Language of document : ECLI:EU:T:1998:101

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

14 mai 1998 (1)

«Concurrence — Article 85, paragraphe 1, du traité CE — Notion d'accord — Échange d'informations — Injonction — Amende — Détermination du montant — Motivation — Circonstances atténuantes — Droits de la défense — Coopération durant la procédure administrative — Principe d'égalité de traitement»

Dans l'affaire T-347/94,

Mayr-Melnhof Kartongesellschaft mbH, société de droit autrichien, établie à Vienne, représentée initialement par Mes Otfried Lieberknecht, Burkhard Richter, Klaus Benner, avocats à Düsseldorf, et Michel Waelbroeck, avocat au barreau de Bruxelles, puis par Mes Michel Waelbroeck et Denis Waelbroeck, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Alex Bonn, 7, Val Sainte-Croix,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Bernd Langeheine et Richard Lyal, membres du service juridique, en qualité d'agents, assistés de Me Dirk Schroeder, avocat à Cologne, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët, Mme P. Lindh, MM. A. Potocki et J. D. Cooke, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    La présente affaire concerne la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision de la Commission du 26 juillet 1994 [C(94) 2135 final] (ci-après «décision»). La décision a infligé des amendes à 19 fabricants fournisseurs de carton dans la Communauté, du chef de violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

2.
    Le produit faisant l'objet de la décision est le carton. Trois types de carton, désignés comme relevant des qualités «GC», «GD» et «SBS», sont mentionnés dans la décision.

3.
    Le carton de qualité GD (ci-après «carton GD») est un carton à intérieur gris (papiers recyclés) qui sert habituellement à l'emballage de produits non alimentaires.

4.
    Le carton de qualité GC (ci-après «carton GC») est un carton présentant une couche extérieure blanche et servant habituellement à l'emballage de produits alimentaires. Le carton GC est d'une qualité supérieure à celle du carton GD. Dans la période couverte par la décision, il a généralement existé entre ces deux

produits un écart de prix d'environ 30 %. Dans une moindre mesure, le carton GC de haute qualité sert également à des utilisations graphiques.

5.
    SBS est le sigle utilisé pour désigner le carton entièrement blanc (ci-après «carton SBS»). Ce carton est un produit dont le prix est d'environ 20 % supérieur à celui du carton GC. Il sert à l'emballage des aliments, des produits cosmétiques, des médicaments et des cigarettes, mais il est destiné principalement à des utilisations graphiques.

6.
    Par lettre du 22 novembre 1990, la British Printing Industries Federation, organisation professionnelle qui représente la majorité des fabricants de boîtes imprimées du Royaume-Uni (ci-après «BPIF»), a déposé une plainte informelle auprès de la Commission. Elle a fait valoir que les fabricants de carton approvisionnant le Royaume-Uni avaient introduit une série de hausses de prix simultanées et uniformes et demandé à la Commission de vérifier l'existence d'une éventuelle infraction aux règles communautaires de la concurrence. Afin d'assurer la publicité de son initiative, la BPIF a publié un communiqué de presse. Le contenu de ce communiqué a été relaté par la presse professionnelle spécialisée dans le courant du mois de décembre 1990.

7.
    Le 12 décembre 1990, la Fédération française du cartonnage a également déposé une plainte informelle auprès de la Commission, dans laquelle elle présentait des observations relatives au marché français du carton en des termes analogues à ceux de la plainte déposée par la BPIF.

8.
    Les 23 et 24 avril 1991, des agents de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après «règlement n° 17»), ont procédé à des vérifications simultanées sans avertissement préalable dans les locaux de plusieurs entreprises et associations professionnelles du secteur du carton.

9.
    A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements et de documents au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à tous les destinataires de la décision.

10.
    Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements et de documents ont amené la Commission à conclure que les entreprises concernées avaient, du milieu de l'année 1986 à avril 1991 au moins (dans la plupart des cas), participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

11.
    En conséquence, elle a décidé d'engager une procédure en application de cette dernière disposition. Par lettre du 21 décembre 1992, elle a adressé une communication des griefs à chacune des entreprises concernées. Toutes les

entreprises destinataires y ont répondu par écrit. Neuf entreprises ont demandé à être entendues oralement. Leur audition a eu lieu du 7 au 9 juin 1993.

12.
    Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision, qui comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

Buchmann GmbH, Cascades SA, Enso-Gutzeit Oy, Europa Carton AG, Finnboard — the Finnish Board Mills Association, Fiskeby Board AB, Gruber & Weber GmbH & Co KG, Kartonfabriek De Eendracht NV (dont le nom commercial est BPB de Eendracht NV), NV Koninklijke KNP BT NV (anciennement Koninklijke Nederlandse Papierfabrieken NV), Laakmann Karton GmbH & Co KG, Mo Och Domsjö AB (MoDo), Mayr-Melnhof Gesellschaft mbH, Papeteries de Lancey SA, Rena Kartonfabrik AS, Sarrió SpA, SCA Holding Ltd [anciennement Reed Paper & Board (UK) Ltd], Stora Kopparbergs Bergslags AB, Enso Española SA (anciennement Tampella Española SA) et Moritz J. Weig GmbH & Co KG ont enfreint l'article 85 paragraphe 1 du traité CE en participant:

—    dans le cas de Buchmann et de Rena, de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990 au moins,

—    dans le cas de Enso Española, de mars 1988 au moins jusqu'à fin avril 1991 au moins,

—    dans le cas de Gruber & Weber, de 1988 au moins jusqu'à fin 1990,

—    dans les autres cas, à compter de mi-1986 jusqu'à avril 1991 au moins,

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne:

—    se sont rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence,

—    ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale,

—    ont planifié et mis en oeuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté européenne,

—    se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles,

—    ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en oeuvre desdites augmentations de prix concertées,

—    ont échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour les infractions constatées à l'article 1er:

[...]

xi)    Mayr-Melnhof Karton Gesellschaft mbH, une amende de 21 000 000 d'écus;

[...]»

13.
    Selon la décision, l'infraction s'est déroulée au sein d'un organisme dénommé «Groupe d'étude de produit Carton» (ci-après «GEP Carton»), composé de plusieurs groupes ou comités.

14.
    Cet organisme a été doté, au milieu de l'année 1986, d'un «Presidents Working Group» (ci-après «PWG») réunissant des représentants de haut niveau des principaux fournisseurs de carton de la Communauté (environ huit).

15.
    Le PWG avait notamment pour activités la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix et les capacités. En particulier, il a pris des décisions d'ordre général concernant le calendrier et le niveau des augmentations de prix à mettre en oeuvre par les fabricants.

16.
    Le PWG faisait rapport à la «President Conference» (ci-après «PC») à laquelle participait (plus ou moins régulièrement) la quasi-totalité des directeurs généraux des entreprises concernées. La PC s'est réunie deux fois par an pendant la période en cause.

17.
    A la fin de l'année 1987 a été créé le «Joint Marketing Committee» (ci-après «JMC»). Son objet principal consistait, d'une part, à déterminer si, et, dans l'affirmative, comment des augmentations de prix pouvaient être mises en oeuvre et, d'autre part, à définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent en Europe.

18.
    Enfin, le comité économique (ci-après «COE») débattait, notamment, des fluctuations de prix sur les marchés nationaux et des commandes en carnet et faisait rapport sur ses conclusions au JMC ou, jusqu'à la fin de l'année 1987, au prédécesseur du JMC, le Marketing Committee. Le COE était composé de directeurs commerciaux de la plupart des entreprises en cause et se réunissait plusieurs fois par an.

19.
    Il ressort, en outre, de la décision que la Commission a considéré que les activités du GEP Carton étaient soutenues par un échange d'informations par l'intermédiaire de la société fiduciaire Fides, dont le siège est à Zurich (Suisse). Selon la décision, la plupart des membres du GEP Carton fournissaient à la Fides des rapports périodiques sur les commandes, la production, les ventes et l'utilisation des capacités. Ces rapports étaient traités dans le cadre du système Fides et les données agrégées étaient envoyées aux participants.

20.
    La requérante Mayr-Melnhof Kartongesellschaft mbH (ci-après «Mayr-Melnhof») a participé, selon la décision, aux réunions des quatre organes du GEP Carton susmentionnés, soit le PWG, la PC, le JMC et le COE.

21.
    Pendant toute la période couverte par la décision, les activités de gestion et de commercialisation de Mayr-Melnhof et de FS-Karton, producteur de carton en Allemagne acquis par elle en 1984, ont été complètement intégrées. Pour ce motif, Mayr-Melnhof a été tenue pour responsable de la participation de FS-Karton à l'entente (point 150 des considérants de la décision).

22.
    Mayr-Melnhof a également été considérée comme responsable de la participation à l'infraction de sa filiale à 66 %, Deisswil, établie en Suisse, pour toute la durée de l'infraction (même point des considérants). Elle a enfin été considérée comme responsable de la participation à l'infraction de Mayr-Melnhof Eerbeek BV (ci-après «Eerbeek»), établie au Pays-Bas, qu'elle a acquise en septembre 1990. Sa responsabilité pour le comportement d'Eerbeek a été retenue à partir du 1er janvier 1990, date à laquelle l'acquisition a pris effet.

Procédure

23.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 octobre 1994, la requérante a introduit le présent recours.

24.
    Seize des dix-huit autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-295/94, T-301/94, T-304/94, T-308/94, T-309/94, T-310/94, T-311/94, T-317/94, T-319/94, T-327/94, T-334/94, T-337/94, T-338/94, T-348/94, T-352/94 et T-354/94).

25.
    La requérante dans l'affaire T-301/94, Laakmann Karton GmbH, s'est désistée de son recours par lettre déposée au greffe du Tribunal le 10 juin 1996, et l'affaire a

été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 18 juillet 1996, Laakmann Karton/Commission (T-301/94, non publiée au Recueil).

26.
    Quatre entreprises finlandaises, membres du groupement professionnel Finnboard et, à ce titre, tenues pour solidairement responsables du paiement de l'amende infligée à celui-ci, ont également introduit des recours contre la décision (affaires jointes T-339/94, T-340/94, T-341/94 et T-342/94).

27.
    Enfin, un recours a été introduit par une association CEPI-Cartonboard, non destinataire de la décision. Cependant, celle-ci s'est désistée par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 janvier 1997, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 6 mars 1997, CEPI-Cartonboard/Commission (T-312/94, non publiée au Recueil).

28.
    Par lettre du 5 février 1997, le Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, notamment en vue de présenter leurs observations sur la jonction éventuelle des affaires T-295/94, T-304/94, T-308/94, T-309/94, T-310/94, T-311/94, T-317/94, T-319/94, T-327/94, T-334/94, T-337/94, T-338/94, T-347/94, T-348/94, T-352/94 et T-354/94 aux fins de la procédure orale. Lors de cette réunion, qui a eu lieu le 29 avril 1997, les parties ont accepté une telle jonction.

29.
    Par ordonnance du 4 juin 1997, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 50 du règlement de procédure, et a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-334/94.

30.
    Par ordonnance du 20 juin 1997, il a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-337/94 relativement à un document produit en réponse à une question par écrit du Tribunal.

31.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a pris des mesures d'organisation de la procédure en demandant aux parties de répondre à certaines questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

32.
    Les parties dans les affaires mentionnées au point 28 ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997.

Conclusions des parties

33.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler l'article 1er de la décision;

—    annuler l'article 2 de la décision;

—    annuler l'article 3 de la décision ou réduire le montant de l'amende fixé par cette disposition;

—    condamner la Commission aux dépens.

34.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la requérante aux dépens.

Sur la demande d'annulation de l'article 1er de la décision

A — Sur les moyens tirés de la violation des formes substantielles

Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 190 du traité

Arguments des parties

35.
    La requérante rappelle que l'obligation de motivation a pour but de protéger les justiciables et de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle juridictionnel (arrêt de la Cour du 20 mars 1959, Nold/Haute Autorité, 18/57, Rec. p. 89). La Commission serait tenue de mentionner, en particulier, les éléments de fait et de droit qui l'ont amenée à prendre sa décision et dont dépend la justification légale de celle-ci.

36.
    En outre, elle ne pourrait s'abstenir de répondre qu'à ceux des arguments des destinataires de la décision qui lui semblent dénués de tout fondement (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Chemie Linz/Commission, T-15/89, Rec. p. II-1275, point 328). En l'espèce, elle aurait enfreint ce principe, car elle aurait omis de répondre à plusieurs des arguments principaux de la requérante.

37.
    Elle aurait, pour l'essentiel, ignoré l'argumentation selon laquelle les prétendus accords et pratiques concertées n'avaient pas eu de répercussions sensibles sur la situation du marché. Cette argumentation aurait été fondée sur une étude approfondie, le rapport de London Economics (ci-après «rapport LE»). La décision (point 115 des considérants) n'apporterait aucune réponse aux thèses avancées dans ce rapport.

38.
    De plus, la Commission aurait omis d'examiner les particularités du marché telles qu'exposées par la requérante tant dans sa réponse à la communication des griefs que lors de l'audition devant la Commission. Les augmentations régulières des tarifs, qui constitueraient un usage dans le secteur, ne seraient mentionnées dans la décision que comme un élément de fait contribuant à prouver l'existence de la

prétendue entente (points 18 à 20 des considérants). Par cette manière de procéder, la Commission aurait omis, en violation de l'article 190 du traité, de prendre position sur les explications de la requérante.

39.
    Enfin, la Commission aurait retenu une définition erronée du bénéfice.

40.
    La partie défenderesse rappelle qu'une décision est suffisamment motivée lorsqu'elle mentionne les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la mesure et les considérations qui l'ont amenée à prendre sa décision (arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Atochem/Commission, T-3/89, Rec. p. II-1177, point 222). Ces exigences seraient pleinement satisfaites en l'espèce.

41.
    Elle soutient avoir pris position sur le rapport LE non seulement au point 115 des considérants de la décision, mais également aux points 16, 21 et 101 des considérants. La décision contiendrait également une description approfondie du marché du carton (points 6 à 21 des considérants). En particulier, la Commission aurait examiné tant les besoins en investissements du marché (point 13 des considérants) que l'habitude du secteur de procéder à des augmentations simultanées des tarifs à certains moments de l'année (point 18 des considérants).

Appréciation du Tribunal

42.
    Il ressort d'une jurisprudence constante que l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. p. II-1799, point 51). Si, en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la décision et les considérations qui l'ont amenée à prendre celle-ci, il n'est pas exigé qu'elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés au cours de la procédure administrative (voir, notamment, arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 66).

43.
    En l'espèce, la décision contient une motivation détaillée des raisons pour lesquelles la Commission a considéré qu'il n'y avait pas lieu d'accueillir l'argumentation de certaines entreprises, dont la requérante, selon laquelle l'infraction constatée n'aurait pas eu d'effets sur le marché (voir, en particulier, points 101, 102 et 115 des considérants de la décision). De même, les particularités du marché invoquées par la requérante ont toutes été examinées dans la décision (voir, notamment, points 13 et 18 des considérants).

44.
    Enfin, dans la mesure où l'argumentation de la requérante visant à contester l'exactitude de l'appréciation portée par la Commission relativement au bénéfice réalisé par les producteurs du secteur (voir ci-dessus point 39) relève de l'examen du bien-fondé de la décision, elle est, dans le présent contexte, dénuée de pertinence.

45.
    Le présent moyen doit donc être rejeté.

Sur le moyen tiré d'une violation des exigences de preuve du droit communautaire

46.
    La requérante fait valoir que la Commission a méconnu les exigences de preuve du droit communautaire, dans la mesure où elle se serait fondée sur de simples présomptions et suppositions et sur des théories empiriques imaginaires. En particulier, la Commission aurait surestimé la valeur probante des déclarations de Stora, compte tenu du fait que cette entreprise assumait, selon les propres dires de la Commission, la responsabilité principale des prétendues infractions (point 46 des considérants de la décision).

47.
    Cette argumentation de la requérante vise en réalité à contester l'appréciation de la Commission des éléments de preuve invoqués dans la décision. Une telle argumentation relevant de l'examen du bien-fondé de la décision, le présent moyen doit être rejeté.

B — Sur les moyens tirés de la violation de règles de fond

Sur le moyen tiré d'une absence d'accords en matière de prix

Arguments des parties

48.
    La requérante expose, tout d'abord, certaines particularités du marché du carton qui seraient essentielles pour comprendre la manière dont se forment les tarifs et les prix de transaction. Afin de pouvoir répercuter d'éventuelles augmentations des prix du carton sur leurs clients, les transformateurs auraient toujours exigé que les producteurs de carton fixassent leurs prix pour chaque semestre et que les intentions des producteurs, relativement aux augmentations de prix, leur fussent communiquées au moins deux mois à l'avance. Les transformateurs auraient exigé que les éventuelles augmentations de prix du carton fussent de l'ordre d'au moins 5 %.

49.
    Les réunions entre les producteurs de carton n'auraient donc pas eu la signification que la Commission leur attribue. En effet, les idées que les producteurs se seraient faites quant au montant de chaque augmentation de prix auraient été influencées par les augmentations de coûts qui les auraient tous touchés de façon plus ou moins identique. Toutes les augmentations de prix auraient été absolument nécessaires en raison des augmentations des coûts de production.

50.
    De plus, les producteurs n'auraient pas été obligés de se rallier à la décision d'augmenter les prix d'un certain montant prise par un seul producteur. Cependant, il serait habituel sur ce type de marché de biens de masse, plus ou moins homogènes, de vendre à des tarifs uniformes, ce qui impliquerait que la concurrence effective joue dans les négociations individuelles avec les clients.

51.
    La transparence des initiatives en matière de prix aurait été assurée par le marché car, une fois les lettres d'annonce des augmentations de prix envoyées, les producteurs auraient pu avoir connaissance des initiatives envisagées par d'autres producteurs au cours du délai préalable suffisant exigé par les transformateurs, ainsi que de la réaction des acheteurs avant de prendre eux-mêmes la décision de s'y associer ou non. Elle ajoute que la Commission n'a pas soutenu qu'il existât des restrictions de concurrence affectant les négociations individuelles en matière de prix avec les acheteurs.

52.
    La Commission aurait omis de tenir compte du fait que la demande de carton est exclusivement déterminée par la demande de biens à emballer. Dès lors, un producteur déterminé ne pourrait même pas nécessairement gagner des parts de marché au moyen d'une baisse de ses prix, étant donné que les transformateurs se sont souvent adaptés aux qualités de carton de leur fournisseur habituel et qu'ils peuvent l'amener, sans grandes difficultés, à baisser également ses prix.

53.
    Enfin, les lourds investissements nécessaires dans le secteur du carton n'auraient pas été pris en considération de manière appropriée par la Commission.

54.
    La requérante fait valoir ensuite, que, selon la jurisprudence, il n'y a accord au sens de l'article 85 du traité que lorsque les entreprises ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (arrêt Chemie Linz/Commission, précité, point 301). Par conséquent, la notion d'accord présupposerait intrinsèquement l'existence d'une obligation consistant en la volonté effective des participants de se lier, obligation qui ne devrait pas nécessairement être juridiquement contraignante. Pour constater l'existence d'un accord, il faudrait au moins exiger que les intéressés assument une obligation morale de se comporter d'une manière conforme à ce qu'ils ont convenu. Cependant, la Commission n'aurait même pas affirmé, dans la décision, que les entreprises s'étaient engagées en fait à adopter un comportement déterminé visant à restreindre la concurrence.

55.
    La requérante admet qu'elle a participé à des échanges d'informations sur les augmentations de tarifs envisagées et que cet échange d'informations peut être considéré comme une pratique concertée restreignant la concurrence. Toutefois, les éléments de preuve invoqués par la Commission aux points 74 et suivants des considérants de la décision n'établiraient pas l'existence d'accords. En particulier, la deuxième déclaration de Stora (annexe 39 à la communication des griefs), sur laquelle s'appuie la Commission, ne contiendrait aucun indice de l'existence de tels accords. D'ailleurs, les déclarations de Stora n'auraient aucune valeur probante.

56.
    En outre, le fait que les producteurs aient procédé à des augmentations de prix sensiblement uniformes, entrées en vigueur plus ou moins simultanément, ne constituerait pas la preuve de l'existence d'accords contraignants en matière de prix. Ces éléments ne refléteraient que les conditions particulières du marché en cause.

57.
    Enfin, la requérante conteste l'existence d'un lien de causalité entre les discussions sur les augmentations des tarifs et les augmentations des prix de transaction observées sur le marché et elle conteste, par conséquent, que les augmentations effectives de prix puissent être considérées comme démontrant l'existence d'accords en matière de prix.

58.
    La Commission fait valoir qu'il ressort de la jurisprudence que, pour qu'il y ait accord au sens de l'article 85, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (voir arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711, point 256).

59.
    Elle souligne avoir exposé en détail, aux points 72 à 90 des considérants de la décision, les preuves démontrant la nature de l'infraction en cause. Selon ces preuves, les fabricants de carton se seraient entendus à l'avance, dans le cadre du PWG, sur l'ampleur de chaque augmentation de prix et se seraient mis d'accord sur celui d'entre eux qui annoncerait le premier chacune des augmentations, sur la date de cette annonce ainsi que sur les dates auxquelles les autres fabricants suivraient en envoyant leurs propres lettres d'annonce des augmentations de prix (point 73 des considérants de la décision).

60.
    Dans ces conditions, l'argumentation de la requérante selon laquelle la périodicité et la nature des annonces des augmentations de prix s'expliqueraient par les souhaits des clients ne contredirait pas l'existence d'accords. Son argumentation relative à la transparence du marché créée par les lettres d'annonce des augmentations de prix et aux caractéristiques du marché ne serait pas non plus pertinente, car il serait établi que les entreprises avaient convenu les augmentations de prix à l'avance.

61.
    En outre, la Commission relève que la collusion sur les prix faisait partie d'un plan global. En effet, dans un système d'accords aussi complexe, les différentes mesures devraient être jugées dans leur ensemble, en fonction de l'objectif global de l'entente (point 128 des considérants de la décision). Eu égard à la concrétisation croissante des conventions, à la planification et à la réalisation commune des initiatives en matière de prix et à l'accord sur les parts de marché et le contrôle des volumes, la Commission maintient ses conclusions, exposées aux points 131 et 132 des considérants, selon lesquelles l'infraction devait être qualifiée de pratique concertée dès le second semestre de 1986, et présentait, à partir de la fin de l'année 1987, toutes les caractéristiques d'un véritable accord au sens de l'article 85 du traité.

