Language of document : ECLI:EU:C:2017:431

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

8 juin 2017 (*)

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Médicaments à usage humain – Directive 2004/18/CE – Article 2 et article 23, paragraphes 2 et 8 – Articles 34 et 36 TFUE – Marché public pour l’approvisionnement d’un hôpital – Réglementation nationale exigeant l’approvisionnement prioritaire des hôpitaux en médicaments produits à partir de plasma national – Principe d’égalité de traitement »

Dans l’affaire C‑296/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (commission nationale de révision des procédures d’attribution des marchés publics, Slovénie), par décision du 14 mai 2015, parvenue à la Cour le 18 juin 2015, dans la procédure

Medisanus d.o.o.

contre

Splošna Bolnišnica Murska Sobota,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. M. Vilaras, J. Malenovský, M. Safjan et D. Šváby (rapporteur), juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 septembre 2016,

considérant les observations présentées :

–        pour Medisanus d.o.o., par Me A. Godec, odvetnik, Me G. Backmann, Mme M. Žlebnik,

–        pour le gouvernement slovène, par Mme A. Grum, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. G. Braga da Cruz et A. Sipos ainsi que par Mme B. Rous Demiri, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er décembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, de l’article 23, paragraphes 2 et 8, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114, et rectificatif, JO 2004, L 351, p. 44), lus en combinaison avec l’article 83 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), telle que modifiée par la directive 2002/98 du Parlement européen et du Conseil, du 27 janvier 2003 (JO 2003, L 33, p. 30) (ci‑après la « directive 2001/83 »), l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2002/98 ainsi que l’article 18 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Medisanus d.o.o. au Splošna Bolnišnica Murska Sobota (hôpital général de Murska Sobota, Slovénie, ci-après l’« hôpital ») au sujet de la régularité d’une clause du cahier des charges relatif à une procédure de passation de marché public de fourniture de médicaments engagée par ce dernier.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2004/18

3        La directive 2004/18, applicable ratione temporis au litige au principal, a été abrogée, à compter du 18 avril 2016, par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics (JO 2014, L 94, p. 65). L’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18 définissait les marchés publics comme « des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services au sens de la présente directive ».

4        L’article 2 de cette directive, intitulé « Principes de passation des marchés », disposait que les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence.

5        Aux termes de l’article 23 de ladite directive :

« [...]

2.      Les spécifications techniques doivent permettre l’accès égal des soumissionnaires et ne pas avoir pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence.

[...]

8.      À moins qu’elles ne soient justifiées par l’objet du marché, les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’une fabrication ou d’une provenance déterminée ou d’un procédé particulier, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, à une origine ou à une production déterminée qui auraient pour effet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits. Cette mention ou référence est autorisée, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché n’est pas possible par application des paragraphes 3 et 4 ; une telle mention ou référence est accompagnée des termes “ou équivalent”. »

6        La notion de « spécifications techniques » était définie au point 1 de l’annexe VI de la même directive. S’agissant en particulier des marchés publics de fournitures et de services, ledit point 1, sous b), définissait de telles spécifications comme étant celles « figurant dans un document définissant les caractéristiques requises d’un produit ou d’un service, telles que les niveaux de qualité, les niveaux de la performance environnementale, la conception pour tous les usages (y compris l’accès aux personnes handicapées) et l’évaluation de la conformité, de la propriété d’emploi, de l’utilisation du produit, sa sécurité ou ses dimensions, y compris les prescriptions applicables au produit en ce qui concerne la dénomination de vente, la terminologie, les symboles, les essais et méthodes d’essais, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, les instructions d’utilisation, les processus et méthodes de production, ainsi que les procédures d’évaluation de la conformité ».

 Les règles du droit de l’Union relatives au sang humain

7        Aux termes des considérants 2, 4, 23 et 32 de la directive 2002/98, qui régit diverses opérations en rapport avec le sang humain :

« (2) La disponibilité du sang et des composants sanguins utilisés à des fins thérapeutiques dépend largement des citoyens de la Communauté qui sont disposés à effectuer des dons. [...]

[...]

(4)      [...] Les États membres devraient, en outre, prendre des mesures destinées à promouvoir l’autosuffisance de la Communauté en sang humain et en composants sanguins et à encourager les dons de sang et de composants sanguins volontaires et non rémunérés.

[...]

(23)      Les dons de sang volontaires et non rémunérés constituent un facteur pouvant contribuer à assurer un niveau élevé des normes de sécurité du sang et des composants sanguins et, partant, la protection de la santé publique. Les efforts déployés par le Conseil de l’Europe dans ce domaine devraient être appuyés et toutes les dispositions nécessaires devraient être prises pour encourager les dons volontaires et non rémunérés par des mesures et des initiatives appropriées et en faisant en sorte que l’action des donneurs soit davantage reconnue par la population, ce qui augmenterait aussi l’autosuffisance en sang. [...]

[...]

(32)      [...] [L]es objectifs de la présente directive, à savoir contribuer à la confiance mutuelle dans la qualité des dons de sang et de composants sanguins et la protection de la santé des donneurs, parvenir à l’autosuffisance au niveau communautaire et renforcer la confiance dans la sécurité de la filière transfusionnelle dans l’ensemble des États membres [...] »

8        L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2002/98 définit le champ d’application de celle-ci dans les termes suivants :

« La présente directive s’applique à la collecte et au contrôle du sang humain et des composants sanguins, quelle que soit leur destination, et à leur transformation, à leur stockage et à leur distribution, lorsqu’ils sont destinés à la transfusion. »

9        L’article 4, paragraphe 2, de cette directive dispose :

« La présente directive n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’introduire sur son territoire des mesures de protection plus strictes, dans le respect des dispositions du traité.

