Language of document : ECLI:EU:T:2019:216

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

4 avril 2019 (*) (1)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds – Droits de la défense – Droit à une protection juridictionnelle effective – Erreur manifeste d’appréciation – Droit de propriété – Proportionnalité – Atteinte à la réputation »

Dans l’affaire T‑5/17,

Ammar Sharif, demeurant à Damas (Syrie), représenté par MM. B. Kennelly, QC, et J. Pobjoy, barrister,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes S. Kyriakopoulou, P. Mahnič et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par M. L. Havas et Mme J. Norris, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet, à titre principal, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution (PESC) 2016/1897 du Conseil, du 27 octobre 2016, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2016, L 293, p. 36), du règlement d’exécution (UE) 2016/1893 du Conseil, du 27 octobre 2016, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2016, L 293, p. 25), de la décision (PESC) 2017/917 du Conseil, du 29 mai 2017, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2017, L 139, p. 62), du règlement d’exécution (UE) 2017/907 du Conseil, du 29 mai 2017, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2017, L 139, p. 15), de la décision (PESC) 2018/778 du Conseil, du 28 mai 2018, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2018, L 131, p. 16), et du règlement d’exécution (UE) 2018/774 du Conseil, du 28 mai 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2018, L 131, p. 1), pour autant que ces actes concernent le requérant, et, à titre subsidiaire, une demande fondée sur l’article 277 TFUE et tendant à la déclaration de l’inapplicabilité de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75), et de l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement (UE) no 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement no 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1), pour autant que ces dispositions s’appliquent au requérant,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de M. D. Gratsias, président, Mme I. Labucka et M. I. Ulloa Rubio (rapporteur), juges,

greffier : M. F. Oller, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 7 septembre 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Ammar Sharif, est un homme d’affaires de nationalité syrienne.

2        Condamnant fermement la répression violente des manifestations pacifiques en divers endroits dans toute la Syrie et lançant un appel aux autorités syriennes pour qu’elles s’abstiennent de recourir à la force, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 9 mai 2011, la décision 2011/273/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2011, L 121, p. 11). Compte tenu de la gravité de la situation, le Conseil a institué un embargo sur les armes, une interdiction des exportations de matériel susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne, des restrictions à l’admission dans l’Union européenne ainsi que le gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes et entités responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne.

3        Les noms des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie ainsi que ceux des personnes, physiques ou morales, et des entités qui leur sont liées sont mentionnés dans l’annexe de la décision 2011/273. En vertu de l’article 5, paragraphe 1, de cette décision, le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, peut modifier cette annexe.

4        Étant donné que certaines des mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne entrent dans le champ d’application du traité FUE, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 442/2011, du 9 mai 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2011, L 121, p. 1). Ce règlement est, pour l’essentiel, identique à la décision 2011/273, mais il prévoit des possibilités de déblocage des fonds gelés. La liste des personnes, des entités et des organismes reconnus comme étant soit responsables de la répression en cause, soit associés à ces responsables, figurant dans l’annexe II de ce règlement, est identique à celle figurant dans l’annexe de la décision 2011/273. En vertu de l’article 14, paragraphes 1 et 4, du règlement no 442/2011, lorsque le Conseil décide d’appliquer à une personne physique ou morale, à une entité ou à un organisme les mesures restrictives visées, il modifie l’annexe II en conséquence et, par ailleurs, examine la liste qui y figure à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois.

5        Par la décision 2011/782/PESC, du 1er décembre 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/273 (JO 2011, L 319, p. 56), le Conseil a estimé, compte tenu de la gravité de la situation en Syrie, qu’il était nécessaire d’instituer des mesures restrictives supplémentaires. Par souci de clarté, les mesures imposées par la décision 2011/273 et les mesures supplémentaires ont été regroupées dans un instrument juridique unique. La décision 2011/782 prévoit, à son article 18, des restrictions en matière d’admission sur le territoire de l’Union et, à son article 19, le gel des fonds et des ressources économiques des personnes et entités dont le nom figure à son annexe I.

6        Le règlement no 442/2011 a été remplacé par le règlement (UE) no 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement no 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1).

7        Par la décision 2012/739/PESC du Conseil, du 29 novembre 2012, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/782 (JO 2012, L 330, p. 21), les mesures restrictives en cause ont été regroupées dans un instrument juridique unique.

8        La décision 2012/739 a été remplacée par la décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14). La décision 2013/255 a été prorogée jusqu’au 1er juin 2015 par la décision 2014/309/PESC du Conseil, du 28 mai 2014, modifiant la décision 2013/255 (JO 2014, L 160, p. 37).

9        Le 12 octobre 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/1836 modifiant la décision 2013/255 (JO 2015, L 266, p. 75). Le même jour, il a adopté le règlement (UE) 2015/1828 modifiant le règlement no 36/2012 (JO 2015, L 266, p. 1).

10      Aux termes du considérant 6 de la décision 2015/1836, « [l]e Conseil a estimé que, en raison du contrôle étroit exercé sur l’économie par le régime syrien, un cercle restreint de femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie n’est en mesure de maintenir son statut que grâce à des liens étroits avec le régime et au soutien de celui-ci, ainsi qu’à l’influence exercée en son sein » et « le Conseil estime qu’il devrait prévoir des mesures restrictives pour imposer des restrictions à l’admission des femmes et des hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie, identifiés par le Conseil et dont la liste figure à l’annexe I, ainsi que pour geler tous les fonds et ressources économiques qui leur appartiennent, qui sont en leur possession, ou qui sont détenus ou contrôlés par eux, afin de leur empêcher de fournir un soutien matériel ou financier au régime et, par l’influence qu’ils exercent, d’accroître la pression sur le régime lui-même afin qu’il modifie sa politique de répression ».

11      La rédaction des articles 27 et 28 de la décision 2013/255 a été modifiée par la décision 2015/1836. Ces articles prévoient désormais des restrictions à l’entrée ou au passage en transit sur le territoire des États membres ainsi que le gel des fonds des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » sauf « informations suffisantes indiquant [que ces personnes] ne sont pas, ou ne sont plus, lié[e]s au régime ou qu’[elles] n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’[elles] ne sont pas associé[e]s à un risque réel de contournement ».

