Language of document : ECLI:EU:T:2009:48

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

4 mars 2009 (*)

« Aides d’État – Transport maritime – Subventions versées par les autorités italiennes à des compagnies régionales – Décision déclarant les aides en partie compatibles et en partie incompatibles avec le marché commun – Recours en annulation – Recevabilité – Intérêt à agir – Aides nouvelles ou aides existantes – Obligation de motivation – Article 4, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 3577/92 »

Dans les affaires jointes T‑265/04, T‑292/04 et T‑504/04,

Tirrenia di Navigazione SpA, anciennement Tirrenia di Navigazione SpA et Adriatica di Navigazione SpA, établie à Naples (Italie), représentée initialement par Mes G. Roberti, A. Franchi et G. Bellitti, puis par Mes Roberti et Bellitti, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑265/04,

Caremar SpA, établie à Naples,

Toremar SpA, établie à Livourne (Italie),

Siremar SpA, établie à Palerme (Italie),

Saremar SpA, établie à Cagliari (Italie),

représentées initialement par Mes G. Roberti, A. Franchi et G. Bellitti, puis par Mes Roberti et Bellitti, avocats,

parties requérantes dans l’affaire T‑292/04,

Navigazione Libera del Golfo SpA, établie à Naples, représentée par Mes S. Ravenna et A. Abate, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑504/04,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. V. Di Bucci et Mme E. Righini, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Caremar SpA, représentée initialement par Mes G. Roberti, A. Franchi et G. Bellitti, puis par Mes Roberti et Bellitti, avocats,

et par

République italienne, représentée par Me M. Fiorilli, en qualité d’agent,

parties intervenantes dans l’affaire T‑504/04,

ayant pour objet des demandes d’annulation partielle de la décision 2005/163/CE de la Commission, du 16 mars 2004, concernant les aides d’État versées par l’Italie aux compagnies maritimes Adriatica, Caremar, Siremar, Saremar et Toremar (Gruppo Tirrenia) (JO 2005, L 53, p. 29),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (septième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood (rapporteur), président, D. Šváby et L. Truchot, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 juin 2008,

rend le présent

Arrêt

 Faits et procédure

1        Ayant reçu plusieurs plaintes selon lesquelles la République italienne aurait accordé une aide d’État dans le secteur des transports maritimes sans l’avoir préalablement notifiée à la Commission conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, la Commission a adressé aux autorités italiennes, par lettre du 12 mars 1999, une demande d’informations relative aux services publics assurés par Tirrenia di Navigazione SpA. Ces autorités ont répondu à ladite demande par lettre du 11 mai 1999.

2        Par lettre du 6 août 1999, la Commission a notifié à la République italienne sa décision (ci-après la « décision d’ouverture ») d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE (ci-après la « procédure d’enquête ») concernant une aide d’État accordée aux entreprises du Gruppo Tirrenia di Navigazione (ci‑après le « groupe Tirrenia »), qui comprenait Tirrenia di Navigazione, Adriatica di Navigazione SpA (ci-après « Adriatica ») et les quatre sociétés requérantes dans l’affaire T-292/04, et a invité les intéressées à présenter leurs observations. Cette lettre a été reproduite intégralement en langue italienne au Journal officiel des Communautés européennes (JO 1999, C 306, p. 2), accompagnée dans chaque version linguistique d’un résumé dans la langue de ladite version.

3        Dans la lettre du 6 août 1999, la Commission relève, notamment, que chacune de ces entreprises a signé une convention en 1991, avec les autorités gouvernementales, conformément à la loi italienne n° 684, du 20 décembre 1974. Ces conventions prévoient l’octroi d’une « subvention d’équilibre » annuelle ayant pour contrepartie des « obligations de service public » (ci-après les « OSP ») relatives à la prestation de certains services de transport maritime par les requérantes. Dans ce cadre, la Commission traite les mesures en cause comme des aides nouvelles ou des modifications d’aides existantes, au sens de l’article 88, paragraphe 3, CE (ci-après les « aides nouvelles ») et non comme des aides existantes, au sens de l’article 88, paragraphe 1, CE (ci-après les « aides existantes »).

4        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 octobre 1999, six entreprises bénéficiaires des subventions en cause, dont les requérantes dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04, ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision d’ouverture, lequel a été enregistré sous le numéro d’affaire T‑246/99. Dans cette même affaire, la requérante dans l’affaire T‑504/04 est intervenue au soutien des conclusions de la Commission. Dans l’affaire connexe C‑400/99, Italie/Commission, la République italienne a également demandé l’annulation de la décision d’ouverture.

5        Le 21 juin 2001, la Commission a adopté la décision 2001/851/CE concernant les aides d’État versées par l’Italie à la compagnie maritime Tirrenia di Navigazione (JO L 318, p. 9). Sous réserve du respect d’un certain nombre de conditions, elle a considéré que les aides octroyées à cette société étaient des aides nouvelles et les a déclarées compatibles avec le marché commun.

6        Le 16 mars 2004, la Commission a adopté la décision 2005/163/CE concernant les aides d’État versées par l’Italie aux compagnies maritimes Adriatica, Caremar, Siremar, Saremar et Toremar (Gruppo Tirrenia) (JO 2005, L 53, p. 29, ci‑après la « décision attaquée »). Elle a considéré que les aides auxdites compagnies maritimes étaient des aides d’État nouvelles, mais, sous réserve de l’imposition de certaines conditions et de l’acceptation de certains engagements donnés par les autorités italiennes, elle a déclaré la plupart d’entre elles compatibles avec le marché commun (article 1er, paragraphe 1, et article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée). En particulier, la Commission a décidé que la subvention d’équilibre versée à Caremar SpA était compatible, dans son ensemble, avec le marché commun.

7        En revanche, à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, la Commission a déclaré incompatibles avec le marché commun les aides octroyées à Adriatica pour la période allant de janvier 1992 jusqu’à juillet 1994 et concernant la liaison Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras. À l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée, la Commission a ordonné à la République italienne de prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès d’Adriatica les aides visées au paragraphe 2 et illégalement mises à sa disposition.

8        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 juin 2004, Adriatica a introduit un recours visant à l’annulation partielle de la décision attaquée, lequel a été enregistré sous le numéro T‑265/04.

9        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 juillet 2004, Caremar, Siremar SpA, Saremar SpA et Toremar SpA ont introduit un recours visant à l’annulation partielle de la décision attaquée, lequel a été enregistré sous le numéro T‑292/04. La Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, pour défaut d’intérêt à agir, à l’encontre de ce recours par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 13 octobre 2004. Caremar, Siremar, Saremar et Toremar ont déposé leurs observations sur cette exception le 30 novembre 2004. Par ordonnance du 20 juillet 2005, le Tribunal (deuxième chambre) a joint cette exception au fond.

10      Le 29 décembre 2004, Navigazione Libera del Golfo SpA, une entreprise concurrente de Caremar, a également introduit un recours visant à l’annulation partielle de la décision attaquée, lequel a été enregistré sous le numéro T‑504/04. Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 21 mars 2005, la Commission a excipé de l’irrecevabilité du recours en raison de son caractère prétendument tardif. Navigazione Libera del Golfo a déposé ses observations sur cette exception le 3 mai 2005. Par ordonnance du 20 juillet 2005, le Tribunal (deuxième chambre) a joint cette exception au fond.

11      Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement les 20 et 26 avril 2005, Caremar et la République italienne ont demandé à intervenir dans l’affaire T‑504/04 au soutien des conclusions de la Commission. Par deux ordonnances du 4 juillet 2005, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis ces interventions.

12      Par arrêt du 10 mai 2005, Italie/Commission (C‑400/99, Rec. p. I‑3657, ci-après l’« arrêt du 10 mai 2005 »), la Cour a annulé la décision d’ouverture « en tant qu’elle impliquait, jusqu’à la notification aux autorités italiennes de la décision de clôture de la procédure relative à l’entreprise concernée [décision 2001/851 ou décision 2005/163], la suspension du régime fiscal appliqué pour l’approvisionnement en carburant et en huile de graissage des navires du [groupe Tirrenia] ». Pour le surplus, la Cour a rejeté le recours.

13      Les parties s’étant exprimées en faveur de la suspension de la procédure, le Tribunal (deuxième chambre) a, par ordonnance du 7 novembre 2005, suspendu la procédure dans l’affaire T‑292/04 jusqu’au prononcé de l’arrêt dans l’affaire T‑246/99, Tirrenia di Navigazione e.a./Commission, conformément à l’article 77, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

14      Par deux ordonnances séparées du 27 octobre 2006, le Tribunal (deuxième chambre) a, les parties entendues, suspendu la procédure dans les affaires T‑265/04 et T‑504/04, jusqu’au prononcé de l’arrêt dans l’affaire T‑246/99, Tirrenia di Navigazione e.a./Commission, conformément à l’article 77, sous c), du règlement de procédure.

15      Par arrêt du 20 juin 2007, Tirrenia di Navigazione e.a./Commission (T‑246/99, non publié au Recueil, ci-après l’« arrêt du 20 juin 2007 »), le Tribunal a rejeté le recours visant à l’annulation de la décision d’ouverture introduit par les six entreprises bénéficiaires des aides, dont les requérantes dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04.

16      Par lettres du 2 juillet 2007, le Tribunal a invité les parties dans les trois affaires à déposer leurs observations sur la suite qu’il convenait de donner aux présentes procédures à la lumière de l’arrêt du 20 juin 2007, point 15 supra.

17      Dans le cadre de ses observations, déposées au greffe du Tribunal le 7 août 2007, Adriatica a notamment relevé qu’elle avait fusionné avec Tirrenia di Navigazione en 2004, et qu’elle n’avait donc plus d’existence autonome à la suite de cette opération. Le Tribunal prend acte de cette fusion. Ainsi, Tirrenia di Navigazione (ci‑après « Tirrenia » ou « Tirrenia‑Adriatica » est devenue le titulaire de l’ensemble des droits résultant, le cas échéant, de la participation d’Adriatica à la présente procédure en qualité de requérante.

18      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre, à laquelle les présentes affaires ont, par conséquent, été attribuées.

19      Par ordonnance du 28 novembre 2007, il a été décidé, les parties entendues, de joindre les affaires T‑265/04 et T‑292/04 aux fins de la procédure orale et de l’arrêt, conformément à l’article 50, paragraphe 1, du règlement de procédure.

20      Par ordonnance du 24 avril 2008, il a également été décidé, les parties entendues, de joindre l’affaire T‑504/04 aux affaires T‑265/04 et T‑292/04 aux fins de la procédure orale et de l’arrêt, conformément à l’article 50, paragraphe 1, du règlement de procédure.

21      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et a posé des questions aux parties, au titre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure. Les parties ont répondu à ces questions.

22      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 26 juin 2008.

23      Au cours de l’audience, la Commission a été invitée à produire le ou les documents qui seraient à l’origine de son utilisation de la référence E5/92 en relation avec les subventions en faveur du groupe Tirrenia. Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 17 juillet 2008, la Commission a répondu à cette demande en informant le Tribunal qu’elle n’avait pas trouvé d’autres documents pertinents à cet égard que ceux déjà produits par les parties et elle a formulé des observations sur l’utilisation de ladite référence. La République italienne, d’une part, et les requérantes dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04, d’autre part, ont déposé leurs observations en réponse le 8 septembre 2008.

24      La procédure orale a ensuite été close le 18 septembre 2008.

 Décision attaquée

25      Aux considérants 58 à 72 de la décision attaquée, la Commission examine la question de savoir si les subventions versées au titre des OSP sont des aides d’État au sens de l’article 87 CE.

26      Au considérant 59, la Commission examine si, en l’espèce, les quatre conditions cumulatives posées par l’arrêt de la Cour du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, Rec. p. I‑7747, points 87 à 94), pour qu’une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par une entreprise pour exécuter des obligations de service public puisse échapper à la qualification d’aide d’État sont remplies.

27      Au considérant 60 de la décision attaquée, la Commission conclut que « eu égard aux développements qui précèdent et à ceux qui seront exposés plus loin quant à l’existence d’un besoin réel de service public, la Commission estime que la subvention annuelle d’équilibre, accordée aux compagnies régionales dans le cadre des conventions de 1991, constitue un avantage pour ces entreprises par rapport aux entreprises concurrentes offrant ou susceptibles d’offrir des services comparables sur le marché en cause ». Sur la base de ce constat et d’autres considérations qui ne font pas l’objet d’une contestation en l’espèce, la Commission considère que les subventions d’équilibre annuelles accordées aux compagnies régionales dans le cadre des conventions de 1991 sont des aides d’État au sens de l’article 87 CE.