62.
    Enfin, elle soutient que les augmentations de prix ont eu un effet sur les prix effectivement pratiqués.

Appréciation du Tribunal

63.
    La requérante admet sa participation à une concertation sur les augmentations de prix envisagées.

64.
    Selon la décision, les entreprises mentionnées à l'article 1er de celle-ci avaient fixé, «dans le cadre d'un accord, des augmentations régulières des prix à appliquer sur chaque marché national» (point 130, deuxième alinéa, troisième tiret, des considérants). Comme cela a été rappelé par la Commission (ci-dessus point 61), elle a considéré qu'un accord existait à partir de la fin de l'année 1987.

65.
    En vertu d'une jurisprudence constante, pour qu'il y ait accord, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (voir, notamment, arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 112, et Van Landewyck e.a./Commission, précité, point 86, et arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, point 256). Dans ces conditions, il est sans pertinence d'examiner, contrairement à ce que soutient la requérante, si les entreprises en cause se sont considérées tenues — juridiquement, factuellement ou moralement — d'adopter le comportement convenu.

66.
    Il convient donc de vérifier si la Commission a prouvé que les entreprises destinataires de la décision avaient exprimé leur volonté commune d'adopter, en matière de prix, un comportement déterminé sur le marché.

67.
    Quant aux initiatives en matière de prix, Stora déclare notamment (annexe 39 à la communication des griefs, points 27, 28 et 30):

«[...] en 1987, la capacité et la consommation étaient quasiment en équilibre. Cette année-là, la capacité était supérieure de 5 % à la consommation. Cet écart (qui était de loin inférieur à ce que l'industrie elle-même avait réalisé jusqu'alors) a donné au PWG l'opportunité de trouver un accord sur des augmentations de prix à compter de 1987 avec la quasi-certitude que ces augmentations seraient mises en oeuvre avec succès. Lorsque cette opportunité s'est présentée, la préoccupation des fabricants était de récupérer les pertes subies au cours des années précédentes.

Le PWG a considéré qu'il convenait de mettre en oeuvre une première augmentation de 10 % en 1988. Cela représentait, par exemple, une augmentation de 50 FF pour 100 kilogrammes pour les qualités GC et de 35 FF pour 100 kilogrammes de qualités GD sur le marché français. Des augmentations similaires ont été mises en oeuvre dans d'autres pays. Par la suite, des augmentations ont été

acceptées à des taux similaires en termes absolus, ce qui réduisait donc la proportion d'augmentation.

[...]

Le PWG discutait et se mettait d'accord sur l'identité du fabricant qui annoncerait, en premier, chaque augmentation de prix et sur les dates auxquelles les autres fabricants principaux annonceraient leurs augmentations. Le schéma n'était pas le même à chaque fois.»

68.
    Elle ajoute (annexe 39 à la communication des griefs, points 13 et 14):

«[...] le JMC avait notamment pour objectif de procéder à une tarification comparée pour certains gros clients et d'élaborer les modalités de la mise en oeuvre pays par pays des décisions en matière de prix adoptées par le PWG tant pour les qualités GC que pour les qualités GD.

Le JMC discutait, marché par marché, de la mise en oeuvre détaillée des décisions en matière de prix adoptées par le PWG et en faisait le compte rendu à ce dernier.»

69.
    Dès lors, selon Stora, les entreprises réunies au sein du PWG et du JMC exprimaient leur volonté commune de procéder à des augmentations de prix identiques et simultanées sur les différents marchés nationaux.

70.
    Les déclarations de Stora sont, sur ce point, étayées par plusieurs preuves documentaires invoquées par la Commission aux points 74 et suivants des considérants de la décision.

71.
    A cet égard, il suffit de se référer aux trois listes de prix mentionnées aux points 79, 80 et 83 des considérants de la décision. Les listes, obtenues par la Commission auprès de Rena (annexes 110 et 111 à la communication des griefs) et auprès de Finnboard (UK) Ltd, contiennent des indications, pour plusieurs types de carton et pour plusieurs pays communautaires, sur les dates et les montants précis des augmentations de prix mises en oeuvre par les entreprises en cause respectivementen avril 1989, en septembre/octobre 1989 et en avril 1990. Les indications contenues dans les trois listes de prix correspondent, quant aux montants des augmentations de prix et quant aux dates de leur mise en oeuvre, aux comportements effectifs constatés des entreprises concernées sur le marché (voir tableaux D, E et F annexés à la décision).

72.
    De plus, la Commission a obtenu auprès de Rena des notes manuscrites portant sur une réunion du JMC du 6 septembre 1990 (annexe 118 à la communication des griefs), qui contiennent notamment le passage suivant:

«Une augmentation de prix sera annoncée la semaine prochaine, en septembre.

France            40 FF

Pays-Bas            14

Allemagne            12 DM

Italie                80 LIT

Belgique            2,50 BFR

Suisse                9 FS

Royaume-Uni        40 UKL

Irlande            45 IRL

Toutes les qualités devraient faire l'objet de la même augmentation, GD, UD, GT, GC, etc.

Une seule augmentation de prix par an.

Pour les livraisons à partir du 7 janvier.

Au plus tard le 31 janvier.

Lettre du 14 septembre avec augmentation de prix (Mayr-Melnhof).

19 septembre, envoi par Feldmühle de sa lettre.

Cascades avant fin septembre.

Tous doivent avoir envoyé leur lettre avant le 8 octobre.»

73.
    La requérante ne conteste pas que les trois listes de prix susmentionnées se rapportent à une concertation en matière de prix, ni que l'annexe 118 à la communication des griefs se rapporte à la réunion du JMC du 6 septembre 1990.

74.
    Par conséquent, sans qu'il soit nécessaire d'examiner d'autres éléments de preuve, le Tribunal considère que la Commission a prouvé que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG et du JMC avaient exprimé leur volonté commune de procéder à des augmentations de prix uniformes et simultanées. La Commission était donc en droit de qualifier d'accord les concours de volontés intervenus entre la requérante et d'autres producteurs de carton sur les initiatives en matière de prix à partir de la fin de l'année 1987.

75.
    Dans ces conditions, les arguments de la requérante tirés des prétendues particularités du marché du carton, d'une part, et de l'absence de lien de causalité entre les augmentations des tarifs et les augmentations des prix de transaction, d'autre part, sont dénués de pertinence. En effet, à supposer même que les affirmations factuelles avancées par la requérante dans le cadre de ces arguments soient fondées, cela ne serait pas de nature à mettre en cause la qualification d'accord de l'infraction commise par la requérante en matière de prix à partir de la fin de l'année 1987.

76.
    Il convient donc de rejeter le présent moyen.

Sur le moyen tiré d'une absence d'accord et de pratique concertée relatifs à la prétendue politique de «prix avant le tonnage»

Arguments des parties

77.
    Les arguments de la requérante se rangent en trois catégories.

78.
    En premier lieu, la requérante développe une argumentation sur l'absence d'accord et de pratique concertée relatifs au maintien des parts de marché à un niveau constant.

79.
    Elle soutient que les affirmations de la Commission relatives à la prétendue concertation sur le «gel» des parts de marché des principaux producteurs de carton sont uniquement fondées sur les déclarations de Stora et sur la note confidentielle, datée du 28 décembre 1988, trouvée chez FS-Karton (annexe 73 à la communication des griefs). Cependant, ces documents ne contiendraient aucune information de nature à établir l'existence d'un accord ou d'une pratique concertée ayant pour objet un «gel» des parts de marché.

80.
    L'annexe 73 à la communication des griefs ne serait qu'un rapport de situation générale rédigé par le directeur commercial de FS-Karton et destiné à justifier, auprès de la direction du groupe, la stagnation du chiffre d'affaires de FS-Karton. A cet égard, il ressortirait de cette note que le directeur commercial avait émis des réserves à l'égard de la nouvelle politique de vente du groupe, laquelle aurait consisté à imposer aux filiales une discipline des prix absolue, même si cela devait impliquer une diminution des volumes vendus. La note prouverait qu'une telle décision avait été prise par la direction du groupe et qu'elle avait été imposée au directeur commercial de FS-Karton. Ce dernier n'aurait d'ailleurs pas eu connaissance du contenu des discussions menées au sein du GEP Carton.

81.
    Quant aux déclarations de Stora, elles ne contiendraient aucun élément de nature à prouver l'existence du prétendu accord de base sur une politique dite de «prix avant le tonnage». En effet, la deuxième déclaration de Stora n'évoquerait que des «discussions» concernant les parts de marché (annexe 39 à la communication des griefs, p. 4 et 11). De même, la troisième déclaration de Stora (annexe 43 à la communication des griefs) se référerait à des «discussions» et à des «understandings» (p. 1 et 2). En outre, il serait question non pas d'un accord de base mais de plusieurs accords isolés fondés sur les chiffres de l'année précédente, accords d'ailleurs non confirmés par d'autres documents. Stora n'aurait pas employé le terme «accord» au sens particulier de l'article 85 du traité (voir ci-dessus points 54 et suivants), car elle aurait déclaré que les «accords» passés par les producteurs n'étaient pas contraignants et n'étaient respectés que s'ils satisfaisaient leur intérêt propre (annexe 39 à la communication des griefs, p. 4, et point 59 des considérants de la décision).

82.
    De plus, la crédibilité des déclarations de Stora serait douteuse, étant donné que la coopération de cette entreprise avec la Commission pourrait être expliquée par des discussions sur le montant de la réduction de l'amende accordée en guise de contrepartie.

83.
    Enfin, la note manuscrite du 11 janvier 1990 trouvée chez le directeur des ventes de FS-Karton (annexe 113 à la communication des griefs, points 84 à 86 des considérants de la décision) aurait été rédigée pour préparer un rapport interne destiné à la direction de Mayr-Melnhof et les renseignements qui y sont contenus seraient fondés sur des suppositions personnelles du directeur ainsi que sur des informations obtenues lors de discussions avec des collègues et des clients. Les autres documents mentionnés par la Commission ne viendraient pas au soutien de ses allégations.

84.
    En second lieu, la requérante tire argument de l'évolution de ses parts de marché. Elle relève à cet égard que l'augmentation des capacités de FS-Karton de 200 000 tonnes/an en 1990 atteste que son intention était d'accroître sa part de marché sur le territoire où elle avait ses principaux débouchés, à savoir le marché communautaire. Le fait qu'elle ait exporté vers des marchés non communautaires n'aurait rien à voir avec un contrôle effectif de l'offre mais correspondrait aux règles élémentaires d'un comportement conforme aux données du marché. En effet, la politique de «prix avant le tonnage» qu'elle avait menée aurait été fondée sur une décision autonome visant à ne pas provoquer un effondrement général des prix sur le marché communautaire.

85.
    En outre, les parts de marché des différents producteurs, y compris les siennes, auraient également évolué. Elle conteste l'analyse de la Commission selon laquelle les fluctuations des parts de marché s'expliquaient par le fait que les parts de marché n'étaient pas figées mais périodiquement adaptées et renégociées et que les discussions sur les parts de marché reprenaient chaque année sur une nouvelle base. En effet, il n'existerait aucune preuve de ces affirmations ni de l'affirmation de la Commission selon laquelle les producteurs accroissant leur part de marché avaient été rappelés à l'ordre.

86.
    En troisième lieu, la requérante développe une argumentation relative aux temps d'arrêt et à l'évolution des volumes de production.

87.
    Tout d'abord, la Commission n'aurait pas tenu dûment compte du fait que le marché européen du carton est un marché d'acheteurs. Elle évoque, dans ce contexte, les caractéristiques des relations entre les producteurs et leurs clients.

88.
    Ensuite, elle allègue que la Commission n'a pas fourni la moindre preuve d'un arrangement entre les grands fabricants sur les temps d'arrêt. Ces allégations ne reposeraient que sur quelques vagues insinuations contenues dans la deuxième déclaration de Stora. En outre, la Commission n'aurait jamais répondu à son

argument selon lequel elle avait toujours utilisé au maximum ses capacités de production, argument pourtant corroboré par un tableau sur l'utilisation de ses capacités, annexé à sa requête. Les temps d'arrêt effectifs des machines constatés en 1990 dans les usines du groupe Mayr-Melnhof auraient été justifiés par la mise en service d'une nouvelle machine, des travaux d'entretien, des essais et des travaux de transformation.

89.
    En réponse à l'argumentation de la requérante, la Commission se réfère, pour l'essentiel, aux constatations contenues dans la décision au sujet de la politique de «prix avant le tonnage» (points 51 à 60 des considérants). Elle renvoie aussi à la deuxième déclaration de Stora (annexe 39 à la communication des griefs, en particulier p. 3, 12, 14 et 15).

90.
    En ce qui concerne plus particulièrement le «gel» des parts de marché existantes des principaux fabricants, elle fait valoir qu'il s'agissait d'un élément nécessaire de la politique de «prix avant le tonnage» visant à contrôler la politique effectivement menée par les membres de l'entente en matière de quantités. La preuve de l'existence d'une concertation relative au «gel» des parts de marché serait apportée notamment par la note confidentielle trouvée chez FS-Karton (annexe 73 à la communication des griefs). Au surplus, elle rappelle que la décision mentionne toute une série d'autres éléments de preuve dont Mayr-Melnhof ne fait aucune mention et qui corroborent très exactement les indications contenues dans la deuxième déclaration de Stora ainsi que dans la note confidentielle de FS-Karton (voir points 84, 87, 94 et 95 des considérants de la décision ainsi que les documents qui y sont discutés).

91.
    S'agissant des déclarations de Stora, la Commission répète qu'un concours de volontés en vue d'un comportement futur sur le marché constitue une infraction à l'article 85 du traité. Ces déclarations seraient corroborées sur tous les points importants par d'autres documents et il n'y aurait, par conséquent, pas lieu de douter de leur crédibilité. Par ailleurs, elle conteste avoir eu un accord avec Stora au sujet du niveau de l'amende et de la réduction à espérer en raison de sa coopération.

92.
    Quant à l'augmentation des capacités de la requérante, la Commission souligne que la consommation de carton en Europe occidentale a augmenté de 18,6 % entre 1987 et 1990, ce qui signifierait qu'une certaine augmentation des capacités du secteur était indispensable pour satisfaire à l'augmentation de la demande. Toutefois, ce développement des capacités, notamment du fait de la mise en service d'une nouvelle machine chez FS-Karton, ne se serait pas nécessairement accompagné d'un glissement des parts de marché.

93.
    Rien ne permettrait d'établir que la production résultant des capacités nouvellement créées chez FS-Karton ait été écoulée sur le marché communautaire. Selon les documents fournis par la requérante, d'une part, sa part de marchén'aurait augmenté, entre 1987 et 1991, que de 0,6 % pour les qualités GD et de

0,3 % pour les qualités GC et, d'autre part, la nouvelle capacité créée chez FS-Karton n'aurait entraîné aucune augmentation de ses parts de marché. La Commission affirme que la requérante a, ainsi qu'elle l'admettrait elle-même, procédé à des exportations vers des pays tiers afin d'éviter une chute des prix sur le marché communautaire, ce qui correspondrait exactement aux objectifs suivis par la politique de «prix avant le tonnage».

94.
    Par ailleurs, même une augmentation des parts de marché de la requérante n'excuserait pas sa participation à des conversations au cours desquelles les parts de marché des principaux fabricants de carton étaient déterminées chaque année (point 60 des considérants de la décision).

95.
    Enfin, en ce qui concerne les arrêts de la production, la Commission soutient que les documents produits par la requérante durant la procédure contentieuse attestent que, notamment en 1990, le taux d'utilisation de certaines usines avait considérablement diminué par rapport à celui des années précédentes et que, en 1991, le taux d'utilisation de l'usine de Hirschwang avait également considérablement diminué par rapport aux années précédentes.

96.
    Il serait en tout état de cause sans pertinence de savoir si la requérante avait effectivement produit au maximum de sa capacité. Étant donné, d'une part, qu'il se serait agi d'un système d'accords complexe visant notamment au contrôle de l'offre et à la répartition des marchés dans la Communauté et, d'autre part, que la requérante aurait participé aux réunions du PWG au cours desquelles la politique en cause avait été déterminée, la requérante serait responsable de l'ensemble de l'infraction commise par les fabricants (arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, ICI/Commission, T-13/89, Rec. p. II-1021, points 256 à 261 et 305, et Hercules Chemicals/Commission, précité, point 272).

Appréciation du Tribunal

1. Sur l'existence d'une concertation visant à geler les parts de marché et d'une concertation visant à contrôler l'offre

97.
    Aux termes de l'article 1er de la décision, les entreprises visées par cette disposition ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant, durant la période de référence, à un accord et une pratique concertée en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté «se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles», et «ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en oeuvre desdites augmentations de prix concertées».

98.
    D'après la Commission, ces deux catégories de collusion, appréhendées dans la décision sous le titre «régulation des volumes», ont été initiées durant la période de référence par les participants aux réunions du PWG. En effet, il ressort du point 37, troisième alinéa, des considérants de la décision que la véritable tâche du PWG, telle que décrite par Stora, «consistait notamment dans 'la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix ainsi que les hausses de prix et les capacités‘».

99.
    Quant au rôle du PWG en ce qui concerne la collusion sur les parts de marché, la décision (point 37, cinquième alinéa, des considérants) relève: «En corrélation avec les mesures relatives aux augmentations de prix, le PWG a débattu de manière approfondie des parts du marché d'Europe occidentale détenues par les groupements nationaux et les groupes de fabricants individuels. Il en est résulté certains 'arrangements‘ entre les participants concernant leurs parts respectives du marché, l'objectif étant d'éviter que les initiatives concertées en matière de prix soient compromises par un excédent d'offre. En fait, les grands groupes de fabricants ont convenu de maintenir leur part du marché au niveau correspondant aux chiffres de vente et de production communiqués chaque année et publiés sous leur forme définitive par la Fides au mois de mars de l'année suivante. Les évolutions des parts du marché étaient analysées à chaque réunion du PWG sur la base des résultats mensuels de la Fides et, en cas de variations importantes, des explications étaient demandées à l'entreprise présumée responsable.»

100.
    Selon le point 52 des considérants, «l'accord conclu au sein du PWG en 1987 prévoyait le 'gel‘ au niveau existant des parts de marché détenues par les principaux producteurs en Europe occidentale, ainsi que l'absence de toute tentative d'acquérir de nouveaux clients ou d'améliorer leur position existante par une politique agressive en matière de prix».

101.
    Le point 56, premier alinéa, des considérants souligne: «L'accord de base conclu entre les principaux producteurs pour le maintien de leurs parts respectives de marché a continué d'être appliqué pendant toute la période couverte par la présente décision.» Selon le point 57, «'l'évolution des parts de marché‘ était examinée à chaque réunion du PWG sur la base des statistiques provisoires». Enfin, le point 56, dernier alinéa, souligne: «Les entreprises qui participaient aux discussions sur les parts du marché étaient les membres du PWG, à savoir: Cascades, Finnboard, KNP (jusqu'en 1988), [Mayr-Melnhof], MoDo, Sarrió, les deux producteurs du groupe Stora, CBC et Feldmühle, et (à partir de 1988) Weig.»

102.
    Il y a lieu de considérer que la Commission a correctement établi l'existence d'une collusion sur les parts de marché entre les participants aux réunions du PWG.

103.
    En effet, l'analyse de la Commission repose essentiellement sur les déclarations de Stora (annexes 39 et 43 à la communication des griefs) et se trouve confortée par l'annexe 73 à la communication des griefs.

104.
    Dans l'annexe 39 à la communication des griefs, Stora explique: «Le PWG s'est réuni à partir de 1986 afin de contribuer à réguler le marché. [...] Entre autres activités (légitimes), il avait pour objet la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix ainsi que les hausses de prix, la demande et les capacités. Son rôle consistait notamment à évaluer l'état précis de l'offre et de la demande sur le marché ainsi que les mesures à prendre pour le réguler, et à présenter cette évaluation à la President Conference.»

105.
    S'agissant plus spécifiquement de la collusion sur les parts de marché, Stora indique que «les parts acquises par les groupes nationaux de la Communauté européenne, de l'AELE et d'autres pays fournis par les membres du GEP Carton étaient examinées au sein du PWG» et que le PWG «discutait de la possibilité de maintenir les parts de marché à leur niveau de l'année précédente» (annexe 39 à la communication des griefs, point 19). Elle signale par ailleurs (même document, point 6) que des «discussions relatives aux parts de marché des fabricants en Europe ont également eu lieu au cours de cette période, la première période de référence étant les niveaux de 1987».

106.
    Dans sa réponse à une demande de la Commission du 23 décembre 1991 envoyée le 14 février 1992 (annexe 43 à la communication des griefs), Stora précise encore: «Les ententes sur les niveaux de part de marché conclues par les membres du PWG concernaient l'Europe dans son ensemble. Ces ententes étaient basées sur les chiffres annuels totaux de l'année antérieure, lesquels étaient habituellement disponibles de façon définitive dès le mois de mars de l'année suivante.» (Point 1.1.)

107.
    Cette affirmation est confirmée dans le même document en ces termes: «[...] les discussions débouchaient sur des ententes, conclues en règle générale en mars de chaque année, entre les membres du PWG avec pour objectif le maintien de leurs parts de marché au niveau de l'année précédente.» (Point 1.4.) Stora révèle qu'«aucune mesure n'était prise pour assurer le respect des ententes» et que les participants aux réunions du PWG «étaient conscients que, s'ils prenaient des positions exceptionnelles sur certains marchés fournis par d'autres, ces derniers feraient la même chose sur d'autres marchés» (même point).

108.
    Enfin, elle déclare que Mayr-Melnhof a pris part aux discussions relatives aux parts de marché (point 1.2).

109.
    Les affirmations de Stora concernant la collusion sur les parts de marché sont étayées par l'annexe 73 à la communication des griefs. Ce document trouvé chez FS-Karton est une note confidentielle datée du 28 décembre 1988 adressée par le directeur commercial responsable des ventes du groupe Mayr-Melnhof/FS-Karton en Allemagne (M. Katzner) au directeur général de Mayr-Melnhof en Autriche (M. Gröller) et ayant pour objet la situation du marché.

110.
    Selon ce document, cité aux points 53 à 55 des considérants de la décision, la coopération plus étroite au sein du «cercle des présidents» («Präsidentenkreis»), décidée en 1987, a fait des «gagnants» et des «perdants». L'auteur de la note classe la requérante dans la catégorie des perdants pour diverses raisons, notamment les suivantes:

«2)    Un accord n'a pu être conclu qu'en nous infligeant une 'sanction‘ — on a exigé de nous que nous fassions des 'sacrifices‘.

3)    Les parts de marché de 1987 devaient être 'gelées‘, les contacts existants devaient être maintenus et aucune activité ou qualité nouvelles ne devaient être conquises en pratiquant des prix promotionnels (le résultat sera visible en janvier 1989 — si toutes les parties prenantes sont loyales).»

