Language of document : ECLI:EU:C:2021:198

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 11 mars 2021(1)

Avis 1/19

Demande d’avis présentée par le Parlement européen

« Demande d’avis présentée au titre de l’article 218, paragraphe 11, TFUE – Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (convention d’Istanbul) – Adhésion de l’Union – Compétences externes de l’Union – Bases juridiques appropriées – Article 78, paragraphe 2, TFUE – Article 82, paragraphe 2, TFUE – Article 83, paragraphe 1, TFUE – Article 84 TFUE – Scission des décisions relatives à la signature et à la conclusion de la convention en fonction des bases juridiques applicables – Compatibilité avec les traités UE et FUE – Pratique du “commun accord” – Recevabilité de la demande d’avis »






I.      Introduction

1.        La jurisprudence récente de la Cour démontre amplement que, en ce qui concerne la conclusion d’accords internationaux, la relation entre les États membres et l’Union européenne peut soulever des questions parmi les plus difficiles et les plus complexes du droit de l’Union. La délimitation des compétences respectives des États membres et de l’Union (et leurs interactions) pose invariablement des questions de qualification difficiles, qui nécessitent souvent une analyse détaillée et précise d’un accord international dont la rédaction n’a pas toujours tenu compte de la subtile complexité de l’architecture institutionnelle de l’Union (et de la répartition des compétences).

2.        C’est, malheureusement, également le cas de l’accord international – la convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (ci-après la « convention d’Istanbul »), adoptée le 7 avril 2011 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe – qui fait l’objet de la présente demande d’avis au titre de l’article 218, paragraphe 11, TFUE. Alors que cette convention tend à faire progresser l’objectif noble et souhaitable de lutte contre la violence à l’égard des femmes et des enfants, la question de la compatibilité de la conclusion de cette convention avec les traités de l’Union soulève des questions juridiques complexes et assez nouvelles qu’il convient naturellement d’examiner sous un angle juridique, de manière sereine et détachée. La question se pose de la manière suivante.

II.    Le contexte de la convention d’Istanbul

3.        En 1979, les Nations unies ont adopté la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci-après la « CEDEF »). Cette convention a été complétée par les recommandations formulées par le Comité de la CEDEF, notamment la recommandation générale no 19 sur la violence à l’égard des femmes (de 1992), elle-même actualisée par la recommandation générale no 35 sur la violence sexiste à l’égard des femmes (de 2017). Ces recommandations précisent que la violence fondée sur le genre constitue une discrimination au sens de la CEDEF.

4.        Dans une recommandation adressée à ses membres, le Conseil de l’Europe a proposé, pour la première fois en Europe, une stratégie globale de prévention de la violence à l’égard des femmes et de protection des victimes dans tous les États membres du Conseil de l’Europe.

5.        Au mois de décembre 2008, le Conseil de l’Europe a institué un comité d’experts, le Comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (ci-après le « CAHVIO »). Cet organe, composé de représentants des gouvernements des États membres du Conseil de l’Europe, avait pour mission d’élaborer un ou plusieurs instruments juridiques contraignants « pour prévenir et combattre la violence domestique, y compris les formes spécifiques de violence à l’égard des femmes, d’autres formes de violence à l’égard des femmes, et pour protéger et soutenir les victimes de tels actes de violence et poursuivre leurs auteurs ».

6.        Le CAHVIO s’est réuni neuf fois et a parachevé le texte du projet de convention au mois de décembre 2010. L’Union n’a pas participé aux négociations (2).

7.        Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté le texte final de la convention d’Istanbul le 7 avril 2011. La convention a été ouverte à la signature le 11 mai 2011, lors de la 121e session du Comité des ministres à Istanbul (3).

8.        Les 5 et 6 juin 2014, le Conseil de l’Union européenne, dans sa formation « Justice et Affaires intérieures », a adopté des conclusions invitant les États membres à signer, à conclure et à mettre en œuvre cette convention.

9.        La Commission a ensuite, le 4 mars 2016, soumis au Conseil de l’Union européenne une proposition de décision du Conseil portant signature, au nom de l’Union, de la convention d’Istanbul. La proposition précise que la conclusion de cette convention relève à la fois de la compétence de l’Union et de celle des États membres. S’agissant de l’Union, la proposition présentée par la Commission envisageait la signature de la convention d’Istanbul par une décision unique fondée sur l’article 82, paragraphe 2, et l’article 84 TFUE.

10.      En même temps que cette proposition de décision du Conseil autorisant la signature, au nom de l’Union, de la convention d’Istanbul, la Commission a soumis au Conseil une proposition de décision autorisant la conclusion, au nom de l’Union, de cette convention. La base juridique proposée par la Commission était la même que celle de la proposition relative à la signature, c’est-à-dire l’article 82, paragraphe 2, et l’article 84 TFUE.

11.      Lors des discussions relatives à la proposition de décision au sein des instances préparatoires du Conseil, il est apparu que, en raison de certains domaines couverts, la conclusion par l’Union de la convention d’Istanbul, telle que proposée par la Commission, n’obtiendrait pas le soutien de la majorité qualifiée des membres du Conseil requise. Il a donc été décidé de limiter la portée de la conclusion par l’Union aux seules compétences qui, de l’avis de ces instances préparatoires, relevaient de la compétence exclusive de l’Union. Les bases juridiques de la proposition ont donc été modifiées. La référence à l’article 84 TFUE a été supprimée tandis que l’article 78, paragraphe 2, et l’article 83, paragraphe 1, TFUE ont été ajoutés à l’article 82, paragraphe 2, TFUE. Il a également été décidé de scinder la proposition de décision du Conseil relative à la signature de la convention d’Istanbul et d’adopter deux décisions afin de tenir compte de la position particulière de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord visée par le protocole no 21 annexé aux traités UE et FUE.

12.      Ces modifications, effectuées lors de la réunion du Comité des représentants permanents des gouvernements des États membres de l’Union européenne (Coreper) du 26 avril 2017, ont été approuvées par la Commission.

13.      Le 11 mai 2017, le Conseil a adopté deux décisions séparées relatives à la signature de la convention d’Istanbul, à savoir :

–        la décision (UE) 2017/865 du Conseil, du 11 mai 2017, relative à la signature, au nom de l’Union européenne, de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique en ce qui concerne les questions liées à la coopération judiciaire en matière pénale (JO 2017, L 131, p. 11). Cette décision indique l’article 82, paragraphe 2, et l’article 83, paragraphe 1, TFUE comme bases juridiques matérielles ;

–        la décision (UE) 2017/866 du Conseil, du 11 mai 2017, relative à signature, au nom de l’Union européenne, de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, en ce qui concerne l’asile et le non-refoulement (JO 2017, L 131, p. 13). Cette décision indique l’article 78, paragraphe 2, TFUE comme base juridique matérielle.

14.      Les considérants 5 à 7 des deux décisions susmentionnées indiquent ce qui suit.

« (5)      Tant l’Union que ses États membres sont compétents dans les domaines couverts par la convention [d’Istanbul].

(6)      Il convient de signer la convention [d’Istanbul] au nom de l’Union pour ce qui est des questions relevant de la compétence de l’Union dans la mesure où la convention [d’Istanbul] peut affecter des règles communes ou en altérer la portée. Cela s’applique, en particulier, à certaines dispositions de la convention [d’Istanbul] relatives à la coopération judiciaire en matière pénale et aux dispositions de la convention [d’Istanbul] relatives à l’asile et au non-refoulement. Les États membres conservent leur compétence dans la mesure où la convention [d’Istanbul] n’affecte pas des règles communes ou n’en altère pas la portée.

(7)      L’Union jouit également d’une compétence exclusive pour assumer les obligations énoncées dans la convention [d’Istanbul] en ce qui concerne ses propres institutions et sa propre administration publique. »

15.      Selon le considérant 10 de la décision 2017/865, « [l]’Irlande et le Royaume-Uni sont liés par [la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil (JO 2011, L 101, p. 1) et la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil (JO 2011, L 335, p. 1)], ils participent donc à l’adoption de la présente décision ».

16.      Selon le considérant 10 de la décision 2017/866, « [c]onformément aux articles 1er et 2 du protocole no 21 sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, annexé au traité sur l’Union européenne et au TFUE, et sans préjudice à l’article 4 dudit protocole, ces États membres ne participent pas à l’adoption de la présente décision et ne sont pas liés par celle-ci ni soumis à son application ».

17.      Le considérant 11 de ces deux décisions indique que, « [c]onformément aux articles 1er et 2 du protocole no 22 sur la position du Danemark annexé au traité sur l’Union européenne et au TFUE, le Danemark ne participe pas à l’adoption de la présente décision et n’est pas lié par celle-ci ni soumis à son application ».

18.      Conformément à ces deux décisions, la convention d’Istanbul a été signée, au nom de l’Union, le 13 juin 2017(4). Aucune décision n’a cependant été adoptée en ce qui concerne la conclusion de la convention d’Istanbul.

19.      Le 9 juillet 2019, le Parlement a présenté à la Cour, au titre de l’article 218, paragraphe 11, TFUE, une demande d’avis concernant l’adhésion de l’Union à la convention d’Istanbul. Cette demande d’avis est libellée comme suit (5) :

« [1. a)] Les articles 82, paragraphe 2, et 84 constituent-ils les bases juridiques appropriées pour l’acte du Conseil portant sur la conclusion au nom de l’Union de la convention d’Istanbul ou

[1. b)]      cet acte doit-il se fonder sur les articles 78, paragraphe 2, 82, paragraphe 2, et 83, paragraphe 1, TFUE et est-il nécessaire ou possible de scinder les décisions relatives à la signature et à la conclusion de la convention en deux en conséquence de ce choix de base juridique ?

2.      La conclusion par l’Union de la convention d’Istanbul, conformément à l’article 218, paragraphe 6, TFUE, est-elle compatible avec les traités en l’absence d’un commun accord de tous les États membres portant sur leur consentement à être liés par ladite convention ? »

III. La recevabilité de la demande d’avis du Parlement

20.      Il existe principalement deux voies qui amènent la Cour à examiner les accords internationaux conclus par l’Union. La première consiste, pour la Cour, à examiner un accord international dans le cadre de sa mission juridictionnelle générale, à l’occasion d’un contrôle juridictionnel, d’un recours ou d’une demande de décision préjudicielle. La seconde, qui est pertinente en l’espèce, consiste en la procédure visée à l’article 218, paragraphe 11, TFUE en vertu duquel la Cour est spécifiquement habilitée à rendre, à la demande d’un État membre, du Parlement, du Conseil ou de la Commission, un avis sur la compatibilité avec les traités d’un accord international dont la conclusion est envisagée (6).

21.      L’article 218 TFUE institue une procédure de portée générale concernant la négociation et la conclusion des accords internationaux que l’Union est compétente pour conclure dans ses domaines d’action (7). Le dernier paragraphe – l’article 218, paragraphe 11, TFUE – instaure un mécanisme essentiel de contrôle constitutionnel ex ante de l’accord envisagé. Ce mécanisme est important sur le plan juridique parce que, en vertu de l’article 216, paragraphe 2, TFUE, les accords conclus par l’Union lient les institutions de l’Union et les États membres et sont donc en principe susceptibles de conditionner la légalité d’actes adoptés par ces institutions. Sur le plan politique, ledit mécanisme est également important parce que la présentation d’une demande d’avis peut elle-même faire apparaître d’éventuels obstacles à la conclusion formelle de l’accord (8).

22.      Bien que le recours à la procédure de l’article 218, paragraphe 11, TFUE soit relativement rare, les avis rendus par la Cour sur ce fondement ont généralement une importance pratique considérable, ne serait-ce qu’en raison des clarifications qu’ils ont apportées quant à la portée des compétences de l’Union dans le domaine du droit international, des accords internationaux et dans des matières apparentées. Les avis de la Cour ont ainsi énoncé des principes fondamentaux du droit des relations internationales, allant du caractère exclusif des compétences de l’Union au principe d’autonomie et à sa mise en œuvre dans la résolution de litiges internationaux. Certains de ces avis ont énoncé d’importants principes constitutionnels qui vont au-delà des questions posées ou même des limites du droit de l’Union concernant les relations internationales (9).

23.      La Cour a clairement exposé la raison d’être de cette procédure dans l’avis 1/75 (10), qui est :

« de prévenir les complications qui résulteraient de contestations en justice relatives à la compatibilité avec le traité d’accords internationaux engageant [l’Union].

En effet, une décision judiciaire constatant éventuellement qu’un tel accord est, au vu soit de son contenu, soit de la procédure adoptée pour sa conclusion, incompatible avec les dispositions du traité ne manquerait pas de créer, non seulement sur le plan [de l’Union], mais [également] sur celui des relations internationales, des difficultés sérieuses, et risquerait de porter préjudice à toutes les parties intéressées, y inclus les pays tiers.

En vue d’éviter de telles complications, le traité a eu recours à la procédure exceptionnelle d’une saisine préalable de la Cour de justice pour que puisse être tiré au clair, avant la conclusion de l’accord, si celui-ci est compatible avec le traité. »

24.      Comme l’a souligné la Cour (11), une décision judiciaire constatant éventuellement, après la conclusion d’un accord international engageant l’Union, que celui-ci est, au vu soit de son contenu, soit de la procédure adoptée pour sa conclusion, incompatible avec les dispositions des traités ne manquerait pas, en effet, de créer, sur le plan non seulement interne de l’Union, mais également des relations internationales, des difficultés sérieuses et risquerait de porter préjudice à toutes les parties intéressées, y compris aux États tiers.

25.      L’avis qui est ici demandé à la Cour l’amène à examiner d’importantes questions liminaires concernant la recevabilité des questions qui lui sont posées dans le cadre de cette procédure exceptionnelle.

A.      Exceptions d’irrecevabilité soulevées par les parties

26.      Certaines parties ont exprimé, à plusieurs égards, des doutes quant à la recevabilité de la demande d’avis.

27.      Tout d’abord, s’agissant de la première question, sous a), le Conseil ainsi que les gouvernements irlandais et hongrois considèrent que cette question est irrecevable en raison de son caractère tardif. Ils soutiennent que, puisque le Parlement pouvait contester les décisions de signer la convention d’Istanbul et, à cette occasion, la validité des fondements juridiques retenus, il ne peut plus saisir la Cour de cette question parce que cela reviendrait à contourner les règles relatives aux délais d’introduction d’un recours en annulation et à ainsi détourner la procédure d’avis de son objet.

28.      En ce qui concerne la première question, sous b), le Conseil conteste sa recevabilité dans la mesure où elle porte sur la signature de la convention d’Istanbul au motif que les décisions relatives à la signature sont devenues définitives.

29.      Le Conseil affirme également que la seconde question est irrecevable en raison de son caractère hypothétique. Outre sa formulation générale, cette question repose sur la prémisse que le Conseil a agi conformément à une règle qu’il se serait lui-même imposée et qui consisterait, dans le cas d’un accord mixte, à attendre que tous les États membres aient conclu cet accord avant que l’Union le conclue à son tour, sans que le Parlement démontre l’existence d’une telle règle.

30.      Plus généralement, le Conseil ainsi que les gouvernements espagnol et hongrois contestent la recevabilité de la demande dans son ensemble. Ils soulignent avant tout que le processus décisionnel n’en est encore qu’à un stade préparatoire et, en particulier, qu’il n’a pas encore atteint le stade où le Conseil doit obtenir l’accord du Parlement. Puisque le Parlement aurait encore la possibilité de présenter des observations sur le projet de décision relative à la conclusion de la convention d’Istanbul, la demande d’avis serait irrecevable en raison de son caractère prématuré.

31.      De plus, le Conseil considère que, en réalité, le Parlement conteste la lenteur de la procédure de conclusion. Le Parlement aurait donc dû introduire un recours en carence au titre de l’article 265 TFUE. Comme la procédure d’avis répond à un objectif différent et qu’elle ne saurait être utilisée pour obliger une autre institution à agir, la demande devrait être déclarée irrecevable pour ce motif également. Les gouvernements espagnol, hongrois et slovaque partagent cette position.

32.      Enfin, le Conseil, les gouvernements bulgare, irlandais, grec, espagnol, hongrois et polonais considèrent que, par sa demande d’avis, le Parlement cherche en réalité à contester la décision du Conseil de limiter la portée de la conclusion de la convention d’Istanbul par l’Union aux dispositions relevant de la compétence exclusive de l’Union et donc à contester la répartition exacte des compétences entre l’Union et les États membres. Étant donné que la procédure d’avis ne peut porter que sur la validité d’une décision de conclure un accord, la demande d’avis devrait être rejetée comme irrecevable.

B.      Analyse

33.      Il y a lieu de souligner d’emblée que, eu égard à la portée juridique et politique de la procédure prévue à l’article 218, paragraphe 11, TFUE décrite ci-dessus, il convient en principe de reconnaître à la procédure d’avis un champ d’application relativement large (12).

34.      Les questions qui peuvent être soumises à la Cour dans le cadre de cette procédure peuvent donc porter sur la validité, tant matérielle que formelle, de la décision portant conclusion de l’accord (13), sous réserve, selon moi, de trois limites qui visent, en substance, à garantir que la Cour ne réponde pas à une question ne présentant pas de réel intérêt pour la conclusion d’un accord donné (14).

35.      Premièrement, les questions soulevées doivent nécessairement concerner un accord international dont la conclusion est, sauf si la procédure de l’article 218, paragraphe 11, TFUE est déclenchée, imminente et raisonnablement prévisible (15). Ceci découle du libellé même de l’article 218, paragraphe 11, TFUE, qui évoque la compatibilité d’un « accord envisagé » avec les traités. Par conséquent, le Parlement (ou, d’ailleurs, tout autre requérant compétent visé à l’article 218, paragraphe 11, TFUE) ne serait, par exemple, pas habilité à invoquer la procédure de l’article 218, paragraphe 11, TFUE pour demander à la Cour de se prononcer, sur un fondement purement abstrait ou entièrement hypothétique, sur la question de savoir si un accord international donné viole le droit de l’Union alors que la conclusion de cet accord n’a jamais été envisagée ou que l’Union a clairement indiqué qu’elle ne le conclura pas.

36.      En principe, les questions posées peuvent toutefois concerner tout scénario lié à la conclusion de l’accord envisagé, pour autant que la procédure tende à éviter les complications que pourrait susciter l’invalidation de l’acte portant conclusion de cet accord international (16). En effet, puisque cette procédure n’est pas contradictoire et qu’elle intervient avant que l’Union conclue l’accord proposé, la jurisprudence en vertu de laquelle la Cour ne devrait pas formuler d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques n’est évidemment pas applicable (17). Cette forme de contrôle ex ante impliquant nécessairement un élément hypothétique, toute conclusion contraire priverait l’article 218, paragraphe 11, TFUE de son effet utile général. Ce n’est que dans la situation particulière où certains éléments nécessaires pour répondre à la question posée ne sont pas encore connus que, selon moi, une question posée dans une demande d’avis peut être déclarée irrecevable au motif non pas qu’elle est hypothétique, mais plutôt qu’il est matériellement impossible que la Cour y réponde compte tenu de l’état des négociations ou de la procédure.

37.      Deuxièmement, la demande doit porter sur la compatibilité avec les traités de la conclusion d’un tel accord (18). Compte tenu de l’importance de la finalité de cette procédure, à savoir prévenir les complications qui pourraient résulter de l’invalidation d’un acte portant conclusion d’un accord international, pour l’interprétation de la disposition elle-même (19), la question posée ne doit porter que sur des éléments qui pourraient avoir une incidence sur la validité de l’acte de conclusion (20). Comme l’a indiqué la Cour dans l’avis 1/75 (Arrangement OCDE – Norme pour les dépenses locales), du 11 novembre 1975 (EU:C:1975:145), dans la procédure d’avis, « il convient d’admettre toutes les questions susceptibles d’être soumises [...] dans la mesure où ces questions sont de nature à provoquer des doutes sur la validité matérielle ou formelle de [la décision d’autoriser la conclusion, au nom de l’Union, d’un] accord [international] au regard du traité » (21). Cependant, bien qu’une demande d’avis puisse porter sur le point de savoir si un accord devrait être conclu exclusivement par les États membres, par l’Union ou par les deux, il n’appartient pas à la Cour de déterminer la délimitation précise des compétences de chacun. Dans l’avis 2/00 (Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques), du 6 décembre 2001 (EU:C:2001:664), la Cour a en effet considéré que, dès lors que leur existence a été établie, l’étendue des compétences respectives de l’Union et des États membres dans le même domaine ne saurait, comme telle, avoir d’incidence sur la compétence même de l’Union pour conclure un accord international ni, de façon plus générale, sur la validité matérielle ou la régularité formelle de ce dernier au regard du traité (22).

38.      Outre ces deux conditions de fond, il faut également tenir compte de l’existence d’une condition formelle. Lorsqu’il existe un projet d’accord et que la Cour est appelée à se prononcer sur la compatibilité des dispositions de l’accord envisagé avec les règles du traité, il est nécessaire que celle-ci dispose d’éléments suffisants sur le contenu même de cet accord pour pouvoir assumer effectivement son rôle (23). Dès lors, si la demande ne contient pas le niveau requis d’informations relatives à la nature et à la portée de l’accord international, elle doit être déclarée irrecevable (24).

39.      Les différentes exceptions d’irrecevabilité soulevées par les parties peuvent maintenant être examinées à la lumière de ces principes.

40.      S’agissant des deux premières exceptions d’irrecevabilité tirées, respectivement, de l’absence de contestation par le Parlement, au stade de la signature, du choix de l’article 78, paragraphe 2, de l’article 82, paragraphe 2, et de l’article 83, paragraphe 1, TFUE comme bases juridiques et de la possibilité d’interroger la Cour sur la validité des décisions d’autoriser la signature, au nom de l’Union, de la convention d’Istanbul, les considérations ayant présidé à l’adoption de l’arrêt du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf me semblent, dans la mesure où elles portent sur le principe général de sécurité juridique (25), pleinement transposables par analogie à la procédure d’avis. En conséquence, étant donné que le Parlement n’a pas, comme il aurait pu le faire, contesté la validité des décisions de signature et que celles-ci sont donc devenues définitives, il ne peut pas utiliser la procédure d’avis pour contourner les délais régissant le recours en annulation. Dès lors, la partie b) de la première question devrait, selon moi, être déclarée irrecevable, mais uniquement dans la mesure où elle porte sur les décisions de signer la convention d’Istanbul.

41.      En exprimant ce point de vue, je n’oublie pas que dans l’avis 2/92 (Troisième décision révisée de l’OCDE relative au traitement national), du 24 mars 1995 (EU:C:1995:83), la Cour a considéré que « [l]a circonstance que certaines questions soient susceptibles d’être abordées dans le cadre d’autres voies de recours, et notamment d’un recours en annulation [...] ne constitue pas un argument permettant d’exclure que la Cour puisse être saisie à titre préalable en vertu de [l’article 218, paragraphe 11, TFUE] » (26). Cependant, cela ne signifie pas que la procédure de l’article 218, paragraphe 11, TFUE puisse elle-même servir de substitut au recours en annulation, dans la mesure où les décisions de signature sont concernées, puisque ces décisions sont devenues définitives et que toute contestation juridictionnelle ordinaire serait, de ce fait, hors délai.