Un État membre peut notamment introduire des exigences s’appliquant aux dons volontaires et non rémunérés, comprenant l’interdiction ou la restriction des importations de sang et de composants sanguins, en vue d’assurer un haut niveau de protection sanitaire et d’atteindre l’objectif fixé à l’article 20, paragraphe 1, pour autant que les conditions prévues par le traité sont respectées. »

10      Aux termes de l’article 20, paragraphe 1, de ladite directive :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour encourager les dons volontaires et non rémunérés en vue de garantir que, dans toute la mesure du possible, le sang et les composants sanguins proviennent de ces dons. »

11      Le considérant 19 de la directive 2001/83, laquelle porte, en substance, sur les médicaments à usage humain fabriqués industriellement, énonce :

« La Communauté soutient pleinement les efforts du Conseil de l’Europe pour promouvoir le don volontaire et non rémunéré de sang ou de plasma, pour tendre vers l’autosuffisance de l’ensemble de la Communauté en matière d’approvisionnement en produits sanguins et pour assurer le respect des principes éthiques dans les échanges de substances thérapeutiques d’origine humaine. »

12      L’article 1er de cette directive contient notamment les définitions suivantes :

« 10)      médicament dérivé du sang ou du plasma humain :

médicament à base de composants de sang préparés industriellement par des établissements publics ou privés ; ce médicament comprend notamment l’albumine, les facteurs de coagulation et les immunoglobulines d’origine humaine ;

[...]

17)      distribution en gros des médicaments :

toute activité qui consiste à se procurer, à détenir, à fournir ou à exporter des médicaments, à l’exclusion de la délivrance de médicaments au public ; ces activités sont réalisées avec des fabricants ou leurs dépositaires, des importateurs, d’autres grossistes ou avec les pharmaciens et les personnes autorisées ou habilitées, dans l’État membre concerné, à délivrer des médicaments au public ;

[...] »

13      L’article 83 de ladite directive, qui fait partie du titre VII de celle-ci, relatif à la distribution en gros et au courtage de médicaments, dispose :

« Les dispositions du présent titre ne portent pas préjudice aux exigences plus strictes auxquelles les États membres soumettent la distribution en gros :

[...]

–        des médicaments dérivés du sang,

[...] »

14      Situé sous le titre X de la même directive, relatif aux dispositions particulières concernant les médicaments dérivés du sang et du plasma humains, l’article 109 de celle-ci est libellé comme suit :

« Pour ce qui est de la collecte et du contrôle du sang humain et du plasma humain, la directive [2002/98] est applicable. »

15      Aux termes de l’article 110 de cette même directive :

« Les États membres prennent toutes mesures utiles pour promouvoir l’autosuffisance de la Communauté en sang et plasma humains. À cette fin, ils encouragent les dons de sang ou de plasma volontaires et non rémunérés et prennent toutes mesures utiles pour le développement de la production et de l’utilisation des produits dérivés du sang ou du plasma humain provenant de dons volontaires et non rémunérés. Ils notifient à la Commission les mesures prises. »

 Le droit slovène

 La loi sur les médicaments

16      Relatif à la définition du principe d’approvisionnement prioritaire en médicaments produits industriellement à partir de plasma collecté en Slovénie, l’article 6, paragraphe 71, de la Zakon o zdravilih (loi sur les médicaments, Uradni list RS, no 17/14) dispose :

« L’approvisionnement prioritaire en médicaments produits industriellement à partir de plasma slovène (c’est-à-dire de plasma frais, congelé en vue de la transformation, collecté en République de Slovénie) est un principe sur la base duquel l’approvisionnement en médicaments provenant de l’Union européenne [produits] à partir de plasma étranger se fait en vertu d’une autorisation de mise sur le marché si les médicaments tirés de plasma slovène ne couvrent pas l’ensemble des besoins en République de Slovénie en ce qui concerne ces médicaments, sauf lorsque l’introduction ou l’importation d’un médicament déterminé tiré de plasma étranger est scientifiquement justifiée ou qu’il existe pour ce faire un motif stratégique défini par le Strateški svet za zdravila [(conseil stratégique pour les médicaments, Slovénie)] et le Strokovni svet za preskrbo s krvjo in zdravili iz plazme [(conseil scientifique pour l’approvisionnement en sang et en médicaments tirés de plasma, Slovénie)]. »

17      Le paragraphe 106 du même article définit les « médicaments tirés du sang ou du plasma » en ces termes :

« Les médicaments tirés du sang ou du plasma sont des médicaments produits industriellement comme le sont par exemple les médicaments qui contiennent en particulier de l’albumine [...] et de l’immunoglobuline d’origine humaine et que produisent des opérateurs économiques spécialisés à partir des composants sanguins collectés conformément aux dispositions qui régissent l’approvisionnement en sang et en produits sanguins, et aux dispositions qui régissent les médicaments. »

18      L’article 11, paragraphe 6, de la loi sur les médicaments précise le champ d’application de celle-ci comme suit :

« Les dispositions de la présente loi ne s’appliquent pas [...] au sang, au plasma ou aux cellules sanguines que régissent les dispositions relatives à l’approvisionnement en sang, sauf pour le plasma préparé selon une méthode qui implique un processus industriel et qui s’applique pour la production de médicaments. »

 La loi relative à l’approvisionnement en sang

19      L’article 2 de la Zakon o preskrbi s krvjo (loi relative à l’approvisionnement en sang, Uradni list RS, no 104/06) dispose dans ses deux premiers paragraphes :

« 1.      L’approvisionnement en sang en vertu de cette loi fait partie de l’activité transfusionnelle, qui inclut la planification, la collecte, la transformation, le contrôle, le stockage, la distribution et le traitement médical ainsi que l’approvisionnement régulier et suffisant de la population en sang et en produits sanguins ainsi que le commerce de ces produits.

2.      Les activités visées au paragraphe précédent sont exercées conformément aux principes d’autosuffisance nationale et de don volontaire gratuit, afin de garantir un nombre suffisant de donneurs et donneuses (ci‑après les “donneurs”) et la sécurité de la transfusion sanguine.

