Language of document : ECLI:EU:C:2019:469

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 6 juin 2019 (1)

Affaire C302/18

X

contre

Belgische Staat

[demande de décision préjudicielle formée par le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (Conseil du Contentieux des Étrangers, Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée – Acquisition du statut de résident de longue durée – Condition de disposer de ressources stables, régulières et suffisantes – Ressources propres – Provenance des ressources – Ressources provenant d’un tiers – Engagement de prise en charge – Directive 2003/109/CE – Article 5, paragraphe 1, sous a) »







I.      Introduction

1.        La demande de décision préjudicielle formée par le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (Conseil du Contentieux des Étrangers, Belgique) porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (2).

2.        La directive 2003/109 vise, en particulier, à établir les conditions d'octroi et de retrait du statut de résident de longue durée accordé par un État membre aux ressortissants de pays tiers qui séjournent légalement sur son territoire et à conférer un ensemble de droits aux détenteurs de ce statut (3). L’une des conditions pour acquérir ledit statut exige, selon l’article 5, paragraphe 1, sous a), de cette directive, que le ressortissant fournisse la preuve qu’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille qui sont à sa charge, de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d'aide sociale de l'État membre d’accueil.

3.        Le présent renvoi préjudiciel s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant X à l’État belge au sujet, notamment, du rejet d’une demande d’acquisition du statut de résident de longue durée au motif que X ne disposait pas de ressources propres et ne remplissait dès lors pas la condition de ressources au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109.

4.        Dans ce contexte, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir si, en substance, la condition de disposer de ressources stables, régulières et suffisantes prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 vise uniquement les ressources propres du ressortissant d’un pays tiers ou si, peu importe leur provenance, elles englobent également des ressources mises à la disposition de ce dernier par un tiers ou un membre de sa famille. Le cas échéant, la juridiction de renvoi cherche à savoir si un engagement de prise en charge souscrit par un tiers ou un membre de sa famille, tel que celui en l’occurrence, suffit pour apporter la preuve que les ressources sont à la disposition du demandeur.

5.        À l’issue de mon exposé, je proposerai à la Cour de répondre à ces questions en ce sens que cette condition ne comporte pas d’exigence particulière quant à la provenance des ressources. Toutefois, dans l’hypothèse de ressources provenant d’un tiers ou d’un membre de la famille du demandeur, comme dans les circonstances du litige au principal, il importe que les autorités nationales vérifient qu’elles sont suffisantes et présentent une certaine permanence et une certaine continuité permettant raisonnablement d’exclure que le demandeur devienne une charge pour le système d’aide sociale de l’État membre concerné. À cet effet, les autorités nationales doivent prendre en considération l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce, parmi lesquelles figure le caractère suffisamment précis, durable et juridiquement contraignant d’un engagement de prise en charge par un tiers ou d’un membre de la famille du demandeur.

II.    Le cadre juridique

A.       La directive 2003/109

6.        Le considérant 7 de la directive 2003/109 prévoit :

« Afin d'acquérir le statut de résident de longue durée, le ressortissant de pays tiers devrait prouver qu’il dispose de ressources suffisantes et d'une assurance maladie, pour éviter de devenir une charge pour l’État membre. Les États membres, lorsqu’ils évaluent la possession de ressources stables et régulières, peuvent prendre en considération des facteurs tels que les cotisations à un régime de pension ou l'acquittement d’obligations fiscales. »

7.        L’article 5 de cette directive, intitulé « Conditions relatives à l’acquisition du statut de résident de longue durée », énonce à son paragraphe 1, sous a) :

« 1.      Les États membres exigent du ressortissant d’un pays tiers de fournir la preuve qu’il dispose pour lui et pour les membres de sa famille qui sont à sa charge :

a)      de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de l’État membre concerné. Les États membres évaluent ces ressources par rapport à leur nature et à leur régularité et peuvent tenir compte du niveau minimal des salaires et pensions avant la demande d’acquisition du statut de résident de longue durée ; »

B.      Le droit belge

8.        L’article 15 bis, paragraphe 1, de la wet van 15 december 1980 betreffende de toegang tot het grondgebied, het verblijf, de vestiging en de verwijdering van vreemdelingen (loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, ci-après la « loi sur les étrangers »), dispose :

« Sauf si des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale s’y opposent, le statut de résident de longue durée doit être accordé à l’étranger non citoyen de l’Union européenne qui répond aux conditions fixées au § 3 et qui justifie d’un séjour légal et ininterrompu dans le Royaume au cours des cinq ans qui précèdent immédiatement la demande d’acquisition du statut de résident de longue durée. »

9.        L’article 15 bis, paragraphe 3, de la loi sur les étrangers, qui transpose l’article 5 de la directive 2003/109, prévoit :

« L’étranger visé au [paragraphe 1] doit apporter la preuve qu’il dispose, pour lui-même et les membres de sa famille qui sont à sa charge, de moyens de subsistance stables, réguliers et suffisants pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour les pouvoirs publics, ainsi que d’une assurance-maladie couvrant les risques en Belgique. [...] ».

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

10.      Le 26 juillet 2007, X, qui a déclaré être de nationalité camerounaise, a introduit une demande de visa long séjour en sa qualité d’étudiant auprès des autorités belges. Le visa étudiant lui a été octroyé et son séjour a été prolongé annuellement jusqu’au 15 janvier 2016. Étant donné qu’il était en possession d’un permis de travail, une autorisation de séjour, dont la durée de validité s’étend jusqu’au 14 janvier 2017, lui a été accordée le 19 janvier 2016.