42.      Toutefois, comme je l’ai déjà indiqué, en ce qui concerne la présente demande d’avis, c’est la décision de signer – par opposition à toute décision de conclure l’accord – qui est hors délai. La Cour a déjà relevé que l’acte autorisant la signature de l’accord international et celui qui en prononce la conclusion sont deux actes juridiques distincts entraînant des obligations fondamentalement distinctes pour les parties intéressées, le second ne constituant nullement la confirmation du premier (27). C’est, en tout état de cause, ce que prévoient les principes généraux du droit international conventionnel. Dès lors, toute décision autorisant la conclusion de la convention d’Istanbul au nom de l’Union reste susceptible de recours.

43.      La troisième exception soulevée est tirée de ce que la seconde question repose sur la prémisse implicite que le Conseil a erronément considéré qu’il était tenu d’attendre que tous les États membres aient conclu la convention d’Istanbul avant d’être lui-même autorisé à le faire. Il est soutenu que le recours à la procédure de l’article 218, paragraphe 11, TFUE est donc fondé sur une hypothèse non démontrée et que la demande devrait de ce fait être déclarée irrecevable.

44.      À cet égard, comme expliqué ci-dessus, il convient de souligner que les questions adressées à la Cour dans le cadre d’une demande d’avis peuvent porter sur tout scénario possible en relation avec la conclusion de l’accord envisagé, à condition que la procédure ait pour finalité de prévenir les complications qui pourraient découler de l’invalidation de l’acte de conclusion d’un accord international.

45.      Certes, dans le cadre d’un recours en annulation, un moyen tiré de la violation des traités résultant d’une pratique ne peut conduire à l’annulation de la décision attaquée que si le requérant peut établir que le décideur s’est senti lié par la pratique alléguée ou qu’il a considéré qu’elle était contraignante et que la pratique a donc constitué le fondement ou le motif de cette décision (28). Dans le cadre d’une demande d’avis, toutefois, l’État membre ou l’institution qui demande cet avis n’est pas tenu d’apporter une quelconque preuve et toute question peut être posée pour autant qu’elle concerne des situations qui auraient pu se produire (29). En effet, la procédure d’avis a, par essence, pour finalité de déterminer la position de la Cour sur des situations hypothétiques puisque, par principe, elle ne peut porter que sur une décision de conclure un accord qui n’a pas encore été adoptée. Par conséquent, le fait que le Parlement n’ait pas démontré que le Conseil se serait senti lié par la pratique en question ne constitue pas un motif pour déclarer la seconde question irrecevable.

46.      S’agissant de la quatrième exception, qui a trait au caractère prématuré de la demande d’avis, il y a lieu de rappeler que l’article 218, paragraphe 11, TFUE ne fixe aucun délai à cet égard (30). La seule condition temporelle prévue par cette disposition réside dans le fait que la conclusion d’un accord doit être envisagée. Il s’ensuit qu’un État membre, le Parlement, le Conseil ou la Commission peuvent obtenir l’avis de la Cour sur toute question relative à la compatibilité avec les traités de la décision à adopter en vue de conclure un accord international dans la mesure où l’Union envisage cette conclusion (31), et ce aussi longtemps qu’elle ne l’a pas conclu. Puisqu’une demande d’avis doit être considérée comme étant recevable même lorsque le processus menant à l’adoption de la décision de conclure cet accord est encore à un stade préparatoire, cette exception d’irrecevabilité ne saurait être accueillie.

47.      En ce qui concerne la cinquième exception, à savoir l’argument du Conseil selon lequel le Parlement aurait dû introduire un recours en carence plutôt qu’une demande d’avis, il convient de souligner que la procédure prévue à l’article 265 TFUE vise à faire condamner une institution européenne qui s’est illégalement abstenue de statuer, au regard du droit de l’Union. En l’espèce, même si certains éléments du dossier suggèrent effectivement que le Parlement cherche à faire accélérer la conclusion de la convention d’Istanbul, il n’en reste pas moins qu’aucune des questions posées par le Parlement ne porte sur une éventuelle carence. Dès lors, la présente demande d’avis ne saurait être déclarée irrecevable sur un tel fondement (32).

48.      S’agissant de la sixième exception d’irrecevabilité tirée de ce que les questions posées portent en réalité sur la répartition des compétences entre l’Union et les États membres, il convient d’observer que cette exception ne concerne tout au plus que la première question, sous a). Elle repose sur l’idée que, puisque la réponse que la Cour apportera à cette question ne peut pas concerner la validité de la décision de conclure la convention d’Istanbul, elle tend en réalité à faire préciser la répartition des compétences entre les États membres et l’Union.

49.      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, certaines irrégularités relatives à l’indication de la base juridique n’entraînent pas nécessairement l’invalidité de l’acte en question. Il faut au contraire démontrer que ces défaillances sont susceptibles d’avoir une incidence sur la procédure législative (33) ou sur la compétence de l’Union (34).

50.      Par exemple, dans l’arrêt du 18 décembre 2014, Royaume-Uni/Conseil (C‑81/13, EU:C:2014:2449, point 67), la Cour a jugé que « l’erreur commise dans les visas de la décision attaquée » (l’omission d’une base juridique parmi les autres bases mentionnées) était une erreur de pure forme qui n’affectait pas la validité de la décision attaquée. De même, dans l’arrêt du 25 octobre 2017, Commission/Conseil (CMR-15) (C‑687/15, EU:C:2017:803), bien qu’elle ait souligné l’importance constitutionnelle des bases juridiques (35), la Cour a pris le soin de vérifier que, dans les circonstances de l’espèce, l’irrégularité en cause était susceptible d’avoir une incidence sur les compétences du Conseil et de la Commission ainsi que sur leurs rôles respectifs dans la procédure d’adoption de l’acte attaqué (36). En particulier, aux points 55 et 56 de cet arrêt, après avoir considéré que l’absence de mention d’une base juridique suffit à justifier l’annulation de l’acte en question pour défaut de motivation, la Cour a néanmoins souligné que l’omission de la référence à une disposition spécifique du traité – lorsque d’autres dispositions sont mentionnées – peut, dans certains cas, ne pas constituer un vice substantiel.

51.      En l’espèce, il est vrai que les bases juridiques mentionnées dans la première question, sous a), à savoir l’article 78, paragraphe 2, l’article 82, paragraphe 2, l’article 83, paragraphe 1, et l’article 84 TFUE, prévoient l’application de la procédure législative ordinaire et conduiront toutes à l’adoption d’une décision portant conclusion d’un accord fondée sur la même procédure, à savoir celle prévue à l’article 218, paragraphe 6, sous a), v), et paragraphe 8, TFUE.

52.      Certes, d’une part, l’article 82, paragraphe 3, et l’article 83, paragraphe 3, TFUE prévoient la possibilité, pour un État membre qui estime qu’un acte relevant de ces bases juridiques affecte des aspects fondamentaux de son système juridique, de saisir le Conseil européen. D’autre part, ces bases relèvent du domaine auquel les protocoles no 21 et no 22 du traité UE et du traité FUE sont susceptibles de s’appliquer.

53.      Toutefois, d’une part, la saisine du Conseil européen n’ayant pour effet que de suspendre la procédure législative, cette faculté offerte aux États membres de saisir le Conseil européen ne semble pas inconciliable avec les procédures prévues aux articles 78 et 84 TFUE. D’autre part, la Cour a déjà jugé que les protocoles no 21 et no 22 ne sont pas de nature à avoir une incidence de quelque nature que ce soit sur la question de la base juridique appropriée (37). La Cour a récemment réaffirmé cette position, en ce qui concerne le protocole no 22, dans l’avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592) (38).

54.      En résumé, si ces protocoles peuvent certainement avoir une incidence sur les règles de vote à suivre au sein du Conseil concernant l’adoption de l’acte en question, ils n’en ont pas sur le choix de ses bases juridiques (39). En effet, le fait qu’une partie d’un acte relève de la troisième partie, titre V, du traité FUE a, certes, pour conséquence que, sauf dans des cas particuliers, les dispositions pertinentes de cet acte ne lient ni le Royaume de Danemark ni l’Irlande. Toutefois, cela ne signifie pas en soi que le domaine concerné par les dispositions de cet acte relevant de la troisième partie, titre V, du traité FUE doit être considéré comme étant prépondérant et qu’il rend par conséquent la mention des bases juridiques correspondantes obligatoire. Cela signifie seulement que les règles de vote au sein du Conseil prévues dans ces protocoles devront être suivies lors de l’adoption des dispositions concernées, même si aucune base juridique faisant référence à la troisième partie, titre V, du traité FUE, n’est mentionnée.

55.      Dans ce contexte, on peut donc légitimement se demander si la première question, sous a), ne vise pas en réalité à faire préciser l’exacte répartition des compétences entre l’Union et les États membres. Si la réponse à cette question était affirmative, cela signifierait qu’une partie de la question ne relèverait pas de la procédure d’avis fondée sur l’article 218, paragraphe 11, TFUE.

56.      Il convient toutefois de noter que, pour répondre à la première question, sous a), il faut non seulement examiner les bases juridiques mentionnées par le Parlement dans sa question, mais également rechercher si une autre base juridique devrait figurer dans la décision de conclure l’accord. Puisqu’il n’est pas exclu qu’une autre base juridique que celles mentionnées par le Parlement soit pertinente, il n’est pas exclu que la réponse de la Cour aux questions posées puisse avoir une incidence sur la validité de la décision d’autoriser l’Union à conclure la convention d’Istanbul (40). En conséquence, il n’y a pas lieu, selon moi, de déclarer la première question, sous a), comme étant irrecevable au motif qu’elle porterait sur des problématiques sans lien avec la validité de la décision de conclure la convention d’Istanbul.

57.      En ce qui concerne la première question, sous b), et la seconde question, outre le fait que ces questions sont sans rapport avec la répartition des compétences entre l’Union et les États membres, je considère, en tout état de cause, que compte tenu du fait que la Cour n’a jamais examiné en détail si ces obligations pourraient avoir une influence sur le contenu de la décision portant conclusion d’un accord international, il faut répondre à ces questions, précisément afin de statuer sur ces points (41).

58.      Toutefois, contrairement à ce qu’affirment certaines parties, la seconde question ne saurait être interprétée comme portant uniquement sur le point de savoir si le Conseil peut attendre que tous les États membres aient conclu la convention d’Istanbul (42). En effet, s’il fallait considérer qu’une telle pratique est incompatible avec les traités, cela n’entraînerait pas la nullité de la décision de conclure cette convention puisque, répétons-le, un retard en la matière ne constitue pas, en principe, un motif de nullité. Afin de remplir les critères de recevabilité, la question doit nécessairement être comprise exactement comme elle est formulée, c’est-à-dire comme portant sur le point de savoir si la décision de conclure la convention d’Istanbul serait compatible avec les traités si elle était adoptée avant que les États membres ne concluent cette convention.

59.      Je considère dès lors que toutes les questions que le Parlement a posées à la Cour devraient être déclarées recevables, à l’exception de la première question, sous b), mais uniquement dans la mesure où celle-ci porte sur la décision de signer la convention d’Istanbul.

IV.    Sur la première question, sous a) : les bases juridiques appropriées en ce qui concerne la conclusion de la convention d’Istanbul

60.      Par sa première question, sous a), le Parlement invite la Cour à se prononcer sur le point de savoir si l’article 82, paragraphe 2, et l’article 84 TFUE constituent les bases juridiques appropriées pour la décision du Conseil relative à la conclusion, au nom de l’Union, de la convention d’Istanbul ou si cet acte doit se fonder sur l’article 78, paragraphe 2, l’article 82, paragraphe 2, et l’article 83, paragraphe 1, TFUE.

61.      Le Parlement indique que la proposition de décision autorisant la signature, au nom de l’Union, de la convention d’Istanbul et la proposition de décision autorisant l’Union à conclure cette même convention, préparées par la Commission, mentionnaient l’article 218 TFUE comme base juridique procédurale et l’article 82, paragraphe 2, et l’article 84 TFUE comme base juridique matérielle. Cependant, lorsqu’il a adopté la décision autorisant la signature de la convention d’Istanbul, le Conseil a remplacé ces bases juridiques matérielles par l’article 78, paragraphe 2, l’article 82, paragraphe 2, et l’article 83, paragraphe 1, TFUE.

62.      Eu égard aux objectifs de la convention d’Istanbul qui sont – comme l’indiquent clairement ses articles 1, 5 et 7 et ses chapitres III et IV – la protection des femmes victimes de violences et la prévention de ces violences, le Parlement demande si la Commission était bien fondée à voir dans l’article 82, paragraphe 2, et l’article 84 TFUE les deux éléments prépondérants de la convention d’Istanbul. Le Parlement se demande donc si le Conseil serait en droit d’abandonner la base juridique matérielle tirée de l’article 84 TFUE et de lui substituer l’article 78, paragraphe 2, et l’article 83, paragraphe 1, TFUE comme il l’a fait lorsqu’il a adopté la décision autorisant la signature de ladite convention.

63.      Le Parlement éprouve en particulier des doutes en ce qui concerne l’article 78, paragraphe 2, TFUE étant donné que cette base juridique ne couvre que les articles 60 et 61 de la convention d’Istanbul. Il se demande s’il est possible de considérer que ces deux dispositions constituent un élément autonome et prépondérant de ladite convention ou si elles ne constituent qu’une simple transposition, dans le domaine particulier de l’asile, du souci général de protection de toutes les victimes de violences faites aux femmes. Si tel était le cas, ces deux articles de la convention d’Istanbul seraient des dispositions accessoires et ne nécessiteraient pas l’ajout d’une base juridique spécifique.

64.      En ce qui concerne l’article 83, paragraphe 1, TFUE, le Parlement relève que cette disposition ne confère à l’Union des compétences en matière pénale que dans certains domaines au nombre desquels les violences faites aux femmes ne figurent pas en tant que telles. Ces violences pourraient donc être prises en compte par le droit de l’Union dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains, l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants ou la criminalité organisée, qui constitue le principal objectif de la convention d’Istanbul. De plus, puisque les États membres ont conservé leur compétence pour l’essentiel du droit pénal matériel traité par la convention d’Istanbul et que les éléments pour lesquels l’Union est compétente semblent secondaires, il ne serait pas nécessaire d’ajouter une base juridique spécifique relative au droit pénal.

65.      Il ressort de ce qui précède que la première question porte sur le choix des bases juridiques et non, comme pourraient le suggérer les arguments développés par certaines parties, sur le caractère exclusif ou non de la compétence de l’Union pour conclure la convention d’Istanbul. C’est pourquoi le caractère exclusif ou non de certaines compétences ne doit être examiné que dans la mesure où cela est nécessaire pour répondre à cette question. Il peut être utile à cet égard de formuler quelques remarques sur le choix des méthodes avant d’examiner le contenu de la convention d’Istanbul.

A.      Remarques méthodologiques

66.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, le choix de la base juridique d’un acte de l’Union, y compris un acte adopté en vue de conclure un accord international, doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte (43).

67.      Si l’examen d’un acte de l’Union démontre qu’il poursuit deux finalités ou qu’il a deux composantes et si l’une de ces finalités ou de ces composantes est identifiable comme étant principale tandis que l’autre n’est qu’accessoire, l’acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la finalité ou la composante principale ou prépondérante (44).

68.      À titre exceptionnel, s’il est établi que l’acte poursuit à la fois plusieurs objectifs ou a plusieurs composantes qui sont liés de façon indissociable, sans que l’un soit accessoire par rapport à l’autre, de telle sorte que différentes dispositions des traités sont applicables, une telle mesure doit être fondée sur les différentes bases juridiques correspondantes (45). Toutefois, le recours à une double base juridique est exclu lorsque les procédures prévues pour l’une et l’autre de ces bases sont incompatibles (46).

69.      Ce sont par conséquent les objectifs et les composantes d’un acte qui déterminent sa base juridique – ou parfois ses bases juridiques – et non le caractère exclusif ou partagé des compétences de l’Union concernant cet acte (47). Comme je l’expliquerai plus tard, le caractère exclusif ou partagé de ces compétences peut certes, du point de vue du droit de l’Union, exercer une influence sur l’étendue de la conclusion d’un accord international et dès lors circonscrire les bases juridiques disponibles. Toutefois, le choix des bases juridiques à retenir parmi celles qui correspondent aux compétences exercées dépendra uniquement des objectifs et des composantes de l’acte en question.

70.      Comme l’a fait observer l’avocate générale Kokott, une telle approche ne devrait pas être appliquée à la répartition des compétences détenues respectivement par l’Union et par les États membres. En effet, « si la compétence de [l’Union] ne couvre que certaines composantes d’une mesure qu’elle envisage, tandis que d’autres composantes relèvent de la compétence des États membres [...], [l’Union] ne peut pas recourir au critère du centre de gravité afin de se déclarer compétente pour la totalité. Un tel procédé reviendrait en effet à contourner le principe d’attribution des compétences » (48).

71.      Or, la détermination, parmi les compétences dont dispose l’Union, de celles sur lesquelles l’adoption de l’acte en question doit reposer et, dès lors, la détermination des bases juridiques pertinentes pour l’adoption de cet acte pourraient susciter des préoccupations similaires. Le critère du centre de gravité conduit en effet à déterminer la procédure applicable à l’adoption d’un acte sur le seul fondement des bases juridiques principales. Par définition, cette approche implique donc de ne rechercher que la ou les principales compétences exercées. Il est par conséquent important que des garanties procédurales fondamentales, inhérentes à l’exercice de certaines autres compétences – telles qu’un vote du Conseil à l’unanimité –, ne soient pas contournées de ce fait. En effet, alors qu’une mesure aurait nécessairement dû être adoptée sur le fondement d’une base juridique donnée si elle avait été adoptée de manière isolée, celle-ci pourra, lorsque insérée dans un acte contenant d’autres dispositions, être adoptée sur le fondement d’une base juridique différente – qui, par exemple, prévoit d’autres règles de vote. Cela pourrait donc susciter des stratégies visant à introduire des cavaliers législatifs (49).

72.      Dans sa jurisprudence, la Cour s’est néanmoins toujours référée au critère des « objectifs et composantes prépondérants » (encore appelé « test du centre de gravité »). Elle a ainsi une nouvelle fois souligné, dans l’arrêt du 4 septembre 2018, Commission/Conseil (Accord avec le Kazakhstan) (C‑244/17, EU:C:2018:662, point 38), que « si une [...] décision comprend plusieurs composantes ou poursuit plusieurs finalités, dont certaines relèvent de la [politique étrangère et de sécurité commune], la règle de vote applicable pour son adoption doit être déterminée au regard de sa finalité ou composante principale ou prépondérante ». Par conséquent, si un acte peut poursuivre plusieurs objectifs et requérir la « mobilisation » de différentes compétences, la base juridique sur laquelle repose son adoption ne reflétera pas toutes les compétences exercées pour adopter cet acte, mais uniquement celle(s) qui correspond(ent) à sa(ses) finalité(s) ou composante(s) principale(s) (50). De plus, le risque de contournement de certaines règles de procédure, mentionné ci-dessus, est moindre depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne qui a considérablement réduit les particularités de certaines procédures.

73.      Dans certains arrêts, à commencer par l’arrêt du 10 janvier 2006, Commission/Conseil (C‑94/03, EU:C:2006:2, point 55), la Cour a certes souligné qu’une base juridique peut servir non seulement à déterminer la procédure applicable et à vérifier que l’Union était effectivement, au moins partiellement, compétente pour signer l’accord en question, mais également à informer les tiers de l’étendue de la compétence de l’Union exercée (51) et de la portée de l’acte en question (52). On pourrait dès lors être tenté de déduire de ce courant jurisprudentiel que, afin de remplir cette fonction, les bases juridiques d’un acte devraient refléter toutes les compétences exercées par l’Union afin d’adopter l’acte en question. Une telle approche pourrait notamment sembler justifiée lorsqu’un accord international relève de plusieurs compétences partagées entre l’Union et les États membres puisque l’Union pourrait décider de ne pas exercer certaines de ses compétences, ce qui impliquerait par conséquent qu’il appartiendrait aux États membres de mettre en œuvre la ou les dispositions correspondantes de l’accord (53).

74.      Une telle approche serait toutefois en contradiction avec l’approche que la Cour a retenue jusqu’à présent afin d’éviter tout conflit de bases juridiques (54). Par exemple, dans l’avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592) – dans lequel la Cour a jugé que la décision relative à la conclusion par l’Union de l’accord international en cause devait être fondée sur deux bases juridiques –, la Cour s’est référée à nouveau à la jurisprudence susmentionnée (55).

75.      En outre, si ces questions présentent, bien évidemment, une importance fondamentale pour l’ordre interne de l’Union (et pour la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres), elles ne concernent pas directement les États tiers puisque, en vertu de l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies,vol. 1155, p. 331, ci-après la « convention de Vienne ») – un traité qui codifie les règles du droit coutumier international relatives aux accords internationaux et qui lie l’Union (56) –, une partie à un accord international, qu’il s’agisse d’un État ou d’une organisation internationale, ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité (57).

76.      S’agissant des États membres, s’il peut effectivement être intéressant pour eux d’être pleinement conscients de l’étendue des compétences exercées par l’Union au moment de la conclusion d’un accord, les bases juridiques d’un acte ne sont pas la seule manière de les en informer. En effet, il est de jurisprudence constante que l’exigence de motivation, visée à l’article 296, paragraphe 2, TFUE, doit être appréciée en fonction du contenu de l’acte dans son ensemble (58), et en particulier de ses considérants (59). Par conséquent, s’il est important que les États membres puissent déterminer quels sont les pouvoirs exercés par l’Union lorsqu’elle a conclu un accord particulier, le fait qu’il ne soit pas possible de déduire cette information des bases juridiques effectivement choisies comme fondement pour l’adoption de la décision autorisant la conclusion de cet accord ne semble pas décisif.

77.      Dans ce contexte, bien qu’il y ait beaucoup à dire sur l’affirmation selon laquelle la base juridique d’un acte devrait refléter fidèlement les compétences exercées par l’Union pour adopter un acte, il peut cependant être observé que cette approche n’est pas totalement cohérente avec l’état de la jurisprudence (60).

78.      En conséquence, dans la suite des présentes conclusions, je propose de suivre la jurisprudence de la Cour selon laquelle lorsqu’un acte poursuit plusieurs finalités ou qu’il a plusieurs composantes, cet acte doit en principe être fondé sur une base juridique unique et, exceptionnellement, sur plusieurs bases juridiques. Ces bases juridiques doivent être celles que requièrent les finalités ou les composantes prépondérantes, ou tout au moins principales, de l’accord international. Par conséquent, la question de savoir si d’autres compétences ont été exercées au cours de l’adoption de l’acte en question est dépourvue de pertinence aussi longtemps que ces compétences concernent des finalités ou des composantes qui sont, en substance, accessoires ou incidentes.