[...] »

20      L’article 3 de cette loi définit, respectivement à ses paragraphes 11, 12, 13, 18 et 27 :

–        le « sang » comme « le sang humain total » ;

–        un « composant sanguin » comme un « composant médicamenteux du sang ([...], plasma) qui peut être préparé à partir du sang grâce à différents procédés » ;

–        un « produit sanguin » comme « tout produit médicamenteux (composant ou médicament) qui est tiré de sang humain ou de plasma » ;

–        l’« autosuffisance » comme le « principe de l’approvisionnement en sang et en produits sanguins en vertu duquel l’État couvre les besoins en sang et en produits sanguins par ses propres ressources », et

–        un « médicament tiré du sang » comme « tout médicament fabriqué à partir de sang ou de plasma humain. »

21      L’article 5, paragraphe 1, de ladite loi, qui concerne notamment la collecte du sang, dispose :

« L’activité de collecte et de contrôle du sang et des composants sanguins, indépendamment de l’utilisation prévue, leur préparation, leur conservation et leur distribution, lorsqu’ils sont destinés à la transfusion, est un service public. Il est assuré par l’office de la transfusion ou le centre de transfusion qui est désigné par l’Agence qui lui accorde aussi l’autorisation. »

22      L’article 10, paragraphes 1 et 2, de la même loi déterminent la fonction du Zavod Republike Slovenije za transfuzisko medecino (Office de médecine transfusionnelle de la République de Slovénie, ci-après l’« Office ») dans les termes suivants :

« 1.      L’[Office] [...] est responsable au niveau national de l’approvisionnement de qualité professionnelle en sang et en produits sanguins, et de la coordination entre la médecine transfusionnelle et l’activité des hôpitaux.

2.      L’[Office] coordonne toutes les activités en relation avec la sélection des donneurs de sang, la collecte, le contrôle, la transformation, le stockage et la distribution du sang et des produits sanguins, l’utilisation clinique du sang [...]. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

23      Par décision du 14 janvier 2015, l’hôpital a engagé une procédure de passation de marché public portant sur l’acquisition de deux types de médicaments issus de plasma, à savoir de l’albumine humaine 200 mg/ml en solution injectable et de l’immunoglobuline humaine pour administration intraveineuse 50 mg/ml ou 100 mg/ml.

24      Il était précisé dans le cahier des charges que les médicaments objets de ce marché devaient être « tiré[s] de plasma slovène ». Sur interpellation d’un opérateur économique, cette exigence a été justifiée par référence au principe d’approvisionnement prioritaire en médicaments produits industriellement à partir de plasma collecté en Slovénie, énoncé à l’article 6, paragraphe 71, de la loi sur les médicaments.

25      Contestant cette exigence d’origine nationale des médicaments dérivés du plasma, Medisanus a sollicité l’hôpital afin qu’il y renonce et modifie en conséquence le cahier des charges. En effet, l’Office, disposant d’un monopole pour collecter le sang en Slovénie, par définition, lui seul pourrait fournir des médicaments tirés de plasma collecté en Slovénie et satisfaire ainsi à l’exigence d’origine nationale du plasma posée par ledit cahier. Or, pareille exigence méconnaîtrait le droit de l’Union.

26      Cette demande a été rejetée par l’hôpital, au motif que lesdites exigences découlaient de la loi nationale, qu’elles étaient justifiées du point de vue scientifique et que, en outre, elles étaient conformes à un objectif d’autosuffisance au sein de l’Union énoncé à l’article 110 de la directive 2001/83. Le pouvoir adjudicateur a encore souligné que les médicaments dérivés de plasma slovène ne couvraient pas l’ensemble des besoins de la population slovène en médicaments dérivés de plasma. Une fraction de ces besoins serait ainsi couverte par un appel d’offres relatif à l’acquisition de médicaments tirés de sang provenant de divers États membres.

27      Medisanus a alors contesté le rejet de sa demande devant la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (commission nationale de révision des procédures d’attribution des marchés publics, Slovénie).

28      Cette commission est une instance nationale spéciale, régie par la Zakon o pravnem varstvu v postopkih javnega naročanja (loi relative aux recours dans les procédures de passation de marchés publics, Uradni list RS, no 43/11), qui dispose d’une compétence exclusive pour statuer sur la légalité des décisions adoptées par les pouvoirs adjudicateurs dans le cadre des procédures de passation de marché public.

29      Dans le cadre de la demande en révision dont elle est saisie, la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (commission nationale de révision des procédures d’attribution des marchés publics) éprouve des doutes quant à la compatibilité avec les articles 2 et 23 de la directive 2004/18 de l’exigence d’origine slovène du plasma utilisé pour la fabrication des médicaments faisant l’objet du marché public en cause au principal, en ce qu’il pourrait en résulter une atteinte au principe d’égalité de traitement et de respect de la concurrence entre les opérateurs économiques.

30      Elle relève cependant que cette exigence est fondée sur la loi slovène. En premier lieu, l’article 6, paragraphe 71, de la loi sur les médicaments imposerait un approvisionnement prioritaire en médicaments produits industriellement à partir de plasma collecté en Slovénie. En deuxième lieu, la loi relative à l’approvisionnement en sang établirait le principe de l’autosuffisance, en vertu duquel la République de Slovénie a décidé de couvrir par ses propres ressources ses besoins en sang ainsi qu’en produits médicamenteux tirés du sang humain et du plasma. En troisième lieu, cette même loi confierait à l’Office l’exercice du service public relatif à l’activité de collecte et de contrôle du sang et des composants sanguins, indépendamment de leur utilisation prévue, ainsi qu’à leur préparation, à leur conservation et à leur distribution lorsqu’ils sont destinés à la transfusion.

31      Dans ce contexte, la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (commission nationale de révision des procédures d’attribution des marchés publics) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La directive [2004/18], en particulier son article 23, paragraphes 2 et 8, et son article 2, lus en combinaison avec

–        la directive [2001/83], en particulier son article 83 ;

–        la directive [2002/98], en particulier son article 4, paragraphe 2, et

–        le traité FUE, en particulier son article 18,

doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle fait obstacle à ce que soient exigés des médicaments tirés de “plasma slovène” produits industriellement (exigence qui repose sur la législation nationale [...]) ? »

 Sur la question préjudicielle

 Sur la recevabilité

32      Il convient, au préalable, d’examiner la question de savoir si la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (commission nationale de révision des procédures d’attribution des marchés publics) remplit les critères pour être considérée comme une « juridiction nationale », au sens de l’article 267 TFUE.