28      Aux considérants 73 à 77 de la décision attaquée, la Commission examine si les aides d’État en cause sont des aides nouvelles ou des aides existantes. Elle considère que ni le régime législatif régissant ces aides ni, partant, les aides elles‑mêmes ne sont antérieurs à l’entrée en vigueur du traité CE (considérant 73), que les aides n’ont pas été approuvées de manière explicite par la Commission (considérant 74) et que le régime d’aides n’a pas non plus fait l’objet d’une autorisation tacite (considérant 75) en vertu de la jurisprudence Lorenz (arrêt de la Cour du 11 décembre 1973, 120/73, Rec. p. 1471). Elle en conclut que les aides en cause sont des aides nouvelles et non des aides existantes.

29      À partir du considérant 78 de la décision attaquée, la Commission évalue la compatibilité des aides avec le marché commun. Elle constate d’abord, aux considérants 78 à 83, que la seule dérogation à l’interdiction générale des aides d’État qui puisse éventuellement s’appliquer aux aides versées aux compagnies régionales en l’espèce est celle prévue à l’article 86, paragraphe 2, CE, et elle énonce les conditions qui doivent être remplies à cette fin. À partir du considérant 84, elle examine plus spécifiquement la première de ces conditions, à savoir l’existence d’OSP répondant à un besoin réel.

30      Ayant constaté aux considérants 84 à 86 que les aides qui financent les OSP sur les lignes relevant du cabotage maritime avec les îles mineures italiennes répondent, en principe, à un besoin réel de service public, la Commission examine, à partir du considérant 87 de la décision attaquée, l’existence d’un tel besoin en ce qui concerne les liaisons internationales. Au considérant 89, la Commission constate :

« [L]a législation communautaire en vigueur admet la possibilité d’avoir des [OSP] sur des liaisons maritimes autres qu’intérieures à un État membre. Toutefois, s’agissant du marché du transport maritime international, soumis à la concurrence actuelle ou potentielle des autres opérateurs communautaires, les compensations versées aux entreprises concessionnaires s’analysent comme des aides au fonctionnement, que seule l’application de l’article 86, paragraphe 2, permettrait d’autoriser. Celles-ci doivent ainsi être à la fois nécessaires, en ce sens qu’elles répondent à un besoin réel que le jeu des forces du marché ne permet de satisfaire, et strictement proportionnées à l’objectif qu’elles poursuivent. »

31      Au considérant 94, sous a), de la décision attaquée, la Commission examine spécifiquement l’existence d’un besoin réel de service public dans le cas de la liaison maritime internationale Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras exploitée par Adriatica.

32      Au considérant 95 de la décision attaquée, la Commission conclut qu’Adriatica « a été chargée, pour les services prestés en vertu d’un accord ou d’une convention internationale, d’une mission d’intérêt général ayant engendré des coûts que l’entreprise n’aurait pas supportés si elle avait agi conformément à son seul intérêt commercial ». Toutefois, compte tenu des considérations relevées ci‑dessus, elle considère également que « [ce] raisonnement ne s’applique pas à la liaison ‘Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras’ pour la période comprise entre janvier 1992 et juillet 1994, qui correspond à la durée de la participation d’Adriatica à une entente interdite par l’article 81 [CE] ».

33      Aux considérants 98 et suivants, la Commission analyse la concurrence comparable existant sur d’autres lignes. Au considérant 101, elle évalue spécifiquement la concurrence sur la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras et conclut que, nonobstant la présence de concurrents sur cette ligne, en particulier à partir de 1997, « compte tenu des services offerts par Adriatica en termes de régularité, de capacité, de fréquences et de typologie de navires, [...] l’octroi de subventions publiques peut se justifier à la lumière du droit communautaire ». En revanche, elle considère que « [c]ette conclusion ne saurait s’étendre à la période comprise entre janvier 1992 et juillet 1994, au cours de laquelle Adriatica a participé, sur cette ligne, à une entente interdite par l’article 81 du traité CE, ce qui démontre que l’aide ne correspondait pas [à] un besoin réel de service public [voir également considérant 94, sous a)] ».

34      La Commission examine l’éventuelle existence d’une concurrence comparable sur les lignes exploitées par Caremar à partir du considérant 117. Au considérant 126, la Commission relève que les services des concurrents présents sur certaines de ces lignes, et notamment sur la ligne Naples/Capri, n’équivalent pas à ceux prestés par Caremar en termes de régularité, de fréquences de service et de typologie de navires. Ainsi, selon la Commission, la nécessité et la proportionnalité des compensations relatives à ces lignes ne sauraient être mises en cause.

35      Aux considérants 149 et suivants de la décision attaquée, la Commission examine l’affectation du développement des échanges par les aides en cause. Ayant observé, au considérant 152, « que sur le marché du cabotage, le versement aux compagnies régionales de la subvention d’équilibre n’a pas jusqu’à présent affecté le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté », mais « que cette subvention pourrait à l’avenir avoir pour effet de renforcer la position des entreprises en cause en leur permettant d’éliminer la concurrence actuelle ou potentielle sur le marché où elles opèrent », elle relève ce qui suit au considérant 154 :

« Par note du 29 octobre 2003 (A/33506 du 31 octobre 2003), les autorités italiennes se sont engagées, pour la période 2005‑2008, à ne plus verser de compensation de service public à Caremar pour couvrir le déficit net d’exploitation de la liaison rapide ‘Napoli-Capri’. Cette liaison rapide sera en conséquence supprimée de l’offre de services de Caremar. »

36      En ce qui concerne la liaison Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras, la Commission conclut, au considérant 160, que « [c]ompte tenu des caractéristiques de cette liaison (considérant 94), la Commission considère que les compensations versées à Adriatica pour l’exploitation de cette ligne n’ont pas affecté les échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun ». En revanche, elle considère ce qui suit :

« Il en va autrement pour la période comprise entre janvier 1992 et juillet 1994, au cours de laquelle Adriatica a participé à un accord de fixation des prix pour les véhicules utilitaires avec ses concurrents. Pour cette période, la distorsion de concurrence découlant de l’aide s’est cumulée avec celle déterminée par l’entente. Compte tenu de la typologie des liaisons en question, l’entente sur une catégorie de prix a produit un effet de distorsion sur l’ensemble des services offerts. Dans ces conditions, et nonobstant les arguments avancés par les autorités italiennes et réfutés ci-dessus [considérant 94, sous a)], la Commission estime que l’aide a affecté le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun et que, pour cette raison également, elle doit être déclarée incompatible avec le marché commun. »

37      Aux considérants 167 et 168 de la décision attaquée, la Commission examine la compatibilité des aides, et plus particulièrement celle relative à la liaison Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras, avec d’autres dispositions du droit communautaire :

« 167          Conformément à une jurisprudence constante, il résulte de l’économie générale du traité que la procédure de son article 88 ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité. Dès lors, une aide d’État qui, par certaines de ses modalités, viole d’autres dispositions du traité ne peut être déclarée compatible avec le marché commun par la Commission. Cette obligation, pour la Commission, de respecter la cohérence entre les articles 87 [CE]et 88 [CE] et d’autres dispositions du traité s’impose tout particulièrement, dans l’hypothèse où ces autres dispositions visent également, comme en l’espèce, l’objectif d’une concurrence non faussée dans le marché commun. En effet, en adoptant une décision sur la compatibilité d’une aide avec le marché commun, la Commission ne saurait ignorer le risque d’une atteinte à la concurrence dans le marché commun de la part d’opérateurs économiques particuliers.

168      Ainsi qu’il a été rappelé, Adriatica a participé à un accord de fixation de prix pour les véhicules utilitaires contraire à l’article 81 [CE] pour la ligne Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras entre janvier 1992 et juillet 1994, alors même qu’elle recevait des aides pour assurer cette liaison. Il a été également indiqué que cette entente comportait une distorsion de concurrence pour l’ensemble des services offerts. Compte tenu du lien entre l’infraction constatée et les aides reçues, ainsi que de la distorsion de concurrence cumulée produite par ces deux éléments, et nonobstant les arguments soumis par les autorités italiennes et déjà réfutés ci-dessus [considérant 94, sous a)], la Commission considère que, pour cette raison également, les aides en question doivent être déclarées incompatibles. »

38      Enfin, la Commission conclut son analyse de la liaison Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras comme suit, au considérant 171 de la décision attaquée :

« La Commission constate, eu égard aux développements qui précèdent, que les doutes concernant la compatibilité des aides versées aux compagnies régionales depuis janvier 1992 dans le cadre du régime des conventions de 1991 sont levés, sauf en ce qui concerne les aides octroyées à la société Adriatica pour la période allant de janvier 1992 jusqu’à juillet 1994 pour la liaison Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras, qui sont incompatibles avec le marché commun pour trois motifs, dont chacun serait suffisant à fonder cette conclusion : en premier lieu, elles ne répondent pas à un besoin réel de service public ; en second lieu, elles affectent le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun ; en troisième lieu, elles sont étroitement liées à une entente prohibée par l’article 81 [CE]. Conformément à une pratique constante et à l’article 14 du règlement (CE) n° 659/1999, ces aides doivent être récupérées, sauf si la récupération va à l’encontre d’un principe général de droit communautaire. La Commission considère qu’aucun principe ne s’oppose à la récupération en l’espèce et plus particulièrement qu’Adriatica ne pouvait raisonnablement s’attendre à bénéficier des aides en question en même temps qu’elle participait à une entente avec ses concurrents. D’éventuelles difficultés pouvant découler de la récupération n’ont aucun caractère exceptionnel. Dès lors, l’Italie doit prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire. »

39      En revanche, la Commission considère que la subvention d’équilibre octroyée à Adriatica, bien que constitutive d’une aide d’État nouvelle, était compatible avec le marché commun, sous réserve du respect de certaines conditions, en ce qui concerne toutes les liaisons opérées par Adriatica, y compris la liaison Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras, sauf, en ce qui concerne cette dernière, pendant la période infractionnelle, au titre de la dérogation prévue à l’article 86, paragraphe 2, CE (article 1er, paragraphe 1, et article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée).

40      À l’article 3 de la décision attaquée, la Commission décide notamment, à l’égard de Caremar :

« 1.      Les aides octroyées par l’Italie à Caremar à partir du 1er janvier 1992, à titre de compensations de service public, sont compatibles avec le marché commun au titre de l’article 86, paragraphe 2, du traité.

2.      Au plus tard à compter du 1er septembre 2004, l’Italie s’engage :

a)      à supprimer les aides octroyées à Caremar pour la prestation de services réguliers de transport rapide de passagers sur la ligne ‘Napoli‑Capri’ ;

[…]

d)      à faire comptabiliser séparément, pour chacune des lignes concernées, toutes les activités de service public imposées par l’Italie à Caremar. »

41      L’article 5 de la décision attaquée est libellé comme suit :

« Toute adaptation durable, partielle ou globale du niveau des services offerts par Adriatica, Siremar, Saremar, Toremar et Caremar, de nature à entraîner une augmentation de l’aide, devra être notifiée préalablement à la Commission. »

 Conclusions des parties

A –  Affaire T‑265/04

42      La requérante dans l’affaire T‑265/04, Tirrenia-Adriatica, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans la mesure où elle qualifie d’aides d’État, au sens de l’article 87 CE, les subventions versées à Adriatica au titre d’OSP, ainsi que dans la mesure où elle les qualifie d’aides nouvelles ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée ;

–        plus subsidiairement, annuler l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée dans la mesure où cette disposition oblige la République italienne à récupérer les aides en cause, majorées des intérêts ;

–        condamner la Commission aux frais et dépens de la procédure.

43      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner Tirrenia-Adriatica aux dépens.

B –  Affaire T‑292/04

44      Les requérantes dans l’affaire T‑292/04, Caremar, Siremar, Saremar et Toremar, concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans la mesure où elle qualifie d’aides d’État, au sens de l’article 87 CE, les subventions versées à ces sociétés au titre d’OSP ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée dans la mesure où elle qualifie ces subventions d’aides nouvelles ;

–        condamner la Commission aux dépens.

45      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner Caremar, Siremar, Saremar et Toremar aux dépens.

