Language of document : ECLI:EU:C:2021:898

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

9 novembre 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique commune en matière d’asile et de protection subsidiaire – Normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale – Directive 2011/95/UE – Articles 3 et 23 – Normes plus favorables pouvant être maintenues ou adoptées par les États membres aux fins d’étendre le bénéfice du droit d’asile ou de la protection subsidiaire aux membres de la famille du bénéficiaire d’une protection internationale – Octroi, à titre dérivé, du statut de réfugié d’un parent à son enfant mineur – Maintien de l’unité familiale – Intérêt supérieur de l’enfant »

Dans l’affaire C‑91/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne), par décision du 18 décembre 2019, parvenue à la Cour le 24 février 2020, dans la procédure

LW

contre

Bundesrepublik Deutschland,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Regan, N. Jääskinen et J. Passer, présidents de chambre, MM. M. Ilešič (rapporteur), J.‑C. Bonichot, A. Kumin et N. Wahl, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 février 2021,

considérant les observations présentées :

–        pour LW, par Me F. Schleicher, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs et M. Van Regemorter, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. G. Wils ainsi que par Mme A. Azema, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 mai 2021,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3 et de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant LW à la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne) au sujet d’une décision du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral des migrations et des réfugiés, Allemagne) (ci–après l’« Office ») lui refusant le bénéfice du droit d’asile.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        L’article 1er, section A, paragraphe 2, de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)] (ci-après la « convention de Genève »), énonce :

« Aux fins de la présente Convention, le terme “réfugié” s’appliquera à toute personne :

[...]

2.      Qui, [...] craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

Dans le cas d’une personne qui a plus d’une nationalité, l’expression “du pays dont elle a la nationalité” vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité, toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s’est pas réclamée de la protection de l’un des pays dont elle a la nationalité. »

 Le droit de l’Union

4        La directive 2011/95 a procédé à la « refonte » de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12).

5        Les considérants 4, 12, 14, 16, 18, 19, 36 et 38 de la directive 2011/95 sont libellés comme suit :

« (4)      La convention de Genève et le protocole y afférent constituent la pierre angulaire du régime juridique international de protection des réfugiés.

[...]

(12)      L’objectif principal de la présente directive est, d’une part, d’assurer que tous les États membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin de protection internationale et, d’autre part, d’assurer un niveau minimal d’avantages à ces personnes dans tous les États membres.

[...]

(14)      Les États membres devraient pouvoir prévoir ou maintenir des conditions plus favorables que les normes énoncées dans la présente directive pour les ressortissants de pays tiers ou les apatrides qui demandent à un État membre une protection internationale, lorsqu’une telle demande est comprise comme étant introduite au motif que la personne concernée a la qualité de réfugié au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, ou est une personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire.

[...]

(16)      La présente directive respecte les droits fondamentaux, ainsi que les principes reconnus notamment par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En particulier, la présente directive vise à garantir le plein respect de la dignité humaine et du droit d’asile des demandeurs d’asile et des membres de leur famille qui les accompagnent et à promouvoir l’application des articles 1er, 7, 11, 14, 15, 16, 18, 21, 24, 34 et 35 de ladite charte, et devrait être mise en œuvre en conséquence.

[...]

(18)      “L’intérêt supérieur de l’enfant” devrait être une considération primordiale des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive, conformément à la convention des Nations unies [...] relative aux droits de l’enfant [, conclue à New York le 20 novembre 1989 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1577, p. 3)]. Lorsqu’ils apprécient l’intérêt supérieur de l’enfant, les États membres devraient en particulier tenir dûment compte du principe de l’unité familiale [...]

(19)      Il est nécessaire d’élargir la notion de “membres de la famille”, compte tenu [...] de l’attention particulière à accorder à l’intérêt supérieur de l’enfant.

[...]

(36)      Les membres de la famille, du seul fait de leur lien avec le réfugié, risquent en règle générale d’être exposés à des actes de persécution susceptibles de motiver l’octroi du statut de réfugié.

[...]