33      La qualité de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, de l’organe de renvoi dépend d’un ensemble d’éléments, tels l’origine légale de cet organe, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par ledit organe, des règles de droit ainsi que son indépendance (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Consorci Sanitari del Maresme, C‑203/14, EU:C:2015:664, point 17 et jurisprudence citée).

34      En l’occurrence, sur la base des informations fournies par la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (commission nationale de révision des procédures d’attribution des marchés publics) dans l’annexe de la décision de renvoi, il apparaît que cette commission n’a pas de lien avec les autorités publiques dont elle contrôle les décisions. En outre, ses membres jouissent des garanties prévues par la loi relative aux fonctions des juges (Zakon o sodniški službi) en ce qui concerne leur nomination ainsi que la durée et les causes de révocation de leur mandat, de sorte que leur indépendance est garantie.

35      Par ailleurs, cette commission est prévue par la loi relative aux recours dans les procédures de passation de marchés publics, laquelle lui confère un caractère permanent et rend sa juridiction obligatoire.

36      De surcroît, non seulement ladite commission statue sur la base de cette dernière loi, mais elle applique également la loi régissant la procédure civile (Zakon o pravdnem postopku) ainsi que son propre règlement de procédure, lequel a fait l’objet d’une publication au Uradni list Republike Slovenije (Journal officiel de la République slovène). En outre, sa saisine intervient à la suite d’un recours et ses décisions sont revêtues de l’autorité de la chose jugée.

37      Enfin, les parties et, le cas échéant, le soumissionnaire dont l’offre a été retenue ont le droit de présenter leur point de vue dans le cadre de la procédure, ainsi que de prendre position sur les éléments présentés par les autres parties et par le représentant de l’intérêt général. La procédure suivie devant l’organe de renvoi présente ainsi un caractère contradictoire.

38      Il s’ensuit que la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (commission nationale de révision des procédures d’attribution des marchés publics) remplit les critères pour être considérée comme une « juridiction nationale », au sens de l’article 267 TFUE, et que la question qu’elle a posée à la Cour est recevable.

 Sur le fond

 Observations liminaires

39      La question posée a pour objet, en substance, de déterminer si l’exigence de produire des médicaments à partir de plasma collecté en Slovénie est compatible, d’une part, avec l’article 2 et l’article 23, paragraphes 2 et 8, de la directive 2004/18, lus en combinaison avec l’article 83 de la directive 2001/83 et l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2002/98, et, d’autre part, avec l’article 18 TFUE.

40      Il ressort de la décision de renvoi que, s’agissant des médicaments produits industriellement à partir de plasma humain, le législateur slovène a instauré un système fondé sur les éléments suivants.

41      En premier lieu, l’article 3, paragraphe 18, de la loi relative à l’approvisionnement en sang établit un principe d’autosuffisance en sang humain ainsi qu’en composants et en médicaments tirés de sang ou de plasma humain, en vertu duquel l’État slovène couvre les besoins en sang et en médicaments tirés de sang ou de plasma des patients soignés sur son territoire par ses propres ressources (ci‑après le « principe d’autosuffisance nationale »).

42      Conformément à l’article 2 de cette loi, le respect du principe d’autosuffisance nationale s’impose dans l’ensemble de l’activité transfusionnelle, à savoir, notamment, la collecte, la transformation, la distribution et l’approvisionnement de la population en sang ainsi qu’en composants ou en médicaments tirés de sang et de plasma, et le commerce de ces composants et médicaments.

43      Cet article 2 établit le principe du don de sang volontaire et gratuit. Il énonce que la mise en œuvre combinée des principes d’autosuffisance nationale et de don volontaire et gratuit doit tendre à garantir tant l’existence d’un nombre suffisant de donneurs que la sécurité de la transfusion sanguine.

44      En deuxième lieu, l’article 10 de la loi relative à l’approvisionnement en sang dispose que l’Office, organisme public, est notamment responsable, au niveau national, de l’approvisionnement en sang ainsi qu’en composants ou en médicaments tirés du sang et du plasma. Il coordonne, par ailleurs, les activités en relation, notamment, avec la collecte, la transformation et la distribution de ces composants et médicaments.

45      En troisième lieu, l’article 6, paragraphe 71, de la loi sur les médicaments établit le principe d’approvisionnement prioritaire en médicaments produits industriellement à partir de plasma collecté en Slovénie (ci-après le « plasma slovène »). Ce principe implique que la mise sur le marché des médicaments dérivés de plasma provenant de collectes réalisées ailleurs qu’en Slovénie n’est autorisée, par principe, que si les médicaments dérivés de plasma slovène ne couvrent pas l’ensemble des besoins (ci-après le « principe d’approvisionnement prioritaire »).

46      Il découle dès lors dudit principe que les besoins des hôpitaux slovènes en médicaments dérivés de plasma doivent être couverts prioritairement par des médicaments produits à partir de plasma slovène (ci-après l’« exigence d’origine nationale ») et lorsque les médicaments d’origine slovène ne suffisent pas, en recourant au besoin à des médicaments produits à partir de plasma collecté dans d’autres États membres.

47      En pratique, l’Office affecte les quantités de plasma slovène qui ne sont pas utilisées à des fins de transfusion à la fabrication de médicaments. Dans cette perspective, il organise des marchés publics de services en vue de sélectionner l’opérateur économique qui procédera à cette fabrication, l’Office demeurant propriétaire du plasma et devenant propriétaire des médicaments produits à partir de celui-ci. Cet organisme public fournit ces médicaments aux hôpitaux moyennant le paiement d’un prix équivalent aux coûts liés à leur production.