11.      Le 27 décembre 2016, X a introduit une demande d’octroi du statut de résident de longue durée. À l’appui de sa demande, il a notamment produit, en tant que preuves de moyens de subsistance stables, réguliers et suffisants au sens de l’article 15 bis, paragraphe 3, de la loi sur les étrangers, des contrats de travail, un avis d’imposition et des fiches de salaire au nom de son frère. En outre, X a produit un document signé par son frère, par lequel celui-ci s’est engagé à veiller à ce que « l’intéressé dispose [...] pour lui‑même et les membres de sa famille qui sont à sa charge, de moyens de subsistance stables, réguliers et suffisants pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour les pouvoirs publics conformément à l’article 15 bis de la [loi sur les étrangers] ».

12.      Par décision du 5 avril 2017, le délégué du staatssecretaris voor Asiel en Migratie en Administratieve Vereenvoudiging (secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Belgique) a rejeté cette demande au motif que X ne possédait pas de ressources propres. Cette autorité a noté que X n’exerçait plus d’activité rémunérée depuis le 31 mai 2016, qu’il ne disposait d’aucune ressource actuellement, et qu’il faisait état des ressources de son frère. 

13.      X a formé un recours devant la juridiction de renvoi contre cette décision en soutenant qu’elle était fondée sur une interprétation erronée de la condition relative aux ressources, prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109, disposition dont l’article 15 bis, paragraphe 3, de la loi sur les étrangers constitue la transposition.

14.      Selon X, l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 n’exigerait pas que seules les ressources propres du requérant puissent être prises en compte. À cet égard, X a notamment fait valoir que la condition exigeant la disposition de ressources stables, régulières et suffisantes prévue à cet article 5, paragraphe 1, sous a), devait être interprétée à la lumière de celle exigeant la disposition de ressources suffisantes visée à l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres (4). Il y aurait lieu, pour ledit article 5, paragraphe 1, sous a), d’appliquer par analogie la jurisprudence de la Cour suivant laquelle l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2004/38 ne comporterait pas la moindre exigence quant à la provenance des ressources, qui pourraient dès lors être fournies par un membre de la famille (5).

15.      Dans ce contexte, par décision du 14 décembre 2017, parvenue à la Cour le 4 mai 2018, le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (Conseil du Contentieux des Étrangers, Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 5, paragraphe 1, sous a), de la [directive 2003/109], qui prévoit (notamment) que, pour acquérir le statut de résident de longue durée, le ressortissant d’un pays tiers doit prouver qu’il “dispose” pour lui et pour les membres de sa famille qui sont à sa charge de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de l’État membre concerné, doit-il être interprété en ce sens que seules les “ressources propres” dudit ressortissant d’un pays tiers sont visées à ce titre ?

2)      Ou suffit‑il, à cet égard, que lesdites ressources soient à la disposition du ressortissant d’un pays tiers, sans que l’on n’impose d’exigence quelconque quant à la provenance de ces ressources, de sorte que celles‑ci peuvent être également mises à sa disposition par un membre de sa famille ou par un autre tiers ?

3)      Si la dernière question appelle une réponse positive, un engagement de prise en charge souscrit par un tiers, dans lequel ce dernier s’engage à veiller à ce que le demandeur du statut de résident de longue durée “dispose, pour lui‑même et les membres de sa famille qui sont à sa charge, de moyens de subsistance stables, réguliers et suffisants pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour les pouvoirs publics”, suffit‑il, dans ce cas, à démontrer que le demandeur peut disposer de ressources au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la [directive 2003/109] ? »

16.      Des observations écrites ont été déposées par X, par les gouvernements belge, tchèque, allemand, français, italien et autrichien, ainsi que par la Commission européenne.

IV.    Analyse

17.      Par ses trois questions préjudicielles, que je traiterai conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la condition de disposer de ressources stables, régulières et suffisantes prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 vise uniquement les « ressources propres » du ressortissant d’un pays tiers ou si, peu importe leur provenance, elles englobent également des ressources mises à la disposition de ce dernier par un tiers ou un membre de sa famille. Le cas échéant, la juridiction de renvoi cherche à savoir si un engagement de prise en charge souscrit par un tiers ou un membre de la famille, tel que celui en cause au principal, suffit pour apporter la preuve que les ressources sont à la disposition du demandeur.

18.      Je constate que la juridiction de renvoi n’a pas défini, dans la demande de décision préjudicielle, les termes « ressources propres » figurant dans la première question préjudicielle. Eu égard au contexte dans lequel s’inscrivent les questions préjudicielles et à leur formulation, je les comprends en ce sens que la juridiction de renvoi cherche à savoir si des ressources qui ne sont pas générées par le demandeur, soit par une activité économique exercée par lui, soit par un droit qui lui est propre (6), sont exclues de la condition prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109.

19.      En d’autres termes, il importe de s’interroger sur l’incidence de la provenance des ressources pour satisfaire à la condition posée à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109.

20.      À cet égard, les positions des parties intéressées se divisent principalement en trois groupes.

21.      Selon X et la Commission, la provenance des ressources visées à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 n’est pas pertinente et rien ne s’oppose, en principe, à ce qu’une aide financière d’un tiers puisse remplir les critères prévus à cette disposition. S’agissant d’un engagement de prise en charge, tel que celui en cause au principal, il reviendrait à la juridiction de renvoi de déterminer notamment, d’une part, si le bienfaiteur qui le souscrit dispose effectivement de ressources suffisantes pour subvenir à ses propres besoins ainsi qu’aux besoins du demandeur et de sa famille et, d’autre part, si la relation entre le bienfaiteur et le demandeur est suffisamment stable pour considérer que l’engagement sera effectivement honoré en cas de besoin.