C –  Affaire T‑504/04

46      La requérante dans l’affaire T‑504/04, Navigazione Libera del Golfo, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal, à titre principal :

–        annuler l’article 3, paragraphe 1, de la décision attaquée dans la mesure où il autorise les aides versées à Caremar pour effectuer des services de transport de passagers par navires sur la ligne Naples/Capri à partir du 1er janvier 1992 ;

–        annuler l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la décision attaquée dans la mesure où il prévoit la suppression des aides pour les services réguliers de « transport rapide de passagers » sur la ligne Naples/Capri à partir du 1er septembre 2004 et non à partir du 6 août 1989 ;

–        ordonner le remboursement des aides illégalement perçues par Caremar depuis le 6 août 1989 pour la ligne Naples/Capri ;

–        ordonner la mise à exécution de l’obligation de réduire la capacité de transport de passagers par des moyens « rapides » de Caremar, après suppression des services correspondants, à compter du 1er janvier 2005 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

47      Navigazione Libera del Golfo conclut à ce qu’il plaise au Tribunal, à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où il n’annulerait pas l’article 3, paragraphe 1, de la décision attaquée :

–        ordonner la restitution des aides illégalement perçues par Caremar pour la ligne Naples/Capri au cours de la période de 29 mois comprise entre le 6 août 1989 et le 1er janvier 1992, date de prise d’effet de l’autorisation ;

–        annuler l’article 3, paragraphe 2, sous d), de la décision attaquée, dans la mesure où il n’exige pas que les coûts et surcoûts occasionnés par les OSP confiées à Caremar, ainsi que le montant des aides annuellement versées, soient rendus publics ;

–        annuler l’article 5 de la décision attaquée dans la mesure où il n’envisage pas l’obligation de notification préalable des aides liées aux modifications des tarifs pratiqués par Caremar, y compris les réductions de groupe.

48      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme manifestement irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme irrecevable dans la partie où il tend à obtenir des injonctions ou la réforme de la décision attaquée, et non fondé pour le reste ;

–        à titre plus subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé dans son ensemble ;

–        condamner Navigazione Libera del Golfo aux dépens.

49      Caremar conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, déclarer le recours irrecevable dans la mesure où il tend à obtenir le prononcé d’injonctions ou la réformation de la décision attaquée, et non fondé pour le surplus ;

–        à titre plus subsidiaire, déclarer le recours intégralement non fondé ;

–        condamner Navigazione Libera del Golfo aux dépens.

50      La République italienne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable, car tardif ;

–        à titre subsidiaire, déclarer le recours irrecevable pour défaut d’intérêt à agir ;

–        condamner Navigazione Libera del Golfo aux dépens.

 En droit

51      Les affaires T‑265/04 et T‑292/04 soulèvent, notamment, les questions de savoir si la subvention d’équilibre octroyée aux requérantes dans ces affaires constitue une aide d’État et, le cas échéant, s’il s’agit d’une aide nouvelle ou d’une aide existante. Il convient de relever que ces deux questions sont logiquement préalables à celles relatives à la compatibilité avec le marché commun de l’aide octroyée à Caremar, ainsi qu’à celle de la récupération de ladite aide, que soulèvent l’affaire T‑504/04. Dès lors, il y a lieu d’examiner d’abord les recours introduits dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04.

A –  Affaires T-265/04 et T-292/04

1.     Sur la recevabilité

a)     Arguments des parties

52      Selon la Commission, Tirrenia, en tant que bénéficiaire d’aides individuelles déclarées illégales, incompatibles et dont la récupération est demandée, peut certainement demander l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, dans la mesure où cette disposition concerne les aides accordées à Adriatica pour la période de janvier 1992 à juillet 1994 s’agissant de la liaison Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras. En revanche, Tirrenia n’aurait aucun intérêt à attaquer l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée, en ce qu’il qualifie d’aides nouvelles, mais déclare compatibles avec le marché commun, les autres mesures étatiques en cause. Dans cette mesure, et sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité, la Commission considère que le recours dans l’affaire T‑265/04 devrait être rejeté comme partiellement irrecevable, puisque, selon une jurisprudence constante, un recours en annulation n’est recevable que dans la mesure où le requérant a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

53      De même, la Commission soutient, dans son exception d’irrecevabilité, que le recours introduit dans l’affaire T‑292/04 est irrecevable dans son ensemble, dans la mesure où les requérantes dans cette affaire se bornent à contester la qualification d’aides d’État, ainsi que d’aides nouvelles, des subventions dont elles sont bénéficiaires. Or, la Commission fait observer, d’une part, qu’un sujet de droit ne saurait être recevable à demander l’annulation d’un acte qui ne lui fait pas grief et, d’autre part, que seul le dispositif d’un acte et les motifs qui en constituent le support nécessaire sont susceptibles de produire des effets juridiques et donc de faire grief. Les requérantes dans l’affaire T‑292/04 ne sauraient par conséquent demander l’annulation de la décision attaquée, dès lors que le dispositif de celle-ci déclare compatibles, dans leur ensemble, les aides dont elles sont bénéficiaires.

54      De plus, la Commission relève que, dans une affaire récente, la Cour a jugé qu’un recours était irrecevable parce que le dispositif de la décision déclarant des aides compatibles avec le marché commun, dont l’annulation était demandée, ne produisait pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des requérants puisqu’il ne modifiait pas de façon caractérisée leur situation juridique (ordonnance de la Cour du 28 janvier 2004, Pays‑Bas/Commission, C‑164/02, Rec. p. I‑1177, points 18 à 25). À la différence de la jurisprudence citée par la requérante, cette ordonnance serait directement transposable au cas d’espèce.

55      En outre, la circonstance que la Commission a soumis son approbation des aides à certaines conditions et a accepté certains engagements de la part des autorités italiennes ne serait pas pertinente non plus, dès lors que les requérantes dans l’affaire T‑292/04 n’ont pas contesté cette partie de la décision attaquée dans leur requête. La Commission souligne en outre que, selon l’ordonnance du Tribunal du 9 juillet 2007, wheyco/Commission (T‑6/06, non publiée au Recueil, points 95 et 96), les engagements librement consentis par un État membre et au vu desquels une aide a été déclarée compatible avec le marché commun ne sauraient faire l’objet d’un recours en annulation.

56      Enfin, la Commission fait valoir que, si le Tribunal devait annuler l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée pour les motifs avancés par les requérantes, elle ne serait tenue à l’adoption d’aucune mesure au titre de l’article 233 CE, puisque les aides ont été approuvées dans leur totalité et que la décision attaquée, en ce qu’elle impose des conditions et prend acte d’engagements, est devenue définitive. Dès lors, le recours en annulation au titre de l’article 230 CE ne serait pas une voie appropriée en l’espèce. La Commission soutient que dans la mesure où il serait nécessaire, le cas échéant, de résoudre la question du statut des subventions en cause aux fins d’une éventuelle procédure judiciaire nationale, il appartiendrait au juge national de déférer à la Cour une question préjudicielle au titre de l’article 234 CE.

57      À l’audience, la Commission a indiqué qu’elle estimait opportun de modifier sa position sur la recevabilité des recours dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04 à la lumière de l’arrêt de la Cour du 12 février 2008, Centre d’exportation du livre français (C‑199/06, Rec. p. I‑469). Dans cet arrêt, la Cour aurait précisé que, après l’adoption par la Commission d’une décision finale constatant la compatibilité d’une aide non notifiée avec le marché commun, le juge national est tenu, en application du droit communautaire, d’ordonner au bénéficiaire de l’aide le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité.

58      Selon la Commission, l’ordonnance Pays‑Bas/Commission, point 54 supra, sur laquelle elle s’est appuyée dans ses écritures, n’est donc pas pertinente dans le cadre de la présente affaire, dès lors qu’elle concernait des aides notifiées.

59      En effet, l’arrêt Centre d’exportation du livre français, point 57 supra, qui représenterait une nouveauté en termes de jurisprudence, aurait amené la Commission à admettre qu’une décision qualifiant une mesure nationale non notifiée d’aide nouvelle compatible produit des effets juridiques, mais uniquement au motif qu’elle oblige le juge national à ordonner, le cas échéant, la récupération des intérêts pour la période de versement illégal, à la différence d’une décision analogue concernant des aides notifiées. Pour cette raison, et non pour les autres motifs invoqués par les requérantes, la Commission reconnaît que la décision attaquée produit des effets juridiques et renonce, dans cette mesure seulement, à l’exception d’irrecevabilité qu’elle a soulevée.

60      Tirrenia relève que, selon une jurisprudence bien établie, le caractère attaquable ou non d’un acte dépend, indépendamment de sa forme juridique, de la question de savoir s’il produit des effets juridiques obligatoires susceptibles d’affecter les intérêts du requérant en modifiant dans une mesure appréciable sa situation juridique. Les requérantes dans l’affaire T‑292/04 ajoutent que le juge communautaire déclare recevable un recours en annulation si l’acte attaqué produit des effets juridiques en vertu de son dispositif ou de ses motifs et citent l’arrêt du Tribunal du 18 septembre 2001, M6 e.a./Commission (T‑112/99, Rec. p. II‑2459), à l’appui de leur thèse. Elles relèvent également que, dans son arrêt du 12 décembre 2000, Alitalia/Commission (T‑296/97, Rec. p. II‑3871), le Tribunal a jugé recevable le recours introduit par le bénéficiaire d’une subvention pour contester la qualification de cette mesure d’aide d’État au sens de l’article 87 CE, alors que la Commission avait déclaré que celle-ci était compatible avec le marché commun. Quant à l’ordonnance Pays‑Bas/Commission, point 54 supra, invoquée par la Commission, elle ne serait pas transposable au cas d’espèce.

61      Le fait pour la Commission de considérer, dans la décision attaquée, que les subventions en cause sont des aides d’État au sens de l’article 87 CE et qu’elles sont des aides nouvelles au sens de l’article 88, paragraphe 3, CE produirait des effets juridiques pour les requérantes. Les requérantes font observer, en particulier, que les déclarations à l’article 1er, paragraphe 1, et à l’article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée, selon lesquelles les aides en cause sont compatibles avec le marché commun, sont assorties de conditions, et, notamment, de l’obligation de tenir une comptabilité séparée pour chacune des lignes en question (article 1er, paragraphe 4, et article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée). La circonstance que les requérantes n’ont pas explicitement remis en cause la validité de ces conditions ni celle des engagements donnés par les autorités italiennes serait sans pertinence, dès lors que ces conditions et engagements disparaîtraient automatiquement en cas d’annulation de la décision attaquée.

62      Enfin, les requérantes dans l’affaire T‑292/04 rejettent, dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, la thèse de la Commission selon laquelle cette dernière ne serait tenue d’adopter aucune mesure d’exécution en cas d’annulation de la décision attaquée. Au contraire, si le Tribunal devait annuler la décision attaquée, il incomberait à la Commission d’adopter une nouvelle décision reconnaissant explicitement que les subventions en cause ne sont pas des aides ou qu’elles sont, le cas échéant, des aides existantes.

b)     Appréciation du Tribunal

63      Il y a lieu de rappeler que la recevabilité d’un recours en annulation introduit par une personne physique ou morale est subordonnée à la condition qu’elle justifie d’un intérêt à voir annuler l’acte attaqué (arrêts du Tribunal du 17 septembre 1992, NBV et NVB/Commission, T‑138/89, Rec. p. II‑2181, point 33, et du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96, Rec. p. II‑753, point 40). Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques ou, selon une autre formule, que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a introduit (arrêt du Tribunal du 28 septembre 2004, MCI/Commission, T‑310/00, Rec. p. II‑3253, point 44, et la jurisprudence citée).

64      De plus, s’il est constant que seul le dispositif d’un acte est susceptible de produire des effets juridiques obligatoires et, par conséquent, de faire grief, il n’en demeure pas moins que le contenu des motifs d’un acte doit être pris en compte pour déterminer ce qui a été arrêté dans le dispositif (arrêt du Tribunal du 20 novembre 2002, Lagardère et Canal+/Commission, T‑251/00, Rec. p. II‑4825, point 67 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 mai 1997, TWD/Commission, C‑355/95 P, Rec. p. I‑2549, point 21 ; arrêts du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T‑213/95 et T‑18/96, Rec. p. II‑1739, point 104, et du 22 mars 2000, Coca‑Cola/Commission, T‑125/97 et T‑127/97, Rec. p. II‑1733, point 79), notamment dans la mesure où les motifs constituent le support nécessaire du dispositif de cet acte (voir, en ce sens, ordonnance Pays‑Bas/Commission, point 54 supra, point 21, et arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 186). Il y a lieu de rappeler, par ailleurs, que, en principe, le dispositif d’un acte est indissociable de sa motivation, de sorte qu’il doit être interprété, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption (ordonnance wheyco/Commission, point 55 supra, point 94 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Cableuropa e.a./Commission, T‑346/02 et T‑347/02, Rec. p. II‑4251, point 211, et la jurisprudence citée).

