Language of document : ECLI:EU:T:2010:244

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

18 juin 2010 (*)

« FSE – Suspension d’un concours financier – Lutte contre les discriminations et inégalités en relation avec le marché du travail – Insuffisances graves dans les systèmes de gestion ou de contrôle pouvant conduire à des irrégularités de caractère systémique – Article 39, paragraphe 2, sous c), du règlement (CE) n° 1260/1999 – Confiance légitime »

Dans l’affaire T‑549/08,

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par Mme M. Fisch, en qualité d’agent, assistée de Me P. Kinsch, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes A. Steiblytė et B. Conte, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2008) 5383 de la Commission, du 24 septembre 2008, relative à la suspension des paiements intermédiaires du Fonds social européen (FSE) au document unique de programmation pour les interventions structurelles communautaires relevant de l’objectif n° 3 au Luxembourg, et de la décision C (2008) 5730 de la Commission, du 6 octobre 2008, relative à la suspension des paiements intermédiaires du programme d’initiative communautaire de lutte contre les discriminations et inégalités en relation avec le marché du travail (EQUAL) au Luxembourg,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. S. Papasavvas et N. Wahl (rapporteur), juges,

greffier : Mme T. Weiler, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 mars 2010,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        L’article 147, premier alinéa, CE confie à la Commission des Communautés européennes l’administration du Fonds social européen (FSE) institué en vertu de l’article 146 CE. Le FSE est, conformément à l’article 159, premier alinéa, CE, l’un des fonds à finalité structurelle.

2        Le cadre juridique régissant les fonds à finalité structurelle, notamment les objectifs, l’organisation, le fonctionnement et la mise en œuvre des interventions de même que le rôle et les compétences de la Commission et des États membres en la matière, est déterminé pour l’essentiel, s’agissant de la période de programmation 2000-2006, pertinente en l’espèce, dans le règlement (CE) n° 1260/1999 du Conseil, du 21 juin 1999, portant dispositions générales sur les fonds structurels (JO L 161, p. 1).

3        Conformément à l’article 9, sous n), dudit règlement, une « autorité de gestion » est toute autorité ou tout organisme public ou privé national, régional ou local désigné par l’État membre, ou l’État membre lorsqu’il exerce lui-même cette fonction, pour gérer une intervention aux fins de ce règlement. L’article 9, sous o), de ce règlement définit quant à lui l’« autorité de paiement » comme « un ou plusieurs organismes ou autorités locaux, régionaux ou nationaux désignés par les États membres pour établir et soumettre les demandes de paiement et recevoir les paiements de la Commission ».

4        L’article 34, paragraphe 1, sous f), du règlement n° 1260/1999 prévoit notamment que l’autorité de gestion est responsable de la régularité des opérations financées au titre de l’intervention, notamment de la mise en œuvre de mesures de contrôle interne compatibles avec les principes d’une bonne gestion financière.

5        L’article 38 du règlement n° 1260/1999 dispose :

« 1.  Sans préjudice de la responsabilité de la Commission dans l’exécution du budget général de l’Union européenne, les États membres assument en premier ressort la responsabilité du contrôle financier de l’intervention. À cette fin, ils prennent notamment les mesures suivantes :

a)       ils vérifient que des systèmes de gestion et de contrôle ont été mis en place et sont mis en œuvre de manière à assurer une utilisation efficace et régulière des fonds communautaires ;

b)       ils communiquent à la Commission une description de ces systèmes ;

c)       ils s’assurent que les interventions sont gérées conformément à l’ensemble de la réglementation communautaire applicable et que les fonds mis à leur disposition sont utilisés conformément aux principes de la bonne gestion financière ;

d)       ils certifient que les déclarations de dépenses présentées à la Commission sont exactes et veillent à ce qu’elles procèdent de systèmes de comptabilité basés sur des pièces justificatives susceptibles d’être vérifiées ;

e)       ils préviennent, détectent et corrigent les irrégularités ; conformément à la réglementation en vigueur, ils les communiquent à la Commission, qu’ils tiennent informée de l’évolution des poursuites administratives et judiciaires ;

f)       ils présentent à la Commission, lors de la clôture de chaque intervention, une déclaration établie par une personne ou un service fonctionnellement indépendant de l’autorité de gestion désignée. Cette déclaration fait la synthèse des conclusions des contrôles effectués les années précédentes et se prononce sur la validité de la demande de paiement du solde ainsi que sur la légalité et la régularité des opérations concernées par le certificat final des dépenses. Les États membres accompagnent ce certificat de leur avis s’ils le jugent nécessaire ;

g)       ils coopèrent avec la Commission pour assurer une utilisation des fonds communautaires conforme au principe de la bonne gestion financière ;

h)       ils récupèrent les montants perdus à la suite d’une irrégularité constatée, en appliquant, le cas échéant, des intérêts de retard. 

2.       La Commission, dans le cadre de sa responsabilité dans l’exécution du budget général de l’Union européenne, s’assure de l’existence et du bon fonctionnement dans les États membres de systèmes de gestion et de contrôle de manière à ce que les fonds communautaires soient utilisés de manière régulière et efficace.

À cette fin, sans préjudice des contrôles effectués par les États membres conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, des fonctionnaires ou agents de la Commission peuvent, conformément aux arrangements convenus conclus avec les États membres dans le cadre de la coopération visée au paragraphe 3, effectuer des contrôles sur place, notamment par sondage, des opérations financées par les fonds et des systèmes de gestion et de contrôle, avec un préavis d’un jour ouvrable au minimum. La Commission en informe l’État membre concerné, de manière à obtenir toute l’aide nécessaire. Des fonctionnaires ou agents de l’État membre peuvent participer à ces contrôles.

La Commission peut demander à l’État membre concerné d’effectuer un contrôle sur place pour vérifier la régularité d’une ou plusieurs opérations. Des fonctionnaires ou des agents de la Commission peuvent participer à ces contrôles.

3.       Sur la base d’arrangements administratifs bilatéraux, la Commission et les États membres coopèrent pour coordonner les programmes, la méthodologie et la mise en oeuvre des contrôles afin de maximiser l’utilité des contrôles effectués. Ils se transmettent sans délai les résultats des contrôles effectués.

Une fois par an au moins et, en tout cas, avant l’examen annuel prévu à l’article 34, paragraphe 2, les éléments mentionnés ci-après sont examinés et évalués:

a)       les résultats des contrôles effectués par l’État membre et la Commission ;

b)       les observations éventuelles des autres organes ou institutions de contrôle nationaux ou communautaires ;

c)       l’impact financier des irrégularités constatées, les mesures déjà prises ou encore nécessaires pour les corriger et, le cas échéant, les modifications des systèmes de gestion et de contrôle.

