Language of document : ECLI:EU:T:2004:147

Ordonnance du Tribunal

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
12 mai 2004 (1)

« Procédure de référé – Aide d'État – Obligation de récupération – Fumus boni juris – Urgence – Mise en balance des intérêts – Circonstances exceptionnelles »

Dans l'affaire T-198/01 R [III],

Technische Glaswerke Ilmenau GmbH, établie à Ilmenau (Allemagne), représentée initialement par Mes G. Schohe et C. Arhold, puis par Mes C. Arhold et N. Wimmer, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Di Bucci et V. Kreuschitz, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

Schott Glas, établie à Mayence (Allemagne), représentée par Me U. Soltész, avocat,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande de prorogation du sursis à l'exécution de l'article 2 de la décision 2002/185/CE de la Commission, du 12 juin 2001, relative à une aide d'État accordée par la République fédérale d'Allemagne en faveur de Technische Glaswerke Ilmenau GmbH (JO 2002, L 62, p. 30), ordonné dans la présente affaire par les ordonnances du président du Tribunal du 4 avril 2002 et du 1er août 2003,



LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,



rend la présente



Ordonnance




Antécédents du litige et procédure

1
Le 12 juin 2001, la Commission a adopté la décision 2002/185/CE relative à une aide d’État accordée par la République fédérale d’Allemagne en faveur de Technische Glaswerke Ilmenau GmbH (JO 2002, L 62, p. 30, ci-après la « décision litigieuse »). Ayant expressément renoncé dans cette décision à examiner toutes les aides potentiellement incompatibles avec le marché commun accordées à Technische Glaswerke Ilmenau GmbH (ci-après « TGI » ou la « requérante ») et comprises dans les mesures notifiées par la République fédérale d’Allemagne le 1er décembre 1998, la Commission s’est concentrée sur une seule de ces mesures, à savoir la dispense de paiement, à hauteur de 4 millions de marks allemands (DEM) (2 045 168 euros, ci-après la « dispense de paiement »), du prix d’achat dû par TGI à la Bundesanstalt für vereinigungsbedingte Sonderaufgaben (ci-après la « BvS ») en vertu d’un accord du 26 septembre 1994 [ci‑après l’« asset-deal 1 » (accord de cession d’actifs)].

2
Selon la décision litigieuse (article 1er), l’octroi de la dispense de paiement constitue une aide d’État incompatible avec le marché commun, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, qui ne pouvait faire l’objet d’une autorisation en application de l’article 87, paragraphe 3, CE. La décision litigieuse (article 2) oblige donc la République fédérale d’Allemagne à en exiger la restitution.

3
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 août 2001, la requérante a formé un recours visant à obtenir l’annulation de la décision litigieuse.

4
Par lettre du 17 septembre 2001, la Commission a refusé la demande de sursis à la récupération du montant de la dispense de paiement, formée par le gouvernement allemand dans une lettre du 23 août 2001.

5
Par lettre du 2 octobre 2001, la BvS a communiqué à la requérante copie de la lettre de la Commission du 17 septembre 2001 et l’a mise en demeure de rembourser, au plus tard le 15 octobre 2001, la somme de 4 830 481,10 DEM (2 469 785,77 euros), montant de l’aide en cause augmenté des intérêts. La BvS, prenant acte de ce que la requérante lui avait indiqué son intention de saisir le Tribunal d’une demande de sursis à l’exécution de la décision litigieuse, a également précisé que, afin d’éviter de préjuger l’issue de cette demande, elle n’insisterait pas pour obtenir le remboursement de l’aide en cause avant que le juge des référés n’ait statué.

6
Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 15 octobre 2001, la requérante a introduit, en vertu des articles 242 CE et 243 CE, une demande visant à obtenir à titre principal le sursis à l’exécution de l’article 2 de la décision litigieuse.