65      À cet égard, il convient de relever tout d’abord que les requérantes dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04 demandent l’annulation de la décision attaquée dans la mesure où la Commission y qualifie d’aides d’État, au sens de l’article 87 CE, les subventions qui leur ont été versées au titre des OSP, ainsi que dans la mesure où elle y qualifie ces mêmes subventions d’aides nouvelles.

66      Certes, ces deux qualifications ressortent non pas du dispositif, mais des motifs de la décision attaquée, à savoir ses considérants 58 à 72 et 73 à 77. Toutefois, il y a lieu de constater que ces motifs constituent effectivement le support nécessaire du dispositif de la décision attaquée, dès lors qu’ils fondent la compétence de la Commission pour entamer la procédure d’enquête et, par conséquent, pour adopter la décision attaquée.

67      Ainsi, l’illégalité de l’une de ces qualifications emporterait nécessairement l’annulation dans son ensemble de la décision attaquée. En effet, dans cette hypothèse, la Commission n’aurait pas été compétente pour adopter la décision attaquée.

68      Il convient de relever, ensuite, que l’article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée impose des obligations à la République italienne en ce qui concerne les lignes opérées par trois des requérantes dans l’affaire T‑292/04 en ce que, à partir du 1er janvier 2004, « toutes les activités de service public imposées par l’Italie à Siremar, Saremar et Toremar devront être comptabilisées séparément pour chacune des lignes concernées ». L’article 1er, paragraphe 4, de la décision attaquée impose la même obligation à la République italienne en ce qui concerne les activités de service public de Tirrenia‑Adriatica.

69      Il y a lieu de constater que les dispositions mentionnées au point précédent modifient de façon caractérisée la situation juridique de ces requérantes et leur font donc grief, en dépit du fait que seule la République italienne est destinataire de la décision attaquée, conformément à l’article 7 de celle-ci. En effet, en l’absence de ces obligations, le versement par les autorités italiennes de la subvention d’équilibre aux requérantes ne serait soumis à aucune condition, tandis qu’en l’état actuel de l’ordre juridique communautaire ce versement n’est licite que dans la mesure où lesdites obligations sont respectées par les requérantes.

70      Or, étant donné que l’annulation demandée par ces quatre requérantes aurait pour conséquence de faire disparaître la décision attaquée dans son ensemble de l’ordre juridique communautaire (voir point 66 ci‑dessus), les conditions susmentionnées cesseraient automatiquement de s’appliquer aux lignes opérées par les requérantes, ce qui modifierait la situation juridique de celles-ci et leur procurerait ainsi un avantage.

71      À cet égard, la circonstance invoquée par la Commission, selon laquelle les requérantes n’ont pas explicitement contesté, dans leurs requêtes, la validité des conditions imposées et celle des engagements dont il est pris acte dans la décision attaquée, est sans pertinence. En effet, les requérantes étaient en droit de chercher à s’affranchir des conditions en question en contestant la qualification des subventions dont elles sont bénéficiaires d’aides nouvelles, tout en admettant que, dans l’hypothèse où cette qualification serait exacte, lesdites conditions auraient été valablement imposées.

72      Il s’ensuit que les présents recours sont dirigés contre un acte qui fait grief à Tirrenia‑Adriatica, Siremar, Saremar et à Toremar, et que celles-ci ont donc un intérêt à voir annuler la décision attaquée.

73      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument tiré par la Commission de l’ordonnance Pays-Bas/Commission, point 54 supra, car la Cour y a rejeté le recours comme irrecevable au motif que la qualification d’entreprises des bénéficiaires des aides, remise en cause par l’État membre requérant, ne constituait pas le support nécessaire du dispositif d’une décision faisant grief à ce dernier. En l’espèce, les requérantes dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04 remettent en cause deux motifs qui constituent le support indispensable d’une décision leur faisant grief (voir points 66 et 70 ci-dessus).

74      S’agissant de la recevabilité du recours introduit par Caremar, il convient de rappeler que les engagements de la République italienne, repris à l’article 3, paragraphe 2, de la décision attaquée, obligent cet État membre à supprimer, à réduire ou à limiter certaines aides à Caremar, ainsi qu’à faire comptabiliser séparément pour chacune des lignes concernées toutes les activités de service public imposées à cette société.

75      Il y a lieu de relever, en l’espèce, que l’éventuelle annulation de la décision attaquée au motif que les subventions en question n’étaient pas des aides d’État au sens de l’article 87 CE, ou qu’elles étaient des aides existantes et non des aides nouvelles, emporterait la conséquence que la Commission n’avait ni le droit d’ouvrir une procédure d’enquête au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, ni, partant, celui d’obtenir de la République italienne les engagements en cause.

76      En ce qui concerne l’argumentation de la Commission fondée sur l’ordonnance wheyco/Commission, point 55 supra, il importe de souligner que l’engagement en question était librement consenti (point 96 de l’ordonnance). Ainsi, le Tribunal a jugé que cet engagement n’aurait pas été affecté par l’éventuelle annulation de l’acte attaqué.

77      En revanche, les engagements en cause dans la présente affaire étant repris explicitement dans le dispositif de la décision attaquée, leur valeur contraignante découle de celle-ci et son éventuelle annulation aurait ainsi pour conséquence de les priver de base juridique. Il serait dès lors contraire aux exigences de l’article 233 CE de considérer que la République italienne demeure liée par ses engagements, dans l’hypothèse où celle‑ci serait annulée.

78      Il s’ensuit que, dans les circonstances de l’espèce, le raisonnement exposé ci‑dessus au sujet des conditions imposées à quatre des requérantes dans la décision attaquée, en ce qu’elles font grief à ces requérantes et disparaîtraient de l’ordre juridique communautaire en cas d’annulation de la décision attaquée, est également applicable, mutatis mutandis, aux engagements repris à l’article 3 de la décision attaquée et relatifs aux lignes exploitées par Caremar.

79      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que l’éventuelle annulation de la décision attaquée ferait disparaître de l’ordre juridique communautaire les conditions imposées par la Commission et priverait de leur base juridique les engagements donnés par la République italienne.

80      En tout état de cause, la thèse de la Commission, selon laquelle la lecture combinée des articles 230 CE et 233 CE n’autoriserait le recours au titre de l’article 230 CE que lorsque les mesures d’exécution prévues par l’article 233 CE doivent être prises, est fondée sur une interprétation qui ne ressort pas de l’économie du traité CE. L’article 233 CE impose à l’institution ou aux institutions dont émane l’acte annulé, ou dont l’abstention a été déclarée contraire au traité, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour. Cet article vise donc clairement à assurer l’exécution des arrêts ayant annulé un acte sur la base de l’article 230 CE. En revanche, l’article 230 CE ne lie nullement son application à celle de l’article 233 CE. Plus particulièrement, il ne pose pas comme condition d’introduction d’un recours que l’éventuelle annulation de l’acte attaqué devrait nécessiter la prise de mesures ultérieure en application de cette dernière disposition.

81      Enfin, il convient de relever, à titre surabondant, que la qualification des aides en cause d’aides nouvelles produit également des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des requérantes dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04 dans la mesure où, s’agissant d’aides non notifiées déclarées compatibles avec le marché commun par la Commission, elle emporte la conséquence qu’un juge national, saisi, le cas échéant, d’une demande de récupération de ces aides, serait tenu d’ordonner le versement d’intérêts moratoires pour la période d’illégalité (arrêt Centre d’exportation du livre français, point 57 supra, point 55).

82      Il résulte de l’ensemble des considérations exposées ci-dessus qu’il y a lieu de déclarer le recours dans l’affaire T‑265/04 recevable dans son ensemble et de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission dans l’affaire T‑292/04.

2.     Sur le fond

a)     Introduction

83      Dans l’affaire T‑265/04, Tirrenia conteste quatre appréciations distinctes effectuées par la Commission dans la décision attaquée. Dans l’affaire T‑292/04, Caremar, Siremar, Saremar et Toremar contestent uniquement les deux premières de ces appréciations.

84      En premier lieu, les cinq requérantes susmentionnées contestent l’appréciation de la Commission selon laquelle les subventions en cause sont des aides d’État (considérants 58 à 72 de la décision attaquée). En deuxième lieu, elles attaquent la qualification de ces aides comme des aides nouvelles (considérants 73 à 77 de la décision attaquée). En troisième lieu, Tirrenia conteste la déclaration d’incompatibilité avec le marché commun affectant la subvention d’équilibre relative à la liaison Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras pour la période allant de janvier 1992 jusqu’à juillet 1994 (article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée). En quatrième lieu, elle remet en cause l’obligation imposée à la République italienne de procéder à la récupération de l’aide ainsi déclarée incompatible avec le marché commun (article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée).

85      Le Tribunal estime qu’il convient d’examiner d’abord, dans les circonstances de l’espèce, la deuxième série de moyens visant à remettre en cause la qualification des subventions en cause d’aides nouvelles, sans préjudice de leur qualité d’aides d’État.

b)     Sur la deuxième série de moyens relatifs à la qualification d’aides nouvelles des subventions

 Observations liminaires

86      En substance, les requérantes avancent cinq moyens tirés, premièrement, de l’approbation explicite par la Commission des aides en cause, deuxièmement, de l’approbation implicite de ces aides, troisièmement, d’un défaut de motivation, quatrièmement, du fait que les aides en cause seraient existantes parce qu’elles remontent à une époque antérieure à l’entrée en vigueur du traité CE et, cinquièmement, de l’antériorité des mesures nationales établissant les aides finançant les OSP par rapport à l’entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime) (JO L 364, p. 7).

87      Il y a lieu d’examiner d’abord le quatrième de ces moyens, relatif à la prétendue antériorité du régime établissant les aides en cause par rapport à l’entrée en vigueur du traité CE, puis le cinquième moyen, tiré de la prétendue antériorité des mesures nationales établissant les aides finançant les OSP par rapport à l’entrée en vigueur du règlement n° 3577/92.

 Sur le quatrième moyen de la deuxième série de moyens, tiré de ce que les aides en cause seraient des aides existantes, car antérieures à l’entrée en vigueur du traité CE

–       Arguments des parties

88      Selon les requérantes, les principaux aspects des OSP auraient été prévus essentiellement par les décrets-lois nos 2081 et 2082 de 1936. En particulier, le décret-loi n° 2081 aurait institué des « lignes de navigation d’intérêt national prééminent », parmi lesquelles figuraient les lignes assurées par Tirrenia et Adriatica. Ce décret‑loi aurait également prévu que les surcoûts supportés par les sociétés concessionnaires au titre de l’exploitation de ces lignes seraient couverts par l’État sous la forme d’une subvention déterminée dans le cadre de contrats conclus pour une durée de 20 ans entre ces sociétés, d’une part, et le ministère des communications et le ministère des finances italiens, d’autre part. En outre, le décret-loi n° 2081 aurait spécifiquement désigné Tirrenia et Adriatica comme concessionnaires des lignes en question. De surcroît, les requérantes rappellent que la loi n° 34, du 5 janvier 1953, a prévu et réglementé des obligations de service public subventionnées sur des liaisons de cabotage desservies par d’autres sociétés maritimes régionales (archipel toscan ; îles Parthénopéennes et Pontines ; îles Éoliennes ; îles Égates, îles Pélagiques ; île d’Ustica et île de Pantelleria).

89      Certes, en l’espèce, certaines modalités du régime des OSP auraient été modifiées depuis son institution, mais les requérantes soutiennent que les aspects essentiels du régime et de son financement remontent à l’année 1936 et sont restés inchangés en substance. En tout état de cause, les modifications apportées depuis cette époque impliqueraient essentiellement un alourdissement des obligations pesant sur les sociétés bénéficiaires, accompagné d’une diminution de l’aide perçue. Il s’ensuit donc, selon les requérantes, que ces modifications ne sauraient affecter la nature des aides en question et leur conférer, en conséquence, la qualité d’aides nouvelles.