48      En outre, pour satisfaire aux besoins en médicaments produits à partir de plasma qui ne sont pas couverts par les médicaments dérivés de plasma slovène, l’Office organise, conjointement avec les hôpitaux slovènes, des marchés publics de fournitures.

49      C’est dans ce contexte qu’intervient la procédure de marché public en cause au principal, par laquelle l’hôpital cherche à acquérir des médicaments produits à partir de plasma qui, conformément au principe d’approvisionnement prioritaire, doit être d’origine slovène et que l’Office est seul à pouvoir lui fournir.

 Sur la qualification du sang humain et de ses composants

50      Tant dans ses observations écrites qu’à l’audience, le gouvernement slovène s’est prévalu de l’article 168, paragraphe 7, TFUE pour soutenir que le sang humain et ses composants constituent une « ressource » et non pas une marchandise, au sens de l’article 34 TFUE.

51      L’article 168, paragraphe 7, TFUE inclut certes l’allocation des ressources parmi les responsabilités des États membres quant à la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux.

52      On ne saurait toutefois déduire du libellé de l’article 168, paragraphe 7, TFUE une volonté des rédacteurs des traités de viser précisément à travers l’utilisation générique du terme « ressources » le sang ou ses composants.

53      En outre, rien ne s’oppose à ce que des médicaments dérivés du sang ou du plasma humain entrent dans la définition de la notion de « marchandises », au sens des dispositions du traité FUE sur la libre circulation des marchandises, compte tenu de l’interprétation particulièrement large de cette notion retenue dans la jurisprudence de la Cour concernant notamment les médicaments ainsi que le sang et les composants sanguins (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2008, Commission/Allemagne, C‑141/07, EU:C:2008:492, points 27 à 32, ainsi que du 9 décembre 2010, Humanplasma, C‑421/09, EU:C:2010:760, points 27 et 30). Il s’ensuit que les médicaments dérivés du sang ou du plasma humain constituent des « marchandises » au sens de l’article 34 TFUE.

54      Par ailleurs, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général aux points 62 à 66 de ses conclusions, les médicaments en cause dans l’affaire au principal constituent des « produits », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a) et c), de la directive 2004/18, qui sont appréciables en argent et susceptibles, comme tels, de faire l’objet de transactions commerciales.

 Sur les dispositions applicables

55      Il convient de rappeler qu’une question préjudicielle doit être examinée à la lumière de toutes les dispositions des traités et du droit dérivé susceptibles d’avoir une pertinence par rapport au problème posé (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 1985, Mutsch, 137/84, EU:C:1985:335, point 10). La circonstance que la juridiction de renvoi a formulé sa question en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait donc pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 1990, SARPP, C‑241/89, EU:C:1990:459, point 8).

56      Or, s’agissant des dispositions du droit de l’Union que la Cour est invitée à interpréter par la juridiction de renvoi, il convient d’apprécier, à titre préalable, l’applicabilité de l’article 83 de la directive 2001/83, de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2002/98 et de l’article 18 TFUE à une situation telle que celle en cause au principal.

57      En premier lieu, l’article 83 de la directive 2001/83 habilite les États membres à soumettre la distribution en gros des médicaments dérivés du sang à des exigences plus strictes que celles qui encadrent, d’une part, la distribution en gros des autres médicaments et, d’autre part, les autres modes de distribution des médicaments non visés à cette disposition.

58      La « distribution en gros des médicaments » est définie à l’article 1er, point 17, de la directive 2001/83 comme « toute activité qui consiste à se procurer, à détenir, à fournir ou à exporter des médicaments, à l’exclusion de la délivrance de médicaments au public ; ces activités sont réalisées avec des fabricants ou leurs dépositaires, des importateurs, d’autres grossistes ou avec les pharmaciens et les personnes autorisées ou habilitées, dans l’État membre concerné, à délivrer des médicaments au public ».

59      Or, tel n’est manifestement pas l’objet de l’activité de l’hôpital. Il s’ensuit que l’article 83 de la directive 2001/83 est inapplicable dans des circonstances telles que celles afférentes au litige au principal.

60      En deuxième lieu, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2002/98 permet à un État membre d’interdire ou de restreindre les importations de sang et de composants sanguins en vue d’encourager les dons volontaires et gratuits de sang et de composants sanguins.

61      À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2002/98 régit la distribution du sang humain et des composants sanguins uniquement « lorsqu’ils sont destinés à la transfusion ». Or, les médicaments dérivés du plasma n’ayant pas une telle destination, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2002/98 est inapplicable dans des circonstances telles que celles afférentes au litige au principal.

62      En troisième lieu et ainsi que M. l’avocat général l’a exposé aux points 37 et 38 de ses conclusions, il convient de rappeler que l’article 18 TFUE n’a vocation à s’appliquer de façon autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination (voir notamment, en ce sens, arrêts du 21 juin 1974, Reyners, 2/74, EU:C:1974:68, points 15 et 16 ; du 30 mai 1989, Commission/Grèce, 305/87, EU:C:1989:218, points 12 et 13, et du 18 décembre 2014, Generali-Providencia Biztosító, C‑470/13, EU:C:2014:2469, point 31).

63      Or, dans les circonstances de l’affaire au principal et dans la mesure où la libre circulation des marchandises est concernée, il y a lieu de considérer que l’exigence d’origine nationale relève du champ d’application de l’article 34 TFUE qui prohibe les entraves à la libre circulation des marchandises.

64      À cet égard, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle l’interdiction des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives, édictée à l’article 34 TFUE, vise toute mesure des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, les importations entre les États membres (arrêt du 19 octobre 2016, Deutsche Parkinson Vereinigung, C‑148/15, EU:C:2016:776, point 22 et jurisprudence citée).

65      Or, lu en combinaison avec l’article 36 TFUE, l’article 34 dudit traité prohibe notamment toutes les entraves discriminatoires à la libre circulation des marchandises et prévoit ainsi des règles spécifiques de non-discrimination par rapport à l’article 18 TFUE.