4.       À la suite de cet examen et de cette évaluation et sans préjudice des mesures à prendre sans délai par l’État membre au titre du présent article et de l’article 39, la Commission peut formuler des observations, notamment sur l’impact financier des irrégularités éventuellement constatées. Ces observations sont adressées à l’État membre et à l’autorité de gestion de l’intervention concernée. Ces observations sont assorties, le cas échéant, de demandes de mesures correctives visant à remédier aux insuffisances de gestion et à corriger les irrégularités détectées qui n’auraient pas déjà été corrigées. L’État membre a la possibilité de commenter ces observations.

Lorsque, à la suite ou en l’absence d’observations de l’État membre, la Commission adopte des conclusions, l’État membre prend, dans le délai imparti, les mesures requises pour donner suite aux demandes de la Commission et informe la Commission des dispositions qu’il prend.

5.       Sans préjudice du présent article, la Commission, après vérification en bonne et due forme, peut suspendre tout ou partie d’un paiement intermédiaire si elle constate que les dépenses en cause sont entachées d’une grave irrégularité qui n’a pas été corrigée et qu’il faut agir sans délai. Elle informe l’État membre concerné des mesures prises et de leur motivation. Si, après cinq mois, les motifs ayant justifié la suspension subsistent ou si l’État membre concerné n’a pas communiqué à la Commission les mesures prises pour corriger la grave irrégularité, l’article 39 s’applique.

6.       Sauf disposition contraire figurant dans les arrangements administratifs bilatéraux, au cours des trois années suivant le paiement par la Commission du solde relatif à une intervention, les autorités responsables tiennent à la disposition de la Commission toutes les pièces justificatives (soit les originaux, soit des copies certifiées conformes aux originaux sur des supports de données généralement acceptés) relatives aux dépenses et aux contrôles afférents à l’intervention concernée. Ce délai est suspendu soit en cas de poursuites judiciaires, soit à la demande dûment motivée de la Commission. »

6        L’article 39 du règlement n° 1260/1999, intitulé « Corrections financières », est ainsi libellé :

« 1.  Il incombe en premier lieu aux États membres de poursuivre les irrégularités et d’agir lorsqu’est constatée une modification importante qui affecte la nature ou les conditions de mise en œuvre ou de contrôle d’une intervention, et d’effectuer les corrections financières nécessaires.

Les États membres procèdent aux corrections financières requises en liaison avec l’irrégularité individuelle ou systémique. Les corrections auxquelles procède l’État membre consistent en une suppression totale ou partielle de la participation communautaire. Les fonds communautaires ainsi libérés peuvent être réaffectés par l’État membre à l’intervention concernée, dans le respect des modalités à définir en vertu de l’article 53, paragraphe 2.

2.       Si, après avoir procédé aux vérifications nécessaires, la Commission conclut :

[…]

c)       qu’il existe des insuffisances graves dans les systèmes de gestion ou de contrôle qui pourraient conduire à des irrégularités de caractère systémique,

la Commission suspend les paiements intermédiaires concernés et demande, en indiquant ses motifs, à l’État membre de présenter ses observations et, le cas échéant, d’effectuer les corrections éventuelles dans un délai déterminé.

Si l’État membre conteste les observations de la Commission, celle-ci l’invite à une audience au cours de laquelle les deux parties s’efforcent, dans un esprit de coopération fondée sur le partenariat, de parvenir à un accord sur les observations et les conclusions à en tirer.

3.       À l’expiration du délai fixé par la Commission, en l’absence d’accord et si l’État membre n’a pas effectué les corrections et compte tenu des observations éventuelles de l’État membre, la Commission peut décider, dans un délai de trois mois :

a)       de réduire l’acompte visé à l’article 32, paragraphe 2

ou

b)       de procéder aux corrections financières requises en supprimant tout ou partie de la participation des fonds à l’intervention concernée.

Lorsqu’elle établit le montant d’une correction, la Commission tient compte, conformément au principe de proportionnalité, de la nature de l’irrégularité ou de la modification ainsi que de l’étendue et des conséquences financières des défaillances constatées dans les systèmes de gestion ou de contrôle des États membres.

En l’absence de décision d’agir conformément au point a) ou b), la suspension des paiements intermédiaires cesse immédiatement.

[…] »

7        Conformément à l’article 3, sous a), du règlement (CE) n° 438/2001 de la Commission, du 2 mars 2001, fixant les modalités d’application du règlement n° 1260/1999 en ce qui concerne les systèmes de gestion et de contrôle du concours octroyé au titre des fonds structurels (JO L 63, p. 21), les systèmes de gestion et de contrôle des autorités de gestion et de paiement et des organismes intermédiaires prévoient, eu égard à la proportionnalité par rapport au volume de l’intervention gérée, la définition et la répartition claires et – dans la mesure nécessaire pour assurer une bonne gestion financière – une séparation suffisante des fonctions à l’intérieur de l’organisation concernée.

8        L’article 4 du règlement n° 438/2001 prévoit :

« Les systèmes de gestion et de contrôle prévoient des procédures pour vérifier la remise des produits et services cofinancés et la réalité des dépenses déclarées ainsi que pour assurer le respect des conditions établies dans la décision correspondante de la Commission au titre de l’article 28 du règlement […] n° 1260/1999 et avec les règles nationales et communautaires en vigueur concernant, en particulier, l’éligibilité des dépenses pour le concours des fonds structurels au titre de l’intervention concernée, les marchés publics, les aides d’État (y compris les règles relatives au cumul des aides), la protection de l’environnement et l’égalité des chances.

Les procédures prévoient de garder trace des vérifications d’opérations individuelles sur place. Les dossiers concernés font rapport du travail accompli, des résultats des vérifications et des mesures prises à l’égard des anomalies constatées. Si les vérifications physiques ou administratives ne sont pas exhaustives, mais ont été effectuées sur un échantillon d’opérations, les dossiers identifient les opérations sélectionnées et décrivent la méthode d’échantillonnage. »

9        Aux termes de l’article 7 du règlement n° 438/2001 :

« 1.  Les systèmes de gestion et de contrôle des États membres assurent une piste d’audit suffisante.