111.
    Ces phrases doivent être lues dans le contexte plus général de la note.

112.
    A cet égard, l'auteur de celle-ci évoque, en guise d'introduction, la coopération plus étroite à l'échelle européenne au sein du «cercle des présidents». Cette expression a été interprétée par la requérante comme visant à la fois le PWG et la PC dans un contexte général, c'est-à-dire sans référence à un événement ou à une réunion particulière (annexe 75 à la communication des griefs, point 2.a).

113.
    L'auteur indique ensuite que cette coopération a conduit à la «discipline des prix», laquelle a fait des «gagnants» et des «perdants».

114.
    C'est donc dans le contexte de cette discipline décidée par le «cercle des présidents» qu'il y a lieu de comprendre l'expression se rapportant aux parts de marché devant être gelées aux niveaux de 1987.

115.
    En outre, le renvoi à 1987 comme année de référence est conforme à la deuxième déclaration de Stora (annexe 39 à la communication des griefs; voir point 105 ci-dessus).

116.
    Quant au rôle joué par le PWG dans la collusion sur le contrôle de l'approvisionnement, que caractérisait l'examen des temps d'arrêt des machines, la décision énonce que le PWG a joué un rôle déterminant dans la mise en oeuvre des temps d'arrêt lorsque, à partir de 1990, la capacité de production s'est accrue et que la demande a décliné: «[...] au début de 1990, les principaux fabricants [...] ont jugé utile de se concerter dans le cadre du PWG sur la nécessité d'appliquer des temps d'arrêt. Les grands producteurs ont reconnu qu'ils ne pouvaient accroître la demande en réduisant les prix et que maintenir la production à pleine capacité ne ferait que faire baisser les prix. En théorie, les temps d'arrêt nécessaires pourrétablir l'équilibre entre l'offre et la demande pouvaient être calculés sur la base des rapports concernant les capacités [...]» (Point 70 des considérants de la décision.)

117.
    La décision relève en outre: «Le PWG n'indiquait cependant pas formellement le temps d'arrêt à respecter par chaque producteur. Selon Stora, l'établissement d'un plan coordonné d'arrêt des machines couvrant tous les producteurs soulevait des difficultés d'ordre pratique. Stora indique que c'est la raison pour laquelle il n'existait qu''un système relâché d'encouragement‘.» (Point 71 des considérants de la décision.)

118.
    Il y a lieu de considérer que la Commission a suffisamment établi l'existence d'une collusion sur les temps d'arrêt de la production entre les participants aux réunions du PWG.

119.
    Les pièces qu'elle produit soutiennent son analyse.

120.
    Dans sa deuxième déclaration (annexe 39 à la communication des griefs, point 24), Stora explique: «Avec l'adoption, par le PWG, de la politique du prix avant le tonnage et la mise en oeuvre progressive d'un système de prix équivalents à partir de 1988, les membres du PWG ont reconnu qu'il était nécessaire de respecter des temps d'arrêt en vue de maintenir ces prix face à une croissance réduite de la demande. Faute pour les fabricants d'appliquer des temps d'arrêt, il leur aurait été impossible de maintenir les niveaux de prix convenus face à une capacité excédentaire croissante.»

121.
    Au point suivant de sa déclaration, elle ajoute: «En 1988 et 1989, l'industrie pouvait fonctionner pratiquement à pleine capacité. Les temps d'arrêt autres que la fermeture normale pour les réparations et les vacances sont devenus nécessaires à partir de 1990. [...] Par la suite, il s'est avéré nécessaire de pratiquer des temps d'arrêt lorsque le flot de commandes s'arrêtait afin de maintenir la politique du prix avant le tonnage. Les temps d'arrêt à respecter par les producteurs (pour assurer le maintien de l'équilibre entre la production et la consommation) pouvaient être calculés sur la base des rapports concernant les capacités. Le PWG n'indiquait pas formellement le temps d'arrêt à respecter, bien qu'il existât un système relâché d'encouragement [...]»

122.
    Quant à l'annexe 73 à la communication des griefs, les raisons fournies par l'auteur pour expliquer qu'il considère la requérante comme «perdant» à l'époque de sa rédaction constituent des éléments de preuve importants de l'existence d'une collusion entre les participants aux réunions du PWG sur les temps d'arrêt.

123.
    En effet, l'auteur constate:

«4)    C'est sur ce point que la conception des parties intéressées quant à l'objectif poursuivi commence à diverger.

[...]

    c) Toutes les forces de vente et agents européens ont été libérés de leur budget en termes de volume et une politique de prix rigide, ne souffrant quasiment aucune exception, a été suivie (nos collaborateurs n'ont souvent pas compris notre changement d'attitude à l'égard du marché — auparavant, la seule exigence était celle du tonnage, alors que, désormais, seule compte la discipline en matière de prix avec le risque d'un arrêt des machines).»

124.
    La requérante soutient, dans l'annexe 75 à la communication des griefs et dans ses écritures devant le Tribunal (point 80 ci-dessus), que la note, et par conséquent le passage ci-dessus reproduit, vise une situation interne à l'entreprise. Cependant, analysé à la lumière du contexte plus général de la note, cet extrait traduit la mise en oeuvre, au niveau des équipes commerciales, d'une politique rigoureuse arrêtée au sein du «cercle des présidents». Le document doit donc être interprété comme signifiant que les participants à la coopération plus étroite décidée en 1987, c'est-à-dire au moins les participants aux réunions du PWG, ont indéniablement mesuré les conséquences de la politique arrêtée, dans l'hypothèse où celle-ci serait appliquée avec rigueur.

125.
         Le fait que des discussions relatives à l'examen des temps d'arrêt ont eu lieu entre les fabricants lors de la préparation des augmentations de prix est corroboré, notamment, par une note de Rena datée du 6 septembre 1990 (annexe 118 à la communication des griefs), qui mentionne les montants des augmentations de prix dans plusieurs pays, les dates des annonces futures de ces augmentations, ainsi que l'état des commandes en carnet exprimé en jours de travail pour plusieurs fabricants.

126.
    L'auteur du document note que certains fabricants prévoyaient des temps d'arrêt, ce qu'il exprime par exemple de la manière suivante:

«Kopparfors    5-15 days

            5/9 will stop for five days.»

127.
    La requérante, qui a participé à la réunion du JMC à laquelle se rapporte la note (tableau 4 annexé à la décision), est mentionnée dans ce document à plusieurs reprises. Notamment, la date à laquelle elle devait envoyer les lettres d'annonce des augmentations de prix est indiquée. De plus, il est relaté ce qui suit:

«Deiswill    5 days (GC)

        2.5 week for GD

        plan to stop within 2 weeks step (?)»

128.
    Sur la base de ce qui précède, il doit être conclu que la Commission a prouvé à suffisance de droit l'existence d'une collusion sur les parts de marché entre les participants aux réunions du PWG ainsi que celle d'une collusion sur les temps d'arrêt entre ces mêmes entreprises. Dans la mesure où il n'est pas contesté que la requérante a participé aux réunions du PWG et où cette entreprise est

expressément mentionnée dans les principales preuves à charge (déclarations de Stora et annexe 73 à la communication des griefs), la Commission a tenu à bon droit la requérante pour responsable d'une participation à ces deux collusions.

129.
    Les critiques de la requérante formulées à l'encontre des déclarations de Stora, qui visent à en contester la valeur probante, ne sont pas de nature à affaiblir cette constatation.

130.
    En effet, il est constant que les déclarations de Stora émanent de l'une des entreprises censées avoir participé à l'infraction alléguée et qu'elles comportent une description détaillée de la nature des discussions menées au sein des organes du GEP Carton, du but poursuivi par les entreprises regroupées au sein de celui-ci, ainsi que de la participation desdites entreprises aux réunions de ses différents organes. Or, dans la mesure où cet élément de preuve central est corroboré par d'autres pièces du dossier, il constitue le soutien pertinent des affirmations de la Commission.

131.
    Dès lors que la Commission a établi l'existence des deux collusions en cause, il n'est pas nécessaire d'examiner les critiques formulées par la requérante à l'encontre de l'annexe 113 à la communication des griefs.

2. Sur le comportement effectif de la requérante

132.
    Les arguments de la requérante selon lesquels son comportement effectif sur le marché ne serait pas conciliable avec les affirmations de la Commission relatives à l'existence des deux collusions contestées ne sauraient davantage être accueillis.

133.
    En premier lieu, l'existence de collusions entre les membres du PWG sur les deux aspects de la «politique du prix avant le tonnage» ne saurait être confondue avec la mise en oeuvre de celles-ci. En effet, les preuves fournies par la Commission ont une telle valeur probante que des renseignements relatifs au comportement effectif de la requérante sur le marché ne peuvent pas affecter les conclusions de la Commission relatives à l'existence même de collusions sur les deux aspects de la politique litigieuse. Tout au plus, les allégations de la requérante pourraient tendre à démontrer que son comportement n'a pas suivi celui convenu entre les entreprises réunies au sein du PWG.

134.
    En second lieu, les conclusions de la Commission ne sont pas contredites par les renseignements fournis par la requérante. Il doit être souligné que la Commission admet explicitement que la collusion sur les parts de marché n'impliquait «aucun mécanisme officiel de sanction ou de compensation [...] pour renforcer l'accord sur les parts de marché» et que les parts de marché de certains grands producteurs ont faiblement augmenté d'année en année (voir, notamment, points 59 et 60 des considérants de la décision). De plus, la Commission convient que, l'industrie ayant

tourné à pleine capacité jusqu'au début de 1990, pratiquement aucun temps d'arrêt n'a été nécessaire jusqu'à cette date (point 70 des considérants de la décision).

135.
    En troisième lieu, il est de jurisprudence constante que le fait qu'une entreprise ne se plie pas aux résultats des réunions ayant un objet manifestement anticoncurrentiel n'est pas de nature à la priver de sa pleine responsabilité du fait de sa participation à l'entente, dès lors qu'elle ne s'est pas distanciée publiquement du contenu des réunions (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, Rec. p. II-791, point 85). A supposer même que le comportement sur le marché de la requérante n'ait pas été conforme au comportement convenu, notamment si, comme elle le fait valoir, elle a pleinement utilisé ses capacités de production au cours de l'année 1990, cela n'affecte donc en rien sa responsabilité du chef d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

3. Sur la qualification juridique de la concertation visant à geler les parts de marché et de la concertation visant à contrôler l'offre

136.
    Il conviendra de répondre à la question de la qualification juridique de la concertation visant à geler les parts de marché et de la concertation visant à contrôler l'offre dans le cadre du moyen tiré de l'absence de plan sectoriel commun visant à restreindre la concurrence (ci-après points 137 et suivants).

Sur le moyen tiré d'une absence de plan sectoriel commun visant à restreindre la concurrence

Arguments des parties

137.
    La requérante conteste que la Commission ait fourni la preuve de l'existence d'un accord portant sur un plan sectoriel commun visant à restreindre la concurrence. Elle s'appuie à cet égard, en substance, sur les arguments qu'elle a avancés dans le cadre des deux moyens précédents.

138.
    En outre, le grief tiré de l'existence d'un tel plan ne permettrait pas d'établir en quoi est censé consister le chef d'accusation tombant sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, du traité. D'après la requérante, il n'a pas été passé d'accord liant les participants et les obligeant à suivre un plan sectoriel commun visant à restreindre la concurrence (voir, sur la notion d'accord, ci-dessus points 54 et suivants).

139.
    La Commission répond au présent moyen dans le cadre de son argumentation sur le moyen tiré de l'absence d'accord en matière de prix (voir ci-dessus points 58 et suivants).

Appréciation du Tribunal

140.
    Il a été constaté ci-dessus que les entreprises réunies au sein du PWG ont participé à une collusion sur les parts de marché, à une collusion sur les temps d'arrêt et à une collusion sur les prix.

141.
    L'article 1er de la décision dispose que les entreprises destinataires de la décision ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant, durant la période pertinente, à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne se sont,notamment, «rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence».

142.
    Selon les motifs de la décision, «à partir de fin 1987, avec la concrétisation de la collusion progressive des fabricants adhérant à la politique du 'prix avant le tonnage‘, l'infraction a présenté toutes les caractéristiques d'un véritable accord au sens de l'article 85» (point 131, premier alinéa, des considérants).

143.
    Il y a lieu de considérer que la Commission a correctement qualifié d'accord au sens de l'article 85 du traité la coopération renforcée entre les participants aux réunions du PWG à partir de la fin de l'année 1987. En effet, ces entreprises ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (voir, notamment, arrêts cités ci-dessus au point 65). A cet égard, sur la base de ce qui précède, il doit être constaté que ces entreprises ont exprimé leur volonté commune de procéder à des augmentations de prix uniformes et simultanées, de contrôler l'offre en procédant à l'examen des temps d'arrêt de la production et de maintenir leurs parts de marché à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles.

144.
    En ce qui concerne la période allant du milieu de l'année 1986 à la fin de l'année 1987, la Commission indique dans la décision (point 132 des considérants): «Si la collusion entre les fabricants ne s'est probablement pas concrétisée par l'accord sur le 'prix avant le tonnage‘ avant fin 1987 environ, cela ne veut toutefois pas dire que leur comportement au cours des dix-huit mois précédents ne tombe pas sous le coup de l'article 85.» Dans la mesure où le début de la collusion sur les temps d'arrêt et celui de la collusion sur les parts de marché doit être fixé à la fin de l'année 1987, cette affirmation de la Commission ne peut viser que la collusion sur les prix.

145.
    Or, la requérante ne contestant pas avoir participé à une pratique concertée en matière de prix (point 55 ci-dessus), le bien-fondé de cette qualification ne doit pas être examiné.

146.
    Aucun des arguments de la requérante n'étant retenu, le moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la légalité du système d'échange d'informations de la Fides

Arguments des parties

147.
    La requérante fait valoir que la Commission a considéré à tort que le système d'échange d'informations de la Fides constituait un élément essentiel de la mise en oeuvre des prétendus accords sur les quotas et les quantités. En effet, les données communiquées à la Fides dans le cadre du système d'échange d'informations auraient été agrégées au niveau de chaque pays et elles n'auraient donc pas été de nature à permettre le contrôle d'un quelconque accord ou comportement concerté.

148.
    Les données échangées sur les commandes en carnet, telles que traitées par la Fides, n'auraient pu donner aux producteurs qu'un simple aperçu de la situation de l'ensemble du marché. Quant aux données agrégées, qui n'auraient concerné que des commandes déjà passées, leur échange n'aurait pas pu porter atteinte à la concurrence. En revanche, il aurait servi de base pour les dispositions individuelles des producteurs (arrêts des machines, ventes sur les marchés des pays tiers, etc.).

149.
    S'agissant des rapports concernant les capacités, ceux distribués par la Fides n'auraient contenu, pour l'essentiel, que des données déjà connues sur le marché et reprises dans des manuels disponibles et accessibles à tous.

150.
    La Commission relève que les informations échangées ont été utilisées pour programmer un comportement concerté de l'ensemble du secteur en matière de prix et de quantités (point 134 des considérants de la décision).

151.
    En outre, les informations sur les capacités combinées avec les informations relatives aux commandes en carnet auraient permis aux fabricants de carton de connaître le taux d'utilisation du secteur. Or, les informations relatives aux commandes en carnet n'auraient pas été accessibles aux clients et une transparence générale du marché n'aurait donc pas existé. De plus, pour apprécier l'importance des rapports sur les capacités, il faudrait tenir compte de l'ensemble des données échangées.

152.
    La Commission affirme qu'un échange d'informations mis en place à des fins de concertation tombe en tant que tel sous le coup de l'article 85 du traité. Dès lors, la question de savoir si les statistiques sur les commandes contenaient des données individualisables n'aurait aucune pertinence.

Appréciation du Tribunal

153.
    Selon l'article 1er de la décision, les entreprises visées par cette disposition ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant à un accord et une pratique concertée en vertu desquels les entreprises ont, notamment, «échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les

mesures mentionnées», à savoir une collusion sur les prix, une collusion sur les parts de marché et une collusion sur les temps d'arrêt.

154.
    Pour ce qui est du système d'échange d'informations de la Fides, la décision doit, au vu de son dispositif et du point 134, troisième alinéa, des considérants, être interprétée dans le sens que la Commission a considéré ce système comme contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, en tant que support de l'entente constatée.

155.
    Le point 134, troisième alinéa, des considérants de la décision précise que le système d'échange d'informations de la Fides «était un instrument essentiel pour:

—    surveiller l'évolution des parts de marché,

—    surveiller la situation de l'offre et de la demande pour maintenir la pleine utilisation des capacités,

—    décider si des augmentations de prix concertées pouvaient être mises en oeuvre,

—    déterminer les temps d'arrêt nécessaires».

156.
    Par ailleurs, il ressort de la décision que les statistiques de la Fides ont été examinées et discutées dans le cadre du PWG. En effet, le point 57, premier alinéa, des considérants, qui renvoie également au point 63 de ceux-ci, énonce: «'L'évolution des parts de marché‘ était examinée à chaque réunion du PWG sur la base des statistiques provisoires.» De plus, le point 69, premier alinéa, des considérants, précise: «En comparant l'état hebdomadaire des commandes en carnet ('Weekly Order Backlog‘) et les capacités disponibles, le PWG était en mesure d'évaluer l'état global de la demande dans l'industrie cartonnière.»

157.
    Il y a lieu de considérer que ces allégations de la Commission sont établies.

158.
    En premier lieu, la requérante ne conteste pas que les statistiques de la Fides ont été discutées au sein du PWG.

159.
    En second lieu, la Commission a estimé à bon droit que les statistiques de la Fides ont été utilisées, au sein de cet organe, d'une part, pour «surveiller l'évolution des parts de marché» (point 134, troisième alinéa, premier tiret) et, d'autre part, pour «surveiller la situation de l'offre et de la demande pour maintenir la pleine utilisation des capacités» et «déterminer les temps d'arrêt nécessaires» (point 134, troisième alinéa, deuxième et quatrième tirets).

160.
    En effet, quant à l'utilisation des statistiques de la Fides pour «surveiller l'évolution des parts de marché», Stora a reconnu que «s'il ressortait de l'analyse des

statistiques que le niveau des ventes des groupes nationaux connaissait des écarts trop importants, les membres du PWG [...] s'encourageaient réciproquement et s'engageaient à limiter les fluctuations sur les marchés nationaux» (annexe 39 à la communication des griefs, point 19).

161.
    De même, selon l'annexe 43 à la communication des griefs (point 1.1):

«Les fluctuations de l'offre sur les marchés nationaux étaient examinées et discutées lors de chaque PWG (soit tous les deux ou trois mois) sur la base des statistiques provisoires de la Fides [...] Ces statistiques étaient produites sur une base mensuelle, le total étant calculé sur l'année civile et non sur une base du total de l'année d'exploitation. Les fluctuations que les statistiques faisaient apparaître ne reflétaient pas nécessairement de façon exacte la situation définitive de fin d'année; d'où l'impossibilité de se fonder sur ces fluctuations avec certitude.

Il aurait été absurde pour les principaux fabricants représentés au PWG de discuter en détail des parts de marché sur une base nationale puisque les fabricants n'étaient pas en mesure de déterminer la destination finale de leurs livraisons.

[...]

Les ententes sur les niveaux de part de marché conclues par les membres du PWG concernaient l'Europe dans son ensemble. Ces ententes étaient basées sur les chiffres annuels totaux de l'année antérieure, lesquels étaient habituellement disponibles de façon définitive dès le mois de mars de l'année suivante.»

162.
    Quant à l'utilisation des statistiques de la Fides pour «surveiller la situation de l'offre et de la demande pour maintenir la pleine utilisation des capacités» et «déterminer les temps d'arrêt nécessaires», il convient de se reporter à la déclaration de Stora (annexe 39 à la communication des griefs, point 5), selon laquelle:

«Liée à l'initiative en matière de prix de 1987, était la nécessité de maintenir un quasi-équilibre entre la production et la consommation (politique du prix avant le tonnage). En 1988 et 1989, les fabricants ont tourné à pleine capacité, ou presque. En 1990, l'association d'une capacité accrue et d'une croissance réduite de la demande a conduit les fabricants à commencer à pratiquer des temps d'arrêt dans le but de préserver l'équilibre entre la production et la consommation. [...] Les fabricants pouvaient déduire à partir des rapports annuels de capacité la durée du temps d'arrêt nécessaire et s'encourager réciproquement à respecter un temps d'arrêt suffisant pour maintenir l'équilibre entre la production et la demande. [...] de tels temps d'arrêt n'étaient pas pratiqués par la totalité des fabricants, avec pour conséquence que certains d'entre eux, généralement les plus importants, subissaient proportionnellement plus de pertes en termes de tonnage dans leur tentative visant à maintenir les niveaux de prix.» (Dans le même sens, point 25 du même document.)

163.
    Les déclarations de Stora sont indirectement confortées par les annexes 73 et 75 à la communication des griefs. Il ressort en effet de l'annexe 73 (voir ci-dessus points 109 et suivants) que le directeur commercial responsable des ventes du groupe Mayr-Melnhof/FS-Karton en Allemagne (M. Katzner) a proposé au directeur général de la requérante en Autriche une modification du système d'échange d'informations de la Fides alors en vigueur [p. 5, sous 5) sous le titre «Kontrolle»]. Ainsi que cela ressort de l'annexe 75 (p. 11), réponse de la requérante à une demande d'informations, les «règles de la Fides ont été ultérieurement modifiées plus ou moins dans le sens des propositions» mentionnées dans l'annexe 73 (voir aussi point 63, second alinéa, des considérants de la décision). Compte tenu de la tonalité générale de l'annexe 73, la demande de modification du système d'échange d'informations de la Fides formulée par M. Katzner doit être comprise comme signifiant que ce système ne permettait pas uncontrôle suffisant de l'évolution des parts de marché et/ou de l'examen des temps d'arrêt et qu'il devait, par conséquent, être amélioré afin d'assurer un meilleur contrôle.

164.
    Au vu des ces preuves, et compte tenu du fait que la Commission a considéré à bon droit que la requérante a participé à une collusion sur les temps d'arrêt et à une collusion sur les parts de marché au sein du PWG, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

Sur la demande d'annulation de l'article 2 de la décision

Arguments des parties

165.
    La requérante fait valoir à titre principal que, en ce qui concerne l'interdiction concernant l'échange d'informations à l'avenir, l'article 2 de la décision est formulé dans des termes trop imprécis et généraux pour que l'on puisse apprécier le type de données qui pourront légalement être échangées à l'avenir. En effet, il semblerait que presque tout système d'échange d'informations puisse être considéré comme tombant sous le coup de cette interdiction.