12      Par la décision d’exécution (PESC) 2016/1897, du 27 octobre 2016, mettant en œuvre la décision 2013/255 (JO 2016, L 293, p. 36), le Conseil a modifié la décision 2013/255 en vue notamment d’appliquer les mesures restrictives en cause à d’autres personnes et entités, dont les noms ont été ajoutés sur la liste figurant à l’annexe de cette dernière décision. Le nom du requérant a été inséré dans cette liste à la ligne 212 du tableau A de cette annexe ainsi que la date de l’inscription de son nom sur la liste en cause, en l’occurrence le 28 octobre 2016, et les motifs suivants :

« Homme d’affaires syrien influent exerçant ses activités en Syrie, actif dans les secteurs des banques, des assurances et des soins hospitaliers. Partenaire fondateur de Byblos Bank Syria, principal actionnaire de Unlimited Hospitality Ltd, et membre du conseil d’administration de Solidarity Alliance Insurance Company et de Al-Aqueelah Takaful Insurance Company ».

13      Le 27 octobre 2016, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2016/1893 mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2016, L 293, p. 25). Le nom du requérant figurait au tableau A de l’annexe de ce règlement d’exécution avec les mêmes informations et motifs que ceux retenus dans la décision d’exécution 2016/1897.

14      Le 28 octobre 2016, le Conseil a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’avis à l’attention des personnes qui faisaient l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2013/255 et par le règlement no 36/2012 (JO 2016, C 398, p. 4).

15      Le 29 mai 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/917, modifiant la décision 2013/255 (JO 2017, L 139, p. 62). Par l’article 1er de la décision 2017/917, l’article 34 de la décision 2013/255 a été modifié pour prévoir la prorogation des mesures restrictives prévues par l’annexe de cette dernière jusqu’au 1er juin 2018. En outre, conformément à l’article 2 de la décision 2017/917, cinquante-cinq des mentions figurant à l’annexe I de cette dernière décision, concernant des personnes autres que le requérant, ont été modifiées. Enfin, en vertu de son article 3, la décision 2017/917 est entrée en vigueur le jour de sa publication.

16      Le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2017/907 mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2017, L 139, p. 15). En vertu de l’article 1er de ce règlement d’exécution, l’annexe II du règlement no 36/2012 a été modifiée, pour tenir compte des modifications apportées à l’annexe I de la décision 2013/255 par la décision 2017/917. Conformément à son article 2, ce règlement d’exécution est entré en vigueur le jour de sa publication.

17      Le 28 mai 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/778, modifiant la décision 2013/255 (JO 2018, L 131, p. 16). Par l’article 1er de la décision 2018/778, l’article 34 de la décision 2013/255 a été modifié pour prévoir la prorogation des mesures restrictives prévues par l’annexe de cette dernière jusqu’au 1er juin 2019. En outre, conformément à l’article 2 de la décision 2018/778, trente-quatre des mentions figurant à l’annexe I de cette dernière décision, concernant des personnes autres que le requérant, ont été modifiées. Enfin, en vertu de son article 3, la décision 2018/778 est entrée en vigueur le jour suivant celui de sa publication.

18      Le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2018/774 mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2018, L 131, p. 1). En vertu de l’article 1er de ce règlement d’exécution, l’annexe II du règlement no 36/2012 a été modifiée pour tenir compte des modifications apportées à l’annexe I de la décision 2013/255 par la décision 2018/778. Conformément à son article 2, ce règlement d’exécution est entré en vigueur le jour suivant celui de sa publication.

 Procédure et conclusions des parties

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 janvier 2017, le requérant a introduit le présent recours à l’encontre de la décision d’exécution 2016/1897 et du règlement d’exécution 2016/1893.

20      Le 3 avril 2017, le Conseil a déposé au greffe du Tribunal le mémoire en défense.

21      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 31 mars 2017, la Commission européenne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Conseil. Par décision du 28 avril 2017, le président de la cinquième chambre du Tribunal a admis cette intervention. La Commission a déposé son mémoire le 22 juin 2017. Le requérant a déposé ses observations sur celui-ci dans le délai imparti.

22      La réplique et la duplique ont été déposées, respectivement, par le requérant, le 19 mai 2017, et, par le Conseil, le 27 juin 2017.

23      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 3 août 2017, le requérant a adapté la requête afin d’obtenir également l’annulation de la décision 2017/917 et du règlement d’exécution 2017/907.

24      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal a demandé, le 27 février 2018, au Conseil de produire une version lisible de certains documents. Ce dernier a déféré à la demande le 9 mars 2018.

25      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 11 juin 2018, le requérant a adapté la requête afin d’obtenir également l’annulation de la décision 2018/778 et du règlement d’exécution 2018/774.

26      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, sous d), du règlement de procédure, le Tribunal a demandé, les 15 juin et 28 septembre 2018, au Conseil de fournir des documents. Ce dernier a déféré à la demande du Tribunal le 20 juin et le 3 octobre 2018 respectivement.

27      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler, en tant que ces actes le concernent, la décision d’exécution 2016/1897, le règlement d’exécution 2016/1893, la décision 2017/917, le règlement d’exécution 2017/907, la décision 2018/778 et le règlement d’exécution 2018/774 (ci-après les « actes attaqués ») ;

–        à titre subsidiaire, déclarer inapplicables, sur le fondement des articles 277 et 263 TFUE, l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828 dans la mesure où ils s’appliquent au requérant ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

28      Dans la requête, le requérant a formulé des conclusions indemnitaires, sur le fondement de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, visant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi à la suite de l’inscription de son nom dans les actes attaqués. Dans la réplique, le requérant s’est désisté de ces conclusions au motif qu’il n’était pas en mesure de présenter les preuves détaillées portant sur l’ampleur du dommage subi.

29      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulés en ce qui concerne le requérant, ordonner le maintien des effets des décisions attaquées en ce qui le concerne jusqu’à l’expiration du délai de pourvoi ;

–        condamner le requérant aux dépens.

30      La Commission, soutenant le Conseil, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

31      Lors de l’audience, la Commission a renoncé à son second chef de conclusions.

 En droit

 Sur la recevabilité des mémoires en adaptation des conclusions en tant qu’ils visent le règlement d’exécution 2017/907 et le règlement d’exécution 2018/774

32      Le Conseil conteste la recevabilité du premier et du second mémoire en adaptation des conclusions en tant qu’ils visent respectivement le règlement d’exécution 2017/907 et le règlement d’exécution 2018/774. À cet égard, le Conseil soutient que ces derniers actes ne mentionnent pas le nom du requérant et ne remplacent pas un acte précédent concernant directement et individuellement le requérant, celui-ci n’ayant dès lors aucune qualité pour agir.

33      Il convient de relever qu’il ressort des points 15 à 18 ci-dessus que le règlement d’exécution 2017/907 et le règlement d’exécution 2018/774 se bornent à introduire des modifications à l’annexe II du règlement no 36/2012 concernant des personnes autres que le requérant, sans remplacer l’annexe II de ce dernier règlement par une nouvelle annexe.