2.       La piste d’audit est considérée comme suffisante lorsqu’elle permet :

a)       de réconcilier les comptes récapitulatifs certifiés notifiés à la Commission avec les états des dépenses individuels et leurs pièces justificatives détenues aux différents niveaux administratifs et par les bénéficiaires finals, y compris, dans les cas où ces derniers ne sont pas les destinataires ultimes de l’aide, les organismes ou entreprises qui mettent en oeuvre des opérations, et

b)       de contrôler l’attribution et les transferts des fonds communautaires et nationaux disponibles.

Une description indicative des informations nécessaires pour une piste d’audit suffisante figure à l’annexe I.

[…] »

10      L’article 9 du même règlement, relatif à la certification des dépenses, est ainsi libellé :

« 1.  Les certificats relatifs aux déclarations de dépenses intermédiaires et finales auxquels se réfère l’article 32, paragraphes 3 et 4, du règlement […] n° 1260/1999 sont établis suivant le modèle figurant en annexe II par une personne ou un service de l’autorité de paiement qui est fonctionnellement indépendant de tout service ordonnateur de paiement.

2.       Avant de certifier une déclaration déterminée de dépenses, l’autorité de paiement s’assure que les conditions suivantes sont remplies :

a)       l’autorité de gestion et les organismes intermédiaires ont respecté les dispositions du règlement […] n° 1260/1999, notamment l’article 38, paragraphe 1, [sous] c) et e), et l’article 32, paragraphes 3 et 4, ainsi que les conditions de la décision de la Commission au titre de l’article 28 dudit règlement ;

b)       la déclaration de dépenses ne comprend que les dépenses :

i)       qui ont été effectivement encourues pendant la période d’éligibilité telle que définie dans la décision et correspondent aux dépenses payées par les bénéficiaires finals, au sens des points 1.2, 1.3 et 2 de la règle n° 1 de l’annexe du règlement (CE) n° 1685/2000 […], et justifiées par des factures acquittées ou des pièces comptables de valeur probante équivalente ;

ii)       qui sont relatives à des opérations sélectionnées pour un cofinancement au titre de l’intervention concernée selon les critères et les procédures de sélection établis, et qui ont été assujetties aux règles communautaires pendant toute la période pendant laquelle ces dépenses ont été encourues, et

iii)  qui relèvent de mesures pour lesquelles toute aide d’État a été formellement approuvée par la Commission, le cas échéant.

3.       Afin que la suffisance du système de contrôle et de la piste d’audit puisse toujours être prise en considération avant qu’une déclaration des dépenses ne soit présentée à la Commission, l’autorité de gestion veille à ce que l’autorité de paiement soit tenue informée des procédures qu’elle et les organismes intermédiaires appliquent pour :

a)       vérifier la réalité du service effectué par rapport aux produits et services cofinancés ;

b)       assurer le respect des règles en vigueur ;

c)       maintenir la piste d’audit.

4.       Lorsque l’autorité de gestion et l’autorité de paiement appartiennent au même organisme ou qu’un même organisme est désigné à la fois comme autorité de gestion et autorité de paiement, cet organisme veille à ce que des procédures offrant des normes de contrôle équivalentes à celles qui sont décrites aux paragraphes 2 et 3 soient appliquées. »

 Antécédents du litige

11      Le 8 août 2000, la Commission a adopté la décision C (2000) 1128 portant approbation du document unique de programmation pour les interventions structurelles communautaires relevant de l’objectif n° 3 au Luxembourg (CCI 1999LU053DO001), qui prévoyait un coût total de 93 578 900 euros et un cofinancement communautaire d’un montant maximal de 39 452 700 euros. Cette décision a été modifiée, en dernier lieu, par la décision C (2007) 4256, du 10 septembre 2007, qui a porté le coût total à 83 289 224 euros et le montant maximal de la participation financière du FSE à 35 576 935 euros.

12      Le 22 mars 2001, la Commission a adopté la décision C (2001) 42 portant approbation du programme d’initiative communautaire de lutte contre les discriminations et inégalités en relation avec le marché du travail (EQUAL) au Luxembourg (CCI 2000LU050PC001), qui prévoyait un coût total de 8 800 000 euros et une participation du FSE de 4 400 000 euros. Cette décision a été modifiée en dernier lieu par la décision C (2007) 3658, du 24 juillet 2007, qui a porté le coût total à 8 707 522 euros et la participation du FSE à 4 353 761 euros.

13      Par lettre du 7 février 2002, les autorités luxembourgeoises ont transmis, au titre de l’article 5 du règlement n° 438/2001, une description de leurs systèmes de gestion et de contrôle pour les deux interventions visées par les décisions C (2000) 1128 et C (2001) 42 (ci-après les « interventions en cause »).

14      Entre le 8 et le 10 juillet 2002, les services de la Commission ont effectué, en application de l’article 38, paragraphe 2, du règlement n° 1260/1999, sur la base de la description transmise par les autorités luxembourgeoises, une mission d’audit préventif dans le cadre de la période de programmation 2000-2006 pour évaluer la mise en place des systèmes de gestion et de contrôle.

15      Par lettre du 22 août 2002, la Commission a envoyé le rapport d’audit final aux autorités luxembourgeoises. Dans ce rapport, les services de la Commission ont notamment conclu, sur le fondement d’un relevé théorique, que les systèmes de gestion et de contrôle mis en place par le Grand-Duché de Luxembourg offraient des garanties suffisantes de respect de la réglementation existante et des critères généralement admis de bonne gestion.

16      Dans le cadre d’une mission d’audit effectuée les 7 et 8 juillet 2003 en vue notamment d’effectuer le relevé des procédures relatives à la clôture de la période de programmation 1994-1999, les services de la Commission ont également examiné les systèmes mis en place pour la période de programmation 2000-2006.

17      Par courrier du 4 septembre 2003, le rapport d’audit relatif à cette mission de contrôle a été envoyé aux autorités luxembourgeoises. Dans ce rapport d’audit, les services de la Commission ont constaté que les recommandations contenues dans le précédent rapport d’audit avaient été globalement suivies.

18      Du 14 au 16 juin 2004, la Commission a effectué un audit qui visait les systèmes de gestion et de contrôle du programme EQUAL. Par courrier du 11 février 2005, elle a transmis le rapport d’audit relatif à cette mission. Selon ce rapport d’audit, ces systèmes répondaient aux critères réglementaires sous réserve des contrôles dits « des 5 % » non encore réalisés.