22.      Les gouvernements allemand, français et autrichien estiment, en substance, que la directive 2003/109 n’exclut pas que les ressources proviennent d’un membre de la famille du demandeur du statut de résident de longue durée ou d’un tiers, à condition qu’elles soient fondées sur un droit susceptible d’être invoqué en justice par ledit demandeur, tel qu’un droit à une pension alimentaire à l’encontre d’une autre personne ou des ressources liées au régime matrimonial du demandeur (7). Ces gouvernements en déduisent qu’un engagement de prise en charge tel que celui en cause au principal n’est pas visé à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109, dès lors qu’un tel engagement ne serait fondé sur aucune obligation légale (8).

23.      Enfin, les gouvernements belge, italien et tchèque considèrent que les ressources visées à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 se limitent à celles générées par le demandeur du statut de résident de longue durée (9).

24.      Je note que les questions soulevées en l’espèce n’ont pas encore fait l’objet d’une appréciation par la Cour. Selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle de l’exigence d’une application uniforme du droit de l’Union que, lorsqu’un acte de l’Union ne renvoie pas de façon expresse au droit des États membres pour la définition d’une notion particulière, cette notion doit recevoir une interprétation autonome, que la Cour recherche en tenant compte des termes de la disposition concernée, du contexte de celle‑ci et de l’objectif poursuivi par la réglementation dont elle fait partie (10). C’est en se fondant sur ces éléments qu’il convient de répondre aux questions posées.

A.      Sur l’interprétation littérale de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109

25.      D’emblée, je relève que l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109, tel qu’il est libellé, ne contient pas d’exigence explicite par rapport à la provenance des ressources.

26.      Ensuite, je note qu’un examen comparé des différentes versions linguistiques de cette disposition fait apparaître des divergences terminologiques dans un nombre important de celles‑ci en ce qui concerne la notion de « ressources » prise dans son sens habituel (11).

27.      En effet, alors que plusieurs versions linguistiques emploient l’équivalent du terme « ressources » entendu dans un sens large de « moyens financiers » (12), ce qui pourrait indiquer que la provenance de ces ressources importe peu, d’autres versions linguistiques emploient le terme de « revenus » suggérant un sens plus restrictif impliquant une rémunération telle que la rémunération du travail, et qui laisse entendre qu’il s’agirait plutôt de ressources générées par le demandeur (13).

28.      Eu égard à cette disparité, il y a lieu de constater que la notion de « ressources » ne revêt pas une signification univoque (14).

29.      Cela étant, cette interprétation plus restrictive due à l’emploi du terme « revenus » dans certaines versions linguistiques pourrait être corroborée par le fait que le considérant 7 de la directive 2003/109 précise que les États membres, lorsqu’ils évaluent la possession de ressources stables et régulières, peuvent prendre en considération des facteurs tels que les cotisations à un régime de pension ou l’acquittement d’obligations fiscales, dès lors que ces cotisations et acquittements se basent, par leur nature, sur des ressources générées par le demandeur.

30.      C’est notamment dans cette optique que les gouvernements belge, tchèque et italien font valoir que les ressources visées à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 se limitent à celles générées par le demandeur.

31.      À mon sens, il est certain que les ressources générées par le ressortissant d’un pays tiers, telles que des salaires, des revenus d’une activité professionnelle ou une pension de retraite, sont des ressources qui, par leur nature, sont le plus communément admises comme présentant les caractères de stabilité et de régularité au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109, ainsi que le considérant 7 de cette directive le laisse entendre.

32.      Néanmoins, une telle conception limitée de la notion de « ressources » ne me paraît pas ressortir clairement du libellé de cet article 5, paragraphe 1, sous a), lequel n’est pas explicite sur la provenance des ressources mais s’attache plutôt à caractériser ces ressources, en ce qu’elles doivent être à la disposition du demandeur et être stables, régulières et suffisantes pour subvenir aux besoins du ressortissant d’un pays tiers demandeur du statut de résident de longue durée et à ceux des membres de sa famille.

33.      Autrement dit, l’interprétation littérale de cette disposition me conduit à conclure que si cette disposition vise, en premier chef, les ressources générées par le demandeur (15), des ressources mises à la disposition par un tiers ne sont pas exclues, à condition qu’elles présentent le même caractère de stabilité, de régularité et de suffisance, par rapport à leur nature, que si ces ressources étaient générées par le ressortissant du pays tiers lui‑même.

34.      Cette position est, à mon avis, corroborée par la genèse de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 (section B), ainsi que par l’interprétation téléologique de la directive 2003/109, de son article 5, paragraphe 1, sous a) et le contexte dans lequel s’inscrit cet article (section C).

B.      Sur la genèse de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109

35.      Tout d’abord, je relève que la question de la provenance des ressources visées à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 ne semble pas avoir été débattue lors de l’adoption de cette directive. 

36.      De surcroît, un examen des travaux préparatoires de cette directive fait apparaitre, à mon sens, une ambiguïté quant à l’utilisation du terme de « ressources », semblable à celle rappelée au point 27 des présentes conclusions s’agissant de l’interprétation littérale de cette notion.

37.      En effet, dans certaines versions linguistiques de la proposition initiale de la directive, l’exposé des motifs précise quant à la condition concernée (16), que la stabilité des « ressources » du demandeur du statut de longue durée doit être évaluée en fonction de la nature et de la régularité des « revenus » de la personne concernée, alors que la rédaction proposée dans ces mêmes versions linguistiques de la disposition emploie seulement le terme « ressources » pour l’évaluation de ce même critère (17). D’autres versions linguistiques emploient uniquement le terme « revenus » (18).

38.      Ce type d’ambiguïté se retrouve d’ailleurs dans la suite des travaux préparatoires. À titre d’exemple, certaines versions linguistiques de l’avis du Comité des régions sur la proposition de directive se réfèrent explicitement à « des ressources propres » du demandeur du statut de résident de longue durée (19), alors que d’autres versions linguistiques ne sont pas explicites sur ce point (20).