166.
    En outre, l'article 2 de la décision serait sans objet dans la mesure où il concerne des mesures qui ont été abandonnées avec la réorganisation du système d'échange d'informations et la création de l'association CEPI-Cartonboard (voir point 106 des considérants de la décision).

167.
    A titre subsidiaire, la requérante fait valoir que l'article 2 de la décision doit être annulé dans la mesure où il interdit l'échange de toutes données, même agrégées, relatives à l'état des entrées de commandes et aux commandes en carnet, c'est-à-dire de données purement statistiques [voir la communication de la Commission relative aux accords, décisions et pratiques concertées concernant la coopération entre entreprises (JO 1968, C 75, p. 3, rectificatif au JO 1968, C 84, p. 14) et le Septième Rapport sur la politique de concurrence, point 7].

168.
    L'échange de telles informations ne porterait pourtant pas atteinte au principe selon lequel tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché (arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, BASF/Commission, T-4/89, Rec. p. II-1523, point 240). En effet, l'échange de données purement historiques et non individualisables ne serait contraire au traité que lorsqu'il est accompagné d'une coopération plus poussée entre les entreprises.

169.
    Enfin, la requérante fait valoir que l'article 2 de la décision préjuge l'issue de la notification du système d'échange d'informations faite par l'association CEPI-Cartonboard à la Commission. En présence d'une telle notification, la Commission serait obligée de vérifier si les conditions d'une exemption sont réunies. Or, le système d'échange d'informations notifié par CEPI-Cartonboard concernerait précisément l'échange des données historiques relatives à l'état des entrées des commandes et aux commandes en carnet.

170.
    La Commission conteste que l'interdiction relative à l'échange d'informations à l'avenir soit trop imprécise. En effet, il suffirait que le dispositif et les motifs de la décision indiquent le comportement anticoncurrentiel auquel il convient de mettre fin (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73, 55/73, 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 122 à 124). En l'espèce, l'article 2, premier alinéa, sous a) à sous c), de la décision, contiendrait déjà une description détaillée de la nature de l'échange d'informations inadmissible. En outre, les constatations de fait relatives aux informations échangées auraient été exposées de manière détaillée aux points 61 à 68, 105 et 106 des considérants de la décision. De surcroît, la décision contiendrait une description précise des effets restrictifs que l'échange d'informations a produits sur les conditions de concurrence (points 134 et 166 des considérants). Dès lors, la portée de l'interdiction ressortirait clairement d'une lecture combinée de l'article 2 de la décision et des motifs de celle-ci.

171.
    Les deuxième et troisième alinéas de l'article 2 de la décision ne contiendraient que des explications relatives à la forme que pourrait prendre un échange d'informations admissible.

172.
    La Commission conteste également que l'interdiction ait une portée trop étendue. En effet, le système d'échange d'informations aurait été incompatible avec l'article 85 du traité même après les modifications adoptées par le PWG le 27 novembre 1991 (points 105 et 106 des considérants de la décision). Pour apprécier l'échange d'informations, il faudrait prendre en compte le degré élevé de concentration du secteur ainsi que l'excellente connaissance de la structure et de la politique des différentes entreprises résultant de l'ancienne coopération au sein du GEP Carton. Sur des marchés concentrés, la réserve de concurrence résiderait principalement dans l'incertitude et le secret qui existent entre les principaux offrants quant aux conditions du marché. Or, l'échange d'informations sur les commandes en carnet à intervalles rapprochés rendrait le marché artificiellement si transparent que la

réserve de concurrence qui subsiste ne pourrait plus, en fin de compte, être mobilisée.

173.
    En outre, l'échange hebdomadaire de statistiques sur les entrées de commandes, combiné avec les rapports sur les capacités, permettrait de connaître l'utilisation des capacités dans le secteur et de programmer des arrêts de production au niveau du secteur. Les fabricants pourraient ainsi maintenir un équilibre entre l'offre et la demande et contrer une baisse des prix en cas de baisse de la demande. Pour observer l'existence de ces effets, l'individualisation des données ne serait pas pertinente, pas plus que ne le serait le fait que les données concernent les commandes déjà passées. La Commission aurait donc conclu à juste titre qu'un échange d'informations sur l'état des entrées des commandes ainsi que sur les commandes en carnet, même sous forme agrégée, est contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, cette conclusion correspondant aux informations obtenues au cours de l'instruction de l'affaire.

174.
    Enfin, en ce qui concerne le système d'échange d'informations notifié par l'association CEPI-Cartonboard, la Commission rappelle qu'il est distinct de l'échange d'informations ayant fait l'objet de la décision, CEPI-Cartonboard ayant notamment apporté certaines modifications à son système afin de tenir compte des réserves de la Commission. Dès lors, elle n'aurait pas eu à envisager la question d'une éventuelle exemption dans le cadre de la présente procédure.

Appréciation du Tribunal

175.
    Il y a lieu de rappeler que l'article 2 de la décision dispose:

«Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées, si elles ne l'ont pas déjà fait. Elles s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leurs activités dans le secteur du carton, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange d'informations commerciales:

a)    par lequel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des ventes, des commandes en carnet, des taux d'utilisation des machines, des prix de vente, des coûts ou des plans de commercialisation d'autres fabricants;

b)    par lequel, même si aucune information individuelle n'est communiquée, une réaction commune du secteur dans le domaine des prix ou un contrôle de la production seraient promus, facilités ou encouragés

    ou

c)    qui permettrait aux entreprises concernées de suivre l'exécution ou le respect de tout accord exprès ou tacite sur les prix ou le partage des marchés dans la Communauté.

Tout système d'échange de données générales auquel elles seraient abonnées, tel que le système Fides ou son successeur, sera géré de manière à exclure non seulement toutes données permettant d'identifier le comportement de fabricants déterminés, mais aussi toutes données relatives à l'état des entrées de commandes et des commandes en carnet, au taux prévu d'utilisation des capacités de production (dans les deux cas, même si elles sont agrégées) ou à la capacité de production de chaque machine.

Tout système d'échange de ce type sera limité à la collecte et à la diffusion, sous une forme agrégée, de statistiques sur la production et les ventes qui ne puissent être utilisées pour promouvoir ou faciliter un comportement commun du secteur.

Les entreprises s'abstiendront également de tout échange d'informations intéressant la concurrence autre que les échanges admis, ainsi que de toute réunion ou contact en vue d'examiner l'importance des informations échangées ou la réaction possible ou probable du secteur ou de fabricants individuels à ces informations.

Un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision est accordé pour procéder aux modifications nécessaires de tout système éventuel d'échange d'informations.»

176.
    Ainsi que cela ressort du point 165 des considérants, l'article 2 de la décision a été adopté en application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17. En vertu de cette disposition, la Commission, lorsqu'elle constate une infraction, notamment, aux dispositions de l'article 85 du traité, peut obliger par voie de décision les entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée.

177.
    Il est de jurisprudence constante que l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 peut comporter l'interdiction de continuer certaines activités, pratiques ou situations, dont l'illégalité a été constatée (arrêts de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, point 45, et du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C-241/91 P et C-242/91 P, Rec. p. I-743, point 90), mais aussi celle d'adopter un comportement futur similaire (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91, Rec. p. II-755, point 220).

178.
    De plus, dans la mesure où l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 doit se faire en fonction de l'infraction constatée, la Commission a le pouvoir de préciser l'étendue des obligations qui incombent aux entreprises concernées afin qu'il soit mis fin à ladite infraction. De telles obligations pesant sur les entreprises ne doivent toutefois pas dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, à savoir le rétablissement de la légalité au regard

des règles qui ont été méconnues (arrêt RTE et ITP/Commission, précité, point 93; dans le même sens, voir arrêts du Tribunal du 8 juin 1995, Langnese-Iglo/Commission, T-7/93, Rec. p. II-1533, point 209, et Schöller/Commission, T-9/93, Rec. p. II-1611, point 163).

179.
    En ce qui concerne d'abord l'argument de la requérante selon lequel la Commission aurait commis une erreur de droit en adoptant l'article 2 de la décision sans avoir pris position sur la compatibilité avec l'article 85 du système d'échange d'informations notifié par l'association CEPI-Cartonboard, il convient de relever que la notification faite par cette association le 6 décembre 1993 concernait un nouveau système d'échange d'informations, distinct de celui examiné par la Commission dans la décision. La Commission, en adoptant l'article 2 de la décision attaquée, n'a par conséquent pas pu apprécier la légalité du nouveau système dans le cadre de cette décision. Elle était dès lors en droit de se borner à examiner l'ancien système d'échange d'informations et à prendre position sur celui-ci en adoptant l'article 2 de la décision.

180.
    De plus, il convient de rejeter l'argument de la requérante selon lequel la Commission ne saurait faire usage du pouvoir d'adresser des injonctions aux entreprises en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, dans la mesure où ces injonctions portent sur des aspects du système d'échanged'informations qui ont été abandonnés avant l'adoption de la décision. Il suffit, à cet égard, de remarquer que la requérante conteste la portée matérielle des injonctions contenues à l'article 2 de la décision, ce qui démontre l'intérêt légitime qu'avait la Commission à préciser l'étendue des obligations qui incombent aux entreprises, dont la requérante (voir, dans le même sens, arrêt de la Cour du 2 mars 1983, GVL/Commission, 7/82, Rec. p. 483, points 26 à 28).

181.
    Afin de vérifier ensuite si, comme le prétend la requérante, l'injonction contenue à l'article 2 de la décision a une portée trop large, il convient d'examiner l'étendue des diverses interdictions qu'il impose aux entreprises.

182.
    Quant à l'interdiction édictée à l'article 2, premier alinéa, deuxième phrase, consistant pour les entreprises à s'abstenir à l'avenir de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou analogue à ceux des infractions constatées à l'article 1er de la décision, elle vise uniquement à ce que les entreprises soient empêchées de répéter les comportements dont l'illégalité a été constatée. Par conséquent, la Commission, en adoptant une telle interdiction, n'a pas outrepassé les pouvoirs que lui confère l'article 3 du règlement n° 17.

183.
    Quant à l'article 2, premier alinéa, sous a), sous b) et sous c), ses dispositions visent plus spécifiquement des interdictions de futurs échanges d'informations commerciales.

184.
    L'injonction contenue dans l'article 2, premier alinéa, sous a), qui interdit à l'avenir tout échange d'informations commerciales permettant aux participants d'obtenir directement ou indirectement des informations individuelles sur des entreprises concurrentes, suppose que l'illégalité d'un échange d'informations d'une telle nature au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité ait été constatée par la Commission dans la décision.

185.
    A cet égard, il y a lieu de constater que l'article 1er de la décision n'énonce pas que l'échange d'informations commerciales individuelles constitue en soi une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

186.
    Il dispose de manière plus générale que les entreprises ont enfreint cet article du traité en participant à un accord et une pratique concertée en vertu desquels les entreprises ont, notamment, «échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus».

187.
    Cependant, le dispositif de la décision devant être interprété à la lumière de ses motifs (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, point 122), il convient de relever que le point 134, deuxième alinéa, des considérants de la décision indique:

«L'échange par les fabricants, lors de réunions du GEP Carton (essentiellement celles du JMC), d'informations commerciales individuelles normalement confidentielles et sensibles sur les commandes en carnet, les arrêts de machines et les rythmes de production était à l'évidence contraire aux règles de concurrence, puisqu'il avait pour but de rendre les conditions aussi propices que possible à la mise en oeuvre des augmentations de prix.[...]»

188.
    Dès lors, la Commission ayant dûment considéré dans la décision que l'échange d'informations commerciales individuelles constituait, en soi, une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, l'interdiction future d'un tel échange d'informations satisfait aux conditions requises pour l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17.

189.
    S'agissant des interdictions relatives aux échanges d'informations commerciales visés à l'article 2, premier alinéa, sous b) et sous c), de la décision, elles doivent être examinées à la lumière des deuxième, troisième et quatrième alinéas de ce même article, qui en étayent le contenu. C'est en effet dans ce contexte qu'il convient de déterminer si et, dans l'affirmative, dans quelle mesure la Commission a considéré comme illégaux les échanges en cause, dès lors que l'étendue des obligations pesant sur les entreprises doit être limitée à ce qui est nécessaire pour rétablir la légalité de leurs comportements au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

190.
    La décision doit être interprétée en ce sens que la Commission a considéré le système Fides comme contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, en tant que support de l'entente constatée (point 134, troisième alinéa, des considérants de la

décision). Une telle interprétation est corroborée par le libellé de l'article 1er de la décision, duquel il ressort que les informations commerciales ont été échangées entre les entreprises «afin de soutenir les mesures» considérées comme contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

191.
    C'est à la lumière de cette interprétation par la Commission de la compatibilité, en l'espèce, du système Fides avec l'article 85 du traité que doit être appréciée l'étendue des interdictions futures contenues à l'article 2, premier alinéa, sous b) et sous c), de la décision.

192.
    A cet égard, d'une part les interdictions en cause ne sont pas limitées aux échanges d'informations commerciales individuelles mais concernent aussi ceux de certaines données statistiques agrégées [article 2, premier alinéa, sous b), et deuxième alinéa, de la décision]. D'autre part, l'article 2, premier alinéa, sous b) et sous c), de la décision interdit l'échange de certaines informations statistiques afin de prévenir la constitution d'un possible support de comportements anticoncurrentiels potentiels.

193.
    Une telle interdiction, en ce qu'elle vise à empêcher l'échange d'informations purement statistiques n'ayant pas le caractère d'informations individuelles ou individualisables, au motif que les informations échangées pourraient être utilisées à des fins anticoncurrentielles, excède ce qui est nécessaire pour rétablir la légalité des comportements constatés. En effet, d'une part, il ne ressort pas de la décision que la Commission ait considéré l'échange de données statistiques comme étant en soi une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. D'autre part, le seul fait qu'un système d'échange d'informations statistiques puisse être utilisé à des fins anticoncurrentielles ne le rend pas contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, puisqu'il convient, dans de telles circonstances, d'en constater in concreto les effets anticoncurrentiels.

194.
    En conséquence, l'article 2, premier à quatrième alinéa, de la décision doit être annulé, sauf en ce qui concerne les passages suivants:

«Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées, si elles ne l'ont pas déjà fait. Elles s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leurs activités dans le secteur du carton, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange d'informations commerciales:

a)    par lequel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des ventes, des commandes en carnet, des taux d'utilisation des machines, des prix de vente, des coûts ou des plans de commercialisation d'autres fabricants.

Tout système d'échange de données générales auquel elles seraient abonnées, tel que le système Fides ou son successeur, sera géré de manière à exclure toutes données permettant d'identifier le comportement de fabricants déterminés.»

Sur la demande d'annulation de l'amende ou de réduction de son montant

A — Sur le moyen tiré de l'existence d'erreurs manifestes de droit ou de fait lors de la fixation du montant général des amendes

195.
    Le moyen se compose de cinq branches. Chacune fera l'objet d'un examen distinct.

Sur la première branche tirée d'erreurs commises par la Commission lors de la détermination de la portée des infractions

196.
    Se référant aux moyens qu'elle a invoqués à l'appui de sa demande d'annulation de l'article 1er de la décision, la requérante soutient que le niveau général des amendes devrait être considérablement réduit. En effet, la Commission n'aurait pas établi l'existence d'accords ou de pratiques concertées visant au partage du marché et au contrôle de l'offre, ni l'existence d'accords en matière de prix.

197.
    Il y a lieu de rappeler que l'ensemble des moyens invoqués par la requérante à l'appui de sa demande d'annulation de l'article 1er de la décision ont été rejetés.

198.
    Par conséquent, la première branche du présent moyen ne peut pas être retenue.

Sur la deuxième branche tirée de l'absence de régulation dans le détail du marché du carton dans la Communauté

Arguments des parties

199.
    La requérante fait valoir que, à supposer même que les infractions alléguées aient été commises, il ne s'agirait pas d'une régulation «dans le détail [du] marché du carton dans la Communauté» (point 168, cinquième tiret, des considérants de la décision). Les prétendues infractions n'auraient pu avoir, au contraire, qu'une incidence très générale sur la concurrence.

200.
    Dans ce contexte, la décision contiendrait des indications contradictoires sur le caractère des mesures anticoncurrentielles prétendument mises en oeuvre. Par exemple, la prétendue collusion quant au partage du marché serait décrite, au point 52 des considérants, comme un consentement général de ne pas augmenter les parts de marché respectives, alors qu'au point 60 il serait fait mention de négociations annuelles sur les parts de marché. En tout état de cause, il ne s'agirait pas d'une régulation détaillée du marché du carton, d'autant que la Commission n'aurait même pas affirmé qu'il existait une concertation visant à établir des quotas pour chaque qualité de carton.

201.
    La Commission maintient, sur la base des constatations contenues dans la décision, que les producteurs ont régulé en détail le marché du carton.

Appréciation du Tribunal

202.
    Il a déjà été constaté que la Commission a établi l'existence, dans le chef de la requérante, des éléments constitutifs de l'infraction constatée à l'article 1er de la décision, soit une collusion sur les prix, une collusion sur les temps d'arrêts et une collusion sur les parts de marché. Il a également été constaté que les participants aux réunions du PWG, dont la requérante, ont conclu un accord à la fin de l'année 1987. De plus, la requérante ne conteste pas que les dates et l'ordre d'envoi des lettres d'annonce des augmentations de prix étaient orchestrés par le PWG et que le JMC en était informé (voir notamment point 73 des considérants de la décision), ni que le JMC avait pour objet de définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients (point 44, deuxième alinéa, deuxième tiret, des considérants).

203.
    Enfin, la requérante ne conteste pas la constatation de la Commission selon laquelle «l'entente couvrait quasiment tout le territoire de la Communauté», ni que «les entreprises participant à l'infraction [couvraient] pratiquement tout le marché»(point 168, deuxième et quatrième tirets, des considérants de la décision).

204.
    Dans ces conditions, elle ne saurait valablement contester l'affirmation de la Commission selon laquelle les entreprises participant à l'infraction avaient régulé «dans le détail le marché du carton dans la Communauté» (point 168, cinquième tiret, des considérants).

205.
    La deuxième branche du moyen ne saurait donc être accueillie.

Sur la troisième branche tirée de ce que le caractère secret et la dissimulation ne sauraient être considérés comme des éléments aggravants de l'infraction

Arguments des parties

206.
    La requérante soutient que la Commission a considéré que le fait que des mesures complexes ont été prises pour cacher la nature et la portée de la collusion constituait un élément aggravant (points 167 et 168 des considérants de la décision).

207.
    L'absence de comptes rendus officiels ou de documents concernant les réunions du PWG et du JMC ne pourrait aucunement constituer une mesure complexe. L'affirmation de la Commission selon laquelle des mesures auraient été prises afin d'éviter la prise de notes par des participants aux réunions ne serait pas prouvée. A les supposer prouvées, de telles mesures ne constitueraient pas non plus des mesures complexes. En tout état de cause, la Commission ayant par ailleurs

considéré à tort que les infractions avaient été commises de propos délibéré, elle n'aurait pu prendre également en considération les prétendues mesures destinées à cacher l'entente.

208.
    Quant à la prétendue orchestration à l'avance des dates d'entrée en vigueur des augmentations de prix, la requérante souligne que la concertation en matière de prix a nécessairement impliqué une concertation relative à la mise en oeuvre des augmentations de prix, au moins en ce qui concerne les «chefs de file». La Commission ayant considéré que les infractions avaient été commises de propos délibéré, elle n'aurait pu prendre également en compte les éléments présentant un lien nécessaire avec la violation intentionnelle.

209.
    La Commission prétend qu'elle était en droit de considérer que la pratique du secret devait être prise en compte afin d'apprécier la gravité de l'infraction. En effet, des infractions intentionnelles aux règles de la concurrence ne seraient pas nécessairement accompagnées de mesures de dissimulation. En l'espèce, les participants à l'entente ne se seraient pas seulement mis d'accord pour ne pas conserver de notes des discussions menées (procès-verbal de l'audition devant la Commission, p. 46), mais auraient aussi minutieusement programmé le déroulement des différentes initiatives en matière de prix (point 73 des considérants de la décision). La Commission aurait donc correctement estimé que la pratique du secret constituait un aspect aggravant de l'infraction à prendre en compte pour le calcul des amendes.

Appréciation du Tribunal

210.
    Aux termes du point 167, troisième alinéa, des considérants de la décision, «l'un des aspects les plus graves de [l'infraction] est que, pour tenter de dissimuler l'existence de l'entente, les entreprises ont été jusqu'à orchestrer à l'avance la date et la séquence des différentes annonces de nouvelles augmentations de prix par chacun des principaux fabricants». La décision relève en outre que «les fabricants auraient pu, grâce à cette duperie élaborée, attribuer les séries d'augmentations des prix uniformes, régulières et touchant l'ensemble du secteur au phénomène du 'comportement en situation oligopolistique‘» (point 73, troisième alinéa, des considérants). Enfin, selon le point 168, sixième tiret, des considérants, la Commission a déterminé le niveau général des amendes en tenant compte du fait que «des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion (absence de compte rendu officiel ou de documentation concernant les réunions du PWG et du JMC; les participants étaient dissuadés de prendre des notes; la date et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix étaient orchestrés de façon à pouvoir proclamer que ces augmentations 'faisaient suite à d'autres‘, etc.)».

211.
    La requérante ne conteste pas l'affirmation de la Commission selon laquelle les entreprises ont programmé les dates et l'ordre d'envoi des lettres annonçant les augmentations de prix. En outre, s'agissant de la conclusion de la Commission selon

laquelle cette orchestration des dates et de l'ordre des lettres d'annonce des augmentations de prix avait pour objectif de tenter de dissimuler l'existence de la concertation sur les prix, la requérante n'a fourni aucune explication susceptible d'établir que la concertation sur les dates et l'ordre des lettres d'annonce des augmentations de prix aurait eu un objectif différent de celui constaté par la Commission.

212.
    Quant à l'absence de comptes rendus officiels et à l'absence presque absolue de notes internes portant sur les réunions du PWG et du JMC, elles constituent, eu égard à leur nombre, à leur durée dans le temps et à la nature des discussions en cause, une preuve suffisante de l'allégation de la Commission selon laquelle les participants étaient dissuadés de prendre des notes.

213.
    Il ressort de ce qui précède que les entreprises ayant participé aux réunions de ces organes ont non seulement été conscientes de l'illégalité de leur comportement mais ont aussi adopté des mesures de dissimulation de la collusion. Partant, c'est à bon droit que la Commission a retenu ces mesures comme circonstances aggravantes lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction.