90      Dans sa réplique, Tirrenia soutient que le décret‑loi n° 2082 est toujours en vigueur et souligne que les modifications apportées au régime d’aides par la législation postérieure ont été peu substantielles, de sorte que ces aides doivent encore être considérées comme des aides existantes, conformément aux critères pertinents posés dans la jurisprudence (arrêts de la Cour du 9 août 1994, Namur‑Les assurances du crédit, C‑44/93, Rec. p. I‑3829, ci‑après l’« arrêt Namur », et du Tribunal du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 et T‑207/01, Rec. p. II‑2309).

91      Selon la Commission, si le décret‑loi n° 2081 a désigné Tirrenia et Adriatica comme concessionnaires et autorisait, au besoin, l’octroi de subventions publiques, et si le décret‑loi n° 2082 régissait certes la constitution de la société Adriatica et d’autres sociétés de transport maritime, ainsi que l’émission par elles d’obligations, ces textes législatifs n’ont pas établi de subventions aux fins du financement des OSP comparables à celles qui existent aujourd’hui. En effet, les modifications du régime législatif intervenues depuis les années 1930 seraient d’une importance telle que celui-ci aurait dû être notifié de nouveau au titre de l’article 88, paragraphe 3, CE, conformément à la jurisprudence (arrêts Namur et Government of Gibraltar/Commission, point 90 supra).

92      La Commission relève que le régime d’OSP actuel financé par des subventions versées à des concessionnaires spécifiques résulte des lois nos 684 et 169, du 19 mai 1975. Le fait que la loi n° 684 représente un tournant dans la législation italienne serait confirmé par la circonstance qu’elle abrogerait les lois précédemment applicables dans cette matière.

93      Dans son mémoire en défense dans l’affaire T‑292/04, la Commission fait observer que, selon les informations dont elle dispose, l’attribution des lignes en cause à des compagnies privées se faisait par voie d’adjudication restreinte jusqu’en 1974, tandis que par la suite les concessions en cause ont été cédées aux sociétés requérantes de gré à gré.

94      En outre, la loi n° 856, du 5 décembre 1986, et la loi n° 160, du 5 mai 1989, auraient de nouveau apporté des modifications significatives au régime en question. Ces lois auraient modifié les OSP d’une manière fondamentale affectant le contenu matériel du régime, notamment en ce qui concerne les lignes à desservir, leur fréquence, les tarifs appliqués et le financement public qui y est relatif.

95      À l’audience, la Commission a ajouté, en réponse à une question du Tribunal, qu’il y avait lieu de tenir compte, aux fins d’apprécier le caractère suffisant de la motivation de la décision attaquée concernant la prétendue antériorité des aides par rapport à l’entrée en vigueur du traité CE, des explications fournies dans ses mémoires déposés devant le Tribunal dans l’affaire T‑246/99, annexés par la Commission à ses réponses écrites aux questions dans la présente affaire. D’après la Commission, les autorités italiennes n’auraient pas soutenu de manière précise et sérieuse, au stade de la procédure administrative, que le régime législatif prévoyant les aides en cause avait été créé avant l’entrée en vigueur du traité CE et les requérantes elles-mêmes n’auraient pas évoqué cette hypothèse dans leurs propres observations. Dans ces conditions, la Commission considère qu’il ne lui incombait pas d’examiner explicitement ladite hypothèse de manière exhaustive dans la décision attaquée.

96      À la lumière de ce qui précède, il ne serait pas possible de considérer que le régime d’aides en cause en l’espèce est antérieur à l’entrée en vigueur du traité CE. La Commission aurait d’ailleurs motivé sa position sur cette question à suffisance de droit dans la décision attaquée.

–       Appréciation du Tribunal

97      Par le présent moyen, les requérantes dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04 soutiennent, en substance, que la Commission a commis une erreur d’appréciation en concluant que les subventions en cause sont des aides nouvelles et non des aides existantes, alors que le régime les prévoyant aurait été créé avant même l’entrée en vigueur du traité CE. En revanche, si elles soulèvent un moyen tiré d’un prétendu défaut de motivation dans le cadre de la présente série de moyens, les requérantes ne contestent pas la motivation de la décision attaquée en ce qui concerne plus spécifiquement la prétendue antériorité du régime d’aides en cause par rapport à l’entrée en vigueur du traité CE.

98      Toutefois, il convient de rappeler que la motivation d’un acte doit faire apparaître de manière claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, de façon, d’une part, à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de pouvoir défendre leurs droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée et, d’autre part, à permettre au juge communautaire d’exercer son contrôle de légalité (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63 ; arrêts du Tribunal du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, Rec. p. II‑435, point 278, et du 14 janvier 2004, Fleuren Compost/Commission, T‑109/01, Rec. p. II‑127, point 119). Il s’ensuit que si la motivation d’un acte n’est pas suffisante sur un point essentiel du raisonnement qui a déterminé le choix de son auteur, le juge communautaire n’est pas en mesure d’exercer ce contrôle au fond.

99      Il incombe donc au juge communautaire de vérifier le caractère suffisant de la motivation d’un acte avant d’aborder les moyens avancés par les parties aux fins d’en contester le bien-fondé. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que l’exigence d’une motivation suffisamment précise des actes, consacrée par l’article 253 CE, constitue l’un des principes fondamentaux du droit communautaire, dont il appartient au juge d’assurer le respect, au besoin en soulevant d’office un moyen tiré de la méconnaissance de cette obligation (arrêts de la Cour du 20 mars 1959, Nold/Haute Autorité, 18/57, Rec. p. 89, p. 115, et du Tribunal du 17 février 2000, Stork Amsterdam/Commission, T‑241/97, Rec. p. II‑309, point 74), le défaut ou l’insuffisance de motivation relevant de la violation des formes substantielles au sens de l’article 230 CE (voir arrêt du Tribunal du 19 septembre 2006, Lucchini/Commission, T‑166/01, Rec. p. II‑2875, point 144, et la jurisprudence citée).

100    Dès lors, le Tribunal estime opportun, en l’espèce, d’examiner d’office si la motivation de la décision attaquée répond aux exigences de l’article 253 CE s’agissant de la prétendue antériorité du régime d’aides en cause par rapport à l’entrée en vigueur du traité CE et de l’examiner avant d’aborder, le cas échéant, les questions de fond soulevées par les parties à cet égard.

101    Selon une jurisprudence constante, la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (voir arrêt de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C‑56/93, Rec. p. I‑723, point 86, et la jurisprudence citée, et arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Corsica Ferries France/Commission, T‑349/03, Rec. p. II‑2197, point 62).

102    Il n’est ainsi pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents. En particulier, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés, mais il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir arrêt Corsica Ferries France/Commission, point 101 supra, points 63 et 64, et la jurisprudence citée).

103    Il n’en demeure pas moins que l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction de toutes les circonstances de l’espèce, compte tenu, notamment, de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, Rec. p. II‑4665, point 141, et la jurisprudence citée).

104    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si la motivation de la décision attaquée répond, en ce qui concerne la prétendue antériorité du régime d’aides en cause par rapport au traité CE, aux exigences de l’article 253 CE.

105    En l’espèce, il y a lieu de relever que le considérant 73 de la décision attaquée est libellé comme suit :

« La Commission ne partage pas le point de vue des compagnies régionales selon lequel les aides en cause constituent des aides existantes. La Commission constate en premier lieu que celles-ci ne sont pas antérieures à l’entrée en vigueur du traité. En effet, ce n’est qu’à partir des lois n° 684/74 et n° 169/75 qu’a été organisé, sous sa forme actuelle, le régime de la subvention annuelle d’équilibre. Par ailleurs, le décret n° 501/79, la loi n° 856/86 et les conventions de 1991 ont précisé plusieurs obligations de service public et les éléments de coûts entrant dans le calcul de la subvention d’équilibre dont bénéficient les compagnies régionales. »

106    Interrogée à l’audience au sujet de la motivation, dans la décision attaquée, de sa conclusion quant au caractère existant des aides en cause, la Commission a fait valoir que le considérant 73 devait être lu à la lumière de l’ensemble des autres considérants de la décision attaquée, et notamment des considérants 40 à 48 relatifs aux différents textes régissant ces aides. Toutefois, force est de constater que lesdits considérants se bornent à décrire le régime législatif en cause et les aides qui en relèvent. En revanche, ils ne mentionnent pas la législation antérieure à 1974 ni n’identifient d’éventuelles modifications spécifiques ayant affecté les aides depuis lors. Dans ces conditions, les considérants 40 à 48 ne contiennent aucune motivation relative à la question de savoir si les subventions en cause pouvaient être considérées comme des aides existantes en raison de leur prétendue antériorité par rapport à l’entrée en vigueur du traité CE.

107    Il convient de rappeler, ensuite, que le dispositif et les motifs d’une décision constituent un tout indivisible, de sorte que, lorsque son adoption relève de la compétence du collège des membres de la Commission, il appartient uniquement à ce dernier, en vertu du principe de collégialité, d’adopter à la fois l’un et les autres, toute modification des motifs dépassant une adaptation purement orthographique ou grammaticale étant de son ressort exclusif. Il s’ensuit que l’argumentation présentée par les agents de la Commission dans une procédure devant le Tribunal ne saurait remédier à l’éventuelle insuffisance de la motivation de la décision attaquée (arrêt du Tribunal du 18 janvier 2005, Confédération nationale du Crédit mutuel/Commission, T‑93/02, Rec. p. II‑143, points 124 et 126).

108    Ainsi, en l’espèce, l’argument avancé par la Commission lors de l’audience, selon lequel il y a lieu de tenir compte, aux fins d’apprécier le caractère suffisant de la motivation de la décision attaquée, des explications fournies dans les mémoires déposés devant le Tribunal dans l’affaire T‑246/99, annexés par la Commission à ses réponses aux questions écrites du Tribunal dans la présente affaire, ne saurait prospérer. En effet, la circonstance que la Commission, dans le cadre d’une procédure judiciaire en annulation engagée par une personne morale à l’encontre d’une décision d’ouverture de la procédure d’enquête, a avancé des explications relatives à la motivation de ladite décision, ne saurait avoir d’incidence sur la portée de son obligation de motiver la décision finale, adoptée à l’issue de ladite procédure administrative et adressée à un État membre.

109    Il y a lieu de conclure, à la lumière de l’analyse qui précède, que c’est à la lumière du seul considérant 73 de la décision attaquée qu’il y a lieu d’apprécier le caractère adéquat de la motivation en l’espèce.

110    Il convient cependant de relever d’emblée que ledit considérant n’aborde pas les questions soulevées par les requérantes dans le cadre du présent moyen, résumées aux points 88 à 90 ci‑dessus. En particulier, la Commission n’a pas examiné les affirmations des requérantes relatives au fait que les aspects essentiels du régime d’aides en cause et du financement qui y est afférent auraient été instaurés par les décrets-lois nos 2081 et 2082 de 1936 et par la loi n° 34 du 5 janvier 1953, et qu’ils seraient restés substantiellement inchangés depuis lors. Elle n’a pas non plus pris position sur la question de savoir si les modifications apportées depuis cette époque impliquent essentiellement un alourdissement des obligations pesant sur les sociétés bénéficiaires, accompagné d’une diminution de l’aide perçue.

111    Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le Tribunal n’est pas en mesure d’exercer son contrôle de la légalité de la décision attaquée au regard de ces arguments, dès lors que la Commission n’a pas expliqué, dans la décision attaquée, pourquoi ils devraient être écartés.

112    Toutefois, ainsi qu’il a été rappelé aux points 101 et 103 ci-dessus, la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et des circonstances de l’espèce. À cet égard, il y a notamment lieu de tenir compte des observations faites par l’État membre et les tiers intéressés au stade de la procédure administrative devant la Commission. En effet, dans la mesure où la Commission dépend, dans le cadre d’une enquête en matière d’aides d’État, ouverte conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE, des renseignements que l’État membre et les intéressés lui fournissent au cours de cette procédure, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir pris en compte un élément spécifique de fait susceptible d’avoir une incidence sur son analyse que dans la mesure où elle en a été informée.

113    Dès lors, il appartient au Tribunal de vérifier si les éléments de fait, mentionnés aux points 88 à 90 et 110 ci-dessus, avancés par les requérantes dans le cadre de la présente procédure, ont également été présentés à la Commission au cours de la procédure d’enquête.

