Language of document : ECLI:EU:T:2016:365

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

22 juin 2016 (*)

« Recours en annulation – Aides d’État – Électroménager – Aide à la restructuration – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur, sous réserve du respect de certaines conditions – Décision prise à la suite de l’annulation par le Tribunal de la décision antérieure concernant la même procédure – Défaut d’affectation individuelle – Défaut d’affectation substantielle de la position concurrentielle – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑118/13,

Whirlpool Europe BV, établie à Breda (Pays-Bas), représentée par Mes F. Wijckmans et H. Burez, avocats,

partie requérante,

soutenue par

Electrolux AB, établie à Stockholm (Suède), représentée par Mes F. Wijckmans et H. Burez, avocats,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn, É. Gippini Fournier et P.‑J. Loewenthal, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République française, représentée par MM. G. de Bergues, D. Colas et Mme J. Bousin, en qualité d’agents,

et part

Fagor France SA, établie à Rueil-Malmaison (France), représentée par Mes J. Derenne et A. Müller-Rappard, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision 2013/283/UE de la Commission, du 25 juillet 2012, concernant l’aide d’État SA.23839 (C 44/2007) de la France en faveur de l’entreprise FagorBrandt (JO 2013, L 166, p. 1),

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. S. Gervasoni et L. Madise (rapporteur), juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 24 novembre 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Whirlpool Europe BV (ci-après « Whirlpool »), opère dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation des gros appareils électroménagers.

2        Par lettre du 6 août 2007, la République française a notifié à la Commission européenne un projet d’aide à la restructuration d’un montant de 31 millions d’euros en faveur de FagorBrandt SA devenue Fagor France SA (ci-après « FagorBrandt » ou la « bénéficiaire »).

3        Par lettre du 10 octobre 2007, la Commission a informé la République française de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE (JO 2007, C 275, p. 18).

4        Par lettres des 14 décembre 2007, 26 février et 12 mars 2008, Electrolux AB, opérant également dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation des gros appareils électroménagers, a soumis des observations.

5        Par lettre du 17 décembre 2007, Whirlpool a soumis des observations.

6        Par décision 2009/485/CE, du 21 octobre 2008, concernant l’aide d’État C 44/07 (ex N 460/07) que la France envisage de mettre à exécution en faveur de l’entreprise FagorBrandt (JO 2009, L 160, p. 11), la Commission a autorisé l’aide sous condition, notamment, que FagorBrandt arrête la commercialisation des réfrigérateurs, des congélateurs, des appareils de cuisson et des lave-vaisselle de la marque Vedette pour une durée de cinq années.

7        Par arrêt du 14 février 2012, Electrolux/Commission (T‑115/09 et T‑116/09, EU:T:2012:76), rendu sur les recours formés par Electrolux et par Whirlpool, le Tribunal a annulé la décision 2009/485 après avoir constaté que la Commission avait commis des erreurs manifestes d’appréciation en prenant en compte une mesure compensatoire non valable (la cession de Brandt Components) et en ayant omis d’analyser l’effet cumulé sur la concurrence de l’aide notifiée, mentionnée au point 2 ci-dessus, et d’une autre aide accordée par la République italienne à FagorBrandt, par le biais de sa filiale FagorBrandt Italia (ci-après l’« aide italienne »).

8        Le 25 juillet 2012, à la suite de l’arrêt du 14 février 2012, Electrolux/Commission (T‑115/09 et T‑116/09, EU:T:2012:76), la Commission a adopté la décision 2013/283/UE, concernant l’aide d’État SA.23839 (C 44/2007) de la France en faveur de l’entreprise FagorBrandt (JO 2013, L 166, p. 1, ci-après la « décision attaquée »), dans laquelle elle a déclaré l’aide notifiée compatible avec le marché intérieur (ci-après l’« aide visée par la décision attaquée » ou la « mesure en cause ») aux conditions qu’elle y énonce.

