cas de figure, dudit règlement figurent à l’article 14, paragraphe 2, de ce même règlement, ce qui implique que l’échelle des peines pour la violation de l’article 4, paragraphe 1, et celle pour la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement sont désormais identiques et correspondent à la possibilité d’imposer des amendes jusqu’à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par les entreprises concernées.

(voir points 300, 301, 303)

8.      Le principe ne bis in idem doit être respecté dans les procédures tendant à l’infliction d’amendes, relevant du droit de la concurrence. Ce principe interdit, en matière de concurrence, qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel pour lequel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours.

Ledit principe, dont l’application est soumise à la triple condition d’identité des faits, d’unité de contrevenant et d’unité de l’intérêt juridique protégé, interdit qu’une entreprise soit, une nouvelle fois, aussi bien « poursuivie » que « condamnée ». Cependant, ces interdictions présupposent que l’entreprise en cause a été sanctionnée ou déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours.

Il s’ensuit que le principe ne bis in idem ne s’applique pas dans une situation dans laquelle la Commission impose plusieurs sanctions dans une seule et même décision, même si ces sanctions sont imposées pour les mêmes faits.

(voir points 307-309, 315, 319, 344)

9.      Voir le texte de la décision.

(voir points 344, 348-374)

10.    Voir le texte de la décision.

(voir points 377-394)

11.    La circonstance que la Commission n’a pas infligé d’amende à l’auteur d’une violation des règles de concurrence ne saurait, à elle seule, empêcher que soit infligée une amende à l’auteur d’une infraction de même nature. En outre, dès lors qu’une entreprise a, par son propre comportement, commis une violation des règles de concurrence, elle ne saurait échapper à toute sanction au motif que d’autres opérateurs économiques ne se sont pas vu infliger d’amende, lorsque le juge de l’Union n’est pas saisi de la situation de ces derniers.

Par ailleurs, le principe d’égalité de traitement, par rapport à une entreprise à laquelle aucune amende n’a été imposée dans une décision antérieure pour le même type de comportement, peut, en principe, être utilement invoqué seulement par des opérateurs qui n’ont pas eu la possibilité de prendre en considération les clarifications données dans la décision antérieure, pour éviter d’enfreindre les règles de concurrence, car cette décision est intervenue à un moment où l’infraction avait déjà été commise.

(voir points 398, 407)

12.    En ce qui concerne les amendes imposées en vertu de l’article 14 du règlement no 139/2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, le paragraphe 3 de ce même article prévoit que, pour fixer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération la nature, la gravité et la durée de l’infraction. La Commission n’ayant pas adopté de lignes directrices énonçant la méthode de calcul qui s’imposerait à elle dans le cadre de la fixation du montant des amendes en vertu dudit article 14, le cadre de l’analyse de la Commission doit être celui du paragraphe 3 de cet article.

Afin de respecter l’obligation de motivation prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, la Commission est, en outre, tenue de faire apparaître d’une façon claire et non équivoque dans la décision infligeant l’amende les éléments pris en compte dans la détermination du montant de l’amende. En l’absence de lignes directrices énonçant la méthode de calcul du montant desdites amendes, la Commission n’est toutefois pas tenue de chiffrer, en valeur absolue ou en pourcentage, le montant de base de l’amende et les éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes.

(voir points 447, 449, 450, 455)

13.    Voir le texte de la décision.

(voir points 468-477)

14.    Dans le cadre de la fixation du montant d’une amende infligée pour des infractions à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, le seul fait que des effets dommageables à la concurrence soient possibles, car la concentration réalisée dans la forme initialement envisagée et non autorisée par la Commission soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, peut être pris en compte dans l’appréciation de la gravité de l’infraction, même si la Commission ne démontre pas une probabilité raisonnable de l’existence de tels effets.

Certes, lorsque l’existence d’effets dommageables pour la concurrence résultant de la réalisation d’une concentration dans la forme initialement envisagée et non autorisée par la Commission peut être démontrée, cela est susceptible de rendre l’infraction encore plus grave qu’une infraction relevant de la « situation intermédiaire ». Cela n’empêche pas que le seul fait que des effets dommageables pour la concurrence ne puissent être exclus rend l’infraction plus grave que la réalisation prématurée d’une concentration qui ne soulève aucun problème de concurrence.

En effet, il ne serait pas adéquat de traiter de la même manière la réalisation prématurée de concentrations qui soulèvent des doutes sérieux quant à leur compatibilité avec le marché intérieur et la réalisation prématurée de concentrations qui ne soulèvent aucun problème de concurrence. À cet égard, dans le cas de concentrations qui soulèvent des doutes sérieux quant à leur compatibilité avec le marché intérieur, les possibles risques pour la concurrence liés à une réalisation prématurée ne sont pas les mêmes que dans le cas de concentrations qui ne soulèvent pas de problèmes de concurrence.

Le fait qu’une concentration soulève des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur rend donc la réalisation prématurée de cette concentration plus grave que la réalisation prématurée d’une concentration qui ne soulève pas de problèmes de concurrence, sauf si, malgré le fait qu’elle soulève de tels doutes sérieux, il peut être exclu dans un cas d’espèce que sa réalisation dans la forme initialement envisagée et non autorisée par la Commission ait pu avoir des effets dommageables sur la concurrence.

(voir points 497, 499, 500, 523, 524)

15.    Voir le texte de la décision.

(voir points 543-547)

16.    Voir le texte de la décision.

(voir points 554-577)

17.    Voir le texte de la décision.

(voir points 580, 582-587, 592-608)

18.    Voir le texte de la décision.

(voir point 581)