39.      La genèse de la directive 2003/109 ne permet donc pas de clarifier la question de la provenance des ressources.

40.      Cela étant, il ressort toutefois de l’exposé des motifs de la proposition initiale de directive sur la disposition concernée que les critères d’évaluation prévus à l’article 5 sont strictement encadrés pour ne pas annihiler la possibilité d’acquérir le statut de résident de longue durée et pour rapprocher les conditions d’acquisition de ce statut dans tous les États membres (21).

41.      À mon sens, ce point de la proposition de la Commission suggère que, dans le cadre de l’interprétation de cet article 5, il ne peut être requis que les ressources du demandeur aient une provenance particulière, lorsqu’une telle provenance n’est pas clairement prévue par le législateur.

C.      Sur l’interprétation téléologique de la directive 2003/109, de son article 5, paragraphe 1, sous a) et sur le contexte dans lequel s’inscrit cet article

42.      S’agissant, en premier lieu, de l’objectif poursuivi par la directive 2003/109, celui‑ci n’exige pas, selon moi, que les ressources visées à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 aient une provenance particulière.

43.      En effet, l’objectif principal de la directive 2003/109 est l’intégration des ressortissants de pays tiers qui sont installés durablement dans les États membres (22) et, à cet effet, ladite directive prévoit, à son article 4, paragraphe 1, la durée de résidence comme le critère principal pour l’acquisition du statut de résident de longue durée. Cet article exige ainsi que le ressortissant ait résidé de manière légale et ininterrompue sur le territoire de l’État membre concerné pendant les cinq années précédant l'introduction de la demande en cause (23). Comme le souligne le gouvernement français, la directive 2003/109 s’applique à cet égard, en vertu de son article 3, paragraphe 1, aux ressortissants de pays tiers qui résident légalement sur le territoire d’un État membre, indépendamment du fait qu’ils y exercent ou non une activité économique (24).

44.      De ce point de vue, la provenance des ressources n’a pas d’importance particulière, et l’objectif de la directive 2003/109 n’exige pas que les ressources soient générées par l’activité économique du demandeur.

45.      Cette interprétation est, à mes yeux, corroborée par l’économie générale de cette directive. En effet, la Cour a jugé que la directive 2003/109, y compris son article 5, établit des conditions précises de fond qui doivent être respectées avant que les États membres concernés ne délivrent les permis de séjour demandés et que, compte tenu de l’objectif poursuivi par la directive 2003/109 et du système qu’elle met en place, dès lors que les ressortissants de pays tiers remplissent les conditions prévues par cette directive, ils ont le droit d’obtenir le statut de résident de longue durée ainsi que les autres droits qui découlent de l’octroi de ce statut (25).

46.      Il en résulte, à mon sens, que la directive 2003/109 prévoit de manière exhaustive les conditions matérielles que le demandeur du statut de résident de longue durée doit remplir ainsi que les motifs pouvant justifier le refus de ce statut. De ce point de vue, le fait de refuser une demande de ce statut au seul motif que les ressources proviennent d’un tiers me semble contraire à l’économie générale de cette directive et à l’objectif qu’elle poursuit.

47.      S’agissant, en deuxième lieu, de l’objectif poursuivi par la condition prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109, celui‑ci est d’éviter que le ressortissant devienne une charge pour l’État membre, tel qu’énoncé au considérant 7 de la directive 2003/109. La question qui se pose est donc de savoir si cet objectif exige une provenance particulière des ressources.

48.      À cet égard, la jurisprudence de la Cour relative à la condition de ressources prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 apporte, à mon sens, d’utiles éléments d’interprétation, bien que le libellé de cette disposition, le contexte dans lequel elle s’inscrit et l’objectif de cette directive soient différents de ceux de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109.

49.      Plus précisément, l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, tel qu’interprété à la lumière de son considérant 10, prévoit que l’une des conditions alternatives ouvrant le droit à tout citoyen de l’Union et aux membres de sa famille l’accompagnant de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour des périodes supérieures à trois mois et jusqu’à cinq ans (26) est de disposer, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour (27).

50.      La Cour a jugé que le terme « dispose » de ressources suffisantes, figurant à cet article 7, paragraphe 1, sous b), doit être interprété en ce sens qu’il suffit que les citoyens de l’Union aient la disposition de telles ressources, sans que cette disposition ne comporte la moindre exigence quant à la provenance de celles‑ci, ces dernières pouvant être fournies, notamment, par un ressortissant d’un pays tiers (28). La Cour a ajouté qu’une interprétation de la condition relative au caractère suffisant des ressources en ce sens que l’intéressé devrait disposer lui‑même de telles ressources, sans qu’il puisse se prévaloir, à cet égard, des ressources d’un membre de sa famille qui l’accompagne, ajouterait à cette condition, telle qu’elle est formulée dans la directive 2004/38, une exigence relative à la provenance des ressources. Cette exigence constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice du droit fondamental de la libre circulation et de séjour garanti à l’article 21 TFUE, en ce qu’elle n’est pas nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi, à savoir la protection des finances publiques des États membres (29).

51.      La Cour a précisé qu’une exigence relative à l’existence d’un lien juridique entre le dispensateur et le bénéficiaire des ressources est disproportionnée en ce que la perte de ressources suffisantes est toujours un risque latent, que celles‑ci soient personnelles ou qu’elles proviennent d’une tierce personne, et ce alors même que cette dernière se serait engagée à soutenir financièrement le titulaire du droit de séjour. Selon la Cour, l’origine de ces ressources n’a donc pas d’incidence automatique sur le risque que survienne une telle perte, la réalisation d’un tel risque étant tributaire d’une évolution des circonstances (30).

