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Affaires jointes T-254/00, T-270/00 et T-277/00

Hotel Cipriani SpA e.a.

contre

Commission des Communautés européennes

« Aides d’État — Réductions de charges sociales en faveur des entreprises implantées sur le territoire de Venise et de Chioggia — Décision déclarant le régime d’aide incompatible avec le marché commun et imposant la récupération des aides versées — Recevabilité — Lien individuel — Conditions relatives à l’affectation des échanges intracommunautaires et à l’incidence sur la concurrence — Dérogations au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous b) à e), CE et de l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE — Qualification d’aide nouvelle ou d’aide existante — Principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime, d’égalité de traitement et de proportionnalité — Obligation de motivation »

Sommaire de l'arrêt

1.      Recours en annulation — Personnes physiques ou morales — Actes les concernant directement et individuellement — Possibilité d'être individuellement concerné par une décision de caractère général

(Art. 230, al. 4, CE)

2.      Aides accordées par les États — Atteinte à la concurrence — Mesures étatiques visant à rapprocher les conditions de concurrence, dans un certain secteur économique, de celles prévalant dans d'autres États membres — Exclusion de la qualification d'aide — Conditions

(Art. 87, § 1, CE)

3.      Aides accordées par les États — Examen par la Commission — Examen d'un régime d'aides pris dans sa globalité — Admissibilité

(Art. 88 CE)

4.      Aides accordées par les États — Décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'un régime d'aides avec le marché commun — Obligation de motivation — Limites

(Art. 87 CE et 88, § 2, CE)

5.      Aides accordées par les États — Interdiction — Dérogations — Aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché commun

(Art. 87, § 3, c), CE et 88 CE)

6.      Aides accordées par les États — Aides existantes et aides nouvelles — Qualification d'aide nouvelle

(Art. 87 CE)

1.      Une décision de la Commission relative à un régime d’aides d'État illégal et imposant la récupération des aides versées présente une portée générale à l’égard des bénéficiaires effectifs de ce régime, dans la mesure où elle s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard des bénéficiaires dudit régime envisagés de manière générale et abstraite. En effet, la seule circonstance que les bénéficiaires effectifs d’un tel régime sont identifiables n’entraîne aucune obligation pour la Commission de prendre leur situation individuelle en considération. Partant, une décision relative à un régime d’aide se fonde en principe sur un contrôle général et abstrait du régime d’aide en cause, lequel constitue lui-même un acte de portée générale.

Cependant, il n'est pas exclu que, dans certaines circonstances, les dispositions d’un acte de portée générale puissent concerner individuellement certaines personnes physiques ou morales en vertu de l'article 230, quatrième alinéa, CE, lorsque celles-ci sont atteintes en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne.

Ainsi, lorsque la Commission constate l’incompatibilité avec le marché commun d’un régime d’aide illégal et impose la restitution des aides versées, tous les bénéficiaires effectifs de ce régime sont individuellement concernés par la décision de la Commission. Le fait d’appartenir au cercle fermé des bénéficiaires effectifs d’un régime d’aide, spécialement affectés par l’obligation de récupération des aides versées imposée par la Commission à l’État membre concerné, suffit à caractériser ces bénéficiaires par rapport à toute autre personne. L’individualisation résulte en l’occurrence de l’atteinte particulière portée par l’ordre de récupération aux intérêts des membres parfaitement identifiables de ce cercle fermé.

(cf. points 73-74, 77, 84)

2.      Le fait qu'un État membre cherche à rapprocher, par des mesures unilatérales, les conditions de concurrence existant dans un certain secteur économique de celles prévalant dans d'autres États membres ne saurait enlever à ces mesures le caractère d'aides d'État.

À l’instar de l’ensemble du droit communautaire de la concurrence, les règles du traité relatives aux aides visent à assurer non pas une concurrence parfaite, mais une concurrence effective ou efficace.

Dans ces conditions, la compensation de désavantages structurels permet uniquement d’écarter la qualification d’aide dans certaines situations spécifiques. Ainsi, un avantage conféré à une entreprise, en vue de corriger une situation concurrentielle défavorable, ne constitue pas une aide d'État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, lorsqu’il est justifié par des raisons économiques et lorsqu’il n’introduit pas de discriminations entre les opérateurs économiques établis dans les différents États membres. Dans ce type de situation, le juge communautaire applique en réalité le critère de l’opérateur privé en économie de marché. De même, ne constitue pas une aide d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, un avantage conféré à une entreprise et allégeant les charges pesant normalement sur son budget, lorsque cet avantage vise à remédier au fait que l’entreprise bénéficiaire est exposée à des charges supplémentaires résultant d’un régime dérogatoire, auxquelles échappent les entreprises concurrentes soumises au droit commun dans les conditions normales du marché.

(cf. points 182,184-186)

3.      En présence d’un régime d’aides d'État, la Commission n’est, en principe, pas tenue d’effectuer une analyse des aides octroyées dans des cas individuels. Elle peut se borner à étudier les caractéristiques générales du régime en cause, sans être obligée d’examiner chaque cas d’application particulier.