79.      Il convient également de remarquer que, selon la jurisprudence de la Cour évoquée ci-dessus, les finalités et composantes à prendre en considération sont celles de l’acte de l’Union concerné. S’agissant de la conclusion d’un accord international, ce sont donc les finalités et le contenu précis de la décision en autorisant la conclusion, et non ceux de l’accord international, qui seront décisifs pour déterminer les bases juridiques à retenir.

80.      Il est vrai que, en pratique, le but et le contenu de cette décision seront en grande partie identiques à ceux de l’accord envisagé, puisque cet acte est par essence destiné à marquer le consentement de l’Union à être liée par cet accord (61). Ce n’est cependant pas toujours le cas. Il est en effet important de garder à l’esprit que, à cet égard, il existe une différence de perspective importante entre le droit international et le droit de l’Union, qui est cruciale dans la présente affaire.

81.      Du point de vue du droit international, en cas d’accords mixtes, il est considéré que l’Union et les États membres s’engagent conjointement et non parallèlement (62). Par conséquent, sauf si une réserve relative à la répartition des compétences a été formulée – ce qui suppose que l’accord le permette –, la conclusion par l’Union d’un accord l’engage à appliquer celui-ci dans son ensemble (63). Les questions telles que celles relatives aux bases juridiques retenues pour conclure un tel accord ou à la nature mixte de cet accord sont considérées comme étant des questions relevant de l’ordre juridique interne de l’Union (64) qui, en tant que telles, ne sauraient exclure sa responsabilité au niveau international en cas d’inexécution injustifiée (65).

82.      Toutefois, du point de vue du droit de l’Union, lorsqu’elle adhère à une convention internationale, l’Union le fait dans la mesure des compétences exercées pour adopter la décision portant conclusion de ladite convention (66). Elle doit certes exercer ses compétences externes exclusives, mais, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, l’Union n’est pas obligée d’exercer ses compétences partagées lorsqu’elle conclut un accord (67). Dès lors, en fonction des compétences partagées que l’Union choisira d’exercer à cette occasion, le « centre de gravité » de la décision de conclure l’accord pourra se déplacer, ce qui aura pour conséquence de modifier les bases juridiques applicables. Une base juridique reflétant, par exemple, une compétence exclusive peut donc dans une certaine mesure être ainsi supplantée par une autre base juridique reflétant une compétence partagée que l’Union a choisi d’exercer.

83.      Puisque la décision autorisant la conclusion d’un accord international au nom de l’Union pourrait avoir un but et un contenu plus restreints que ceux de cet accord, il se peut que la décision doive être adoptée sur le fondement d’une seule base juridique alors que si, par exemple, l’Union avait exercé toutes les compétences jusque-là partagées avec les États membres, il aurait été nécessaire de recourir à deux ou à plusieurs bases juridiques, puisque cette décision aurait alors eu d’autres buts et composantes importants.

84.      En outre, lorsque l’Union choisit de ne pas exercer les compétences qui auraient visé les principaux buts et composantes de l’accord international en cause, certains buts et composantes qui auraient été considérés comme étant incidents du point de vue de la décision autorisant cette conclusion deviennent prépondérants. C’est pourquoi il me paraît important de distinguer les finalités et les composantes de l’accord de celles de la décision autorisant la conclusion de l’accord international, qui peuvent être plus limitées.

85.      Il s’agit là de la principale question que soulève la présente affaire. Il est clair que le Conseil souhaite que l’Union ne procède qu’à une conclusion partielle de la convention d’Istanbul. Il est dès lors approprié d’examiner non pas la totalité de cette convention, mais uniquement les parties de celle-ci qui, du point de vue du droit de l’Union, lieront l’Union.

86.      Dans le cadre d’un recours en annulation, cette question ne pose pas de difficultés particulières puisque la Cour effectuera un contrôle ex post, une fois que l’acte législatif en question aura été adopté et, donc, lorsque les compétences exercées seront connues.

87.      Toutefois, dans le cadre d’une demande d’avis où, comme en l’espèce, il n’existe pas encore de projet de décision, le fait que le Conseil puisse exercer un nombre plus ou moins grand de compétences partagées pourrait rendre la détermination des bases juridiques un peu plus complexe, voire impossible, puisqu’il est demandé à la Cour de se prononcer de manière prospective.

88.      Il peut certes sembler approprié de commencer par examiner, pour chaque partie de l’accord, si elle relève de la compétence exclusive de l’Union, dans la mesure où cette dernière devra nécessairement exercer ces compétences. Toutefois, une fois cette analyse effectuée, comment déterminer ce qui constituera le centre de gravité de la décision de conclure cet accord puisque, comme il a été expliqué plus haut, ce centre dépendra également des compétences partagées modifiées que l’Union choisira volontairement d’exercer ? En effet, à moins que le Conseil ait déjà voté un projet de décision et que la Cour soit interrogée parallèlement à la transmission de ce projet au Parlement, l’étendue des compétences partagées qui seront exercées ne saurait être considérée comme étant certaine (68).

89.      Il me semble que, dans cette situation très particulière – qui soulève une question que la Cour n’a encore jamais examinée –, il est nécessaire de déduire de la demande (ou, au moins, des circonstances de l’espèce) quelles sont les compétences partagées les plus susceptibles d’être exercées par l’Union. Sinon, comme je l’ai expliqué dans la partie des présentes conclusions consacrée à la recevabilité, je ne vois pas comment la Cour pourrait indiquer, comme le lui demande le Parlement, sur quelle base juridique il convient de fonder la décision de conclure la convention d’Istanbul (69). Dans ces circonstances, la réponse que formulera la Cour ne sera toutefois valable que si le scénario envisagé se concrétise.

90.      En l’espèce, il ressort clairement du libellé de la question posée par le Parlement que celle-ci se fonde sur la prémisse que, pour adopter la décision autorisant la conclusion, au nom de l’Union, de la convention d’Istanbul, l’Union exercera, au moins, les compétences qu’elle détient en matière de coopération judiciaire en matière pénale, d’une part, et en matière d’asile et d’immigration, d’autre part. La pertinence de cette prémisse est en outre confirmée par le contenu des décisions autorisant la signature, au nom de l’Union, de la convention d’Istanbul, qui peut être considérée, malgré la jurisprudence évoquée au point 42 des présentes conclusions, comme anticipant, dans une certaine mesure, les compétences qui seront exercées au moment de ladite conclusion.

91.      Toutefois, cette prémisse doit au moins être compatible avec la répartition actuelle des compétences. Cela demande d’apprécier si, outre ces compétences, l’accord concerne d’autres compétences que l’Union est tenue d’exercer parce qu’il s’agit de compétences exclusives. Comme je l’ai expliqué, cela suppose de prendre en considération non seulement les compétences que l’Union souhaite exercer, mais aussi celles qui, parce qu’elles appartiennent exclusivement à l’Union, seront nécessairement exercées si l’Union souhaite conclure cet accord.

92.      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 3, paragraphe 1, TFUE énonce la liste des compétences qui sont, par nature, exclusives. En plus de cette liste, l’article 3, paragraphe 2, TFUE précise que « [l]’Union dispose également d’une compétence exclusive pour la conclusion d’un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l’Union, ou est nécessaire pour lui permettre d’exercer sa compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée » (70).

93.      Comme le précise la jurisprudence de la Cour, il existe un risque de porter atteinte à des règles communes de l’Union par des engagements internationaux, ou d’altérer la portée de ces règles, propre à justifier une compétence externe exclusive de l’Union, lorsque ces engagements relèvent du domaine d’application desdites règles (71).

94.      La constatation d’un tel risque ne présuppose pas une concordance complète entre le domaine couvert par les engagements internationaux et celui de la réglementation de l’Union (72). En particulier, de tels engagements internationaux sont susceptibles d’affecter des règles de l’Union ou d’en altérer la portée lorsqu’ils relèvent d’un domaine déjà couvert en grande partie par de telles règles (73).

95.      Contrairement à ce que soutient la Commission, on ne saurait déduire de la jurisprudence de la Cour qu’il conviendrait d’adopter une approche globale pour déterminer si, dans les domaines couverts par un accord, l’Union dispose d’une compétence exclusive ou partagée. Au contraire, l’Union ne disposant que de compétences d’attribution, l’existence d’une compétence, de surcroît de nature exclusive, doit trouver son fondement dans des conclusions tirées d’une analyse globale et concrète de la relation existant entre l’accord international envisagé et le droit de l’Union en vigueur (74).

96.      Afin de déterminer si l’accord est susceptible de compromettre l’application uniforme et cohérente de certaines règles communes de l’Union et le bon fonctionnement du système qu’elles instituent, cette analyse doit tenir compte des domaines couverts par les règles de l’Union et par les dispositions de l’accord envisagé qui lieront l’Union puisqu’elles correspondent aux compétences que l’Union a choisi d’exercer au moment d’adopter la décision de conclure cette convention, ainsi que des perspectives d’évolution de ces règles comme de ces dispositions (75).

97.      S’agissant de ces questions, l’Irlande soutient que, dans sa demande, le Parlement n’a pas effectué d’analyse complète et détaillée de l’incidence de la convention d’Istanbul sur le droit dérivé de l’Union (76). La Cour a en effet considéré que, aux fins d’une telle analyse, il appartient à la partie concernée d’apporter les éléments de nature à établir le caractère exclusif de la compétence externe de l’Union dont elle entend se prévaloir (77).

98.      Il est toutefois important de rappeler que le raisonnement sur lequel repose cette jurisprudence est tiré d’arrêts rendus dans le cadre de recours en annulation. Dans de telles affaires, la Cour est appelée à se prononcer sur le fondement des observations des différentes parties. Cette exigence ne concerne pas la procédure de demande d’avis, qui se caractérise par un esprit de collaboration entre la Cour, les autres institutions de l’Union et les États membres et qui tend à éviter que des complications ne surgissent ultérieurement (78). En effet, puisque cette procédure est à la fois ex ante et non contradictoire, les arguments fondés sur le système de contrôle contradictoire et ex post qu’implique un recours en annulation ont peu de pertinence. Par conséquent, je considère que le fait que le Parlement n’ait pas effectué d’analyse complète et détaillée de l’incidence de la convention d’Istanbul sur le droit dérivé de l’Union n’est pas, en soi, important et qu’il appartient à la Cour d’effectuer cette analyse.

99.      Cela étant, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’adoption d’un accord international n’affectera pas les règles communes lorsque tant les dispositions du droit de l’Union que celles de l’accord international en cause ne prévoient que des prescriptions minimales (79). Dès lors, même lorsqu’un accord international couvre les mêmes domaines que des règles communes de l’Union, cette jurisprudence suggère que la Cour ne conclura pas que les règles de l’Union – et donc la compétence partagée – sont affectées si les deux prévoient des prescriptions minimales (80).

100. Dans le cas de la convention d’Istanbul, l’article 73 dispose que « [l]es dispositions de la présente convention ne portent pas atteinte aux dispositions du droit interne et d’autres instruments internationaux contraignants déjà en vigueur ou pouvant entrer en vigueur, et en application desquels des droits plus favorables sont ou seraient reconnus aux personnes en matière de prévention et de lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ».

101. Dès lors, dans ce contexte, pour considérer qu’une compétence partagée entre l’Union et les États membres est une compétence exclusive (c’est-à-dire une compétence que le Conseil sera obligé d’exercer), il est nécessaire d’établir, premièrement, que l’Union a déjà adopté dans ce domaine des règles communes qui ne fixent pas de normes minimales et, deuxièmement, que la conclusion de la convention d’Istanbul est susceptible d’affecter ces normes.

102. S’agissant des deux décisions autorisant la signature, au nom de l’Union, de la convention d’Istanbul, on peut se demander si le Conseil a eu raison de considérer que l’Union sera tenue d’exercer ces compétences conformément à la troisième situation visée à l’article 3, paragraphe 2, TFUE.

103. D’une part, comme la République de Pologne l’a souligné, l’article 82, paragraphe 2, et l’article 83, paragraphe 1, TFUE, qui concernent la coopération judiciaire en matière pénale, prévoient simplement l’adoption de règles minimales. Dès lors, les règles communes adoptées dans ce domaine ne peuvent valablement prévoir que des normes minimales.

104. D’autre part, s’agissant de l’article 78, paragraphe 2, TFUE – qui confère à l’Union une compétence en matière d’asile et d’immigration –, les règles communes adoptées par l’Union dans ce domaine ne semblent, à première vue, prévoir que des règles minimales et, lorsqu’il ne s’agit pas de règles minimales, il me semble que les dispositions de la convention d’Istanbul ne sont pas susceptibles d’affecter ces règles.

105. À cet égard, il convient de noter en effet que la convention d’Istanbul contient trois dispositions qui peuvent être pertinentes en matière de politique d’asile et d’immigration, à savoir les articles 59 à 61, qui forment le chapitre VII de cette convention.

106. En ce qui concerne l’article 59 de la convention d’Istanbul relatif au statut de résident des femmes victimes de violence, les règles établies par l’Union en matière de résidence ne prévoient que des exigences minimales (81). En particulier, comme l’a indiqué l’avocat général Bot dans ses conclusions dans l’affaire Rahman e.a. (C‑83/11, EU:C:2012:174, point 64), la directive 2004/38/CE (82) introduit une harmonisation minimale puisqu’elle tend plus particulièrement à reconnaître un droit de résidence aux membres de la famille d’un résident de l’Union dans certaines situations, sans exclure qu’un droit de résidence puisse être accordé dans d’autres situations.

107. Il est également vrai que certains arrêts portant sur cette directive, tels que les arrêts NA (83) ou Diallo (84), ont pu susciter des interrogations quant à la nature minimale de certaines exigences prévues par la directive 2004/38. Ces décisions doivent toutefois être replacées dans leur contexte. En effet, étant donné que dans le cadre d’une procédure préjudicielle, la Cour n’est compétente ni pour interpréter le droit national ni pour appliquer le droit de l’Union à un litige donné, lorsqu’elle statue, c’est toujours par référence à la situation envisagée dans la ou les questions posées qui peut ne couvrir que certains aspects du litige. Par conséquent, lorsqu’il est demandé à la Cour d’interpréter une disposition particulière d’une directive, même si cette directive indique qu’elle ne prévoit que des normes minimales, la Cour va le plus souvent prendre position, en fonction de la manière dont la question lui est posée, au sujet de l’interprétation qu’il convient de donner à la disposition concernée indépendamment de ladite faculté pour les États membres d’adopter des normes plus strictes (85). La réponse formulée dans ce type de situation est donc sans préjudice de la possibilité pour les États membres d’octroyer, sur le seul fondement de leur droit national, un droit d’entrée et de séjour à des conditions plus favorables (86). Dès lors, lorsqu’elles sont replacées dans le contexte du mécanisme de la décision préjudicielle, les solutions adoptées dans les arrêts NA (87) et Diallo (88) doivent être comprises non pas comme interdisant aux États membres de délivrer un permis de résidence dans les affaires déférées, mais plutôt comme ne les obligeant pas à le faire (89).

108. En ce qui concerne l’article 60 de la convention d’Istanbul, cet article prévoit que les parties doivent, en substance, reconnaître que la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre peut être reconnue comme une forme de persécution au sens de la convention relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951 et comme une forme de préjudice grave donnant lieu à une protection complémentaire ou subsidiaire.

109. À nouveau, certaines directives, à savoir principalement celles dites « de première génération », indiquent qu’elles n’établissent que des normes minimales (90). Certes, les directives plus récentes précisent que les États membres ne peuvent adopter ou maintenir des normes plus favorables que « dans la mesure où ces normes sont compatibles avec [ces] directive[s] », ce qui pourrait suggérer qu’il ne serait pas permis d’adopter des normes plus favorables que certaines de leurs dispositions (91). Toutefois, ces mêmes directives octroient des droits ou garanties de procédure ou obligent les États membres à tenir compte de certaines circonstances sans exclure la possibilité que d’autres droits ou garanties puissent également être accordés ou que d’autres circonstances puissent être prises en considération. En particulier, aucun des motifs d’exclusion du statut de réfugié ou de cessation ou de révocation de la protection subsidiaire prévus par ces instruments ne semble susceptible de contrevenir aux dispositions de la convention d’Istanbul.

110. Le droit de l’Union harmonise, bien entendu, dans une certaine mesure, les conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, ainsi que le contenu de ces statuts (92). Ces conditions sont toutefois telles qu’il semble possible de les appliquer dans le respect de l’article 60 de la convention d’Istanbul. En particulier, s’agissant du statut de réfugié, j’observe que l’article 2, sous d), de la directive 2011/95 (93) définit la notion de « réfugié » comme tout ressortissant d’un pays tiers qui se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays et qui craint avec raison d’être persécuté du fait, notamment, de « son appartenance à un certain groupe social », un concept défini de manière large à l’article 10 de cette directive comme, notamment, tout groupe dont les « membres partagent une caractéristique innée » (94). Cet article précise ensuite qu’« [i]l convient de prendre dûment en considération les aspects liés au genre, y compris l’identité de genre, aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe ».

111. Enfin, en ce qui concerne l’article 61 de la convention d’Istanbul, on peut relever que cet article prévoit que les parties prennent les mesures nécessaires pour respecter le principe de non‐refoulement, une obligation qu’impose déjà le droit de l’Union (95).

112. En tout état de cause, il ne me semble pas nécessaire, en l’espèce, de se prononcer de manière définitive sur la question de savoir si l’Union dispose, comme l’estime le Conseil, d’une compétence exclusive pour conclure la convention d’Istanbul dans ces deux domaines en vertu de l’article 3, paragraphe 2, TFUE et par conséquent si l’Union est tenue d’exercer ces compétences. En effet, même s’il apparaît que, en l’absence de tout risque que des règles communes de l’Union soient affectées par la conclusion de la convention d’Istanbul, ces compétences restent partagées, le Conseil demeurera néanmoins libre de les exercer, ce qui sera en principe le cas (96). Comme je l’ai expliqué ci‑dessus, la question posée par le Parlement est en effet implicitement fondée sur la prémisse que l’Union exercera, au moins, les compétences dont elle dispose en matière d’asile et d’immigration et de coopération judiciaire en matière pénale.

B.      Analyse des buts et des composantes de la convention d’Istanbul

113. D’après son préambule, la convention d’Istanbul a pour but de « créer une Europe libre de violence à l’égard des femmes et de violence domestique ». Comme indiqué à l’article 1er de cette convention, la poursuite de cet objectif est subdivisée en cinq sous-objectifs, qui sont :

–        « de protéger les femmes contre toutes les formes de violence, et de prévenir, poursuivre et éliminer la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ;

–        de contribuer à éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de promouvoir l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, y compris par l’autonomisation des femmes ;

–        de concevoir un cadre global, des politiques et des mesures de protection et d’assistance pour toutes les victimes de violence à l’égard des femmes et de violence domestique ;

–        de promouvoir la coopération internationale en vue d’éliminer la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ;

–        de soutenir et assister les organisations et services répressifs pour coopérer de manière effective afin d’adopter une approche intégrée visant à éliminer la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. »

114. En ce qui concerne son contenu, la convention d’Istanbul comporte 81 articles répartis en douze chapitres dont les intitulés sont les suivants :

–        « Chapitre I – Buts, définitions, égalité et non‐discrimination, obligations générales » ;

–        « Chapitre II – Politiques intégrées et collecte des données » ;

–        « Chapitre III – Prévention » ;

–        « Chapitre IV – Protection et soutien » ;

–        « Chapitre V – Droit matériel » ;

–        « Chapitre VI – Enquêtes, poursuites, droit procédural et mesures de protection » ;

–        « Chapitre VII – Migration et asile » ;

–        « Chapitre VIII – Coopération internationale » ;

–        « Chapitre IX – Mécanisme de suivi » ;

–        « Chapitre X – Relations avec d’autres instruments internationaux » ;

–        « Chapitre XI – Amendements à la Convention » ;

–        « Chapitre XII – Clauses finales ».

115. Le chapitre I de la convention d’Istanbul comporte des dispositions relatives aux buts, aux définitions et au lien que la convention entretient avec l’égalité et la non-discrimination, ainsi que des obligations générales. En particulier, il définit les principaux termes employés dans le texte (97), oblige les parties à condamner toutes les formes de discrimination en garantissant que le principe d’égalité entre les femmes et les hommes est appliqué dans leur ordre juridique, et précise que le recours à des mesures de discrimination positive est autorisé (98). Les parties sont également tenues de s’assurer que les acteurs qui agissent au nom de l’État s’abstiennent de commettre tout acte de violence et agissent avec la diligence voulue afin de prévenir, enquêter sur, punir, et accorder une réparation pour de tels actes (99). Enfin, ce chapitre indique que les parties s’engagent notamment à promouvoir des politiques d’égalité entre les femmes et les hommes, et l’autonomisation des femmes (100).

116. Le chapitre II impose aux parties la mise en œuvre d’une politique globale de réponse à la violence à l’égard des femmes par la mise en place d’une coopération effective entre toutes les agences, institutions et organisations pertinentes, impliquant, le cas échéant, tous les acteurs pertinents tels que les agences gouvernementales, les parlements et les autorités nationales, régionales et locales, les institutions nationales des droits de l’homme et les organisations de la société civile (101). Les parties doivent également collecter les données statistiques désagrégées pertinentes et s’efforcer d’effectuer des enquêtes basées sur la population, à intervalle régulier, sur toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la convention d’Istanbul (102).

117. Le chapitre III précise les obligations des parties en matière de prévention. En substance, les parties sont tenues d’adopter une approche multidimensionnelle, incluant la sensibilisation, l’inclusion de l’égalité entre les hommes et les femmes et la question des violences dans les programmes d’étude officiels, à tous les niveaux, à l’aide de matériel et de programmes d’enseignement ainsi que l’extension de la promotion de la non-violence et de l’égalité entre les hommes et les femmes dans les structures éducatives informelles ainsi que dans les structures sportives, culturelles et de loisirs, et les médias (103). Les parties doivent veiller à ce que les professionnels ayant affaire aux victimes ou aux auteurs bénéficient de la formation adéquate (104). Des mesures doivent également être prises pour établir des programmes d’intervention préventive et de traitement (105), et pour encourager le secteur privé à participer à l’élaboration et à la mise en œuvre de ces politiques, ainsi qu’à mettre en place des lignes directrices et des normes d’autorégulation (106).

118. Le chapitre IV définit les obligations des parties en matière de protection et de soutien des victimes (107). Ces obligations incluent celles de fournir aux victimes une information adéquate et en temps opportun sur les services de soutien et les mesures légales disponibles, dans une langue qu’elles comprennent (108), et d’assurer la disponibilité de services de soutien généraux tels que des services de santé et des services sociaux, le conseil juridique et psychologique, l’assistance financière, les services de logement, l’éducation, la formation et l’assistance en matière de recherche d’emploi (109), ainsi que des services spécialisés, notamment des refuges, des permanences téléphoniques gratuites et toujours accessibles, un soutien médical et médico-légal spécialisé pour les victimes de violence sexuelle et la prise en considération des besoins des enfants témoins (110). De plus, les parties doivent également prendre des mesures pour encourager toute personne témoin de la commission de tout acte de violence ou qui a de sérieuses raisons de croire qu’un tel acte pourrait être commis ou que de nouveaux actes de violence sont à craindre, à les signaler, et établir des règles relatives aux conditions dans lesquelles certains professionnels peuvent adresser un signalement sans enfreindre leur obligation générale de confidentialité (111).