7
Par une première ordonnance, en date du 4 avril 2002, rendue dans la présente affaire (Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, T‑198/01 R, Rec. p. II‑2153, ci-après l’« ordonnance initiale »), le président du Tribunal a ordonné, en vertu du point 1 du dispositif, le sursis à l’exécution de l’article 2 de la décision litigieuse jusqu’au 17 février 2003 (ci-après le « sursis initial »). Au point 2 dudit dispositif, le président du Tribunal a conditionné le sursis octroyé au respect par la requérante de trois conditions.

8
Les éléments factuels essentiels de la présente affaire qui ont précédé l’introduction de la demande en référé sont décrits aux points 7 à 21 de l’ordonnance initiale. Un résumé plus détaillé de la décision litigieuse figure par ailleurs aux points 22 à 27 de cette même ordonnance. La procédure devant le juge des référés qui a donné lieu à l’ordonnance initiale est décrite aux points 36 à 47 de cette dernière. L’ordonnance initiale a été confirmée sur pourvoi par l’ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 2002, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau [C‑232/02 P(R), Rec. p. I‑8977].

9
Par ordonnance du 15 mai 2002 du président de la cinquième chambre élargie du Tribunal, l’entreprise Schott Glas a été admise à intervenir au principal dans la présente affaire, au soutien des conclusions de l’institution défenderesse.

10
Le 2 octobre 2002, la Commission a adopté, à l’issue d’une autre procédure formelle d’examen ouverte par lettre du 5 juillet 2001 en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE, la décision 2003/383/CE relative à l’aide d’État C 44/01 (ex NN 147/98) accordée par la République fédérale d’Allemagne en faveur de TGI (JO 2003, L 140, p. 30, ci-après la « seconde décision »). Dans la seconde décision, la Commission, d’une part, a considéré que la République fédérale d’Allemagne avait accordé à la partie requérante des aides d’État incompatibles avec le marché commun, comprenant la novation de la garantie bancaire relative au solde du prix d’achat fixé par l’asset-deal 1 et un prêt de la Thüringer Aufbaubank (ci-après la « TAB ») de 2 000 000 DEM (1 015 677 euros) et, d’autre part, a obligé la République fédérale d’Allemagne à récupérer sans délai le montant de ces aides auprès de la requérante.

11
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 décembre 2002, la requérante a formé un recours visant à l’annulation de la seconde décision, qui a été enregistré sous le numéro T‑378/02. En outre, par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 février 2003, TGI a demandé le sursis à l’exécution de l’article 2 de la seconde décision. Par ordonnance du 1er août 2003 rendue dans cette affaire (Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, T‑378/02 R, non encore publiée au Recueil), le juge des référés a sursis à l’exécution, jusqu’au 31 octobre 2003, de l’article 2 de la seconde décision. Ledit sursis était assorti de quatre conditions.

12
Parallèlement, la requérante, estimant qu’elle avait respecté toutes les obligations qui lui incombaient en vertu du point 2 du dispositif de l’ordonnance initiale, a saisi, par acte déposé le 17 février 2003, le président du Tribunal d’une demande visant à obtenir la prolongation du sursis initial jusqu’à ce que le Tribunal ait définitivement statué sur le recours au principal.

13
Par ordonnance adoptée le 1er août 2003 dans la présente affaire (Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, T‑198/01 R [II], non encore publiée au Recueil, ci-après la « deuxième ordonnance »), le président du Tribunal a ordonné le sursis à l’exécution de l’article 2 de la décision litigieuse jusqu’au 17 février 2004 et assorti ce sursis de trois conditions :

premièrement, le respect par la requérante des quatre conditions posées par le point 2 du dispositif de l’ordonnance du 1er août 2003, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission (T‑378/02 R) (ci-après la « première condition ») ;

deuxièmement, le remboursement par la requérante à la BvS, avant le 31 décembre 2003 au plus tard, d’un montant additionnel de 256 000 euros et le dépôt au greffe du Tribunal et auprès de la Commission, dans un délai d’une semaine après ledit remboursement, et au plus tard le 7 janvier 2004, d’une pièce justificative dudit remboursement (ci-après la « deuxième condition ») ;  

troisièmement, le dépôt par la requérante au greffe du Tribunal et auprès de la Commission, au plus tard le 6 février 2004, d’un rapport détaillé d’un expert-comptable sur sa situation financière au 31 décembre 2003 et, notamment, sur le montant supplémentaire qu’elle serait en mesure de payer avant le 30 juin 2004, au plus tard, au cas où l’arrêt dans l’affaire au principal ne serait pas rendu à cette dernière date (ci-après la « troisième condition »).