66      Il s’ensuit que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’article 83 de la directive 2001/83, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2002/98 et l’article 18 TFUE sont inapplicables au litige au principal.

 Sur la compatibilité d’une exigence d’origine nationale des médicaments dérivés du plasma, telle que celle en cause au principal, avec les articles 2 et 23 de la directive 2004/18 ainsi qu’avec l’article 34 TFUE

67      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de comprendre la question posée comme tendant à savoir si l’article 2 et l’article 23, paragraphes 2 et 8, de la directive 2004/18 ainsi que l’article 34 TFUE, lu en combinaison avec l’article 36 TFUE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une clause du cahier des charges d’un marché public qui, conformément à la législation de l’État membre dont relève le pouvoir adjudicateur, exige que les médicaments dérivés du plasma, objets du marché public en cause, soient fabriqués à partir de plasma collecté dans cet État membre.

68      Force est de constater que, en l’occurrence, l’exigence d’origine nationale est intrinsèquement discriminatoire. En effet, l’obligation de s’approvisionner prioritairement en médicaments dérivés de plasma slovène empêche toute entreprise disposant de médicaments dérivés de plasma collecté dans un autre État membre de l’Union de soumissionner utilement aux appels d’offres tels que celui émis par l’hôpital.

69      À cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi que M. l’avocat général l’a rappelé au point 94 de ses conclusions, la directive 2004/18 ne procède pas à une harmonisation exhaustive des aspects concernant la libre circulation des marchandises. Ce constat découle en particulier du libellé de l’article 23, paragraphe 8, de cette directive, en ce qu’il admet que des spécifications techniques puissent être justifiées par l’objet du marché.

70      En outre, d’un côté, le pouvoir adjudicateur dans l’affaire au principal est soumis aux exigences relatives à la passation des marchés publics, à savoir celles qui ressortent de l’article 2 et de l’article 23, paragraphes 2 et 8, de la directive 2004/18, d’un autre côté, il doit tenir compte de l’article 110 de la directive 2001/83, aux termes duquel les États membres prennent toutes mesures utiles pour promouvoir l’autosuffisance de l’Union en sang et en plasma humains. Or, cette dernière disposition prévoit que, à cette fin, les États membres encouragent les dons de sang ou de plasma volontaires et non rémunérés et prennent toutes mesures utiles pour le développement de la production et de l’utilisation des produits dérivés du sang ou du plasma humain provenant de dons volontaires et non rémunérés.

71      S’agissant des compétences et des responsabilités des États membres au regard notamment des dons de sang, visées par l’article 168, paragraphe 7, TFUE, dans le domaine de la politique de santé, de la gestion de services de santé et de soins médicaux ainsi que de l’allocation des ressources qui leurs sont affectées, il importe de constater que, dans l’exercice de ces compétences, notamment dans le domaine des marchés publics, les États membres doivent respecter le droit de l’Union, en particulier les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2008, Commission/Allemagne, C‑141/07, EU:C:2008:492, points 22 à 25 et jurisprudence citée).

72      Il s’ensuit que tant en ce qui concerne les entraves discriminatoires à la libre circulation des marchandises que les motifs de justification de celles-ci, l’examen de l’exigence d’origine nationale en cause dans l’affaire au principal, selon laquelle les médicaments dérivés du plasma doivent être produits à partir de plasma collecté en Slovénie, ne saurait être limité à une appréciation au regard de la directive 2004/18, mais doit également tenir compte des dispositions du droit primaire.

73      S’agissant de la directive 2004/18, le constat dressé au point 68 du présent arrêt suffit à établir le non-respect de l’article 2 de celle-ci, lequel exige du pouvoir adjudicateur notamment qu’il traite les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire.

74      Il convient, en outre, de relever que, aux termes de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2004/18, les spécifications techniques figurant dans les documents d’un marché public doivent permettre l’égal accès des soumissionnaires et ne pas avoir pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence.

75      Il apparaît toutefois que les conditions posées par l’article 23, paragraphe 8, de ladite directive ne sont pas réunies dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

76      Il résulte, en effet, clairement du libellé de cette dernière disposition de la directive 2004/18 qu’une spécification technique ne peut mentionner une provenance déterminée que si l’objet du marché public le justifie et qu’elle ne peut être autorisée qu’à titre exceptionnel. En tout état de cause, la référence à une spécification technique, telle qu’une provenance ou une origine déterminée, doit être assortie des termes « ou équivalent » (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 1988, Commission/Irlande, 45/87, EU:C:1988:435, point 22).

77      Or, s’agissant de l’affaire au principal, en n’ajoutant pas la mention « ou équivalent » après avoir imposé l’exigence d’origine nationale, l’hôpital a pu non seulement dissuader les opérateurs économiques disposant de médicaments analogues de soumissionner à l’appel d’offres, mais aussi entraver les courants d’importation dans le commerce entre les États membres en réservant le marché des médicaments dérivés de plasma slovène au seul Office. Ce faisant, l’hôpital n’a respecté ni l’article 2 de la directive 2004/18, ni l’article 23, paragraphes 2 et 8, de celle-ci, ni l’article 34 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 24 janvier 1995, Commission/Pays-Bas, C‑359/93, EU:C:1995:14, point 27).

 Sur la justification de l’entrave à la libre circulation des marchandises

78      Afin de déterminer si une clause du cahier des charges d’un marché public comportant une exigence d’origine nationale des médicaments dérivés du plasma, telle que celle en cause au principal, constitue une restriction interdite au sens de l’article 34 TFUE, il convient d’examiner si, ainsi que l’ont notamment fait valoir le gouvernement slovène et la Commission, elle est susceptible d’être justifiée au titre de la protection de la santé publique (voir, par analogie, arrêt du 9 décembre 2010, Humanplasma, C‑421/09, EU:C:2010:760, point 31).