214.
    La troisième branche du moyen doit donc être rejetée.

Sur la quatrième branche du moyen tirée de ce que la Commission aurait à tort considéré que l'entente avait «largement réussi à atteindre ses objectifs»

Arguments des parties

215.
    La requérante conteste que l'entente ait «largement réussi à atteindre ses objectifs» (point 168, septième tiret, des considérants de la décision). Se fondant sur sa description des particularités du marché du carton (ci-dessus points 48 et suivants) et sur le rapport LE, elle soutient que rien ne permet de considérer que l'évolution en matière de prix n'aurait pas été tout à fait identique en l'absence de toute concertation entre les producteurs.

216.
    Elle prétend que les constatations de la Commission relatives à l'évolution des coûts et du produit des ventes dans le secteur du carton ne sont pas valables en ce qui la concerne. De plus, les indications sur la marge d'exploitation contenues dans la décision (point 16 des considérants) seraient trompeuses. En effet, l'amortissement des coûts d'investissement représenterait environ 27 % du prix moyen du carton. Or, la Commission n'aurait pas tenu compte de cet élément lors du calcul de la marge d'exploitation moyenne des producteurs. Par conséquent, lorsqu'elle indique que cette marge d'exploitation moyenne s'est élevée à environ 20 % pour la période allant de 1986 à 1991, cela signifierait, en réalité, une perte réelle d'environ 7 %.

217.
    A l'appui de ses affirmations selon lesquelles la concertation en matière de prix n'a pas eu de répercussions sur le marché, la requérante se réfère à des tableaux reproduisant l'évolution de ses tarifs par rapport à l'évolution des prix bruts qu'elle a effectivement obtenus sur le marché. Ces tableaux, qui reproduiraient l'évolution des prix relatifs à des clients et à des qualités de carton représentatifs sur ses principaux marchés nationaux, démontreraient l'écart considérable qui aurait existé entre les tarifs et les prix de transaction.

218.
    La Commission relève, à titre liminaire, qu'il convient de distinguer deux types d'effets des initiatives de prix sur le marché. Pour ce qui est du premier type d'effets, à savoir le fait que les prix convenus au sein du GEP Carton ont servi de base pour les négociations avec les clients, la requérante n'en contesterait pas l'existence. Dès lors, il serait inconcevable que les effets du second type, à savoir des répercussions des initiatives d'augmentation des prix sur les prix effectifs du marché, ne se soient pas également produits, car la base de négociation des prix fixée par le vendeur aurait toujours une incidence sur le prix de transaction. Cela s'appliquerait d'autant plus que tous les vendeurs auraient eu la même base de négociation.

219.
    En outre, les fabricants de carton se seraient efforcés, dans leurs négociations avec les clients, d'imposer les augmentations de prix convenues (voir annexe 73 à la communication des griefs, p. 2).

220.
    Certes, il n'aurait pas toujours été possible d'imposer les augmentations de prix dans les mêmes proportions à l'égard de tous les clients et sur tous les marchés (points 100 à 102 des considérants de la décision). Mais, ainsi que cela ressortirait de plusieurs documents internes rédigés par les producteurs eux-mêmes (documents C-4-1 et C-11-11), de telles difficultés dans la mise en oeuvre des augmentations de prix ne signifieraient pas qu'elles n'avaient pas été couronnées de succès.

221.
    Les tableaux invoqués par la requérante ne seraient pas non plus de nature à infirmer les constatations de la Commission. La valeur probante de ces tableaux ne pourrait être reconnue, notamment parce qu'ils montreraient des augmentations de prix «par à-coups». De plus, si la requérante affirme que les tableaux montrent l'évolution des prix facturés concernant des clients et des qualités représentatifs, il n'en resterait pas moins qu'elle n'a pas indiqué les critères utilisés pour choisir ces factures.

222.
    S'agissant du rapport LE, il ne démontrerait pas qu'il n'y avait pas eu une corrélation entre les prix annoncés et les prix de transaction. Par contre, les tableaux 10 et 11 de ce rapport montreraient clairement que l'évolution des prix de transaction avait suivi en moyenne les prix annoncés. Pour la période 1988/1989, l'étude ferait même état d'une corrélation linéaire entre ces prix, ce qui aurait, par ailleurs, été admis par l'auteur de l'étude lors de l'audition devant la Commission (procès-verbal, p. 21 et 28). Par conséquent, les augmentations de tarifs uniformes

auraient permis aux fabricants de carton de parvenir à un relèvement marqué des prix de transaction.

223.
    Enfin, il serait sans pertinence de savoir si les augmentations de tarifs uniformes avaient effectivement été décidées, comme la requérante l'affirme, en fonction de l'évolution des coûts. Par ailleurs, les indications contenues dans la décision, relatives à l'évolution des coûts ainsi qu'à la définition de la marge d'exploitation, auraient été empruntées au rapport LE.

Appréciation du Tribunal

224.
    Selon le point 168, septième tiret, des considérants de la décision, la Commission a déterminé le montant général des amendes en prenant notamment en considération le fait que l'entente a «largement réussi à atteindre ses objectifs». Il est constant qu'une telle considération se réfère aux effets sur le marché de l'infraction constatée à l'article 1er de la décision.

225.
    Aux fins du contrôle de l'appréciation portée par la Commission sur les effets de l'infraction, le Tribunal estime qu'il suffit d'examiner celle portée sur les effets de la collusion sur les prix. En effet, l'examen des effets de la collusion sur les prix, seuls effets contestés par la requérante, permet d'apprécier, de façon générale, le succès de l'entente, car les collusions sur les temps d'arrêt et sur les parts de marché ont eu pour objectif d'assurer la réussite des initiatives concertées en matière de prix.

226.
    S'agissant de la collusion sur les prix, la Commission en a apprécié les effets généraux. Dès lors, à supposer même que les données individuelles fournies par la requérante démontrent, comme elle l'affirme, que la collusion sur les prix n'a eu pour elle que des effets moins importants que ceux constatés sur le marché européen du carton, pris globalement, de telles données individuelles ne sauraient suffire en soi pour mettre en cause l'appréciation de la Commission. En outre, l'affirmation de la requérante selon laquelle la Commission se serait fondée, au point 16 des considérants de la décision, sur une définition erronée de la marge d'exploitation moyenne réalisée par les producteurs de carton est également dénuée de pertinence. En effet, rien ne permet de considérer que la Commission ait pris en compte la marge d'exploitation ainsi définie lors de son appréciation des effets sur le marché de la collusion sur les prix, ni d'ailleurs que la marge d'exploitation réalisée aurait dû être prise en compte aux fins de cette appréciation.

227.
    Il ressort de la décision, ainsi que la Commission l'a confirmé lors de l'audience, qu'une distinction a été établie entre trois types d'effets. De plus, la Commission s'est fondée sur le fait que les initiatives en matière de prix ont été globalement considérées comme une réussite par les producteurs eux-mêmes.

228.
    Le premier type d'effets pris en compte par la Commission, et non contesté par la requérante, consiste dans le fait que les augmentations de prix convenues ont été effectivement annoncées aux clients. Les nouveaux prix ont ainsi servi de référence en cas de négociations individuelles des prix de transaction avec les clients (voir, notamment, points 100 et 101, cinquième et sixième alinéas, des considérants de la décision).

229.
    Le deuxième type d'effets consiste dans le fait que l'évolution des prix de transaction a suivi celle des prix annoncés. A cet égard, la Commission soutient que «les producteurs ne se contentaient pas d'annoncer les augmentations de prix convenues mais, à quelques exceptions près, [qu']ils prenaient également des mesures concrètes pour faire en sorte qu'elles soient effectivement imposées aux clients» (point 101, premier alinéa, des considérants de la décision). Elle admet que les clients ont parfois obtenu des concessions sur la date d'entrée en vigueur des augmentations ou des rabais ou réductions individuelles, notamment en cas de grosse commande, et que «l'augmentation nette perçue en moyenne après déduction des réductions, rabais et autres concessions était donc toujours inférieure au montant total de l'augmentation annoncée» (point 102, dernier alinéa, des considérants). Cependant, se référant à des graphiques contenus dans le rapport LE, étude économique réalisée, aux fins de la procédure devant la Commission, pour le compte de plusieurs entreprises destinataires de la décision, elle affirme qu'il existait, au cours de la période visée par la décision, une «étroite relation linéaire» entre l'évolution des prix annoncés et celle des prix de transaction exprimés en monnaies nationales ou convertis en écus. Elle en conclut: «Les augmentations nettes des prix obtenues suivaient étroitement les augmentations annoncées, fût-ce avec un certain retard. L'auteur du rapport a lui-même reconnu pendant l'audition qu'il en a été ainsi en 1988 et 1989.» (Point 115, deuxième alinéa, des considérants.)

230.
    Il doit être admis que, dans l'appréciation de ce deuxième type d'effets, la Commission a pu à bon droit considérer que l'existence d'une relation linéaire entre l'évolution des prix annoncés et celle des prix de transaction constituait la preuve d'un effet produit sur ces derniers par les initiatives en matière de prix, conformément à l'objectif poursuivi par les producteurs. En fait, il est constant que, sur le marché en cause, la pratique de négociations individuelles avec les clients implique que les prix de transaction ne sont, en général, pas identiques aux prix annoncés. Il ne saurait donc être escompté que les augmentations des prix de transaction soient identiques aux augmentations de prix annoncées.

231.
    En ce qui concerne l'existence même d'une corrélation entre les augmentations de prix annoncées et celles des prix de transaction, la Commission s'est référée à juste titre au rapport LE, celui-ci constituant une analyse de l'évolution des prix du carton pendant la période visée par la décision, fondée sur des données fournies par plusieurs producteurs, dont la requérante elle-même.

232.
    Toutefois, ce rapport ne confirme que partiellement, dans le temps, l'existence d'une «étroite relation linéaire». En effet, l'examen de la période de 1987 à 1991 révèle trois sous-périodes distinctes. A cet égard, lors de l'audition devant la Commission, l'auteur du rapport LE a résumé ses conclusions de la manière suivante: «Il n'y a pas de corrélation étroite, même avec un décalage, entre l'augmentation de prix annoncée et les prix du marché, pendant le début de la période considérée, de 1987 à 1988. En revanche, une telle corrélation existe en 1988/1989, puis cette corrélation se détériore pour se comporter de façon plutôt singulière [oddly] sur la période 1990/1991» (Procès-verbal de l'audition, p. 28.) Il a relevé, en outre, que ces variations dans le temps étaient étroitement liées à des variations de la demande (voir, notamment, procès-verbal de l'audition, p. 20).

233.
    Ces conclusions orales de l'auteur sont conformes à l'analyse développée dans son rapport, et notamment aux graphiques comparant l'évolution des prix annoncés et l'évolution des prix de transaction (rapport LE, graphiques 10 et 11, p. 29). Force est donc de constater que la Commission n'a que partiellement prouvé l'existence de l'«étroite relation linéaire» qu'elle invoque.

234.
    Lors de l'audience, la Commission a indiqué avoir également pris en compte un troisième type d'effets de la collusion sur les prix consistant dans le fait que le niveau des prix de transaction a été supérieur au niveau qui aurait été atteint en l'absence de toute collusion. A cet égard, la Commission, soulignant que les dates et l'ordre des annonces des augmentations de prix avaient été programmés par le PWG, estime dans la décision qu'«il est inconcevable que, dans ces conditions, ces annonces concertées n'aient eu aucun effet sur le niveau réel des prix» (point 136, troisième alinéa, des considérants de la décision). Toutefois, le rapport LE (section 3) a établi un modèle permettant de prévoir le niveau de prix résultant des conditions objectives du marché. Selon ce rapport, le niveau des prix, tels que déterminés par des facteurs économiques objectifs durant la période de 1975 à 1991, aurait évolué, avec des variations négligeables, de manière identique à celui des prix de transaction pratiqués, y compris pendant la période retenue par la décision.

235.
    Malgré ces conclusions, l'analyse faite dans le rapport ne permet pas de constater que les initiatives concertées en matière de prix n'ont pas permis aux producteurs d'atteindre un niveau des prix de transaction supérieur à celui qui aurait résulté du libre jeu de la concurrence. A cet égard, comme l'a souligné la Commission lors de l'audience, il est possible que les facteurs pris en compte dans ladite analyse aient été influencés par l'existence de la collusion. Ainsi, la Commission a fait valoir à bon droit que le comportement collusoire a, par exemple, pu limiter l'incitation pour les entreprises à réduire leurs coûts. Or, elle n'a invoqué l'existence d'aucune erreur directe dans l'analyse contenue dans le rapport LE et n'a pas davantage présenté ses propres analyses économiques de l'hypothétique évolution des prix de transaction en l'absence de toute concertation. Dans ces conditions, son affirmation

selon laquelle le niveau des prix de transaction aurait été inférieur en l'absence de collusion entre les producteurs ne saurait être entérinée.

236.
    Il s'ensuit que l'existence de ce troisième type d'effets de la collusion sur les prix n'est pas prouvée.

237.
    Les constatations qui précèdent ne sont en rien modifiées par l'appréciation subjective des producteurs sur laquelle la Commission s'est fondée pour considérer que l'entente avait largement réussi à atteindre ses objectifs. Sur ce point, la Commission s'est reportée à une liste de documents qu'elle a fournie lors de l'audience. Or, à supposer même qu'elle ait pu fonder son appréciation de l'éventuelle réussite des initiatives en matière de prix sur des documents faisant état des sentiments subjectifs de certains producteurs, force est de constater que plusieurs entreprises, dont la requérante, ont à juste titre fait référence à l'audience à de nombreux autres documents du dossier faisant état des problèmes rencontrés par les producteurs dans la mise en oeuvre des augmentations de prix convenues. Dans ces conditions, la référence faite par la Commission aux déclarations des producteurs eux-mêmes n'est pas suffisante pour conclure que l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs.

238.
    Au vu des considérations qui précèdent, les effets de l'infraction relevés par la Commission ne sont que partiellement prouvés. Le Tribunal analysera la portée de cette conclusion dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction en matière d'amendes, lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée en l'espèce (voir ci-après point 262).

Sur la cinquième branche du moyen tirée de la prise en compte d'une marge d'exploitation erronée

Arguments des parties

239.
    La requérante répète que la Commission a considéré à tort que les entreprises du secteur du carton ont réalisé une marge d'exploitation de 20 % au cours de la période de 1986 à 1991. En effet, en se fondant sur ce chiffre, la Commission aurait omis de tenir compte des coûts d'investissement considérables dans le secteur (voir ci-dessus point 216). Bien qu'il ne ressorte pas expressément de la décision que cet élément ait été pris en compte lors de la fixation du niveau général des amendes, il faudrait considérer que cette erreur a joué un rôle essentiel, puisqu'il est fait référence à cette marge d'exploitation à plusieurs reprises dans la décision. En outre, la prise en compte de l'avantage financier qu'ont pu retirer les sociétés de leur comportement anticoncurrentiel serait, selon la Commission elle-même, un élément déterminant dans la fixation des amendes (XXIe Rapport sur la politique de concurrence, point 139). Cette erreur devrait entraîner une réduction considérable de l'amende.

240.
    La Commission soutient que la marge d'exploitation moyenne des fabricants de carton n'a pas été prise en considération lors du calcul de l'amende. De plus, dans son XXIe Rapport sur la politique de concurrence, elle n'aurait fait que mentionner les critères généraux envisageables pour le calcul d'une amende. Enfin, les indications sur la marge d'exploitation contenues dans le point 16 des considérants de la décision seraient correctes, car empruntées au rapport LE.

Appréciation du Tribunal

241.
    Il convient de constater que la marge d'exploitation moyenne réalisée par les fabricants de carton ne figure pas parmi les éléments pris en compte par la Commission afin de déterminer le niveau général des amendes ainsi que le montant des amendes individuelles (voir points 167 à 169 des considérants de la décision).

242.
    En tout état de cause, il ressort du point 16, dernier alinéa, des considérants de la décision que les indications relatives à la marge d'exploitation moyenne des producteurs de carton ont été empruntées au rapport LE. Il en ressort également (note de bas de page n° 1) que la Commission n'a pas ignoré que cette marge d'exploitation moyenne avait été calculée sans prendre en compte les amortissements des coûts d'investissement.

243.
    Il s'ensuit que l'argument de la requérante selon lequel la Commission se seraitfondée sur une définition erronée du bénéfice réalisé par les fabricants de carton est dénué de fondement.

244.
    Dès lors, la cinquième branche du moyen ne peut pas être accueillie.

245.
    Par conséquent, le moyen dans son ensemble doit être rejeté.

B — Sur les moyens tirés d'une violation de l'article 190 du traité ainsi que d'une violation du principe d'égalité de traitement quant au niveau général des amendes

Arguments des parties

246.
    La requérante reconnaît que la Commission est en droit de relever le niveau général des amendes dans une décision par rapport à sa pratique antérieure, lorsqu'elle l'estime nécessaire pour renforcer l'effet dissuasif de celles-ci (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80, 101/80, 102/80 et 103/80, Rec. p. 1825, point 108, et arrêt ICI/Commission, précité). Toutefois, la Commission aurait violé l'article 190 du traité et le principe d'égalité de traitement en procédant, ainsi qu'elle l'aurait fait en l'occurrence, à une augmentation arbitraire du niveau des amendes sans indiquer aucune justification à cet égard.

247.
    La requérante compare ensuite le taux de base des amendes (7,5 % du chiffre d'affaires réalisé sur le marché communautaire du carton en 1990 pour les «membres ordinaires» et 9 % pour les prétendus «chefs de file») ainsi que le montant global des amendes imposées avec les décisions de la Commission dans des affaires antérieures [voir, par exemple, décision 86/398/CEE de la Commission, du 23 avril 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.149 — Polypropylène) (JO L 230, p. 1, ci-après «décision Polypropylène»), et décision 89/191/CEE de la Commission, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.866 — PEBD) (JO 1989, L 74, p. 21)]. Elle en déduit que le taux de base des amendes appliqué en l'espèce est considérablement supérieur aux taux antérieurement appliqués et que, en ce qui concerne les prétendus «chefs de file», le taux a presque doublé. En outre, le montant global des amendes serait de loin supérieur aux amendes imposées antérieurement.

248.
    Renvoyant à la décision ayant fait l'objet de l'arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission (T-29/92, Rec. p. II-289), elle conteste, par ailleurs, que le comportement mis en cause dans la présente affaire puisse être considéré comme particulièrement grave par rapport aux affaires sur lesquelles la Commission a eu à se prononcer antérieurement.

249.
    L'erreur d'appréciation de la gravité de l'infraction serait encore confirmée par une comparaison avec le niveau d'amendes retenu dans la décision 94/815/CE de la Commission, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (affaire IV/33.126 et 33.322 — Ciment) (JO L 343, p. 1).

250.
    La requérante conclut que le niveau des amendes imposées dans la présente affaire est en augmentation considérable, voire exorbitante, par rapport à celui retenu dans des affaires similaires. Elle souligne que le membre de la Commission en charge des questions de la concurrence a indiqué, dans un discours prononcé le 16 septembre 1994, que, dans le cas d'espèce, la Commission avait augmenté les amendes de manière considérable par rapport à sa pratique antérieure.

251.
    A supposer même que la Commission ne soit, en général, pas tenue de motiver en détail ses décisions quant aux amendes, il serait nécessaire qu'elle explique les raisons pour lesquelles elle s'est écartée de manière flagrante de la pratique en matière d'amendes suivie jusqu'alors (voir, dans le même sens, arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73/74, Rec. p. 1491, points 30 à 33, et arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Fiatagri et New Holland Ford/Commission, T-34/92, Rec. p. II-905, point 35).

252.
    Enfin, la requérante fait valoir une violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950 (ci-après «CEDH»), qui instituerait un droit au contrôle

juridictionnel, car seule une plus grande transparence permettrait de vérifier si la Commission a respecté, dans un cas déterminé, le principe d'égalité de traitement.

253.
    La Commission rappelle qu'elle est habilitée, en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à infliger des amendes allant jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires annuel global des entreprises mises en cause. Le taux appliqué en l'espèce se situerait largement dans les limites prévues par ce règlement, car seul le chiffre d'affaires relatif aux ventes de carton dans la Communauté aurait été pris en compte.

254.
    De plus, la Commission pourrait relever à tout moment le niveau des amendes dans les limites fixées par le règlement n° 17, lorsque cela est nécessaire pour réaliser la politique communautaire de la concurrence, notamment afin de garantir l'effet dissuasif des amendes (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, points 106 à 109). Ce faisant, elle ne serait pas liée par ses décisions antérieures (arrêt ICI/Commission, précité, points 382 et 385), et il importerait donc peu de savoir si le cas d'espèce est comparable à des affaires antérieures ou de savoir si elle a sensiblement relevé le niveau général des amendes. En tout état de cause, le niveau des amendes n'aurait été relevé ni arbitrairement ni sensiblement par rapport aux affaires antérieures.

255.
    Enfin, la Commission aurait considéré à juste titre que l'infraction constatée était particulièrement grave.

Appréciation du Tribunal

256.
    Selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises ayant commis, de propos délibéré ou par négligence, une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité des amendes de 1 000 écus au moins et de 1 000 000 écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction. Le montant de l'amende est déterminé en considération à la fois de la gravité de l'infraction et de sa durée. Ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour, la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54).

257.
    En l'espèce, la Commission a déterminé le niveau général des amendes en tenant compte de la durée de l'infraction (point 167 des considérants de la décision), ainsi que des considérations suivantes (point 168 des considérants):

«—     la collusion en matière de fixation des prix et la répartition des marchés constituent en soi des restrictions graves de la concurrence,

—     l'entente couvrait quasiment tout le territoire de la Communauté,

—     le marché communautaire du carton est un secteur économique important qui totalise chaque année quelque 2,5 milliards d'écus,

—     les entreprises participant à l'infraction couvrent pratiquement tout le marché,

—     l'entente a fonctionné sous la forme d'un système de réunions périodiques institutionnalisées ayant pour objet de réguler dans le détail le marché du carton dans la Communauté,

—     des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion (absence de compte rendu officiel ou de documentation concernant les réunions du PWG et du JMC; les participants étaient dissuadés de prendre des notes; la date et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix étaient orchestrés de façon à pouvoir proclamer que ces augmentations 'faisaient suite à d'autres‘, etc.),

—     l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs».

258.
    De plus, le Tribunal rappelle qu'il est constant que des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990 ont été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les «chefs de file» de l'entente et aux autres entreprises.