14
S’agissant, tout d’abord, de la première condition, par lettre du 15 septembre 2003, enregistrée au greffe du Tribunal le 18 septembre 2003, la requérante a déposé un certificat de la TAB indiquant qu’elle avait remboursé sa dette à son égard. En outre, par lettre du 16 octobre 2003, enregistrée le lendemain au greffe du Tribunal, la requérante a déposé des documents indiquant, d’une part, que la garantie foncière de premier rang en faveur de la TAB sur le quatrième four avait été libérée et souscrite à nouveau en faveur de la BvS afin de garantir le droit de cette dernière à se voir rembourser le solde du prix de vente de l’asset deal 1 et, d’autre part, qu’une caution semblable à la caution personnelle et solidaire apportée le 3 mars 1998 par M. Geiß pour le remboursement du prêt de la TAB avait été apportée par lui en faveur de la BvS pour ce qui concerne le solde du prix de l’asset-deal 1.

15
S’agissant, ensuite, de la deuxième condition, par lettre du 22 décembre 2003, enregistrée le lendemain au greffe du Tribunal, la requérante a déposé des pièces certifiant que, le 16 décembre 2003, elle avait viré un montant de 256 000 euros à la BvS.

16
S’agissant, enfin, de la troisième condition, par lettre enregistrée au greffe du Tribunal le 27 janvier 2004, la requérante a demandé que la date limite de dépôt du rapport détaillé d’un expert-comptable sur la situation financière de la requérante au 31 décembre 2003 soit reportée au 13 février 2004. Le 28 janvier 2004, le président du Tribunal a fait droit à cette demande.

17
Par lettre du 12 février 2004, enregistrée le lendemain au greffe du Tribunal, TGI a déposé un rapport établi par le cabinet Pfizenmayer & Birkel, en date du 10 février 2004, sur la situation financière de la requérante au 31 décembre 2003 (ci-après l’« expertise Pfizenmayer 6 »). Par lettre enregistrée au greffe le 17 février 2004, la requérante a présenté, à l’égard de la partie intervenante, une demande au titre de l’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal visant au traitement confidentiel de certaines informations contenues dans sa lettre et dans l’expertise Pfizenmayer 6.

18
La requérante, estimant (en vertu des faits résumés aux points 14 à 17 ci-dessus) qu’elle avait respecté toutes les obligations qui lui incombaient en vertu du point 2 du dispositif de la deuxième ordonnance, a saisi, par acte déposé le 17 février 2004, le président du Tribunal d’une demande visant à obtenir la prorogation du sursis de la décision litigieuse jusqu’à ce que le Tribunal ait définitivement statué sur le recours au principal (ci-après la « demande de prorogation »).

19
Le 27 février 2004 et le 1er mars 2004, Schott Glas et la Commission ont respectivement présenté leurs observations sur la demande en référé.

20
Par ordonnance du 3 mars 2004, adoptée au titre de l’article 105, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement de procédure, le président du Tribunal a ordonné la prorogation temporaire du sursis à l’exécution de la décision litigieuse jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de prorogation.

21
Sur invitation du juge des référés, la requérante a déposé, le 24 mars 2004, ses observations écrites sur les observations de la Commission en date du 1er mars 2004.

22
Le 6 avril 2004, la Commission a déposé des observations écrites sur les observations de la requérante en date du 24 mars 2004. Schott Glas, pour sa part, n’a pas déposé d’observations.