34      Toutefois, il y a lieu, en l’espèce, d’examiner le recours sur le fond s’agissant du règlement d’exécution 2017/907 et du règlement d’exécution 2018/774, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le point de savoir si le requérant avait un intérêt à agir à l’encontre de ces derniers (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2017, Ben Ali/Conseil, T‑149/15, non publié, EU:T:2017:693, point 65 et jurisprudence citée).

 Sur le fond

35      À l’appui du recours, dans la requête, le requérant a invoqué deux moyens, tirés, le premier, d’une erreur de droit et d’une erreur d’appréciation et le deuxième, de la violation du droit de propriété, du principe de proportionnalité, de la liberté d’entreprise et du droit à la réputation. Dans les mémoires en adaptation des conclusions, il a également invoqué un troisième moyen tiré, formellement, de la violation des droits de la défense, du droit à une bonne administration et du droit à une protection juridictionnelle effective.

36      Le Tribunal considère que, dans la mesure où les arguments soulevés à l’appui du troisième moyen invoqué dans les mémoires en adaptation des conclusions visent en réalité une erreur d’appréciation et non une violation des droits procéduraux, ce moyen doit être regardé comme étant tiré d’une telle erreur et qu’il sera examiné avec le premier moyen.

37      En outre, à titre subsidiaire, le requérant a soulevé un quatrième moyen tiré d’une exception d’illégalité, selon laquelle le critère de désignation prévu à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, est disproportionné par rapport aux objectifs poursuivis par les actes attaqués et doit être déclaré inapplicable à son égard.

38      Par conséquent, le Tribunal estime opportun d’examiner, tout d’abord, le premier moyen et le troisième moyen pris ensemble, ensuite, le deuxième moyen et, enfin, le quatrième moyen, tiré de l’exception d’illégalité soulevée par le requérant à titre subsidiaire.

 Sur les premier et troisième moyens, tirés, en substance, d’une erreur de droit et d’une erreur d’appréciation

39      En premier lieu, le requérant présente des observations liminaires relatives à l’étendue du contrôle juridictionnel de la légalité des actes attaqués en faisant valoir que le Conseil a considéré à tort que le contrôle du Tribunal reposait sur un contrôle du caractère « plausible » de ses constatations. À cet égard, il avance que le Tribunal doit assurer un contrôle complet de la légalité de l’inscription de son nom dans les annexes des actes attaqués. Il observe que, selon la jurisprudence du Tribunal, la décision d’inscription doit reposer sur une base factuelle suffisamment solide, dont la charge de la preuve incombe au Conseil, et que le Tribunal doit, dès lors, examiner au fond les éléments de preuve et les informations qui fondent cette décision d’inscription. Le requérant soutient, enfin, que, selon la jurisprudence, le contrôle qui doit être exercé en l’espèce n’est pas limité à la vérification de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais doit inclure la question de savoir si ces derniers sont étayés, à suffisance de droit, par des éléments de preuve et d’information concrets.

40      En deuxième lieu, le requérant allègue que le considérant 6 de la décision 2015/1836 précise que la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » vise seulement à couvrir le « cercle restreint de femmes et d’hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » qui ont un lien avec le régime et sont soutenus par celui-ci. À cet égard, il fait valoir que le Conseil n’a pas respecté le critère d’inscription prévu à l’article 28 de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15 du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, en ce qui le concerne, au motif qu’il n’a pas précisé, dans l’exposé des motifs des actes attaqués, qu’il était une personne tirant bénéfice de ses liens avec le régime syrien ou le soutenant ou qu’il était lié à une telle personne. Il soutient également que le Conseil n’a pas allégué qu’il faisait partie d’un cercle restreint de « femmes et d’hommes d’affaires influents exerçant ses activités en Syrie » et qu’il n’était en mesure de maintenir son statut que grâce à des liens étroits avec le régime et au soutien de celui-ci, ainsi qu’à l’influence exercée en son sein.

41      En outre, le requérant fait valoir que le Conseil n’a pas apporté des éléments de preuve de nature à démontrer le bien-fondé des motifs de l’inscription de son nom sur les listes en cause. À ce titre, il allègue que le Conseil s’est contenté de présenter des informations d’ordre général sur ses activités économiques afin de montrer l’existence d’un lien avec le régime syrien et que, dès lors, il n’a pas fait état d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien avec le régime syrien.

42      À cet égard, le requérant soutient, premièrement, que sa participation dans la banque Byblos Bank Syria SA semble être le seul élément de preuve sur lequel s’appuie le Conseil pour justifier l’inscription de son nom sur les listes en cause. Selon le requérant, la banque Byblos Bank Syria SA n’est pas un acteur très important dans le contexte bancaire. Il conteste que sa participation au capital de cette banque se soit élevée à la hauteur de 7 % en 2016, en se référant à une loi syrienne de janvier 2001 interdisant à toute personne physique de détenir plus de 5 % du capital d’une banque exerçant ses activités en Syrie. En outre, le requérant avance que le fait que deux autres personnes inscrites sur les listes litigieuses détiennent également une participation dans cette banque ne suffit pas à prouver qu’il aurait un lien avec le régime syrien. Enfin, il fait valoir, d’une part, que le nom de la banque Byblos Bank Syria SA n’est pas inscrit sur les listes en cause et, d’autre part, que le Conseil n’a pas allégué qu’elle fût liée au régime syrien.

43      Le requérant soulève, deuxièmement, que les informations fournies par le Conseil à l’égard des trois sociétés qui figurent dans les motifs retenus à son égard, à savoir Unlimited Hospitality Ltd, Solidarity Alliance Insurance Company et Al‑Aqeelah Takaful Insurance Company, sont trompeuses et incomplètes. Selon le requérant, le Conseil aurait présenté des données financières trompeuses et aurait, dès lors, exagéré l’importance de ces sociétés. En outre, il allègue que la société Unlimited Hospitality a cessé ses activités en 2013. Enfin, le requérant fait valoir qu’il ne ressort pas des éléments de preuve, provenant de sources ouvertes, apportés par le Conseil, qu’il soutient ou bénéficie du régime syrien par l’intermédiaire de sa participation, d’une part, dans ces sociétés et, d’autre part, dans la banque Byblos Bank Syria SA.

44      Troisièmement, le requérant soutient que le Conseil n’a pas apporté des preuves suffisamment étayées qui démontrent, d’une part, son partenariat avec MM. Nader Kalai et Kaswarah Othman, et, d’autre part, qu’il serait également partenaire de M. Rami Makhlouf dans un réseau de contrebande de pétrole lié à l’État islamique. À cet égard, il soulève que les sources des preuves apportées par le Conseil ne sont pas fiables et reproche à ce dernier de n’avoir pas vérifié leur fiabilité.