19      Entre le 11 juin et le 13 juillet 2007, les services de la Commission ont effectué plusieurs missions en vue de confirmer, sur la base d’un échantillonnage aléatoire, le niveau d’assurance des systèmes de gestion et de contrôle mis en place dans le cadre des interventions en cause. Par courrier du 29 novembre 2007, le rapport d’audit de cette mission a été transmis aux autorités luxembourgeoises (ci-après le « rapport d’audit du 29 novembre 2007 »). Ce rapport mettait en exergue des insuffisances matérielles dans les systèmes de gestion et de contrôle des interventions en cause, concernant la séparation des fonctions relevant de l’autorité de gestion de celles relevant de l’autorité de paiement, les vérifications de premier niveau effectuées par l’autorité de gestion, la certification des déclarations de dépenses par l’autorité de paiement et la piste d’audit.

20      Par lettre du 16 janvier 2008, les autorités luxembourgeoises ont fait parvenir leurs observations sur le rapport d’audit du 29 novembre 2007.

21      Par lettre du 29 janvier 2008, la Commission a rappelé aux autorités luxembourgeoises qu’il leur incombait de rétablir la bonne gestion des interventions en cause, notamment en vertu du principe de bonne gestion financière et compte tenu des risques pour le budget communautaire.

22      Lors de la réunion annuelle du 29 février 2008, la Commission a prévenu les autorités luxembourgeoises du fait que, en cas de manquement à l’obligation de rétablir la bonne gestion des interventions en cause, elle pourrait adopter une décision de suspension des paiements intermédiaires.

23      Par lettre du 13 mai 2008, la Commission a indiqué qu’elle maintenait sa position et a répondu aux arguments avancés par les autorités luxembourgeoises dans leur lettre du 16 janvier 2008. Elle a indiqué qu’aucune des recommandations du rapport d’audit du 29 novembre 2007 ne pouvait être « clôturée » sur la base des éléments fournis. Conformément à l’article 39, paragraphe 2, du règlement n° 1260/1999, la Commission a invité les autorités luxembourgeoises à lui communiquer, dans les deux mois après réception de ladite lettre, leurs observations ainsi que la description des mesures correctives prises pour améliorer le fonctionnement des systèmes de gestion et de contrôle pour les interventions en cause et des corrections financières nécessaires.

24      Lors d’une réunion du 20 mai 2008 entre des représentants de l’Inspection générale des Finances luxembourgeoise et les services de la Commission, ces derniers ont décrit de manière plus détaillée les raisons soutenant leur position quant aux insuffisances des systèmes de gestion et de contrôle. Les autorités luxembourgeoises ont, de leur côté, indiqué qu’elles maintenaient leur position exprimée dans la lettre du 16 janvier 2008. Lors d’une réunion tenue le 17 juin 2008 entre les représentants de l’autorité de gestion luxembourgeoise et les services de la Commission, l’autorité de gestion a également réitéré sa position.

25      Par la décision C (2008) 5383, du 24 septembre 2008, relative à la suspension des paiements intermédiaires du FSE au document unique de programmation pour les interventions structurelles communautaires relevant de l’objectif n° 3 au Luxembourg, et la décision C (2008) 5730, du 6 octobre 2008, relative à la suspension des paiements intermédiaires du programme EQUAL au Luxembourg (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées »), la Commission a suspendu les paiements intermédiaires du FSE relatifs aux interventions en cause. Elle a conclu qu’il existait des insuffisances graves dans les systèmes de gestion ou de contrôle qui pourraient conduire à des irrégularités de caractère systémique au sens de l’article 39, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 1260/1999 en ce qui concerne lesdites interventions.

 Procédure et conclusions des parties

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 décembre 2008, le Grand-Duché de Luxembourg a introduit le présent recours.

27      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

28      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 4 mars 2010.

29      Le Grand-Duché de Luxembourg conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées ;

–        condamner la Commission aux dépens.

30      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer irrecevable le recours pour autant qu’il concerne la décision C (2008) 5383 ;

–        rejeter le recours pour le surplus ;

–        condamner le Grand-Duché de Luxembourg aux dépens.

 Sur la recevabilité

 Arguments des parties

31      La Commission estime que le présent recours est tardif et, partant, irrecevable pour autant qu’il est dirigé contre la décision C (2008) 5383. En effet, conformément à l’article 230, cinquième alinéa, CE, les recours en annulation doivent être formés dans un délai de deux mois à compter de la notification de l’acte au requérant. Or, en l’espèce, la décision C (2008) 5383 serait parvenue à la représentation permanente du Grand-Duché de Luxembourg auprès de l’Union le 25 septembre 2008. Le présent recours aurait donc été introduit hors délai pour autant qu’il concerne la décision C (2008) 5383.

32      Le Grand-Duché de Luxembourg n’a formulé aucune observation à cet égard dans ses écritures. Il a toutefois indiqué, lors de l’audience, en réponse à une question posée par le Tribunal, qu’il ne contestait pas que la décision C (2008) 5383 lui était parvenue le 25 septembre 2008, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

 Appréciation du Tribunal

33      Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 230, cinquième alinéa, CE, le recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification au requérant de l’acte contesté. Selon l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, ce délai doit être augmenté d’un délai de distance forfaitaire de dix jours.

34      Selon une jurisprudence constante, ce délai de recours est d’ordre public et n’est pas à la disposition des parties et du juge, ayant été institué en vue d’assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques et d’éviter toute discrimination ou traitement arbitraire dans l’administration de la justice (arrêts de la Cour du 23 janvier 1997, Coen, C‑246/95, Rec. p. I‑403, point 21, et du Tribunal du 18 septembre 1997, Mutual Aid Administration Services/Commission, T‑121/96 et T‑151/96, Rec. p. II‑1355, point 38).

35      En l’espèce, conformément à l’article 101, paragraphe 1, sous a) et b), et paragraphe 2, du règlement de procédure, le délai de recours à l’encontre de la décision C (2008) 5383 a commencé à courir le 26 septembre 2008, jour suivant la date de notification de ladite décision au Grand-Duché de Luxembourg.

36      Le délai pour le dépôt du recours à l’encontre de cette décision, qui comprenait non seulement le délai de deux mois prévu à l’article 230, cinquième alinéa, CE, mais également le délai de distance visé à l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, a donc expiré le 5 décembre 2008.

37      Il s’ensuit que, dans la mesure où il vise la décision C (2008) 5383, le présent recours en annulation, introduit le 16 décembre 2008, a été formé tardivement et doit, par voie de conséquence, être déclaré irrecevable. Le recours est, en revanche, recevable en ce qu’il vise la décision C (2008) 5730, cette dernière n’ayant été notifiée que le 7 octobre 2008 au Grand-Duché de Luxembourg.