9        Dans la décision attaquée, la Commission, après avoir examiné l’effet cumulé de la mesure en cause et de l’aide italienne (considérants 85 à 88), a considéré, en substance, que la cession de Brandt Components (qualifiée de mesure compensatoire par la décision 2009/485) et l’arrêt de la commercialisation pendant une durée de cinq années de certains produits (cuisson, froid, lave-vaisselle) de la marque Vedette (imposé par la décision 2009/485) n’étaient pas suffisants pour prévenir toute distorsion excessive de concurrence (considérants 100 et 112). Dans ces conditions, elle a, notamment, décidé d’imposer comme condition de compatibilité de la mesure en cause, la prolongation pour trois années supplémentaires de l’arrêt de la commercialisation des produits précités de la marque Vedette (considérant 112). Elle a estimé que cette mesure suffisait, à elle seule, à réduire de manière proportionnée les effets négatifs sur la concurrence résultant de l’octroi de l’aide (considérant 117) et compensait l’effet cumulé de ladite aide et de l’aide italienne (considérant 118).

10      Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :

« Article premier

L’aide que la [République française] envisage de mettre à exécution en faveur de l’entreprise FagorBrandt pour un montant de 31 millions d’euros est compatible avec le marché intérieur aux conditions prévues à l’article 2.

Article 2

1. Les autorités françaises sont tenues de suspendre le versement à l’entreprise FagorBrandt de l’aide visée à l’article 1er de la présente décision tant que la récupération auprès de FagorBrandt de l’aide incompatible visée par la décision de la Commission 2004/343/CE du 16 décembre 2003 n’est pas effective.

2. Le plan de restructuration de FagorBrandt, tel que communiqué à la Commission par la [République française] le 6 août 2007, est exécuté intégralement.

3. La contribution propre aux coûts de restructuration proposée par FagorBrandt, d’un montant de 31,5 millions d’euros, devra être augmentée de 3 190 878,02 euros ainsi que des intérêts sur cette somme courant depuis la mise à la disposition de FagorBrandt de l’aide italienne jusqu’au 21 octobre 2008. Cette augmentation devra avoir lieu avant la fin de la période de restructuration de l’entreprise fixée au 31 décembre 2012. Les autorités françaises devront apporter la preuve de cette augmentation dans les deux mois suivant l’échéance du 31 décembre 2012.

4. FagorBrandt arrête la commercialisation des produits du froid, de la cuisson et des lave-vaisselle de la marque Vedette pour une durée de huit années.

5. Pour assurer le suivi des conditions prévues aux paragraphes 1 à 4 du présent article, la [République française] informe la Commission, au moyen de rapports annuels, sur l’état d’avancement de la restructuration de FagorBrandt, sur la récupération de l’aide incompatible visée au paragraphe 1, sur le paiement de l’aide compatible et sur la mise en œuvre des mesures compensatoires.

Article 3

La [République française] informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification de la présente décision, des mesures prises pour s’y conformer.

Article 4

La République française est destinataire de la présente décision. »

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 février 2013, la requérante a introduit le présent recours.

12      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 juin 2013, Electrolux a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien de la requérante. Par actes déposés les 25 juin et 8 juillet 2013, FagorBrandt et la République française ont demandé à intervenir au soutien de la Commission.

13      Par ordonnance du 11 septembre 2013, le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis les demandes d’intervention déposées par Electrolux, FagorBrandt et la République française.

14      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 3 octobre 2013, la requérante a demandé au Tribunal qu’il l’autorise à présenter, au titre d’une mesure d’organisation de la procédure, des observations par écrit en réponse aux conclusions de la Commission sur la recevabilité de la requête, pour autant que celles-ci avaient été présentées pour la première fois au stade de la duplique.

15      Par lettres des 14, 24 et 29 octobre 2013, la Commission, la République française et FagorBrandt ont déposé des observations sur la demande de mesures d’organisation de la procédure déposée par la requérante.

16      Par actes déposés au greffe du Tribunal le 5 décembre 2013, FagorBrandt et la République française ont déposé leurs mémoires en intervention.

17      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 décembre 2013, Electrolux a déposé son mémoire en intervention.

18      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 février 2014, la Commission a fait part de ses observations sur les mémoires en intervention de la République française, de FagorBrandt et d’Electrolux.

19      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 4 mars 2014, la requérante a fait part de ses observations sur les mémoires en intervention de FagorBrandt et de la République française.

20      Par acte du 23 septembre 2015, le Tribunal a adressé des mesures d’organisation de la procédure aux parties. Le Tribunal a, notamment, demandé à la requérante de répondre à l’argumentation de la Commission tendant à contester la recevabilité de son recours et d’étayer les arguments soulevés, en ce sens, dans ses écritures.