(38)      Lorsqu’ils décident du droit aux avantages prévus dans la présente directive, les États membres devraient tenir dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que des situations individuelles de dépendance, vis-à-vis du bénéficiaire d’une protection internationale, de parents proches qui se trouvent déjà dans l’État membre et ne sont pas des membres de la famille dudit bénéficiaire. Dans des circonstances exceptionnelles, lorsque le parent proche du bénéficiaire d’une protection internationale est un mineur marié mais non accompagné de son conjoint, il peut être considéré que l’intérêt supérieur du mineur réside dans sa famille d’origine. »

6        L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », énonce :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

d)      “réfugié”, tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 12 ;

[...]

j)      “membre de la famille”, dans la mesure où la famille était déjà fondée dans le pays d’origine, les membres ci-après de la famille du bénéficiaire d’une protection internationale qui sont présents dans le même État membre en raison de la demande de protection internationale :

–        le conjoint du bénéficiaire d’une protection internationale ou son partenaire non marié engagé dans une relation stable [...],

–        les enfants mineurs des couples visés au premier tiret ou du bénéficiaire d’une protection internationale, à condition qu’ils soient non mariés et sans tenir compte du fait qu’ils sont légitimes, nés hors mariage ou adoptés selon les définitions du droit national,

–        le père ou la mère du bénéficiaire d’une protection internationale ou tout autre adulte qui en est responsable de par le droit ou la pratique en vigueur dans l’État membre concerné [...] ;

k)      “mineur”, un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride âgé de moins de dix-huit ans ;

[...]

n)      “pays d’origine”, le pays ou les pays dont le demandeur a la nationalité ou, s’il est apatride, le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle. »

7        L’article 3 de ladite directive, intitulé « Normes plus favorables », dispose :

« Les États membres peuvent adopter ou maintenir des normes plus favorables pour décider quelles sont les personnes qui remplissent les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et pour déterminer le contenu de la protection internationale, dans la mesure où ces normes sont compatibles avec la présente directive. »

8        L’article 4 de la directive 2011/95, intitulé « Évaluation des faits et circonstances », prévoit, à son paragraphe 3, sous e) :

« Il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :

[...]

e)      le fait qu’il est raisonnable de penser que le demandeur pourrait se prévaloir de la protection d’un autre pays dont il pourrait revendiquer la citoyenneté. »

9        L’article 12 de cette directive, intitulé « Exclusion », est libellé comme suit :

« 1.      Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié :

a)      lorsqu’il relève du champ d’application de l’article 1er, section D, de la convention de Genève, concernant la protection ou l’assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations unies autre que [l’Agence] des Nations unies pour les réfugiés [(UNHCR)]. Si cette protection ou cette assistance cesse pour quelque raison que ce soit, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé conformément aux résolutions pertinentes de l’assemblée générale des Nations unies, ces personnes pourront ipso facto se prévaloir de la présente directive ;

b)      lorsqu’il est considéré par les autorités compétentes du pays dans lequel il a établi sa résidence comme ayant les droits et obligations qui sont attachés à la possession de la nationalité de ce pays, ou des droits et des obligations équivalents.

2.      Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser :

a)      qu’il a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ;

b)      qu’il a commis un crime grave de droit commun en dehors du pays de refuge avant d’être admis comme réfugié, c’est-à-dire avant la date à laquelle le titre de séjour est délivré sur la base de l’octroi du statut de réfugié ; les actions particulièrement cruelles, même si elles sont commises avec un objectif prétendument politique, pourront recevoir la qualification de crimes graves de droit commun ;

c)      qu’il s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies tels qu’ils figurent dans le préambule et aux articles 1er et 2 de la charte des Nations unies.

3.      Le paragraphe 2 s’applique aux personnes qui sont les instigatrices des crimes ou des actes visés par ledit paragraphe, ou qui y participent de quelque autre manière. »      

10      L’article 23 de ladite directive, intitulé « Maintien de l’unité familiale », dispose :

« 1.      Les États membres veillent à ce que l’unité familiale puisse être maintenue.

2.      Les États membres veillent à ce que les membres de la famille du bénéficiaire d’une protection internationale qui, individuellement, ne remplissent pas les conditions nécessaires pour obtenir cette protection puissent prétendre aux avantages visés aux articles 24 à 35, conformément aux procédures nationales et dans la mesure où cela est compatible avec le statut juridique personnel du membre de la famille.

3.      Les paragraphes 1 et 2 ne sont pas applicables lorsque le membre de la famille est ou serait exclu du bénéfice de la protection internationale en application des chapitres III et V.

4.      Nonobstant les paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent refuser, limiter ou retirer les avantages qui y sont visés pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public.

5.      Les États membres peuvent décider que le présent article s’applique aussi aux autres parents proches qui vivaient au sein de la famille à la date du départ du pays d’origine et qui étaient alors entièrement ou principalement à la charge du bénéficiaire d’une protection internationale. »

 Le droit allemand

11      L’article 3, paragraphe 1, de l’Asylgesetz (loi relative au droit d’asile), du 26 juin 1992 (BGBl. 1992 I, p. 1126), telle que publiée le 2 septembre 2008 (BGBl. 2008 I, p. 1798), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« AsylG »), dispose :

« Un ressortissant étranger est un réfugié au sens de la [convention de Genève] [...] lorsqu’il

1.      craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social et, pour ce motif,

2.      se trouve hors du pays (pays d’origine),

a)      dont il a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.