52.      À mon sens, cette jurisprudence n’est transposable pour l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 que dans la mesure où cette disposition ne comporte pas non plus d’exigence quant à la provenance des ressources.

53.      En effet, pour l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 qui, comme l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, n’est pas explicite sur la provenance des ressources dans son libellé et poursuit le même objectif de protection des finances publiques des États membres, je considère qu’une provenance particulière n’est pas une exigence nécessaire afin d’atteindre l’objectif de cet article 5, paragraphe 1, sous a). Conformément à ce qu’a exposé la Cour, la provenance des ressources n’a pas d’incidence automatique sur le risque que survienne la perte de ces ressources (31).

54.      Cependant, comme l’invoquent à juste titre notamment les gouvernements belge, autrichien, allemand et français, l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 est plus exigeant que l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, notamment en ce que, à la différence de cette dernière disposition, l’article 5, paragraphe 1, sous a) de la directive 2003/109 impose des critères supplémentaires, à savoir, que les ressources soient stables et régulières. En outre, le deuxième alinéa de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 exige que les ressources soient évaluées au regard, notamment, de leur nature (32).

55.      Afin d’identifier l’incidence de la provenance des ressources sur la satisfaction de ces critères (section 2), il convient, tout d’abord, de spécifier la portée de ces derniers (section 1).

1.      Sur la portée des critères de stabilité et de régularité des ressources par rapport à  leur nature

56.      Premièrement, en ce qui concerne la portée des critères de stabilité et régularité, je note que la Cour s’est déjà prononcée sur ce point dans le cadre de la directive 2003/86 relative au droit au regroupement familial.

57.      En effet, l’article 7, paragraphe 1, sous c), de cette directive contient une condition de ressources dont le libellé et l’objectif sont similaires à ceux de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109. La première disposition permet aux États membres d’exiger, lors du dépôt d’une demande de regroupement familial, la preuve que le regroupant dispose de « ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de l’État membre concerné » (33).

58.      La Cour a jugé que l’emploi des termes « stables » et « régulières » implique que les ressources visées à l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 présentent une certaine permanence et une certaine continuité. La Cour a précisé que l’intéressé doit prouver qu’il dispose de ressources suffisantes au moment où sa demande est examinée et que, dans la mesure où il ressort des termes de l’article 7, paragraphe 1, sous c), de cette directive que les ressources de l’intéressé doivent être non seulement « suffisantes », mais également « stables et régulières », de telles exigences impliquent nécessairement, notamment eu égard à son libellé et son objectif, un examen prospectif desdites ressources de la part de l’autorité nationale compétente, à savoir l’évaluation de l’évolution future de la situation financière de l’intéressé après l’obtention du titre de séjour demandé (34).

59.      À l’instar des gouvernements français et autrichien, j’estime que cette analyse de la Cour peut être transposée pour l’interprétation des exigences de stabilité et de régularité des ressources prévues à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 pour l’acquisition du statut de résident de longue durée. Il en résulte que, dans le cadre de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109, les autorités compétentes doivent vérifier, en se basant sur une évaluation prospective, que les ressources du demandeur présentent une certaine permanence et une certaine continuité.

60.      En d’autres mots, les critères de stabilité et de régularité sous‑entendent que les autorités nationales doivent pouvoir raisonnablement exclure que le demandeur devienne une charge pour l’État membre en raison du recours à l’aide sociale.

61.      Deuxièmement, le fait que cette évaluation prospective doit être effectuée par rapport à la nature des ressources, comme exigé par le deuxième alinéa de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109, implique, à mon sens, qu’il convient de prendre en considération tous les éléments caractéristiques des ressources en cause susceptibles d’influencer l’évaluation de leur caractère permanent, continu et suffisant et, partant, le risque que le demandeur devienne une charge pour l’État membre.

62.      À mes yeux, ces exigences figurant à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 montrent que le législateur a voulu s’assurer que les autorités compétentes, avant d’octroyer un statut de longue durée, procèdent à une vérification permettant d’exclure, avec un degré de certitude plus élevé que celui considéré dans le cadre de l’article 7, paragraphe 1, sous b) de la directive 2004/38, que le demandeur devienne une charge pour l’État membre concerné.

63.      À mon sens, cette différence résulte, en particulier, du fait que, d’une part, à la différence de la directive 2004/38 qui consacre et vise à renforcer le principe fondamental de la libre circulation des personnes (35), et dans le contexte duquel l’article 7, paragraphe 1, sous b), constitue une condition de ce droit garanti par le TFUE, l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 ne constitue pas une condition d’un tel droit primaire.

64.      D’autre part, contrairement à la directive 2004/38 dans le cadre de laquelle l’autorité nationale compétente est autorisée à retirer le titre de séjour d'un citoyen de l’Union et des membres de sa famille lorsqu’il ne dispose plus des ressources suffisantes (36), la directive 2003/109 ne prévoit pas un tel mécanisme.

65.      En effet, l’article 9 de la directive 2003/109, qui énumère les différents cas de perte ou de retrait du statut de résident de longue durée, ne vise pas celui dans lequel la condition prévue à son article 5, paragraphe 1, sous a), ne serait plus remplie. D’ailleurs, l’article 12 de cette directive établit au bénéfice du résident de longue durée une protection contre l’éloignement et le paragraphe 2 de cet article précise explicitement à cet égard qu’une décision d'éloignement ne peut être justifiée par des raisons économiques.

66.      Autrement dit, il résulte de la combinaison des articles 9 et 12 de la directive 2003/109 que le statut de résident de longue durée ne peut être retiré pour des raisons économiques, alors même que la condition de ressources a pour objet d’éviter que le ressortissant du pays tiers devienne une charge pour l’État membre concerné. En outre, une fois obtenu le statut de résident de longue durée, l’intéressé bénéficie, en vertu de l’article 11 de cette directive, de l'égalité de traitement avec les nationaux dans une série de domaines, y compris la sécurité sociale, l'aide sociale et la protection sociale.