21      Par lettres des 9 et 30 octobre 2015, la Commission, puis la requérante ont répondu aux questions du Tribunal.

22      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

23      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler la décision attaquée dans son intégralité au motif qu’une ou plusieurs des conditions cumulatives énoncées par les lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté (JO 2004, C 244, p. 2) ne sont pas remplies ou, en tout état de cause, que la Commission n’a pas vérifié à suffisance de droit que chacune de ces conditions était satisfaite ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée dans son intégralité en ce qu’elle viole l’obligation de motivation inscrite à l’article 296 TFUE ;

–        condamner la Commission aux dépens ;

–        condamner la République française et FagorBrandt à supporter leurs propres dépens.

24      Electrolux conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler la décision attaquée dans son intégralité pour autant qu’une ou plusieurs conditions (cumulatives) énoncées dans les lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté ne sont pas remplies ou, en tout état de cause, que la Commission n’a pas vérifié à suffisance de droit que chacune de ces conditions était satisfaite ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée dans son intégralité pour violation de l’article 296 TFUE.

25      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

26      FagorBrandt conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ou dénué de fondement ;

–        condamner la requérante aux dépens.

27      La République française conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

 En droit

28      La Commission, soutenue par la République française et FagorBrandt, affirme, au stade de la duplique, que, conformément à la jurisprudence, le fait qu’une entreprise ait été entendue et que le déroulement de la procédure ait été largement déterminé par ses observations, s’il constitue un élément pertinent pour apprécier la qualité pour agir, ne dispense pas cette entreprise de démontrer que l’aide litigieuse est susceptible de conduire à une « affectation substantielle » de sa position sur le marché. La Commission précise, s’agissant de cette « affectation substantielle », que, conformément à la jurisprudence, il ne saurait suffire, aux fins de rapporter la preuve que l’entreprise en cause est individuellement concernée, d’établir que l’aide en cause est susceptible d’exercer une « certaine influence » sur les rapports de concurrence et que l’entreprise concernée se trouve dans une relation de concurrence avec le bénéficiaire de l’aide. Au contraire, il conviendrait de démontrer que la requérante a été affectée par l’aide d’une façon particulière par rapport à ses concurrentes. Elle indique que cette exigence fondamentale a été récemment rappelée par la Cour dans l’arrêt du 13 juin 2013, Ryanair/Commission (C‑287/12 P, non publié, EU:C:2013:395).

29      La requérante, dans ses observations sur les mémoires en intervention de FagorBrandt et de la République française, ainsi que dans ses réponses aux questions du Tribunal du 15 octobre 2015, en premier lieu, indique que la décision attaquée démontre clairement que sa position sur le marché a été substantiellement affectée par l’aide visée par la mesure en cause.

30      La requérante, soutenue par Electrolux, se réfère, à cet égard, premièrement, au considérant 18 de la décision attaquée, qui indique que « sans l’aide FagorBrandt sortirait du marché » et que « [l]a disparition de FagorBrandt permettrait par conséquent aux concurrents européens d’accroître leurs ventes et leurs productions pour des montants significatifs », deuxièmement, au considérant 93 de cette décision, qui précise que « les aides à la restructuration créent automatiquement une distorsion de concurrence, dans la mesure où elles empêchent l’élimination du marché du bénéficiaire et limitent ainsi le développement des concurrents », troisièmement, au considérant 94 de ladite décision, qui énonce que, « [s]ans aide de l’État français, FagorBrandt sortirait rapidement du marché […] dès lors, la disparition de FagorBrandt aurait permis à ces concurrents européens d’accroître sensiblement leurs ventes et dès lors leur production » et, quatrièmement, aux considérants 105 et 109 de la décision attaquée, qui disposent que Whirlpool est l’un des « principaux concurrents de FagorBrandt » sur le marché des réfrigérateurs, des congélateurs et des lave-vaisselle. Elle en déduit que, en citant ces considérants de la décision attaquée dans ses écritures, elle a démontré, à suffisance de droit, que sa position sur le marché était affectée de façon significative.