 Sur le fond

38      À l’appui de son recours, le Grand-Duché de Luxembourg soulève, en substance, deux moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime. Le second moyen est pris d’une violation de l’article 39, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 1260/1999, en ce que la Commission a suspendu les paiements relatifs aux interventions en cause alors que les conditions requises n’étaient pas réunies.

39      S’agissant de l’ordre dans lequel il convient d’examiner les moyens soulevés par le Grand-Duché de Luxembourg, question sur laquelle les parties s’opposent, il apparaît opportun d’examiner le moyen tiré de la violation de l’article 39, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 1260/1999 avant celui pris d’une méconnaissance du principe de protection de la confiance légitime.

 Sur le moyen tiré de la violation de l’article 39, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 1260/1999

 Arguments des parties

40      Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir que la Commission a violé l’article 39, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 1260/1999 en ce qu’elle a suspendu les interventions en cause bien que les conditions requises par cette disposition n’aient pas été remplies. La conclusion selon laquelle il existerait des insuffisances graves qui pourraient conduire à des irrégularités de caractère systémique serait manifestement erronée. À supposer même que des irrégularités aient pu être retenues, elles auraient été de caractère mineur et non systémique.

41      En premier lieu, s’agissant de l’organisation de l’autorité de gestion et de l’autorité de paiement, ni l’article 3 du règlement n° 438/2001 ni aucune autre disposition dudit règlement ne s’opposerait au fait que ces deux autorités appartiennent au même organisme. Cette hypothèse serait d’ailleurs envisagée par l’article 9, paragraphe 4, du même règlement et rien n’interdirait la réalisation conjointe, par l’autorité de gestion et l’autorité de paiement, de leurs vérifications. En exigeant un tel degré de séparation fonctionnelle, la Commission aurait commis une erreur de droit. Dans la réplique, le Grand-Duché de Luxembourg précise que, s’il est vrai que les contrôleurs des deux autorités exercent le contrôle en même temps auprès d’un même bénéficiaire final, il n’en découlerait aucun risque de complicité entre le contrôleur et le contrôlé, compte tenu des règles éthiques applicables au sein de la fonction publique luxembourgeoise.

42      En deuxième lieu, en ce qui concerne les vérifications de premier niveau par l’autorité de gestion et les certifications des dépenses par l’autorité de paiement, le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir que la certification des dépenses en cascade, à savoir le choix, fait par l’autorité de gestion nationale, de déclarer des dépenses pour lesquelles il existe un doute, mais dont la qualification juridique d’inéligibilité n’est pas encore établie au moment de la déclaration, est conforme à l’article 4 du règlement n° 438/2001. De même, le fait d’exclure seulement l’élément vicié d’une dépense dite « partiellement inéligible » et non l’intégralité de la dépense ne violerait pas cette disposition. En effet, celle-ci laisserait aux autorités nationales une marge d’appréciation quant au fonctionnement de leurs systèmes de gestion et de contrôle, à condition que ces systèmes prévoient des procédures pour vérifier la remise des produits et des services cofinancés et la réalité des dépenses déclarées et assurent le respect des conditions établies dans les décisions correspondantes de la Commission. Par ailleurs, selon le Grand-Duché de Luxembourg, le document de travail du 21 décembre 2005 relatif aux bonnes pratiques concernant les vérifications de gestion devant être effectuées par les États membres sur des projets cofinancés par les fonds structurels et par les fonds de cohésion, invoqué par la Commission à l’appui de son interprétation, ne s’imposait pas au moment de l’exécution des programmes. En définitive, compte tenu des contrôles a posteriori effectués par les autorités luxembourgeoises, les intérêts financiers de l’Union seraient préservés.

43      En troisième lieu, le Grand-Duché de Luxembourg considère que les constatations faites dans le rapport d’audit du 29 novembre 2007 portant sur la piste d’audit, qui sont reprises aux points 30 à 32 des décisions attaquées et selon lesquelles les dossiers tenus par l’autorité de gestion seraient incomplets et ne comporteraient pas certains des éléments essentiels pour démontrer l’éligibilité et la régularité des dépenses, sont inexactes. Ce point aurait d’ailleurs déjà été évoqué par les autorités luxembourgeoises dans leurs observations du 16 janvier 2008, dans lesquelles il aurait notamment été souligné qu’il était tout à fait possible de trouver l’ensemble des informations relatives au budget détaillé et aux résultats à atteindre dans la fiche de candidature relative à chaque projet financé. Enfin, dans la duplique, le Grand‑Duché de Luxembourg souligne que les informations faisant prétendument défaut n’ont jamais été demandées par la Commission aux autorités nationales.

44      La Commission conteste l’ensemble des arguments du Grand-Duché de Luxembourg. Elle souligne que, contrairement à ce qu’il prétend, il n’est nullement question en l’espèce d’irrégularités de caractère mineur, mais d’un certain nombre d’insuffisances sérieuses touchant à l’organisation, aux vérifications de premier niveau par l’autorité de gestion, à la certification des déclarations des dépenses par l’autorité de paiement et à la piste d’audit, qui constituent des éléments clés des systèmes de gestion et de contrôle et dont chacune aurait justifié une suspension des paiements intermédiaires.

 Appréciation du Tribunal

45      Il importe de rappeler, à titre liminaire, qu’il ressort de la jurisprudence que la règle selon laquelle seules les dépenses effectuées par les autorités nationales en conformité avec les règles communautaires sont à la charge du budget est également applicable à l’octroi d’un concours financier au titre du FSE (arrêt de la Cour du 15 septembre 2005, Irlande/Commission, C‑199/03, Rec. p. I‑8027, point 26).

46      En vertu de l’article 39, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 1260/1999, la Commission suspend les paiements intermédiaires si, après avoir procédé aux vérifications nécessaires, elle conclut qu’il existe des insuffisances graves dans les systèmes de gestion ou de contrôle qui pourraient conduire à des irrégularités de caractère systémique. L’article 39, paragraphe 3, du même règlement indique que la Commission peut ensuite, le cas échéant, procéder aux corrections financières requises en supprimant tout ou partie de la participation du fonds à l’intervention concernée.

47      Conformément à l’exigence de bonne gestion financière qui sous-tend la mise en œuvre des fonds structurels et eu égard aux responsabilités dévolues aux autorités nationales dans cette mise en œuvre, l’obligation des États membres de mettre en place des systèmes de gestion et de contrôle, visée à l’article 38, paragraphe 1, du règlement n° 1260/1999 et dont les modalités sont précisées aux articles 2 à 8 du règlement n° 438/2001, revêt un caractère essentiel.