[...] »

12      L’article 26, paragraphe 2, de l’AsylG prévoit :

« L’enfant célibataire d’un bénéficiaire du droit d’asile, qui est mineur au moment où il demande l’asile, est, à sa demande, reconnu en tant que bénéficiaire du droit d’asile lorsque la reconnaissance du ressortissant étranger en tant que bénéficiaire du droit d’asile n’est plus susceptible de recours, et qu’elle ne peut plus être révoquée ni retirée. »

13      L’article 26, paragraphe 4, de l’AsylG exclut du bénéfice de cet article notamment les personnes relevant d’une cause d’exclusion prévue à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2011/95.

14      L’article 26, paragraphe 5, de l’AsylG dispose :

« Les paragraphes 1 à 4 s’appliquent par analogie aux membres de la famille, tels que visés aux paragraphes 1 à 3, des bénéficiaires de la protection internationale. Les notions de statut de réfugié ou de protection subsidiaire se substituent à celle de bénéficiaire du droit d’asile. [...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

15      La requérante au principal est née en Allemagne en 2017 d’une mère tunisienne et d’un père syrien.

16      La requérante au principal possède la nationalité tunisienne. Il n’est pas établi si elle possède également la nationalité syrienne.

17      Au mois d’octobre 2015, l’Office a octroyé au père de la requérante au principal le statut de réfugié. La demande de protection internationale introduite par la mère de la requérante au principal, qui est née en Libye et qui avait déclaré y avoir eu sa résidence habituelle jusqu’à son départ de cet État, n’a pas abouti.

18      Par décision du 15 septembre 2017, l’Office a rejeté la demande d’asile introduite au nom de la requérante au principal après sa naissance en tant que « manifestement non fondée ».

19      Par jugement du 17 janvier 2019, le Verwaltungsgericht Cottbus (tribunal administratif de Cottbus, Allemagne) a annulé cette décision en ce que celle-ci avait rejeté la demande d’asile de la requérante au principal comme étant « manifestement non fondée », plutôt que comme étant « non fondée », et a rejeté le recours pour le surplus. Cette juridiction a estimé que la requérante au principal ne satisfaisait pas aux conditions pour l’octroi du statut de réfugié, étant donné qu’elle n’avait aucune raison de craindre des persécutions en Tunisie, le pays ou l’un des pays dont elle est ressortissante. Par ailleurs, ladite juridiction a jugé que cette requérante ne pouvait pas non plus tirer, en application de l’article 26, paragraphes 2 et 5, de l’AsylG, un droit au titre de la protection de la famille du statut de réfugié qui a été octroyé à son père en Allemagne. La même juridiction a, en effet, considéré qu’il serait contraire au principe de la subsidiarité de la protection internationale d’étendre le bénéfice de la protection internationale aux personnes qui, en tant que ressortissants d’un État qui est en mesure de leur accorder une protection, sont exclues de la catégorie des personnes ayant besoin de protection.

20      La requérante au principal a formé un pourvoi en Revision contre ce jugement devant la juridiction de renvoi, le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne).

21      Dans le cadre de ce pourvoi, la requérante au principal fait valoir qu’il convient d’octroyer aux enfants mineurs de parents ayant des nationalités différentes le statut de réfugié au titre de la protection de la famille en vertu des dispositions combinées de l’article 26, paragraphe 2, et paragraphe 5, première phrase, de l’AsylG, y compris dans le cas où ce statut n’a été octroyé qu’à l’un de ces parents. Le principe de la subsidiarité de la protection internationale des réfugiés ne s’y opposerait pas. L’article 3 de la directive 2011/95 autoriserait un État membre, dans les cas où une protection internationale a été octroyée au membre d’une famille, à étendre le bénéfice de cette protection à d’autres membres de cette famille, pour autant que ceux-ci ne relèvent pas d’un des motifs d’exclusion énumérés à l’article 12 de cette directive et que leur situation présente, en raison de la nécessité du maintien de l’unité familiale, un rapport avec l’objectif de la protection internationale. Dans le cadre de cette législation, une attention particulière devrait être portée à la protection des mineurs et à l’intérêt de l’enfant.