119. Le chapitre V, consacré au droit matériel, contient les dispositions les plus détaillées. Premièrement, il impose aux parties de fournir aux victimes des recours civils adéquats à l’encontre des auteurs de violences physiques ou psychologiques, y compris une indemnisation, de s’assurer que les mariages forcés soient annulables, annulés ou dissous sans faire peser sur la victime une charge financière ou administrative excessive et de s’assurer que, lors de la détermination des droits de garde et de visite concernant les enfants, les incidents de violence couverts par le champ d’application de la convention d’Istanbul soient pris en compte (112). Deuxièmement, ce chapitre énumère une série de comportements qui appellent une réponse pénale, notamment la violence psychologique par la contrainte ou les menaces, le harcèlement, la violence physique, la violence sexuelle, y compris le viol, les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, l’avortement et la stérilisation forcés et le harcèlement sexuel (113). Ce chapitre impose également aux parties d’ériger en infractions pénales l’aide, la complicité et les tentatives de commission d’infraction tout comme le fait d’inciter des tiers à commettre ces crimes (114). Troisièmement, les parties doivent prendre des mesures pour s’assurer que l’« honneur » ne puisse pas être invoqué pour justifier ces crimes (115) et que les infractions établies conformément à cette convention s’appliquent indépendamment de la nature de la relation entre la victime et l’auteur de l’infraction (116). Quatrièmement, il impose aux parties de prendre les mesures législatives ou autres nécessaires pour établir leur compétence à l’égard de toute infraction établie conformément à la convention, dès que cette infraction présente un lien avec leur territoire ou un de leurs ressortissants (117). Cinquièmement, il demande aux parties de prévoir des sanctions adéquates et dissuasives (118) et de traiter une série de circonstances comme des circonstances aggravantes (119). Enfin, le chapitre V permet aux parties de prendre en compte, dans le cadre de l’appréciation de la peine, les condamnations prononcées dans une autre partie pour les infractions établies conformément à la convention (120) et interdit la mise en place de procédures alternatives de résolution des conflits obligatoires (121).

120. Le chapitre VI traite du droit procédural et des mesures de protection pendant les enquêtes et les procédures judiciaires (122). Les parties doivent notamment veiller à ce que les services répressifs offrent rapidement une protection aux victimes, y compris par la collecte des preuves (123), et qu’ils apprécient le risque de létalité et la gravité de la situation (124). Il convient d’accorder une attention particulière à l’accès des auteurs à des armes à feu. Les ordres juridiques doivent prévoir la possibilité d’adopter des ordonnances d’urgence d’interdiction et des ordonnances d’injonction ou de protection sans faire peser une charge financière ou administrative excessive sur la victime (125). Toute violation de ces ordonnances doit faire l’objet de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives ou d’autres sanctions légales. Les parties veillent à ce que les preuves relatives aux antécédents sexuels et à la conduite de la victime ne soient recevables que lorsque cela est pertinent et nécessaire (126) et à ce que les infractions les plus graves ne soient pas subordonnées à un signalement ou à une plainte de la part de la victime (127). Les parties doivent également garantir la possibilité pour les organisations gouvernementales et non gouvernementales et les conseillers spécialisés dans la violence domestique d’assister et/ou de soutenir les victimes, sur demande de leur part, au cours des enquêtes et des procédures judiciaires relatives aux infractions établies conformément à la convention d’Istanbul. Dans ce chapitre, la convention dresse une liste ouverte de mesures visant à protéger les droits et les intérêts des victimes, y compris leurs besoins en tant que témoins, à tous les stades des enquêtes et des procédures judiciaires. Les besoins spécifiques des enfants victimes et des enfants témoins doivent impérativement être pris en considération (128). Enfin, les parties doivent prévoir le droit à l’aide juridique (129) et le délai de prescription doit être interprété de façon à permettre la mise en œuvre efficace des poursuites, après que la victime a atteint l’âge de la majorité, en ce qui concerne les infractions les plus graves (130).

121. Lechapitre VIIprévoit que les parties prennent également les mesures législatives nécessaires pour éviter que le statut de résidence des victimes ne soit affecté par les mesures destinées à lutter contre la violence (131) et pour que la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre puisse être reconnue comme une forme de persécution et comme une forme de préjudice grave donnant lieu à une protection complémentaire/subsidiaire au sens de la convention relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951 (132). En outre, les parties doivent instaurer des procédures d’asile tenant compte de la problématique liée au genre. Ce chapitre tend également à assurer que, en toute circonstance, le principe de non-refoulement s’applique aux victimes de violence à l’égard des femmes (133).

122. Le chapitre VIII vise à garantir que les parties coopèrent dans la mise en œuvre de la convention d’Istanbul. En particulier, les parties doivent veiller à ce que les plaintes concernant des infractions commises sur le territoire d’une autre partie à cette convention puissent être déposées dans le pays de résidence de la victime (134). Si une personne risque d’être soumise de manière immédiate à un acte de violence, les parties devraient s’en informer mutuellement, afin que des mesures de protection puissent être prises (135). En outre, il permet notamment aux victimes d’être informées du résultat final des actions exercées conformément à ce chapitre en organisant des échanges d’informations à ce sujet entre les parties à cette convention (136).

123. Le chapitre IX crée un mécanisme de suivi de la mise en œuvre de la convention dont la mise en œuvre est confiée au CAHVIO.

124. Le chapitre X précise que la convention ne porte pas atteinte aux obligations incombant aux parties en vertu d’autres instruments internationaux et que ces dernières ont la faculté de conclure d’autres accords internationaux relatifs aux questions relevant de la convention aux fins de compléter ou de renforcer les dispositions de celle-ci.

125. Le chapitre XI fixe la procédure d’amendements à la convention d’Istanbul.

126. Le chapitre XII énonce les clauses finales. Il indique expressément que la convention d’Istanbul est explicitement ouverte à la signature par l’Union (137). Ce chapitre précise également qu’il n’est possible de formuler des réserves que dans des cas limités et sous certaines conditions (138).

127. Comme l’a fait observer la Commission dans sa proposition de décision du Conseil portant signature, au nom de l’Union européenne, de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (139), la conclusion par l’Union de la convention d’Istanbul est susceptible de concerner un grand nombre de compétences que l’Union détient seule ou conjointement avec les États membres. Dès lors, de nombreuses bases juridiques figurant dans le traité FUE peuvent théoriquement être pertinentes, comme « l’article 16 (protection des données), l’article 19, paragraphe 1 (discrimination fondée sur le sexe), l’article 23 (protection consulaire des ressortissants d’un autre État membre), les articles 18, 21, 46 et 50 (libre circulation des citoyens, libre circulation des travailleurs et liberté d’établissement), l’article 78 (asile, protection subsidiaire et protection temporaire), l’article 79 (immigration), l’article 81 (coopération judiciaire en matière civile), l’article 82 (coopération judiciaire en matière pénale), l’article 83 (définition à l’échelle de l’Union des infractions pénales et des sanctions pour des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière), l’article 84 (mesures non harmonisées de prévention du crime), et l’article 157 (égalité des chances et égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d’emploi et de travail) ». À ces bases, on peut ajouter, même si la Commission ne les cite pas, l’article 165 TFUE (développement d’une éducation de qualité), l’article 166 TFUE (mise en œuvre d’une politique de formation professionnelle) ou l’article 336 TFUE (statut des fonctionnaires de l’Union et régime de travail des autres agents) (140).

128. Toutefois, comme je l’ai indiqué, la ou les bases juridiques d’un acte ne doivent pas refléter toutes les compétences exercées pour adopter ce dernier. La décision autorisant l’Union à conclure la convention d’Istanbul ne devrait être fondée que sur la ou les bases juridiques correspondant à ce qui sera le centre de gravité de cette décision.

C.      Détermination des principaux buts et composantes de la décision autorisant la conclusion, au nom de l’Union, de la convention d’Istanbul

129. Si la réponse à la première question, sous a), dépendait seulement des buts et du contenu de la convention d’Istanbul, il suffirait d’indiquer que, bien que cette convention ait plusieurs composantes, l’élimination de la discrimination fondée sur le genre constitue néanmoins clairement ses principaux but et composante (141). En effet, ainsi qu’il est indiqué dans son rapport explicatif, cette convention vise, d’après son préambule, à reconnaître l’existence d’un « lien entre l’élimination de la violence à l’égard des femmes et la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes en droit et en fait » (142). Ce rapport mentionne également que « [l]a définition de la “violence à l’égard des femmes” indique clairement que sous l’angle de la convention, la violence à l’égard des femmes doit être comprise comme constituant une violation des droits de l’homme et une forme de discrimination » (143). Par conséquent, à défaut d’une base juridique plus spécifique, la base juridique pertinente semble être l’article 3, paragraphe 3, TUE qui, lu en combinaison avec l’article 19 TFUE, confère compétence à l’Union pour « prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe ».

130. Toutefois, comme évoqué précédemment, afin de déterminer la base juridique sur laquelle se fonde la décision autorisant la conclusion, au nom de l’Union, de la convention d’Istanbul, il y a lieu de tenir compte non seulement des buts et des composantes de la convention, mais également des buts et des composantes propres à la décision.

131. En l’espèce, il est plus ou moins admis que le Conseil ne souhaite pas que l’Union exerce d’autres compétences que celles qui correspondent aux dispositions auxquelles il est fait référence dans la question du Parlement et qui, en l’occurrence, ne comprennent pas l’article 3, paragraphe 3, TUE ni l’article 19 TFUE.

132. Ainsi, la décision autorisant la conclusion de la convention d’Istanbul, au nom de l’Union, ne peut être fondée sur ces dispositions que si, à tout le moins, il apparaît que l’Union doit nécessairement exercer la compétence externe correspondante.

133. À cet égard, il convient de remarquer que l’élimination de la discrimination fondée sur le genre ne figure pas parmi les domaines visés à l’article 3, paragraphe 1, TFUE pour lesquels l’Union s’est vu expressément conférer une compétence exclusive. S’agissant des divers cas de compétence externe exclusive envisagés à l’article 3, paragraphe 2, TFUE, seule la troisième situation (à savoir, que l’Union dispose d’une compétence exclusive pour la conclusion d’un accord international, dans la mesure où les dispositions de l’accord sont susceptibles d’affecter des règles communes de l’Union) semble pertinente.

134. Comme il a déjà été expliqué, puisque la convention d’Istanbul ne prévoit que des règles minimales, pour qu’une compétence exclusive soit conférée à l’Union en raison de l’existence de règles communes susceptibles d’être affectées par la conclusion de cette convention, il est nécessaire que ces règles communes ne se limitent pas à prévoir des normes minimales. Or, les règles communes adoptées en matière de lutte contre les discriminations fondées sur le genre qui découlent de la directive 2000/78/CE (144), de la directive 2004/113/CE (145), de la directive 2006/54/CE (146) ou de la directive 2010/41/UE (147) ne prévoient que des règles minimales puisque ces directives précisent toutes que les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables.

135. Eu égard au contenu actuel des règles communes en matière de lutte contre la discrimination fondée sur le genre, il y a lieu de noter que l’Union ne dispose pas d’une compétence externe exclusive dans ce domaine. L’Union n’est donc pas obligée d’exercer sa compétence en matière de lutte contre la discrimination fondée sur le genre pour conclure la convention d’Istanbul (148). Dès lors, dans la mesure où la question posée se fonde sur la prémisse que l’Union n’exercera pas, en principe, d’autres compétences que celles relatives à l’asile et à la coopération judiciaire en matière pénale, l’article 3, paragraphe 3, TUE ou l’article 19 TFUE ne constituent pas des bases juridiques adéquates pour adopter la décision de conclure la convention d’Istanbul au nom de l’Union.

136. À la lumière de ce qui précède, je propose maintenant d’examiner s’il existe des bases juridiques qui, sans couvrir l’intégralité de la convention d’Istanbul, sont néanmoins susceptibles d’en couvrir d’importantes parties tout en correspondant à des compétences que l’Union devra ou entend exercer au moment de conclure cette convention. En effet, le fait que l’Union doive exercer d’autres compétences que celles qui correspondent aux bases juridiques que le Parlement mentionne dans ses questions n’est pas suffisant en soi pour qu’elles soient prises en considération à cet effet ; il est également nécessaire que ces compétences couvrent des composantes de la convention d’Istanbul au moins aussi importantes que celles couvertes par les bases juridiques mentionnées par le Parlement.

137. À cette fin, je commencerai par examiner s’il existe d’autres compétences que celles envisagées par le Parlement dans sa question qui semblent suffisamment pertinentes et que l’Union sera obligée d’exercer pour conclure la convention d’Istanbul.

D.      Sur l’existence de bases juridiques, autres que celles mentionnées par le Parlement dans sa question, correspondant, d’une part, aux compétences que l’Union serait tenue d’exercer et, d’autre part, aux buts et aux composantes de la convention d’Istanbul susceptibles d’être considérés comme étant au moins aussi importants que ceux couverts par les bases mentionnées par le Parlement

138. Parmi les différentes composantes identifiées au point 127 des présentes conclusions comme étant susceptibles d’être concernées par la convention d’Istanbul, seules quatre composantes semblent suffisamment pertinentes pour justifier un examen plus approfondi, à savoir l’article 165 TFUE (développement d’une éducation de qualité), l’article 166 TFUE (mise en œuvre d’une politique de formation professionnelle), l’article 81 TFUE (coopération judiciaire en matière civile) et l’article 336 TFUE (statut des fonctionnaires de l’Union et régime de travail des autres agents).

Sur les aspects de la convention d’Istanbul relatifs à l’éducation et à la formation professionnelle

139. Conformément à l’article 6 TFUE, l’Union ne dispose que d’une compétence d’appui en matière d’éducation et de formation professionnelle. Cette compétence ne saurait, de par sa nature, être préemptée par l’Union ; dès lors, celle-ci n’est jamais obligée de l’exercer.

Sur les aspects de la convention d’Istanbul relatifs à la coopération judiciaire en matière civile

140. En vertu de l’article 81, paragraphe 1, TFUE, la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière relève des compétences que l’Union partage avec les États membres. La deuxième phrase de cette disposition précise que cette coopération peut inclure l’adoption de mesures de rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres (149). L’article 81, paragraphe 2, TFUE énumère une liste exhaustive de buts que peuvent poursuivre les mesures que l’Union pourrait adopter.

141. L’Union a adopté de nombreuses règles sur la base de cette disposition. Certaines d’entre elles, comme la directive 2003/8/CE, qui tend à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières, n’établissent que des règles minimales (150). De même, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/52/CE (151) précise que cette directive ne s’applique pas aux droits et obligations dont les parties ne peuvent disposer en vertu de la législation pertinente applicable. Cette directive n’exclut donc pas que les États membres puissent interdire le recours à la médiation dans certaines matières (152).

142. Toutefois d’autres instruments contiennent des règles qui, clairement, n’établissent pas seulement des dispositions minimales (153). En tout état de cause, la Cour a déjà jugé, s’agissant de l’instauration d’un mécanisme de reconnaissance des décisions judiciaires, que l’Union a acquis une compétence externe exclusive (154).

143. Dans la mesure où l’article 62 de la convention d’Istanbul prévoit que les parties signataires coopèrent en vue d’appliquer les jugements civils et pénaux pertinents rendus par les autorités judiciaires des parties, y compris les ordonnances de protection, l’Union sera en définitive obligée d’exercer sa compétence externe exclusive en matière de coopération judiciaire en matière civile pour ce qui concerne certaines dispositions de la convention, comme l’article 62, paragraphe 1, sous a).

Sur les aspects de la convention relatifs à la détermination des conditions de travail des fonctionnaires de l’Union et de ses autres agents

144. En vertu de l’article 336 TFUE, le Parlement et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent, après consultation des autres institutions intéressées, le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union.

145. Certes, les conditions de travail des agents de l’Union ne sont pas liées aux domaines visés aux articles 3 et 6 TFUE. L’Union partage donc cette compétence avec les États membres, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, TFUE. Toutefois, il convient de relever que cette compétence a été préemptée par l’adoption du règlement no 31 (CEE), 11 (CEEA), fixant le statut des fonctionnaires et le régime applicable aux autres agents de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 1962, P 45, p. 1385) (155) et qu’il y a donc lieu de considérer que l’Union a acquis une compétence externe exclusive en la matière en vertu de l’article 3, paragraphe 2, TUE.

146. Il en découle que, outre les bases juridiques mentionnées par le Parlement, il faut également examiner les articles 81 et 336 TFUE pour déterminer sur quelle(s) base(s) juridique(s) la décision autorisant la conclusion de la convention d’Istanbul au nom de l’Union devrait être adoptée.

147. S’agissant des compétences autres que les quatre compétences déjà examinées et que celles envisagées par le Parlement dans sa question, je considère que, même si certaines dispositions de la convention d’Istanbul en relèvent, elles ne sont pas susceptibles d’avoir une incidence sur le centre de gravité de la décision de l’Union de conclure cette convention, pour les raisons que je viens d’exposer. Cela s’explique soit parce que l’Union n’est pas obligée d’exercer ces compétences, soit parce que les dispositions concernées peuvent, dans ces circonstances, être considérées comme étant accessoires.

E.      Appréciation finale : sur la pertinence des bases juridiques mentionnées par le Parlement et de celles précédemment identifiées à la fois comme correspondant aux compétences à exercer et comme couvrant des buts et composantes suffisamment pertinents de la convention d’Istanbul

148. Il convient ici de souligner d’emblée ce qui fait la particularité de cette affaire, à savoir que l’Union n’exercera pas toutes les compétences qu’elle partage avec les États membres. Plus précisément, il semble que l’Union n’aura pas à exercer la compétence dont on peut considérer qu’elle couvre les objectifs et les composantes prépondérants de la convention d’Istanbul, à savoir la lutte contre les discriminations fondées sur le genre (156).

149. En conséquence, d’autres bases juridiques possibles – qui autrement n’auraient été qu’incidentes – peuvent devenir pertinentes. Toutefois, il faut garder à l’esprit que ces autres bases ne couvrent que partiellement les buts et composantes de la convention d’Istanbul. C’est dès lors, comme je l’ai expliqué, par comparaison avec les autres bases possibles, et non de manière absolue, qu’il convient de déterminer la ou les bases juridiques pertinentes.

150. Par sa question, le Parlement demande si la décision relative à la conclusion de la convention d’Istanbul peut être valablement fondée sur l’article 82, paragraphe 2, et l’article 84 TFUE ou si elle devrait plutôt être fondée sur l’article 78, paragraphe 2, l’article 82, paragraphe 2, et l’article 83, paragraphe 1, TFUE. En plus de ces bases juridiques, dont il faut considérer qu’elles correspondent aux compétences que l’Union a choisi d’exercer, il faut également tenir compte, pour les raisons exposées ci-dessus, des articles 81 et 336 TFUE. Je propose de commencer par l’article 82, paragraphe 2, l’article 83, paragraphe 1, et l’article 84 TFUE qui figurent tous dans le chapitre 4 du titre V de la troisième partie du traité FUE et qui concernent la coopération judiciaire en matière pénale, ainsi que par l’article 81, paragraphe 1, TFUE.

151. Il pourrait tout d’abord être observé que l’article 82, paragraphe 2, TFUE confère à l’Union la compétence d’établir des règles minimales visant à faciliter la reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires en matière pénale et à établir ou renforcer la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension transfrontière. Le deuxième alinéa de cette disposition précise toutefois que, en l’absence de décision préalable du Conseil identifiant tout autre élément spécifique de la procédure pénale, ces mesures portent sur l’admissibilité mutuelle des preuves entre les États membres, les droits des personnes dans la procédure pénale ou les droits des victimes de la criminalité (157).

152. Comme je l’ai déjà indiqué, le chapitre VIII de la convention d’Istanbul tend à établir une coopération judiciaire internationale orientée vers les matières pénales. Les dispositions figurant dans ce chapitre sont dès lors susceptibles de relever du champ de l’article 82, paragraphe 2, TFUE (158). Eu égard au fait que les États membres ont largement conservé une compétence exclusive dans les matières pénales, je considère que l’article 82, paragraphe 2, TFUE constitue, par comparaison et en l’absence de tout souhait de l’Union d’exercer la compétence dont elle dispose en matière d’égalité de traitement, une base juridique susceptible de couvrir le centre de gravité juridique de ce qui deviendra la décision autorisant la conclusion, au nom de l’Union, de la convention d’Istanbul. À cet égard, il est peut-être intéressant de relever que les trois institutions qui ont présenté des observations écrites – le Parlement, le Conseil et la Commission – considèrent, de manière unanime, que l’article 82, paragraphe 2, TFUE constitue l’une des bases juridiques importantes et adéquates pour l’adoption de la décision autorisant l’Union à conclure la convention d’Istanbul.

153. Dans ces conditions, l’article 81, paragraphe 1, TFUE ne saurait, à mon avis, constituer une des bases juridiques de la décision d’autoriser la conclusion de la convention d’Istanbul au nom de l’Union. En effet, il ressort clairement de la structure générale de cette convention que ses buts et composantes susceptibles de relever de la coopération judiciaire en matière civile sont accessoires par rapport à l’établissement d’une coopération internationale en matière pénale. Il ressort en effet clairement des dispositions du chapitre VIII (articles 62 à 65) ainsi que de la structure générale de la convention d’Istanbul que cette dernière entend accorder la priorité à une réponse pénale à la violence à l’égard des femmes et que la coopération internationale envisagée est avant tout de nature pénale. Dans ces circonstances, je considère que les dispositions de la convention d’Istanbul relatives à l’établissement d’une coopération judiciaire en matière civile sont essentiellement accessoires à la coopération pénale que cette même convention entend établir.

154. En ce qui concerne l’article 83, paragraphe 1, TFUE, cette disposition confère à l’Union la compétence d’établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions ou d’un besoin particulier de les combattre sur des bases communes. Le deuxième alinéa énonce toutefois la liste exhaustive des domaines concernés, à savoir le terrorisme, la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d’armes, le blanchiment d’argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée. Alors que le troisième alinéa prévoit que le Conseil peut adopter une décision pour étendre cette liste, il semble que celui-ci n’ait pas encore fait usage de cette possibilité (159).

155. Eu égard à la liste des domaines actuellement couverts par l’article 83, paragraphe 1, TFUE, il semble que les dispositions de droit pénal matériel figurant dans la convention d’Istanbul ne relèvent pas de la compétence de l’Union, mais plutôt de celles que les États membres ont conservées. Le seul fait que, dans certains cas, la violence visée par la convention d’Istanbul puisse relever du trafic d’êtres humains ou de l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants ne me semble pas suffisant en soi pour pouvoir conclure que certaines dispositions de la convention d’Istanbul sont susceptibles de relever de la compétence que l’Union tire de l’article 83, paragraphe 1, TFUE. Tout recours à cette base juridique me semble donc, en tout état de cause, exclu.