48      En l’occurrence, il y a lieu de déterminer si c’est à bon droit que la Commission a suspendu les paiements intermédiaires relatifs au programme EQUAL au Grand-Duché de Luxembourg compte tenu des insuffisances qu’elle a identifiées et qui sont liées, premièrement, à l’organisation de l’autorité de gestion et de l’autorité de paiement, deuxièmement, aux vérifications de premier niveau effectuées par l’autorité de gestion et à la certification des déclarations des dépenses par l’autorité de paiement et, troisièmement, à la piste d’audit.

49      Premièrement, s’agissant de l’organisation de l’autorité de gestion et de l’autorité de paiement, la Commission indique, au point 3.1.1.5 du rapport d’audit du 29 novembre 2007, qu’« il est apparu que les personnes chargées d’exécuter les vérifications prévues à l’article 4 [du règlement n° 438/2001] et celles prévues à l’article 9 [dudit règlement] aux fins de la certification des dépenses exerçaient ces fonctions conjointement ».

50      La Commission a déduit de cette constatation, au considérant 18 de la décision C (2008) 5730, que « l’organisation de l’autorité de gestion et de l’autorité de paiement ne [pouvait] pas être considérée comme appropriée et ne répondait pas aux exigences prévues à l’article 3 du règlement n° 438/2001 (définition et répartition claires et séparation suffisante des fonctions ; garantie que les fonctions soient exercées de manière satisfaisante) ». Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir en substance que, contrairement à l’interprétation défendue par la Commission, l’exercice conjoint des contrôles de l’autorité de gestion et de l’autorité de paiement relatifs à l’intervention faisant l’objet de la décision C (2008) 5730 (ci-après l’« intervention EQUAL ») effectuées respectivement par l’autorité de paiement et l’autorité de gestion n’est pas contraire au règlement n° 438/2001.

51      À cet égard, il importe de rappeler que l’article 3, sous a), du règlement n° 438/2001 prévoit que « [l]es systèmes de gestion et de contrôle des autorités de gestion et de paiement et des organismes intermédiaires prévoient, eu égard à la proportionnalité par rapport au volume de l’intervention gérée, la définition et la répartition claire et – dans la mesure nécessaire pour assurer une bonne gestion financière – une séparation suffisante des fonctions à l’intérieur de l’organisation concernée ».

52      Si, ainsi que l’a fait valoir le Grand-Duché de Luxembourg, l’article 9, paragraphe 4, de ce règlement ne s’oppose pas à ce que l’autorité de gestion et l’autorité de paiement appartiennent au même organisme, encore faut-il qu’il existe une « répartition claire » et une « séparation suffisante » des fonctions à l’intérieur de l’organisation concernée.

53      En l’occurrence, il ressort clairement de la motivation de la décision C (2008) 5730 sur ce point que ce n’est pas tant le constat d’irrégularités dans les contrôles effectués par lesdites autorités, mais leur manque de fiabilité qui a été mis en exergue par la Commission. En effet, de l’avis de la Commission, l’exercice conjoint des fonctions de gestion et de paiement fait peser un doute sur l’impartialité des agents chargés des contrôles compte tenu de la proximité et de la « complicité » qu’un tel exercice conjoint implique. Il résulte en particulier du considérant 17 de la décision C (2008) 5730 que « les vérifications prévues à l’article 4 du règlement n° 438/2001 et les contrôles prévus à l’article 9 de ce même règlement ne peuvent […] pas être menés conjointement, au risque de fausser le jugement de l’autorité chargée de certifier les demandes de paiement ».

54      Cette considération doit être approuvée. En effet, l’autorité de gestion et l’autorité de paiement étant amenées, aux termes de la réglementation applicable aux interventions financées par le FSE, à exercer des contrôles de nature différente à des stades distincts, l’exercice concomitant des fonctions dévolues à ces autorités comporte un risque non négligeable de coordination, voire de fusion, entre lesdits contrôles et, dès lors, est de nature à faire naître des doutes sur la fiabilité desdits contrôles.

55      Aussi, et sans qu’il y ait lieu de se référer aux indications figurant dans le document de travail concernant les bonnes pratiques applicables à la fonction de certification de l’autorité de paiement présenté par les services de la Commission aux États membres, cité par la Commission, c’est à bon droit que celle-ci a conclu que l’organisation des autorités de paiement et de gestion luxembourgeoises contrevenait à l’article 3 du règlement n° 438/2001.

56      Deuxièmement, en ce qui concerne les défaillances dans les vérifications de premier niveau par l’autorité de gestion et dans les certifications des dépenses par l’autorité de paiement, le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir, en substance, que, en critiquant le système de vérifications de premier niveau et de certifications relatif à l’intervention EQUAL, la Commission a méconnu le fait qu’aucune dépense non éligible n’avait effectivement été prise en compte dans le cadre des contrôles effectués a posteriori et que, en définitive, les intérêts financiers de la Communauté avaient été sauvegardés.

57      Or, il convient de souligner que la Commission a relevé dans son rapport d’audit du 29 novembre 2007 que, s’agissant de certaines dépenses, non seulement l’autorité de gestion avait omis d’effectuer ou avait insuffisamment effectué les vérifications de premier niveau, en violation de l’article 34 du règlement n° 1260/1999 et de l’article 4 du règlement n° 438/2001, mais également que l’autorité de paiement n’avait pas procédé à la certification des dépenses en conformité avec l’article 38, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 1260/1999 et l’article 9 du règlement n° 438/2001. En effet, ces autorités ont, dans un certain nombre de cas, déclaré des dépenses par rapport auxquelles elles éprouvaient un doute. Plus précisément, l’autorité de gestion avait procédé à des vérifications incomplètes des dépenses déclarées. Par ailleurs, les éventuels constats d’irrégularités effectués dans le cadre des vérifications de premier niveau n’avaient pas été systématiquement pris en compte par l’autorité de paiement au stade de la certification des déclarations des dépenses.

58      De telles défaillances sont des insuffisances graves dans les systèmes de gestion et de contrôle pouvant conduire à des irrégularités de caractère systémique. En effet, tant au stade des vérifications de premier niveau effectuées par l’autorité de gestion qu’à celui de la certification menée par l’autorité de paiement, qui constituent des garanties de bonne gestion financière, les autorités nationales doivent s’assurer ex ante et de manière exhaustive tant de la réalité que de la conformité des dépenses envisagées. Contrairement à ce que prétend le Grand-Duché de Luxembourg, il ne suffit pas que les autorités nationales procèdent à des vérifications ex post suivies, le cas échéant, de corrections financières.