22      La juridiction de renvoi expose que la requérante au principal ne peut prétendre à l’octroi du statut de réfugié au titre d’un droit qui lui est propre. En effet, il ressortirait de l’article 1er, section A, paragraphe 2, second alinéa, de la convention de Genève, qui exprime le principe de la subsidiarité de la protection internationale des réfugiés, que les personnes qui possèdent deux nationalités ou plus ne peuvent se voir octroyer le statut de réfugié lorsqu’elles peuvent se réclamer de la protection d’un des pays dont elles ont la nationalité. Ce serait en ce sens qu’il conviendrait d’interpréter également l’article 2, sous d) et n), de la directive 2011/95. Seule la personne qui est sans protection, parce qu’elle ne bénéficie pas d’une protection effective de la part d’un pays d’origine, au sens de l’article 2, sous n), de cette directive, serait réfugiée, au sens de l’article 2, sous d), de ladite directive. Or, la requérante au principal pourrait bénéficier d’une protection effective en Tunisie, un pays dont elle a la nationalité.

23      Cependant, la requérante au principal satisferait aux conditions, prévues dans le droit allemand, pour se voir reconnaître le statut de réfugié en tant qu’enfant mineur célibataire d’un parent auquel a été octroyé ce statut. En effet, en vertu des dispositions combinées de l’article 26, paragraphe 2, et paragraphe 5, première et deuxième phrases, de l’AsylG, il y aurait lieu d’octroyer le statut de réfugié, à titre dérivé et aux fins de la protection de la famille dans le cadre de l’asile, également à un enfant qui est né en Allemagne et possède, par son autre parent, la nationalité d’un pays tiers sur le territoire duquel il ne serait pas persécuté.

24      La juridiction de renvoi se demande toutefois si une telle interprétation du droit allemand est compatible avec la directive 2011/95.

25      Dans ces conditions, le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Convient-il d’interpréter l’article 3 de la directive 2011/95 en ce sens qu’il s’oppose à une disposition du droit d’un État membre en vertu de laquelle il y a lieu d’octroyer, à titre dérivé (au titre de la protection de la famille dans le cadre de l’asile), le statut de réfugié à l’enfant mineur célibataire d’une personne qui s’est vu octroyer le statut de réfugié y compris dans le cas où l’enfant en question – par son autre parent – possède en tout état de cause également la nationalité d’un autre pays, qui n’est pas identique au pays d’origine du réfugié et dont il peut se réclamer de la protection ?

2)      Convient-il d’interpréter l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95 en ce sens que la restriction en vertu de laquelle les membres de la famille ne peuvent prétendre aux avantages visés aux articles 24 à 35 de cette directive que dans la mesure où cela est compatible avec le statut juridique personnel du membre de la famille interdit d’octroyer à l’enfant mineur, dans les conditions décrites à la première question, le statut de réfugié à titre dérivé ?

3)      Est-il pertinent, pour répondre aux première et deuxième questions, de savoir s’il est possible et raisonnablement acceptable, pour l’enfant et ses parents, de s’installer dans le pays dont l’enfant et sa mère possèdent la nationalité, dont ils peuvent se réclamer de la protection et qui n’est pas identique au pays d’origine du réfugié (père), ou suffit-il que l’unité de la cellule familiale puisse être préservée sur le territoire national sur le fondement des règles applicables en matière de séjour ? »

 Sur les questions préjudicielles

26      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3 et l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un État membre, en vertu de dispositions nationales plus favorables, accorde, à titre dérivé et aux fins du maintien de l’unité familiale, le statut de réfugié à l’enfant mineur célibataire d’un ressortissant de pays tiers auquel ce statut a été reconnu en application du régime instauré par cette directive, y compris dans le cas où cet enfant est né sur le territoire de cet État membre et possède, par son autre parent, la nationalité d’un autre pays tiers sur le territoire duquel il ne risquerait pas de persécution. Dans ce contexte, cette juridiction demande également si, afin de répondre à cette question, il est pertinent de savoir s’il est possible et raisonnablement acceptable, pour l’enfant et ses parents, de s’installer sur le territoire de ce dernier pays tiers.

27      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’interprétation des dispositions de la directive 2011/95 doit être effectuée à la lumière de l’économie générale et de la finalité de celle-ci, dans le respect de la convention de Genève et des autres traités pertinents visés à l’article 78, paragraphe 1, TFUE. Cette interprétation doit également se faire, ainsi qu’il ressort du considérant 16 de cette directive, dans le respect des droits reconnus par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») [voir, en ce sens, arrêt du 13 janvier 2021, Bundesrepublik Deutschland (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne), C‑507/19, EU:C:2021:3, point 39].

28      Afin de répondre aux questions posées, en premier lieu, il convient de constater qu’un enfant se trouvant dans une situation telle que celle évoquée au point 26 du présent arrêt ne satisfait pas aux conditions pour se voir octroyer, à titre individuel, le statut de réfugié en application du régime instauré par la directive 2011/95.