67.      En outre, les exigences visées à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 montrent, à mon sens, que le législateur a voulu laisser une certaine marge de manœuvre aux autorités nationales lorsqu’elles évaluent les faits pertinents afin de déterminer si les conditions sont satisfaites pour raisonnablement exclure que le demandeur devienne une charge pour l’État membre concerné. En effet, comme la Cour l’a exposé, la réalisation d’un risque de pertes de ressources est tributaire d’une évolution des circonstances (37).

68.      Au vu de tout de ce qui précède, il y a lieu de déterminer si, et le cas échéant, dans quelle mesure, la provenance des ressources a une incidence pour l’évaluation de leur caractère stable et régulier.

2.      Sur l’incidence de la provenance des ressources sur l’évaluation des critères de stabilité et de régularité  par rapport à leur nature

69.      Je rappelle que, en vertu du deuxième alinéa de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109, les ressources doivent être évaluées par rapport à leur nature, à savoir tous les éléments caractéristiques des ressources en cause susceptibles d’influencer l’évaluation de leur caractère permanent, continu et suffisant et, partant, le risque que le demandeur devienne une charge pour l’État membre.

70.      À mon sens, la provenance des ressources constitue un tel élément caractéristique. En d’autres termes, j’estime que la provenance des ressources est un élément d’appréciation pertinent dont l’incidence dépend d’une appréciation concrète de l’ensemble des éléments de la situation concernée.

71.      En effet, à l’instar de ce qu’ont fait valoir les gouvernements, allemand, français et autrichien, différents cas de figure peuvent être imaginés pour des ressources provenant d’un tiers, parmi lesquels seulement certains, au regard de l’ensemble des éléments de la situation concrète, sont susceptibles de remplir les critères prévus à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109.

72.      Ainsi que j’ai l’exposé à titre liminaire au point 22 des présentes conclusions, les gouvernements allemand, français, et autrichien soutiennent plus précisément que, alors que l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 n’exclurait pas des ressources provenant formellement de tiers, de telles ressources ne pourraient, par rapport à leur nature, remplir la condition de stabilité, de régularité et de suffisance au sens de cet article 5, paragraphe 1, sous a), que lorsqu’elles sont fondées sur un droit susceptible d’être invoqué en justice par le demandeur, tel qu’un droit à une pension alimentaire à l’encontre d’une autre personne ou des ressources liées au régime matrimonial du demandeur.

73.      À l’appui de leurs positions, ces gouvernements relèvent, en substance, que seules de telles ressources permettent aux autorités nationales d’exclure avec suffisamment de certitude l’éventualité d’une charge pour son système de protection sociale. Le gouvernement allemand souligne à cette fin que, si la preuve des ressources doit permettre aux États membres de raisonnablement exclure que le demandeur ne sera pas à la charge de leur système de protection sociale à l’avenir, il peut uniquement s’agir de ressources spécifiques qui devraient être vérifiées lors de l’octroi d’une aide sociale, telles que des droits à une pension alimentaire et d’autres sources de revenus en lien avec lesquelles le demandeur dispose de créances susceptibles d’être concrétisées, et seulement lorsque de telles ressources peuvent faire obstacle au bénéfice de l’aide sociale.

74.      Ces gouvernements en déduisent qu’un engagement de prise en charge, tel que celui en cause au principal, ne permettrait pas, en revanche, d’atteindre l’objectif de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109. En effet, même si les moyens financiers en question découlaient d’un accord contractuel ou d’un engagement, il pourrait être annulé à tout instant et la relation contractuelle pourrait prendre fin.

75.      Ces arguments apparaissent convaincants dans la mesure où il me semble peu probable que des ressources mises à disposition par un tiers, sur la base d’un simple engagement unilatéral qui ne serait fondé sur aucune obligation légale et pourrait cesser à la discrétion du tiers concerné, puissent présenter la permanence et la continuité permettant aux autorités nationales de raisonnablement exclure que le demandeur devienne une charge pour l’État membre concerné. En revanche, j’estime très probable qu’un ressortissant de pays tiers qui justifierait, par exemple, de ressources suffisantes liées à son régime matrimonial, qu’il s’agisse des revenus de son conjoint ou de pensions, pourrait apporter cette preuve.

76.      Il résulte de ce qui précède que la provenance des ressources ne permet pas, en soi, de déterminer si les critères prévus à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109 sont remplis ou non. Il importe, en effet, de vérifier, par rapport à l’ensemble des éléments constitutifs de la nature des ressources, si elles sont stables, régulières et suffisantes de sorte qu’il peut raisonnablement être exclu que le demandeur devienne une charge pour l’État membre.

77.      Autrement dit, les autorités nationales ne peuvent refuser le titre de séjour de longue durée au seul motif que les ressources proviennent d’un tiers, mais elles doivent analyser concrètement la situation individuelle du demandeur du statut de résident de longue durée dans son ensemble et motiver en quoi ces ressources présentent ou non une certaine permanence et une certaine continuité.

78.      À cet égard, dans l’hypothèse d’un engagement de prise en charge par un tiers ou un membre de la famille du demandeur, l’absence de caractère suffisamment précis et concret de la durée et du montant de l’engagement et le défaut d’effet juridiquement contraignant et durable de cet engagement sont, à mon sens, des éléments pertinents pour considérer que le demandeur ne satisfait pas aux conditions prévues à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109.