156. En ce qui concerne l’article 84 TFUE, cette disposition a pour objet de permettre à l’Union d’établir des mesures pour encourager et appuyer l’action des États membres dans le domaine de la prévention du crime, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires. Il faut donc se demander si la convention d’Istanbul imposera à l’Union, si celle-ci conclut cette convention, de prendre des mesures de soutien.

157. À cet égard, la convention d’Istanbul prévoit diverses obligations d’entreprendre des actions de prévention et de protection qui s’imposent directement aux parties signataires. Il me semble toutefois que l’article 84 TFUE ne doit pas faire l’objet d’une lecture trop restrictive selon laquelle il ne permettrait d’adopter que des mesures destinées aux États membres, mais qu’il doit plutôt être compris en ce sens qu’il permet, comme l’indique clairement son libellé, d’adopter des mesures soutenant les actions des États, c’est-à-dire des mesures qui viennent s’ajouter à celles adoptées par les États sans toutefois exclure qu’elles puissent concerner directement des personnes physiques.

158. En ce qui concerne l’importance des buts et des composantes de la convention d’Istanbul portant sur la prévention des crimes, puisque, comme je l’ai déjà indiqué, l’Union n’exercera pas toutes ses compétences, en particulier sa compétence en matière de lutte contre la discrimination fondée sur le genre, l’appréciation du caractère prépondérant, principal ou accessoire d’une base juridique devient relative. En d’autres termes, le caractère prépondérant ou principal de certains buts et composantes concernés doit être évalué par comparaison avec les autres buts et composantes de la convention d’Istanbul qui seront contraignants à l’égard de l’Union parce que celle-ci a choisi d’exercer les compétences correspondantes.

159. Dans ces circonstances, puisque le Conseil entend restreindre la portée des obligations juridiques auxquelles s’engage l’Union en concluant la convention d’Istanbul, les buts et composantes de la décision autorisant l’Union à conclure cette convention qui sont susceptibles de relever de l’article 84 TFUE me semblent tout aussi prépondérants que ceux couverts par l’article 82, paragraphe 2, TFUE. D’ailleurs, la coopération judiciaire en matière pénale et la prévention de la violence à l’égard des femmes font chacune l’objet d’un chapitre entier de ladite convention.

160. En ce qui concerne l’article 78, paragraphe 2, TFUE, cet article fait référence à la compétence de l’Union d’établir un système commun d’asile. Il est exact que, comme l’a relevé le Parlement, la convention d’Istanbul ne contient que trois articles portant sur la migration et l’asile. Son article 59 oblige les parties à prévoir dans leur législation nationale la possibilité pour les femmes migrantes victimes d’acquérir un permis de résidence autonome tandis que les articles 60 et 61 requièrent respectivement, en substance, que les parties reconnaissent la violence à l’égard des femmes comme une forme de persécution, qu’elles examinent les demandes d’asile sur le fondement d’une interprétation sensible au genre et qu’elles respectent le principe de non-refoulement des victimes de violence à l’égard des femmes.

161. Il convient toutefois de relever ce qui suit. En premier lieu, ces trois dispositions forment un chapitre distinct, ce qui montre que la convention d’Istanbul attache autant d’importance à ces questions qu’à la coopération judiciaire ou aux mesures préventives. En deuxième lieu, à la différence de la plupart des dispositions pour lesquelles l’Union est compétente, ces dispositions ne correspondent pas au droit actuellement en vigueur dans l’Union. En l’état actuel des choses, le droit de l’Union ne prévoit pas, de manière générale, l’obligation de considérer la violence à l’égard des femmes comme étant une forme de persécution permettant d’obtenir le statut de réfugié et l’adoption de cette obligation expresse pourrait avoir d’importantes implications pratiques. En troisième lieu, et surtout, il faut garder à l’esprit que, puisque le Conseil a envisagé une conclusion limitée à certaines compétences, un très grand nombre de dispositions de la convention d’Istanbul ne lieront pas, du point de vue du droit de l’Union, celle-ci.

162. Dans ce contexte, je considère que l’article 78, paragraphe 2, TFUE devrait figurer parmi les bases juridiques de la décision de conclure la convention d’Istanbul au nom de l’Union puisqu’il couvre des buts et composantes qui, envisagés par comparaison avec d’autres buts et composantes qu’aura cette décision, devraient être considérés comme étant prépondérants. Même si on peut dire que certains buts et composantes de cette convention pourraient relever d’une compétence exclusive de l’Union que je n’ai pas mentionnée, ils ne peuvent être, au mieux, que de nature accessoire.

163. Enfin, en ce qui concerne le régime de travail applicable aux agents de l’Union, il me semble évident que, en principe, le seul fait qu’un accord international soit également susceptible de concerner les agents de l’Union ne suffit pas à justifier la mention de l’article 336 TFUE comme base juridique : il faut que l’application de cet accord à ces agents constitue le but ou la composante principal(e) de la décision de conclure cet accord.

164. En l’espèce, toutefois, dans la mesure où l’Union n’entend pas exercer sa compétence en matière de lutte contre la discrimination fondée sur le genre, j’observe que les autres bases juridiques ne couvriront que partiellement cet accord. Une part importante des buts et composantes de la convention d’Istanbul, en particulier ceux qui tendent à criminaliser certains comportements, relèveront de la compétence exclusive des États membres. Si elle persiste dans sa volonté d’une adhésion limitée, l’Union ne devra en fait assumer que des obligations limitées. Dans ces circonstances, il me semble que les buts et composantes de la convention d’Istanbul qui peuvent être visés par l’article 336 TFUE seront, du point de vue de l’Union, comparativement aussi importants que ceux visés à l’article 78, paragraphe 2, à l’article 82, paragraphe 2, et à l’article 84 TFUE. En effet, en ce qui concerne ses agents, l’adhésion de l’Union à la convention d’Istanbul produira pleinement ses effets. Par conséquent, les obligations que la ratification de cette convention entraînera pour l’Union à l’égard de ses agents seront plus étendues ratione materiae que les obligations à l’égard des citoyens de l’Union qui découlent de l’exercice de ses autres compétences. Il me semble dès lors que la composante concernant les agents ne saurait être considérée comme étant accessoire aux autres compétences.

165. Il est exact que, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’adoption d’un acte doit en principe se fonder sur une base juridique unique. Cependant, ainsi qu’expliqué ci-dessus, dès que l’Union entend choisir une adhésion limitée, en renonçant à sa compétence dans le domaine de la lutte contre la discrimination fondée sur le genre, un cumul de bases juridiques semble inévitable en raison de la fragmentation des autres compétences (160). De plus, ces bases juridiques prévoient toutes la même procédure s’agissant de l’exercice de compétences internes, à savoir la procédure législative ordinaire, qui, eu égard à l’exercice de pouvoirs externes, débouche, conformément à l’article 218 TFUE, sur les mêmes règles de vote. Ces bases juridiques et l’exercice de la compétence externe de l’Union sont dès lors pleinement compatibles.

166. Au vu des considérations qui précèdent, je propose donc à la Cour de répondre à la première question en ce sens que, compte tenu du champ d’application de la conclusion envisagée par le Conseil, la décision autorisant l’Union à procéder à cette conclusion doit être fondée sur l’article 78, paragraphe 2, l’article 82, paragraphe 2, l’article 84 et l’article 336 TFUE.

V.      Sur la première question, sous b) : la conclusion de la convention d’Istanbul peut-elle être autorisée par deux décisions séparées ?

167. La première question, sous b), du Parlement porte essentiellement sur le point de savoir si, dans le cas où l’autorisation de conclure la convention d’Istanbul au nom de l’Union serait accordée au moyen de deux décisions séparées, du fait notamment des bases juridiques choisies, cette autorisation serait entachée de nullité.

168. Le Parlement a relevé que la raison invoquée pour adopter deux décisions séparées au moment de la signature était que les articles 60 et 61 de la convention d’Istanbul relèvent du domaine de la politique commune en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visée à l’article 78 TFUE. Cela aurait posé des difficultés particulières concernant l’application du protocole no 21, dans la mesure où celui-ci prévoit que les mesures adoptées dans ce domaine ne lient pas l’Irlande et ne sont pas applicables à cet État membre qui ne participe pas à leur adoption, sauf lorsqu’il décide d’y participer. Le Parlement considère toutefois que les préoccupations exprimées en relation avec le protocole no 21 ne sont pas fondées puisque si l’Union conclut la convention d’Istanbul, l’Irlande sera liée par cette conclusion à l’égard de toutes les compétences exercées par l’Union en vertu de cette convention. Je ne peux toutefois souscrire à cet argument qui consiste à soutenir que dans ce cas l’incidence potentielle du protocole no 21 disparaîtrait puisque les dispositions de la convention d’Istanbul concernent largement des règles communes que l’Irlande a acceptées.

169. Je relève d’emblée que la question du Parlement concerne la future validité formelle de la décision de conclure la convention d’Istanbul.

170. À cet égard, il convient de rappeler qu’il découle de l’article 263 TFUE que la validité formelle d’un acte ne peut être contestée qu’en cas de violation des formes substantielles. On peut donc se poser la question suivante : qu’est-ce qu’une forme substantielle à cet égard ?

171. Comme je l’ai expliqué plus haut, ces exigences comprennent des exigences procédurales et formelles qui sont susceptibles d’avoir une influence sur le contenu de l’acte en cause (161) ou, s’agissant de l’obligation de motivation, de susciter une confusion quant à la nature ou à la portée de l’acte contesté (162). Dès lors, pour déterminer si l’adoption de deux décisions séparées – au lieu d’une seule – est contraire au droit de l’Union, il convient d’examiner tout d’abord si ce que l’on pourrait désigner par la « procédure de scission » enfreint une règle ou un principe, et ensuite, si cette règle ou ce principe peuvent être considérés comme étant « substantiels ».

172. En ce qui concerne l’existence d’une telle règle ou d’un tel principe, on peut relever qu’aucune des dispositions figurant dans les traités ou dans le règlement intérieur du Conseil n’énonce une règle interdisant de scinder la décision portant autorisation de conclure un accord international en deux décisions séparées.

173. Certes, l’article 218, paragraphe 6, TFUE fait référence, en ce qui concerne la procédure de conclusion d’un accord, à l’adoption par le Conseil d’une décision portant conclusion de l’accord. Il est clair, toutefois, que l’article indéfini « une » fait référence à la notion générale de « décision », qui désigne la forme habituelle d’un acte du Conseil ou de la Commission qui n’est pas un texte de portée générale. Il ne renvoie donc pas à la notion, utilisée dans les pays de droit civil, d’« instrumentum » (forme) par opposition au « negotium » (fond). À la lecture de cette disposition dans son contexte, on peut donc douter que ses rédacteurs aient voulu, par le simple emploi de l’article indéfini, exclure la possibilité qu’une telle décision puisse prendre la forme de deux actes séparés.

174. Il est également difficile de comprendre comment la scission d’une décision portant autorisation de conclure un accord international en deux actes distincts pourrait violer l’article 17, paragraphe 2, TUE ou l’article 293 TFUE. Si ces deux dispositions ne portent que sur la procédure législative (163), la place qu’occupe l’article 218 dans le traité FUE – cet article figure dans la cinquième partie (consacrée à l’action extérieure de l’Union) sous le titre V, et non, comme la procédure législative, dans la sixième partie, sous le titre I, chapitre 2, section 2 – et son contenu montrent que la procédure de conclusion d’accords internationaux est spécifique et spéciale. En effet, non seulement les différentes institutions ne disposent pas des mêmes prérogatives dans chacune de ces procédures, mais la terminologie utilisée dans les traités n’est pas non plus identique. Par exemple, l’article 218, paragraphe 3, TFUE prévoit que, en ce qui concerne la signature d’un accord international, la procédure commence par une « recommandation », tandis que l’article 294, paragraphe 2, TFUE indique que la procédure législative commence par une « proposition » (164).

175. En outre, même à considérer qu’une de ces dispositions pourrait établir une exigence formelle, il ne me semble pas que celle-ci pourrait être perçue comme étant « substantielle » au sens de l’article 263 TFUE.

176. Dans ce contexte, la seule règle, ou le seul principe, susceptible de constituer une exigence de procédure ou de forme substantielle – qui pourrait dès lors faire obstacle à ce que le Conseil scinde la décision portant conclusion d’un accord international en deux actes distincts – est celle relative au respect des prérogatives des autres institutions et des États membres et des règles de vote applicables (165) puisque ces règles ne sont pas à la disposition des institutions elles-mêmes (166).

177. Ainsi, la Cour a considéré, dans l’arrêt Commission/Conseil (167), que le Conseil et les représentants des gouvernements des États membres ne peuvent pas fusionner un acte autorisant la signature d’un accord entre l’Union et des pays tiers ou des organisations internationales et un acte relatif à l’application provisoire de cet accord par les États membres en un seul acte. Comme la Cour l’a relevé, cela s’explique par le fait que les États membres ne sont pas compétents pour adopter la première de ces décisions tandis que le Conseil n’a, en sa qualité d’institution de l’Union, aucun rôle à jouer dans l’adoption de l’acte relatif à l’application provisoire d’un accord mixte par les États membres. Ce dernier acte continue à relever du droit interne de chacun de ces États (168). La Cour a en outre indiqué que cette pratique pourrait avoir des conséquences sur les règles de vote appliquées puisque le premier aurait dû être adopté, conformément à l’article 218, paragraphe 8, TFUE, par le Conseil à la majorité qualifiée alors que l’application provisoire d’un accord mixte par les États membres implique, en tant que matière relevant du droit interne de chacun de ces États, un consensus, et donc l’accord unanime, des représentants de ces derniers (169).

178. En l’espèce, toutefois, la conclusion de la convention d’Istanbul par deux décisions au lieu d’une seule ne semble pas être de nature à soulever des préoccupations similaires à celles que la Cour a identifiées dans l’arrêt susmentionné.

179. En premier lieu, il est constant que, quel que soit le nombre de décisions adoptées, leur adoption relèvera de la compétence de l’Union.

180. En second lieu, s’agissant des règles de vote, il y a lieu de noter que le fait de scinder une décision en deux actes séparés pourrait entacher d’un vice la conclusion d’un accord international si la première décision devait être adoptée selon une certaine règle de vote et si la seconde devait l’être en vertu d’une autre règle de vote alors que, si un seul acte avait été adopté, une seule règle de vote aurait été appliquée (170). Toutefois, en l’espèce, pour les raisons que j’ai exposées dans le cadre de l’examen de la recevabilité, toutes les bases juridiques concernées conduisent à l’application de la même procédure.

181. Il est vrai qu’il découle de la réponse à la première question, sous a), que la signature par l’Union et, si elle était décidée, la conclusion de la convention d’Istanbul impliquaient et impliquent que l’Union exerce certaines compétences relevant de la troisième partie, titre V, du traité FUE. Il convient dès lors de considérer que l’adoption de la décision autorisant la conclusion, par l’Union, de cette convention, telle que l’envisage le Parlement, relève de compétences de l’Union visées par les protocoles no 21 et no 22. Toutefois, contrairement à ce que soutient le Parlement, la division de la conclusion de cette convention en deux actes séparés aura pour effet de respecter les règles de vote applicables et la position particulière de l’Irlande que garantit le protocole no 21, plutôt que de les enfreindre (171).

182. À cet égard, évidemment, il est nécessaire d’adopter deux décisions lorsqu’un acte poursuit plusieurs buts, ou a plusieurs composantes, sans que l’un d’eux soit accessoire par rapport à l’autre, et que ces différentes bases sont incompatibles parce qu’elles requièrent d’appliquer des règles de vote différentes (172). Toutefois, selon moi, il est également vrai que l’adoption d’actes séparés est requise lorsqu’un acte inclut à la fois des composantes qui peuvent, au moins en partie, relever du champ d’application des protocoles no 21 et no 22 et d’autres composantes qui n’en relèvent pas. En effet, en raison du protocole no 21, l’Irlande ne participe pas à l’adoption par le Conseil de mesures proposées au titre de la troisième partie, titre V, du traité FUE, à moins que cet État membre n’exprime sa volonté d’y participer (173). Conformément au protocole no 22, le Royaume de Danemark ne participe pas à l’adoption par le Conseil de mesures proposées relevant de la troisième partie, titre V, du traité FUE, lesquelles ne le lient pas, à moins que, après leur adoption, il ne décide de les mettre en œuvre (174).

183. Étant donné que le Royaume de Danemark ne participe pas à l’adoption par le Conseil des mesures relevant de la troisième partie, titre V, du traité FUE et que l’Irlande n’y participe que si elle exprime son intention de le faire, à chaque fois qu’un acte de l’Union doit être adopté sur le fondement de plusieurs bases juridiques, dont certaines relèvent de la troisième partie, titre V, du traité FUE et d’autres dispositions de ce traité, il pourrait être nécessaire de scinder cet acte en plusieurs décisions.

184. En l’espèce, les compétences qui doivent être exercées ou dont l’exercice est envisagé relèvent cependant toutes de la troisième partie, titre V, du traité FUE. Par conséquent, le Royaume de Danemark ne sera lié par aucune de ces décisions et ne participera pas aux votes en vue de l’adoption de ces deux décisions. Le protocole no 22 n’est donc pas susceptible de modifier les règles de vote applicables.

185. En ce qui concerne la situation de l’Irlande, le Parlement considère que, dans la mesure où l’accord serait largement couvert par des règles communes que l’Irlande aurait acceptées, cet État membre serait nécessairement lié par le futur accord et, par conséquent, obligé de participer au vote.

186. Comme je l’ai déjà indiqué, je ne partage pas cette position. Non seulement il ressort de la réponse à la première question que le droit dérivé de l’Union ne couvre pas totalement les domaines correspondant aux compétences que l’Union sera obligée d’exercer afin de conclure la convention ni les composantes évoquées par le Parlement dans sa demande, mais j’estime que le fait que l’Irlande ait déjà accepté de participer à certains éléments du droit de l’Union ne l’oblige pas à faire de même pour la conclusion d’un accord international qui aurait le même objet. Ceci découle selon moi de l’article 4 bis du protocole no 21 qui prévoit que les dispositions de ce protocole « s’appliquent [...] également aux mesures proposées ou adoptées en vertu du titre V de la troisième partie du traité [FUE] qui modifient une mesure existante contraignante à leur égard » (175). Dès lors, dans la mesure où la conclusion de la convention d’Istanbul pourrait affecter certaines mesures existantes en matière d’asile, ainsi qu’il a été constaté lors de l’examen de la première question, sous a), il semble clair que l’Irlande pourrait, en vertu du protocole no 21, décider de ne pas être liée par la décision portant autorisation de conclure la convention d’Istanbul et qu’elle pourrait donc ne pas participer au vote sur cette question.

187. Certes, dans l’avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), la Cour a considéré que l’application des protocoles no 21 et no 22 n’a pas d’incidence sur les règles de vote au sein du Conseil (176). Cependant, ce raisonnement doit être compris en référence aux circonstances de l’espèce. En effet, dans cette affaire, l’Irlande et le Royaume-Uni avaient notifié leur souhait de participer à l’adoption de la décision concernée de sorte que, conformément à l’article 3 du protocole no 21, il n’était pas nécessaire d’appliquer les règles de vote visées à l’article 1er de ce protocole. En ce qui concerne le protocole no 22, la Cour a considéré, en substance, que compte tenu du contenu de l’accord envisagé, le Royaume de Danemark ne serait pas lié par les dispositions de cet accord et que, par conséquent, quelle que soit la base juridique adoptée, il ne participerait pas à l’adoption de cette décision (177).

188. On peut relever ici que, contrairement aux arguments avancés par la Commission durant l’audience, le fait que l’Union dispose d’une compétence exclusive dans cette situation en vertu de l’article 3, paragraphe 2, TFUE ne saurait avoir pour effet d’exclure l’application du protocole no 21. En effet, si tel était le cas, l’article 4 bis du protocole no 21 serait privé de toute signification réelle puisque cette disposition a, selon moi, précisément pour objet de préciser que le protocole s’applique également lorsque l’Union a une compétence exclusive parce que la mesure envisagée est susceptible de modifier des actes législatifs existants.

189. Même pour les dispositions de la convention d’Istanbul qui ne modifient pas une mesure existante, je suis d’avis que l’accord de l’Irlande reste nécessaire. Bien que l’article 4 bis du protocole no 21 fasse référence à une mesure ayant pour effet de modifier une mesure existante, il n’en demeure pas moins – comme le souligne l’emploi du terme « également » – que même lorsqu’une mesure ne modifiera pas un acte existant, l’article 1er du protocole s’applique dès que la mesure envisagée contient des dispositions relevant du titre V de la troisième partie du traité FUE.

190. Il est bien sûr exact que pour autant que l’Irlande ait accepté d’être liée par certains actes de droit de l’Union, elle ne saurait ensuite conclure une convention ou un accord international qui compromettrait l’efficacité de ces mêmes actes. L’inverse n’est cependant pas vrai. Le fait qu’elle ait accepté d’être liée par des instruments de droit de l’Union ne signifie pas que l’Irlande serait obligée de participer à l’adoption d’un acte portant conclusion d’une convention relative au domaine couvert par la troisième partie, titre V, du traité FUE. Une telle conclusion serait contraire au libellé clair du protocole no 21.

191. S’il est manifeste que l’entrée en vigueur de la convention d’Istanbul à l’égard de l’Union aura une incidence sur le droit de l’Union en matière d’asile, par l’effet du protocole no 21, vu sous l’angle du droit de l’Union, l’Irlande ne sera pas liée par cette convention pour ce qui concerne toutes les compétences exercées au moment de la conclusion de cette convention à moins qu’elle ne manifeste également son intention d’être ainsi liée. Par conséquent, si l’Irlande n’accepte d’être liée par la décision de l’Union d’autoriser la conclusion de la convention d’Istanbul qu’au regard de certaines dispositions de cette convention, l’adoption de deux décisions est requise.

192. En outre, le fait que l’Irlande ait déjà conclu la convention d’Istanbul ne me paraît pas de nature à remettre en question l’analyse qui précède (178). Cela s’explique par le fait que les conséquences de cette conclusion ne sont pas les mêmes si l’Irlande accepte d’être liée par la décision de l’Union de conclure cette convention. En particulier, si l’Irlande accepte d’être liée par l’adhésion de l’Union à la convention, cela aura pour conséquence, d’une part, que si jamais cet État membre devait dénoncer la convention conformément à son article 80, il resterait lié en ce qui concerne les matières relevant de la compétence de l’Union. D’autre part, cet État membre pourrait ne pas souhaiter être lié par la décision que doit prendre l’Union dans la mesure où, selon la portée de cette adhésion, la décision pourrait neutraliser les réserves qu’il aurait exprimées.