29      À cet égard, il importe de rappeler que, aux termes de l’article 2, sous d), de la directive 2011/95, le réfugié est, notamment, le « ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

30      Il résulte de cette définition que la qualité de réfugié requiert la réunion de deux conditions, qui sont intrinsèquement liées et qui ont trait, d’une part, à la crainte d’être persécuté et, d’autre part, au défaut de protection contre des actes de persécution par le pays tiers dont l’intéressé a la nationalité (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2021, Secretary of State for the Home Department, C‑255/19, EU:C:2021:36, point 56).

31      Ladite définition reprend, en substance, celle figurant à l’article 1er, section A, paragraphe 2, de la convention de Genève. Or, cette dernière précise que, « [d]ans le cas d’une personne qui a plus d’une nationalité, l’expression “du pays dont elle a la nationalité” vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité » et que « [n]e sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité, toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s’est pas réclamée de la protection de l’un des pays dont elle a la nationalité ».

32      Si cette précision, qui constitue une expression du principe de la subsidiarité de la protection internationale, n’est pas expressément intégrée dans la directive 2011/95, il résulte toutefois de l’article 2, sous n), de celle-ci que chacun des pays dont un demandeur a, le cas échéant, la nationalité doit être considéré comme son « pays d’origine » aux fins de cette directive.

33      Il découle ainsi d’une lecture combinée de l’article 2, sous d), et de l’article 2, sous n), de la directive 2011/95 qu’un demandeur ayant la nationalité de plusieurs pays tiers n’est considéré comme étant privé de protection que s’il ne peut ou, du fait de la crainte d’être persécuté, ne veut se réclamer de la protection d’aucun de ces pays. Cette lecture est d’ailleurs confirmée par l’article 4, paragraphe 3, sous e), de cette directive, en vertu duquel figure, parmi les éléments dont il convient de tenir compte lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale, le fait qu’il est raisonnable de penser que le demandeur pourrait se prévaloir de la protection d’un autre pays dont il pourrait revendiquer la citoyenneté.

34      Or, la juridiction de renvoi relève que la requérante au principal pourrait bénéficier d’une protection effective en Tunisie, pays tiers dont elle a, par sa mère, la nationalité. Cette juridiction souligne, à cet égard, qu’il n’y a aucun élément permettant de penser que la République tunisienne ne serait pas disposée ou en mesure d’accorder à la requérante au principal la protection nécessaire contre des persécutions et contre un refoulement vers la Syrie, pays d’origine du père de celle-ci auquel les autorités allemandes ont octroyé le statut de réfugié, ou vers un autre pays tiers.

35      Dans ce contexte, il importe de rappeler que, en application du régime instauré par la directive 2011/95, une demande de protection internationale ne saurait être accueillie, à titre individuel, au seul motif qu’un membre de la famille du demandeur nourrisse une crainte fondée de persécution ou court un risque réel d’atteintes graves, lorsqu’il est établi que, malgré son lien avec ce membre de la famille et la vulnérabilité particulière qui, comme le souligne le considérant 36 de cette directive, en découle en règle générale, le demandeur n’est pas lui–même exposé à des menaces de persécution ou d’atteintes graves (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C‑652/16, EU:C:2018:801, point 50).

36      En deuxième lieu, il convient de relever que la directive 2011/95 ne prévoit pas l’extension, à titre dérivé, du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire aux membres de la famille d’une personne à laquelle ce statut est octroyé, qui, individuellement, ne satisfont pas aux conditions d’octroi de ce statut. Il découle, en effet, de l’article 23 de cette directive que celle-ci se limite à imposer aux États membres d’aménager leur droit national de manière à ce que de tels membres de la famille puissent prétendre, conformément aux procédures nationales et dans la mesure où cela est compatible avec le statut juridique personnel de ces membres de la famille, à certains avantages, qui comprennent notamment la délivrance d’un titre de séjour, l’accès à l’emploi ou l’accès à l’éducation et qui ont pour objet de maintenir l’unité familiale (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C‑652/16, EU:C:2018:801, point 68).

37      Par ailleurs, il résulte d’une lecture combinée de l’article 2, sous j), de la directive 2011/95, qui définit la notion de « membres de la famille » pour les besoins de cette directive, et de l’article 23, paragraphe 2, de celle-ci que l’obligation pour les États membres de prévoir l’accès à ces avantages ne s’étend pas aux enfants d’un bénéficiaire d’une protection internationale qui sont nés dans l’État membre d’accueil d’une famille qui a été fondée dans celui-ci.

38      En troisième lieu, afin de déterminer si un État membre peut néanmoins octroyer, à titre dérivé et aux fins du maintien de l’unité familiale, le statut de réfugié à un enfant se trouvant dans une situation telle que celle en cause au principal, il importe de rappeler que l’article 3 de la directive 2011/95 permet aux États membres d’adopter ou de maintenir « des normes plus favorables pour décider quelles sont les personnes qui remplissent les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et pour déterminer le contenu de la protection internationale, dans la mesure où ces normes sont compatibles avec [cette] directive ».

