Language of document : ECLI:EU:T:2012:157

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

27 mars 2012 (*)

« Recours en annulation – Aides d’État – Subvention accordée par les autorités grecques en faveur de l’entreprise minière Ellinikos Chrysos consistant en la cession de l’exploitation minière de Cassandra à un prix inférieur à la valeur réelle du marché et en l’exonération des taxes sur l’opération – Décision déclarant l’aide illégale et ordonnant sa récupération, majorée d’intérêts – Défaut d’intérêt à agir – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑261/11,

European Goldfields Ltd, établie à Whitehorse, Yukon (Canada), représentée par Mes K. Adamantopoulos, E. Petritsi, E. Trova et P. Skouris, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. É. Gippini Fournier et D. Triantafyllou, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2011/452/UE de la Commission, du 23 février 2011, concernant l’aide d’État C 48/08 (ex NN 61/08) octroyée par la Grèce en faveur d’Ellinikos [Ch]rysos SA (JO L 193, p. 27),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, président, V. Vadapalas et K. O’Higgins (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, European Goldfields Ltd, est une société constituée en vertu du droit applicable sur le territoire du Yukon (Canada) et dont le siège se trouve au Canada. Elle est le principal actionnaire de la prétendue bénéficiaire de l’aide, à savoir Ellinikos Chrysos AE Metalleion kai Viomixanias Chrysou (ci-après « Hellas Gold »). Elle détient 95 % des parts sociales de cette dernière société à travers ses filiales, à savoir 650 000 parts par l’intermédiaire d’European Goldfields (Greece) BV [l’ensemble des parts sociales de cette dernière société sont détenues par European Goldfields Mining (Netherlands) B.V., une filiale à 100 % d’European Goldfields Ltd] et 300 000 parts par l’intermédiaire d’Hellas Gold BV (une filiale à 100 % d’European Goldfields Ltd).

2        Hellas Gold a été créée en décembre 2003 aux fins de l’acquisition des mines de la région de Cassandra, en Chalcidique, au nord de la Grèce, qui étaient détenues à l’époque par la société TVX Hellas SA et qui comprennent les projets miniers d’Olympias, de Skouries et de Stratoni (ci-après les « mines de Cassandra »). La société TVX Hellas, une filiale de la société canadienne Kinross Gold Corp., avait acquis les mines de Cassandra en 1995 à la suite d’un appel d’offres lancé par l’État grec pour environ 39,8 millions d’euros. En 2003, à la suite de l’annulation de certains permis d’exploitation et de traitement de l’or et de la cessation du financement de Kinross Gold Corp., TVX Hellas a demandé l’ouverture d’une procédure de faillite devant les tribunaux grecs.

3        Le 12 décembre 2003, conformément à un règlement extrajudiciaire, les mines de Cassandra ont été transférées de TVX Hellas à l’État grec pour un montant de 11 millions d’euros. Le même jour, l’État grec a vendu lesdites mines, y compris les droits miniers et les actifs fixes, à Hellas Gold pour le même montant sans appel d’offres ouvert ni évaluation des actifs des mines par un expert indépendant.

4        Le 28 janvier 2004, la loi grecque n° 3220/2004 ratifiant le contrat de vente entre la République hellénique et Hellas Gold a été publiée. En vertu de cette loi, Hellas Gold a été exemptée de tout impôt qui aurait normalement dû être appliqué à la transaction.

5        À la suite d’une plainte, reçue le 9 juillet 2007, relative à deux aides d’État qui auraient été accordées à Hellas Gold et de communications avec la République hellénique, la Commission a ouvert, le 10 décembre 2008, une procédure formelle d’examen conformément à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

6        Dans le cadre de cette procédure, la requérante a présenté ses observations à la Commission en tant que partie intéressée au sens de l’article 1, sous h), du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1).