79.      De ce point de vue, s’agissant de la situation en cause au principal, je dois avouer que j’ai du mal à voir comment l’engagement de prise en charge par le frère du demandeur pourrait être considéré comme suffisamment précis ou présenter une valeur juridique contraignante et durable permettant aux autorités belges de s’assurer qu’il sera honoré et que le demandeur ne deviendra pas une charge pour l’État membre concerné (38). Toutefois, cette évaluation relève d’une appréciation concrète de l’ensemble des circonstances de l’espèce par la juridiction de renvoi.

80.      À cet égard, je note qu’il appartient au demandeur du statut de résident de longue durée d’apporter les éléments de preuve nécessaires au soutien de sa demande. En d’autres mots, il n’incombe pas aux autorités nationales de procéder à une vérification qui aille au‑delà des éléments de preuve fournis par le demandeur (39).

V.      Conclusion

81.      Compte tenu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux trois questions posées par le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (Conseil du Contentieux des Étrangers, Belgique) :

L’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée doit être interprété en ce sens qu’il ne comporte pas d’exigence particulière quant à la provenance des ressources. Dans l’hypothèse de ressources provenant d’un tiers ou d’un membre de la famille du demandeur, comme dans les circonstances du litige au principal, il importe que celles‑ci soient suffisantes et présentent une certaine permanence et une certaine continuité permettant raisonnablement d’exclure que le demandeur devienne une charge pour le système d’aide sociale de l’État membre concerné. À cet effet, les autorités nationales doivent prendre en considération l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce, parmi lesquelles figure le caractère suffisamment précis, durable et juridiquement contraignant d’un engagement de prise en charge par un tiers ou d’un membre de la famille du demandeur.


1      Langue originale : le français.


2      JO 2004, L 16, p. 44.


3      Voir article 1er, sous a), de la directive 2003/109.


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77).


5      X fait référence à l’arrêt Singh e.a. (C‑218/14, EU:C:2015:476, points 74 et 75) ainsi que jurisprudence citée.


6      Je note que la circulaire du 14 juillet 2009 relative au statut de résident de longue durée (Moniteur belge du 11 août 2009), invoquée par les autorités belges dans le litige au principal, précise que la preuve des moyens de subsistance au sens de l’article 15 bis, paragraphe 3, de la loi sur les étrangers peut être établie de la manière suivante : « [...] par des revenus professionnels, une allocation de chômage, une allocation d’invalidité, une retraite anticipée, une allocation de vieillesse, une prestation versée dans le cadre d’une assurance accident de travail ou une assurance maladie professionnelle [...] Cette liste n’est pas exhaustive. »


7      Plus précisément, le gouvernement allemand emploie les termes « des entrées ayant une valeur patrimoniale qui sont fondées sur des droits spécifiques et susceptibles d’être concrétisés du demandeur », alors que le gouvernement français se réfère aux « ressources fondées sur une obligation légale ou un lien juridique, sur lesquels le ressortissant de pays tiers en cause peut se fonder pour prétendre à leur versement et/ou à leur maintien » de sorte que, il s’agit, en effet, des « ressources propres » du demandeur en ce qu’il justifie être financièrement autonome. Enfin, le gouvernement autrichien se réfère aux ressources « qui ont une certaine permanence et une certaine continuité et qui sont fondées sur un droit susceptible d’être invoqué en justice ».


8      Ces arguments sont expliqués plus en détails aux points 72 à 74 des présentes conclusions.


9      Je note que les gouvernements belge et italien emploient le terme « ressources propres » du demandeur, alors que le gouvernement tchèque se réfère aux ressources « provenant d’une activité économique propre » du demandeur. Je comprends ces positions en ce sens qu’il s’agit, en effet, de ressources générées par le demandeur au sens du point 18 des présentes conclusions.


10      Voir, notamment, arrêts du 9 mars 2017, Pula Parking (C‑551/15, EU:C:2017:193, point 42), et du 27 septembre 2017, Nintendo (C‑24/16 et C‑25/16, EU:C:2017:724, point 70).


11      S’agissant d’une interprétation littérale, selon une jurisprudence constante de la Cour, la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel en langage courant de ceux‑ci ; voir arrêts du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771, point 17 et jurisprudence citée), et du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 42).


12      Tel est le cas pour les versions en langue française (« ressources »), anglaise (« resources »), espagnole (« recursos »), italienne (« risorse »), roumaine (« resurse »), grecque (« πόρους »), finnoise (« varat »), maltaise (« riżorsi »), portugaise (« recursos »), lituanienne (« išteklių ») et slovaque (« zdroje »). Les versions en langue croate (« izvore sredstava »), slovène (« vire ») et suédoise (« försörjningsmedel ») emploient des expressions équivalentes à « sources de moyens pour subvenir à ses besoins » ou « moyens de subsistance ».


13      Tel est le cas pour les versions en langue néerlandaise (« inkomsten »), allemande (« Einkünfte »), bulgare (« доходи »), tchèque (« příjmy »), estonienne (« sissetulek »), hongroise (« jövedelemforrások»), lettonne (« ienākumi »), polonaise ( « dochody ») et danoise (« indtægter »).


14      En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, une interprétation purement littérale d’une ou de plusieurs versions linguistiques d’un texte de droit de l’Union, à l’exclusion des autres, ne saurait prévaloir, l’application uniforme des normes de l’Union exigeant qu’elles soient interprétées à la lumière, notamment, des versions établies dans toutes les langues ; voir, notamment, arrêts du 4 septembre 2014, Vnuk (C‑162/13, EU:C:2014:2146, point 46 et jurisprudence citée), du 26 avril 2017, Popescu (C‑632/15, EU:C:2017:303, point 35), et du 27 septembre 2017, Nintendo (C‑24/16 et C‑25/16, EU:C:2017:724, point 72).