Conclusions des parties

23
La requérante conclut à ce que le juge des référés :

sursoie à l’exécution de l’article 2 de la décision litigieuse jusqu’à ce qu’il soit statué définitivement dans l’affaire au fond ou, à titre subsidiaire, jusqu’au 30 juin 2004 ;

condamne la défenderesse aux dépens.

24
La Commission, soutenue par Schott Glas, conclut à ce que le juge des référés :

rejette la demande de prolongation du sursis à l’exécution de la décision litigieuse ;

condamne la requérante aux dépens.


En droit

25
En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d’une part, et de l’article 225, paragraphe 1, CE, d’autre part, le Tribunal peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution de l’acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

26
L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit qu’une demande en référé doit spécifier les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elle conclut. Ces conditions sont cumulatives, de sorte qu’une demande de sursis à exécution doit être rejetée dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30 ; ordonnance du président du Tribunal du 8 décembre 2000, BP Nederland e.a./Commission, T‑237/99 R, Rec. p. II‑3849, point 34]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73, et ordonnance initiale, point 50).

27
Dès lors que les observations écrites des parties contiennent toutes les informations nécessaires pour statuer sur la demande de mesures provisoires, il n’y a pas lieu de les entendre en leurs explications orales.

Sur les demandes de traitement confidentiel des 17 février, 11 et 25 mars 2004

28
Par lettres enregistrées au greffe du Tribunal les 17 février, 11 et 25 mars 2004, la requérante a présenté, à l’égard de la partie intervenante, des demandes au titre de l’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure visant au traitement confidentiel de certaines informations respectivement contenues dans sa demande en référé, dans les observations de la Commission en date du 1er mars 2004 et dans ses propres observations en date du 24 mars 2004. Elle a également déposé une version non confidentielle de ces documents. Ces versions non confidentielles ayant été notifiées par le greffe du Tribunal à la partie intervenante, celle-ci n’a pas émis d’objections ou d’observations à leur égard.

29
Le juge des référés estime que, compte tenu de l’absence d’objections de la partie intervenante, les demandes de traitement confidentiel des 17 février, 11 et 25 mars 2004 peuvent être acceptées, sauf en ce qu’elles portent sur les montants déjà remboursés par la requérante à la BvS en application de l’ordonnance initiale et de la deuxième ordonnance. Lesdits montants sont en effet de notoriété publique compte tenu de la publication de ces deux ordonnances dans le Recueil de la Jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance et/ou de leur diffusion sur le site Internet de l’institution.

Sur le fumus boni juris

Arguments des parties

30
Dans sa demande en référé, la requérante considère en substance que, s’agissant du fumus boni juris, il n’existe aucune raison de s’écarter de l’appréciation effectuée à cet égard par le juge des référés dans l’ordonnance initiale et dans la deuxième ordonnance.

31
La Commission, pour sa part, considère que, en vue du traitement de la demande de prorogation, le juge des référés ne peut pas s’appuyer sur l’appréciation du fumus boni juris effectuée dans l’ordonnance initiale et dans la deuxième ordonnance. En effet, cette appréciation reposerait sur la considération selon laquelle les premier et troisième moyens soulevés par la requérante ne sont pas manifestement infondés. Or, d’une part, l’appréciation du président du Tribunal concernant le troisième moyen aurait été écartée par le président de la Cour dans son ordonnance rendue sur pourvoi contre l’ordonnance initiale (ordonnance Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, point 8 supra, point 76). D’autre part, s’agissant du premier moyen, la requérante aurait produit, dans le cadre de l’affaire au principal, la « convention portant adaptation des contrats de privatisation (contrat I et contrat II) entre la BvS et la TGI ». Or, cette convention démontrerait que l’abandon du prix d’achat par la BvS n’était pas une adaptation du contrat de privatisation pour cause de disparition d’une condition essentielle du contrat, mais une aide nouvelle, que la requérante aurait d’ailleurs toujours considérée comme telle.