193. Dans ces circonstances, en fonction des intentions de l’Irlande, non seulement l’adoption de deux décisions serait valide, mais cette approche pourrait être adéquate, elle pourrait même être juridiquement nécessaire.

194. Je propose donc à la Cour de répondre au Parlement que la conclusion de la convention d’Istanbul par l’Union au moyen de deux actes séparés n’est pas de nature à invalider ces actes.

VI.    Sur la seconde question

195. Par sa seconde question, le Parlement demande si la décision de l’Union de conclure la convention d’Istanbul serait valable si elle était adoptée en l’absence d’un commun accord de tous les États membres portant sur leur consentement à être liés par cette convention.

196. À cet égard, le Parlement reconnaît qu’il est important d’assurer une coopération étroite entre les États membres et les institutions de l’Union dans le processus de négociation et de conclusion, et dans l’exécution d’un accord international. Il considère toutefois que le fait que le Conseil attende que tous les États membres aient conclu cet accord avant que l’Union ne le fasse (une pratique qu’il qualifie de pratique du « commun accord ») va au-delà de cette coopération. Il soutient que, en pratique, cela reviendrait à exiger l’unanimité au sein du Conseil pour adopter un accord international en dépit de l’existence de la règle de la majorité qualifiée. De plus, une telle pratique reviendrait à transformer la décision autorisant la conclusion d’un accord international par l’Union en un acte hybride.

197. À l’audience, le Conseil a semblé reconnaître que, dans le cas d’un accord mixte, sa pratique générale consiste le plus souvent à attendre que les États membres aient conclu ledit accord (ou, tout au moins, qu’ils aient confirmé qu’ils le concluront) avant de mettre au vote la décision autorisant l’Union à conclure cet accord. Le Conseil soutient toutefois qu’il ne se considère pas lié par cette pratique, mais qu’une telle position d’attente serait justifiée s’agissant de la conclusion de la convention d’Istanbul.

198. Dans ce contexte, il y a lieu avant tout de rappeler que lorsque l’Union décide d’exercer ses compétences, un tel exercice doit se faire dans le respect du droit international (179).

199. En droit international, la signature d’un accord international par une entité n’exprime pas, en principe, son consentement à être liée et ne l’engage pas, en principe, à conclure ledit accord ni même à entamer sa propre procédure constitutionnelle (en demandant, par exemple, l’approbation législative ou parlementaire adéquate) en vue d’autoriser cette conclusion. La seule obligation incombant aux parties signataires figure à l’article 18 de la convention de Vienne (180) et leur impose notamment d’agir de bonne foi et de s’abstenir d’actes qui priveraient l’accord de son objet ou de son but.

200. Du point de vue du droit de l’Union, sauf s’il en est disposé autrement, les institutions ne sont pas obligées d’adopter un acte de portée générale. Elles ne sont pas non plus obligées de le faire dans un certain délai. S’agissant de la conclusion d’un accord international, puisque les traités ne fixent pas le délai dans lequel le Conseil doit adopter une décision à cet égard et que cette institution dispose, à mon sens, d’une large marge d’appréciation pour prendre cette décision (181) – même lorsque l’Union a déjà signé l’accord –, j’estime que le Conseil peut reporter sa décision aussi longtemps qu’il l’estime nécessaire pour prendre une décision en connaissance de cause.

201. Contrairement à ce qu’affirme le Parlement, attendre que tous les États membres aient conclu l’accord mixte en cause ne revient pas à modifier les règles régissant la décision autorisant l’Union à conclure cet accord et ne fait pas de la décision qui sera prise un acte hybride. En effet, cette manière d’agir n’implique pas que, si un État membre décidait en fin de compte de ne pas conclure cet accord, l’Union ne le conclurait pas. Dès lors, une telle pratique n’équivaut pas à fusionner la procédure nationale de conclusion d’un accord international avec la procédure prévue à l’article 218 TFUE.

202. En fait, même s’il n’appartient pas à la Cour de statuer sur la pertinence de cette pratique, celle-ci semble tout à fait légitime. Comme je l’ai déjà expliqué, une fois que l’Union et les États membres ont conclu un accord mixte, ils sont, du point de vue du droit international, conjointement responsables de toute inexécution injustifiée de l’accord (182). En ce qui concerne la convention d’Istanbul, plusieurs États membres ont fait savoir qu’ils rencontrent de sérieuses difficultés pour la conclure au niveau national.

203. Certes, lorsque l’Union entend conclure un accord mixte, les États membres ont des obligations tant dans le processus de négociation et de conclusion que dans l’exécution des engagements assumés qui découlent de l’exigence d’une unité de représentation internationale de l’Union (183). Ces obligations n’impliquent cependant pas que les États membres sont tenus de conclure un tel accord. Une telle approche serait en effet contraire au principe de répartition des compétences énoncé à l’article 4, paragraphe 1, TUE.

204. Dans ce genre de situation, il peut être établi de manière autonome, tout au plus, un devoir d’abstention (184). En tout état de cause, puisque le devoir de coopération loyale joue également en faveur des États membres (185), l’Union ne saurait s’appuyer sur celui-ci pour les obliger à conclure un accord international.

205. Dans ce contexte, la conclusion par l’Union d’un accord mixte peut donc avoir pour effet de la rendre responsable en vertu du droit international du comportement de certains États membres même lorsque ceux-ci agissent dans le cadre de leurs compétences exclusives. C’est la conséquence inexorable de la répartition des compétences en vertu du droit constitutionnel interne de l’Union.

206. En ce qui concerne le cas d’espèce, il est admis que, pour conclure la convention d’Istanbul, l’Union n’exercera pas certaines compétences partagées, en particulier celle relative à la lutte contre la discrimination fondée sur le genre. En conséquence, un grand nombre d’obligations prévues par cette convention relèveront de la compétence des États membres. Plusieurs États membres ont fait savoir qu’ils rencontrent des difficultés sérieuses en ce qui concerne la conclusion au niveau national. Tout ceci signifie que le Conseil est en droit d’adopter une approche circonspecte et prudente à l’égard de la conclusion de cette convention.

207. À cet égard, il a parfois été soutenu que, juridiquement, il ne serait pas acceptable que le Conseil attende le « commun accord » des États membres pour conclure un accord mixte, puisque l’Union pourrait résoudre toutes les difficultés rencontrées en exprimant simplement une réserve relative à la répartition des compétences entre l’Union et les États membres. Dans le cas particulier de la convention d’Istanbul, son article 78, paragraphe 1, prévoit toutefois qu’aucune réserve n’est admise, à l’exception de celles prévues à l’article 78, paragraphes 2 et 3. Or, aucune de ces deux dispositions ne prévoit que l’Union puisse procéder, au moyen d’une réserve, à une déclaration de compétence.

208. Plusieurs parties à la procédure ont néanmoins soutenu que, nonobstant les dispositions de la convention, l’Union pourrait procéder à une déclaration de compétence, invoquant le fait que cela ne constituerait pas une réserve au sens du droit international. Selon ces parties, en effet, une telle déclaration de compétence ne constitue pas une réserve parce qu’elle poursuit un but différent. Elles indiquent qu’une déclaration reflète simplement une situation juridique objective, à savoir le fait qu’une partie à un accord international ne dispose pas d’une pleine capacité de le conclure, alors qu’une réserve reflète le choix subjectif d’une partie de ne pas adhérer à la totalité de l’accord en question. Il serait dès lors possible de procéder à une déclaration même si l’accord en question exclut les réserves.

209. Je ne souscris toutefois pas à cette position. Il ressort clairement de l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la convention de Vienne (186) qu’une réserve s’entend d’une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un État quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet État (187).

210. Il semblerait donc que, selon le droit international, l’objectif que poursuit une déclaration ne soit pas pertinent pour déterminer si elle doit ou non être traitée comme une réserve. La seule question qui se pose est celle de savoir si la déclaration en cause a pour fonction d’écarter ou de modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité (188).

211. Dans ce contexte, il faut rappeler que l’un des principaux principes régissant les traités internationaux, énoncé à l’article 27 de la convention de Vienne – ainsi qu’à l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales du 21 mars 1986 (189) –, veut qu’une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité. Or, tel serait précisément l’objectif poursuivi par une déclaration de compétence si elle avait pour but de limiter la responsabilité encourue par l’Union en cas de non-exécution d’un accord mixte par un État membre (190). Elle devrait donc être considérée comme étant une « réserve » au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la convention de Vienne.

212. Il en découle que, au regard du droit international, une déclaration relative à la répartition des compétences entre une organisation internationale et ses membres constitue une réserve (191) et qu’elle ne peut donc être effectuée que lorsqu’une disposition de l’accord en question l’autorise comme c’était le cas, par exemple, de l’article 2 de l’annexe IX de la convention des Nations unies sur le droit de la mer qui fait l’objet de l’arrêt Commission/Irlande (192).

213. En pratique, de nombreuses conventions auxquelles participe l’Union prévoient la possibilité de formuler des réserves ou même imposent aux organisations internationales qui les concluent de faire une déclaration de compétence (193). L’exemple le plus connu de convention prévoyant une telle obligation est l’article 2 de l’annexe IX à la convention des Nations unies sur le droit de la mer (194).

214. Toutefois, puisque la convention d’Istanbul ne permet pas aux parties de formuler des réserves en matière de règles de compétence, toute déclaration de l’Union portant sur cette question pourrait être considérée comme étant dépourvue de tout effet juridique au regard du droit international. D’ailleurs, lors de l’audience qui s’est tenue le 6 octobre 2020, la Commission a commencé par évoquer la possibilité de recourir à une déclaration de compétence. Toutefois, pressée de répondre sur ce point, elle a finalement admis que, du point de vue du droit international, une telle déclaration serait dépourvue de toute valeur juridique et n’aurait qu’une simple valeur informative (195).

215. On ne peut que (respectueusement) considérer qu’une telle approche n’est pas satisfaisante. Non seulement une telle déclaration serait dépourvue de pertinence du point de vue du droit international, mais, sous cet angle, on pourrait également considérer qu’elle est susceptible d’induire en erreur. J’estime dès lors que l’Union devrait s’abstenir de formuler une déclaration de compétence lorsque l’accord en question ne permet pas de formuler des réserves (196).

216. Dans le même ordre d’idées, on pourrait observer qu’il serait vain d’attendre dans la mesure où l’article 77 de la convention d’Istanbul dispose que tout État ou l’Union peut, au moment de la signature ou au moment du dépôt de son instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion, désigner le ou les territoires auxquels s’appliquera la présente convention. Il me semble pourtant qu’il ne serait pas vraiment possible que l’Union ait recours à cette disposition afin de limiter la responsabilité de l’Union pour deux raisons essentielles. Premièrement, toute tentative de limiter le champ d’application territorial de l’accord à certains États membres irait à l’encontre de l’unité fondamentale du droit de l’Union au sein de l’Union et du principe d’égalité de traitement. Les dérogations à cette unité fondamentale et à la cohésion du droit de l’Union sont en principe expressément prévues au niveau des traités, comme en témoignent amplement à leur manière les protocoles no 20, no 21 et no 32. Deuxièmement, l’article 77 de la convention d’Istanbul ne pourrait être mis en œuvre en pratique qu’une fois la position de tous les États membres connue. Par conséquent, même s’il fallait considérer qu’il est effectivement possible de recourir à cette disposition, de très sérieuses raisons pratiques et juridiques viennent conforter la pratique du « commun accord ».

217. Enfin, le fait que la convention en question ait été adoptée sous le patronage du Conseil de l’Europe – qui est parfaitement conscient de la complexité des règles régissant la répartition des compétences entre les États membres et l’Union – ne justifierait pas que l’Union écarte les règles du droit international si elle devait conclure cette convention. D’une part, les règles du droit international s’appliquent à tous les traités internationaux, sans exception. D’autre part, il ressort clairement du libellé de la convention d’Istanbul que ses rédacteurs avaient à l’esprit la situation particulière de l’Union lorsqu’ils l’ont rédigée, mais qu’ils ont – sans doute délibérément – exclu la possibilité de formuler des réserves en matière de compétence (197).

218. Dans ce contexte, non seulement l’Union n’a pas l’obligation immédiate de conclure la convention dans un certain délai, mais, comme je viens de l’expliquer, de sérieuses raisons pratiques justifient qu’elle attende que les États membres la concluent. En effet, si un ou plusieurs États membres refusaient de conclure la convention d’Istanbul, le Conseil pourrait décider que l’Union devrait exercer plus de compétences partagées qu’il ne l’envisageait initialement afin de réduire la portée de l’adhésion relevant de la compétence des États membres (198).

219. Dans le cas de la convention d’Istanbul, cette approche semble particulièrement pertinente puisque le Conseil et le Parlement pourraient déduire des difficultés rencontrées par certains États membres pour conclure cette convention l’existence d’une nécessité particulière de lutter contre certains comportements, au sens de l’article 83, paragraphe 1, TFUE, ce qui les autoriserait, en vertu du troisième alinéa de cet article, à étendre la compétence partagée dans certains domaines du droit pénal.

220. Cela étant, même s’il a critiqué le délai de conclusion de la convention d’Istanbul dans sa demande au titre de l’article 218 TFUE, le Parlement a toutefois formulé sa question de telle manière qu’elle porte sur le point de savoir si la décision de conclure la convention d’Istanbul serait valable si elle était adoptée sans attendre le commun accord des États membres à être liés par cette convention.

221. À cet égard, la Cour a déjà souligné que les difficultés qui pourraient surgir dans la gestion des accords concernés ne constituent pas un critère sur le fondement duquel la validité de la décision d’autoriser la conclusion d’un accord pourrait être appréciée (199).

222. En conséquence, je ne crois pas que le Conseil soit tenu d’attendre que les États membres lui aient confirmé ce qu’ils allaient conclure pour autoriser l’Union à conclure un tel accord (200). Premièrement, les traités ne l’y obligent pas. Deuxièmement, alors que l’Union et les États membres doivent assurer l’unité de leur représentation internationale, comme indiqué, l’Union doit également veiller à ce que les compétences des États membres soient respectées. De plus, le fait qu’un État membre n’ait pas conclu un traité ne fait pas obstacle à ce que celui-ci respecte le principe du droit de l’Union de l’unité de la représentation internationale dans la mesure où cela requiert uniquement que ledit État s’abstienne d’actes manifestement contraires aux positions adoptées par l’Union.

223. Tout ceci me porte à conclure que le Conseil n’est ni tenu d’attendre le commun accord des États membres ni obligé de conclure un accord international, tel que la convention d’Istanbul, immédiatement après l’avoir signé. Il lui appartient plutôt d’apprécier quelle est la solution la plus appropriée, sur le fondement de facteurs tels que le risque de non-exécution injustifiée de l’accord mixte en question par un État membre ou la possibilité d’obtenir la majorité nécessaire en son sein pour exercer seul toutes les compétences partagées concernées par ledit accord.

224. Enfin, même si cela n’est pas nécessaire, je propose d’examiner la situation évoquée au cours de l’audience, à savoir celle qui pourrait se produire si un État membre dénonçait cette convention après que les États membres et l’Union l’ont conclue.

225. Dans ce cas, même si le devoir de coopération loyale oblige indubitablement l’État membre concerné à informer préalablement l’Union, il ne saurait aller jusqu’à empêcher cet État de se retirer d’un accord international. En effet, le principe d’attribution des compétences a pour conséquence logique et inévitable qu’un État membre peut se retirer d’un accord mixte du moment qu’une partie de cet accord relève toujours de la compétence des États, soit parce que l’Union n’a pas préempté toutes les compétences partagées, soit parce que certaines parties de l’accord relèvent de la compétence exclusive des États membres. Cette possibilité n’obligerait cependant pas l’Union à se retirer également de l’accord. À nouveau, selon moi, il revient simplement au Conseil de mettre en balance l’importance de l’accord en question et les risques générés par sa conclusion imparfaite par l’Union et les États membres.

226. C’est pourquoi je propose de répondre à la seconde question en indiquant avant tout que la décision de l’Union de conclure la convention d’Istanbul serait compatible avec les traités si elle était adoptée en l’absence du commun accord de tous les États membres portant sur leur consentement à être liés par cette convention. Elle serait toutefois également compatible avec les traités si elle était adoptée seulement après qu’un tel commun accord a été constaté. Seul le Conseil peut décider laquelle de ces deux solutions est préférable.

VII. Conclusion

227. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions du Parlement de la manière suivante :

Si les intentions du Conseil concernant l’étendue des compétences partagées à exercer dans le cadre de la conclusion de la convention d’Istanbul demeurent inchangées, la décision en autorisant la conclusion au nom de l’Union devrait se fonder sur l’article 78, paragraphe 2, l’article 82, paragraphe 2, l’article 84 et l’article 336 TFUE comme base juridique matérielle.

La conclusion de la convention d’Istanbul au moyen de deux actes séparés n’est pas de nature à invalider ces actes.

La décision de l’Union de conclure la convention d’Istanbul serait compatible avec les traités si elle était adoptée en l’absence du commun accord de tous les États membres portant sur leur consentement à être liés par cette convention.En outre, elle serait, toutefois, également compatible avec les traités si elle était adoptée seulement après qu’un tel commun accord a été constaté. Seul le Conseil peut décider laquelle de ces deux solutions est préférable.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Selon le Conseil de l’Union européenne, cela s’explique par le fait que la Commission européenne n’a jamais présenté au Conseil une recommandation de décision du Conseil en vue de l’ouverture de négociations et de l’autorisation de la Commission à mener des négociations au nom de l’Union.


3      Pour un aperçu plus détaillé du contexte dans lequel cette convention a été adoptée, voir le Rapport explicatif de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, Série des traités du Conseil de l’Europe, no 210.


4      En droit international, la signature d’un accord international équivaut à une forme d’approbation préliminaire. Elle ne crée pas d’obligation juridiquement contraignante, mais indique que la partie concernée a l’intention d’adhérer à l’accord. Bien que cette signature ne constitue pas une promesse de conclusion, elle engage la partie signataire à s’abstenir de tout acte contraire aux buts et aux finalités de l’accord.


5      Au moment où la demande d’avis a été présentée, 21 États membres avaient conclu la convention d’Istanbul. Toutefois, dans deux États membres au moins, la République de Bulgarie et la République slovaque, la procédure de conclusion avait été suspendue. En ce qui concerne la République de Bulgarie, la suspension résulte d’une décision du Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle, Bulgarie) qui a estimé que la convention d’Istanbul et la Constitution de cet État membre étaient incompatibles. En République slovaque, le Národná rada Slovenskej republiky (Conseil national de la République slovaque, Slovaquie) a voté à une large majorité contre cette conclusion.


6      La procédure figurait déjà dans le traité instituant la Communauté économique européenne (de 1957), ce qui est peut-être surprenant compte tenu des compétences limitées en matière de conclusion de traités expressément reconnues à la Communauté économique européenne à l’époque. Voir Cremona, M., « Opinions of the Court of Justice », dans Ruiz Fabri, H. (éd.), Max Planck Encyclopedia of International Procedural Law (MPEiPro), OUP, Oxford, disponible en ligne, point 2.


7      Voir, par exemple, arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil (C‑658/11, EU:C:2014:2025, point 52).


8      Cremona, M., « Opinions of the Court of Justice », dans Ruiz Fabri, H. (éd.), Max Planck Encyclopedia of International Procedural Law (MPEiPro), OUP, Oxford, disponible sur Internet, point 3.


9      Cremona, M., « Opinions of the Court of Justice », dans Ruiz Fabri, H. (éd.), Max Planck Encyclopedia of International Procedural Law (MPEiPro), OUP, Oxford, disponible sur Internet, point 3.


10      Avis 1/75 (Arrangement OCDE – Norme pour les dépenses locales), du 11 novembre 1975 (EU:C:1975:145, p. 1360‑1361). À cet égard, voir également, avis 2/94 (Adhésion de la Communauté à la CEDH), du 28 mars 1996 (EU:C:1996:140, points 3 à 6), et avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, points 145 et 146).


11      Voir avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592, point 69).


12      Voir, à cet égard, avis 2/91 (Convention no 170 de l’OIT), du 19 mars 1993 (EU:C:1993:106, point 3).


13      En droit international, un accord est conclu par l’échange, le dépôt ou la notification des instruments exprimant l’engagement exprès des parties contractantes. Du point de vue du droit de l’Union, le Conseil adopte, sur la proposition du négociateur, une décision portant conclusion de l’accord. Voir article 218 TFUE et Neframi, E., « Accords internationaux, Compétence et conclusion », Jurisclasseur Fascicule 192‑1, LexisNexis, 2019.


14      Voir, à cet égard, avis 1/13 (Adhésion d’États tiers à la convention de La Haye), du 14 octobre 2014 (EU:C:2014:2303, point 54).


15      La Cour prend parfois en considération des actes distincts de l’accord concerné, mais qui s’y rapportent directement. Voir, à cet égard, avis 1/92 (Accord EEE – II), du 10 avril 1992 (EU:C:1992:189, points 23 à 25).


16      Par conséquent, une demande d’avis peut être présentée à la Cour avant le début des négociations internationales lorsque l’objet de l’accord envisagé est connu. Voir avis 1/09, du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123, point 55).


17      Pour un exemple de ce courant jurisprudentiel dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle, voir arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a. (C‑621/18, EU:C:2018:999, point 28).


18      La Cour est compétente pour se prononcer, dans le cadre de la procédure d’avis, sur la compétence de l’Union pour conclure un accord, sur la procédure à suivre à cette fin, ou sur la compatibilité de cet accord avec les traités. Voir, à cet égard, avis 1/15 (Accord PNR UE‑Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592, points 70 à 72).


19      Avis 1/09, du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123, points 47 et 48).


20      En conséquence, une question portant sur le délai d’adoption de la décision de conclure un accord international ne serait pas recevable au titre de la procédure prévue à l’article 218, paragraphe 11, TFUE puisque, en l’absence de disposition contraire, le délai d’adoption d’une décision ne constitue pas un motif d’annulation. À cet égard, voir ordonnance du 13 décembre 2000, SGA/Commission (C‑39/00 P, EU:C:2000:685, point 44).


21      P. 1361. Mise en italique par mes soins.


22      Points 15 à 17.


23      Voir avis 1/09, du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123, point 49).


24      Voir avis 2/94 (Adhésion de la Communauté à la CEDH), du 28 mars 1996 (EU:C:1996:140, points 20 à 22) ; avis 1/09, du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123, point 49), et avis 2/13, du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, point 147). Puisque, en l’espèce, le contenu de la convention d’Istanbul et ses « caractéristiques essentielles » sont connus, il n’y a aucune raison de déclarer irrecevables les questions posées au seul motif de la date à laquelle ces questions ont été posées au titre de la procédure de l’article 218, paragraphe 11, TFUE. La seule contrainte temporelle réside dans le fait que la procédure de l’article 218, paragraphe 11, TFUE doit être invoquée avant la date à laquelle l’Union conclut l’accord international en cause.