79      À titre préalable, il convient de relever que, dans l’affaire au principal, le pouvoir adjudicateur est soumis, ainsi qu’il a été rappelé au point 70 du présent arrêt, à deux exigences potentiellement contradictoires. Il doit en effet observer l’article 6 de la loi sur les médicaments qui énonce les principes de l’approvisionnement prioritaire et d’autosuffisance nationale, ce dernier découlant de l’article 2 de la loi relative à l’approvisionnement en sang. Simultanément, ce pouvoir adjudicateur doit, conformément à l’article 2 de la directive 2004/18, respecter l’égalité d’accès à la commande publique et, par conséquent, garantir un traitement non discriminatoire des opérateurs économiques disposant de médicaments dérivés du plasma.

80      En l’occurrence, l’exigence d’origine nationale étant discriminatoire, ainsi que cela a été constaté au point 68 du présent arrêt, la législation slovène n’est susceptible d’être justifiée que pour l’un des motifs énumérés à l’article 36 TFUE (voir notamment, par analogie, arrêts du 17 juin 1981, Commission/Irlande, 113/80, EU:C:1981:139, points 7, 8, 10 et 11, ainsi que du 30 novembre 1995, Gebhard, C‑55/94, EU:C:1995:411, point 37).

81      À cet égard, le gouvernement slovène considère que le système de collecte du sang et du plasma humains en cause au principal est justifié par des motifs de santé publique.

82      Selon une jurisprudence constante de la Cour, pour apprécier le respect par un État membre du principe de proportionnalité dans le champ de la santé publique, il convient de tenir compte du fait que la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et intérêts protégés par le traité FUE et qu’il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et la manière dont ce niveau doit être atteint. Ce niveau pouvant varier d’un État membre à l’autre, il convient de reconnaître aux États membres une marge d’appréciation (voir, notamment, arrêts du 11 septembre 2008, Commission/Allemagne, C‑141/07, EU:C:2008:492, point 51 ; du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, point 19 ; du 21 juin 2012, Susisalo e.a., C‑84/11, EU:C:2012:374, point 28 ; du 5 décembre 2013, Venturini e.a., C‑159/12 à C‑161/12, EU:C:2013:791, point 59, et du 19 octobre 2016, Deutsche Parkinson Vereinigung, C‑148/15, EU:C:2016:776, point 30).

83      Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour qu’une réglementation qui est de nature à restreindre une liberté fondamentale garantie par le traité FUE, telle que la libre circulation des marchandises, ne peut être valablement justifiée que si elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (voir, en ce sens, dans le champ de la santé publique, arrêts du 11 septembre 2008, Commission/Allemagne, C‑141/07, EU:C:2008:492, point 48, et du 9 décembre 2010, Humanplasma, C‑421/09, EU:C:2010:760, point 34).

84      Dans un premier temps, il convient donc d’examiner si l’exigence d’origine nationale en cause au principal poursuit un objectif légitime.

85      Selon le gouvernement slovène, cette exigence d’origine nationale tendrait à encourager les dons de sang volontaires et non rémunérés, d’une part, et à assurer le respect du principe d’autosuffisance nationale, d’autre part. Ce gouvernement, qui met en exergue l’imbrication de ces deux objectifs, souligne que les conditions strictes qui enserrent les dons de sang volontaires et non rémunérés ont une incidence très importante sur la quantité collectée de sang humain et de composants sanguins, ce qui a une influence sur l’autosuffisance de la fourniture de sang et, par conséquent, sur la fourniture de composants sanguins.

86      Il y a lieu d’observer, à titre préalable, que l’imbrication des deux objectifs avancés par le gouvernement slovène découle du libellé même de l’article 110 de la directive 2001/83. En effet, il convient de rappeler que, aux termes de cette disposition, « [l]es États membres prennent toutes mesures utiles pour promouvoir l’autosuffisance de la Communauté en sang et plasma humains. À cette fin, ils encouragent les dons de sang ou de plasma volontaires et non rémunérés [...] ».

87      Le fait d’encourager les dons de sang volontaires et non rémunérés répond à des préoccupations de santé publique, telles que celles visées à l’article 36 TFUE. Partant, cet objectif est, en principe, susceptible de justifier une entrave à la libre circulation des marchandises (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2010, Humanplasma, C‑421/09, EU:C:2010:760, point 33).

88      Le second objectif avancé par le gouvernement slovène consistant à assurer le respect du principe d’autosuffisance nationale, il convient d’apprécier si une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui poursuit un tel objectif, participe à la promotion de l’autosuffisance de l’Union en sang et en plasma humains, visée à l’article 110 de la directive 2001/83.

89      En premier lieu, le législateur de l’Union n’ayant pas précisé les modalités permettant d’atteindre l’autosuffisance de l’Union en sang et en plasma humains, on peut admettre, à l’instar de la Commission, que, en l’état actuel du droit de l’Union, l’autosuffisance de l’Union se concrétise à travers la poursuite par chaque État membre d’un objectif d’autosuffisance nationale.

90      En second lieu, il convient de constater que le législateur de l’Union utilise une terminologie fluctuante pour délimiter les contours assignés à l’autosuffisance de l’Union. En effet, tandis que l’article 110 de la directive 2001/83 ne mentionne que le sang et le plasma humains, l’article 20, paragraphe 1, de la directive 2002/98, lu à la lumière du considérant 4 de celle-ci, invite les États membres à prendre les mesures nécessaires pour encourager les dons volontaires et non rémunérés en vue de garantir que, dans toute la mesure du possible, le sang et les composants sanguins proviennent de ces dons.

91      Le champ d’application du principe d’autosuffisance de l’Union est encore plus largement entendu par le considérant 19 de la directive 2001/83, lequel se réfère à « l’autosuffisance de l’ensemble de la Communauté en matière d’approvisionnement en produits sanguins ».

92      L’objectif d’assurer l’autosuffisance de l’Union en matière d’approvisionnement en produits sanguins ayant pour finalité de protéger la santé publique, son champ d’application doit être appréhendé largement.

93      En conséquence, une législation nationale telle que celle en cause au principal poursuit des objectifs légitimes de protection de la santé publique.