32
Dans ses observations du 24 mars 2004, la requérante répond notamment à ces arguments que la notification d’une mesure à la Commission ne vaut pas reconnaissance de sa qualité d’aide d’État.

Appréciation du juge des référés

33
Dans l’ordonnance initiale, le juge des référés a considéré que le premier moyen soulevé par la requérante dans son recours au principal ne pouvait, à première vue, être écarté (ordonnance initiale, points 74 à 79). Cette appréciation a été confirmée par le président de la Cour dans l’ordonnance Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, point 8 supra (points 63 à 69 et 78 de ladite ordonnance), puis réitérée par le juge des référés dans la deuxième ordonnance (points 42 et 43 de la deuxième ordonnance).

34
La Commission soutient cependant que, s’agissant du premier moyen soulevé par la requérante, la condition relative au fumus boni juris fait désormais défaut en raison d’éléments produits le 12 septembre 2003 par la requérante, dans le cadre du recours au principal, en réponse à une invitation du Tribunal, c’est-à-dire postérieurement à la deuxième ordonnance. Il convient donc d’apprécier si, comme le soutient le Commission, l’appréciation du juge des référés relative au premier moyen dans l’ordonnance initiale et dans la deuxième ordonnance ne peut être réitérée dans le cadre de la présente ordonnance.

35
À cet égard, il convient de rappeler que la position du juge des référés dans le cadre de l’ordonnance initiale repose notamment sur certaines appréciations provisoires quant à l’absence de contestation par la Commission, dans la décision litigieuse, de l’existence d’une promesse du Land de Thuringe qui pourrait avoir relevé d’un régime d’aides approuvé (points 75 à 78 de l’ordonnance initiale).

36
Or, la Commission soutient que, sur le fondement de la « convention portant adaptation des contrats de privatisation (contrat I et contrat II) entre la BvS et la TGI », il apparaît que l’abandon du prix d’achat en cause n’était pas une adaptation du contrat de privatisation pour cause de disparition d’une condition essentielle du contrat, mais une aide nouvelle que la requérante a toujours considérée comme telle. La Commission s’appuie en particulier sur une stipulation formulée comme suit :

« Les parties sont conscientes que l’abandon du prix d’achat de 4 millions de DM, la novation de la garantie pour la dernière tranche du prix d’achat d’un montant de 1,8 million de DM et l’octroi du prêt de la TAB à concurrence de 2 millions de DM doivent être notifiés à la Commission européenne. La procédure en question a été enclenchée par la BvS le 3 décembre 1998, avec la nécessaire coopération des parties, et la BvS veillera à son déroulement ultérieur. »

37
Cependant, l’existence de cette stipulation ne remet nullement en cause l’observation du juge des référés, au point 75 de l’ordonnance initiale, selon laquelle la Commission, au point 82 de la décision litigieuse, n’a pas pris en considération la rupture de la promesse alléguée et ses conséquences et, par conséquent, n’a apparemment pas contesté l’existence de ladite promesse.

38
Par ailleurs, la stipulation visée par la Commission ne permet, à ce stade, ni d’écarter la possibilité que la promesse alléguée par la requérante ait réellement existé ni, à plus forte raison, de considérer comme manifestement infondée l’argumentation de la requérante selon laquelle l’aide litigieuse ne constitue pas une aide nouvelle. En effet, la seule circonstance que la stipulation en cause ne contienne pas de référence précise à une promesse ne suffit pas, à première vue, à démontrer que ladite promesse n’a pas été consentie par ailleurs. La résolution de cette question factuelle contestée reviendra, le cas échéant, au juge du fond.

39
À ce stade, au regard des informations dont il a été fait état devant le juge des référés, les arguments présentés par la Commission ne permettent donc pas de modifier l’appréciation effectuée, dans l’ordonnance initiale et la deuxième ordonnance, concernant le premier moyen. Ce dernier ne saurait donc toujours pas être considéré comme étant manifestement infondé. Sans qu’il soit par conséquent nécessaire de se prononcer sur les autres moyens du recours au principal, la condition relative au fumus boni juris reste satisfaite.