45      En troisième lieu, le requérant invoque, dans le cadre des mémoires en adaptation, que le Conseil ne lui a pas communiqué des éléments de preuves sérieux et crédibles, ni d’éléments de preuve et d’information concrets qui justifieraient l’imposition des mesures restrictives à son égard et, d’autre part, n’a pas examiné avec soin et impartialité le bien-fondé des motifs allégués, censés justifier le maintien de son nom sur les listes en cause. En se fondant sur ces éléments, le Conseil violerait ses droits de la défense, son droit à une bonne administration et son droit à une protection juridictionnelle effective.

46      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

–       Considérations liminaires

47      Il y a lieu de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire le nom d’une personne ou d’une entité sur les listes annexées à des mesures restrictives telles que les actes attaqués, le juge de l’Union s’assure que l’acte en question repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend cet acte, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir ce même acte, sont étayés (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 64 et jurisprudence citée).

48      C’est, en effet, à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé de ces motifs. Il n’est pas requis que cette autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans les actes dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 66 et 67 et jurisprudence citée).

49      En outre, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’enjeu, qui fait partie du contrôle de la proportionnalité des actes attaqués, il peut être tenu compte du contexte dans lequel s’inscrivent ces mesures restrictives, ayant pour objet de faire pression sur le régime syrien afin qu’il arrête la répression violente dirigée contre la population, et de la difficulté d’obtenir des preuves plus précises dans un État en situation de guerre civile doté d’un régime de nature autoritaire (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, point 47).

50      Il convient de rappeler que les critères généraux d’inscription énoncés à l’article 27, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, et à l’article 28, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et repris, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), et paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, prévoient que la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » fait l’objet de mesures restrictives, sauf s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’ils ne sont pas, ou ne sont plus, liés au régime ou qu’ils n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’ils ne sont pas associés à un risque réel de contournement.

51      Par ailleurs, il convient de souligner que le Conseil a inscrit et maintenu le nom du requérant sur les listes annexées aux actes attaqués (voir points 12 et 13 ci-dessus) pour les motifs suivants :

« Homme d’affaires syrien influent exerçant ses activités en Syrie, actif dans les secteurs des banques, des assurances et des soins hospitaliers. Partenaire fondateur de Byblos Bank Syria, principal actionnaire de Unlimited Hospitality Ltd et membre du conseil d’administration de Solidarity Alliance Insurance Company et de Al-Aqueelah Takaful Insurance Company ».

52      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les premier et troisième moyens pris ensemble. À cet égard, il convient de relever que le Conseil dispose d’une large marge d’appréciation en ce qui concerne la détermination des critères destinés à délimiter le cercle de personnes visées par les actes attaqués, mais pas en ce qui concerne la détermination impliquant notamment une opération de qualification juridique sur laquelle le juge de l’Union exerce un plein contrôle. À cet égard, il résulte du contenu de la requête et de la réplique ainsi que des observations du requérant lors de l’audience que, dans le cadre de ses premier et troisième moyens, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir établi ou cherché à établir tant le caractère juridiquement pertinent des faits permettant d’inscrire son nom sur les listes litigieuses que le bien-fondé des motifs de cette inscription. L’examen de ces moyens pris ensemble exige donc du Tribunal qu’il contrôle si l’appréciation du Conseil quant au caractère suffisant des éléments dont il disposait pour inscrire et maintenir l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses est erronée tant sous l’angle de l’erreur de droit que de l’erreur d’appréciation.

–       Sur l’erreur de droit

53      Le requérant soutient, en substance, que le Conseil, afin d’inscrire le nom d’une personne sur les listes litigieuses, est tenu de prouver l’existence d’un soutien que la personne désignée apporte au régime syrien, d’un bénéfice que cette dernière tire des politiques menées par ce dernier et d’un lien suffisant qu’elle entretient avec ce régime.

54      Il importe dès lors de vérifier si le Conseil a commis une erreur de droit en se bornant à démontrer la qualité d’« homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie » du requérant.

55      Il convient de rappeler que la qualité d’« homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie » constitue, conformément à l’article 27, paragraphe 2, et à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255, telle que modifiée, en dernier lieu, par la décision 2015/1836, un critère juridique autonome pour l’application des mesures restrictives et, par conséquent, pour l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause. En effet, la décision 2015/1836 introduit un critère objectif, autonome et suffisant qui permet également d’appliquer des mesures restrictives aux « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » sans qu’il soit nécessaire de démontrer le soutien que ces derniers apportent au régime en place, le bénéfice qu’ils tirent des politiques menées par ce régime et le lien qu’ils entretiennent avec ce régime.

56      Par ailleurs, il importe de relever que, compte tenu du critère d’inscription introduit par la décision 2015/1836, le Conseil n’est plus tenu de démontrer l’existence d’un lien entre la qualité d’« homme d’affaires influent » et le régime syrien, ni non plus entre la qualité d’« homme d’affaires influent » et les soutien et bénéfice apportés à ce régime, étant donné qu’être un « homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie » suffit pour l’application des mesures restrictives en cause à cette personne. En effet, dès lors que l’économie syrienne est étroitement contrôlée par le régime syrien et que les milieux d’affaires et ce régime ont développé une relation d’interdépendance depuis le processus de libéralisation de l’économie entamé par le président Bachar Al-Assad, il y a lieu de considérer, ainsi que cela a été énoncé au considérant 6 de la décision 2015/1836, qu’un homme d’affaires influent est un homme qui ne peut qu’être lié au régime syrien en bénéficiant des politiques menées par ce dernier, en apportant un soutien au régime en place ou en exerçant une influence sur ce régime. Dès lors, à partir de l’introduction du critère d’inscription par la décision 2015/1836, le lien au régime syrien des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » est donc présumé.

57      Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que le Conseil n’a pas commis d’erreur de droit en se bornant à apporter des preuves visant à démontrer que le requérant était un « homme d’affaires influent qui exer[çait] ses activités en Syrie » et en considérant, dès lors, que la seule qualité d’« homme d’affaires influent » suffisait pour inscrire le nom du requérant sur les listes litigieuses.

–       Sur l’erreur d’appréciation

58      Le requérant considère que le Conseil n’a pas apporté des éléments de preuve de nature à démontrer, d’une part, le bien-fondé des motifs d’inscription de son nom sur les listes litigieuses et, d’autre part, un lien quelconque avec le régime syrien.

59      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation factuelle du requérant et maintient qu’il n’a commis aucune erreur d’appréciation à cet égard.