7        Le 23 février 2011, la Commission a adopté la décision C 48/08 (ex NN 61/08), dans laquelle elle a conclu que constituaient des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur, d’une part, la cession des mines de Cassandra, en 2003, à Hellas Gold, en ce qu’elle avait été effectuée à un prix inférieur à la valeur réelle du marché et, d’autre part, l’exonération des taxes sur l’opération prévue par le contrat de vente (ci-après la « décision attaquée »). Par conséquent, la Commission a ordonné à la République hellénique de récupérer un montant de 15,34 millions d’euros, majoré d’intérêts.

 Procédure et conclusions des parties

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 mai 2011, la requérante a introduit le présent recours.

9        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 2 septembre 2011, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité en application de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

10      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 septembre 2011, Hellas Gold a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la requérante.

11      La requérante a déposé ses observations sur l’exception d’irrecevabilité le 24 octobre 2011.

12      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

13      Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

14      En vertu de l’article 114, paragraphes 1 et 4, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’exception d’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Le Tribunal estime que, en l’espèce, il est suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

15      La Commission conclut à l’irrecevabilité du recours. Elle estime, en substance, que la requérante possède, certes, en tant qu’actionnaire principal du bénéficiaire de l’aide en cause, le statut de tiers au regard de la décision attaquée, mais qu’elle n’a aucun intérêt propre à obtenir son annulation. En effet, étant donné que la décision attaquée est adressée à la République hellénique et qu’Hellas Gold, le bénéficiaire de l’aide, a introduit son propre recours en annulation contre cette décision – lequel serait, d’ailleurs, quasiment identique au présent recours –, la requérante n’aurait donc aucun intérêt à agir à l’égard de cette décision selon les critères énoncés par la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 20 juin 2000, Euromin/Conseil (T‑597/97, Rec. p. II‑2419, point 50).

16      À titre liminaire, il convient de relever que, jouissant de la personnalité juridique, la requérante peut introduire un recours en annulation en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Toutefois, la décision attaquée ayant été adressée à la République hellénique, et non à la requérante, il y a lieu de vérifier si cette dernière possède un intérêt à agir dans le présent litige.

17      À cet égard, selon une jurisprudence constante, la recevabilité du recours en annulation introduit par une personne physique ou morale est subordonnée à la condition qu’elle justifie d’un intérêt à agir. Elle doit, en particulier, démontrer l’existence d’un intérêt personnel à obtenir l’annulation de l’acte attaqué. Cet intérêt doit être né et actuel et s’apprécie au jour où le recours est formé (voir ordonnance du Tribunal du 29 avril 1999, Unione provinciale degli agricoltori di Firenze e.a./Commission, T‑78/98, Rec. p. II‑1377, point 30 et la jurisprudence citée et arrêt du Tribunal du 20 septembre 2007, Salvat père & fils e.a./Commission, T‑136/05, Rec. p. II‑4063, point 34).

18      Par conséquent, il convient de vérifier si, en l’espèce, la requérante a fait la preuve de son intérêt personnel, né et actuel à agir contre la décision attaquée.

19      La requérante fait valoir, en substance, qu’elle jouit d’un intérêt propre à agir en raison de l’effet négatif de la décision attaquée sur sa situation financière, ses résultats et ses liquidités ainsi qu’en raison de certains contrats de garantie qu’elle a conclus pour les dettes d’Hellas Gold qui couvrent les aides à rembourser.

20      Il convient de constater que les arguments de la requérante tendant à démontrer que la décision attaquée affectera sérieusement ses activités économiques (voir point 19 ci-dessus) sont essentiellement fondés sur sa participation au capital d’Hellas Gold en tant qu’actionnaire principal.

21      Il y a lieu de relever, à cet égard, que, ainsi que le soutient à juste titre la Commission, sauf à pouvoir faire valoir un intérêt à agir distinct de celui d’une entreprise concernée par un acte de l’Union et dont elle détient une part du capital, une personne ne saurait défendre ses intérêts à l’égard de cet acte autrement qu’en exerçant ses droits d’associé de cette entreprise, qui, elle, a le droit d’introduire un recours (arrêt Euromin/Conseil, point 15 supra, point 50).