259.
    Il y a lieu de souligner, en premier lieu, que, dans son appréciation du niveau général des amendes, la Commission est fondée à tenir compte du fait que des infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence sont encore relativement fréquentes et que, partant, il lui est loisible d'élever le niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif. Par conséquent, le fait que la Commission a appliqué dans le passé des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau, dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela s'avère nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de la concurrence (voir, notamment, arrêts précités Musique Diffusion française e.a./Commission, points 105 à 108, et ICI/Commission, point 385).

260.
    En second lieu, la Commission a soutenu à bon droit que, en raison des circonstances propres à l'espèce, aucune comparaison directe ne saurait être opérée entre le niveau général des amendes retenu dans la présente décision et ceux retenus dans la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, en particulier,

dans la décision Polypropylène, considérée par la Commission elle-même comme la plus comparable à celle du cas d'espèce. En effet, contrairement à l'affaire à l'origine de la décision Polypropylène, aucune circonstance atténuante générale n'a été prise en compte en l'espèce pour déterminer le niveau général des amendes. Par ailleurs, comme le Tribunal l'a déjà constaté, les mesures complexes adoptées par les entreprises pour dissimuler l'existence de l'infraction constituent un aspect particulièrement grave de celle-ci, qui la caractérise par rapport aux infractions antérieurement constatées par la Commission.

261.
    En troisième lieu, il convient de souligner la longue durée et le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, qui a été commise malgré l'avertissement qu'aurait dû constituer la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, et notamment la décision Polypropylène.

262.
    Sur la base de ces éléments, il convient de considérer que les critères repris au point 168 des considérants de la décision indiquent de manière suffisante les raisons qui ont amené la Commission à retenir le niveau général des amendes appliqué et suffisent pour justifier un tel niveau. Le Tribunal a certes déjà constaté que les effets de la collusion sur les prix retenus par la Commission pour la détermination du niveau général des amendes ne sont que partiellement prouvés. Toutefois, à la lumière des considérations qui précèdent, cette conclusion ne saurait affecter sensiblement l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée. A cet égard, le fait que les entreprises ont effectivement annoncé les augmentations de prix convenues et que les prix ainsi annoncés ont servi de base pour la fixation des prix de transaction individuels suffit, en soi, pour constater que la collusion sur les prix a eu tant pour objet que pour effet une grave restriction de la concurrence. Partant, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal considèreque les constatations opérées au sujet des effets de l'infraction ne justifient aucune réduction du niveau général des amendes fixé par la Commission.

263.
    Enfin, en fixant en l'espèce le niveau général des amendes, la Commission ne s'est pas écartée de sa pratique décisionnelle antérieure de manière telle qu'elle aurait dû motiver plus explicitement son appréciation de la gravité de l'infraction (voir, notamment, arrêt Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, précité, point 31).

264.
    Le moyen doit, par conséquent, être rejeté.

C — Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 190 du traité lors de la fixation du montant des amendes individuelles

Arguments des parties

265.
    La requérante fait valoir que la seule énumération, au point 169 des considérants de la décision, des critères retenus pour fixer les amendes individuelles ne constitue

pas une motivation suffisante. En effet, la décision ne contiendrait aucune indication permettant d'établir la manière dont les différentes amendes ont été élaborées, ni de vérifier si la distinction opérée entre les différentes entreprises à l'égard des amendes est justifiée. Sur ce point, une motivation plus détaillée s'imposerait en particulier lorsque, comme en l'espèce, une différenciation exorbitante entre les entreprises a été opérée. Notamment, dans la mesure où certaines circonstances sur lesquelles s'est fondée la Commission n'auraient pas existé, un contrôle juridictionnel du montant des amendes individuelles présupposerait que le Tribunal connaisse l'importance que la Commission a attribuée à chaque circonstance considérée comme aggravante. Cela serait d'autant plus nécessaire lorsque, comme en l'espèce, il existe des indices montrant que les entreprises qui n'ont pas renoncé à leurs droits de la défense contre les accusations de la Commission se sont vu infliger une amende très aggravée.

266.
    Par ailleurs, la Commission aurait reconnu la nécessité de motiver davantage sa méthode de distinction entre les différentes entreprises puisque, lors d'une conférence de presse du 13 juillet 1994, elle aurait fourni des indications à cet égard en divulguant même la formule mathématique qu'elle n'avait prétendument pas utilisée. La motivation devrait cependant faire partie intégrante de la décision même.

267.
    Enfin, la décision n'expliquerait pas les raisons pour lesquelles la Commission a considéré que la requérante ne devait pas bénéficier d'une réduction de l'amende, alors que celle-ci n'aurait pas contesté, dans sa réponse à la communication des griefs, les principales allégations de fait de la Commission. La Commission aurait dû indiquer, dans la décision, les éléments de fait reconnus ou non contestés durant la procédure administrative par les entreprises ayant bénéficié d'une réduction du montant de leurs amendes.

268.
    La Commission considère que la décision contient un exposé suffisant des motifs déterminants pour la fixation de l'amende de chaque entreprise. En effet, les critères énumérés au point 169 des considérants de la décision devraient être lus à la lumière de la motivation de la décision dans son ensemble (arrêt ICI/Commission, précité, point 355). Or, précisément, la décision contiendrait de nombreuses indications sur l'appréciation individuelle portée à l'égard de la requérante (notamment aux points 8, 9, 36 et suivants, et 170 à 173 des considérants).

269.
    La Commission conteste que la motivation contenue dans la décision ne permette pas un contrôle juridictionnel du respect du principe de la proportionnalité. Selon elle, la requérante part évidemment de l'idée erronée selon laquelle les amendes ont été fixées sur la base d'une formule mathématique, ce qui ne serait cependant pas le cas. En effet, le taux de base retenu aurait été modifié en fonction de la situation particulière de chacune des entreprises concernées. Au demeurant, les chiffres d'affaires, qui seraient des secrets d'affaires, devraient être protégés par la Commission.

270.
    En ce qui concerne les réductions accordées au titre de la coopération avec la Commission, celle-ci fait observer que la décision contient des indications synthétiques sur les moyens de défense des différentes entreprises (points 107 à 110 des considérants) ainsi que sur les appréciations que la Commission a portées sur ces moyens (points 111 à 115 des considérants). S'agissant de la requérante, il ressortirait des points 108 et 114 des considérants que la Commission a considéré que ses observations étaient matériellement inexactes sur des points essentiels et qu'elle n'a donc pas pu être considérée comme ayant fait des aveux (voir également point 172 des considérants). La requérante aurait donc pu apprécier si elle avait été sanctionnée de manière pertinente et sans discrimination par rapport aux autres entreprises.

271.
    Enfin, la Commission rappelle que la motivation concernant le calcul des amendes individuelles est tout à fait comparable à celle fournie dans la décision Polypropylène, décision qui a été considérée comme contenant une motivation suffisante (arrêt ICI/Commission, précité, points 353 et 354).

Appréciation du Tribunal

272.
    Le Tribunal a déjà rappelé le but de l'obligation de motiver une décision individuelle (voir ci-dessus point 42).

273.
    Pour ce qui est d'une décision infligeant, comme en l'espèce, des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments (voir ci-dessus point 256).

274.
    De plus, lors de la fixation du montant de chaque amende, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation, et elle ne saurait être considérée comme tenue d'appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 59).

275.
    Dans la décision, les critères pris en compte pour déterminer le niveau général des amendes et le montant des amendes individuelles figurent, respectivement, aux points 168 et 169 des considérants. En outre, pour ce qui est des amendes individuelles, la Commission explique au point 170 des considérants que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG ont, en principe, été considérées comme des «chefs de file» de l'entente, alors que les autres entreprises ont été considérées comme des «membres ordinaires» de celle-ci. Enfin, aux points 171 et 172 des considérants, elle indique que les montants des amendes infligées à Rena et à Stora doivent être considérablement réduits pour tenir compte de leur coopération active avec la Commission et que huit autres entreprises peuvent également bénéficier d'une réduction dans une proportion moindre, du fait qu'elles

n'ont pas, dans leurs réponses à la communication des griefs, nié les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs.

276.
    Dans ses écritures devant le Tribunal ainsi que dans sa réponse à une question écrite de celui-ci, la Commission a expliqué que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990. Des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % de ce chiffre d'affaires individuel ont ainsi été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les «chefs de file» de l'entente et aux autres entreprises. Enfin, la Commission a tenu compte de l'éventuelle attitude coopérative de certaines entreprises au cours de la procédure devant elle. Deux entreprises ont bénéficié à ce titre d'une réduction des deux tiers du montant de leurs amendes, tandis que d'autres entreprises ont bénéficié d'une réduction d'un tiers.

277.
    Il ressort, par ailleurs, d'un tableau fourni par la Commission et contenant des indications quant à la fixation du montant de chacune des amendes individuelles que, si celles-ci n'ont pas été déterminées en appliquant de manière strictement mathématique les seules données chiffrées susmentionnées, lesdites données ont cependant été systématiquement prises en compte aux fins du calcul des amendes.

278.
    Or, la décision ne précise pas que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises sur le marché communautaire du carton en 1990. De plus, les taux de base appliqués de 9 et de 7,5 % pour calculer les amendes infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme des «chefs de file» et à celles considérées comme des «membres ordinaires» ne figurent pas dans la décision. N'y figurent pas davantage les taux des réductions accordées à Rena et à Stora, d'une part, et à huit autres entreprises, d'autre part.

279.
    En l'espèce, il y a lieu de considérer, en premier lieu, que, interprétés à la lumière de l'exposé détaillé, dans la décision, des allégations factuelles formulées à l'égard de chaque destinataire de la décision, les points 169 à 172 des considérants de celle-ci contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par chacune des entreprises en cause (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina/Commission, T-2/89, Rec. p. II-1087, point 264). En outre, l'énoncé des critères ayant justifié des réductions du montant des amendes et l'énumération des entreprises ayant bénéficié de telles réductions (points 171 et 172 des considérants) permettent de comprendre le raisonnement de la Commission. Partant, celle-ci n'était pas tenue d'expliquer plus en détail l'application individuelle de ces critères.

280.
    En second lieu, lorsque le montant de chaque amende est, comme en l'espèce, déterminé sur la base de la prise en compte systématique de certaines données précises, l'indication, dans la décision, de chacun de ces facteurs permettrait aux entreprises de mieux apprécier, d'une part, si la Commission a commis des erreurs

lors de la fixation du montant de l'amende individuelle et, d'autre part, si le montant de chaque amende individuelle est justifié par rapport aux critères généraux appliqués. En l'espèce, l'indication dans la décision des facteurs en cause, soit le chiffre d'affaires de référence, l'année de référence, les taux de base retenus et les taux de réduction du montant des amendes, n'aurait comporté aucune divulgation implicite du chiffre d'affaires précis des entreprises destinataires de la décision, divulgation qui aurait pu constituer une violation de l'article 214 du traité. En effet, le montant final de chaque amende individuelle ne résulte pas, comme la Commission l'a elle-même souligné, d'une application strictement mathématique desdits facteurs.

281.
    La Commission a d'ailleurs reconnu, lors de l'audience, que rien ne l'aurait empêchée d'indiquer, dans la décision, les facteurs qui avaient été pris systématiquement en compte et qui avaient été divulgués pendant une conférence de presse tenue le jour même de l'adoption de cette décision. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d'une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et que des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances particulières, être prises en compte (voir arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61/89, Rec. p. II-1931, point 131, et, dans lemême sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30/89, Rec. p. II-1439, point 136).

282.
    Malgré ces constatations, il doit être relevé que la motivation relative à la fixation du montant des amendes contenue aux points 167 à 172 des considérants de la décision est, au moins, aussi détaillée que celles contenues dans les décisions antérieures de la Commission portant sur des infractions similaires. Or, bien que le moyen tiré d'un vice de motivation soit d'ordre public, aucune critique n'avait, au moment de l'adoption de la décision, été soulevée par le juge communautaire quant à la pratique suivie par la Commission en matière de motivation des amendes infligées. Ce n'est que dans l'arrêt du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission (T-148/89, Rec. p. II-1063, point 142), et dans deux autres arrêts rendus le même jour, Société métallurgique de Normandie/Commission (T-147/89, Rec. p. II-1057, publication sommaire), et Société des treillis et panneaux soudés/Commission (T-151/89, Rec. p. II-1191, publication sommaire), que le Tribunal a, pour la première fois, souligné qu'il est souhaitable que les entreprises puissent connaître en détail le mode de calcul de l'amende qui leur est infligée, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission.

283.
    Il s'ensuit que lorsqu'elle constate, dans une décision, une infraction aux règles de la concurrence et inflige des amendes aux entreprises ayant participé à celle-ci la Commission doit, si elle a systématiquement pris en compte certains éléments de base pour fixer le montant des amendes, indiquer ces éléments dans le corps de la

décision afin de permettre aux destinataires de celle-ci de vérifier le bien-fondé du niveau de l'amende et d'apprécier l'existence d'une éventuelle discrimination.

284.
    Dans les circonstances particulières relevées au point 282 ci-dessus, et compte tenu du fait que la Commission s'est montrée disposée à fournir, lors de la procédure contentieuse, tout renseignement pertinent relatif au mode de calcul des amendes, l'absence de motivation spécifique dans la décision sur le mode de calcul des amendes ne doit pas, en l'espèce, être considérée comme constitutive d'une violation de l'obligation de motivation justifiant l'annulation totale ou partielle des amendes infligées.

285.
    Par conséquent, le présent moyen ne saurait être retenu.

D — Sur le moyen tiré de ce que la requérante aurait été erronément qualifiée de «chef de file» de l'entente

Arguments des parties

286.
    La requérante fait valoir que la Commission l'a considérée à tort comme l'un des «chefs de file» de l'entente. Elle rappelle que la Commission n'a invoqué qu'un seul élément à l'appui de cette constatation, à savoir le fait qu'elle était représentée au sein du PWG (point 170 des considérants de la décision). Cet élément ne pourrait cependant être considéré comme suffisant, d'autant que la Commission n'aurait pas expliqué pourquoi les entreprises Weig et KNP — également représentées au sein du PWG — n'avaient pas été considérées comme des «chefs de file».

287.
    Il ne serait pas non plus justifié de considérer la requérante comme l'un des «chefs de file» pour avoir assuré la présidence du PWG pendant moins d'un semestre.

288.
    La requérante conteste que les participants aux réunions du PWG aient joué le rôle de «moteur» de l'entente. Tous les participants aux réunions des différents organes du GEP Carton auraient participé à toutes les discussions pouvant être considérées comme enfreignant l'article 85 du traité. De plus, la Commission affirmerait elle-même que l'ensemble des organes du GEP Carton exerçaient des fonctions qui faisaient partie d'un plan global commun visant à restreindre la concurrence et que chaque entreprise prenait part à ce système global.

289.
    La Commission fait valoir que la requérante doit être considérée comme l'un des «chefs de file» de l'entente du fait de sa participation aux réunions du PWG, organe au sein duquel les principales décisions relatives aux initiatives en matière de prix ainsi que celles relatives à la politique de «prix avant le tonnage» avaient été prises (points 36 à 40 des considérants de la décision). En outre, eu égard au fait que la requérante a longtemps présidé le PWG, il faudrait considérer qu'elle y jouait un rôle particulièrement actif.

Appréciation du Tribunal

290.
    Il ressort des constatations relatives aux moyens invoqués par la requérante à l'appui de sa demande d'annulation de l'article 1er de la décision que la nature des fonctions du PWG, telles que décrites dans la décision, a été dûment établie par la Commission. Le rôle joué, en particulier à la fin de l'année 1987, par les entreprises réunies au sein de cet organe a également été établi.

291.
    Dans ces conditions, la Commission a pu conclure à bon droit que les entreprises, dont la requérante, ayant participé aux réunions de cet organe devaient être considérées comme des «chefs de file» de l'infraction constatée et qu'elles devaient, de ce fait, porter une responsabilité particulière (voir point 170, premier alinéa, des considérants de la décision). A cet égard, il y a lieu de souligner que le critère retenu par la Commission pour qualifier les entreprises de «chefs de file» n'est pas celui de la présidence du PWG, mais celui de la participation aux réunions de cet organe.

292.
    En l'espèce, il est constant que la requérante a participé aux réunions du PWG dès la création de cet organe. De plus, elle n'a aucunement démontré qu'elle aurait joué un rôle essentiellement passif au sein des organes du GEP Carton.

293.
    L'allégation selon laquelle toutes les entreprises ayant participé aux réunions des divers organes du GEP Carton doivent être considérées comme responsables de l'infraction, à supposer même qu'elle soit fondée, n'est pas de nature à affecter la constatation selon laquelle les entreprises réunies au sein du PWG ont joué un rôle particulier dans la conception et la mise en oeuvre des agissements illicites.

294.
    Enfin, le Tribunal estime que la décision contient des explications suffisantes permettant d'apprécier le rôle joué par KNP et par Weig. Ainsi, selon le point 170, deuxième alinéa, des considérants, KNP n'a été considérée comme l'un des «chefs de file» de l'entente que pendant la durée de sa participation aux réunions du PWG, soit pendant une durée plus brève que celle de sa participation à l'entente. En outre, la Commission déclare avoir tenu compte du fait que Weig, bien que membre du PWG, ne semblait pas avoir joué un rôle important dans la détermination de la politique de l'entente (point 170, troisième alinéa, des considérants). L'affirmation de la requérante selon laquelle elle aurait fait l'objet d'un traitement discriminatoire par rapport auxdites entreprises est donc dénuée de fondement.

295.
    Par conséquent, le présent moyen doit être rejeté.

E — Sur le moyen tiré d'une violation des droits de la défense

Arguments des parties

296.
    La requérante fait valoir que ses droits de la défense ont été violés. Le montant de l'amende qui lui a été infligée aurait, en effet, été majoré de 50 % en raison de sa contestation de certaines des accusations de la Commission. Dès lors, elle aurait été sanctionnée plus lourdement pour ne pas avoir renoncé à exercer ses droits de la défense.

297.
    Elle invoque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme selon laquelle toute pression sur les entreprises visant à ce qu'elles renoncent à contester les accusations portées contre elles, dans le but d'obtenir une réduction du montant de l'amende, serait en contradiction avec l'article 6 de la CEDH (arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme du 27 février 1980, Deweer, série A, n° 35, points 41 à 47, et du 25 février 1993, Funke, série A, n° 256-A, point 44). En outre, selon la même juridiction, les autorités chargées de l'instruction seraient tenues de respecter, même dans les procédures de concurrence menées à l'encontre des entreprises, les garanties procédurales énoncées à l'article 6 de la CEDH, notamment celle de la présomption d'innocence (arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme du 8 juin 1976, Engel e.a., série A, n° 22, du 21 février 1984, Öztürk, série A, n° 73, arrêt Deweer, précité, et avis de la Commission européenne des droits de l'homme dans l'affaire Stenuit/État français, n° 11598/85, Rapport du 30 mai 1991, série A, n° 232-A).

298.
    La requérante rappelle que les droits de la défense ont été reconnus comme un principe général du droit communautaire impliquant que les entreprises ne sauraient être soumises à aucune contrainte dans le but de les amener à reconnaître la réalité des griefs formulés à leur égard (arrêt de la Cour du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, Rec. p. 3283, point 35). Plus particulièrement, il aurait été reconnu que l'article 6 de la CEDH s'applique à la procédure administrative devant la Commission (même arrêt, point 30).

299.
    S'agissant du déroulement de la procédure administrative devant la Commission, la requérante affirme que des menaces ont été proférées à l'encontre des entreprises pour les contraindre à ne pas contester les allégations de la Commission. Elle rappelle que la Commission admet avoir fait savoir aux entreprises, au cours de la procédure administrative, qu'une coopération de leur part serait prise en compte pour la fixation de l'amende.

300.
    Au demeurant, les droits de la défense de la requérante auraient été violés en raison du fait qu'elle n'a pas pu consulter les mémoires des entreprises qui ont bénéficié d'une réduction de l'amende pour ne pas avoir contesté les principales allégations de fait de la Commission. Dans ces conditions, elle n'aurait pas eu la possibilité de vérifier si lesdites entreprises avaient véritablement omis de contester

les principales allégations et, par conséquent, si elle a fait l'objet d'une discrimination par rapport à ces entreprises.

301.
    La Commission estime qu'elle est en droit de réduire les amendes pour tenir compte d'une coopération active de la part des entreprises (arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12/89, Rec. p. II-907, points 341 et 342, et ICI/Commission, précité, point 393). Une telle réduction de l'amende ne pourrait être considérée comme violant les droits de la défense des entreprises en cause, à moins que la Commission ne menace d'infliger des amendes plus lourdes aux entreprises qui n'avouent pas les infractions.

302.
    Or, la Commission n'aurait jamais exercé la moindre pression sur la requérante afin de la contraindre à ne pas contester l'exactitude de la communication des griefs. En effet, elle aurait offert à la requérante une possibilité de réduction de l'amende aux mêmes conditions que celles proposées à toutes les autres entreprises concernées.

303.
    Elle conteste la pertinence des arguments tirés de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ainsi que de l'arrêt Orkem/Commission, précité. Il résulterait d'ailleurs expressément de ce dernier arrêt (point 30) que la CEDH n'a aucune pertinence pour la présente question.

304.
    Enfin, la Commission souligne qu'elle n'est pas tenue de révéler, au stade de la procédure administrative, les critères envisagés pour le calcul de l'amende (arrêtde la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, points 17 et suivants), mais qu'il lui suffit d'indiquer ces critères dans la décision elle-même. Dès lors, il suffirait d'exposer dans la décision le degré de coopération dont les différentes entreprises ont fait preuve.

Appréciation du Tribunal

305.
    La Commission a déterminé le niveau général des amendes en se fondant sur les considérations énoncées aux points 167 et 168 des considérants. De plus, il est constant que des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990 ont été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les «chefs de file» de l'entente et aux autres entreprises.

306.
    Il y a lieu de considérer que les critères repris au point 168 des considérants de la décision justifient le niveau général des amendes fixé par la Commission (voir ci-dessus point 262).

307.
    Les points 169 à 172 des considérants mentionnent les éléments que la Commission a retenus pour déterminer l'amende à infliger à chaque entreprise. En particulier,

aux points 171 et 172, la Commission indique que les montants des amendes infligées à Rena et à Stora doivent être considérablement réduits pour tenir compte de leur coopération active avec la Commission, et que huit autres entreprises peuvent également bénéficier d'une réduction dans une proportion moindre, du fait qu'elles n'ont pas, dans leurs réponses à la communication des griefs, nié les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs. Lors de la procédure devant le Tribunal, la Commission a notamment expliqué avoir tenu compte de l'éventuelle attitude coopérative de certaines entreprises au cours de la procédure devant elle en réduisant des deux tiers le montant des amendes infligées à deux entreprises, tandis que d'autres entreprises ont bénéficié d'une réduction d'un tiers.