39      La Cour a constaté qu’il ressort de ce libellé, lu en combinaison avec le considérant 14 de la directive 2011/95, que les normes plus favorables visées à l’article 3 de cette directive peuvent notamment consister en un assouplissement des conditions auxquelles est soumis l’octroi, à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride, du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C‑652/16, EU:C:2018:801, point 70).

40      S’agissant de la précision figurant à cet article 3, selon laquelle toute norme plus favorable doit être compatible avec la directive 2011/95, la Cour a jugé que celle-ci signifie que cette norme ne doit pas porter atteinte à l’économie générale ou aux objectifs de cette directive. Sont, en particulier, interdites des normes qui tendent à reconnaître le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire à des ressortissants de pays tiers ou des apatrides placés dans des situations dénuées de tout lien avec la logique de protection internationale (arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C‑652/16, EU:C:2018:801, point 71 et jurisprudence citée).

41      Or, la reconnaissance automatique, en vertu du droit national, du statut de réfugié à des membres de la famille d’une personne à laquelle ce statut a été octroyé en vertu du régime instauré par la directive 2011/95 n’est, a priori, pas dénuée de tout lien avec la logique de protection internationale (arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C‑652/16, EU:C:2018:801, point 72).

42      En effet, d’une part, en soulignant dans l’acte final de la conférence de plénipotentiaires des Nations unies sur le statut des réfugiés et des apatrides, du 25 juillet 1951, laquelle a élaboré le texte de la convention de Genève, que « l’unité de la famille [...] est un droit essentiel du réfugié » et en recommandant aux États signataires « de prendre les mesures nécessaires pour la protection de la famille du réfugié et en particulier pour [...] [a]ssurer le maintien de l’unité de la famille du réfugié », les rédacteurs de cette convention ont établi un lien étroit entre de telles mesures et la logique de protection internationale. L’existence de ce lien a, en outre, été confirmée à de maintes reprises par les organes de l’UNHCR.

43      D’autre part, la directive 2011/95 reconnaît elle-même l’existence dudit lien en prescrivant, dans des termes généraux, à son article 23, paragraphe 1, l’obligation pour les États membres de veiller au maintien de l’unité familiale du bénéficiaire d’une protection internationale.

44      Partant, il convient de constater que l’extension automatique, à titre dérivé, du statut de réfugié à l’enfant mineur d’une personne à laquelle ce statut a été octroyé, indépendamment du fait que cet enfant satisfasse ou non individuellement aux conditions d’octroi dudit statut et y compris lorsque ledit enfant est né dans l’État membre d’accueil, prévue par la disposition nationale en cause au principal qui, ainsi que la juridiction de renvoi l’expose, poursuit l’objectif de la protection de la famille et du maintien de l’unité familiale des bénéficiaires d’une protection internationale, présente un lien avec la logique de protection internationale.

45      Cependant, il importe de relever qu’il peut y avoir des situations dans lesquelles une telle extension automatique, à titre dérivé et aux fins du maintien de l’unité familiale, du statut de réfugié à l’enfant mineur d’une personne à laquelle ce statut a été octroyé serait, malgré l’existence de ce lien, incompatible avec la directive 2011/95.

46      En effet, d’une part, eu égard à la finalité des causes d’exclusion prévues dans la directive 2011/95, qui est de préserver la crédibilité du système de protection instauré par celle-ci dans le respect de la convention de Genève, la réserve figurant à l’article 3 de cette directive s’oppose à ce qu’un État membre adopte ou maintienne des dispositions octroyant le statut de réfugié prévu par celle-ci à une personne qui en est exclue en vertu de l’article 12, paragraphe 2, de ladite directive (arrêt du 9 novembre 2010, B et D, C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, point 115).

47      Or, ainsi que la juridiction de renvoi le souligne, l’article 26, paragraphe 4, de l’AsylG exclut de telles personnes du bénéfice de l’extension du statut de réfugié résultant d’une application des dispositions combinées des paragraphes 2 et 5 de cet article 26.

48      D’autre part, il résulte de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95 que le législateur de l’Union a souhaité exclure que des avantages accordés au bénéficiaire d’une protection internationale soient étendus à un membre de la famille de ce bénéficiaire lorsque cela serait incompatible avec le statut juridique personnel du membre de la famille concerné.

49      Il découle de la genèse de cette disposition et de la portée de la réserve qu’elle prévoit que cette dernière s’applique également dans l’hypothèse où un État membre décide qu’il n’y a pas lieu de se limiter à l’extension des avantages, mais souhaite, en application de l’article 3 de cette directive, adopter des normes plus favorables en vertu desquelles le statut accordé à un bénéficiaire d’une protection internationale est automatiquement étendu aux membres de sa famille indépendamment du fait qu’ils satisfassent individuellement ou non aux conditions d’octroi de ce statut.