22      Or, aucun des arguments avancés par la requérante n’est de nature à établir l’existence, à son endroit, d’un intérêt à agir distinct de celui d’Hellas Gold.

23      En l’espèce, la requérante ne conteste pas l’argument de la Commission selon lequel la présente affaire est parfaitement identique à l’affaire T‑262/11 introduite par Hellas Gold et visant à l’annulation de la décision attaquée, que les deux entreprises sont représentées par les mêmes avocats et que le fond, le texte, les notes de bas de page et les annexes des requêtes sont identiques.

24      En outre, ainsi que le reconnaît la requérante, force et de constater que la participation de cette dernière dans le capital d’Hellas Gold ne justifie pas en soi un droit d’agir (voir, en ce sens, arrêt Euromin/Conseil, point 15 supra, point 50, et les observations sur l’exception d’irrecevabilité, point 5). Contrairement à ce que prétend la requérante, cette jurisprudence concerne la question de savoir si l’entreprise détentrice d’une partie du capital d’une entreprise concernée par un acte de l’Union est en mesure de faire valoir un intérêt distinct à agir contre ledit acte et est tout à fait transposable au présent recours. Il convient de rappeler que, dans cette affaire, le Tribunal a constaté qu’une simple participation dans le capital de l’entreprise concernée par un règlement du Conseil instituant un droit antidumping sur certains produits originaires de Pologne et de Russie ne saurait justifier un droit d’agir de la part de l’entreprise détentrice du capital, qui ne saurait défendre ses intérêts à cet égard qu’en exerçant ses droits d’associé de l’entreprise bénéficiaire, qui, elle, a le droit d’introduire un recours (voir point 21 ci-dessus).

25      La requérante prétend, toutefois, que, considérés ensemble, son rôle actif pendant la procédure administrative, sa participation dans le capital d’Hellas Gold à hauteur de 95 % ainsi que l’obligation qui lui incombe de protéger les intérêts de ses actionnaires et son positionnement sur le marché, qui sont gravement affectés par la décision attaquée, établissent un tel intérêt à agir.

26      En ce qui concerne, en premier lieu, la participation de la requérante à la procédure administrative, il doit être rappelé que, selon une jurisprudence constante, la procédure de contrôle des aides d’État est, compte tenu de son économie générale, une procédure ouverte vis-à-vis de l’État membre responsable de l’octroi de l’aide (arrêt de la Cour du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, point 81 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 234/84, Rec. p. 2263, point 29). Les entreprises bénéficiaires des aides et les entités territoriales infra étatiques qui octroient les aides, tout comme les concurrents des bénéficiaires des aides, sont uniquement considérés comme étant des « intéressés » dans cette procédure (voir arrêt du Tribunal du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, Rec. p. II‑435, point 122, et la jurisprudence citée), la jurisprudence impartissant essentiellement à ces derniers le rôle de sources d’information (arrêt Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, précité, point 125). Il ressort de cette jurisprudence que la nature du droit découlant de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, est circonscrite au fait d’être associé à la procédure d’examen et ne saurait donc en elle-même fonder un intérêt à agir pour les intéressés à l’encontre de la décision adoptée à l’issue de la procédure (voir également, en ce sens et par analogie, arrêts du Tribunal du 11 février 1999, Arbeitsgemeinschaft Deutscher Luftfahrt-Unternehmen et Hapag-Lloyd/Commission, T‑86/96, Rec. p. II‑179, points 47 et 50 et du 22 octobre 2008, TV 2/Danmark e.a./Commission, T‑309/04, T‑317/04, T‑329/04 et T‑336/04, Rec. p. II‑2935, points 137 et 139 à 146).