114    Il ressort du dossier que, au stade de la procédure d’enquête, les autorités italiennes ont avancé à l’égard des aides octroyées à Tirrenia et à Adriatica des arguments très semblables à ceux avancés par les requérantes dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04 dans le cadre du présent moyen. En particulier, les observations des autorités italiennes du 28 septembre 1999 contiennent le passage suivant :

« La conclusion à laquelle nous sommes parvenus vaut à plus forte raison pour certaines des sociétés – Tirrenia et Adriatica – au motif que les principaux éléments contestés par la Commission – c’est-à-dire les modalités suivies pour déterminer et pour confier les OSP et les critères visant à fixer les financements y afférents – étaient déjà prévus et réglementés pour l’essentiel par les dispositions des décrets royaux n° 2081/36 et n° 2082/36. Il est vrai, certes, que la réglementation ultérieure a introduit des éléments de réforme du régime dans son ensemble. Toutefois, si l’on examine attentivement et objectivement les différentes mesures législatives et réglementaires qui se sont succédé au fil des années, il apparaît que, d’un côté, les OSP sont devenues plus précises et rigoureuses, et, de l’autre côté, les ajustements introduits au sujet du système de paiement ont eu pour objet et pour effet de réduire les montants octroyés, en prévoyant qu’ils sont calculés non pas sur la base des coûts effectifs encourus par l’entreprise, mais sur la base de paramètres moyens objectifs. »

115    Dans ses réponses aux questions écrites du Tribunal, la Commission qualifie cette « affirmation » d’« imprécise et [de] timide » et relève qu’elle n’a pu identifier aucun argument relatif à la prétendue antériorité des aides litigieuses par rapport à l’entrée en vigueur du traité CE dans les observations présentées par les requérantes à l’occasion de la procédure d’enquête.

116    Cependant, il ressort de manière univoque du point 114 ci-dessus que les autorités italiennes ont soutenu lors de la procédure administrative, premièrement, que le régime d’aides prévoyant le financement des OSP assumées par Adriatica a été créé en 1936 et, deuxièmement, que toutes les modifications du régime intervenues par la suite ont eu pour effet de réduire le montant global de la subvention octroyée.

117    Certes, la Commission n’est tenue d’exposer que les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de sa décision (point 102 ci-dessus), mais il ne suffit pas d’affirmer, comme elle l’a fait en l’espèce, que les aides en cause « ne sont pas antérieures à l’entrée en vigueur du traité » parce que « ce n’est qu’à partir des lois n° 684/74 et n° 169/75 qu’a été organisé, sous sa forme actuelle, le régime de la subvention annuelle d’équilibre », alors que l’État membre en question a soutenu lors de la procédure d’enquête que des aides trouvaient leur origine dans une législation nationale spécifique entrée en vigueur en 1936, soit avant l’entrée en vigueur du traité CE dans ledit État membre.

118    Sans qu’il soit besoin que le Tribunal prenne position sur la question de savoir si les aides octroyées à Adriatica ont effectivement été créées à ladite date, il y a lieu de constater que la décision attaquée est, en principe, entachée d’une insuffisance de motivation de nature à empêcher le Tribunal d’exercer son contrôle de la légalité de cet acte, dans la mesure où la Commission n’a pas examiné ladite question.

119    De la même manière, il convient de relever, en ce qui concerne les aides octroyées aux quatre requérantes dans l’affaire T-292/04, que les observations des autorités italiennes du 28 septembre 1999 contiennent également, à la page 31, le passage qui suit :

« […] D’ailleurs, il doit également être signalé que, indépendamment de la nature publique ou privée de l’exploitant du service, la spécification des OSP est restée substantiellement la même avant et après la réforme de 1975. En effet, la spécification des OSP subventionnées pour les services concernés se trouve déjà clairement défini[e] par la loi n° 34, du 5 janvier 1953, qui prévoit des ‘services maritimes subventionnés’ dans quatre secteurs (archipel toscan ; îles Parthénopéennes et Pontines ; îles Éoliennes ; îles Egadi et Pélagiennes, Ustica e Pantelleria), prévoyant également la spécification des lignes à desservir, ainsi que la signature d’une convention de vingt ans avec l’exploitant du service subventionné. Par analogie, la loi n° 178 du 26 mars 1959 a étendu les services maritimes subventionnés pour inclure aussi des routes de la moyenne et de la haute Adriatique et la loi n° 856 du 5.12.86 pour inclure les liaisons avec les îles mineures sardes et avec la Corse. »

120    Il ressort de ce passage que les autorités italiennes ont soutenu au stade de la procédure d’enquête que le régime d’aides relatif au financement des OSP sur plusieurs lignes exploitées aujourd’hui par les quatre requérantes dans l’affaire T‑292/04 a été créé en 1953 et étendu par la suite, d’abord en 1959 et ensuite en 1986. Ainsi, force est de constater que la Commission n’a pas répondu aux arguments explicitement soulevés par les autorités italiennes au stade de la procédure administrative en ce qui concerne la prétendue antériorité au traité CE des aides octroyées à ces quatre requérantes et que le raisonnement exposé ci‑dessus aux points 109 à 118 s’applique donc mutatis mutandis à ces aides.

121    Certes, il ressort du point 119 ci-dessus que les OSP sur certaines lignes semblent avoir été créées après l’entrée en vigueur du traité CE. De même, il y a lieu de constater que les destinations mentionnées ne paraissent pas couvrir l’ensemble des liaisons sur lesquelles des OSP subventionnées sont prévues dans le cadre du régime actuellement en vigueur. Toutefois, il n’appartient pas au Tribunal de procéder à un examen détaillé des différentes lois pour établir quelles liaisons ont été prévues pour la première fois en 1953 et quelles liaisons l’ont été par la suite, alors que la Commission n’a pas entrepris une telle analyse dans la décision attaquée. En effet, l’analyse figurant au point précédent, ainsi qu’aux points auxquels il y est renvoyé, suffit pour écarter l’argumentation de la Commission consistant à soutenir qu’il n’était pas nécessaire qu’elle examine la thèse des autorités italiennes selon laquelle le régime d’aides en cause avait déjà été défini en 1953. Sans qu’il soit besoin que le Tribunal prenne position sur la question de savoir si et, le cas échéant lesquelles, des aides octroyées aux requérantes dans l’affaire T‑292/04 ont effectivement été créées à ladite date, il y a donc lieu de constater que la décision attaquée est, en principe, entachée d’une insuffisance de motivation de nature à empêcher le Tribunal d’exercer son contrôle de la légalité de cet acte, dans la mesure où la Commission n’a pas examiné ladite question.

122    Il convient toutefois d’examiner si les références faites par la Commission aux modifications ultérieures apportées au régime de la subvention d’équilibre et aux aides octroyées au titre de celui-ci la dispensaient d’examiner la législation antérieure, de sorte que la motivation avancée dans la décision attaquée serait néanmoins suffisante pour fonder la conclusion quant au caractère nouveau des aides. Il convient de rappeler, en particulier, que, au considérant 73 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le régime de la subvention annuelle d’équilibre existe « sous sa forme actuelle » depuis les lois n°s 684 de 1974 et 169 de 1975, et que « le décret n° 501/79, la loi n° 856/86 et les conventions de 1991 ont précisé plusieurs obligations de service public et les éléments de coûts entrant dans le calcul de la subvention d’équilibre ».

123    Il importe de rappeler, dans ce contexte, que doivent être considérées comme des aides nouvelles soumises à l’obligation de notification, conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, non seulement les mesures qui tendent à instituer des aides, mais aussi celles qui tendent à les modifier, étant précisé que les modifications peuvent porter soit sur des aides existantes, soit sur des projets initiaux notifiés à la Commission (arrêts Namur, point 90 supra, point 13, et du 17 juin 1999, Piaggio, C‑295/97, Rec. p. I‑3735, point 48). En effet l’objectif de l’article 88, paragraphe 3, CE, qui est d’assurer à la Commission l’occasion d’exercer, en temps utile et dans l’intérêt général des Communautés, son contrôle sur tout projet tendant à instituer ou à modifier des aides, ne pourrait être atteint si la Commission n’était informée que des projets initiaux et non des modifications intervenues ultérieurement (arrêt de la Cour du 9 octobre 1984, Heineken Brouwerijen, 91/83 et 127/83, Rec. p. 3435, point 17).

124    Il résulte de cette jurisprudence que les modifications législatives affectant un régime d’aides doivent être considérées comme des aides nouvelles dans certaines circonstances. Toutefois, il en ressort également que de telles modifications ne constituent pas nécessairement des aides supplémentaires et donc nouvelles. Ainsi, dans l’arrêt Namur, point 90 supra, points 29 et 31, la Cour a constaté que la mesure en cause dans l’affaire dont elle était saisie n’avait pas modifié la législation qui avait institué, au profit d’un établissement public, les avantages dont celui-ci bénéficiait, ni en ce qui concerne la nature de ces avantages ni en ce qui concerne les activités dudit établissement. Elle a donc conclu que ladite mesure n’affectait pas le régime d’aides prévu par cette législation, de sorte que la mesure en question ne pouvait pas être regardée comme l’institution ou la modification d’aides au sens de l’article 87, paragraphe 3, CE.

125    En l’espèce, la Commission n’explique pas, dans la décision attaquée, ce qu’elle entend par l’utilisation, au considérant 73, de l’expression « sous sa forme actuelle ». L’emploi de cette formule implique que certains aspects d’un régime précédent ont été maintenus après l’adoption d’une nouvelle législation nationale en 1974 et en 1975, mais que d’autres aspects du régime créé par ces lois sont nouveaux. Toutefois, en l’absence de plus amples précisions dans la décision attaquée concernant les différences entre l’ancien et le nouveau régime, le Tribunal est dans l’impossibilité de contrôler l’appréciation faite par la Commission, en fait et en droit, de la nature et de l’étendue des modifications apportées à celui-là par les lois en question.

126    De même, dans la mesure où la Commission s’appuie sur le fait que la législation postérieure à 1975 ainsi que les conventions de 1991 « ont précisé plusieurs obligations de service public et les éléments de coût entrant dans le calcul de la subvention d’équilibre », ni la nature ni l’importance de ces précisions ne ressortent de la décision attaquée. Ainsi, la Commission n’a pas identifié, de manière spécifique, des obligations ou des éléments du calcul de la subvention qui ont été modifiés. Même une lecture d’ensemble de cette phrase en combinaison avec la description du régime aux considérants 30 à 39 de la décision attaquée ne permet pas de comprendre sur quelles modifications spécifiques la Commission s’appuie pour considérer que les aides initialement octroyées ont été modifiées de sorte qu’elles sont désormais à considérer comme des aides nouvelles.

127    En outre, si l’article 88, paragraphe 3, CE assimile les modifications des aides existantes à des aides nouvelles, c’est dans le but d’éviter que les États puissent contourner l’obligation de notifier ces dernières en arrivant au même résultat par le biais d’une extension de la portée d’un régime qui est déjà en vigueur (voir, en ce sens, arrêt Heineken Brouwerijen, point 123 supra, point 17). Or, dans une situation où la modification d’un régime existant a pour effet de diminuer le montant des aides pouvant ou devant être versées, elle n’a pas le même effet qu’une aide nouvelle, cette dernière impliquant, par définition, l’augmentation des charges assumées par l’État. Il s’ensuit que l’argumentation avancée par les autorités italiennes au stade de la procédure d’enquête (voir les points 114 et 116 ci-dessus), ainsi que par les requérantes dans le cadre de la présente procédure, selon laquelle les différentes modifications du régime législatif et conventionnel régissant l’aide en cause ont eu pour effet de réduire le montant global de celle-ci, était susceptible, à la supposer fondée en fait, d’infirmer la conclusion retenue par la Commission quant au caractère nouveau des aides en cause. Dans ces conditions, il incombait à la Commission d’examiner cette argumentation de manière explicite dans la décision attaquée, ce qu’elle n’a pas fait.

128    Enfin, il y a lieu de relever que, à l’audience, la Commission a cherché à défendre la motivation de la décision attaquée en faisant valoir que la thèse des autorités italiennes, selon laquelle les aides à Adriatica avaient été instituées dès 1936, était « simplement absurde », au vu des différences patentes entre cette législation et celle qui l’a remplacée par la suite, de sorte qu’elle n’était pas obligée de réfuter spécifiquement cette thèse dans la décision attaquée. La Commission a relevé, en particulier, que le décret‑loi n° 2081 de 1936 se borne à prévoir, en son article 2, une liste de lignes à desservir ainsi qu’à envisager, en son article 6, l’éventuel octroi d’une subvention étatique pour financer leur exploitation. Le régime de concession résultant de cette législation serait donc très différent du régime détaillé de subventionnement étatique créé en 1974 et en 1975.