59      Troisièmement, ces considérations sont également valables s’agissant du suivi de la piste d’audit visée à l’article 7 du règlement n° 438/2001. À cet égard, le Grand-Duché de Luxembourg n’a pas démontré que le simple renvoi aux fiches de candidature relatives à l’intervention EQUAL pouvait à lui seul fournir l’ensemble des indications précises exigées par l’article 7, paragraphes 2 et 3, dudit règlement.

60      Sur ce point, il importe de souligner que l’annexe 1 du règlement n° 438/2001, intitulée « Liste indicative des informations requises pour une piste d’audit suffisante », fournit des indications très précises quant aux obligations pesant sur les autorités nationales. Or, il y est clairement indiqué que ces autorités doivent tenir et conserver, au niveau approprié de gestion, des archives comptables ainsi qu’un ensemble d’informations pour chaque opération cofinancée.

61      Compte tenu de tout ce qui précède, c’est à bon droit que la Commission a conclu à l’existence d’insuffisances graves dans les systèmes de gestion et de contrôle, qui pourraient conduire à des irrégularités de caractère systémique et, partant, a suspendu les paiements intermédiaires pour l’intervention EQUAL. À cet égard, il importe de rappeler que l’obligation des demandeurs et des bénéficiaires de concours communautaires de s’assurer qu’ils fournissent à la Commission des informations suffisamment précises, afin que le système de contrôle et de preuve mis en place pour vérifier si les conditions d’octroi du concours sont remplies puisse fonctionner correctement, est inhérente au système de concours du FSE et essentielle pour son bon fonctionnement (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 6 juin 2007, Mediocurso/Commission, T‑251/05 et T‑425/05, non publié au Recueil, point 67, et la jurisprudence citée).

62      Le présent moyen ne saurait donc être accueilli.

 Sur le moyen tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime

 Arguments des parties

63      Le Grand-Duché de Luxembourg considère que la Commission a violé le principe de protection de la confiance légitime, dès lors qu’elle avait expressément constaté, dans les rapports d’audits préventifs transmis respectivement le 22 août 2002 et le 4 septembre 2003, mais également dans celui du 7 février 2005, que les systèmes de gestion et de contrôle pour les interventions en cause offraient des garanties très satisfaisantes. Ce faisant, la Commission serait parvenue lors de ces missions d’audit à des conclusions diamétralement opposées à celles retenues dans les décisions attaquées.

64      Or, d’une part, ces audits préventifs de 2002 et de 2003 effectués en application de l’article 38, paragraphe 2, du règlement n° 1260/1999 ont été les seuls à être opérés au cours de la période de programmation visée et, d’autre part, les décisions attaquées ne sont intervenues qu’à la suite d’un audit effectué postérieurement à cette période, soit à un moment où il n’était plus possible de modifier les systèmes de gestion et de contrôle en cause. En l’occurrence, les autorités luxembourgeoises n’avaient aucune raison de ne pas se fier à l’appréciation contenue dans lesdits rapports quant à la conformité de leurs systèmes de gestion et de contrôle.

65      Le Grand-Duché de Luxembourg précise que, lors de leurs missions d’audits antérieures, les services de la Commission avaient expressément validé le mode d’organisation de l’autorité de gestion et de l’autorité de paiement ainsi que le suivi de la piste d’audit et la procédure de certification des dépenses en cascade pratiquée par les autorités luxembourgeoises.

66      Quant aux documents de travail relatifs aux bonnes pratiques auxquels la Commission se réfère, ils auraient, selon toute vraisemblance, été élaborés à la fin de l’année 2005, soit bien après le début des interventions relevant de la période de programmation pertinente.

67      S’agissant du rapport du 7 février 2005 qui a fait suite à l’audit additionnel de juin 2004, qui a été produit par la Commission en annexe au mémoire en défense, il confirmerait le fait que les services de la Commission étaient globalement satisfaits du système de sélection des projets, de déclaration des dépenses et de contrôle.

68      Le Grand-Duché de Luxembourg considère que, contrairement à la position défendue par la Commission, les audits de juillet 2002, de juillet 2003 et de juin 2004 n’avaient pas une portée limitée. Il résulterait d’une lecture objective des trois rapports d’audit s’y rapportant qu’ils font suite à un examen approfondi en vue, d’une part, de déterminer si les procédures réellement mises en place correspondaient bien à celles notifiées à la Commission et étaient conformes à la réglementation applicable et, d’autre part, de vérifier, par échantillonnage auprès de promoteurs spécifiques, que les systèmes pouvaient être concrètement validés. À cet égard, ne saurait être allégué ni reproché au Grand-Duché de Luxembourg le fait que l’échantillon des opérations contrôlées lors de ces missions d’audit ait été limité et, partant, non représentatif.

69      Par voie de conséquence, la Commission aurait été parfaitement informée et aurait approuvé dans leur globalité les systèmes de gestion et de contrôle luxembourgeois.

70      La Commission conteste les arguments du Grand-Duché de Luxembourg. Elle fait valoir, en substance, que les rapports d’audit ne sont pas de nature à créer une confiance légitime et que, en tout état de cause, ils n’ont pas créé une telle confiance en l’espèce.

 Appréciation du Tribunal

71      Conformément à une jurisprudence constante, le droit de se prévaloir de la confiance légitime suppose la réunion de trois conditions cumulatives. Premièrement, des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, doivent avoir été fournies à l’intéressé par l’administration. Deuxièmement, ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l’esprit de celui auquel elles s’adressent. Troisièmement, les assurances données doivent être conformes aux normes applicables (voir arrêts du Tribunal du 30 juin 2005, Branco/Commission, T‑347/03, Rec. p. II‑2555, point 102, et la jurisprudence citée, et du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, Rec. p. II‑319, point 77).

72      En l’occurrence, se pose la question de savoir si les appréciations contenues dans les rapports d’audits de 2002, 2003 et 2005 portant sur les projets cofinancés par le FSE étaient de nature à créer une attente légitime des autorités nationales, qui sont chargées, en tout premier lieu, de la gestion et du contrôle de l’intervention.

73      À cet égard, il ressort d’une jurisprudence bien établie que la violation de la protection de la confiance légitime ne peut pas être invoquée par une personne qui s’est rendue coupable d’une violation manifeste de la réglementation en vigueur (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 12 décembre 1985, Sideradria/Commission, 67/84, Rec. p. 3983, point 21, et ordonnance de la Cour du 25 novembre 2004, Vela et Tecnagrind/Commission, C‑18/03 P, non publiée au Recueil, points 117 à 119 ; arrêt du Tribunal du 9 avril 2003, Forum des migrants/Commission, T‑217/01, Rec. p. II‑1563, point 76, et la jurisprudence citée).