Sur l’urgence

Arguments des parties

40
Dans sa demande en référé et dans ses observations du 24 mars 2004, la requérante soutient en substance que, s’agissant de l’urgence à ordonner des mesures provisoires, les arguments présentés précédemment par elle dans cette affaire restent valables. Ainsi que cela ressortirait de l’expertise Pfizenmayer 6, en dépit de l’évolution positive de la situation financière de TGI, dont le chiffre d’affaires aurait augmenté de […]  (2)  % en 2003, il resterait établi qu’elle ne peut rembourser l’aide litigieuse sans faire faillite. TGI ajoute que, compte tenu, d’une part, du remboursement anticipé du prêt à la TAB et du paiement exceptionnel en faveur de BvS exigés dans l’ordonnance initiale et la deuxième ordonnance et, d’autre part, de la chute brutale et imprévue du cours du dollar, les liquidités à sa disposition au 31 décembre 2003 étaient presque entièrement épuisées.

41
La Commission, en revanche, relève dans ses observations écrites plusieurs points visant à démontrer que la situation financière de la requérante est très difficile et qu’elle ferait donc, en tout état de cause, faillite.

42
Premièrement, la Commission constate que, selon l’expertise Pfizenmayer 6 elle-même, la trésorerie de l’entreprise se trouve dans une situation critique et d’une telle gravité que l’entreprise ne serait même pas en mesure de payer, une nouvelle fois, le montant précédemment versé en exécution des conditions posées dans l’ordonnance initiale et dans la deuxième ordonnance.

43
Deuxièmement, l’expertise Pfizenmayer 6 n’indiquerait pas la provenance des fonds indispensables aux investissements dont la requérante déclare qu’ils sont désormais impossibles à différer.

44
Troisièmement, l’expertise Pfizenmayer 6, d’une part, considérerait de façon irréaliste que les fournisseurs de la requérante lui octroieront des délais de paiement et, d’autre part, n’indiquerait pas les raisons pour lesquelles la requérante serait en mesure de maîtriser la chute du dollar ayant contribué à l’apparition de ses difficultés.

45
La Commission considère, par ailleurs, que ces mêmes éléments démontrent que M. Pfizenmayer ne peut pas être considéré comme un expert objectif et impartial.

46
Dans ses observations, Schott Glas considère, en substance, que la viabilité de la requérante est plus douteuse que jamais.

Appréciation du juge des référés

47
Il convient, tout d’abord, de réitérer les appréciations figurant aux points 96 à 99 de l’ordonnance initiale.

48
En outre, il convient de constater que, selon l’expertise Pfizenmayer 6, si la situation financière de la requérante reste difficile, elle tend néanmoins à se rétablir.

49
Il apparaît ainsi, en premier lieu, que, même si la situation de TGI reste tendue et mitigée, compte tenu notamment de la diminution de ses ressources disponibles, il n’est toujours pas possible d’avancer avec suffisamment de vraisemblance qu’elle risque en tout état de cause de faire faillite avant le prononcé de l’arrêt au principal. En particulier, il apparaît que son chiffre d’affaires a progressé durant l’année 2003 et que le niveau de ses moyens de trésorerie disponibles, qui reste encore positif, devrait légèrement s’améliorer d’ici au 30 juin 2004. Or, l’audience au principal ayant eu lieu le 11 décembre 2003, le prononcé de l’arrêt au fond est maintenant très proche. Il semble donc peu probable que, dans un laps de temps aussi court, la situation de la requérante puisse se détériorer au point qu’elle doive être placée en cessation de paiement.

50
Il ressort, en second lieu, de l’expertise Pfizenmayer 6 que, dans l’hypothèse où la requérante devrait rembourser les sommes réclamées par la BvS et ne lui ayant pas encore été restituées, sa situation financière pourrait se dégrader immédiatement au point de la placer en cessation de paiement.