129    Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que si le décret-loi n° 2081 de 1936 se borne, en effet, à prévoir, en son article 6, la possibilité pour l’État d’octroyer une subvention « qui sera[it] établie par des conventions appropriées », son article 7 semble partir de la prémisse qu’une telle subvention serait nécessairement octroyée, dès lors qu’il fait référence à « la subvention initialement attribuée à chaque société », l’article 15 faisant en outre état d’une subvention préexistante qui continuerait d’être versée aux nouveaux concessionnaires.

130    De plus, selon les considérants 30 à 39 de la décision attaquée, les dispositions relatives au régime prévoyant les aides en cause sont contenues pour partie dans la législation nationale, pour partie dans les conventions conclues entre la République italienne et chaque compagnie bénéficiaire et pour partie dans les plans quinquennaux prévus par les conventions et approuvés par décret ministériel. La Commission a encore confirmé à l’audience que les aides en cause sont régies par une combinaison de dispositions législatives et conventionnelles.

131    Ainsi, l’argumentation de la Commission fondée sur le caractère plus détaillé et spécifique de la législation entrée en vigueur postérieurement par rapport à celle de 1936 ne suffit pas pour établir que les aides elles-mêmes ont nécessairement été modifiées de manière significative. En effet, en l’absence d’examen, dans la décision attaquée, du contenu des conventions signées à l’époque par les autorités italiennes, d’une part, et Tirrenia et Adriatica, d’autre part, le Tribunal n’est pas en mesure de déterminer dans quelle mesure les aides octroyées en 1936 étaient réellement différentes de celles versées par la suite. Dès lors, l’argument présenté par la Commission à l’audience doit être rejeté.

132    En tout état de cause, il ressort d’une lecture du décret-loi n° 2081 en combinaison avec le décret‑loi n° 2082, produits par Tirrenia-Adriatica en annexe à sa requête, que cette législation a créé quatre nouvelles sociétés, dont Tirrenia et Adriatica, qui étaient chargées de fournir certains services de transport maritime sur des lignes spécifiques sous le contrôle de l’État, et qu’elle prévoyait la possibilité de financer l’exploitation de ces lignes, pour partie, par une subvention étatique qui serait établie par voie de convention.

133    Dans ces conditions, il n’appartient pas au Tribunal de procéder à une comparaison détaillée desdits décrets‑lois par rapport aux dispositions des lois adoptées postérieurement à l’entrée en vigueur du traité CE, alors que la Commission n’a pas entrepris de procéder à cette comparaison dans la décision attaquée. En effet, l’analyse effectuée ci-dessus suffit pour écarter l’argumentation de la Commission selon laquelle il n’était pas nécessaire qu’elle examine la thèse des autorités italiennes relative à la prétendue création des aides en cause en 1936.

134    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation en ce qui concerne la qualification d’aides nouvelles, retenue par la Commission, s’agissant des subventions en cause en l’espèce, dès lors que la motivation fournie ne permet pas au Tribunal de contrôler la légalité de cet acte. Par conséquent, il y a lieu d’annuler la décision attaquée.

135    Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, et vu notamment les différends opposant les parties quant aux conséquences qu’il y a lieu de tirer des arrêts de la Cour du 10 mai 2005 et du Tribunal du 20 juin 2007, il convient d’examiner également le cinquième moyen de la deuxième série de moyens.

 Sur le cinquième moyen de la deuxième série de moyens, tiré de l’antériorité des mesures nationales établissant les OSP par rapport à l’entrée en vigueur du règlement n° 3577/92

–       Arguments des parties

136    Les requérantes rappellent que, selon l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, « [l]es contrats de service public existants peuvent rester en vigueur jusqu’à leur date d’expiration ». À la lumière de cette disposition, dont la finalité était d’exempter ces contrats du nouveau régime en matière de cabotage maritime introduit par le règlement n° 3577/92, la Commission ne serait pas en droit de traiter les aides en cause en l’espèce comme des aides nouvelles.

137    Dans leurs réponses écrites aux questions du Tribunal, les requérantes relèvent, en outre, que la décision attaquée ne semble pas cohérente avec la lecture faite de la décision d’ouverture par la Cour, dans son arrêt du 10 mai 2005, et par le Tribunal, dans son arrêt du 20 juin 2007. En effet, le juge communautaire aurait considéré dans ces deux arrêts que seule une éventuelle surcompensation des OSP assumées par les requérantes pourrait constituer une aide nouvelle, tandis que les éventuelles compensations nécessaires au financement des OSP seraient des aides existantes en application de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92. Ainsi, la décision d’ouverture aurait été jugée légale uniquement parce que l’enquête ouverte par la Commission portait exclusivement sur cette éventuelle surcompensation et non sur l’aide dans son ensemble. En examinant la compatibilité avec le marché commun de l’aide dans son ensemble, dans la décision attaquée, la Commission aurait donc dépassé les limites de l’enquête qu’elle avait régulièrement ouverte par l’adoption de la décision d’ouverture.

138    Selon la Commission, l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 ne saurait déroger à la réglementation des aides d’État, dès lors que sa base juridique est l’article 84 du traité CE (devenu, après modification, article 80 CE), qui concerne la libre prestation des services en matière de transports maritimes, et non la concurrence.

139    Dans ses réponses écrites aux questions du Tribunal, la Commission fait valoir que les arrêts de la Cour du 10 mai 2005 et du Tribunal du 20 juin 2007 ne contiennent aucune déclaration quant au fait que le règlement n° 3577/92 a comme base juridique l’article 84 du traité CE. La Cour et le Tribunal auraient reconnu que la Commission était en tout cas compétente pour analyser les mécanismes de financement des contrats en cause dans leur ensemble, afin de vérifier qu’ils ne comportaient pas d’aides non nécessaires à assurer les OSP.

–       Appréciation du Tribunal

140    Il convient de rappeler, tout d’abord, ce que le Tribunal a jugé dans son arrêt du 20 juin 2007, aux points 155 et suivants, en ce qui concerne la portée de la décision d’ouverture et l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 quant à la qualification des aides en cause en l’espèce d’aides nouvelles ou existantes :

« 155          Il y a lieu de relever à cet égard que, dans l’arrêt du 10 mai 2005, […] (point 64 in fine), la Cour a interprété la décision [d’ouverture] en ce sens que la Commission y a reconnu que, dans la limite du financement du surcoût des OSP, les mécanismes de financement des contrats en cause étaient couverts par l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 (voir également point 60 de l’arrêt). Il s’ensuit que, selon cette interprétation faite de la décision [d’ouverture] par la Cour, l’obligation de suspension et l’ouverture de la procédure d’enquête portent exclusivement sur d’éventuelles aides dépassant ce qui est nécessaire pour assurer les OSP.

156               Par ailleurs cette interprétation est confirmée par une simple lecture de la décision [d’ouverture] elle-même, qui contient notamment le passage suivant, cité également par la Cour dans l’arrêt du 10 mai 2005, […] (point 60) :

“L’article 4, paragraphe 3, [du règlement n° 3577/92] autorise les contrats de service public existants à la date d’entrée en vigueur dudit règlement à rester en vigueur jusqu’à leur date d’expiration. Ces ‘clauses d’ancienneté’ doivent être interprétées de façon restrictive, puisqu’elles constituent une exception à la règle générale selon laquelle les contrats OSP doivent être ouverts à tous les opérateurs concernés de l’Union européenne. En conséquence, seules les aides nécessaires pour assurer l’offre de service public peuvent relever de ces clauses.”

157               À la lumière de ce passage, il y a lieu de constater, en effet, que l’ouverture de la procédure d’enquête n’a eu que la portée limitée décrite par la Cour dans son arrêt.

158               La Cour a également interprété l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, au point 64 de l’arrêt du 10 mai 2005 […] en ce sens qu’il vise le maintien des contrats de service public conclus avec des compagnies de navigation participant à des services réguliers à destination ou en provenance d’îles ainsi qu’entre îles, existants au 1er janvier 1993, jusqu’à leur date d’expiration, sans limiter la portée de cette disposition à certains aspects desdits contrats. La Cour relève que les contrats de ce type contiennent par nature des dispositions financières nécessaires pour assurer les OSP qui y sont prévues et que les stipulations financières nécessaires pour assurer les OSP y figurant sont également couvertes par ledit article 4, paragraphe 3.

159               Il résulte ainsi de cette partie du raisonnement de la Cour que l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 devait, en principe, conduire la Commission à retenir, pour les mesures en cause en l’espèce, la qualification d’aides existantes au stade de la procédure où il convient de choisir entre cette qualification et celle d’aides nouvelles (points 62 à 64 de l’arrêt).

160               Toutefois, la Cour a ensuite jugé que d’éventuelles aides dépassant ce qui est nécessaire pour assurer les OSP, objet des contrats en cause, ne sauraient entrer dans le champ d’application de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, précisément parce qu’elles ne sont pas nécessaires à l’équilibre, et donc au maintien, de tels contrats. Elle a conclu que ces aides ne sauraient, sur le fondement de cette disposition, être considérées comme des aides existantes (point 65 de l’arrêt) et que la Commission a donc pu à bon droit traiter ces éventuelles aides comme des aides nouvelles (point 66 de l’arrêt).

161               Il résulte de ce qui précède que la Cour a qualifié les subventions en cause dans la présente affaire d’aides existantes, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 dans la mesure où elles ne sont pas couvertes par la décision litigieuse et d’aides nouvelles dans la mesure où elles sont couvertes par celle‑ci. Ainsi, elle a constaté que la décision litigieuse était fondée en ce qui concerne la qualification des aides en cause de nouvelles ou d’existantes. »

141    Ensuite, le Tribunal a examiné s’il existait des différences entre l’affaire T‑246/99 et l’affaire connexe, C‑400/99, susceptibles de justifier l’adoption par le Tribunal d’une solution différente de celle retenue par la Cour. Ayant répondu à cette question par la négative, le Tribunal a conclu, au point 173 de l’arrêt que « le recours introduit par les requérantes [devait] être rejeté comme étant dépourvu d’objet dans la mesure où sa portée est plus large que celle du recours introduit par le gouvernement italien dans l’affaire connexe C‑400/99. Pour le surplus, l’argumentation des requérantes fondée sur l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 ne saurait justifier l’annulation de la décision [d’ouverture] dans la présente affaire ».

142    En l’espèce, étant donné que la décision attaquée a clôturé la procédure ouverte par la décision d’ouverture, force est de constater que la procédure d’enquête, et donc nécessairement la décision attaquée, n’ont pu porter que sur d’éventuelles aides dépassant ce qui était nécessaire pour financer les OSP, en raison de l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, retenue par les juridictions communautaires. Cette conclusion s’applique aux aides relatives aux lignes relevant du cabotage et donc du règlement n° 3577/92, et non à celles relatives aux lignes relevant du transport international.

143    L’argumentation de la Commission, selon laquelle l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 ne pourrait apporter une dérogation à la réglementation des aides d’État, dès lors que sa base juridique est l’article 84 du traité CE, ne saurait infirmer cette conclusion. Cette même argumentation a déjà été avancée par la Commission dans le cadre de l’affaire C‑400/99 à l’appui de sa thèse selon laquelle l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 pouvait autoriser les éventuelles restrictions à la libre prestation des services, mais non les subventions y relatives (voir le point 63 de l’arrêt du 10 mai 2005). Or, la Cour a jugé, aux points 64 et 65 de son arrêt du 10 mai 2005, que cette argumentation quant à la portée limitée de ladite disposition n’était que partiellement exacte.

144    En effet, la Cour a admis le bien-fondé de cette argumentation dans la mesure où d’éventuelles aides dépassant ce qui est nécessaire pour assurer les OSP ne sauraient entrer dans le champ d’application de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 (point 65 de l’arrêt), mais elle l’a rejeté par rapport aux dispositions financières nécessaires pour assurer les OSP assumées par les requérantes (point 64 de l’arrêt). La Cour a observé, en particulier, que, dans la décision d’ouverture, la Commission avait elle-même reconnu que, dans la limite du financement du surcoût des OSP, les mécanismes de financement des contrats en cause étaient couverts par l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92.