31      La requérante relève, également, que la Commission n’a pas, avant la duplique, contesté son affectation individuelle par rapport à la décision 2009/485, pas plus que le Tribunal n’a mis en cause la recevabilité de la requête dans son arrêt du 14 février 2012, Electrolux/Commission (T‑115/09 et T‑116/09, EU:T:2012:76). En réponse aux questions du Tribunal, elle indique, à cet égard, en substance, que l’arrêt du 14 février 2012, Electrolux/Commission (T‑115/09 et T‑116/09, EU:T:2012:76), a acquis autorité de chose jugée s’agissant de la question de la recevabilité du recours, notamment, dans la mesure où la décision attaquée est fondée exactement sur le même dossier administratif que la décision 2009/485, les arguments qu’elle a soulevés sont les mêmes et la Commission n’a pas produit d’arguments, ni de preuves permettant au Tribunal de distinguer la question de la recevabilité du recours dans la présente procédure de celle de la recevabilité du recours qui a été dûment établie par l’arrêt du 14 février 2012, Electrolux/Commission (T‑115/09 et T‑116/09, EU:T:2012:76), dans la procédure précédente.

32      En second lieu, la requérante souligne que, en tout état de cause, elle s’est distinguée des autres entreprises sur le marché.

33      Elle fait valoir que, premièrement, en sa qualité de numéro deux du marché français, elle aurait nécessairement tiré davantage profit d’une sortie de la bénéficiaire que ses concurrents. Elle affirme, à cet égard, que, depuis que la bénéficiaire de l’aide a cessé ses activités au milieu de l’année 2013, elle a « gagné un nombre considérable de parts de marché sur le marché français » et que même si elle n’avait récupéré que 1 % des parts de marché de FagorBrandt, ce montant aurait équivalu au montant de l’aide visée par la décision attaquée. Ainsi, la requérante fait valoir que la disparition de FagorBrandt aurait pu générer, pour elle, un gain significatif en parts de marché compte tenu de son rang de numéro deux du marché, de sorte que l’aide visée par la décision attaquée serait source d’un manque à gagner important qui caractériserait, en tant que tel, l’affectation substantielle de sa position sur le marché, au sens de la jurisprudence.

34      Elle soutient, deuxièmement, dans le cadre de la preuve d’une affectation particulière de sa position, qu’elle figurait, comme elle l’a établi dans la requête, parmi les acquéreurs potentiels de la bénéficiaire en 2001/2002 lorsque cette dernière faisait l’objet d’une procédure d’insolvabilité. Or, la reprise de Brandt a finalement été accordée à Fagor, car cette entreprise s’était engagée à ne pas la restructurer pendant deux ans, en contrepartie de l’aide en cause.

35      La requérante rappelle, troisièmement, qu’elle a été étroitement impliquée dans la procédure en cause, dans une mesure qui la distingue clairement d’autres participants sur le marché.

36      À titre liminaire, il convient de relever que la Commission a mis en cause, pour la première fois, au stade de la duplique, la recevabilité du recours, en excipant de l’absence de qualité pour agir de la requérante.

37      Toutefois, d’une part, il convient de constater que les conditions de recevabilité du recours peuvent être examinées à tout moment d’office par le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 1996, Skibsværftsforeningen e.a./Commission, T‑266/94, EU:T:1996:153, point 40). Dès lors, l’absence de contestation par la Commission de la recevabilité du recours ou, a fortiori, la contestation tardive de celle-ci n’implique pas que le Tribunal renonce à s’interroger sur ce point.

38      D’autre part, rien ne s’oppose à ce que le Tribunal tienne compte des observations en réponse sur la fin de non-recevoir, fournies par la requérante, après la duplique (voir, en ce sens, ordonnance du 7 mars 2013, UOP/Commission, T‑198/09, non publiée, EU:T:2011:354, point 32), comme l’a expressément reconnu la Commission lors de l’audience.

39      Il convient, dès lors, d’examiner la recevabilité du recours introduit par la requérante.

40      En tant que la Commission reproche à la requérante un défaut de qualité pour agir, il importe de rappeler que l’article 263, quatrième alinéa, TFUE prévoit deux cas de figure dans lesquels la qualité pour agir est reconnue à une personne physique ou morale pour former un recours contre un acte de l’Union dont elle n’est pas le destinataire. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement.