25      C‑188/92, EU:C:1994:90, points 16, 17 et 25.


26      Point 14.


27      Avis 2/00 (Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques), du 6 décembre 2001 (EU:C:2001:664, point 11).


28      Cela supposerait que la pratique en question constitue l’un des motifs de la décision attaquée ou qu’elle se soit concrétisée dans des règles internes, ou que le Conseil y ait fait référence dans une prise de position adoptée dans le cadre d’un recours en carence.


29      En effet, la procédure d’avis a pour finalité de prévenir les complications qui pourraient surgir au niveau international si la décision de conclure un accord international était ultérieurement déclarée invalide. Dès lors, cette « procédure consultative » doit pouvoir porter sur toute question susceptible d’affecter la validité de la décision. Selon moi, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la crédibilité du scénario envisagé puisque, par définition, ce n’est que lorsque la décision portant conclusion est adoptée que les choix procéduraux du Conseil peuvent être connus et reconnus.


30      Voir Adam, S., La procédure d’avis devant la Cour de justice de l’Union européenne, Bruylant, Bruxelles, 2011, p. 166.


31      Avis 1/09, du 8 mars 2011 (EU:C:2011:123, point 53). Avant l’ouverture des négociations en vue de la conclusion d’un accord international, une demande d’avis ne peut porter que sur la compétence de l’Union pour conclure un accord dans le domaine concerné, pour autant que l’objet précis de l’accord envisagé soit déjà connu. Voir, en ce sens, avis 2/94 (Adhésion de la Communauté à la CEDH), du 28 mars 1996 (EU:C:1996:140, points 16 à 18).


32      D’une façon générale, pour autant qu’une demande d’avis soit formulée d’une manière qui répond aux conditions de recevabilité découlant du libellé et des finalités de cette procédure, elle ne saurait être déclarée irrecevable. Voir, à cet égard, avis 3/94 (Accord-cadre sur les bananes), du 13 décembre 1995 (EU:C:1995:436, point 22).


33      Voir, à cet égard, arrêt du 1er octobre 2009, Commission/Conseil (C‑370/07, EU:C:2009:590, point 48). Plus généralement, conformément à la jurisprudence de la Cour, la violation d’une règle de procédure n’entraîne l’annulation de l’acte contesté que si cette règle aurait pu avoir une incidence sur le contenu de l’acte. Voir arrêt du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission (209/78 à 215/78 et 218/78, non publié, EU:C:1980:248, point 47). Il suffit toutefois que cette irrégularité soit susceptible d’avoir une incidence sur la décision pour que cette dernière doive être annulée. Voir, a contrario, arrêt du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C‑142/87, EU:C:1990:125, point 48).


34      Voir, à cet égard, avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592, points 70 et 71).


35      Point 49. Comme la Cour l’a expliqué dans l’avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592, point 71), l’importance constitutionnelle de mentionner les bases juridiques d’un acte découle du fait que, l’Union ne disposant que de compétences d’attribution, cette mention permet de rattacher les actes que l’Union adopte aux dispositions des traités qui l’habilitent effectivement à cette fin.


36      Voir point 51. Il convient toutefois de rappeler que dans l’arrêt du 25 octobre 2017, Commission/Conseil (CMR-15) (C‑687/15, EU:C:2017:803), tout comme dans l’arrêt du 1er octobre 2009, Commission/Conseil (C‑370/07, EU:C:2009:590), dans lesquels la Cour a également invalidé un acte pour une question de base juridique, l’acte concerné ne contenait aucune indication des bases juridiques sur lesquelles il était fondé.


37      Arrêts du 22 octobre 2013, Commission/Conseil (C‑137/12, EU:C:2013:675, point 73), et du 27 février 2014, Royaume-Uni/Conseil (C‑656/11, EU:C:2014:97, point 49).


38      Point 117.


39      Selon moi, l’application de ces protocoles résulte du champ d’application de l’acte concerné et non du choix de sa ou de ses bases juridiques.


40      Même dans le cadre d’un recours en annulation, le caractère opérant ou inopérant d’un moyen fait uniquement référence à sa capacité, s’il est fondé, à entraîner l’annulation demandée par le requérant et n’affecte en rien la recevabilité dudit moyen.


41      Avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592, point 74).


42      Un tel argument ne serait efficace que dans le cadre d’un recours en carence.


43      Arrêt du 4 septembre 2018, Commission/Conseil (Accord avec le Kazakhstan) (C‑244/17, EU:C:2018:662, point 36).


44      Arrêts du 4 septembre 2018, Commission/Conseil (Accord avec le Kazakhstan) (C‑244/17, EU:C:2018:662, point 37), et du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 31). Il est parfois fait référence à cette approche comme étant la « doctrine de l’absorption ». Voir Maresceau, M., « Bilateral Agreements Concluded by the European Community », Recueil des cours de l’Académie de droit international – Collected Courses of the Hague Academy of International Law, vol. 309, Martinus Nijhoff, La Haye, 2006, p. 157. Il convient en substance de considérer que la (ou les) composante(s) principale(s) ou prépondérante(s) absorbe(nt) tous les autres objectifs ou composantes. Voir arrêts du 23 février 1999, Parlement/Conseil (C‑42/97, EU:C:1999:81, point 43) ; du 30 janvier 2001, Espagne/Conseil (C‑36/98, EU:C:2001:64, points 60, 62 et 63), ainsi que, en particulier, du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil (C‑130/10, EU:C:2012:472, points 70 à 74). Voir également les conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Commission/Conseil (C‑94/03, EU:C:2005:308, point 31) et dans l’affaire Parlement/Conseil (C‑155/07, EU:C:2008:368, point 66).


45      Avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592, point 77), et arrêt du 4 septembre 2018, Commission/Conseil (Accord avec le Kazakhstan) (C‑244/17, EU:C:2018:662, point 37). Il ressort de la jurisprudence que le recours à une double base juridique suppose que deux conditions soient réunies, à savoir que, premièrement, l’acte poursuit à la fois plusieurs objectifs ou a plusieurs composantes sans que l’un soit accessoire par rapport à l’autre, de telle sorte que différentes dispositions des traités sont applicables. Deuxièmement, ces objectifs ou composantes sont liés de façon indissociable (implicitement, s’ils ne l’étaient pas, l’acte devrait être scindé).


46      Avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592), point 78).


47      Voir, à cet égard, la note en bas de page 31 de la proposition de décision du Conseil portant signature, au nom de l’Union européenne, de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, préparée par la Commission, COM(2016) 111 final.


48      Voir conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Commission/Conseil (C‑13/07, EU:C:2009:190, point 113).


49      Si, dans une situation hypothétique, c’était le cas, je considère qu’il s’agirait d’un détournement de procédure susceptible d’entraîner l’annulation de la mesure en question.


50      Certes, dans l’avis 1/08 (Accords modifiant les listes d’engagements spécifiques au titre de l’AGCS), du 30 novembre 2009 (EU:C:2009:739), la Cour a affirmé au point 166 que pour déterminer la ou les bases juridiques d’un acte, il n’y a pas lieu de tenir compte de dispositions qui constituent l’accessoire d’une des finalités de cet acte ou qui ne revêtent qu’une portée très limitée. De même, dans l’arrêt du 4 septembre 2018, Commission/Conseil (Accord avec le Kazakhstan) (C‑244/17, EU:C:2018:662, points 45 et 46), la Cour a considéré que les dispositions d’un accord international qui se limitent à des déclarations des parties contractantes sur les buts que doit poursuivre leur coopération, sans déterminer les modalités concrètes de mise en œuvre de ces buts, ne doivent pas être prises en considération pour déterminer la base juridique pertinente. Toutefois, il n’est pas certain qu’il puisse en être déduit que, à l’inverse, il y aurait lieu de considérer que des dispositions qui ne relèvent pas de ce scénario spécifique reflètent une composante ou une finalité principale d’un acte. La Cour a en effet par la suite réitéré sa jurisprudence sur le critère du centre de gravité. Selon moi, le fait que la Cour a pris soin de relever le fait pourtant assez évident que les dispositions accessoires ou de portée très limitée ne doivent pas être prises en considération pour déterminer la base juridique pertinente montre qu’elle effectue désormais une appréciation plus précise qu’auparavant et qu’elle est désormais prête à accepter une pluralité de bases juridiques, sans pour autant renoncer à la position selon laquelle la base juridique d’un acte ne doit pas nécessairement refléter toutes les compétences exercées pour l’adopter ni, partant, toutes ses finalités ou composantes. Voir, notamment, avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592, point 90).


51      Cela non sans un certain paradoxe, puisqu’il ressort de la jurisprudence susmentionnée que la base juridique d’un acte ne reflète qu’une partie des compétences exercées. Voir arrêt du 10 janvier 2006, Commission/Conseil (C‑94/03, EU:C:2006:2, points 35 et 55).


52      Voir également arrêts du 1er octobre 2009, Commission/Conseil (C‑370/07, EU:C:2009:590, point 49), et du 25 octobre 2017, Commission/Conseil (CMR-15) (C‑687/15, EU:C:2017:803, point 58).


53      La seule condition pour que l’Union puisse exercer une compétence partagée est qu’elle le fasse dans le respect du droit international. Voir arrêt du 20 novembre 2018, Commission/Conseil (AMP Antarctique) (C‑626/15 et C‑659/16, EU:C:2018:925, point 127).


54      Voir, à cet égard, arrêts du 10 janvier 2006, Commission/Parlement et Conseil (C‑178/03, EU:C:2006:4, point 57), et du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil (C‑130/10, EU:C:2012:472, point 49).


55      La Cour a conclu que la protection des données des passagers aériens constituait également une composante prépondérante de la décision en question en se fondant sur le fait que le « contenu de l’accord envisagé [...] porte notamment sur la mise en place d’un système composé d’un ensemble de règles censées protéger les données à caractère personnel ». L’emploi du terme « notamment » (mis en italique par mes soins) est assez révélateur en ce sens qu’il laisse entendre que la Cour considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner l’accord en question de manière exhaustive. Avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592, point 89). Voir également, à cet égard, arrêt du 22 octobre 2013, Commission/Conseil (C‑137/12, EU:C:2013:675, points 57 et 58).


56      Arrêt du 25 février 2010, Brita (C‑386/08, EU:C:2010:91, point 42). Voir, en ce qui concerne les rapports entre droit international et droit de l’Union, Malenovský, J., « À la recherche d’une solution inter-systémique aux rapports du droit international au droit de l’Union européenne », Annuaire français de droit international, vol. LXV, CNRS Éditions, 2019, p. 3.


57      Il convient en outre de souligner que l’Union diffère des organisations internationales classiques en ce que la répartition des compétences entre l’Union et les États membres est constamment modifiée, ce qui peut rendre l’analyse de cette répartition des compétences plus difficile du point de vue du droit international.


58      Voir, par exemple, arrêt du 5 décembre 2013, Solvay/Commission (C‑455/11 P, non publié, EU:C:2013:796, point 91).


59      Voir, par exemple, arrêt du 28 juillet 2011, Agrana Zucker (C‑309/10, EU:C:2011:531, points 34 à 36).


60      En fait, dans les arrêts susmentionnés, la Cour semble avoir insisté sur le fait que la base juridique d’un acte pourrait fournir des informations sur les compétences exercées en vue d’écarter deux autres jurisprudences. Premièrement, l’absence de référence à une disposition précise du traité ne constitue pas nécessairement une violation des exigences de procédure fondamentales si les bases juridiques retenues pour adopter une mesure peuvent être déduites de son contenu. Voir arrêts du 1er octobre 2009, Commission/Conseil (C‑370/07, EU:C:2009:590, point 56), et du 18 décembre 2014, Royaume-Uni/Conseil (C‑81/13, EU:C:2014:2449, points 65 à 67). Deuxièmement, comme cela a déjà été rappelé, pour que des irrégularités constatées dans le choix des bases juridiques pertinentes entraînent l’annulation de l’acte en cause, en principe, il faut qu’il soit démontré que ces irrégularités sont susceptibles d’avoir une incidence sur la procédure législative applicable ou sur la compétence de l’Union. Voir, à cet égard, arrêts du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco (C‑491/01, EU:C:2002:741, point 98), et du 11 septembre 2003, Commission/Conseil (C‑211/01, EU:C:2003:452, point 52). Le Tribunal se réfère fréquemment à cette jurisprudence. Voir, par exemple, arrêt du 18 octobre 2011, Reisenthel/OHMI – Dynamic Promotion (Cageots et paniers) (T‑53/10, EU:T:2011:601, point 41).


61      Voir, à cet égard, arrêt du 26 novembre 2014, Parlement et Commission/Conseil (C‑103/12 et C‑165/12, EU:C:2014:2400, point 52). À ce propos, on peut rappeler que, en vertu de l’article 27 de la convention de Vienne, une partie à un accord international ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution du traité.


62      Voir à cet égard, arrêt du 2 mars 1994, Parlement/Conseil (C‑316/91, EU:C:1994:76, points 26 et 29). Voir, par exemple, Marín Durán, G., « Untangling the International Responsibility of the European Union and Its Member States in the World Trade Organization Post-Lisbon : A Competence/Remedy Model », European Journal of International Law, volume 28, no 3, 2017, p. 703 et 704 : « Du point de vue du droit international, tant que l’Union et ses États membres restent parties à l’accord de l’OMC (et à ses autres accords), il est présumé que chacun est lié par toutes les obligations de ces accords et ne peut invoquer des dispositions de droit interne comme justifiant la non-exécution de l’[article 27, paragraphes 1 et 2, de la convention de Vienne sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales] [L]a doctrine majoritaire considère que l’Union et ses États membres sont conjointement liés par l’ensemble des dispositions des accords de l’OMC, et [...] les instances de règlement des différends de l’OMC ont également adopté cette position » (traduction libre).


63      Voir, par exemple, Fry, J. D., « Attribution of Responsibility », dans Nollkaemper, A., et Plakokefalos, I. (éd.), Principles of Shared Responsibility in International Law, Cambridge, CUP, 2014, p. 99 : « [...] en ce qui concerne les accords mixtes entre l’Union et ses États membres qui ne prévoient pas de répartition claire des pouvoirs, les deux parties seront conjointement responsables de toute violation, sans que la responsabilité doive leur être imputée. Cela signifie que l’Union ou les États membres seront tenus pour responsables même si la violation peut être imputée à l’autre » (traduction libre).


64      De plus, il y a lieu de rappeler que la Cour a souligné que l’article 344 TFUE s’oppose à ce qu’un différend relatif aux règles du droit de l’Union régissant la répartition des compétences entre l’Union et les États membres soit soumis à une autre juridiction que la Cour. Voir avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, points 201 et suiv.), ainsi que arrêt du 6 mars 2018, Achmea (C‑284/16, EU:C:2018:158, point 32). Il en découle que lorsqu’elle est impliquée dans un différend international, l’Union ne peut pas s’appuyer sur le fait que la non-exécution injustifiée relèverait de la compétence des États membres afin d’écarter sa responsabilité de droit international à cet égard, puisqu’un tel argument pourrait amener la juridiction internationale saisie à se prononcer sur les règles du droit de l’Union qui régissent la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres.


65      Ce n’est, selon moi, que lorsqu’une réserve à cet égard a été émise ou lorsque le traité prévoit l’obligation pour toute organisation internationale de déclarer l’étendue de ses compétences qu’il peut être fait exception à ce qui précède. En effet, dans ce cas, la juridiction internationale appliquera ladite réserve ou ladite déclaration, sans examiner si celle-ci est ou non conforme aux règles du droit de l’Union régissant la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres, et, dès lors, l’exigence d’une séparation stricte des compétences entre la Cour et la juridiction internationale – un élément que la Cour a souligné dans l’avis 1/17 (Accord ECG UE-Canada), du 30 avril 2019 (EU:C:2019:341, point 111) – sera respectée. C’est précisément pour ces raisons qu’il est en général souhaitable pour l’Union, lorsqu’elle négocie de tels accords, d’insister pour que l’accord international prévoie la possibilité d’une telle réserve. Une partie des difficultés que pose la présente affaire résulte du fait que la convention d’Istanbul a été négociée individuellement par les États membres au niveau du Conseil de l’Europe sans impliquer initialement en rien l’Union. Cela semble avoir eu pour résultat que les rédacteurs de cette convention n’ont tout simplement pas prévu cette possibilité d’exprimer des réserves.


66      Voir, par exemple, Olson, P. M., « Mixity from the Outside : The Perspective of a Treaty Partner », dans Hillion, C., et Koutrakos, P. (éd.), Mixed Agreements Revisited : The EU and its Member States in the World, Hart Publishing, Oxford, 2010, p. 344 : « Si la répartition des compétences peut affecter la manière dont l’Union met en œuvre les dispositions d’un accord mixte, elle ne dicte pas la réponse à la question de la responsabilité sur le plan international » (traduction libre) (mise en italique par mes soins).


67      Voir, à cet égard, avis 2/15 (Accord de libre-échange avec Singapour), du 16 mai 2017 (EU:C:2017:376, point 68).


68      Il faut se rappeler à cet égard que, selon la jurisprudence de la Cour, la décision autorisant l’Union à conclure un accord international ne constitue nullement la confirmation de la décision autorisant la signature de cet accord, voir avis 2/00 (Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques), du 6 décembre 2001 (EU:C:2001:664, point 11).


69      Il me semble qu’autrement la question devrait être considérée comme étant tellement abstraite qu’elle devrait être déclarée irrecevable.


70      Il est clair que la troisième situation visée à l’article 3, paragraphe 2, TFUE présuppose l’exercice de cette compétence. Voir avis 2/92 (Troisième décision révisée de l’OCDE relative au traitement national), du 24 mars 1995 (EU:C:1995:83, point 36), et avis 2/15 (Accord de libre-échange avec Singapour), du 16 mai 2017 (EU:C:2017:376, points 230 à 237).


71      Voir, par exemple, arrêt du 4 septembre 2014, Commission/Conseil (C‑114/12, EU:C:2014:2151, point 68). C’est pourquoi, pour déterminer si l’Union détient une compétence exclusive pour conclure certaines parties d’un accord, il n’est pas nécessaire de tenir compte des actes établissant des programmes de financement ou de coopération puisque de tels actes n’énoncent pas de « règles communes ».


72      Avis 1/13 (Adhésion d’États tiers à la convention de La Haye), du 14 octobre 2014 (EU:C:2014:2303, point 72).


73      Avis 3/15 (Traité de Marrakech sur l’accès aux œuvres publiées), du 14 février 2017 (EU:C:2017:114, point 107). À cet égard, la Cour a considéré, en substance, que les termes « couvert en grande partie par de telles règles » correspondent à ceux par lesquels la Cour, au point 22 de l’arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil (22/70, EU:C:1971:32), a défini la nature des engagements internationaux qu’il est interdit aux États membres de prendre en dehors du cadre des institutions de l’Union, lorsque des règles communes de l’Union ont été arrêtées pour réaliser les buts du traité. Ces termes doivent, par conséquent, être interprétés à la lumière des précisions fournies à leur égard par la Cour dans l’arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil (22/70, EU:C:1971:32) et dans la jurisprudence développée à partir de cet arrêt. Voir arrêt du 4 septembre 2014, Commission/Conseil (C‑114/12, EU:C:2014:2151, points 66 et 67). Voir arrêt du 20 novembre 2018, Commission/Conseil (AMP Antarctique) (C‑626/15 et C‑659/16, EU:C:2018:925, point 111), dans lequel le législateur entend éviter que les États membres puissent, « unilatéralement ou collectivement, contracter avec des États tiers des obligations susceptibles d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée ».


74      Avis 1/13 (Adhésion d’États tiers à la convention de La Haye), du 14 octobre 2014 (EU:C:2014:2303, point 74).


75      Voir, par exemple, avis 1/03 (Nouvelle convention de Lugano), du 7 février 2006 (EU:C:2006:81, points 126, 128 et 133), ou arrêt du 26 novembre 2014, Green Network (C‑66/13, EU:C:2014:2399, point 33). Toutefois, afin de garantir que le principe de la répartition des compétences n’est pas compromis, et pour autant que le résultat de la procédure législative en cours ne puisse être prédit, la prise en considération des perspectives de développement du droit de l’Union doit, selon moi, être comprise, dans ce contexte, comme ne faisant référence qu’aux actes déjà adoptés, mais non encore entrés en vigueur.


76      Sans toutefois tirer aucune conséquence précise de cet argument.


77      Voir arrêts du 4 septembre 2014, Commission/Conseil (C‑114/12, EU:C:2014:2151, point 75), et du 20 novembre 2018, Commission/Conseil (AMP Antarctique) (C‑626/15 et C‑659/16, EU:C:2018:925, point 115).


78      Voir avis 2/94 (Adhésion de la Communauté à la CEDH), du 28 mars 1996 (EU:C:1996:140, point 6).


79      Voir, à cet égard, avis 2/91 (Convention no 170 de l’OIT), du 19 mars 1993 (EU:C:1993:106, points 18 et 21), et arrêt du 4 septembre 2014, Commission/Conseil (C‑114/12, EU:C:2014:2151, point 91).


80      Voir, à cet égard, avis 1/03 (Nouvelle convention de Lugano), du 7 février 2006 (EU:C:2006:81, points 123 et 127), et arrêt du 4 septembre 2014, Commission/Conseil (C‑114/12, EU:C:2014:2151, point 91). Cependant, cette solution ne s’applique pas lorsque les dispositions du droit de l’Union permettent aux États membres de mettre en œuvre, dans un domaine pleinement harmonisé, une exception ou une limitation à une règle harmonisée. Voir avis 3/15 (Traité de Marrakech sur l’accès aux œuvres publiées), du 14 février 2017 (EU:C:2017:114, point 119).


81      Voir, par exemple, l’article 3, paragraphe 5, de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (JO 2003, L 251, p. 12 – cette directive s’applique aux États membres à l’exception du Royaume de Danemark et de l’Irlande). Certaines autres directives prévoient expressément qu’elles s’appliquent sans préjudice des dispositions plus favorables d’un accord international. Voir, par exemple, l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44 – cette directive s’applique aux États membres à l’exception du Royaume de Danemark et de l’Irlande).


82      Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77).


83      Arrêt du 30 juin 2016 (C‑115/15, EU:C:2016:487, point 51).


84      Arrêt du 27 juin 2018 (C‑246/17, EU:C:2018:499, point 55).


85      Au point 28 de l’arrêt du 27 juin 2018, Diallo (C‑246/17, EU:C:2018:499), la Cour a ainsi souligné qu’elle n’est compétente que pour statuer sur l’interprétation des directives visées par les questions préjudicielles.


86      Voir, par analogie, arrêt du 12 décembre 2019, Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal (Regroupement familial – Sœur de réfugié) (C‑519/18, EU:C:2019:1070, point 43). Il est vrai que cette affaire portait sur la directive 2003/86, mais il est intéressant de noter que, au point 42, la Cour s’est expressément référée à l’arrêt du 27 juin 2018, Diallo (C‑246/17, EU:C:2018:499).