94      Dans un second temps, il y a lieu d’apprécier la proportionnalité d’une telle législation pour atteindre cet objectif de protection de la santé publique.

95      L’article 36 TFUE étant une exception d’interprétation stricte à la règle de la libre circulation des marchandises à l’intérieur de l’Union, une réglementation nationale doit être nécessaire pour réaliser l’objectif invoqué et celui-ci ne doit pas pouvoir être atteint par des interdictions ou des limitations de moins grande ampleur ou affectant de manière moindre le commerce au sein de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2008, Commission/Allemagne, C‑141/07, EU:C:2008:492, point 50).

96      À cet égard, il apparaît qu’aucun des éléments en possession de la Cour ne permet de conclure que le principe d’approvisionnement prioritaire en médicaments produits industriellement à partir de plasma slovène prélevé au sein des hôpitaux slovènes contribue, de manière décisive, à encourager la population slovène à donner volontairement et gratuitement son sang.

97      Certes, le considérant 19 et l’article 110 de la directive 2001/83 s’inscrivent dans le concept de solidarité. En effet, n’étant pas rémunérés, l’ensemble des donneurs de sang agissent dans l’intérêt de tous les individus avec lesquels ils partagent les mêmes intérêts, en permettant, ensemble, notamment, de se prémunir contre des risques d’insuffisance des médicaments dérivés du sang ou du plasma. Toutefois, le principe d’approvisionnement prioritaire en cause au principal, en ce qu’il exclut les opérateurs économiques désireux d’importer en Slovénie des médicaments dérivés de plasma provenant, eux aussi, de dons volontaires et non rémunérés collectés dans d’autres États membres, va manifestement à l’encontre de ce concept qui sous-tend l’objectif d’autosuffisance de l’Union. Ainsi, dans la mesure où la motivation des donneurs de sang est la même dans les autres États membres qu’en Slovénie, d’une part, et où il existe, d’autre part, des convergences objectives d’intérêts entre l’ensemble des donneurs des États membres quant à la production et l’utilisation des produits dérivés du sang ainsi que du plasma humains issus de ces dons volontaires et non rémunérés, il n’y a aucune raison de considérer, comme le prétend le gouvernement slovène, que des conditions fondées sur un concept de solidarité purement national sont seules susceptibles d’avoir, en Slovénie, une incidence très importante sur la quantité collectée de sang humain et de composants sanguins et, partant, sur la quantité de produits sanguins dérivés de ces dons.

98      Il n’apparaît donc pas que l’objectif consistant à encourager et à maintenir à un haut niveau les dons de sang volontaires et non rémunérés requière nécessairement qu’il soit recouru à l’exigence d’origine nationale en cause au principal. Dans ces conditions, le principe d’approvisionnement prioritaire doit être considéré comme disproportionné.

99      Cette considération ne saurait être infirmée par l’argument selon lequel un système d’approvisionnement prioritaire, tel que décrit aux points 41 à 48 du présent arrêt, peut être considéré comme la solution la moins attentatoire à la libre circulation des marchandises, eu égard notamment au fait que les médicaments sont fournis aux hôpitaux moyennant le paiement d’un prix correspondant aux seuls coûts liés à leur production.

100    En effet, il est vrai qu’un système de collecte du plasma, tel que celui en cause au principal, a été instauré dans un contexte mondial caractérisé par une pénurie durable et non contestée de sang et de plasma de qualité, ainsi que par une grande concentration du secteur de la transformation industrielle du sang et du plasma en médicaments. En outre, comme la Commission l’a souligné dans ses observations écrites, cette tendance pérenne incite les quelques entreprises actives dans ce domaine à privilégier la vente des médicaments dérivés du plasma dans les pays qui peuvent payer un prix plus élevé ou qui les achètent en plus grande quantité, les États de dimensions réduites s’exposant ainsi à un renchérissement sensible du prix des médicaments dérivés du plasma.

101    Certes, des intérêts d’ordre économique ayant pour objectif d’assurer le maintien d’un service hospitalier de qualité, sûr et accessible à tous peuvent relever de la dérogation pour des raisons de santé publique prévue à l’article 36 TFUE, dans la mesure où ils contribuent à la réalisation d’un niveau élevé de protection de la santé (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2008, Commission/Allemagne, C‑141/07, EU:C:2008:492, point 60).

102    Néanmoins, un système d’approvisionnement prioritaire en médicaments produits industriellement à partir de plasma slovène, tel que celui en cause au principal, ne saurait être considéré comme étant indispensable pour éviter un renchérissement du coût des médicaments dérivés du plasma, dans la mesure où tous les médicaments produits industriellement à partir de plasma, que ce soit en Slovénie ou dans un autre État membre, ont la même base en ce qui concerne la fixation des prix de ces médicaments, à savoir des dons de sang volontaires et non rémunérés.

103    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater qu’une restriction telle que celle résultant de la réglementation nationale en cause au principal ne s’avère pas apte à atteindre les objectifs invoqués et ne saurait donc être regardée comme justifiée par la réalisation de ceux-ci.

104    En conséquence, il convient de répondre à la question posée que l’article 2 et l’article 23, paragraphes 2 et 8, de la directive 2004/18 ainsi que l’article 34 TFUE, lu en combinaison avec l’article 36 TFUE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une clause du cahier des charges d’un marché public qui exige, conformément à la législation de l’État membre dont relève le pouvoir adjudicateur, que les médicaments dérivés du plasma, objets du marché public en cause, soient produits à partir de plasma collecté dans cet État membre.

 Sur les dépens

105    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

L’article 2 et l’article 23, paragraphes 2 et 8, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, ainsi que l’article 34 TFUE, lu en combinaison avec l’article 36 TFUE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une clause du cahier des charges d’un marché public qui exige, conformément à la législation de l’État membre dont relève le pouvoir adjudicateur, que les médicaments dérivés du plasma, objets du marché public en cause, soient produits à partir de plasma collecté dans cet État membre.

Signatures


* Langue de procédure : le slovène.