15      Voir également, en ce sens, arrêts du 6 décembre 2012, O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 72) et du 4 mars 2010, Chakroun (C‑578/08, EU:C:2010:117, points 46 et 47) concernant l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (JO 2003, L 251, p. 12).


16      Proposition de directive du Conseil relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, présentée par la Commission le 13 mars 2001 [COM (2001) 127 final] (JO 2001, C 240 E, p. 79). La condition litigieuse figure à l’article 6, paragraphe 1, sous a), dans ladite proposition.


17      À titre d’exemple, tel est le cas pour les versions en langue française (« ressources » et « revenues »), anglaise (« resources » et « income ») et danoise (« midler » et « indtægter »).


18      À titre d’exemple, tel est le cas pour les versions en langue néerlandaise (« inkomsten ») et allemande (« Einkünfte »).


19      Avis du Comité des régions sur la « Proposition de directive du Conseil relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée » du 19 septembre 2001 (JO 2002, C 19, p. 18). À titre d’exemple, tel est le cas pour les versions en langue française (« ressources propres »), néerlandaise (« eigen middelen ») et danoise (« egne midler »).


20      À titre d’exemple, tel est le cas pour la version en langue anglaise où l’expression « ressources propres » se traduit par « possession of adequate resources » (possession des ressources adéquates) et la version en langue allemande qui emploie le terme « Existenzmitteln » (moyens de subsistance). 


21      COM (2001) 127 final (JO 2001, C 240 E, p. 79).


22      Voir considérants 4, 6 et 12 de la directive 2003/109, ainsi que arrêts du 26 avril 2012, Commission/PaysBasCommission/PaysBas (C‑508/10, EU:C:2012:243, point 66), et du 4 juin 2015, P et S (C‑579/13, EU:C:2015:369, point 46).


23      Le fait que ce critère constitue le critère principal ressort du considérant 6 de la directive 2003/109 ; voir aussi arrêt du 18 octobre 2012, Singh (C‑502/10, EU:C:2012:636, point 46).


24      Même si cet aspect ne ressort pas explicitement de cette disposition, il ressort de la proposition de directive [COM (2001) 127 final] (JO 2001, C 240 E, p. 79) que le champ d’application de la directive 2003/109 concerne tous les ressortissants de pays tiers qui sont légalement résidents dans un État membre, indépendamment des raisons qui ont justifié leur admission initiale, y compris les ressortissants de pays tiers admis aux fins d’un emploi salarié ou indépendant, au titre du regroupement familial, aux fins d’exercer des activités non lucratives, ou ceux qui sont admis en tant qu’inactifs. Je note d’ailleurs qu’il découle de l’article 14, paragraphe 2, sous c), de la directive 2003/109, lu en combinaison avec le considérant 19 de cette directive, que le droit de séjour dans un autre État membre, et pour lequel la condition de ressources prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous a), s’applique également, pourra être mis en œuvre en l’absence d’exercice d’une quelconque activité économique.


25      Voir arrêt du 26 avril 2012, Commission/PaysBasCommission/PaysBas (C‑508/10, EU:C:2012:243, points 67 et 68).


26      Je note que, en vertu de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2004/38, les citoyens de l’Union ayant séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire de l’État membre d’accueil acquièrent le droit de séjour permanent sur son territoire, et ce droit n’est pas soumis à la condition de ressources prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette même directive.


27      Voir arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565, point 72).


28      Voir arrêt du 16 juillet 2015, Singh e.a. (C‑218/14, EU:C:2015:476, point 74 et jurisprudence citée).


29      Voir arrêt du 16 juillet 2015, Singh e.a. (C‑218/14, EU:C:2015:476, point 75 et jurisprudence citée).


30      Voir arrêt du 23 mars 2006, Commission/Belgique (C‑408/03, EU:C:2006:192, points 46 et 47). Cet arrêt concerne l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour (JO 1990, L 180, p. 26), qui a été remplacé par l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38.


31      Voir arrêt du 23 mars 2006, Commission/Belgique (C‑408/03, EU:C:2006:192), point 47).


32      Conformément à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109, les ressources doivent également être évaluées par rapport à leur régularité. Ce critère de régularité n’a pas une incidence particulière pour répondre aux questions posées, et ne sera dès lors pas traité dans la suite des présentes conclusions.


33      Je note que l’objectif de l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 ne ressort pas de manière explicite des considérants de cette directive, comme dans le cadre de la directive 2003/109, mais que la Cour l’a précisé dans l’arrêt du 21 avril 2016, Khachab (C‑558/14, EU:C:2016:285, point 39).


34      Voir arrêt du 21 avril 2016, Khachab (C‑558/14, EU:C:2016:285, points 30 et suivants).


35      Voir considérants 3 et 4 de la directive 2004/38.


36      Voir article 14, paragraphe 2, de la directive 2004/38. Je rappelle toutefois que cette condition n’est plus exigée lorsqu’un citoyen de l’Union a acquis le droit de séjour permanent (voir note en bas de page 26 des présentes conclusions).


37      Voir arrêt du 23 mars 2006, Commission/Belgique (C‑408/03, EU:C:2006:192, point 47).


38      Je note dans ce contexte que le gouvernement belge fait remarquer qu’il existe, dans son droit national, un principe général selon lequel « nul ne peut s’engager à vie par contrat ».


39      Je note que la directive 2003/109 ne contient pas de critères précis quant au type de preuve que le ressortissant d’un pays tiers doit fournir afin d’établir qu’il dispose des ressources requises pour acquérir le statut de résident de longue durée. En effet, l’article 7, paragraphe 1, de cette directive prévoit que la demande est accompagnée de pièces justificatives, à déterminer par le droit national, prouvant qu’il remplit les conditions énumérées aux articles 4 et 5 de ladite directive.