87      Arrêt du 30 juin 2016 (C‑115/15, EU:C:2016:487).


88      Arrêt du 27 juin 2018 (C‑246/17, EU:C:2018:499).


89      Voir, à cet égard, la manière dont la conclusion finale de la grande chambre est formulée dans l’arrêt du 18 décembre 2014, M’Bodj (C‑542/13, EU:C:2014:2452, point 49). Cela est d’autant plus vrai que, selon le considérant 15 de la directive 2003/86, les ressortissants de pays tiers peuvent être autorisés à rester sur le territoire des États membres pour des motifs ne relevant pas du champ d’application de cette directive.


90      Voir, par exemple, article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (JO 2003, L 31, p. 18). Cette directive a été abrogée, mais reste applicable à l’Irlande.


91      Voir, par exemple, article 3 de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12). Cette directive a été abrogée, mais reste applicable à l’Irlande. Voir également articles 1er et 4 de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO 2005, L 326, p. 13 – cette directive a été abrogée, mais reste applicable à l’Irlande), article 4 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98 – cette directive s’applique aux États membres à l’exception du Royaume de Danemark et de l’Irlande), article 3 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9 – cette directive a remplacé la directive 2004/83 et s’applique aux États membres à l’exception du Royaume de Danemark et de l’Irlande), article 5 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60 – cette directive s’applique aux États membres, à l’exception du Royaume de Danemark et de l’Irlande), ou article 4 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96 – cette directive a remplacé la directive 2003/9 et s’applique aux États membres à l’exception du Royaume de Danemark et de l’Irlande).


92      Voir, à cet égard, arrêt du 18 décembre 2014, M’Bodj (C‑542/13, EU:C:2014:2452, point 44).


93      Précédemment, article 2, sous c), de la directive 2004/83.


94      Voir également article 10 de la directive 2004/83.


95      Voir articles 4, 5 et 9 de la directive 2008/115, article 21 de la directive 2004/83 et article 21 de la directive 2011/95.


96      J’aimerais souligner à cet égard qu’une telle situation ne serait pas comparable à celle dans laquelle, dans le cadre d’une décision individuelle, l’autorité compétente considère erronément qu’elle se trouve en situation de compétence liée. Si, ce faisant, l’autorité en question entache sa décision d’une erreur de droit justifiant son annulation, c’est parce qu’une norme supérieure lui impose d’exercer son pouvoir d’appréciation afin de tenir compte d’un ou de plusieurs critères juridiques. Toutefois, dans le cas d’une décision autorisant l’Union à conclure une convention internationale, cette dernière ne met en œuvre aucun critère juridique que le Conseil serait tenu d’appliquer pour déterminer la portée des compétences partagées à exercer. Il s’agit d’un pouvoir purement discrétionnaire.


97      Article 3.


98      Article 4.


99      Article 5.


100      Article 6.


101      Article 7.


102      Article 11.


103      Articles 12, 13 et 14.


104      Article 15.


105      Article 16.


106      Article 17.


107      Article 18. L’article 18, paragraphe 5, prévoit que « [l]es parties prennent les mesures adéquates pour garantir une protection consulaire ou autre, et un soutien à leurs ressortissants et aux autres victimes ayant droit à cette protection conformément à leurs obligations découlant du droit international ».


108      Article 19.


109      Articles 20 et 21.


110      Articles 22 à 26.


111      Articles 27 et 28.


112      Articles 29 à 32.


113      Articles 33 à 40.


114      Article 41.


115      Article 42.


116      Article 43.


117      Article 44.


118      Article 45.


119      Article 46.


120      Article 47.


121      Article 48.


122      Article 49.


123      Article 50.


124      Article 51.


125      Articles 52 et 53.


126      Article 54.


127      Article 55.


128      Article 56.


129      Article 57.


130      Article 58.


131      Article 59.


132      Article 60.


133      Article 61.


134      Article 62.


135      Article 63.


136      Article 64.


137      Article 75, paragraphe 1.


138      La convention d’Istanbul est complétée par une annexe définissant les privilèges et immunités dont bénéficient les membres du CAHVIO (et d’autres membres des délégations) pendant les visites dans les pays concernés, effectuées dans l’exercice de leurs fonctions.


139      COM(2016) 111 final.


140      Ainsi que, en ce qui concerne la Banque centrale européenne et la Banque européenne d’investissement, l’article 36 du protocole no 4 sur les statuts du système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne et l’article 11, paragraphe 7, du protocole no 5 sur les statuts de la Banque européenne d’investissement.


141      Voir, sur ce sujet, mais en ce qui concerne la question de savoir si la compétence externe de l’Union pour combattre les discriminations est exclusive, Prechal, S., « The European Union’s Accession to the Istanbul Convention », dans Lenaerts, K., Bonichot, J.-C., Kanninen, H., Naômé, C., Pohjankoski, P. (éd.), An Ever-Changing Union ? Perspectives on the Future of EU Law in Honour of Allan Rosas, Hart Publishing, Oxford, 2019, p. 285 et suiv.


142      Rapport explicatif, point 31.


143      Rapport explicatif, point 40.


144      Directive du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303 p. 16).


145      Directive du Conseil du 13 décembre 2004 mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès des biens et services et la fourniture de biens et services (JO 2004, L 373 p. 37).


146      Directive du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (refonte) (JO 2006, L 204, p. 23).


147      Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 juillet 2010 concernant l’application du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, et abrogeant la directive 86/613/CEE du Conseil (JO 2010, L 180, p. 1).


148      À cet égard, le fait que la déclaration 19 annexée à l’acte final de la conférence intergouvernementale qui a adopté le traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 fasse référence à la nécessité de lutter contre toutes les formes de violence domestique ne me semble pas remettre cette affirmation en question dans la mesure où, à la différence des protocoles et des annexes au traité, cette déclaration n’a qu’une valeur interprétative.


149      L’article 81, paragraphe 1, TFUE ne prévoyant pas de règle de procédure, il faut en déduire que les mesures de rapprochement en question doivent être liées aux objectifs mentionnés dans ces deux dispositions. En particulier, lorsque l’article 81, paragraphe 3, TFUE mentionne le droit de la famille, il ne fait référence qu’à des mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontière (ce qui implique, a contrario, que les questions de droit de la famille qui ne présentent pas une telle dimension demeurent la compétence exclusive des États membres).


150      Directive du Conseil du 27 janvier 2003 visant à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l’établissement de règles minimales communes relatives à l’aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires (JO 2003, L 26, p. 41). Voir article 1er, paragraphe 1, et article 19 de cette directive.


151      Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale (JO 2008, L 136, p. 3).


152      En outre, comme en dispose son article 4, la directive 2008/52 prévoit seulement que les États membres doivent encourager la médiation.


153      Voir, par exemple, les articles 67 à 73 du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).


154      Avis 1/03 (Nouvelle convention de Lugano), du 7 février 2006 (EU:C:2006:81, point 173).


155      Règlement (CEE, Euratom, CECA) no 259/68 du Conseil, du 29 février 1968, fixant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés, et instituant des mesures particulières temporairement applicables aux fonctionnaires de la Commission (JO 1968, L 56, p. 1), modifié en dernier lieu par le règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (JO 2013, L 287, p. 15).


156      À cet égard, on ne saurait exclure que les États membres aient redouté que, si l’Union exerce cette compétence, cela lui confère ensuite la compétence, sur le fondement de l’article 83, paragraphe 2, TFUE, d’agir seule pour ériger en infraction les conduites visées dans ladite convention. Voir, à cet égard, arrêt du 13 septembre 2005, Commission/Conseil (C‑176/03, EU:C:2005:542, point 48).


157      Afin de conserver son effet utile à l’article 83, paragraphe 1, TFUE, j’estime qu’il convient de comprendre la notion de « droits des victimes de la criminalité » en un sens qui exclut la criminalisation de certains comportements.


158      On peut certes observer, en premier lieu, que l’article 54 du chapitre VI de la convention d’Istanbul établit certaines obligations en matière de preuve. En deuxième lieu, les articles 49 à 53 et 56 à 58 du même chapitre tendent à établir certains droits des victimes dans les procédures pénales. En troisième lieu, les dispositions du chapitre IV, tout comme les articles 29 à 32 du chapitre V, énoncent des règles de procédure en faveur des victimes de la criminalité. Il convient toutefois de rappeler que, selon son libellé, l’article 82, paragraphe 2, TFUE confère uniquement à l’Union une compétence pour adopter des mesures concernant « a) l’admissibilité mutuelle des preuves entre les États membres ; b) les droits des personnes dans la procédure pénale ; c) les droits des victimes de la criminalité [...] ». Ces diverses dispositions ne visent cependant pas à faciliter la reconnaissance des décisions judiciaires et il me semble difficile de considérer que la violence à l’égard des femmes constitue une matière pénale ayant une dimension transfrontière, sauf à considérer que tel est le cas pour tout comportement criminel. J’observe à cet égard que dans l’arrêt du 13 juin 2019, Moro (C‑646/17, EU:C:2019:489, points 29 à 37), la Cour a été très attentive à ne pas prendre position sur cette question.


159      Le Conseil pourrait recourir à cette possibilité si un État membre ne ratifiait pas la convention d’Istanbul afin de réduire le risque que l’Union soit tenue pour responsable du non-respect injustifié de cette convention par un État membre. L’article 83, paragraphe 2, TFUE exige bien qu’il soit établi que « le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres en matière pénale s’avère indispensable pour assurer la mise en œuvre efficace d’une politique de l’Union dans un domaine ayant fait l’objet de mesures d’harmonisation ». Cependant, tel sera précisément le cas s’il apparaît qu’un État membre ne met pas en œuvre la convention d’Istanbul ou même qu’il ne la conclut pas. L’Union pourrait par conséquent utiliser cette disposition pour s’octroyer une compétence exclusive sur toutes les dispositions de la convention d’Istanbul visant à criminaliser certains comportements et donc, conformément à la théorie de la succession d’État, assumer seule les obligations découlant de cette convention. Voir également, sur cette question, Prechal, S., « The European Union’s Accession to the Istanbul Convention », dans Lenaerts, K., Bonichot, J.-C., Kanninen, H., Naômé, C. et Pohjankoski, P., (éd.), An Ever-Changing Union ? Perspectives on the Future of EU Law in Honour of Allan Rosas, Hart Publishing, Oxford, 2019, p. 290.


160      Voir, pour un exemple de cumul de bases juridiques, arrêt du 10 janvier 2006, Commission/Conseil (C‑94/03, EU:C:2006:2, point 54).


161      Voir arrêt du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission (209/78 à 215/78 et 218/78, non publié, EU:C:1980:248, point 47). Il suffit toutefois que l’irrégularité soit susceptible d’avoir eu une incidence sur la décision étant donné que le juge de l’Union n’a pas le pouvoir de se substituer à l’administration et qu’il ne peut donc pas apprécier l’incidence concrète de l’irrégularité sur la décision. Voir, par exemple, arrêt du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C‑142/87, EU:C:1990:125, point 48).


162      À cet égard, il convient de souligner que la décision en cause en l’espèce est la décision autorisant la conclusion de la convention d’Istanbul par l’Union. La conclusion de cette convention est, pour sa part, effectuée par un instrument unique, une lettre adressée au dépositaire du traité, ici le Conseil de l’Europe.


163      Voir, à cet égard, arrêt du 14 avril 2015, Conseil/Commission (C‑409/13, EU:C:2015:217, point 71). De plus, l’article 17, paragraphe 2, TUE précise que les actes, notamment législatifs, doivent être adoptés sur proposition de la Commission « sauf dans les cas où les traités en disposent autrement ». Quant à l’article 293 TFUE, il indique qu’il ne s’applique que lorsque « le Conseil statue sur proposition de la Commission ».


164      Même à considérer que la procédure législative serait partiellement applicable, l’article 17, paragraphe 2, TUE prévoit que les actes législatifs doivent être adoptés par l’Union sur proposition de la Commission « sauf dans les cas où les traités en disposent autrement », tandis que, s’agissant de la procédure fixée à l’article 218 TFUE, cet article prévoit que la décision portant conclusion de l’accord est adoptée sur proposition du négociateur, lequel peut ne pas être la Commission. De même, l’article 293 TFUE prévoit qu’il ne s’applique que lorsque « le Conseil statue sur proposition de la Commission ».


165      Arrêt du 25 octobre 2017, Commission/Conseil (CMR-15) (C‑687/15, EU:C:2017:803, point 42).


166      Voir, par exemple, arrêt du 6 mai 2008, Parlement/Conseil (C‑133/06, EU:C:2008:257, point 54).


167      Arrêt du 28 avril 2015 (C‑28/12, EU:C:2015:282.


168      Arrêt du 28 avril 2015, Commission/Conseil (C‑28/12, EU:C:2015:282, points 49 et 50).


169      Arrêt du 28 avril 2015, Commission/Conseil (C‑28/12, EU:C:2015:282, points 51 et 52).


170      Cet argument suppose que les bases juridiques d’un acte puissent ne pas refléter fidèlement les compétences exercées [voir première question, sous a)]. En effet, si ce n’était pas le cas, les bases juridiques indiquées dans la mesure, si elle devait être adoptée sous la forme d’une décision unique, correspondraient à la combinaison des bases juridiques mentionnées dans les deux décisions si ladite mesure était divisée en deux décisions. Par conséquent, soit la procédure était identique, soit, si ces bases juridiques étaient incompatibles, il était nécessaire de scinder la mesure en deux décisions.


171      À cet égard, j’aimerais souligner que l’application de ces protocoles dépend du contenu de l’acte en question et non des bases juridiques retenues. Par conséquent, quelle que soit la réponse de la Cour à la première question, lorsque l’Union entend exercer des pouvoirs visés par ces protocoles, il y a lieu d’en tenir compte.


172      Voir, à cet égard, arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil (C‑658/11, EU:C:2014:2025, point 57).


173      Le Royaume-Uni ayant quitté l’Union, il n’est pas nécessaire d’en tenir compte.


174      En vertu de l’article 4 dudit protocole, le Royaume de Danemark peut décider de transposer la mesure, mais, en tout état de cause, s’il décide de le faire, cette mesure crée uniquement une obligation de droit international entre le Danemark et les autres États membres.


175      Mise en italique par mes soins. Dans ce cas, l’article 4 bis, paragraphe 2, du protocole no 21 prévoit un mécanisme spécifique lorsque la non-participation de l’Irlande est susceptible de rendre la mesure impraticable pour d’autres États membres. Toutefois, même dans ce cas, l’Irlande n’est pas tenue d’appliquer la mesure.


176      Avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592, points 110 et 117).


177      Avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017 (EU:C:2017:592, points 111 et 113).


178      Selon les informations disponibles sur le site Internet du Conseil de l’Europe, l’Irlande a ratifié cette convention le 8 mars 2019.


179      Arrêt du 20 novembre 2018, Commission/Conseil (AMP Antarctique) (C‑626/15 et C‑659/16, EU:C:2018:925, point 127).


180      Note sans objet dans la version en langue française des présentes conclusions.


181      La décision de conclure un accord international peut en effet impliquer de procéder à des choix de nature politique, économique ainsi que sociale, et à hiérarchiser des intérêts divergents ou à effectuer des appréciations complexes. Par conséquent, il y a lieu de reconnaître au Conseil un large pouvoir discrétionnaire en la matière. Voir, par analogie, arrêt du 7 mars 2017, RPO (C‑390/15, EU:C:2017:174, point 54).


182      Voir Cremona, M., « Disconnection Clauses in EU Law and Practice », dans Hillion, C., et Koutrakos, P. (éd.), Mixed Agreements Revisited : The EU and its Member States in the World, Hart Publishing, Oxford, 2010, p. 180. Certes, l’Union européenne est une organisation internationale d’un type particulier dans la mesure où, selon la formule de l’arrêt du 15 juillet 1964, Costa (6/64, EU:C:1964:66, p. 593), elle a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres lors de l’entrée en vigueur du traité et qui s’impose à leur juridiction. Voir également arrêt du 28 avril 2015, Commission/Conseil (C‑28/12, EU:C:2015:282, point 39). Toutefois, comme il ressort clairement de l’arrêt du 20 novembre 2018, Commission/Conseil (AMP Antarctique) (C‑626/15 et C‑659/16, EU:C:2018:925, points 125 à 135), cette circonstance ne saurait conduire à imposer unilatéralement à des pays tiers le respect de ses règles de répartition des compétences.


183      Voir, par exemple, arrêt du 19 mars 1996, Commission/Conseil (C‑25/94, EU:C:1996:114, point 48).


184      Voir, a contrario, arrêt du 20 avril 2010, Commission/Suède (C‑246/07, EU:C:2010:203, point 75).


185      Arrêts du 28 novembre 1991, Luxembourg/Parlement (C‑213/88 et C‑39/89, EU:C:1991:449, point 29), et du 28 avril 2015, Commission/Conseil (C‑28/12, EU:C:2015:282, point 47).


186      Note sans objet dans la version en langue française des présentes conclusions.


187      Le point 1.1 du Guide de la pratique sur les réserves aux traités 2011, adopté par la Commission du droit international durant sa 63e session, en 2011, et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de cette session (A/66/10, point 75) dans l’Annuaire de la Commission du droit international, 2011, vol. II, partie 2, indique également que l’expression « réserve » s’entend d’« une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un État ou par une organisation internationale à la signature, à la ratification, à l’acte de confirmation formelle, à l’acceptation ou à l’approbation d’un traité ou à l’adhésion à celui-ci [...] par laquelle cet État ou cette organisation vise à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet État ou à cette organisation ».


188      La pratique du droit international montre que des déclarations peuvent être assimilées à des réserves lorsqu’elles ont été faites pour remplir la même fonction : voir Edwards Jr., R.W., « Reservations to Treaties », Michigan Journal of International Law, vol. 10, 1989, p. 368. Voir, également à cet égard, Tomuschat, C., « Admissibility and Legal Effects of Reservations to Multilateral Treaties », Heidelberg Journal of International Law, vol. 27, 1967, p. 465, ou Meek, M. R., « International Law : Reservations to Multilateral Agreements », DePaul Law Review, vol. 5, 1955, p. 41.


189      Cette convention n’est cependant pas entrée en vigueur en l’absence de 35 instruments de ratification déposés par les États.


190      En tout état de cause, dans la mesure où l’Union peut, ou non, décider d’exercer certaines des compétences qu’elle partage avec les États membres, on ne saurait considérer qu’une déclaration de l’Union relative à la portée de la compétence qu’elle exerce pour conclure un accord international se fonde sur des considérations objectives.


191      Voir, par exemple, pour une déclaration de compétence par la France dont il a été considéré qu’elle constitue une réserve, tribunal arbitral ad hoc, Délimitation du plateau continental (Royaume-Uni c. France), 54 I.L.R. 6, 18 I.L.M. 397 (30 juin 1977). Voir également Dolmans, J. F. M., « Problems of Mixed Agreements : Division of Powers within the EEC and the Rights of Third States », Asser Instituut, La Haye, 1984, p. 65 et 66.


192      Arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande (C‑459/03, EU:C:2006:345). À cet égard, je ferai remarquer que même si un traité permet de formuler des réserves, une réserve portant sur la répartition des compétences entre l’Union et les États membres ne pourrait avoir qu’un effet limité. En effet, compte tenu du fait que les compétences partagées non exercées peuvent par la suite être préemptées par l’Union, une telle déclaration sera nécessairement temporaire. Dès lors, la formulation de réserves par l’Union dans le but de signaler qu’elle n’a pas exercé certaines compétences partagées doit être considérée comme étant interdite lorsque le traité en question n’autorise pas le retrait des réserves. Autrement, cela reviendrait, pour autant qu’une telle réserve engage l’Union à abandonner définitivement la compétence partagée concernée, à transformer cette compétence en compétence exclusive des États membres, en violation des règles du droit primaire. En outre, même lorsque le traité prévoit la possibilité, voire l’obligation, d’actualiser les déclarations de compétence, il semblerait que l’Union procède rarement à cette actualisation. En effet, selon Odermatt, en 2017, il n’existait qu’un seul exemple de déclarations de compétence mises à jour, à savoir celles effectuées dans le cadre de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Voir Odermatt, J., « The Development of Customary International Law by International Organizations », International and Comparative Law Quarterly, vol. 66(2), 2017, p. 506 et 507.


193      Voir, par exemple, arrêt du 10 décembre 2002, Commission/Conseil (C‑29/99, EU:C:2002:734, point 70). Pour une liste de conventions signées par l’Union et prévoyant l’obligation pour l’Union de formuler une déclaration de compétence, voir Heliskoski, J., « EU Declarations of Competence and International Responsibility » dans Evans, M., et Koutrakos, P. (éd.), The International Responsibility of the European Union : International and European Perspectives, Hart Publishing, Oxford, 2013, p. 201. Les auteurs de cet article n’envisagent que cette hypothèse, voir p. 189.


194      Voir Heliskoski, J., « EU Declarations of Competence and International Responsibility », dans Evans, M., et Koutrakos, P., (éd.) The International Responsibility of the European Union : European and International Perspectives,Hart Publishing, Oxford, 2013, p. 189.


195      On pourrait certes soutenir que, dans la mesure où les pays tiers ont toujours accepté la pratique des déclarations de compétence, celle-ci s’en est trouvée confortée. Toutefois, le caractère incertain de cet argument (dans la mesure où, notamment, il est en contradiction avec la convention de Vienne) milite selon moi en faveur d’une certaine prudence de la part du Conseil.


196      Il est intéressant de noter qu’un nombre croissant d’accords internationaux comportent des clauses d’engagement obligeant les organisations d’intégration économique régionale à déclarer quelles sont les parties de l’accord qui relèvent de leur compétence. Voir Klamert, M., The Principle of Loyalty in EU Law, OUP, Oxford, 2014, p. 195.


197      De même, je ne pense pas qu’on puisse sérieusement soutenir que l’article 78 de la convention d’Istanbul, qui limite la possibilité de formuler des réserves, ne s’applique pas à l’Union au motif que cette dernière n’aurait pas la même nature qu’un État. En effet, l’article 78, paragraphe 2, de cette convention fait expressément référence aux États et à l’Union, ce qui montre que les rédacteurs de la convention d’Istanbul avaient l’intention d’exclure également la possibilité que l’Union formule des réserves.


198      En effet, « la seule circonstance qu’une action de l’Union sur la scène internationale relève d’une compétence partagée entre celle-ci et les États membres n’exclut pas la possibilité que le Conseil recueille en son sein la majorité requise pour que l’Union exerce seule cette compétence externe ». Arrêt du 20 novembre 2018, Commission/Conseil (AMP Antarctique) (C‑626/15 et C‑659/16, EU:C:2018:925, point 126).


199      Voir, à cet égard, avis 1/08 (Accords modifiant les listes d’engagements spécifiques au titre de l’AGCS), du 30 novembre 2009 (EU:C:2009:739, point 127).


200      Par exemple, la convention des Nations unies sur le droit de la mer a été conclue par la Communauté européenne le 1er avril 1998 alors même que le Royaume de Danemark et le Grand-Duché de Luxembourg ne l’avaient pas encore fait.