41      En l’espèce, la décision attaquée a pour unique destinataire la République française et concerne une aide individuelle au sens de l’article 1er, sous e), du règlement (UE) no 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9). La décision attaquée ayant ainsi une portée individuelle, il ne peut s’agir d’un acte réglementaire, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qui vise tout acte de portée générale à l’exception des actes législatifs (voir arrêt du 3 décembre 2014, Castelnou Energía/Commission, T‑57/11, EU:T:2014:1021, point 23 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que, la requérante n’étant pas destinataire de la décision attaquée, son recours n’est recevable qu’à la condition qu’elle soit directement et individuellement concernée par ladite décision.

42      Selon une jurisprudence constante de la Cour, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223 ; du 22 novembre 2007, Sniace/Commission, C‑260/05 P, EU:C:2007:700, point 53 ; du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, EU:C:2009:435, point 29).

43      Le recours concernant une décision de la Commission en matière d’aides d’État, il y a lieu de relever que, dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État prévue à l’article 108 TFUE, doivent être distinguées, d’une part, la phase préliminaire d’examen des aides instituée au paragraphe 3 de cet article, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide en cause, et, d’autre part, la phase d’examen visée au paragraphe 2 dudit article. Ce n’est que dans le cadre de celle-ci, qui est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données de l’affaire, que le traité prévoit l’obligation, pour la Commission, de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations (voir arrêt du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, EU:C:2009:435, point 30 et jurisprudence citée).

44      Lorsqu’une entreprise met en cause le bien-fondé d’une décision d’appréciation de l’aide prise sur le fondement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ou à l’issue de la procédure formelle d’examen, le simple fait qu’elle puisse être considérée comme intéressée au sens du paragraphe 2 de cet article ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Elle doit alors démontrer qu’elle a un statut particulier au sens de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17) (voir, en ce sens, ordonnance du 10 novembre 2015, Compagnia Trasporti Pubblici e.a./Commission, T‑187/15, non publiée, EU:T:2015:846, point 18). Il en est notamment ainsi au cas où sa position sur le marché est substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, C‑78/03 P, EU:C:2005:761, point 37 et jurisprudence citée).

45      À cet égard, ont notamment été reconnues comme individuellement concernées par une décision de la Commission clôturant la procédure formelle d’examen ouverte au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, à l’égard d’une mesure d’aide, outre l’entreprise bénéficiaire, les entreprises concurrentes de cette dernière ayant joué un rôle actif dans le cadre de cette procédure, pour autant que leur position sur le marché soit substantiellement affectée par la mesure d’aide faisant l’objet de la décision attaquée. Une entreprise ne saurait donc se prévaloir de sa seule qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire, mais doit établir en outre, compte tenu de son degré de participation éventuelle à la procédure et de l’importance de l’atteinte à sa position sur le marché, qu’elle est dans une situation de fait qui l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait (voir ordonnance du 7 mars 2013, UOP/Commission, T‑198/09, non publiée, EU:T:2013:105, points 25 et 26 et jurisprudence citée ; voir, également, en ce sens, arrêt du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, Rec, EU:C:1986:42, point 25, et ordonnance du 27 mai 2004, Deutsche Post et DHL/Commission, T‑358/02, EU:T:2004:159, points 33 et 34).

46      Concernant la détermination d’une telle affectation, la Cour a eu l’occasion de préciser que la seule circonstance qu’un acte, tel que la décision attaquée, est susceptible d’exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant dans le marché pertinent et que l’entreprise concernée se trouvait dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de cet acte ne saurait en tout état de cause suffire pour que ladite entreprise puisse être considérée comme étant individuellement concernée par ledit acte (voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 1969, Eridania e.a./Commission, 10/68 et 18/68, EU:C:1969:66, point 7, et du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 47).

47      Conformément à une jurisprudence constante, la requérante doit apporter des éléments de nature à établir la particularité de sa situation concurrentielle (ordonnance du 27 mai 2004, Deutsche Post et DHL/Commission, T‑358/02, EU:T:2004:159, point 38, et arrêt du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, points 49 et 51) et démontrer que sa position concurrentielle est substantiellement affectée, comparée aux autres entreprises concurrentes sur le marché en cause (voir, en ce sens, ordonnance du 27 mai 2004, Deutsche Post et DHL/Commission, T‑358/02, EU:T:2004:159, point 41 ; voir également, en ce sens, arrêts du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, point 51 ; du 13 septembre 2010, TF1/Commission, T‑193/06, EU:T:2010:389, point 84 ; du 15 janvier 2013, Aiscat/Commission, T‑182/10, EU:T:2013:9, point 68 ; du 5 novembre 2014, Vtesse Networks/Commission, T‑362/10, EU:T:2014:928, point 55, et du 3 décembre 2014, Castelnou Energía/Commission, T‑57/11, EU:T:2014:1021, points 35 à 37).