51
Il ressort en particulier de l’expertise Pfizenmayer 6 que les ressources de la requérante disponibles au 31 décembre 2003 s’élevaient à […] euros et que les niveaux de liquidités au comptant et à court terme de TGI, même s’ils ne pouvaient être évalués et interprétés avec précision, restaient, bien que positifs, faibles dans leur ensemble. Les moyens de trésorerie prévus pour le 30 juin 2004, qui sont de l’ordre de […] euros, restent également faibles. Enfin, il semble que le risque de cessation de paiement puisse se réaliser même dans l’hypothèse où TGI n’entamerait pas certains investissements importants et, en particulier, la reconstruction du quatrième four.

52
Enfin, le juge des référés estime que les allégations de la Commission sur le manque d’objectivité et les imprécisions de l’expertise Pfizenmayer 6 reposent en partie sur des interprétations subjectives ou abusives de ladite expertise et sont en tout état de cause insuffisantes pour altérer la vraisemblance du constat effectué aux points 48 à 51 ci-dessus.

53
Compte tenu de ce qui précède, la requérante a pu démontrer à suffisance de droit, d’une part, qu’elle survivra économiquement au moins jusqu’à l’arrêt au principal et, d’autre part, que l’exécution immédiate de la décision litigieuse mettrait en péril prochainement, sinon immédiatement, son existence.

54
Par conséquent, la condition relative à l’urgence demeure remplie en l’espèce. Il est donc nécessaire de mettre en balance l’ensemble des intérêts en cause.

Sur la mise en balance des intérêts

Arguments des parties

55
Dans sa demande en référé et dans ses observations du 24 mars 2004, la requérante invoque les mêmes intérêts que ceux avancés dans sa première demande en référé (points 110 et 111 de l’ordonnance initiale). Elle souligne que deux éléments supplémentaires plaident en faveur d’une prorogation du sursis à l’exécution de la décision litigieuse sans conditions particulières.

56
En premier lieu, dans la mesure où l’audience a eu lieu le 11 décembre 2003 dans l’affaire au principal, une prorogation du sursis se limiterait à une période de courte durée. En second lieu, les paiements exceptionnels rendus nécessaires pour respecter les conditions posées par le président du Tribunal auraient rendu impossible la constitution par la requérante de réserves de liquidités. Compte tenu de la nécessité de reconstruire le quatrième four, la requérante ne serait plus en mesure de procéder à un paiement complémentaire.

57
Dans ses observations, la Commission considère que la situation dans la présente affaire ne met nullement en cause des circonstances exceptionnelles et hautement spécifiques pouvant plaider en faveur de l’octroi de mesures provisoires.

58
En premier lieu, comme le constaterait la décision litigieuse, dix entreprises seraient présentes sur le marché où la requérante est active et pourraient donc bénéficier d’un remboursement des sommes litigieuses. En outre, il serait acquis que le remboursement des aides en cause ne renforcerait nullement la position dominante de Schott Glas, cette dernière ne dominant d’ailleurs pas le marché en cause.

59
En deuxième lieu, la Commission remet en cause l’appréciation effectuée par le juge des référés dans la deuxième ordonnance. Premièrement, la deuxième ordonnance s’écarterait de l’ordonnance initiale en se contentant de relever que Schott Glas jouit d’un chiffre d’affaires beaucoup plus élevé que celui de la requérante, alors que l’ordonnance initiale s’appuyait pour sa part, selon la Commission, sur un renforcement de la position dominante de Schott Glas, qui n’était de toute façon pas pertinent en l’espèce. Deuxièmement, la deuxième ordonnance n’expliquerait pas en quoi le chiffre d’affaires de Schott Glas constitue un critère pertinent dans le cadre de la balance des intérêts. Pour autant que ce chiffre d’affaires doive être interprété comme signifiant que Schott Glas peut obtenir de sa société mère des fonds quasi illimités pour compenser ses pertes éventuelles, la position du juge des référés serait contraire à la jurisprudence (arrêts de la Cour du 21 mars 1991, Italie/Commission, C‑303/88, Rec. p. I‑1433, point 21, et Italie/Commission, C‑305/89, Rec. p. I‑1603, point 23).