145    Il s’ensuit que l’argumentation de la Commission tirée de la base juridique du règlement n° 3577/92 a déjà été examinée et rejetée par la Cour en ce qui concerne les aides qui sont nécessaires pour assurer les OSP, au même titre que ses autres arguments visant à établir que l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 ne l’obligeait pas à qualifier ces subventions d’aides existantes.

146    À la lumière de ce qui précède, la décision attaquée devrait être partiellement annulée en raison du présent moyen, dans la mesure où elle traite les aides relatives aux lignes de cabotage comme des aides nouvelles et impose des conditions ou entérine des engagements exigés par la Commission en ce qui les concerne. En effet, la Commission a analysé la nécessité des subventions en cause pour financer les OSP, aux considérants 123 à 148 de la décision attaquée, dans le cadre de son examen de leur compatibilité avec le marché commun. Elle a conclu que l’ensemble des aides destinées au financement des liaisons relevant du cabotage étaient nécessaires, car strictement proportionnées au coût additionnel induit par la mission de service public impartie aux requérantes.

147    Ainsi, conformément à la délimitation de la portée de la décision d’ouverture retenue par la Cour dans son arrêt du 10 mai 2005 et par le Tribunal dans son arrêt du 20 juin 2007, la procédure formelle ne devait pas porter sur les aides au cabotage. Dans la mesure où la Commission fait valoir que la Cour et le Tribunal ont reconnu qu’elle était en tout cas compétente pour analyser les subventions en cause dans leur ensemble afin de vérifier qu’elles ne comportent pas d’aides non nécessaires à assurer les OSP, il convient de relever que la Commission aurait dû procéder à cette analyse aux fins de déterminer si une partie des subventions en cause n’était pas nécessaire et devait donc être considérée comme une aide nouvelle, plutôt qu’aux fins d’apprécier leur compatibilité avec le marché commun.

148    Dans l’hypothèse où une partie des subventions relevant du cabotage maritime n’aurait pas été nécessaire au financement des OSP, la Commission aurait ensuite dû examiner la compatibilité de cette aide nouvelle avec le marché commun dans le cadre d’une procédure ouverte au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE. En l’occurrence, toutefois, ayant constaté que les subventions relatives au cabotage étaient nécessaires dans leur ensemble, la Commission aurait dû conclure qu’elles étaient des aides existantes et ne pouvaient donc être examinées, quant à leur compatibilité avec le marché commun, dans le cadre d’une procédure telle que celle ouverte par l’adoption de la décision d’ouverture. Dès lors, la Commission aurait donc dû clôturer la procédure ouverte au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, sans adopter de décision sur la compatibilité des subventions en cause avec le marché commun.

c)     Conclusions

149    Les quatrième et cinquième moyens de la deuxième série de moyens ayant été accueillis, il y a lieu d’annuler la décision attaquée dans la mesure où elle qualifie les subventions en cause d’aides nouvelles. Étant donné que les cinq bénéficiaires des subventions en cause, à savoir Tirrenia-Adriatica dans l’affaire T‑265/04 et Caremar, Toremar, Siremar et Saremar dans l’affaire T‑292/04, ont contesté la légalité de la décision attaquée pour les mêmes motifs, cette annulation concerne la qualification d’aides nouvelles des subventions versées à toutes ces sociétés. Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres moyens de la deuxième série de moyens.

150    En outre, il est également inutile d’examiner les moyens de la première série de moyens dans le seul but d’établir si d’autres motifs que ceux identifiés dans le présent arrêt pourraient également justifier l’annulation de la décision attaquée. En effet, il appartient désormais à la Commission de décider de la suite de la procédure administrative, conformément à l’article 233 CE, en adoptant, le cas échéant, une décision dans laquelle elle prendra position une nouvelle fois sur les questions de droit et de fait pertinentes.

151    Il y a lieu de souligner, en outre, que l’insuffisance de motivation constatée dans le cadre de l’examen du quatrième moyen entache d’illégalité la qualification d’aides nouvelles des subventions en cause non seulement en ce qui concerne le financement des OSP relatives aux services de cabotage opérés par les requérantes, mais aussi en ce qui concerne le financement des OSP sur leurs liaisons internationales.

152    Dès lors, il n’est pas nécessaire non plus d’examiner la troisième série de moyens ayant trait à la déclaration d’incompatibilité avec le marché commun affectant la subvention d’équilibre sur la liaison internationale Brindisi/Corfou/Igoumenitsa/Patras, ni la quatrième série de moyens relative à l’obligation imposée à la République italienne de procéder à la récupération de l’aide concernant cette liaison.

B –  Affaire T‑504/04

1.     Observations liminaires

153    La requérante soulève huit moyens tirés, respectivement, des violations du droit communautaire résultant de ce que la Commission a considéré que le régime d’aides en cause était nécessaire, d’une insuffisance de motivation, d’un détournement de pouvoir, d’un détournement de procédure, de la violation par la Commission de ses propres compétences, du caractère insuffisant de l’obligation relative à la comptabilité séparée des lignes, du caractère insuffisant de l’obligation relative à la clause de « standstill » des aides et de l’inexécution de la décision attaquée par les autorités italiennes. En outre, elle demande au Tribunal d’adopter plusieurs mesures d’organisation de la procédure.

154    Il convient, à titre liminaire, d’examiner les conséquences pour la présente affaire de l’annulation de la décision attaquée par le présent arrêt dans le cadre des affaires T‑265/04 et T‑292/04.

2.      Sur les conséquences pour la présente affaire de l’annulation de la décision attaquée dans le cadre des affaires T‑265/04 et T‑292/04

a)     Arguments des parties

155    En réponse à une question du Tribunal, la Commission et Caremar ont soutenu, à l’audience, que, dans le cas où le Tribunal annulerait la décision attaquée dans son ensemble dans le cadre des affaires T‑265/04 et T‑292/04, le recours présenté par la requérante dans l’affaire T‑504/04 serait privé d’objet. En effet, la Commission a observé que l’examen de la compatibilité des aides en cause avec le marché commun, qu’elle a effectué dans la décision attaquée, n’était pas autonome, mais dépendait également de l’analyse de l’existence d’une aide d’État et de celle de la qualification de cette aide comme nouvelle ou existante.

156    En réponse à une question du Tribunal, la requérante dans l’affaire T‑504/04 a également reconnu, à l’audience, que, dans le cas où le Tribunal annulerait la décision attaquée dans son ensemble dans le cadre des affaires T‑265/04 et T‑292/04, son recours serait privé d’objet. Toutefois, elle a souligné que, pour l’ensemble des raisons avancées par la Commission dans la décision attaquée et dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04, ainsi que par la Cour et le Tribunal dans leurs arrêts respectifs du 10 mai 2005 et du 20 juin 2007, une telle annulation serait injustifiée dans les circonstances de l’espèce.

b)     Appréciation du Tribunal

157    Il convient de rappeler d’abord que le raisonnement de la Commission relatif à la qualification d’aides nouvelles des subventions en cause se situe logiquement en amont de son analyse de la compatibilité de ces aides avec le marché commun. En effet, avant d’effectuer une telle analyse, la Commission doit déterminer si les aides sont nouvelles ou existantes afin d’identifier la voie procédurale qu’elle doit suivre pour en examiner la compatibilité avec le marché commun.

158    Or, il n’est pas possible de scinder la décision attaquée en considérant que l’appréciation par la Commission de la compatibilité des aides avec le marché commun peut subsister nonobstant l’illégalité affectant la qualification d’aides nouvelles des subventions.

159    Par conséquent, force est de constater que l’annulation de la décision attaquée prononcée par le Tribunal dans le présent arrêt fait disparaître la décision attaquée dans son ensemble de l’ordre juridique communautaire. De plus, les effets d’un arrêt d’annulation s’appliquent, en principe, ex tunc et erga omnes à l’égard de tous les justiciables, et lui confèrent ainsi l’autorité absolue de la chose jugée [voir arrêt de la Cour du 1er juin 2006, P&O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C‑442/03 P et C‑471/03 P, Rec. p. I‑4845, point 43, et la jurisprudence citée].

160    Il convient donc de constater que, à la suite de l’annulation susmentionnée, l’analyse de la compatibilité des aides avec le marché commun, dont la subvention d’équilibre versée à Caremar pour financer, entre autres, la liaison Naples/Capri, que la Commission a effectuée dans la décision attaquée sur la base d’une procédure ouverte conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE, est nulle et non avenue. En effet, la Commission n’a pas déterminé de manière régulière si cette question devait être examinée dans le cadre de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE ou, le cas échéant, sur la base d’une procédure ouverte au titre de l’article 88, paragraphe 1, CE. Ces constats relatifs au statut juridique de la décision attaquée affectent non seulement les relations entre la Commission et les requérantes dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04, mais également l’ensemble des sujets du droit communautaire, et notamment la requérante dans l’affaire T‑504/04.

161    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le présent recours est devenu sans objet. En effet, dès lors que la décision attaquée a été annulée dans son ensemble dans le cadre des affaires T‑265/04 et T‑292/04, il n’y a plus lieu de statuer sur le présent recours. Il n’est donc pas nécessaire de statuer sur les conclusions de la requérante visant à l’annulation de la décision attaquée, ni, partant, sur les moyens et arguments avancés par les parties, ni sur les demandes de mesures d’organisation de la procédure présentées dans le cadre de l’affaire T‑504/04.

162    Enfin, à supposer même que les chefs de conclusions présentées par la requérante concernant les aides versées de 1989 à 1991 puissent être considérés comme autonomes par rapport à ses conclusions en annulation, il suffit de constater que ces subventions ne font pas l’objet de la décision attaquée, ainsi que le confirme son considérant 35. Par conséquent, le Tribunal n’est pas compétent, en toute hypothèse, pour prendre position sur cette question dans le cadre du présent recours en annulation.

 Sur les dépens

163    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04, la Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions des requérantes dans ces affaires.

164    Aux termes de l’article 87, paragraphe 6, du règlement de procédure, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens. Compte tenu du fait que sa décision de non-lieu dans l’affaire T‑504/04 découle directement de l’annulation de la décision attaquée dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04, il y a lieu de décider que la Commission supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante dans l’affaire T‑504/04.

165    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante supportera ses propres dépens. En l’espèce, Caremar, partie intervenue au soutien de la Commission dans l’affaire T‑504/04, supportera les dépens qu’elle a exposés dans le cadre de cette affaire.

166    Enfin, aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Ainsi, la République italienne supportera ses propres dépens dans le cadre de l’affaire T‑504/04.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Dans les affaires T‑265/04 et T‑292/04, la décision 2005/163/CE de la Commission, du 16 mars 2004, concernant les aides d’État versées par l’Italie aux compagnies maritimes Adriatica, Caremar, Siremar, Saremar et Toremar (Gruppo Tirrenia), est annulée.

2)      Dans l’affaire T‑504/04, le recours est devenu sans objet.

3)      Dans l’affaire T‑265/04, la Commission est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Tirrenia di Navigazione SpA.

4)      Dans l’affaire T‑292/04, la Commission est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Caremar SpA, Siremar SpA, Saremar SpA et Toremar SpA.

5)      Dans l’affaire T‑504/04, la Commission est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Navigazione Libera del Golfo SpA.

6)      Dans l’affaire T‑504/04, la République italienne et Caremar supporteront leurs propres dépens.

Forwood

Šváby

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 mars 2009.

Signatures

Table des matières


Faits et procédure

Décision attaquée

Conclusions des parties

A –  Affaire T‑265/04

B –  Affaire T‑292/04

C –  Affaire T‑504/04

En droit

A –  Affaires T-265/04 et T-292/04

1.  Sur la recevabilité

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur le fond

a)  Introduction

b)  Sur la deuxième série de moyens relatifs à la qualification d’aides nouvelles des subventions

Observations liminaires

Sur le quatrième moyen de la deuxième série de moyens, tiré de ce que les aides en cause seraient des aides existantes, car antérieures à l’entrée en vigueur du traité CE

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur le cinquième moyen de la deuxième série de moyens, tiré de l’antériorité des mesures nationales établissant les OSP par rapport à l’entrée en vigueur du règlement n° 3577/92

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

c)  Conclusions

B –  Affaire T‑504/04

1.  Observations liminaires

2.  Sur les conséquences pour la présente affaire de l’annulation de la décision attaquée dans le cadre des affaires T‑265/04 et T‑292/04

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



* Langue de procédure : l’italien.