Language of document : ECLI:EU:T:2021:636

Affaire T343/18

(publication par extraits)

Tokin Corp.

contre

Commission européenne

 Arrêt du Tribunal (neuvième chambre élargie) du 29 septembre 2021

« Concurrence – Ententes – Marché des condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE – Coordination des prix dans l’ensemble de l’EEE – Communication des griefs – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de 2006 – Valeur des ventes – Proportionnalité – Égalité de traitement – Gravité de l’infraction – Circonstances atténuantes »

1.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Contrôle juridictionnel – Compétence de pleine juridiction du juge de l’Union – Portée – Substitution des motifs de l’acte contesté

(Art. 101, 102, 261 et 263 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 31)

(voir points 44-48)

2.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Fixation du montant de base – Détermination de la valeur des ventes – Chiffre d’affaires global de l’entreprise concernée – Chiffre d’affaires réalisé avec les marchandises faisant l’objet de l’infraction – Prise en considération respective – Limites – Détermination de la valeur des ventes réalisées en relation directe ou indirecte avec l’infraction

(Art. 101 et 102 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 13)

(voir points 58, 59)

3.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Fixation du montant de base – Gravité de l’infraction – Critères d’appréciation – Marge d’appréciation réservée à la Commission – Limites – Respect des principes de proportionnalité et d’individualité des peines et des sanctions

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 13)

(voir points 60-63, 65, 66)

4.      Concurrence – Procédure administrative – Communication des griefs – Caractère provisoire – Obligation pour la Commission d’expliquer dans la décision finale les différences existant entre celle-ci et ses appréciations provisoires – Absence – Décision finale constatant une date de fin de l’infraction différente de celle retenue, à titre provisoire, au stade de la communication des griefs – Admissibilité

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 27)

(voir points 81-85)

5.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Fixation du montant de base – Détermination de la valeur des ventes – Année de référence – Dernière année complète de l’infraction – Utilisation de différentes années de référence pour toutes les entreprises ayant participé à l’infraction – Utilisation d’une autre période de référence pour une entreprise ayant cessé de vendre les produits cartellisés – Admissibilité – Violation du principe d’égalité de traitement – Absence

(Règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 13)

(voir points 101-104, 110-114, 116-119, 120)

6.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Fixation du montant de base – Gravité de l’infraction – Prise en compte de la gravité de la participation d’une entreprise à une infraction, aux fins de l’ajustement et non de la fixation du montant de base – Admissibilité

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, points 19 à 22)

(voir points 131, 132, 138, 139, 141)

7.      Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Contrôle juridictionnel – Compétence de pleine juridiction du juge de l’Union – Portée – Soumission aux lignes directrices pour le calcul des amendes – Exclusion – Obligation de respecter le principe d’égalité de traitement

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 31 ; communication de la Commission 2006/C 210/02)

(voir points 160-164)

Résumé

Tokin Corp. (ci-après « Tokin ») est une société établie au Japon, qui fabrique et vend des condensateurs électrolytiques au tantale. Du 1er août 2009 au 31 janvier 2013, Tokin était détenue à 100 % par Nec Corp.

Par décision du 21 mars 2018 (1) (ci-après la « décision attaquée »), la Commission européenne a constaté que Tokin et Nec Corp. avaient enfreint l’article 101 TFUE en participant à des accords et/ou pratiques concertées qui avaient pour objet la coordination des politiques de prix pour la fourniture de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale. À cet égard, la Commission a retenu la responsabilité de Tokin, en raison de sa participation directe à cette entente du 29 janvier 2003 au 23 avril 2012, et la responsabilité de Nec Corp., en sa qualité de société mère, pour la période allant du 1er août 2009 au 23 avril 2012. La décision attaquée infligeait, d’une part, une amende à Tokin, conjointement et solidairement avec Nec Corp. et, d’autre part, des amendes individuelles respectivement à Tokin et à Nec Corp.

Aux fins du calcul du montant desdites amendes, la Commission a suivi la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes (2).

Pour le calcul des amendes imposées à Tokin, la Commission a déterminé le montant de base en se référant, d’abord, à la valeur des ventes des condensateurs électrolytiques concernés durant la dernière année complète de participation à l’infraction et en appliquant, ensuite, un coefficient multiplicateur pour la durée correspondant à la période comprise entre le 29 janvier 2003 et le 23 avril 2012. En considérant que les arrangements horizontaux de coordination des prix comptent, de par leur nature même, parmi les infractions les plus graves à l’article 101 TFUE, la Commission a fixé la proportion de la valeur des ventes à retenir au titre de la gravité de l’infraction à 16 %. Afin de s’assurer du caractère suffisamment dissuasif des amendes infligées, la Commission a, en outre, appliqué un montant additionnel de 16 %.