48      En l’espèce, la requérante fait valoir, en substance, qu’elle est individuellement concernée par la décision attaquée en ce que l’aide a permis de maintenir sur le marché en cause une entreprise qui, en l’absence d’une telle mesure, aurait disparu de ce marché. Le maintien de la bénéficiaire sur le marché aurait pour conséquence un manque à gagner pour la requérante, dans la mesure où, en sa qualité de numéro deux sur le marché français, elle aurait pu capter les parts de marché libérées par la disparition de FagorBrandt.

49      Il convient de rappeler que les conditions de recevabilité d’un recours s’apprécient au moment de l’introduction du recours, à savoir au moment du dépôt de la requête (ordonnance du 15 décembre 2010, Albertini e.a. et Donnelly/Parlement, T‑219/09 et T‑326/09, EU:T:2010:519, point 39, et arrêt du 3 décembre 2014, Castelnou Energía/Commission, T‑57/11, EU:T:2014:1021, point 34).

50      Dans les circonstances de l’espèce, sans qu’il soit toutefois besoin de déterminer si les éléments visés par la requérante sont transposables à la situation concurrentielle existant au jour de l’introduction du recours et résultant de la décision attaquée, force est de constater qu’ils ne permettent pas de caractériser une affectation substantielle de sa position sur le marché, en raison de la mesure en cause.

51      En effet, d’une part, les tableaux de parts de marché en annexe 14 de la requête recensent plus d’une quinzaine d’opérateurs sur les marchés français et européen du gros électroménager. Or, comme l’a fait valoir la Commission lors de l’audience, il ne peut être simplement présumé que la requérante aurait accru significativement ses ventes en cas de disparition du marché de l’entreprise bénéficiant des mesures en cause, sans aucun élément probant apporté à l’appui de cette allégation, lorsque, comme en l’espèce, le marché présente une structure non concentrée, caractérisée par la présence d’un grand nombre d’opérateurs (voir, en ce sens, ordonnance du 11 janvier 2012, Phoenix-Reisen et DRV/Commission, T‑58/10, non publiée, EU:T:2012:3, point 50).

52      D’autre part, les considérants de la décision attaquée visés par la requérante (reproduits au point 30 ci-dessus) se bornent à énoncer des considérations générales valables, potentiellement, pour tous les opérateurs présents sur le marché en cause. S’ils indiquent, notamment, que la disparition de FagorBrandt aurait permis à ses concurrents européens d’accroître sensiblement leurs ventes et, dès lors, leur production (considérants 18 et 94), ils ne permettent, en aucun cas, de présumer que la requérante aurait été plus affectée par la mesure litigieuse que ne le sont en moyenne l’ensemble de ses concurrents (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2014, Castelnou Energía/Commission, T‑57/11, EU:T:2014:1021, point 35) ou qu’elle aurait connu un développement substantiellement meilleur en l’absence d’autorisation de la mesure en cause (voir, en ce sens, ordonnance du 27 mai 2004, Deutsche Post et DHL/Commission, T‑358/02, EU:T:2004:159, point 43). Notamment, rien ne permet de vérifier que la requérante aurait été plus apte que la moyenne de ses concurrents à capter la demande libérée par la disparition de FagorBrandt. En particulier, la requérante ne démontre pas que l’aide litigieuse a servi à la bénéficiaire à conserver des parts de marché qui auraient sinon été détenues par elle-même (arrêt du 13 juin 2013, Ryanair/Commission, C‑287/12 P, non publié, EU:C:2013:395, point 113) et, partant, qu’elle aurait subi un manque à gagner suffisamment important, par rapport à ses autres concurrents, pour caractériser une affectation substantielle de sa position sur le marché. À cet égard, contrairement à ce que soutient la requérante, sa position de numéro deux du marché derrière la bénéficiaire ne peut, à elle seule, faire présumer l’existence d’une affectation substantielle de sa position sur le marché (voir, en ce sens, ordonnance du 27 août 2008, Adomex/Commission, T‑315/05, non publiée, EU:T:2008:300, point 28).