50      En effet, il importe de relever que la réserve figurant désormais à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95 avait été proposée par le Parlement européen au cours de la procédure législative ayant abouti à l’adoption de la directive 2004/83, dont la directive 2011/95 constitue la « refonte » et dont l’article 23 correspond largement au même article de cette dernière directive. Cette proposition se rapportait à la proposition de la Commission des Communautés européennes qui prévoyait l’obligation pour les États membres de veiller « à ce que les membres de leur famille qui accompagnent les demandeurs d’une protection internationale puissent prétendre au même statut que ceux–ci ». Tout en proposant l’extension de cette obligation pour inclure les membres de la famille qui rejoignent les demandeurs ultérieurement, le Parlement avait considéré qu’il était indiqué d’introduire cette réserve afin de tenir compte du fait que les membres de la famille « peuvent avoir en propre un statut juridique différent [de celui du demandeur], qui peut ne pas être compatible avec la protection internationale » [voir le rapport du Parlement européen, du 8 octobre 2002, sur la proposition de directive du Conseil concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers et les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d’autres raisons, a besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, COM(2001)510, A 5-0333/2002 final, amendement 22 (JO 2002, C 51 E, p. 325)].

51      Le législateur de l’Union n’a finalement pas adopté ladite obligation. Il a toutefois maintenu la réserve de compatibilité et s’est limité à prescrire, à l’article 23, paragraphes 1 et 2, des directives 2004/83 et 2011/95, aux États membres de veiller à ce que l’unité familiale puisse être maintenue et à ce que les membres de la famille du bénéficiaire d’une protection internationale qui, individuellement, ne satisfont pas aux conditions nécessaires pour obtenir cette protection puissent prétendre à certains avantages, conformément aux procédures nationales.

52      Il découle ainsi de la genèse de cet article 23 qu’un État membre qui, dans l’exercice de la faculté ouverte à l’article 3 de ces directives, souhaite adopter ou maintenir des normes plus favorables, en vertu desquelles le statut accordé à un tel bénéficiaire est automatiquement étendu aux membres de sa famille indépendamment du fait qu’ils satisfassent individuellement ou non aux conditions d’octroi de ce statut, doit, dans l’application de ces normes, veiller au respect de la réserve énoncée audit article 23, paragraphe 2.

53      S’agissant de la portée de cette réserve, celle-ci doit être déterminée au regard de l’objectif de l’article 23 de la directive 2011/95 d’assurer le maintien de l’unité familiale des bénéficiaires d’une protection internationale et du contexte spécifique dans lequel une telle réserve s’insère.

54      À cet égard, il y a lieu de considérer qu’il serait notamment incompatible avec le statut juridique personnel de l’enfant du bénéficiaire d’une protection internationale qui, individuellement, ne satisfait pas aux conditions nécessaires pour obtenir cette protection de lui étendre les avantages visés à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95 ou le statut octroyé à ce bénéficiaire, lorsque cet enfant a la nationalité de l’État membre d’accueil ou une autre nationalité qui lui donne, compte tenu de tous les éléments caractérisant son statut juridique personnel, droit à un meilleur traitement dans cet État membre que celui résultant d’une telle extension.

55      Cette interprétation de la réserve figurant à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95 tient pleinement compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, à la lumière duquel cette disposition doit être interprétée et appliquée. Le considérant 16 de cette directive souligne expressément que celle-ci respecte les droits fondamentaux consacrés dans la Charte et qu’elle vise à promouvoir l’application, notamment, du droit au respect de la vie familiale, garanti par l’article 7 de celle-ci, et les droits de l’enfant, reconnus par l’article 24 de la Charte, parmi lesquels figure, au paragraphe 2 de cette dernière disposition, l’obligation de prendre en considération son intérêt supérieur [voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2021, Bundesrepublik Deutschland (Membre de la famille), C‑768/19, EU:C:2021:709, points 36 à 38].

56      Ladite interprétation correspond, par ailleurs, à celle proposée par l’UNHCR, dont les documents bénéficient d’une pertinence particulière au regard du rôle qui lui est confié par la convention de Genève (arrêt du 23 mai 2019, Bilali, C‑720/17, EU:C:2019:448, point 57).