27      En deuxième lieu, s’agissant du niveau important de la participation de la requérante dans Hellas Gold, il convient de relever que, ainsi qu’il a été constaté au point 24 ci-dessus, une participation dans le capital d’un bénéficiaire des aides, quel que soit son niveau, ne démontre pas un intérêt à agir distinct de celui dudit bénéficiaire. En outre, et en tout état de cause, la participation détenue par la requérante dans le capital d’Hellas Gold n’est qu’indirecte par le biais des sociétés European Goldfields Mining (Netherlands) BV et Hellas Gold BV, (voir point 1 ci-dessus). Le fait que la requérante est l’actionnaire principal, et donc de contrôle, d’Hellas Gold ne saurait infirmer cette conclusion (voir, en ce sens, arrêt Euromin/Conseil, point 15 supra, point 50).

28      En troisième lieu, s’agissant de l’obligation qui lui incombe de protéger les intérêts de ses actionnaires et son positionnement sur le marché, la requérante fait valoir, en substance, que la récupération des aides ordonnée par la décision attaquée entraînerait des conséquences financières négatives substantielles pour elle. À cet égard, il doit être relevé que la requérante ne prétend ni dans la requête ni dans les observations sur l’exception d’irrecevabilité que la décision attaquée est susceptible de menacer sa solvabilité présente ou future. Elle n’a pas non plus fait état d’une quelconque action pendante qui aurait été introduite devant une juridiction nationale, ayant pour objet la restitution des aides litigieuses et mettant en cause la requérante à cet égard (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 17 septembre 1992, NBV et NVB/Commission, T‑138/89, Rec. p. II‑2181, point 33 ; du 14 avril 2005, Sniace/Commission, T‑141/03, Rec. p. II‑1197, point 26, et Salvat père & fils e.a./Commission, point 17 supra, point 47).

29      En quatrième lieu, il y a lieu de rappeler qu’un opérateur économique doit justifier d’un intérêt personnel, né et actuel à l’annulation de l’acte attaquée. Si l’intérêt dont se prévaut un requérant concerne une situation juridique future, il doit établir que l’atteinte à cette situation se révèle, d’ores et déjà, certaine (voir, en ce sens, arrêt NBV et NVB/Commission, point 28 supra, point 33). Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la requérante n’invoque qu’une situation future et incertaine qui pourrait se produire dans l’hypothèse d’une action fondée sur des contrats de garantie. Force est de constater que ces contrats de garantie ont été conclus entre la requérante et des parties tierces en contrepartie des fonds d’investissement de ces tiers que la requérante a investis dans sa filiale, Hellas Gold. Une éventuelle action en recouvrement des aides litigieuses par la République hellénique auprès d’Hellas Gold conformément à la décision attaquée n’aurait donc pas automatiquement pour conséquence l’invocation des garanties à l’égard de la requérante. Dès lors, cet argument ne saurait être accueilli.

30      Enfin, force est de constater que la résolution du conseil d’administration d’European Goldfields, du 17 octobre 2011, invoquée par la requérante, selon laquelle cette dernière s’engage à être conjointement et solidairement responsable des dettes d’Hellas Gold résultant de l’éventuelle action en récupération des aides litigieuses, a été adoptée postérieurement au dépôt de la requête, le 20 mai 2011, et ne saurait fonder un intérêt à agir né à cette date (voir points 17 et 29 ci-dessus).

31      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas justifié d’un intérêt personnel, né et actuel à agir contre la décision attaquée. Son recours doit, dès lors, être déclaré irrecevable.

32      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande en intervention d’Hellas Gold.

 Sur les dépens

33      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      European Goldfields Ltd est condamnée aux dépens.

3)      Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande en intervention d’Ellinikos Chrysos AE Metalleion kai Viomixanias Chrysou.

Fait à Luxembourg, le 27 mars 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       S. Papasavvas


* Langue de procédure : l’anglais.