53      Aucun des arguments soulevés par la requérante ne permet d’infirmer le constat exposé aux points 50 à 52 ci-dessus, tiré de l’absence de qualité pour agir de la requérante, à défaut de preuve de l’affectation substantielle de sa position concurrentielle, au moment de l’introduction du recours.

54      Premièrement, le fait que, depuis que la bénéficiaire de l’aide a cessé ses activités, au milieu de l’année 2013, la requérante aurait « gagné un nombre considérable de parts de marché sur le marché français » (voir point 33 ci‑dessus) n’est étayé par aucun élément. En tout état de cause, même à supposer ce fait établi, la requérante ne soutient pas qu’il caractériserait, conformément à la jurisprudence (voir point 47 ci‑dessus), la particularité de sa situation concurrentielle par rapport à celle de ses concurrents. Il en va de même de la circonstance selon laquelle même si la requérante n’avait récupéré que 1 % des parts de marché de FagorBrandt, ce montant aurait équivalu au montant de l’aide visée par la décision attaquée. Ce constat s’applique, en effet, à tous les opérateurs du marché.

55      Deuxièmement, la participation de la requérante à la procédure d’examen ne peut davantage faire présumer de l’affectation substantielle de sa position sur le marché. En effet, il ne saurait être inféré de la seule participation d’une partie requérante à la procédure administrative qu’elle a qualité pour agir (ordonnance du 7 mars 2013, UOP/Commission, T‑198/09, non publiée, EU:T:2013:105, point 27 ; voir également, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2007, Sniace/Commission, C‑260/05 P, EU:C:2007:700, point 60) même si elle a joué un rôle important dans la procédure, notamment, en déposant la plainte à l’origine de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, EU:C:2009:435, points 94 et 95).

56      Troisièmement, la circonstance que la requérante ait fait partie des acquéreurs potentiels de la bénéficiaire en 2001/2002, lorsque cette dernière faisait l’objet d’une procédure d’insolvabilité (voir point 34 ci-dessous), est sans incidence pour établir son aptitude, plus de dix ans après ladite procédure, à récupérer, dans une proportion sensiblement supérieure à celle de ses concurrents, les parts de marché libérées par la disparition de FagorBrandt.

57      Quatrièmement, est, enfin, sans incidence, au regard du principe de l’autorité de la chose jugée, le fait que, dans l’arrêt du 14 février 2012, Electrolux/Commission (T‑115/09 et T‑116/09, EU:T:2012:76), le Tribunal n’ait pas relevé d’office l’absence de qualité pour agir de la requérante, alors que les arguments soulevés dans la précédente requête, au soutien du recours contre la décision 2009/485, étaient, selon la requérante, en tout point semblables à ceux soulevés contre la décision attaquée, dans le cadre du présent recours.

58      En effet, force est de constater que l’affectation individuelle d’une personne physique ou morale s’apprécie au jour de l’introduction du recours et ne dépend que de la décision attaquée (ordonnance du 29 mars 2012, Asociación Española de Banca/Commission, T‑236/10, EU:T:2012:176, point 38). Ainsi, l’autorité de la chose jugée s’attachant à l’arrêt du 14 février 2012, Electrolux/Commission (T‑115/09 et T‑116/09, EU:T:2012:76), lequel a porté sur la légalité de la décision 2009/485, ne saurait être de nature à préjuger de la qualité pour agir de la requérante concernant le présent recours, dirigé contre la décision attaquée.

59      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la requérante n’a pas établi que sa position était substantiellement affectée par l’aide visée par la décision attaquée. Le recours introduit par la requérante doit donc être rejeté comme étant irrecevable.

 Sur les dépens

60      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

61      Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres intervenus au litige supportent leurs dépens. La République française supportera, dès lors, les dépens qu’elle a exposés. Les autres intervenants supporteront également chacun leurs propres dépens, en application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté comme étant irrecevable.

2)      Whirlpool Europe BV supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      La République française, Electrolux AB et Fagor France SA supporteront leurs propres dépens.

Martins Ribeiro

Gervasoni

Madise

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 juin 2016.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais