Language of document : ECLI:EU:T:2019:13

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

17 janvier 2019 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque verbale de l’Union européenne TURBO-K – Marques antérieures non enregistrées TURBO-K – Motif relatif de refus – Utilisation dans la vie des affaires d’un signe dont la portée n’est pas seulement locale – Article 8, paragraphe 4, du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 4, du règlement (UE) 2017/1001] – Régime de l’action de common law en usurpation d’appellation (action for passing off) – “Goodwill” »

Dans l’affaire T‑671/17,

Turbo-K International Ltd, établie à Birmingham (Royaume-Uni), représentée par Mes A. Norris et A. Muir Wood, barristers,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. H. O’Neill, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Turbo-K Ltd, établie à Winchester (Royaume-Uni), représentée par Me O. van Haperen, avocat, et MM. T. St Quintin, barrister, et E. Morris, solicitor,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO du 14 juillet 2017 (affaire R 2135/2016-2), relative à une procédure d’opposition entre Turbo-K et Turbo-K International,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni (rapporteur), président, L. Madise et R. da Silva Passos, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 28 septembre 2017,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 21 décembre 2017,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 22 décembre 2017,

vu le recours incident de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 22 décembre 2017,

vu le mémoire en réponse de la requérante au recours incident déposé au greffe du Tribunal le 26 mars 2018,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO au recours incident déposé au greffe du Tribunal le 26 mars 2018,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 13 novembre 2014, la requérante, Turbo-K International Ltd, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal TURBO-K.

3        Les produits et services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 1, 3 et 35 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 1 : « Produits chimiques destinés à l’industrie, aux sciences, à la photographie, ainsi qu’à l’agriculture, l’horticulture et la sylviculture ; résines artificielles à l’état brut, matières plastiques à l’état brut ; engrais pour les terres ; compositions extinctrices ; préparations pour la trempe et la soudure des métaux ; produits chimiques destinés à conserver les aliments ; matières tannantes ; adhésifs (matières collantes) destinés à l’industrie ; produits de nettoyage à base de solvants ; produits nettoyants à base de solvants pour le nettoyage de réacteurs ; produits nettoyants à base de solvants pour le nettoyage de machines industrielles ; produits dégraissants, agents tensioactifs ; savons destinés à l’industrie ; antigels ; agents de conservation, en particulier pour machines ; additifs chimiques pour combustibles et carburants ; additifs chimiques pour huiles et carburants alternatifs ; agents émulsifiants ; agents de précipitation pour pétrole brut et carburants ; agents désémulsionnants ; agents dispersants ; agents de lipolyse ; acide oléique ; acides gras provenant d’huiles ; additifs chimiques pour fongicides et biocides ; sels de métaux ; silicone ; oxalates ; catalyseurs chimiques de combustion » ;

–        classe 3 : « Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices ; fluides de nettoyage ; fluides nettoyants pour le nettoyage de réacteurs ; produits de lavage et de nettoyage ; fluides de lavage et de nettoyage et huiles de nettoyage, en particulier pour machines ; produits de lavage et de nettoyage à base d’eau et de solvant ; préparations pour polir ; produits antirouille pour l’enlèvement de la rouille ; produits dégraissants [autres que destinés aux processus de production] ; détergents, autres que pour procédés de fabrication et autres que ceux à usage médical ; préparations destinées au nettoyage à sec ; solvants et autres substances de nettoyage ; produits pour le lavage et le nettoyage » ;

–        classe 35 : « Publicité, gestion des affaires commerciales, administration commerciale, travaux de bureau ; services de vente au détail de produits chimiques destinés à l’industrie, aux sciences, à la photographie, ainsi qu’à l’agriculture, l’horticulture et la sylviculture, résines artificielles à l’état brut, matières plastiques à l’état brut, engrais pour les terres, compositions extinctrices, préparations pour la trempe et la soudure des métaux, produits chimiques destinés à conserver les aliments, matières tannantes, adhésifs (matières collantes) destinés à l’industrie ; services de vente au détail de produits nettoyants à base de solvants, produits nettoyants à base de solvants pour le nettoyage de réacteurs, produits nettoyants à base de solvants pour le nettoyage de machines industrielles, produits de lavage et de nettoyage, produits dégraissants, agents tensio-actifs, savons destinés à l’industrie, produits antigel, agents de conservation, en particulier pour machines, additifs chimiques pour combustibles et carburants, additifs chimiques pour huiles et carburants alternatifs ; services de vente au détail d’agents de précipitation pour pétrole brut et carburants, agents désémulsionnants, agents de dispersion, agents de lipolyse, acides oléiques, acides gras provenant d’huiles, additifs chimiques pour fongicides et biocides, sels métalliques, silicone, oxalate, catalyseurs chimiques de combustion, préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; services de vente au détail de préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser, savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux, dentifrices, fluides de nettoyage, fluides nettoyants pour le nettoyage de réacteurs ; services de vente au détail de produits de lavage et de nettoyage, fluides de lavage et de nettoyage et huiles de nettoyage, en particulier pour machines, produits de lavage et de nettoyage à base d’eau et de solvant, préparations pour polir, produits pour l’enlèvement de la rouille, produits dégraissants, autres que pour procédés de fabrication ; services de vente au détail de savons, détergents, autres que pour procédés de fabrication et autres que ceux à usage médical, produits de nettoyage à sec, solvants et autres substances de nettoyage ».

4        La demande de marque de l’Union européenne a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 2014/228, du 3 décembre 2014.

5        Le 25 février 2015, l’intervenante, Turbo-K Ltd, a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement no 207/2009 (devenu article 46 du règlement 2017/1001), à l’enregistrement de la marque demandée, pour les produits et services visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée sur les marques suivantes, mentionnées simultanément comme étant des marques, des dénominations commerciales et des noms de sociétés non enregistrés, que l’intervenante prétendait avoir utilisées pour un certain nombre de produits et services :

–        marque verbale TURBO-K ;

–        marque figurative se présentant comme suit :

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7        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001].

8        Selon l’intervenante, les marques antérieures mentionnées au point 6 ci-dessus avaient été utilisées dans la vie des affaires aux Pays-Bas et au Royaume-Uni et avaient, dans ces deux pays, une portée qui n’était pas seulement locale.

9        Le 20 septembre 2016, la division d’opposition a partiellement fait droit à l’opposition. Elle a rejeté l’enregistrement de la marque demandée pour certains produits et services relevant des classes 1, 3 et 35 et autorisé l’enregistrement pour les autres produits.

10      En ce qui concerne l’utilisation des marques antérieures dans la vie des affaires au Royaume-Uni, la division d’opposition a considéré que l’intervenante avait établi que les marques antérieures avaient été utilisées dans la vie des affaires et que leur portée n’était pas seulement locale, en ce qui concerne un nettoyant pour compresseur à turbine à gaz (ci-après « le produit en cause »), avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque demandée.

11      Ensuite, la division d’opposition a considéré, premièrement, que l’intervenante avait acquis un « goodwill » (force d’attraction de la clientèle) en ce qui concerne les marques antérieures dans l’esprit du public acheteur. À cet égard, elle a estimé que les accords contractuels produits par la requérante (ci-après « les accords contractuels ») ne contenaient aucune référence à la marque TURBO-K, ne démontraient pas que les parties à ces accords avaient un accord sur les marques antérieures et, par suite, ne remettaient pas en cause l’acquisition du « goodwill » par l’intervenante.

12      La division d’opposition a considéré, deuxièmement, qu’il existait un risque de présentation trompeuse. En effet, elle a estimé que la marque verbale antérieure TURBO-K était identique à la marque demandée, que certains produits et services visés par la marque demandée, relevant des classes 1, 3 et 35, étaient identiques ou similaires au produit en cause, et que, par suite, il existait un risque que les clients de l’intervenante perçoivent lesdits produits et services, proposés par la requérante sous la marque demandée, comme étant ceux de l’intervenante. La division d’opposition a considéré que, même si la requérante avait produit des preuves de l’usage de la marque demandée, celle-ci n’avait pas démontré que l’utilisation simultanée de ce signe par elle-même et par l’intervenante reposait sur l’absence de toute confusion dans l’esprit du public pertinent et, qu’au contraire, l’utilisation simultanée du même signe pour des biens identiques ou similaires était susceptible de tromper le consommateur.

13      Troisièmement, la division d’opposition a estimé que l’intervenante était susceptible de subir un préjudice du fait de l’utilisation par la requérante de la marque demandée.

14      Finalement, la division d’opposition a conclu, en ce qui concerne l’utilisation des marques antérieures dans la vie des affaires au Royaume-Uni, que l’opposition était fondée uniquement s’agissant des biens et services, visés par la marque demandée, qui étaient identiques ou similaires au produit en cause.

15      En ce qui concerne l’utilisation des marques antérieures dans la vie des affaires aux Pays-Bas, la division d’opposition a conclu, en revanche, que l’opposition ne pouvait prospérer, dans la mesure où l’intervenante n’avait pas produit suffisamment d’informations sur la législation nationale applicable, conformément à la règle 19 du règlement no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1) [devenue article 7 du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1)].

16      Le 21 novembre 2016, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009 (devenus articles 66 à 71 du règlement 2017/1001), contre la décision de la division d’opposition.

17      Le 30 mars 2017, l’intervenante a présenté un recours incident auprès de l’EUIPO, contre la décision de la division d’opposition. L’intervenante a demandé à la chambre de recours, d’une part, d’annuler la décision de la division d’opposition, en tant que cette dernière avait rejeté l’opposition fondée sur le droit néerlandais, et, d’autre part, d’accueillir dans son intégralité l’opposition fondée sur le droit du Royaume-Uni.

18      Par décision du 14 juillet 2017 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours de l’EUIPO a partiellement accueilli le recours de la requérante. Elle a annulé la décision de la division d’opposition en tant que cette dernière avait rejeté la demande d’enregistrement de la marque demandée pour les « produits chimiques destinés à la photographie, ainsi qu’à l’agriculture, l’horticulture et la sylviculture ; résines artificielles à l’état brut, matières plastiques à l’état brut ; produits chimiques destinés à conserver les aliments ; engrais pour les terres ; adhésifs (matières collantes) destinés à l’industrie ; additifs chimiques pour combustibles et carburants ; additifs chimiques pour carburants alternatifs ; agents de précipitation pour carburants », relevant de la classe 1, et les « préparations destinées au nettoyage à sec », relevant de la classe 3. Elle a, par conséquent, autorisé l’enregistrement de la marque demandée pour ces produits. Par ailleurs, elle a rejeté le recours incident de l’intervenante.

19      En ce qui concerne l’utilisation des marques antérieures dans la vie des affaires au Royaume-Uni, la chambre de recours a confirmé l’appréciation de la division d’opposition, en estimant que ces marques avaient été utilisées dans la vie des affaires et que leur portée n’était pas seulement locale, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque demandée (points 32 à 43 de la décision attaquée). Elle a également confirmé que l’intervenante jouissait d’un « goodwill » en ce qui concerne les marques antérieures (points 46 à 54 de ladite décision), qu’il existait une présentation trompeuse lorsque les signes en conflit étaient utilisés pour des produits et services identiques ou similaires au produit en cause (points 55 à 57 de cette décision) et que le risque de préjudice causé au « goodwill » de l’intervenante était établi (point 58 de la même décision). Elle a considéré, toutefois, que les produits mentionnés au point 18 ci-dessus n’étaient pas identiques ou similaires au produit en cause, qu’il ne pouvait pas exister de présentation trompeuse ou de préjudice causé au « goodwill » de l’intervenante à cet égard et que, par suite, la marque demandée pouvait être enregistrée pour ces produits (points 64 et 65 de la décision en question).

20      En ce qui concerne l’utilisation des marques antérieures dans la vie des affaires aux Pays-Bas, la chambre de recours a considéré que le motif de la décision de la division d’opposition selon lequel l’intervenante n’avait pas produit les preuves exigées par la règle 19 du règlement no 2868/95 était « très discutable », mais que, même si l’intervenante disposait de droits en vertu de la législation néerlandaise pour s’opposer à l’enregistrement de la marque demandée, l’opposition fondée sur le droit néerlandais serait accueillie, tout au plus, dans la même mesure que celle fondée sur le droit du Royaume-Uni. Elle a conclu qu’il était donc inutile, dans un souci d’économie de procédure, d’examiner en détails ce motif d’opposition (points 67 à 73 de la décision attaquée).

 Conclusions des parties

21      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        prononcer la nullité de la décision attaquée ;

–        rejeter les objections à l’enregistrement de la marque demandée ;

–        statuer sur les dépens.

22      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens exposés par l’EUIPO.

23      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours pour les motifs retenus par la deuxième chambre de recours et, subsidiairement, en raison de ses droits antérieurs aux Pays-Bas ;

–        condamner la requérante aux dépens.

24      Dans le recours incident présenté au titre de l’article 182 du règlement de procédure du Tribunal, l’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée uniquement en ce qui concerne la considération de la chambre de recours qu’il n’est pas nécessaire d’examiner en détails le motif d’opposition fondé sur l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 dans le contexte du droit néerlandais ;

–        examiner l’opposition fondée sur le droit néerlandais, et déclarer que l’opposition prospère à cet égard ;

–        statuer sur les dépens afférents au recours incident et condamner la requérante aux dépens exposés par l’intervenante.

25      Dans ses observations sur le recours incident, l’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours incident ;

–        condamner l’intervenante aux dépens.

26      Dans ses observations sur le recours incident, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours incident ;

–        condamner l’intervenante aux dépens exposés par la requérante pour le recours incident.

 En droit

 Sur le recours principal

27      La requérante soulève un moyen unique, tiré de ce que la chambre de recours a méconnu les dispositions de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, en ce qui concerne l’utilisation des marques antérieures dans la vie des affaires au Royaume-Uni.

28      En premier lieu, la requérante fait valoir que la chambre de recours n’a pas examiné correctement les accords contractuels. Selon elle, si ladite chambre avait correctement pris en compte ces éléments de preuve, celle-ci aurait constaté que l’intervenante n’était que l’un des distributeurs du produit en cause vendu sous les marques antérieures.

29      En deuxième lieu, la requérante expose que la chambre de recours a considéré à tort que l’intervenante détenait un « goodwill » exclusif lié aux marques antérieures. Selon elle, si l’intervenante a effectivement vendu le produit en cause sous les marques antérieures, c’est un tiers, Lach Dennis Consultants Ltd, qui aurait été propriétaire de la formule (à savoir la composition chimique dudit produit) et aurait détenu le « goodwill ». À supposer que ce tiers ne puisse être considéré comme le titulaire du « goodwill », la requérante considère que le « goodwill » lié aux marques antérieures était partagé entre les distributeurs de ce produit.

30      En troisième lieu, la requérante soutient que la chambre de recours a estimé à tort que la présentation trompeuse était établie. C’est à tort que ladite chambre, qui n’aurait pas correctement pris en compte les accords contractuels, aurait conclu à l’existence d’une présentation trompeuse, alors que le « goodwill »aurait été partagé entre plusieurs distributeurs.

31      L’EUIPO et l’intervenante soutiennent que le moyen doit être écarté.

32      Aux termes de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 :

« Sur opposition du titulaire d’une marque non enregistrée ou d’un autre signe utilisé dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale, la marque demandée est refusée à l’enregistrement, lorsque et dans la mesure où, selon la législation [de l’Union européenne] ou le droit de l’État membre qui est applicable à ce signe :

a) des droits à ce signe ont été acquis avant la date de dépôt de la demande de marque [de l’Union européenne] ou, le cas échéant, avant la date de la priorité invoquée à l’appui de la demande de marque [de l’Union européenne] ;

b) ce signe donne à son titulaire le droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente. »

33      En vertu de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, le titulaire d’une marque non enregistrée peut s’opposer à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne si cette marque non enregistrée remplit cumulativement quatre conditions. La marque non enregistrée doit être utilisée dans la vie des affaires ; elle doit avoir une portée qui n’est pas seulement locale ; le droit à cette marque doit avoir été acquis conformément au droit de l’État membre où la marque était utilisée avant la date de dépôt de la demande de marque de l’Union ; enfin, cette marque doit donner à son titulaire le droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente. Si les deux premières conditions doivent être interprétées à la lumière du droit de l’Union, les deux dernières s’apprécient au regard du droit qui régit le signe concerné [voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2017, Alfonso Egüed/EUIPO – Jackson Family Farms (BYRON), T‑45/16, EU:T:2017:518, points 23 à 27].

 Sur les accords contractuels

34      Aux points 28 à 31 de la décision attaquée, la chambre de recours a examiné d’emblée la pertinence des accords contractuels en vue de contester le bien-fondé de l’opposition. Elle a estimé que lesdits accords impliquant la requérante, l’intervenante et des tiers n’étaient pas, ainsi que l’avait déjà considéré la division d’opposition, un facteur déterminant dans la procédure d’opposition, dès lors que ces accords ne mentionnaient aucune marque, mais seulement une « formule » et des connaissances techniques.

35      La requérante soutient que la chambre de recours n’a pas examiné correctement les accords contractuels et a confondu l’intervenante et un tiers, la société Turbo-K (UK) Ltd. Selon elle, si ladite chambre avait correctement pris en compte ces éléments de preuve, elle aurait constaté que Lach Dennis Consultants était propriétaire de la formule et que l’intervenante n’était que l’un des distributeurs du produit en cause.

36      L’argumentation de la requérante ne peut néanmoins être accueillie.

37      Il est vrai que la chambre de recours a commis une erreur, aux points 29 et 30 de la décision attaquée, en mentionnant que l’intervenante était signataire de deux des accords contractuels, à savoir l’accord du 1er novembre 1997 et l’accord de confidentialité du 21 mars 2002, alors que ces accords avaient été signés par une autre société, Turbo-K (UK).

38      Toutefois, la confusion commise par la chambre de recours entre l’intervenante et Turbo-K (UK) est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

39      Il résulte en effet d’une jurisprudence établie qu’un motif erroné ne saurait justifier l’annulation de l’acte qui en est entaché s’il revêt un caractère surabondant et s’il existe d’autres motifs qui suffisent à le fonder [voir arrêts du 20 septembre 2012, France/Commission, T‑154/10, EU:T:2012:452, point 99 et jurisprudence citée, et du 30 avril 2013, Boehringer Ingelheim International/OHMI (RELY-ABLE), T‑640/11, non publié, EU:T:2013:225, point 27 et jurisprudence citée].

40      Or, il ressort des points 28 à 31 de la décision attaquée que la chambre de recours s’est fondée essentiellement, comme la division d’opposition, sur le contenu des accords contractuels pour estimer que ces accords ne remettaient pas en cause le bien-fondé de l’opposition. La chambre de recours a ainsi considéré que lesdits accords, notamment ceux du 1er novembre 1997 et du 21 mars 2002, étaient relatifs à une formule et ne concernaient pas les droits des parties sur les marques antérieures.

41      Ce faisant, la chambre de recours n’a commis aucune erreur. En effet, contrairement à ce que soutient la requérante, les accords contractuels ne peuvent être interprétés dans le sens que la référence à la formule renverrait aux marques antérieures. En particulier, aucun desdits accords ne concerne le « goodwill » lié à la vente du produit en cause sous les marques antérieures.

42      Dans ces conditions, la chambre de recours a conclu à bon droit que les accords contractuels, eu égard à leur contenu, n’étaient pas un facteur déterminant dans la présente affaire.

43      En outre, les conclusions que la requérante prétend tirer des accords contractuels ne sont pas établies.

44      Premièrement, la circonstance que Lach Dennis Consultants disposait, comme le montrent les accords contractuels, de droits de propriété intellectuelle sur la formule ne lui confère aucun droit sur les marques antérieures utilisées par l’intervenante dans l’activité de vente du produit en cause.

45      Il ressort certes des pièces du dossier qu’une personne physique a mis au point la formule et a concédé sous licence les droits de propriété intellectuelle sur cette formule à Lach Dennis Consultants. Cette dernière, qui entendait agir comme consultant auprès de diverses entreprises, a notamment signé, le 17 juin 2011, un accord de licence exclusive avec la requérante pour la fourniture de la formule. Toutefois, aucune pièce du dossier ne démontre que Lach Dennis Consultants, qui n’a jamais exercé d’activité de vente du produit en cause, disposait de droits sur les marques antérieures. A fortiori, la requérante n’établit pas, en se référant à ces accords, que Lach Dennis Consultants aurait été le titulaire exclusif de tels droits, privant l’intervenante de la possibilité de les invoquer à l’appui de son opposition.

46      Deuxièmement, il n’est pas contesté que l’intervenante a commercialisé le produit en cause au Royaume-Uni durant de nombreuses années, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque demandée.

47      À cet égard, s’il est exact que l’intervenante a fait produire, emballer et expédier le produit en cause par Midland Chemicals, l’affirmation de la requérante selon laquelle l’intervenante n’avait qu’un rôle de distributeur n’est pas démontrée. Au contraire, l’accord du 17 février 1999 entre l’intervenante et Midland Chemicals stipulait, comme le souligne à juste titre l’EUIPO, que c’est l’intervenante qui divulguait la formule à Midland Chemicals, cette dernière n’étant pas autorisée à mettre au point des alternatives aux procédures de mélange ou aux méthodes de tests des formules sans le consentement de l’intervenante.

48      Troisièmement, il n’est pas établi que Turbo-K (UK) était l’un des distributeurs du produit en cause, fabriqué par Midland Chemicals. Les pièces produites par la requérante, notamment l’accord de confidentialité du 21 mars 2002, ne démontrent pas que Turbo-K (UK) a effectivement vendu ce produit sous les marques antérieures. Ainsi que le souligne à juste titre l’EUIPO, la requérante n’a produit aucune facture, étiquette, publicité ni aucun autre document commercial en ce sens. L’argument de la requérante relatif à la prétendue activité de Turbo-K (UK) en ce qui concerne les marques antérieures manque donc en fait.

49      Quatrièmement, si la requérante a vendu, sous les marques antérieures, le produit en cause, fabriqué par Midland Chemicals, il convient de constater, ainsi que le relève à juste titre l’EUIPO, qu’elle n’a produit, s’agissant de clients situés au Royaume-Uni et pour la période antérieure à la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque demandée, que deux factures datées des 16 et 29 octobre 2014. Ainsi, son activité de vente dudit produit sous les marques antérieures au Royaume-Uni a débuté plusieurs années après celle de l’intervenante et peu de temps avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque demandée. Elle n’est donc pas de nature à démontrer que l’intervenante aurait été privée de la possibilité d’invoquer les marques antérieures au soutien de son opposition.

50      Par conséquent, la requérante n’est pas fondée à soutenir qu’il résulte des accords contractuels que Lach Dennis Consultants disposait de droits sur les marques antérieures et que l’intervenante n’était que l’un des distributeurs du produit en cause.

51      Il en résulte que les arguments de la requérante, tirés de ce que la chambre de recours n’a pas correctement examiné les accords contractuels, doivent être écartés.

 Sur l’utilisation des signes dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale au Royaume-Uni

52      Pour pouvoir faire obstacle à l’enregistrement d’un nouveau signe, celui qui est invoqué à l’appui de l’opposition doit être effectivement utilisé d’une manière suffisamment significative dans la vie des affaires et avoir une étendue géographique qui ne soit pas seulement locale, ce qui implique, lorsque le territoire de protection de ce signe peut être considéré comme autre que local, que cette utilisation ait lieu sur une partie importante de ce territoire. Afin de déterminer si tel est le cas, il doit être tenu compte de la durée et de l’intensité de l’utilisation dudit signe en tant qu’élément distinctif pour ses destinataires que sont tant les acheteurs et les consommateurs que les fournisseurs et les concurrents. À cet égard, sont notamment pertinentes les utilisations faites du signe dans la publicité et la correspondance commerciale (arrêt du 29 mars 2011, Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, C‑96/09 P, EU:C:2011:189, points 159 et 160).

53      Aux points 32 à 44 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré que la condition relative à l’utilisation des marques antérieures dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale au Royaume-Uni était remplie. Elle a confirmé les conclusions de la division d’opposition, selon lesquelles, compte tenu des preuves figurant au dossier, à savoir notamment 38 factures adressées à des clients au Royaume-Uni au cours des années 1998 à 2014, des captures d’écran des sites web de l’intervenante, des discussions et courriers électroniques, des brochures, des fiches de données de sécurité du matériel, des documents d’exportation, des publicités, un certificat d’agrément et des témoignages, d’une part, l’intervenante avait utilisé, au cours desdites années, les marques antérieures afin d’identifier ses produits, d’autre part, cette utilisation dans la vie des affaires n’avait pas une portée seulement locale, concernait le produit en cause et était antérieure à la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque demandée.

54      Ces considérations, qui ne sont pas contestées par la requérante, doivent être approuvées.

 Sur l’application du droit du Royaume-Uni

55      Le droit de l’État membre applicable à la marque non enregistrée dans le contexte du droit du Royaume-Uni est le Trade Marks Act 1994 (loi du Royaume-Uni sur les marques), dont l’article 5, paragraphe 4, dispose :

« Une marque ne peut être enregistrée si, ou dans la mesure où, son usage au Royaume-Uni est susceptible d’être empêché :

a) en raison de toute règle de droit [notamment en vertu du droit relatif à l’usurpation d’appellation (law of passing off)] protégeant une marque non enregistrée ou tout autre signe utilisé dans la vie des affaires […] ».

56      En vertu des dispositions de l’article 5, paragraphe 4, de la loi du Royaume-Uni sur les marques , telles qu’interprétées par les juridictions nationales [décision de la House of Lords (Chambre des Lords, Royaume-Uni) Reckitt & Colman Products Ltd v Borden Inc. (1990) R.P.C. 341, 406 HL], l’opposant doit établir, conformément au régime juridique de l’action en usurpation d’appellation prévue par le droit du Royaume-Uni, que trois conditions sont remplies, à savoir, premièrement, le « goodwill » acquis par la marque non enregistrée ou le signe en cause, deuxièmement, la présentation trompeuse de la part du titulaire de la marque plus récente et, troisièmement, le préjudice causé au « goodwill » (voir arrêt du 18 juillet 2017, BYRON, T‑45/16, EU:T:2017:518, point 43 et jurisprudence citée).

–       Sur l’acquisition du « goodwill »

57      Il ressort de la jurisprudence nationale que la propriété protégée par l’action en usurpation d’appellation ne porte pas sur un mot ou sur un nom dont l’usage par les tiers est restreint, mais sur la clientèle même à laquelle il est porté atteinte par l’usage litigieux [Lord Parker dans la décision de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery) Burberrys v JC Cording & Co Ltd (1909) 26 R.P.C. 693], la réputation d’une marque étant la force d’attraction sur la clientèle et le critère permettant de distinguer une entreprise établie d’une entreprise nouvelle [Lord Macnaghten dans la décision de la House of Lords (Chambre des Lords, Royaume-Uni) Inland Revenue Commissioners v Muller & Co’s Margarine (1901) A.C. 217, 223 HL], ainsi que le Tribunal l’a déjà constaté [arrêt du 11 juin 2009, Last Minute Network/OHMI – Last Minute Tour (LAST MINUTE TOUR), T‑114/07 et T‑115/07, EU:T:2009:196, point 61].

58      L’existence d’un « goodwill » est en principe établie en apportant notamment la preuve d’activités commerciales et publicitaires et de comptes clients. La preuve d’activités commerciales sérieuses débouchant sur l’acquisition d’une réputation et le développement d’une clientèle serait généralement suffisante pour établir un « goodwill » (voir arrêt du 18 juillet 2017, BYRON, T‑45/16, EU:T:2017:518, point 49 et jurisprudence citée).

59      En l’espèce, la chambre de recours a considéré, à juste titre, au point 52 de la décision attaquée, que les conclusions de la division d’opposition, selon lesquelles l’intervenante avait acquis un « goodwill » en ce qui concerne les marques antérieures, n’étaient entachées d’aucune erreur. Il ressort en effet des pièces du dossier que l’intervenante exerçait depuis de nombreuses années, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque demandée, des activités commerciales sérieuses concernant la vente du produit en cause sous les marques antérieures, que ces activités avaient généré des ventes importantes et qu’elles se traduisaient par l’acquisition d’une clientèle.

60      Les arguments de la requérante ne remettent pas en cause cette conclusion.

61      En premier lieu, la requérante fait valoir que, si la chambre de recours avait correctement examiné les accords contractuels, celle-ci aurait constaté que Lach Dennis Consultants était le détenteur du « goodwill » lié aux marques antérieures. À cet égard, elle estime que ladite chambre de recours a considéré à tort qu’elle semblait reconnaître que l’intervenante détenait un « goodwill ».

62      D’une part, la requérante n’est pas fondée à reprocher à la chambre de recours d’avoir considéré, au point 49 de la décision attaquée, qu’elle semblait reconnaître que l’intervenante détenait un « goodwill ». En effet, la requérante avait indiqué, au point 5 de l’exposé des motifs de son recours devant ladite chambre daté du 20 janvier 2017, que si la division d’opposition avait correctement examiné les preuves, celle-ci aurait reconnu que, dans la mesure où l’intervenante possédait un « goodwill », cette dernière ne le possédait pas « exclusivement » et qu’il était clair que la requérante bénéficiait aussi du « goodwill ». S’il est vrai que, dans la suite de l’exposé des motifs, la requérante a fait valoir que le « goodwill » lié aux marques antérieures était détenu par Lach Dennis Consultants, elle ne saurait reprocher à la chambre de recours d’avoir interprété ses écritures en ce sens qu’elle semblait reconnaître d’emblée que l’intervenante détenait un « goodwill ». En tout état de cause, force est de constater que la chambre de recours s’est dûment prononcée, au point 52 de la décision attaquée, sur la question de savoir si l’intervenante disposait d’un « goodwill » lié à ces marques.

63      D’autre part, la requérante n’est pas fondée à soutenir que, si la chambre de recours avait correctement examiné les accords contractuels, celle-ci aurait constaté que Lach Dennis Consultants était le détenteur du « goodwill » lié aux marques antérieures. En effet, ainsi qu’il a été dit au point 50 ci-dessus, ces accords ne permettent pas de déduire que Lach Dennis Consultants disposait de droits sur les marques antérieures.

64      À cet égard, il convient de rappeler que, en droit du Royaume-Uni, les facteurs qui ont une influence sur la propriété du « goodwill » sont les suivants : qui est responsable de la qualité des produits et qui est perçu par le public comme responsable [décision de la House of Lords (Chambre des Lords, Royaume-Uni) T. Oertli A.G. v E.J. Bowman (London) LD. and others (1959) R.P.C. 1, 7 HL] ainsi que le Tribunal l’a déjà constaté (arrêt du 18 juillet 2017, BYRON, T‑45/16, EU:T:2017:518, point 106).

65      Or, il ressort des pièces du dossier, ainsi que le relève à juste titre l’EUIPO, que Lach Dennis Consultants entendait agir comme consultant auprès de diverses entreprises dans la fourniture de la formule, alors que l’intervenante, qui a vendu le produit en cause au Royaume-Uni durant de nombreuses années, était le principal responsable de la qualité et était vraisemblablement perçue comme telle par ses clients.

66      La circonstance que l’intervenante a fait fabriquer, étiqueter et expédier à ses clients le produit en cause par Midland Chemicals ne remet pas en cause cette conclusion. Si le nom du directeur de Midland Chemicals apparaissait dans les fiches de données de sécurité établies par l’intervenante comme numéro de téléphone en cas d’urgence, c’est bien cette dernière qui était présentée dans ces documents comme le principal responsable de la qualité.

67      En deuxième lieu, la requérante soutient que la chambre de recours a commis une erreur de droit en considérant, au point 53 de la décision attaquée, qu’il était suffisant d’établir que l’intervenante jouissait d’un « goodwill ». Elle expose que, à supposer que Lach Dennis Consultants ne détienne pas le « goodwill » lié aux marques antérieures, la chambre de recours aurait dû déduire des accords contractuels que le « goodwill » de l’intervenante était partagé avec les autres distributeurs.

68      Toutefois, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, au stade de l’examen de la condition relative à l’acquisition du « goodwill », qu’il était suffisant d’établir que l’intervenante jouissait d’un « goodwill ».

69      En effet, ainsi que le fait valoir à juste titre l’EUIPO, il ne ressort pas de la jurisprudence nationale que le demandeur à une action en usurpation d’appellation est tenu de démontrer qu’il est l’unique propriétaire du « goodwill ». Au contraire, il n’est pas exclu que, dans certaines circonstances, le « goodwill » soit la propriété commune de plusieurs personnes, par exemple s’agissant de membres d’associations commerciales non enregistrées [Williams and Williams v Canaries SeaSchool Slu (Club Sail Trade Marks) (2010) R.P.C. 32 (Geoffrey Hobbs QC, Appointed Person)].

70      Comme la chambre de recours l’a constaté à juste titre, la requérante n’avait d’ailleurs étayé son argumentation d’aucune jurisprudence. Les extraits de la jurisprudence nationale citée par la requérante dans son recours devant le Tribunal [décision de la House of Lords (Chambre des Lords, Royaume-Uni) Reckitt & Colman Products Ltd v Borden Inc. (1990) R.P.C. 341, 406 HL] rappellent la condition selon laquelle le signe antérieur doit présenter un caractère distinctif, mais ne montrent pas que le demandeur à une action en usurpation d’appellation devrait établir qu’il est le propriétaire exclusif du « goodwill ».

71      En tout état de cause, la requérante n’est pas fondée à soutenir que la chambre de recours aurait dû déduire des accords contractuels que le « goodwill » de l’intervenante était partagé avec les autres distributeurs. En effet, ainsi qu’il a été dit au point 50 ci-dessus, il n’est pas établi que l’intervenante n’était que l’un des distributeurs du produit en cause. Par suite, la thèse de la requérante selon laquelle plusieurs distributeurs, dont Turbo-K (UK) et la requérante, partageaient avec l’intervenante le « goodwill » en ce qui concerne les marques antérieures doit être écartée.

72      Il résulte de ce qui précède que c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré que l’intervenante avait acquis, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque demandée, un « goodwill » lié aux marques antérieures.

–       Sur la présentation trompeuse

73      Selon la jurisprudence nationale, la présentation trompeuse, intentionnelle ou non, par le défendeur à l’action en usurpation d’appellation est celle qui est susceptible de conduire les clients du demandeur à attribuer à celui-ci l’origine commerciale des produits et des services proposés par le défendeur [décision de la House of Lords (Chambre des Lords, Royaume-Uni) Reckitt & Colman Products Ltd v Borden Inc. (1990) R.P.C. 341, 406 HL], ainsi que le Tribunal l’a déjà constaté (arrêt du 11 juin 2009, LAST MINUTE TOUR, T‑114/07 et T‑115/07, EU:T:2009:196, point 92).

74      Aux points 55 à 57 de la décision attaquée, la chambre de recours a confirmé la conclusion de la division d’opposition selon laquelle la présentation trompeuse était établie. Elle a notamment considéré que la marque demandée était identique ou quasi-identique aux marques antérieures et que la présentation trompeuse était établie lorsque les signes en conflit étaient utilisés pour des produits et services identiques ou similaires.

75      La requérante conteste cette conclusion. Elle soutient que la chambre de recours ne pouvait se prononcer sur l’existence d’une présentation trompeuse sans répondre à la question de savoir quelles sociétés avaient un « goodwill » et que, le « goodwill » étant partagé entre les distributeurs, il ne pouvait y avoir de présentation trompeuse.

76      Cette argumentation ne peut être accueillie.

77      Tout d’abord, si la requérante estime que la chambre de recours ne pouvait se prononcer sur l’existence d’une présentation trompeuse sans examiner quelles sociétés avaient un « goodwill », il convient de constater que ladite chambre s’est dûment prononcée sur l’acquisition du « goodwill » par l’intervenante et n’a pas commis d’erreur de droit, ainsi qu’il a été dit aux points 68 à 70 ci-dessus, en considérant, au point 53 de la décision attaquée, qu’il était suffisant d’établir que l’intervenante jouissait d’un « goodwill » lié aux marques antérieures.

78      En outre, ainsi qu’il a été dit au point 71 ci-dessus, la requérante n’est pas fondée à soutenir que la chambre de recours aurait dû déduire des accords contractuels que le « goodwill » de l’intervenante était partagé avec les autres distributeurs.

79      Il convient d’ajouter que le défendeur à l’action en usurpation d’appellation peut justifier de l’usage de la marque sur la base de son propre « goodwill » acquis indépendamment du demandeur à l’action en usurpation d’appellation, par un usage honnête et simultané de ladite marque [S. Foster & Son Ltd v Brooks Brothers UK Ltd (2013) EWPCC 18 (21 mars 2013)].

80      Or, comme le souligne l’EUIPO, la présente affaire ne correspond pas à la situation où une action en usurpation d’appellation peut être exclue en raison d’un « goodwill » simultané. En effet, l’activité de la requérante sous les marques antérieures au Royaume-Uni a débuté plusieurs années après celle de l’intervenante et, en outre, peu de temps avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque demandée, ainsi qu’il a été dit au point 49 ci-dessus, de sorte que la requérante, qui ne justifie pas d’un usage simultané de ladite marque, ne démontre pas avoir acquis son propre « goodwill ». Au contraire, l’usage par la requérante de la marque demandée, identique ou similaire aux marques antérieures, était susceptible de conduire les clients de l’intervenante à attribuer à celle-ci l’origine commerciale des produits et des services proposés par la requérante.

81      Dans ces conditions, c’est à bon droit que la chambre de recours a considéré que la présentation trompeuse était démontrée.

–       Sur le préjudice causé au « goodwill »

82      Il convient de relever que, dans le cadre d’une action en usurpation d’appellation, le demandeur n’est pas obligé de prouver qu’il a subi un préjudice. Il suffit qu’un préjudice soit probable. Une présentation trompeuse, conduisant le public pertinent à croire que les produits du défendeur à l’action en usurpation d’appellation sont ceux du demandeur à l’action, est intrinsèquement susceptible de causer un préjudice au demandeur dans le cas où les champs d’activités commerciales du demandeur et du défendeur sont raisonnablement proches [voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2010, Tresplain Investments/OHMI – Hoo Hing (Golden Elephant Brand), T‑303/08, EU:T:2010:505, points 147 et 148].

83      La chambre de recours a considéré, au point 58 de la décision attaquée, que le « goodwill » et la présentation trompeuse étant établis, il convenait de présumer que l’intervenante subirait un préjudice, compte tenu de l’identité de la marque demandée et de la marque verbale antérieure TURBO-K, et du fait que le public pertinent ne serait pas en mesure de déterminer si les produis et services fournis par l’une ou l’autre proviennent de l’intervenante ou de la requérante.

84      À défaut d’arguments avancés par la requérante, la conclusion de la chambre de recours relative à l’existence d’un préjudice causé au « goodwill » doit être entérinée.

85      Il résulte de tout ce qui précède que la chambre de recours a conclu à bon droit que les conditions de l’action en usurpation d’appellation ainsi que celles de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 étaient réunies et que, par suite, le moyen unique soulevé par la requérante doit être écarté.

86      Il convient donc de rejeter le recours de la requérante.

 Sur le recours incident

87      Dans le recours incident, l’intervenante soutient que la chambre de recours a estimé à tort qu’il n’était pas nécessaire d’examiner en détails l’utilisation des marques antérieures dans la vie des affaires aux Pays-Bas. Elle fait notamment valoir qu’elle a intérêt à obtenir (au moins) la même décision sur le fondement du droit néerlandais. En particulier, l’issue de cet examen affecterait directement l’éventuelle transformation, sur le fondement des articles 139 et 140 du règlement 2017/1001, de la demande de marque de l’Union européenne en demande de marque nationale aux Pays-Bas, pays dans lequel l’intervenante a des activités importantes.

88      L’EUIPO soutient que le recours incident est irrecevable. Il fait valoir en particulier qu’il est constant que l’opposition fondée sur le droit néerlandais serait, en tout état de cause, accueillie tout au plus dans la même mesure que l’opposition fondée sur le droit du Royaume-Uni et que, par suite, l’intervenante ne se trouve pas dans une situation où la décision attaquée n’aurait pas fait droit à ses prétentions.