60
En troisième lieu, la deuxième ordonnance ne prendrait pas en compte la situation des huit concurrents de TGI et de Schott Glas évoqués dans la décision litigieuse.

61
Enfin, en quatrième lieu, la deuxième ordonnance reposerait sur des constatations factuelles erronées en ce qu’elle constaterait que Schott Glas a apparemment reçu des aides importantes de la part du Land de Thuringe. En effet, la décision à laquelle se référerait le Tribunal concernerait une entreprise qui n’est ni la partie intervenante ni la société mère de cette dernière.

Appréciation du juge des référés

62
Le juge des référés, à l’instar des considérations exposées aux points 115 à 117 de l’ordonnance initiale et aux points 66 et 67 de la deuxième ordonnance, estime qu’il existe toujours des circonstances exceptionnelles et hautement spécifiques dans la présente affaire qui penchent en faveur d’un prolongement des mesures provisoires.

63
Premièrement, il convient de constater que, dans ses observations sur la mise en balance des intérêts, la Commission se contente en substance de critiquer l’appréciation effectuée par le juge des référés dans la deuxième ordonnance, contre laquelle elle n’a pas formé de pourvoi, sans invoquer pour autant un changement de circonstances qui puisse justifier que le juge des référés doive modifier ladite appréciation.

64
Deuxièmement, en tout état de cause, les arguments de la Commission ne permettent pas d’affecter le constat, déjà opéré au point 117 de l’ordonnance initiale et au point 67 de la deuxième ordonnance, selon lequel, compte tenu des circonstances très particulières de l’espèce et, notamment, du montant très bas de l’aide litigieuse par rapport au montant total des aides accordées à la requérante, il est irréaliste d’envisager que le remboursement immédiat de ladite aide permette de rétablir une situation de concurrence spécifique existant antérieurement sur le marché ou les marchés du verre en cause. Ces mêmes arguments ne permettent pas plus de remettre en cause le fait que le chiffre d’affaires de Schott Glas, qui est beaucoup plus important que celui de la requérante, l’empêche de subir un préjudice important résultant de l’octroi de mesures provisoires. En outre, ainsi que cela a déjà été constaté au point 67 de la deuxième ordonnance, il reste en tout état de cause très peu probable que TGI, compte tenu de sa situation financière, puisse mettre en œuvre des comportements constituant une distorsion de concurrence, de nature à affecter soit Schott Glas soit les autres concurrents de TGI.

65
Enfin, troisièmement, il convient de tenir compte, dans le cadre spécifique de la présente ordonnance, du fait que le prononcé de l’arrêt au principal est désormais imminent. Par conséquent, même à supposer qu’un sursis à l’exécution de la décision litigieuse puisse, compte tenu du maintien de TGI sur le marché ou les marchés du verre en cause, entraîner certaines distorsions de concurrence ou affecter négativement d’autres intérêts en présence, ces effets se produiraient sur une période désormais très limitée.

66
Il s’ensuit que l’octroi de mesures provisoires est, dans les circonstances très particulières de l’espèce, justifié et répond adéquatement au besoin d’assurer une protection juridique provisoire effective. En outre, compte tenu de la date très proche du prononcé de l’arrêt dans l’affaire au principal, il n’est pas nécessaire d’assortir ce sursis de conditions particulières ou d’une limitation de durée.


Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL



ordonne:

1)
Il est sursis à l’exécution, jusqu’au prononcé de l’arrêt au principal, de l’article 2 de la décision 2002/185/CE de la Commission, du 12 juin 2001, relative à une aide d’État accordée par la République fédérale d’Allemagne en faveur de Technische Glaswerke Ilmenau GmbH.

2)
Les dépens, y compris ceux de la partie intervenante, sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 12 mai 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1
Langue de procédure: l'allemand.


2
− Donnée confidentielle occultée.