308.
    Le niveau général des amendes retenu par la Commission étant considéré comme justifié au regard des critères énoncés dans la décision, le Tribunal constate que la Commission a, comme indiqué dans la décision, effectivement procédé à une réduction du montant des amendes infligées aux entreprises, lorsque celles-ci avaient adopté une attitude coopérative lors de la procédure administrative. L'argument de la requérante selon lequel la Commission aurait augmenté le montant des amendes infligées aux entreprises qui avaient exercé leurs droits de la défense ne saurait donc être retenu.

309.
    A cet égard, il y a lieu de relever que l'absence de réponse à la communication des griefs, l'absence de prise de position sur les allégations de fait dans la réponse à la communication des griefs, la contestation dans cette réponse de l'essentiel ou de la totalité des allégations de fait contenues dans la communication des griefs, qui constituent des modalités d'exercice des droits de la défense durant la procédure administrative devant la Commission, ne peuvent pas justifier une réduction de l'amende au titre d'une coopération lors de la procédure administrative. En effet, une réduction à ce titre n'est justifiée que si le comportement a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (voir arrêt ICI/Commission, précité, point 393). Dans ces circonstances, une entreprise qui déclare expressément qu'elle ne conteste pas les allégations de fait sur lesquelles la Commission fonde ses griefs peut être considérée comme ayant contribué à faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence.

310.
    Enfin, en ce qui concerne l'article 6 de la CEDH, il convient de rappeler que la Cour, contrairement à ce que soutient la requérante, n'a pas jugé dans son arrêt Orkem/Commission que cette disposition s'applique à la procédure administrative devant la Commission, mais a seulement envisagé l'hypothèse d'une telle application dans le cas d'espèce, ainsi que cela ressort du libellé même de l'arrêt (point 30).

311.
    A cet égard, il doit être souligné que le Tribunal n'est pas compétent pour apprécier la légalité d'une enquête en matière de droit de la concurrence au regard

des dispositions de la CEDH, dans la mesure où celles-ci ne font pas partie en tant que telles du droit communautaire.

312.
    Cependant, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (voir, notamment, avis de la Cour, du 28 mars 1996, avis 2/94, Rec. p. I-1759, point 33, et arrêt de la Cour du 29 mai 1997, Kremzow, C-299/95, Rec. p. I-2629, point 14). A cet effet, la Cour et le Tribunal s'inspirent des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré et adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (arrêts de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18, et Kremzow, précité, point 14). Par ailleurs, aux termes de l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, «l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la [CEDH] et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire».

313.
    Dès lors, il y a lieu d'examiner si, à la lumière de ces considérations, la Commission a méconnu le principe fondamental de l'ordre juridique communautaire qu'est le respect des droits de la défense (arrêt Michelin/Commission, précité, point 7) en exerçant de prétendues pressions illicites sur la requérante durant la procédure administrative devant elle pour qu'elle reconnaisse les allégations de fait contenues dans la communication des griefs.

314.
    A cet égard, le seul fait d'indiquer à une entreprise partie à l'enquête, durant la procédure administrative, qu'une réduction du montant de l'amende à intervenir serait possible en cas de reconnaissance de l'essentiel ou de la totalité des allégations de fait, sans préciser l'ampleur de cette réduction, ne saurait constituer une pression exercée sur cette entreprise.

315.
    En tout état de cause, la requérante n'a pas expliqué en quoi la possibilité offerte par la Commission durant la procédure administrative de se voir accorder une réduction du montant de l'amende à intervenir aurait constitué une pression telle qu'elle aurait été contrainte de reconnaître l'essentiel des allégations de fait contenues dans la communication des griefs. Dans ce contexte, il doit d'ailleurs être relevé que la requérante a exercé ses droits de la défense durant la procédure administrative, puisqu'elle a effectivement contesté l'essentiel des allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs. Il s'ensuit que son argument doit être écarté.

316.
    Enfin, la requérante n'a pas expliqué en quoi le principe de la présomption d'innocence aurait été méconnu.

317.
    Quant à son argument selon lequel elle n'a pas pu vérifier si elle avait été traitée différemment des autres entreprises visées par l'enquête, il sera examiné dans le cadre du moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement (voir ci-après points 334 et 335).

318.
    Au vu de ce qui précède, le moyen doit être rejeté.

F — Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement en ce que la requérante n'a pas bénéficié d'une réduction de l'amende

Arguments des parties

319.
    La requérante fait valoir qu'elle a été discriminée par rapport aux entreprises dont l'amende a été réduite pour ne pas avoir contesté les principales allégations de fait soulevées par la Commission (point 172 des considérants de la décision).

320.
    Il ressortirait d'une lettre de la Commission du 27 avril 1994 que celle-ci lui demandait, pour bénéficier d'une réduction, de reconnaître l'exactitude matérielle des griefs, alors qu'elle n'aurait demandé aux autres entreprises que l'absence de contestation de la substance des allégations de fait.

321.
    Or, la requérante n'aurait pas contesté la substance des allégations de fait de la Commission, de sorte qu'elle aurait dû bénéficier d'une réduction de l'amende. Elle aurait toujours admis sa participation à des discussions sur des prix et des augmentations de prix et aurait même déclaré que de telles discussions constituent, selon la jurisprudence, des pratiques concertées contraires à l'article 85 du traité. En outre, la Commission aurait expressément reconnu, dans les renseignements individuels joints à la communication des griefs, cette coopération de la requérante.

322.
    La requérante n'aurait pas pu admettre l'exactitude de l'appréciation portée par la Commission sur les faits, notamment en ce qui concerne ses allégations relatives à l'existence d'accords sur les prix et d'une entente parfaitement organisée, parce que sa responsabilité aurait pu être engagée devant le juge national.

323.
    La requérante affirme avoir coopéré de manière active avec la Commission, en particulier en ce qu'elle a proposé, conjointement avec certaines autres entreprises, une solution procédurale consistant à renoncer aux voies de recours en contrepartie d'une réduction du montant de l'amende. Cette proposition aurait en soi justifié une réduction de l'amende.

324.
    Enfin, dans la mesure où elle peut vérifier le contenu des observations faites par des entreprises bénéficiant de la réduction de l'amende concernée, la requérante conclut qu'elle a fait l'objet d'une discrimination certaine. Elle s'appuie, sur ce point, sur les principaux moyens, tels que publiés au Journal officiel des Communautés européennes, des recours introduits par Sarrió et par Enso Española (JO 1994, C 380, p. 20 et 22). Il en ressortirait que, devant le Tribunal, ces deux

entreprises contestent les allégations de la Commission au moins dans la même mesure qu'elle. Pourtant, ces deux entreprises auraient obtenu des réductions des amendes pour une prétendue absence de contestation. De plus, la requérante cite des extraits des déclarations faites par le représentant de la société Weig lors de l'audition devant la Commission et elle renvoie aux moyens invoqués par cette entreprise devant le Tribunal (tels que décrits au JO 1994, C 380, p. 16 et suivantes). Elle en déduit que Weig, bien qu'elle ait obtenu une réduction de l'amende, conteste les allégations de la Commission dans la même proportion qu'elle.

325.
    La Commission rappelle qu'elle n'est pas seulement en droit de réduire les amendes pour tenir compte d'une coopération active, mais qu'une telle réduction est même parfois requise (arrêt ICI/Commission, précité, point 393). La prise en compte de la non-contestation des faits comme circonstance atténuante pour le calcul des amendes serait donc justifiée, étant donné qu'une telle coopération contribuerait à éclaircir les faits et à accélérer la procédure.

326.
    La requérante n'aurait fait preuve d'aucune coopération active de cette nature. D'une part, elle n'aurait admis que l'existence d'une pratique concertée, ce qui ne constituerait aucune reconnaissance des faits. D'autre part, elle aurait toujours contesté non seulement l'adoption d'accords en matière de prix mais aussi toute concertation relative aux quantités de production, aux parts de marchés et à la mise en oeuvre planifiée des initiatives en matière de prix.

327.
    La Commission conteste que la solution proposée par la requérante afin de mettre un terme à la procédure puisse être considérée comme une coopération active justifiant une réduction du montant de l'amende. Le fait de renoncer à un recours ne serait pas susceptible d'éclaircir les faits. Il ne permettrait pas davantage d'accélérer la procédure, la Commission n'ayant aucun intérêt à la conclusion de tels «arrangements» avec les entreprises.

328.
    En ce qui concerne la prétendue inégalité de traitement par rapport aux sociétés Sarrió et Enso Española, la Commission soutient que ces deux entreprises n'avaient en tout état de cause pas contesté le fond des constatations de fait de la Commission avant la publication de la décision. Dès lors, la réduction de leurs amendes aurait été justifiée. Le comportement de la société Weig ne serait pas non plus comparable à celui de la requérante. D'une part, dès la communication des griefs, Weig n'aurait pratiquement plus contesté les constatations de la Commission. D'autre part, elle aurait contribué à éclaircir les faits en obtenant une déclaration de la part d'un membre du directoire de Feldmühle ayant participé aux réunions de plusieurs organes du GEP Carton.

Appréciation du Tribunal

329.
    La requérante a uniquement admis, dans sa réponse à la communication des griefs, que des discussions menées dans le cadre des organes du GEP Carton ont pu porter sur les prix et les augmentations de prix.

330.
    La Commission a estimé à bon droit que, en répondant de la sorte, la requérante ne s'est pas comportée d'une manière justifiant une réduction de l'amende au titre d'une coopération lors de la procédure administrative. En effet, une réduction à ce titre n'est justifiée que si le comportement a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (voir arrêt ICI/Commission, précité, point 393).

331.
    Ainsi que cela a déjà été énoncé (voir point 309 ci-dessus), une entreprise qui déclare expressément qu'elle ne conteste pas les allégations de fait sur lesquelles la Commission fonde ses griefs peut être considérée comme ayant contribué à faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence. Dans ses décisions constatant une infraction à ces règles, la Commission est en droit de considérer un tel comportement comme constitutif d'une reconnaissance des allégations de fait et donc comme un élément de preuve du bien-fondé des allégations en cause. Dès lors, un tel comportement peut justifier une réduction de l'amende.

332.
    Il en est autrement lorsqu'une entreprise s'abstient de répondre à la communication des griefs, déclare uniquement ne pas prendre position sur les allégations de fait avancées par la Commission dans celle-ci ou conteste dans sa réponse, comme la requérante, l'essentiel de ces allégations. En effet, en adoptant une telle attitude lors de la procédure administrative, l'entreprise ne contribue pas à faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence. Il est également évident que la proposition faite par la requérante à la Commission durant la procédure administrative, consistant à renoncer à l'introduction d'un recours devant le Tribunal contre la décision à intervenir, n'a pas non plus pu contribuer à faciliter cette tâche.

333.
    Par conséquent, lorsque la Commission déclare au point 172, premier alinéa, des considérants de la décision qu'elle a accordé des réductions des amendes infligées aux entreprises qui, dans leurs réponses à la communication des griefs, n'ont pas nié les principales allégations de fait invoquées par la Commission, force est de constater que ces réductions des amendes ne peuvent être considérées comme licites que dans la mesure où les entreprises concernées ont expressément déclaré qu'elles ne contestaient pas lesdites allégations.

334.
    A supposer même que la Commission ait appliqué un critère illégal en réduisant les amendes infligées à des entreprises qui n'avaient pas déclaré expressément qu'elles ne contestaient pas les allégations de fait, il convient de rappeler que le

respect du principe d'égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d'autrui (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 4 juillet 1985, Williams/Cour des comptes, 134/84, Rec. p. 2225, point 14). Dans la mesure où l'argumentation de la requérante tend précisément à ce que lui soit reconnu un droit à une réduction illégale de l'amende, cette argumentation ne saurait, par conséquent, être accueillie.

335.
    Le fait que la Commission ait éventuellement accordé des réductions illégales du montant de certaines amendes ne pouvant pas entraîner une réduction du montant de l'amende infligée à la requérante, celle-ci ne saurait faire valoir que ses droits de la défense ont été violés du fait qu'elle n'a pas pu vérifier si, sur ce point, elle a fait l'objet d'un traitement différent de celui réservé aux autres entreprises.

336.
    Enfin, l'argument de la requérante selon lequel les entreprises Sarrió et Enso Española et, dans une certaine mesure Weig, ont bénéficié d'une réduction d'un tiers du montant de leurs amendes, alors qu'elles auraient contesté, dans leurs recours contre la décision introduits devant le Tribunal, les allégations contenues dans celle-ci est inopérant. En effet, la Commission n'a tenu compte que du comportement des entreprises lors de la procédure administrative pour octroyer des réductions du montant des amendes.

337.
    Il s'ensuit que le moyen doit être rejeté.

G — Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement en ce que l'amende infligée à la requérante serait trop élevée par rapport à celle infligée à Stora

Arguments des parties

338.
    La requérante fait valoir qu'il ressort de la jurisprudence que les amendes doivent être fixées individuellement, sans discrimination, en tenant compte de la participation de chacune des entreprises à l'infraction, de leur situation sur le marché et de leur situation économique générale (voir arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, Buchler/Commission, 44/69, Rec. p. 733, Suiker Unie e.a./Commission, précité, et du 12 juillet 1979, BMW e.a./Commission, 32/78 et 36/78 à 82/78, Rec. p. 2435). La Cour et le Tribunal auraient souligné à plusieurs reprises l'importance du principe d'égalité de traitement (arrêts de la Cour du 30 janvier 1985, BAT/Commission, 35/83, Rec. p. 363, points 43 à 47, du 8 février 1990, Tipp-Ex/Commission, C-279/87, Rec. p. I-261, publication sommaire, points 40 et 41, et arrêts Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, précité, point 52, et ICI/Commission, précité).

339.
    Eu égard à cette jurisprudence, la requérante estime que l'argument de la Commission selon lequel elle ne pourrait se prévaloir d'un traitement éventuellement favorable accordé à Stora ne saurait aboutir.

340.
    Le moyen s'articule en deux branches.

341.
    Dans la première branche, la requérante fait valoir que l'amende qui lui a été infligée est disproportionnée par rapport à celle infligée à Stora.

342.
    Elle souligne que Feldmühle a pris l'initiative des sous-cotations systématiques qui ont contraint la requérante et d'autres producteurs non communautaires à mettre fin à leur politique d'expansion sur le marché communautaire. Les représentants de Stora/Feldmühle auraient joué un rôle particulièrement actif au sein du JMC et du PWG. Enfin, Stora aurait été, pendant la période en question, le leader du marché européen du carton, avec une part de marché s'élevant à environ 14 %.

343.
    Dès lors, l'amende de Stora, avant les éventuelles réductions, aurait dû être sensiblement supérieure à celle de la requérante. La Commission aurait donc violé le principe d'égalité lors de la fixation des amendes (arrêt ICI/Commission, précité, points 352, 354 et suivants).

344.
    Dans la seconde branche du moyen, la requérante soutient que la réduction de l'amende accordée à Stora viole également le principe d'égalité de traitement. En premier lieu, la Commission aurait considéré à tort que Stora a coopéré de manière volontaire et spontanée. Stora n'aurait, en effet, «avoué» que neuf mois après le dépôt de la plainte de l'association BPIF, plainte dont le secteur aurait rapidement eu connaissance, soit quatre mois après les vérifications effectuées par la Commission et seulement après avoir reçu les demandes de renseignements envoyées par celle-ci.

345.
    En second lieu, la requérante conteste que «l'aveu» de Stora ait véritablement contribué de manière décisive à l'établissement de l'infraction alléguée. Elle met l'accent, à cet égard, sur les indications de la Commission selon lesquelles les déclarations de Stora sont corroborées sur tous les points importants par d'autres documents.

346.
    En troisième lieu, la réduction accordée à Stora serait, en tout état de cause, disproportionnée. Comparant les constatations du Tribunal dans l'arrêt ICI/Commission, précité (point 393), et les faits de l'espèce, la requérante soutient que Stora ne saurait, en tout état de cause, être traitée de manière plus favorable que ne l'a été ICI devant le Tribunal.

347.
    En quatrième lieu, elle affirme dans sa réplique, en se fondant notamment sur l'arrêt Solvay/Commission, précité (points 341 et suivants), qu'il est douteux que le seul fait d'avouer puisse être récompensé au moyen d'une réduction au titre de la coopération, puisque les entreprises sont, en tout état de cause, tenues de répondre aux demandes de renseignements de la Commission.

348.
    Enfin, en cinquième lieu, dans sa réplique, elle affirme que la Commission a imposé des amendes élevées à certaines entreprises du seul fait qu'elles n'avaient

pas complètement souscrit à l'appréciation des faits portée par Stora. Cette pratique serait inacceptable, d'autant que Stora aurait été l'une des entreprises les plus gravement impliquées et aurait donc eu un intérêt évident à diminuer son propre rôle dans l'entente par rapport aux autres entreprises.

349.
    D'après la Commission, la requérante ne conteste pas la légalité de sa propre amende mais celle de l'amende imposée à Stora. Or, la requérante ne pourrait pas se prévaloir de l'éventuelle illégalité de l'amende imposée à Stora, puisque le principe d'égalité de traitement ne signifie pas que la requérante puisse prétendre, dans l'hypothèse où l'amende imposée à Stora serait illégale, à un traitement aussi illégal.

350.
    En tout état de cause, l'amende infligée à Stora serait appropriée. De plus, une violation du principe d'égalité de traitement présupposerait un traitement différent de cas comparables. Or, la situation de la requérante ne serait pas comparable avec celle de Stora. Si les deux entreprises devaient être considérées comme des «chefs de file» devant porter une responsabilité particulière, il n'en resterait pas moins que Stora aurait rapidement et amplement coopéré avec la Commission, ce qui n'aurait pas été le cas pour la requérante.

351.
    Enfin, la Commission fait observer que les déclarations faites par Stora allaient bien au-delà des demandes de renseignements de la Commission et que Stora n'a pas, comme l'affirme la requérante, rétracté la plus grande partie de ses aveux.

Appréciation du Tribunal

352.
    Selon une jurisprudence constante, le principe général d'égalité de traitement, qui appartient aux principes fondamentaux du droit communautaire, n'est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu'un tel traitement soit objectivement justifié (arrêts de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et du 28 juin 1990, Hoche, C-174/89, Rec. p. I-2681, point 25, et, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 1994, La Pietra/Commission, T-100/92, RecFP p. II-275, point 50).

353.
    En l'espèce, la requérante invoque une violation de ce principe. Elle fait valoir que l'amende qui lui a été infligée a été calculée à partir d'un taux de base identique à celui retenu pour calculer l'amende infligée à Stora, soit 9 % du chiffre d'affaires réalisé en 1990 sur le marché communautaire du carton, alors que son rôle dans l'entente aurait été différent de celui de Stora.

354.
    A cet égard, il suffit de constater qu'il ressort de la décision que Stora et la requérante ont participé aux différents éléments constitutifs de l'entente en tant que participants aux réunions du PWG et que les deux entreprises ont été qualifiées de «chefs de file» de l'entente du fait de leur participation aux réunions

de cet organe du GEP Carton. Il s'ensuit que les situations de ces entreprises dans l'entente ne sont pas différentes et que leur traitement identique lors du calcul du montant de l'amende était justifié. En effet, à supposer même que les éléments invoqués par la requérante afin de démontrer qu'elle a joué un rôle moins actif que Stora au sein du PWG soient établis, ces éléments ne seraient pas susceptibles d'infirmer la constatation de la Commission relative aux rôles respectifs de la requérante et de Stora. Dans ces conditions, la première branche du moyen doit être écartée.

355.
    La seconde branche du moyen ne saurait non plus être retenue.

356.
    En effet, Stora a fourni à la Commission des déclarations comportant une description très détaillée de la nature et de l'objet de l'infraction, du fonctionnement des divers organes du GEP Carton et de la participation à l'infraction des différents producteurs. Par ces déclarations, Stora a fourni des renseignements allant bien au-delà de ceux dont la production peut être exigée par la Commission en vertu de l'article 11 du règlement n° 17. Bien que la Commission déclare, dans la décision, qu'elle a obtenu des éléments de preuve corroborant les renseignements contenus dans les déclarations de Stora (points 112 et 113 des considérants), il apparaît clairement que les déclarations de Stora ont constitué le principal élément de preuve de l'existence de l'infraction. Sans ces déclarations, il aurait donc été, à tout le moins, beaucoup plus difficile pour la Commission de constater et, le cas échéant, de mettre fin à l'infraction faisant l'objet de la décision.

357.
    Dans ces conditions, la Commission n'a pas, en réduisant des deux tiers le montant de l'amende infligée à Stora, dépassé la marge d'appréciation dont elle dispose lors de la détermination du montant des amendes. La requérante ne saurait donc valablement prétendre que la réduction accordée à Stora est disproportionnée.

358.
    De plus, une violation du principe d'égalité de traitement ne saurait être constatée en l'espèce puisque, à la différence de Stora qui a coopéré de manière active avec la Commission, la requérante a contesté l'essentiel des allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs. La Commission a donc pu traiter ces deux entreprises de manière différente lorsqu'elle a décidé de l'octroi et de l'ampleur des réductions des montants des amendes, puisque leurs situations n'étaient pas comparables.

359.
    Au vu de ce qui précède, le moyen doit être rejeté comme non fondé.

H — Sur le moyen tiré de l'existence de certaines circonstances atténuantes

Arguments des parties

360.
    La requérante soutient que certains éléments de fait auraient dû être considérés par la Commission comme des circonstances atténuantes lors de la fixation du montant de l'amende.

361.
    En premier lieu, la requérante n'aurait pas essayé de dissimuler des documents compromettants, bien qu'ayant été avertie préalablement de la vérification effectuée par les agents de la Commission.

362.
    En second lieu, elle aurait été une entreprise de moyenne taille jusqu'au milieu de l'année 1990. Ce ne serait qu'au cours de cette année qu'elle aurait installé sa nouvelle machine à la cartonnerie de Neuss (Allemagne) et qu'elle aurait pris le contrôle des sociétés Deisswil et Eerbeek, respectivement en avril et en septembre (avec effet rétroactif au 1er janvier 1990).

363.
    En troisième lieu, il s'agirait de la première infraction dans le secteur du carton.

364.
    En quatrième lieu, les augmentations des prix du carton GD, le carton principalement fabriqué par la requérante, auraient été plus faibles que celles du carton GC. La requérante n'aurait donc pas pu obtenir la marge d'exploitation imputée aux autres entreprises.