60      En l’espèce, il importe d’observer que le Conseil a fourni, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, les documents portant les références 786/16 à 813/16 RELEX. Il s’agit de plusieurs documents, comportant des éléments d’information publiquement accessibles, destinés à préciser, selon le Conseil, le contexte général qui concerne le requérant ainsi que des éléments d’information fournis à l’appui de la motivation de l’inscription de son nom sur les listes annexées aux actes attaqués. Ces éléments d’information sont, notamment, des liens vers les sites Internet « The Syria Report », « Text archive », « Global factiva », « The Rise Project », « All4syria », « Al Arabiya », « Decypha » et « Buna Syria » et des informations en ligne sur les sites Internet de la banque Byblos Bank Syria SAL (www.byblosbank.com) et de Solidarity Alliance Insurance (www.solidarity-sy.com) qui comportent des données concernant le requérant.

61      En premier lieu, il importe de relever qu’il ressort des documents portant les références 786/16, 787/16, 788/16, 789/16, 790/16, 794/16, 795/16, 798/16, 800/16, 802/16, 803/16, 804/16 RELEX que le requérant est un homme d’affaires actif dans les secteurs des banques, des assurances et des soins hospitaliers. Plus précisément, il y a lieu, tout d’abord, de constater que l’extrait du journal en ligne The Syria Report publié le 3 mai 2006 (document portant la référence 786/16 RELEX), l’extrait du site Internet « The Syria Report » publié le 5 mai 2008 (document portant la référence 787/16 RELEX), l’extrait du site Internet « Text Archive » du 31 janvier 2010 (document portant la référence 788/16 RELEX), l’article publié en août 2011 sur le site Internet de la banque Byblos Bank SAL (www.byblosbank.com) (document portant la référence 789/16 RELEX) et l’extrait du site Internet « Factiva » du 1er septembre 2011 (document portant la référence 790/16 RELEX) décrivent le requérant comme un des partenaires fondateurs de la banque Byblos Bank Syria SA, filiale syrienne de la banque Byblos Bank SAL, une des trois plus grandes banques libanaises, établie à Damas (Syrie) depuis 2006, et identifient ce dernier comme un des hommes d’affaires importants, avec, notamment, MM. Makhlouf et Issam Ambouba, avec lesquels il détient conjointement 36 % des actions de cette banque. Plus précisément, il est indiqué dans les documents portant les références 788/16, 789/16 et 790/16 RELEX que le requérant détient 5 % des actions de la banque Byblos Bank Syria SA et dans l’article publié le 17 mai 2012 sur le site Internet « All4Syria » (document portant la référence 794/16 RELEX) que cette participation était montée à 7 %.

62      Il convient, ensuite, de souligner qu’il ressort de l’extrait du journal en ligne The Syria Report publié le 13 février 2010 (document portant la référence 795/16 RELEX) que le requérant détient 50 % des actions de la société Unlimited Hospitality Ltd. L’extrait du site Internet de cette société (www.ultd-sy.com) (document portant la référence 796/16 RELEX) décrit cette dernière comme une des sociétés syriennes fournissant des équipements hôteliers les plus importantes et établie à Damas depuis 2009.

63      En outre, il convient de noter qu’il ressort de l’extrait du journal en ligne The Syria Report publié le 30 juin 2008 (document portant la référence 798/16 RELEX), du site Internet de la société Solidarity Alliance Insurance (www.solidarity-sy.com) (document portant la référence 800/16 RELEX) et de l’extrait du journal en ligne The Syria Report publié le 31 octobre 2016 (document portant la référence 802/16 RELEX) que le requérant est membre du conseil d’administration de la société Solidarity Alliance Insurance, société établie à Damas. Cette dernière est décrite dans l’article publié le 31 mars 2014 sur le journal en ligne The Syria Report(document portant la référence 799/16 RELEX) comme un des treize prestataires de services d’assurances exerçant ses activités en Syrie.

64      Il convient de constater, enfin, que l’article publié le 23 juin 2014 sur le journal The Syria Report (document portant la référence 805/16 RELEX) décrit la société Al-Aqeelah Takaful Insurance Company comme une société publique, établie à Damas, depuis 2007 qui fournit des services d’assurances conformes aux principes de la charia et qui, en 2011, était considérée comme une des deux entreprises islamiques exerçant ses activités sur le marché syrien et l’une des cinq compagnies d’assurances à être cotées à la Bourse de Damas. En outre, il ressort des extraits du site Internet « Decypha » du 12 août 2016 (documents portant les références 803/16 et 804/16 RELEX) que le requérant est membre du conseil d’administration de cette société depuis 2013.

65      En deuxième lieu, il convient de constater que la documentation apportée par le Conseil dans les documents portant les références 786/16 à 805/16 RELEX a été complétée par d’autres articles de presse, de différentes sources, qui ont été produits en annexe au mémoire en défense par le Conseil. Ces articles mentionnent que l’élite économique syrienne a été largement constituée par des entrepreneurs choisis par M. Al-Assad et sa famille élargie et que cette élite a prospéré en profitant des faveurs du régime syrien. Ces documents sont recevables, dès lors qu’ils ont pour objet non pas de motiver ex post les actes attaqués, mais de montrer que, eu égard au contexte dans lequel l’adoption de ces actes s’est inscrite, la motivation de ceux-ci est suffisante (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 62).

66      En troisième lieu, il convient de relever que le requérant n’a apporté aucun élément de nature à remettre en cause les allégations du Conseil et les documents les étayant.

67      En quatrième lieu, il convient de rappeler que, conformément à l’article 27, paragraphe 3, et à l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, les mesures restrictives à l’égard du requérant ne peuvent être maintenues s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’il n’est pas, ou qu’il n’est plus, lié au régime syrien ou qu’il n’exerce aucune influence sur celui-ci ou qu’il n’est pas associé à un risque réel de contournement. Or, d’une part, aucun élément dans les documents fournis par le Conseil n’indique que le requérant se trouve dans une des situations susmentionnées justifiant le retrait de son nom des listes litigieuses et, d’autre part, le requérant lui-même n’a fourni aucun élément d’une telle nature.

68      En cinquième et dernier lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel les informations fournies par le Conseil contenues dans les documents portant la référence 806/16 à 813/16 RELEX, provenant de différentes sources numériques, à savoir « The Rise Project », « Al Arabiya », « facebook » et « twitter » et faisant référence à une éventuelle relation du requérant avec MM. Kalai et Makhlouf ne sont pas fiables, il convient de relever que, indépendamment de la question de savoir si ces informations sont fiables, force est de constater que ces pièces mentionnent très brièvement le nom du requérant et qu’aucune d’entre elles n’apporte des précisions suffisamment étayées sur le requérant et sa relation avec MM. Kalai et Makhlouf.