57      Ainsi, dans ses commentaires annotés sur la directive 2004/83 relatifs à l’article 23, paragraphes 1 et 2, de celle-ci, « [l’UNHCR] estime que les membres de la même famille doivent se voir accorder le même statut que le demandeur principal (statut dérivé) » et relève ce qui suit : « [L]e principe de l’unité de famille découle de l’Acte final de la Conférence de 1951 de plénipotentiaires des Nations Unies relative au statut des réfugiés et des apatrides ainsi que du droit en matière de droits de l’homme. La plupart des États membres de l’[Union européenne] prévoient un statut dérivé pour les membres de la famille des réfugiés. L’expérience [de l’UNHCR] montre également que c’est généralement la façon la plus pratique de procéder. Il existe toutefois des situations où ce principe de statut dérivé ne doit pas être suivi, c’est-à-dire lorsque les membres de la famille souhaitent demander l’asile à titre individuel ou lorsque l’octroi du statut dérivé serait incompatible avec leur statut personnel, par exemple parce qu’ils sont ressortissants du pays d’accueil ou parce que leur nationalité leur donne droit à un meilleur traitement ».

58      Or, sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, il n’apparaît pas que la requérante au principal aurait, par sa nationalité tunisienne ou un autre élément caractérisant son statut juridique personnel, droit à un meilleur traitement en Allemagne que celui résultant de l’extension, à titre dérivé, du statut de réfugié accordé à son père, prévue par la disposition en cause au principal.

59      Enfin, il y a lieu de constater que la compatibilité avec la directive 2011/95, et notamment avec la réserve figurant à l’article 23, paragraphe 2, de celle-ci, d’une disposition nationale plus favorable, telle que celle en cause au principal, ou de son application à une situation telle que celle de la requérante au principal, ne dépend pas du point de savoir s’il est possible et raisonnablement acceptable, pour celle-ci et ses parents, de s’installer en Tunisie.

60      En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 93 de ses conclusions, la raison d’être de l’article 23 de cette directive est de permettre au bénéficiaire d’une protection internationale de jouir des droits que cette protection lui confère tout en maintenant l’unité de sa famille sur le territoire de l’État membre d’accueil. L’existence d’une possibilité pour la famille de la requérante au principal de s’installer en Tunisie ne saurait, par conséquent, justifier que la réserve figurant au paragraphe 2 de cette disposition soit comprise comme excluant d’octroyer à cette dernière le statut de réfugié, puisqu’une telle interprétation impliquerait que son père renonce au droit d’asile qui lui est conféré en Allemagne.

61      En outre, dans ces conditions, l’application d’une législation permettant d’octroyer le statut de réfugié à des membres de la famille d’une personne à laquelle ce statut a été octroyé, alors qu’une telle possibilité d’installation de cette famille dans un pays tiers existe, n’est pas de nature à remettre en cause le constat opéré au point 41 du présent arrêt, selon lequel une telle législation n’est pas dénuée de tout lien avec la logique de protection internationale.

62      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 3 et l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre, en vertu de dispositions nationales plus favorables, accorde, à titre dérivé et aux fins du maintien de l’unité familiale, le statut de réfugié à l’enfant mineur d’un ressortissant de pays tiers auquel ce statut a été reconnu en application du régime instauré par cette directive, y compris dans le cas où cet enfant est né sur le territoire de cet État membre et possède, par son autre parent, la nationalité d’un autre pays tiers dans lequel il ne risquerait pas de persécution, à la condition que cet enfant ne relève pas d’une cause d’exclusion visée à l’article 12, paragraphe 2, de ladite directive et que celui-ci n’ait pas, par sa nationalité ou un autre élément caractérisant son statut juridique personnel, droit à un meilleur traitement dans ledit État membre que celui résultant de l’octroi du statut de réfugié. N’est pas pertinent à cet égard le point de savoir s’il est possible et raisonnablement acceptable, pour ledit enfant et ses parents, de s’installer dans cet autre pays tiers.

 Sur les dépens

63      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

L’article 3 et l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre, en vertu de dispositions nationales plus favorables, accorde, à titre dérivé et aux fins du maintien de l’unité familiale, le statut de réfugié à l’enfant mineur d’un ressortissant de pays tiers auquel ce statut a été reconnu en application du régime instauré par cette directive, y compris dans le cas où cet enfant est né sur le territoire de cet État membre et possède, par son autre parent, la nationalité d’un autre pays tiers dans lequel il ne risquerait pas de persécution, à la condition que cet enfant ne relève pas d’une cause d’exclusion visée à l’article 12, paragraphe 2, de ladite directive et que celui-ci n’ait pas, par sa nationalité ou un autre élément caractérisant son statut juridique personnel, droit à un meilleur traitement dans ledit État membre que celui résultant de l’octroi du statut de réfugié. N’est pas pertinent à cet égard le point de savoir s’il est possible et raisonnablement acceptable, pour ledit enfant et ses parents, de s’installer dans cet autre pays tiers.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.