89      La requérante conteste le bien-fondé de l’argumentation développée par l’intervenante dans le recours incident.

90      Aux termes de l’article 65, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 (devenu article 72, paragraphe 4, du règlement 2017/1001), le recours devant le Tribunal contre une décision d’une chambre de recours de l’EUIPO est « ouvert à toute partie à la procédure devant la chambre de recours pour autant que la décision de celle-ci n’a pas fait droit à ses prétentions ». En outre, selon une jurisprudence constante, l’intérêt à agir d’un requérant constitue la condition essentielle de tout recours en justice et doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci, sous peine d’irrecevabilité. L’intérêt à agir suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté [voir arrêt du 25 septembre 2015, Copernicus-Trademarks/OHMI – Bolloré (BLUECO), T‑684/13, EU:T:2015:699, point 27 et jurisprudence citée].

91      Une décision d’une chambre de recours doit être considérée comme ayant fait droit aux prétentions de l’une des parties devant cette chambre, lorsqu’elle accueille la demande de cette partie sur la base d’un des motifs de refus d’enregistrement ou de nullité d’une marque ou, plus généralement, d’une partie seulement de l’argumentation présentée par ladite partie, quand bien même elle omettrait d’examiner ou elle rejetterait les autres motifs ou arguments invoqués par cette même partie (voir arrêt du 25 septembre 2015, BLUECO, T‑684/13, EU:T:2015:699, point 28 et jurisprudence citée).

92      En l’espèce, l’intervenante demande, par son recours incident, d’une part, d’annuler la décision attaquée uniquement en ce qui concerne la considération de la chambre de recours qu’il n’est pas nécessaire d’examiner en détails le motif d’opposition fondé sur le droit néerlandais, d’autre part, d’examiner ledit motif et de déclarer que l’opposition prospère à cet égard.

93      Toutefois, en n’examinant pas en détails le bien-fondé du motif d’opposition fondé sur l’utilisation des marques antérieures dans la vie des affaires aux Pays-Bas, la chambre de recours n’a pas refusé de faire droit aux prétentions de l’intervenante. Ainsi qu’il ressort des points 71 à 73 de la décision attaquée, ladite chambre a estimé que, même si l’intervenante disposait de droits en vertu de la législation néerlandaise pour s’opposer à l’enregistrement de la marque demandée, l’opposition fondée sur ladite législation serait accueillie, tout au plus, dans la même mesure que celle fondée sur le droit du Royaume-Uni, à savoir uniquement en ce qui concerne les produits et services désignés par la marque demandée similaires au produit en cause. Ces considérations ne sont d’ailleurs pas contestées par l’intervenante.

94      Il résulte certes du règlement no 207/2009, et en particulier de l’article 112, paragraphe 1, sous a), de ce règlement [devenu article 139, paragraphe 1, sous a) du règlement 2017/1001], que « le demandeur ou le titulaire d’une marque de l’Union [européenne] peut requérir la transformation de sa demande ou de sa marque de l’Union [européenne] en demande de marque nationale : a) dans la mesure où la demande de marque de l’Union [européenne] est rejetée, retirée ou réputée retirée […] ».

95      De même, ainsi que le fait valoir l’intervenante, les motifs de rejet de la demande de marque de l’Union européenne déterminent si ladite demande peut être enregistrée au niveau national. En effet, il est prévu à l’article 112, paragraphe 2, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 139, paragraphe 2, sous b, du règlement 2017/1001] que la transformation n’a pas lieu en vue d’une protection dans un État membre où, selon la décision de l’Office ou de la juridiction nationale, la demande ou la marque de l’Union européenne est frappée d’un motif de refus d’enregistrement, de révocation ou de nullité [arrêt du 16 septembre 2004, Metro-Goldwyn-Mayer Lion/OHMI – Moser Grupo Media (Moser Grupo Media), T‑342/02, EU:T:2004:268, point 40].

96      Toutefois, la procédure de transformation de la demande de marque de l’Union européenne en demande de marque nationale ne demeure qu’une faculté pour le demandeur de la marque de l’Union européenne. En outre, cette procédure ne confère aucunement aux demandeurs le droit de voir leurs demandes acceptées par les autorités nationales compétentes. Au contraire, la décision sur l’éventuel enregistrement national est réservée aux autorités nationales compétentes, les opposants ayant la possibilité de faire valoir leurs droits devant lesdites autorités nationales (arrêt du 16 septembre 2004, Moser Grupo Media, T‑342/02, EU:T:2004:268, point 41).

97      Par ailleurs, rien n’empêche un demandeur dont la demande de marque de l’Union a été rejetée à la suite d’une procédure d’opposition de déposer des demandes similaires devant les autorités nationales sans recourir à la procédure de transformation (arrêt du 16 septembre 2004, Moser Grupo Media, T‑342/02, EU:T:2004:268, point 42).

98      En conséquence, quelle que soit l’importance de l’activité économique de l’intervenante aux Pays-Bas, force est de constater que l’intérêt dont elle se prévaut, à savoir prévenir le risque que la requérante sollicite la transformation dans ce pays de la demande d’enregistrement de la marque demandée en demande de marque nationale, concerne une situation juridique future et incertaine (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 2004, Moser Grupo Media, T‑342/02, EU:T:2004:268, points 43 et 44 et jurisprudence citée).

99      Il résulte des considérations qui précèdent que le recours incident, s’il était accueilli, ne serait pas susceptible de procurer, par son résultat, un bénéfice à l’intervenante.

100    Il convient donc de rejeter le recours incident de l’intervenante comme irrecevable.

 Sur les dépens

101    Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du règlement de procédure, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

102    La requérante et l’intervenante ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter chacune, pour moitié, les dépens de l’EUIPO, ainsi qu’à supporter, chacune, leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le recours incident est rejeté comme irrecevable.

3)      Turbo-K International Ltd et Turbo-K Ltd supporteront, chacune, leurs propres dépens ainsi que, pour moitié, les dépens de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).

Gervasoni

Madise

da Silva Passos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 janvier 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.