69      En tout état de cause, il y a lieu de relever que les documents présentés par le Conseil portant les références 786/16 à 805/16 RELEX, analysés aux points 60 à 64 ci-dessus, suffisent pour considérer que le requérant est un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie. En outre, il y a lieu de souligner que le requérant n’avance aucun élément de nature à démontrer que les informations figurant sur les sites Internet en cause sont erronées. Or, même dans l’hypothèse où le requérant présenterait des éléments rendant crédible le fait qu’il n’a pas de liens avec MM. Kalai et Makhlouf, cette circonstance ne remet pas en cause sa qualité d’« homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie ».

70      Il résulte de tout ce qui précède que le Conseil a apporté un faisceau d’indices, précis et concordants, susceptible de mettre en évidence le fait que le requérant est un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie. Il y a, dès lors, lieu de conclure que le motif soutenant l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause est suffisamment étayé.

71      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter ce moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du droit de propriété, du principe de proportionnalité, de la liberté d’entreprise et du droit à la réputation

72      Le requérant fait valoir, en premier lieu, que les actes attaqués portent une atteinte injustifiée et disproportionnée à son droit de propriété. Le requérant observe que la limitation de l’exercice de son droit de propriété n’est possible que si cette limitation est prévue par la loi, si elle poursuit un objectif d’intérêt général et si elle est nécessaire et proportionnée à cet objectif au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux. Or, selon le requérant, la limitation ne serait pas prévue par la loi étant donné que l’inscription de son nom sur les listes en cause n’est pas fondée sur des motifs satisfaisant au critère fixé dans la décision 2013/255 et le règlement no 36/2012 et que le Conseil n’a pas démontré, dans les actes attaqués, que l’atteinte était justifiée et proportionnée aux objectifs poursuivis.

73      Le requérant affirme, en second lieu, que les actes attaqués portent également une atteinte injustifiée et disproportionnée à son activité professionnelle et à sa réputation. Il soutient que, en faisant figurer son nom sur les listes des personnes visées par les actes attaqués, le Conseil l’a associé à un comportement qui constitue une grave menace pour la paix et la sécurité internationale et l’a identifié comme voulant être impliqué dans des activités considérées comme répréhensibles par la communauté internationale, nuisant ainsi à sa réputation et à sa vie professionnelle.

74      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

75      Il y a lieu de rappeler que le droit de propriété fait partie des principes généraux de droit de l’Union et se trouve consacré à l’article 17 de la charte des droits fondamentaux (arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 96).

76      Or, selon une jurisprudence constante, le droit de propriété ne jouit pas, dans le droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’usage de ce droit, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 97 et jurisprudence citée).

77      En outre, il résulte d’une jurisprudence constante que le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 98 et jurisprudence citée).

78      En l’espèce, le gel de fonds et de ressources économiques imposé par les actes attaqués constitue une mesure conservatoire qui n’est pas censée priver les personnes concernées de leur propriété. Toutefois, les actes attaqués entraînent incontestablement une restriction de l’usage du droit de propriété (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 99 et jurisprudence citée).

79      En ce qui concerne le caractère adéquat des mesures restrictives, telles que les actes attaqués, au regard d’un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la protection des populations civiles, il apparaît que le gel de fonds, d’avoirs financiers et d’autres ressources économiques ainsi que l’interdiction d’entrer sur le territoire de l’Union concernant des personnes identifiées comme étant impliquées dans le soutien du régime syrien ne sauraient, en tant que tels, passer pour inadéquats (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 100 et jurisprudence citée).

80      En ce qui concerne le caractère nécessaire des mesures restrictives, telles que les actes attaqués, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir l’exercice d’une pression sur les soutiens du régime syrien, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 101 et jurisprudence citée).

81      De plus, il doit être rappelé que l’article 28, paragraphes 3 à 11, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et les articles 16 à 18 du règlement no 36/2012 prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

82      En ce qui concerne le préjudice causé au requérant, il est vrai que le droit de propriété et la liberté d’entreprise de celui-ci sont restreints par les actes attaqués, dès lors qu’il ne peut notamment pas disposer des fonds lui appartenant qui sont situés sur le territoire de l’Union ou transférer des fonds lui appartenant vers l’Union, sauf en vertu d’une autorisation particulière. Ces actes portent également atteinte à son droit à la réputation compte tenu du fait qu’ils peuvent susciter une certaine méfiance ou défiance à son égard.

83      Toutefois, les inconvénients causés au requérant ne sont pas démesurés par rapport à l’importance de l’objectif de la protection des populations civiles en Syrie poursuivi par les actes attaqués. De plus, ces actes prévoient, d’une part, que l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser l’entrée sur son territoire notamment pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire et, d’autre part, la possibilité d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et de réviser l’inscription sur la liste litigieuse périodiquement en vue d’assurer que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour figurer sur cette liste soient radiées. Enfin, seule une immixtion arbitraire dans l’exercice de son droit à la réputation pourrait être considérée comme contraire au respect de ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2006, Hassan/Conseil et Commission, T‑49/04, non publié, EU:T:2006:201, point 127). Or, force est de constater que le requérant n’a pas fait l’objet d’une telle immixtion arbitraire dans l’exercice de ce droit.

84      Il s’ensuit que, étant donné l’importance primordiale de la protection des populations civiles en Syrie et les dérogations envisagées par les actes attaqués, les restrictions aux droits de propriété, à la réputation et à la liberté d’entreprise du requérant causées par ces actes ne sont pas disproportionnées.

85      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.

 Sur l’exception d’illégalité

86      À titre subsidiaire, le requérant soulève une exception d’illégalité, en vertu de l’article 277 TFUE, visant le critère de désignation prévu à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), du règlement no 36/2012 tel que modifié par le règlement 2015/1828, relatif à la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ». Le requérant soutient à cet égard que ce critère est disproportionné par rapport aux objectifs légitimes poursuivis par les actes attaqués et doit, par conséquent, être déclaré inapplicable à son égard, s’il est interprété en ce sens qu’il permet de viser toute personne, « femme ou homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie », indépendamment de savoir s’il existe un lien entre cette personne et le régime syrien.

87      À ce titre, le requérant conteste, en premier lieu, la compatibilité avec le principe de proportionnalité du critère d’inscription contesté. Il fait valoir que l’étendue et la portée arbitraire du critère qui découlerait de l’interprétation qu’il conteste dépasseraient les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs des actes attaqués. En outre, il soutient, d’une part, que le critère qu’il conteste doit être interprété en fonction de l’objet et de la finalité des mesures restrictives et, d’autre part, que, compte tenu de la nature oppressive des mesures restrictives et de l’effet dévastateur qu’elles produisent sur la réputation et l’activité économique d’une personne concernée par ces mesures, la désignation de personnes sur une base à ce point arbitraire ne saurait être justifiée, et encore moins être proportionnée.