S’agissant des ajustements du montant de base, la Commission a accordé à Tokin et à Nec Corp. une réduction de 3 % du montant de base de l’amende, au motif que leur participation à certaines réunions n’était pas établie. Pour leur coopération au titre de la communication sur la coopération de 2006 (3), Tokin et Nec Corp. ont, en outre, obtenu une réduction de 15 % du montant de toute amende qui, à défaut, leur aurait été infligée pour l’infraction.

Tokin a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée, qui est néanmoins rejeté par la neuvième chambre élargie du Tribunal.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal rejette le moyen de Tokin tiré, d’une part, de la méconnaissance des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation de la Commission et, d’autre part, de la violation du principe de proportionnalité, en ce que la Commission aurait modifié la date de fin de l’infraction reprochée à Tokin tout en sachant que cette modification aurait pour effet de multiplier la valeur des ventes pertinentes et, par conséquent, le montant de l’amende.

À cet égard, le Tribunal observe que la communication des griefs indiquait que Tokin avait participé à l’infraction jusqu’au 11 décembre 2013 alors que, dans la décision attaquée, la Commission constate que la durée de l’infraction en cause est établie jusqu’au 23 avril 2012 et que Tokin y a participé jusqu’à cette date.

Toutefois, si la communication des griefs doit indiquer tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde dans le cadre de sa procédure d’enquête, cette communication constitue un document préparatoire dont les appréciations de fait et de droit ont un caractère purement provisoire. Une décision finale de la Commission ne saurait, par conséquent, être annulée au seul motif que les conclusions définitives tirées des faits indiqués dans la communication des griefs ne correspondent pas de manière précise à l’appréciation provisoire de ces faits contenue dans ladite communication. De plus, la Commission n’étant pas tenue de maintenir les appréciations de fait ou de droit portées dans la communication des griefs, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir tenu compte, dans la décision attaquée, d’une date de fin de l’infraction différente de celle qu’elle avait mentionnée dans la communication de griefs.

Par ailleurs, Tokin ne contestait ni la date de fin de l’infraction indiquée dans la décision attaquée ni la circonstance que la dernière année complète de sa participation à l’infraction correspondait à la période allant du 1er avril 2011 au 31 mars 2012.

Quant à la prétendue violation du principe de proportionnalité, le Tribunal constate que Tokin n’avait avancé aucun argument circonstancié au soutien de la prétendue violation.

En deuxième lieu, le Tribunal rejette le grief de Tokin tiré de la violation des principes de non-discrimination et d’égalité de traitement en ce que la Commission aurait utilisé, aux fins du calcul de l’amende, des années de référence différentes selon les destinataires de la décision attaquée.

À cet égard, le Tribunal constate, tout d’abord, que le principe d’égalité de traitement n’est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique. Ensuite, le Tribunal observe que, afin de déterminer le montant de base des amendes à infliger, la Commission avait appliqué pour toutes les entreprises, à l’exception de deux d’entre elles, le critère prévu au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 en vertu duquel ce montant doit être déterminé en utilisant comme paramètre de référence la valeur des ventes réalisée par l’entreprise en cause dans la dernière année complète de son participation à l’infraction. Selon le Tribunal, la dérogation audit critère pour deux des entreprises concernées était objectivement justifiée, dans la mesure où ces entreprises avaient cessé de vendre les produits faisant l’objet de l’infraction avant la fin de celle-ci et se trouvaient, de ce fait, dans une situation différente de celle des autres participants à l’infraction. Enfin, le Tribunal souligne que la Commission avait bien calculé séparément, pour tous les participants à l’entente, la valeur pertinente des ventes des deux catégories de produits concernés, à savoir les condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale.

Au regard de ces constatations, le Tribunal confirme que la méthode de calcul de la valeur des ventes suivie par la Commission n’était pas arbitraire et ne conduisait pas, en soi, à une violation des principes de non-discrimination et d’égalité de traitement.

En troisième lieu, le Tribunal rejette également le moyen de Tokin tiré du fait que, lors du calcul du montant de base de l’amende, la Commission aurait dû prendre en compte sa non-participation à certaines réunions anticoncurrentielles dans le coefficient de gravité de l’infraction et non au titre des circonstances atténuantes.

À cet égard, le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence bien établie, la Commission peut tenir compte de la gravité relative de la participation d’une entreprise à une infraction et des circonstances particulières de l’affaire soit lors du calcul du montant de base, soit lors de l’ajustement du montant de base en fonction de circonstances atténuantes et aggravantes. Partant, compte tenu de toutes les caractéristiques de l’infraction en cause, le choix de la Commission d’appliquer un coefficient de gravité de l’infraction de 16 %, en vue de déterminer le montant de base de l’amende, et d’accorder une réduction de 3 % du montant de base, au titre des circonstances atténuantes, ne violait ni le règlement no 1/2003 ni le principe de responsabilité personnelle.


1      Décision C(2018) 1768 final de la Commission, du 21 mars 2018, relative à une procédure d’application de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (Affaire AT.40136 - Condensateurs).


2      Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées, en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2) (ci-après les « lignes directrices de 2006 »).


3      Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17).