365.
    Enfin, en cinquième lieu, la requérante soutient dans sa réplique que la Commission était obligée de prendre en compte, conformément à sa pratique décisionnelle antérieure, les conditions difficiles qui prévalaient dans le secteur du carton jusqu'à la fin des années 1980 et qui excluaient la possibilité d'obtenir un rendement approprié du capital investi. Il y aurait lieu de tenir compte également du fait que le secteur en cause est caractérisé par des chiffres d'affaires élevés mais des bénéfices plutôt faibles. Dès lors, des amendes calculées sur la seule base des chiffres d'affaires des producteurs de carton affecteraient les producteurs d'une manière particulièrement forte.

366.
    La Commission rétorque qu'elle n'était pas tenue de considérer les éléments en cause comme des circonstances atténuantes.

Appréciation du Tribunal

367.
    Comme cela a déjà été relevé (ci-dessus point 256), la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 54).

368.
    Par conséquent, le seul fait que la Commission a considéré, dans sa pratique décisionnelle antérieure, que certains éléments constituaient des circonstances atténuantes aux fins de la détermination du montant de l'amende n'implique pas qu'elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure. La Commission n'était donc pas obligée de tenir compte, à supposer qu'elle ait été établie, de la situation déficitaire du secteur.

369.
    De plus, la Commission a tenu compte, afin de déterminer le montant de l'amende, du chiffre d'affaires réalisé par la requérante sur le marché communautaire du carton en 1990. La position de la requérante dans le secteur ainsi que l'ampleur de l'infraction qu'elle a commise ont donc été pris en considération par la Commission.

370.
    Enfin, le fait que l'infraction soit, selon la requérante, la première infraction dans le secteur en cause ne saurait constituer une circonstance atténuante. Il doit être considéré que le fait que la Commission a déjà constaté, par le passé, qu'une entreprise avait enfreint les règles de la concurrence et l'a, le cas échéant, sanctionnée à ce titre, peut être retenu comme circonstance aggravante contre cette entreprise, mais que l'absence d'infraction antérieure constitue une circonstance normale dont la Commission n'a pas à tenir compte comme circonstance atténuante, d'autant plus qu'en l'espèce on se trouve en présence d'une infraction particulièrement patente à l'article 85, paragraphe 1, du traité (voir arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, DSM/Commission, T-8/89, Rec. p. II-1833, point 317).

371.
    Dans ces conditions, la Commission était en droit de ne pas retenir en tant que circonstances atténuantes les éléments invoqués par la requérante.

372.
    Il s'ensuit que le moyen ne peut pas être accueilli.

I — Sur le moyen tiré d'une absence de violation intentionnelle

373.
    La requérante soutient qu'elle n'avait, à l'époque, aucune connaissance de l'illégalité des échanges d'informations auxquels elle participait. Il faudrait tenir compte du fait qu'elle était une entreprise de taille moyenne, n'ayant pas de juriste à son service et située en dehors de la Communauté. En outre, la réglementation autrichienne de la concurrence ne contiendrait que des dispositions prévoyant des sanctions en cas d'accords contraignants, alors que, en l'espèce, seules des pratiques concertées auraient existé.

374.
    Ce moyen ne peut pas être retenu.

375.
    En effet, il ressort d'une jurisprudence constante que, pour qu'une infraction puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n'est pas nécessaire que l'entreprise ait eu conscience d'enfreindre l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité. Il suffit qu'elle n'ait pu ignorer que la conduite incriminée avait pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence dans le marché commun (voir, notamment, arrêt de la Cour du 11 juillet 1989, Belasco e.a./Commission, 246/86, Rec. p. 2117, point 41, et arrêt Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, précité, point 157).

376.
    En l'espèce, la Commission a établi la participation de la requérante aux éléments constitutifs de l'infraction constatée à l'article 1er de la décision. Eu égard à la

nature des agissements constatés, la requérante n'a pas pu ignorer qu'ils avaient pour objectif de restreindre la concurrence.

J — Sur le moyen tiré de la prise en compte d'un chiffre d'affaires erroné

377.
    Ce moyen s'articule en deux branches qui doivent être examinées séparément.

Sur la première branche tirée de ce que le chiffre d'affaires constitué par les ventes de carton gris aurait été erronément pris en compte aux fins du calcul de l'amende

Arguments des parties

378.
    La requérante relève que la Commission a calculé l'amende sur la base de son chiffre d'affaires de 1990 constitué par toutes les ventes des produits en carton. Ce chiffre inclurait donc celui des ventes de carton gris. Toutefois, la Commission aurait déclaré, dans un communiqué de presse du 13 juillet 1994, que les amendes avaient été calculées sur la base du chiffre d'affaires de chacune des entreprises destinataires de la décision constitué par les ventes des qualités de carton concernées par celle-ci.

379.
    Le carton gris ne faisant pas partie des qualités de carton visées par celle-ci, le chiffre d'affaires retenu comme base pour le calcul de l'amende devrait être réduit de 13,1 millions d'écus, montant des ventes de carton gris. L'amende devrait être réduite en proportion.

380.
    La Commission fait valoir que l'on ne saurait utiliser une formule strictement mathématique pour le calcul de l'amende. En l'espèce, l'amende serait appropriée eu égard au chiffre d'affaires global de la requérante, les entreprises ne pouvant exiger la seule prise en compte du chiffre d'affaires relatif aux produits directement concernés par l'infraction. La Commission souligne l'existence de circonstances aggravantes, l'absence de circonstances atténuantes, et rappelle qu'elle a pris pour base du calcul de l'amende le chiffre d'affaires réalisé en 1990 (au lieu de 1993) et qu'elle n'a tenu compte que du chiffre d'affaires réalisé au moyen des ventes de carton dans la Communauté.

381.
    Dans sa duplique, elle soutient qu'elle avait demandé à la requérante, par lettre du 8 octobre 1993, de lui communiquer notamment le chiffre d'affaires relatif au carton. Dans sa réponse du 3 novembre 1993, la requérante aurait fourni ce chiffre en le faisant précéder de l'intitulé «marchandises de carton (GC, GD)». Puisqu'il avait été expressément indiqué dans la communication des griefs que le carton gris n'était pas couvert par la procédure, la Commission n'aurait donc eu aucune raison de vérifier l'exactitude du chiffre d'affaires fourni.

Appréciation du Tribunal

382.
    Il ressort du point 4, deuxième alinéa, des considérants de la décision que le carton gris ne faisait pas l'objet de l'infraction visée par la décision.

383.
    Il est constant que la Commission a calculé le montant de l'amende infligée à la requérante sur la base du chiffre d'affaires réalisé par celle-ci sur le marché communautaire en 1990 au moyen de ses ventes de carton GC, de carton GD et de carton gris. Comme la Commission l'a admis lors de l'audience, il ressort expressément des renseignements fournis par la requérante à la Commission, avant la communication des griefs, que le chiffre d'affaires qu'elle produisait incluait le chiffre d'affaires relatif aux ventes de carton gris.

384.
    Il convient d'ajouter que, même si la Commission ne pouvait pas ignorer que le chiffre d'affaires sur lequel elle se fondait incluait le chiffre d'affaires pour le carton gris, elle n'a jamais demandé à la requérante de lui communiquer le chiffre d'affaires réalisé en 1990 relatif aux seuls produits visés par la procédure, soit les cartons GC et GD et, le cas échéant, le carton SBS.

385.
    Toutefois, ainsi qu'elle l'a également admis lors de l'audience, la Commission s'est fondée uniquement, à l'égard des autres entreprises destinataires de la décision, sur le chiffre d'affaires constitué par les produits concernés par l'infraction visée par la décision.

386.
    Compte tenu de cette constatation, et eu égard au fait que la prise en compte du chiffre d'affaires constitué par les ventes de carton gris a eu un effet non négligeable sur le montant de l'amende, ce montant doit être réduit afin d'éliminer le traitement discriminatoire dont la requérante a ainsi fait l'objet par rapport aux autres destinataires de la décision.

387.
    Le Tribunal tiendra compte de cette conclusion dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction en matière d'amendes, lors de l'appréciation du montant de l'amende devant être infligée pour l'infraction constatée dans le chef de la requérante (voir ci-après point 405).

Sur la seconde branche tirée de ce que les chiffres d'affaires de Deisswil et d'Eerbeek auraient été erronément pris en compte aux fins du calcul du montant de l'amende

Arguments des parties

388.
    La requérante soutient que les chiffres d'affaires réalisés en 1990 par les cartonneries Deisswil et Eerbeek n'auraient pas dû être pris en compte aux fins du calcul de l'amende.

389.
    En ce qui concerne Deisswil, elle rappelle qu'elle a acquis une participation de 66 % dans cette société en avril 1990, avec effet au 1er janvier 1990, et qu'elle a

donc été en mesure d'en prendre le contrôle. Les anciens propriétaires de cette société, qui auraient été responsables de son comportement pendant plus des trois quarts de la période pertinente, détiendraient encore une participation de 34 % dans la société. Dès lors, il serait inéquitable d'imputer l'ensemble du chiffre d'affaires de Deisswil à la requérante, alors que les anciens propriétaires, qui profitent toujours du tiers des bénéfices, ne seraient pas affectés par l'amende. Dans ces conditions, il faudrait soit imposer une amende directement à Deisswil — à l'instar du traitement de la société Laakmann (point 150, troisième alinéa, des considérants de la décision) —, soit imputer le chiffre d'affaires de Deisswil à la requérante uniquement prorata temporis (sur la base de 13/60, le dénominateur de la fraction correspondant à la période totale d'infraction, exprimée en mois, à laquelle s'est référée la Commission pour le calcul du montant des amendes individuelles).

390.
    En ce qui concerne Eerbeek, la requérante ne serait responsable du comportement de cette société qu'à partir du 1er janvier 1990, date avant laquelle la société KNP est tenue pour responsable (point 150 des considérants de la décision). Cependant, en retenant l'intégralité du chiffre d'affaires d'Eerbeek en 1990 pour le calcul de l'amende de Mayr-Melnhof, la Commission ne s'en serait pas tenue à sa propre appréciation car elle aurait également retenu ce chiffre pour calculer l'amende infligée à KNP.

391.
    En outre, la requérante n'aurait pleinement pris le contrôle de la société Eerbeek qu'en septembre 1990. Elle n'aurait donc pu exercer une influence déterminante sur son comportement sur le marché qu'à partir de cette date. Conformément à la pratique en matière d'amendes ainsi qu'aux principes jurisprudentiels, ce ne serait qu'à partir de cette date que le chiffre d'affaires d'Eerbeek pourrait être imputé à la requérante. Le chiffre d'affaires réalisé par Eerbeek en 1990 (l'année de référence) ne pourrait donc lui être imputé qu'à concurrence de 8/60, soit de septembre 1990 à avril 1991.

392.
    Dans sa réplique, la requérante ajoute que le traitement des cas d'Eerbeek et de Deisswil est contradictoire, car, en ce qui concerne la société Eerbeek, la Commission soutiendrait que le critère déterminant est celui de l'identité de la personne qui encaisse les bénéfices durant la période pertinente, alors que, en ce qui concerne la société Deisswil, elle rejetterait la pertinence de ce critère en soutenant que le critère déterminant est celui du contrôle effectif.

393.
    La Commission soutient avoir à juste titre pris en compte les chiffres d'affaires réalisés en 1990 par les entreprises Deisswil et Eerbeek pour le calcul du montant de l'amende. En effet, pour ce calcul, il aurait fallu fixer une année de référence, soit en l'espèce l'année 1990. Les sociétés ayant réalisé un chiffre d'affaires plus élevé au cours de cette année qu'au cours des autres années auraient ainsi été plus sévèrement sanctionnées. Cependant, l'année de référence ayant été correctement

choisie, cela ne justifierait aucune distinction en fonction des raisons d'une telle progression du chiffre d'affaires.

394.
    En ce qui concerne Deisswil, la Commission aurait dûment tenu compte du fait que la requérante exerçait en 1990 le plein contrôle de cette entreprise et qu'elle pouvait donc orienter le comportement commercial de celle-ci. Dans ces conditions, le fait que la requérante n'ait pas encaissé l'ensemble des bénéfices de cette société serait sans pertinence.

395.
    En ce qui concerne Eerbeek, la Commission fait valoir que le facteur décisif a été le fait que la requérante avait encaissé les bénéfices à partir du 1er janvier 1990 et qu'elle avait donc profité économiquement de l'infraction à partir de cette date.

396.
    Enfin, la Commission relève que le chiffre d'affaires d'Eerbeek n'a pas été illégalement pris en compte à deux reprises.

Appréciation du Tribunal

397.
    La requérante ne conteste pas que, à la date à laquelle elle a pris le contrôle de Deisswil, tant cette dernière société qu'elle-même participaient à l'infraction visée par la décision. Par conséquent, elle connaissait nécessairement le comportement anticoncurrentiel de Deisswil.

398.
    Dans ces conditions, la Commission a pu lui imputer le comportement de Deisswil pour la période précédant et pour la période suivant son acquisition de cette entreprise. Il incombait à la requérante, en sa qualité de société mère, de prendre à l'égard de sa filiale toute mesure destinée à empêcher la poursuite de l'infraction, dont elle n'ignorait pas l'existence. Or, la requérante ne conteste pas que le comportement infractionnel de Deisswil s'est poursuivi après la date à laquelle elle en a pris le contrôle.

399.
    Il s'ensuit que la Commission était en droit d'inclure, aux fins du calcul de l'amende infligée à la requérante, le chiffre d'affaires réalisé par Deisswil sur le marché communautaire du carton en 1990, année de référence dont la prise en compte n'est pas critiquée par la requérante. Il s'ensuit également qu'il est sans pertinence de savoir si la Commission aurait pu infliger l'amende, ou une partie de celle-ci, à la société Deisswil elle-même ou aux anciens propriétaires de cette société.

400.
    En ce qui concerne Eerbeek, le point 150, deuxième alinéa, des considérants de la décision énonce:

«Mayr-Melnhof doit également assumer la responsabilité de la participation à l'infraction de [...] Mayr-Melnhof Eerbeek BV (la nouvelle raison sociale de KNP Vouwkarton), à compter de la date de son acquisition, au 1er janvier 1990. Pour la période antérieure, c'est KNP qui est responsable de la participation de KNP Vouwkarton, et aucune responsabilité ne sera imputée à [Mayr-Melnhof].»

401.
    En dépit de ces indications, la Commission a pris en compte, aux fins du calcul du montant de l'amende infligée à la requérante, la totalité du chiffre d'affaires réalisé par Eerbeek sur le marché communautaire du carton en 1990 (l'année de référence), sans le rapporter prorata temporis à la seule période pendant laquelle cette entreprise s'était trouvée sous le contrôle de la requérante. Ce faisant, elle n'a pas tenu compte de sa propre constatation selon laquelle la requérante n'était responsable de la participation à l'infraction de la société KNP Vouwkarton/Eerbeek qu'à compter du 1er janvier 1990.

402.
    La Commission ayant expressément admis, lors de l'audience, avoir commis une erreur sur ce point, il convient de procéder à une réduction du montant de l'amende.

403.
    Il convient d'ajouter que si Eerbeek a été acquise par la requérante à hauteur de 100 % en septembre 1990, celle-ci ne conteste pas que cette acquisition a produit ses effets au 1er janvier 1990. Dans ces conditions, la requérante n'ayant pas pu ignorer le comportement infractionnel de la société qu'elle acquérait (dans le même sens, voir ci-dessus point 397), la Commission était en droit de considérer que la requérante devait assumer la responsabilité d'un tel comportement de ladite entreprise à partir du 1er janvier 1990.

404.
    Il ressort de tout ce qui précède que les moyens invoqués par la requérante à l'appui de sa demande d'annulation de l'article 1er de la décision doivent êtrerejetés, alors que le moyen invoqué à l'appui de sa demande d'annulation de l'article 2 de la décision doit être partiellement accueilli.

405.
    Une réduction du montant de l'amende doit être accordée afin de tenir compte, d'une part, du fait que le chiffre d'affaires de la requérante réalisé au moyen des ventes de carton gris a été erronément pris en compte aux fins de la fixation du montant de l'amende et, d'autre part, du fait que la requérante n'était responsable du comportement d'Eerbeek qu'à partir du 1er janvier 1990.

406.
    Aucun des autres moyens invoqués par la requérante ne justifiant une réduction de l'amende, le Tribunal, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, fixera le montant de cette amende à 17 000 000 écus.

Sur les dépens

407.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours ayant été partiellement accueilli, le Tribunal fera une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la Commission supportera ses propres

dépens ainsi que le quart des dépens exposés par la requérante et que la requérante supportera les trois quarts de ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    L'article 2, premier à quatrième alinéa, de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) est annulé à l'égard de la requérante, sauf en ce qui concerne les passages suivants:

    «Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées, si elles ne l'ont pas déjà fait. Elles s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leurs activités dans le secteur du carton, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange d'informations commerciales:

    a)    par lequel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des ventes, des commandes en carnet, des taux d'utilisation des machines, des prix de vente, des coûts ou des plans de commercialisation d'autres fabricants.

    

    Tout système d'échange de données générales auquel elles seraient abonnées, tel que le système Fides ou son successeur, sera géré de manière à exclure toutes données permettant d'identifier le comportement de fabricants déterminés.»

2)    Le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 3 de la décision 94/601 est fixé à 17 000 000 écus.

3)    Le recours est rejeté pour le surplus.

4)    La Commission supportera ses propres dépens et le quart des dépens exposés par la requérante.

5)    La requérante supportera les trois quarts de ses propres dépens.

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mai 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf

Table des matières

     Faits à l'origine du litige

II - 2

     Procédure

II - 6

     Conclusions des parties

II - 7

     Sur la demande d'annulation de l'article 1er de la décision

II - 8

         A — Sur les moyens tirés de la violation des formes substantielles

II - 8

             Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 190 du traité

II - 8

                 Arguments des parties

II - 8

                 Appréciation du Tribunal

II - 9

             Sur le moyen tiré d'une violation des exigences de preuve du droit communautaire

II - 10

         B — Sur les moyens tirés de la violation de règles de fond

II - 10

             Sur le moyen tiré d'une absence d'accords en matière de prix

II - 10

                 Arguments des parties

II - 10

                 Appréciation du Tribunal

II - 13

             Sur le moyen tiré d'une absence d'accord et de pratique concertée relatifs à la prétendue politique de «prix avant le tonnage»

II - 16

                 Arguments des parties

II - 16

                 Appréciation du Tribunal

II - 19

                     1. Sur l'existence d'une concertation visant à geler les parts de marché et d'une concertation visant à contrôler l'offre

II - 19

                     2. Sur le comportement effectif de la requérante

II - 25

                     3. Sur la qualification juridique de la concertation visant à geler les parts de marché et de la concertation visant à contrôler l'offre

II - 26

             Sur le moyen tiré d'une absence de plan sectoriel commun visant à restreindre la concurrence

II - 26

                 Arguments des parties

II - 26

                 Appréciation du Tribunal

II - 27

             Sur le moyen tiré de la légalité du système d'échange d'informations de la Fides

II - 28

                 Arguments des parties

II - 28

                 Appréciation du Tribunal

II - 28

     Sur la demande d'annulation de l'article 2 de la décision

II - 31

         Arguments des parties

II - 31

         Appréciation du Tribunal

II - 33

     Sur la demande d'annulation de l'amende ou de réduction de son montant

II - 38

         A — Sur le moyen tiré de l'existence d'erreurs manifestes de droit ou de fait lors de la fixation du montant général des amendes

II - 38

             Sur la première branche tirée d'erreurs commises par la Commission lors de la détermination de la portée des infractions

II - 38

             Sur la deuxième branche tirée de l'absence de régulation dans le détail du marché du carton dans la Communauté

II - 38

                 Arguments des parties

II - 38

                 Appréciation du Tribunal

II - 39

             Sur la troisième branche tirée de ce que le caractère secret et la dissimulation ne sauraient être considérés comme des éléments aggravants

II - 39

                 Arguments des parties

II - 39

                 Appréciation du Tribunal

II - 40

             Sur la quatrième branche du moyen tirée de ce que la Commission aurait à tort considéré que l'entente avait «largement réussi à atteindre ses objectifs»

II - 41

                 Arguments des parties

II - 41

                 Appréciation du Tribunal

II - 43

             Sur la cinquième branche du moyen tirée de la prise en compte d'une marge d'exploitation erronée

II - 46

                 Arguments des parties

II - 46

                 Appréciation du Tribunal

II - 47

         B — Sur les moyens tirés d'une violation de l'article 190 du traité ainsi que d'une violation du principe d'égalité de traitement quant au niveau général des amendes

II - 47

             Arguments des parties

II - 47

             Appréciation du Tribunal

II - 49

         C — Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 190 du traité lors de la fixation du montant des amendes individuelles

II - 51

             Arguments des parties

II - 51

             Appréciation du Tribunal

II - 53

         D — Sur le moyen tiré de ce que la requérante aurait été erronément qualifiée de «chef de file» de l'entente

II - 56

            Arguments des parties

II - 56

             Appréciation du Tribunal

II - 57

         E — Sur le moyen tiré d'une violation des droits de la défense

II - 58

             Arguments des parties

II - 58

             Appréciation du Tribunal

II - 59

         F — Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement en ce que la requérante n'a pas bénéficié d'une réduction de l'amende

II - 62

             Arguments des parties

II - 62

             Appréciation du Tribunal

II - 64

         G — Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement en ce que l'amende infligée à la requérante serait trop élevée par rapport à celle infligée à Stora

II - 65

             Arguments des parties

II - 65

             Appréciation du Tribunal

II - 67

         H — Sur le moyen tiré de l'existence de certaines circonstances atténuantes

II - 68

             Arguments des parties

II - 68

             Appréciation du Tribunal

II - 69

         I — Sur le moyen tiré d'une absence de violation intentionnelle

II - 70

         J — Sur le moyen tiré de la prise en compte d'un chiffre d'affaires erroné

II - 71

             Sur la première branche tirée de ce que le chiffre d'affaires constitué par les ventes de carton gris aurait été erronément pris en compte aux fins du calcul de l'amende

II - 71

                 Arguments des parties

II - 71

                 Appréciation du Tribunal

II - 72

             Sur la seconde branche tirée de ce que les chiffres d'affaires de Deisswil et d'Eerbeek auraient été erronément pris en compte aux fins du calcul du montant de l'amende

II - 72

                 Arguments des parties

II - 72

                 Appréciation du Tribunal

II - 74

     Sur les dépens

II - 75


1: Langue de procédure: l'allemand.