88      Le requérant souligne, en second lieu, que, au regard de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et de l’article 15, paragraphe 1 bis, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, le critère d’inscription en cause présuppose qu’il y ait un lien suffisant entre la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » et le régime syrien. Selon lui, le Conseil ne saurait justifier le caractère arbitraire de ce critère en considérant que la personne désignée par les mesures restrictives est en mesure de prouver qu’elle n’est pas liée au régime syrien, étant donné qu’il ne peut être demandé à cette dernière d’apporter la preuve négative de ce que le critère n’est pas rempli.

89      Le Conseil conteste l’exception d’illégalité soulevée par le requérant et soutient, d’une part, que l’inscription du nom de ce dernier résulte d’une évaluation individuelle des éléments de preuve apportés et, d’autre part, que, selon l’arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil (C‑630/13 P, EU:C:2015:247), il dispose d’une large marge d’appréciation pour définir les critères de désignation généraux. En outre, le Conseil fait valoir que la présomption instaurée par la décision 2013/255 repose sur une base légale et est proportionnée et réfragable.

90      Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que, selon la jurisprudence, le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 205 et jurisprudence citée).

91      Ensuite, il convient de souligner que, conformément à la jurisprudence, les institutions peuvent faire usage de présomptions qui reflètent la possibilité pour l’administration ayant la charge de la preuve de tirer des conclusions en se fondant sur les règles d’expérience commune découlant du déroulement normal des choses (voir, par analogie et en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, EU:C:2009:536, points 60 à 63, et conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire T-Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:110, points 87 à 89).

92      En outre, il ressort de la jurisprudence qu’une présomption, même difficile à renverser, demeure dans des limites acceptables tant qu’elle est proportionnée au but légitime poursuivi, qu’existe la possibilité d’apporter la preuve contraire et que les droits de la défense sont assurés (voir arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 62 et jurisprudence citée). De même, la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ne se désintéresse pas des présomptions de fait ou de droit, mais qu’il commande aux États de les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense (Cour EDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c. France, CE :ECHR :1988 :1007JUD 001051983).

93      Il convient de constater, enfin, qu’il ressort des considérants 1 à 6 de la décision 2015/1836 que, les mesures restrictives adoptées dans la décision 2011/273 n’ayant pas permis de mettre fin à la répression exercée par le régime syrien contre la population civile syrienne, le Conseil, compte tenu de la gravité de la situation en Syrie, a décidé, dans le cadre de l’article 29 TUE, de maintenir ces mesures restrictives et d’assurer leur efficacité en les développant tout en maintenant l’approche ciblée et différenciée qui était la sienne et en gardant à l’esprit la situation humanitaire de la population syrienne.

94      Afin d’atteindre ces objectifs et en raison du contrôle étroit exercé sur l’économie par le régime syrien, le Conseil a considéré, d’une part, que le régime en place n’était pas en mesure de subsister sans le soutien des dirigeants d’entreprises et, d’autre part, qu’un cercle restreint de « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » n’était en mesure de maintenir son statut que grâce à des liens étroits avec le régime syrien et au soutien de celui-ci ainsi qu’à l’influence exercée en son sein. En procédant de la sorte, tel que cela a été indiqué au point 56 ci-dessus, le Conseil a entendu faire application d’une présomption de lien avec le régime syrien à l’égard des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ».

95      En effet, ainsi que le prévoient l’article 27, paragraphe 2, sous a), et l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, les personnes appartenant à la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » sont désormais soumises aux mesures restrictives édictées par cette décision. En outre, en vertu de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de cette même décision, ces personnes ne font pas l’objet de ces mesures ou cessent d’en faire l’objet seulement s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas ou ne sont plus liées au régime ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement.

96      En l’espèce, il convient d’examiner si le critère d’inscription contesté est compatible avec le principe de proportionnalité.

97      En premier lieu, il y a lieu de relever que le critère d’inscription contesté est nécessaire et approprié pour réaliser les objectifs poursuivis par la décision 2013/255 et par le règlement no 36/2012, visant à condamner fermement et à mettre fin à la répression violente exercée par M. Al-Assad et son régime contre la population civile en Syrie. À cet égard, d’une part, il importe de rappeler que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120). D’autre part, il convient de constater que le critère d’inscription contesté a été fixé par le Conseil en 2015 au motif que, malgré l’adoption de mesures restrictives pour faire pression sur le régime syrien pendant une période de quatre ans, à savoir depuis le mois de mai 2011, la répression contre la population syrienne se poursuivait. En outre, en raison du contrôle étroit exercé sur l’économie par le régime syrien, le gel des fonds et des ressources économiques appartenant à la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » empêcherait que cette catégorie de personnes continue à fournir un soutien matériel ou financier au régime syrien et, eu égard à l’influence qu’elle exerce, accroîtrait la pression sur le régime afin qu’il modifie sa politique de répression. Dans ces circonstances, il convient de considérer que le gel des fonds des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » revêt un caractère indispensable pour exercer une pression sur le régime syrien visant à mettre fin à la répression contre la population civile ou à l’atténuer et est, dès lors, nécessaire et approprié pour assurer l’efficacité des mesures adoptées à l’encontre de cette catégorie de personnes.

98      En deuxième lieu, en ce qui concerne le caractère suffisant du critère d’inscription en cause pour l’accomplissement des objectifs ainsi poursuivis, il convient de considérer que, si les actes attaqués ne visaient pas les personnes appartenant à la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », la réalisation de ces objectifs pourrait être mise en échec, cette catégorie de personnes constituant un soutien matériel et financier essentiel pour le régime syrien. En effet, la fixation du critère d’inscription en cause est la conséquence de la poursuite de la répression à l’encontre de la population civile syrienne, malgré l’institution de mesures restrictives depuis l’année 2011. En outre, l’introduction de ce critère dans la décision 2015/1836 et dans le règlement 2015/1828 est le résultat d’une évolution jurisprudentielle conduisant le Conseil à affiner les critères permettant d’atteindre efficacement les objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Compte tenu de ces considérations, le critère d’inscription contesté apparaît comme suffisant pour la réalisation de ces objectifs.