74      Il a ainsi déjà été précisé dans la jurisprudence que le principe de protection de la confiance légitime ne saurait s’opposer à la suspension d’un concours communautaire lorsque les conditions fixées pour l’octroi dudit concours n’ont manifestement pas été remplies (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 29 septembre 1999, Sonasa/Commission, T‑126/97, Rec. p. II‑2793, point 39, et du 14 décembre 2006, Branco/Commission, T‑162/04, non publié au Recueil, point 123, et la jurisprudence citée).

75      En l’espèce, ainsi qu’il ressort de l’examen du premier moyen, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a conclu, dans la décision C (2008) 5730, qu’il existait « plusieurs insuffisances graves dans les systèmes de gestion de contrôle » pouvant conduire à des irrégularités de caractère systémique et que, par conséquent, il convenait de suspendre les paiements intermédiaires relatifs à l’intervention EQUAL.

76      De telles irrégularités doivent, à l’instar de la méconnaissance manifeste de la réglementation communautaire sur le fondement de laquelle une décision d’octroi d’un concours communautaire est arrêtée ou des dispositions contenues dans une décision d’octroi (voir, en ce sens, arrêt Sonasa/Commission, précité, points 35, 36 et 39, et ordonnance Vela et Tecnagrind/Commission, précitée, points 117 et 118), être qualifiées de violations manifestes de la réglementation en vigueur.

77      L’existence éventuelle d’irrégularités qui n’auraient pas été poursuivies ou décelées précédemment ne peut en aucun cas fonder une confiance légitime (voir, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 16 octobre 2003, Irlande/Commission, C‑339/00, Rec. p. I‑11757, point 81). Aussi, rien n’empêche la Commission, après avoir détecté des manquements lors d’un contrôle spécifique, d’en tirer des conséquences financières. Les autorités nationales, qui sont responsables en premier ressort du contrôle financier des interventions (voir article 38, paragraphe 1, du règlement n° 1260/1999), ne sauraient s’exonérer de leur responsabilité en invoquant le fait que la Commission n’a constaté aucune irrégularité lors d’un précédent contrôle (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 avril 1999, Pays-Bas/Commission, C‑28/94, Rec. p. I‑1973, point 76).

78      Partant, dès lors qu’a été établie l’existence d’irrégularités graves au regard de la réglementation applicable, le Grand-Duché de Luxembourg ne saurait soutenir que les appréciations contenues dans des rapports d’audit menés entre 2002 et 2004 ont fait naître des espérances fondées quant à la conformité à la réglementation communautaire du système de gestion et de contrôle visé en l’espèce et donc quant à l’octroi définitif des paiements effectués pour l’intervention EQUAL.

79      En tout état de cause, ainsi que la Commission l’a souligné lors de l’audience, des rapports d’audits établis par ses services dans le cadre de la mise en place d’opérations financées par des fonds structurels ne sont pas, en principe, de nature à fonder une confiance légitime, au sens de la jurisprudence rappelée au point 71 ci-dessus, dans la conformité des systèmes de gestion et de contrôle devant être mis en place par les États membres. De tels rapports sont généralement établis par sondage, sur la base d’éléments représentatifs, et non exhaustifs, relatifs à l’intervention, et se limitent à faire état de la situation observée à la date où l’audit a été effectué. En outre, ces rapports ne reflètent que l’opinion professionnelle des agents chargés des opérations de contrôle sur place et non celle de la Commission, qui ne se manifeste qu’ultérieurement à la suite d’une procédure contradictoire associant étroitement l’État membre concerné.

80      Cette considération est d’autant plus valable en l’espèce qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que les conclusions retenues dans les rapports d’audit rédigés antérieurement à celui du 29 novembre 2007 aient fourni une quelconque assurance précise aux autorités luxembourgeoises de nature à fonder des espérances quant à la conformité des systèmes de gestion et de contrôle de l’intervention EQUAL et, partant, aient pu susciter une confiance légitime dans le fait que la Commission ne suspendrait pas le concours financier communautaire octroyé pour ladite intervention.

81      Les rapports d’audit précédents n’avaient en effet manifestement pas le même objet ni la même portée que celui du 29 novembre 2007. En premier lieu, le rapport relatif à l’audit préventif effectué du 8 au 12 juillet 2002 indique clairement qu’il a pour objet d’établir un « relevé général des caractéristiques du système de gestion, de paiement et de contrôle relatif aux interventions ». Cette mission d’audit avait uniquement, aux termes dudit rapport, « permis de mettre en évidence que le système de gestion et de contrôle mis en place par l’État membre offrait des garanties suffisantes » sur la base d’un « relevé théorique ». En deuxième lieu, le rapport du 4 septembre 2003 relatif à l’audit mené en juillet 2003 mentionne que, outre le relevé des procédures de clôture relatives à la période de programmation 1994-1999, il visait à faire « le point sur le suivi du rapport d’audit de 2002 ». En troisième lieu, le rapport du 7 février 2005 relatif à l’audit de juin 2004 avait pour objectif de faire le point de la situation sur le fondement des différents aspects de la législation abordés par les auditeurs (voir partie I, point 6, dudit rapport).

82      Partant, ces audits visaient à opérer certaines vérifications sur la mise en place de systèmes de gestion et de contrôle de l’intervention EQUAL. Seul le rapport d’audit du 29 novembre 2007, qui indique en son objet qu’il vise le « contrôle de projets sur la base d’un échantillonnage aléatoire visant à confirmer le niveau d’assurance des systèmes de gestion et de contrôle pour la période de programmation 2000-2006 », était de nature à confirmer le niveau d’assurance attribué aux systèmes en place lors des audits antérieurs (voir point 1 dudit rapport). Le fait que ce rapport d’audit définitif ne soit intervenu qu’après la période de programmation visée en l’espèce, à savoir la période 2000-2006, ne saurait être reproché à la Commission, dès lors qu’il est inhérent au système de contrôle financier découlant du règlement n° 1260/1999.

83      Pour ces motifs, il y a également lieu de rejeter le second moyen soulevé par le Grand-Duché de Luxembourg et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

84      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Grand-Duché de Luxembourg ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Grand-Duché de Luxembourg est condamné aux dépens.

Martins Ribeiro

Papasavvas

Wahl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 juin 2010.

Signatures


* Langue de procédure : le français.