Cependant, la Commission doit, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité relatives aux aides d’État, procéder, dans le cadre de l’article 88 CE, à un examen diligent et impartial de la mesure d’aide considérée. En particulier, dans une procédure formelle d’examen, le principe de bonne administration, qui fait partie des principes généraux de l’État de droit communs aux traditions constitutionnelles des États membres, impose à la Commission de respecter le principe d’égalité de traitement entre les intéressés.

Dans ce cadre juridique, la reconnaissance éventuelle d’une obligation de la Commission d’apprécier individuellement la situation de certains bénéficiaires, lors de l’examen d’un régime d’aide, est liée, d’une part, au respect des obligations procédurales pesant respectivement sur la Commission et l’État membre concerné et, d’autre part, au contenu des informations spécifiques concernant lesdits bénéficiaires communiquées par les autorités nationales ou par des tiers intéressés à la Commission.

(cf. points 209-211)

4.      Les exigences concernant la motivation et l’analyse par la Commission de l’incidence d’une mesure d’aide d'État sur les échanges entre les États membres et la concurrence varient très logiquement en fonction de la nature, individuelle ou générale, de cette mesure.

S’agissant des régimes d’aide multisectoriels, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques d'un programme pour apprécier si, en raison des montants ou des pourcentages élevés des aides, des caractéristiques des investissements soutenus ou d’autres modalités que ce programme prévoit, celui-ci assure un avantage sensible aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres. Ainsi, dans le cas d’un régime d’aide applicable à l’ensemble des entreprises implantées sur un territoire déterminé, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle démontre, sur la base d’un examen même sommaire de la situation des marchés, une incidence prévisible de ce régime sur les échanges intracommunautaires et la concurrence dans l’ensemble des secteurs d’activité concernés.

À cet égard, il appartient à l’État membre concerné, en vertu de son devoir de collaboration avec la Commission, et aux tiers intéressés dûment invités à présenter leurs observations conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE de faire valoir leurs arguments et de fournir à la Commission toutes les informations susceptibles de l’éclairer sur l’ensemble des données de l’affaire.

En présence d’un régime d’aide multisectoriel, la Commission est uniquement tenue de contrôler, sur la base d’éléments concrets, si, dans certains secteurs déterminés, la mesure considérée remplit les deux conditions d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, à savoir si elle est susceptible d'affecter les échanges intracommunautaires et d'avoir une incidence sur la concurrence, lorsque des informations pertinentes suffisantes lui ont été fournies à cette fin pendant la procédure administrative.

L’étendue de l’obligation de motivation pesant sur la Commission, en présence d’un régime d’aide multisectoriel, dépend, pour ce qui est en particulier de l’incidence de ce régime sur les échanges intracommunautaires et la concurrence, des données et des éléments communiqués à cette institution dans le contexte de la procédure administrative.

(cf. points 227, 230-231, 233, 235, 237)

5.      La Commission bénéficie, pour l’application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social, qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire.

Il résulte des termes mêmes de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE et de l'article 88 CE que la Commission « peut » considérer comme compatibles avec le marché commun les aides visées par la première de ces deux dispositions. Dès lors, même s’il incombe toujours à la Commission de se prononcer sur la compatibilité avec le marché commun des aides d’État sur lesquelles elle exerce son contrôle, alors même que celles-ci ne lui ont pas été notifiées, la Commission n’est pas tenue de déclarer de telles aides compatibles avec le marché commun.

La Commission peut s’imposer des orientations pour l’exercice de ses pouvoirs d’appréciation par des actes tels que des encadrements, des communications ou des lignes directrices, dans la mesure où ces actes contiennent des règles indicatives sur l’orientation à suivre par cette institution et où ils ne s’écartent pas des normes du traité. Lorsque la Commission adopte de tels actes destinés à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui incombe de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est elle-même imposées. Dans ce contexte, il revient au juge communautaire de vérifier si ces règles ont été respectées par la Commission.

(cf. points 290-292)

6.      Les mesures tendant à instituer ou à modifier des aides d'État constituent des aides nouvelles. En particulier, lorsque la modification affecte le régime initial dans sa substance même, ce régime se trouve transformé en un régime d’aide nouveau. En revanche, lorsque la modification n’est pas substantielle, c’est seulement la modification en tant que telle qui est susceptible d’être qualifiée d’aide nouvelle.

Ainsi, l'extension aux entreprises implantées sur un territoire des exonérations de charges sociales prévues pour un autre territoire institue un régime d'aide nouveau. Même si un nouveau régime se limite à étendre un régime d’aide existant à de nouveaux bénéficiaires, sans apporter par ailleurs de modification substantielle au régime existant, cette extension détachable du régime initial constitue une aide nouvelle, soumise à l’obligation de notification.

(cf. points 358-359, 362)