99      En troisième lieu, en ce qui concerne les inconvénients causés au requérant, il ressort de la jurisprudence que les droits fondamentaux ne sont pas des prérogatives absolues et que leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. Ainsi, toute mesure restrictive économique ou financière, quel que soit le critère d’inscription sur le fondement duquel cette mesure est imposée, comporte, par définition, des effets qui affectent certains droits fondamentaux de la personne dont le nom est inscrit sur les listes concernées. L’importance des objectifs poursuivis par la réglementation litigieuse est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs.

100    Pour conclure, il convient d’examiner si la présomption de lien avec le régime syrien appliquée à l’égard des personnes appartenant à la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », établie par le Conseil, n’est pas manifestement disproportionnée.

101    À ce titre, force est de souligner, tout d’abord, que le Conseil est habilité à définir les critères généraux d’inscription sur la base des règles d’expérience commune rappelées aux points 2 et suivants ci-dessus et à en tirer des conséquences juridiques.

102    Dans la présente affaire, lors de la fixation du critère d’inscription contesté, le Conseil a considéré, tel que cela a été indiqué aux points 56 et 94 ci-dessus, que le fait d’être un « homme d’affaire influent exerçant ses activités en Syrie » impliquait l’existence d’un lien avec le régime syrien.

103    Il convient de rappeler, ensuite, que, parmi les présomptions légales, il y a lieu de différencier entre celles qui sont réfragables et celles qui sont irréfragables. En effet, une présomption légale est simple ou réfragable lorsqu’elle peut être combattue par la preuve contraire tandis qu’une présomption est absolue ou irréfragable lorsqu’elle ne peut être combattue par aucune preuve contraire.

104    À cet égard, il convient de vérifier si, conformément à la jurisprudence citée au point 92 ci-dessus, la présomption de lien avec le régime syrien à l’égard des personnes appartenant à la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » est insérée dans des limites raisonnables, si elle peut être ou non combattue par une preuve contraire et si les droits de la défense sont préservés.

105    En premier lieu, il importe de constater que, compte tenu, tout d’abord, de la nature autoritaire du régime syrien, ensuite, de la relation d’interdépendance qui s’est développée entre les milieux d’affaires et le régime syrien en raison du processus de libéralisation de l’économie entamé par M. Al-Assad, et, enfin, du contrôle étroit exercé par l’État sur l’économie syrienne, le Conseil pouvait considérer, à juste titre, comme constituant une règle d’expérience commune le fait que les personnes appartenant à la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » ne sont en mesure de maintenir leur statut que grâce à des liens étroits avec le régime syrien. À cet égard, il y a lieu d’estimer qu’il est raisonnable de présumer qu’une personne entrant dans cette catégorie a un lien avec le régime de M. Al-Assad lui permettant de développer ses affaires et de bénéficier des politiques de ce régime.

106    Il convient d’observer, en deuxième lieu, ainsi que cela a été exposé aux points 56 et 94 ci-dessus, que le Conseil a instauré une présomption réfragable de lien avec le régime syrien à l’égard des personnes appartenant à la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ». En effet, ne sont pas inscrits les noms des personnes relevant de cette catégorie s’il est établi que ces dernières ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime en place ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement. Or, force est de constater, tel que cela a été exposé au point 67 ci-dessus, que le requérant n’a apporté aucun document visant à démontrer qu’il se trouvait dans une de ces situations.

107    Il appartenait ainsi au requérant, pour remettre en cause la présomption litigieuse, d’apporter des éléments de nature, d’une part, à contredire le fait qu’il était un « homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie », et, d’autre part, à établir la preuve contraire, à savoir qu’il n’était pas ou qu’il n’était plus lié au régime de M. Al-Assad ou qu’il n’exerçait aucune influence sur celui-ci ou qu’il n’était pas associé à un risque réel de contournement.

108    Le requérant avait, afin de prouver son absence de lien avec le régime syrien et démontrer, ainsi, que la présomption ne pouvait être retenue et obtenir le retrait de son nom des listes litigieuses, la possibilité de présenter des indices ou des éléments de preuve susceptibles de remettre en cause le motif retenu à son égard, en s’appuyant notamment sur des faits et des informations que lui seul pouvait détenir et établissant qu’il n’était pas ou qu’il n’était plus membre du conseil d’administration des sociétés figurant dans l’exposé des motifs présenté par le Conseil, qu’il ne détenait pas ou qu’il ne détenait plus d’actions de ces sociétés, ou que ces dernières n’étaient pas influentes dans l’économie syrienne et, par conséquent, que sa participation dans ces sociétés ne constituait pas un risque de contournement.

109    En troisième lieu, il y a lieu de rappeler que, les mesures telles que les actes attaqués ayant une importante incidence sur les droits et les libertés des personnes visées, le Conseil est tenu de respecter les droits de la défense de ces personnes en leur communiquant les motifs de l’inscription de leur nom sur la liste en cause concomitamment avec ou immédiatement après l’adoption de la décision, et en leur permettant de présenter leur observations au plus tard avant l’adoption de la deuxième décision les concernant et, ainsi, de renverser, le cas échéant, la présomption en question, en faisant valoir les éléments relatifs à leur situation personnelle qui militent pour que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, points 61 à 67). À cet égard, il convient d’observer qu’il ressort du dossier que le Conseil, par lettre du 19 décembre 2016, a transmis au requérant les éléments de preuve ainsi que la proposition d’inscription présentée par un État membre sur le fondement desquels son nom a été inscrit sur les listes annexées aux actes attaqués. Le Conseil avait, dès lors, offert la possibilité au requérant d’apporter la preuve que, malgré l’existence d’indices sérieux le faisant entrer dans la catégorie des personnes visées par le critère d’inscription en cause, il n’était cependant pas lié au régime syrien. Par conséquent, il y a lieu de considérer que les droits de la défense du requérant ont été respectés.

110    Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que le critère d’inscription contesté est compatible avec le principe de proportionnalité et ne présente pas un caractère arbitraire dans la mesure où le Conseil, à la lumière du contexte exposé ci-dessus, a introduit ce critère dans la décision 2015/1836 et le règlement 2015/1828 de manière justifiée et proportionnée aux objectifs poursuivis par la réglementation régissant les mesures restrictives à l’encontre de la Syrie tout en préservant la possibilité pour les personnes visées de renverser la présomption de lien avec le régime syrien.

111    Par suite, il y a lieu de rejeter l’exception d’illégalité soulevée par le requérant comme non fondée, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur sa recevabilité, contestée par la Commission.

112    Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’aucun des moyens du requérant n’est fondé, si bien qu’il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

113    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

114    En l’espèce, dès lors que le requérant a succombé et que le Conseil a conclu en ce sens, il convient de le condamner aux dépens. Par ailleurs, en tant qu’institution intervenante, la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté

2)      M. Ammar Sharif supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Gratsias

Labucka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 avril 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1 Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.