Language of document : ECLI:EU:T:2010:194

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

12 mai 2010 (*)

« Référé – Concurrence – Décision de la Commission infligeant une amende – Garantie bancaire – Demande de sursis à exécution – Préjudice financier – Absence de circonstances exceptionnelles – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑30/10 R,

Reagens SpA, établie à San Giorgio di Piano (Italie), représentée par M. B. O’Connor, solicitor, Mes L. Toffoletti, D. Gullo et E. De Giorgi, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Bourke et F. Ronkes Agerbeek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision de la Commission du 11 novembre 2009 relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38.589 – Stabilisants thermiques),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La requérante, Reagens SpA, est une société établie en Italie, dont l’activité consiste en la production de stabilisants en étain pour le polychlorure de vinyle (PVC).

2        Le 11 novembre 2009, la Commission a adopté une décision relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38.589 – Stabilisants thermiques) (ci-après la « décision attaquée »), dans laquelle elle a infligé à la requérante une amende de 10 791 000 euros pour sa participation à une entente sur les stabilisants en étain.

3        Par lettre du 18 novembre 2009, la Commission a notifié la décision attaquée à la requérante. Dans cette lettre, elle a également informé la requérante du délai de trois mois à compter de la notification dont elle disposait pour payer l’amende. En outre, elle a précisé que, si la requérante décidait d’introduire un recours contre cette décision devant le Tribunal, elle recouvrerait provisoirement l’amende ou demanderait à la requérante de constituer une garantie bancaire couvrant le montant de la dette principale ainsi que les intérêts qui seraient dus.

4        Au cours de la procédure précédant l’adoption de la décision attaquée, la requérante a introduit une demande, rejetée par la Commission, fondée sur le point 35 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci‑après les « lignes directrices pour le calcul des amendes »), dans laquelle elle a indiqué qu’elle serait incapable de payer l’amende et que, si celle-ci lui était infligée, elle entraînerait la perte de valeur de la totalité de ses actifs.

5        Le 8 janvier 2010, la requérante a déposé auprès du comptable de la Commission une demande, fondée sur son incapacité à payer l’amende, par laquelle elle sollicitait la suspension de son paiement. Après réception de cette demande, un échange oral entre la requérante et les agents placés sous la responsabilité du comptable de la Commission a eu lieu à propos de la possibilité de fournir une garantie.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 janvier 2010, la requérante a formé un recours visant, en substance, à l’annulation de la décision attaquée en ce qu’elle la concerne et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende infligée.

7        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit une demande visant à obtenir le sursis à l’exécution de la décision attaquée. Elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée et, en particulier, de son article 2, aux termes duquel elle se voit dans l’obligation de payer une amende s’élevant à 10 791 000 euros ;

–        suspendre le paiement de l’amende ainsi que le paiement de tout intérêt sur celle-ci en vertu de l’article 105 du règlement de procédure du Tribunal jusqu’à la clôture de la procédure de référé ;

–        examiner, en vertu de l’article 65, sous b), du règlement de procédure et de l’article 24 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, l’évaluation par la Commission de sa demande présentée au titre du point 35 des lignes directrices pour le calcul des amendes et, en particulier, la conclusion selon laquelle le paiement de l’amende ne mettrait pas en péril sa solvabilité ;

–        adopter toutes les mesures nécessaires pour annuler les effets du comportement illégal de la Commission et prendre les dispositions appropriées pour la rétablir dans sa situation initiale, ou rendre toute ordonnance supplémentaire que le président du Tribunal juge nécessaire ;

–        condamner la Commission aux dépens.

8        Le 10 février 2010, le président du Tribunal a ordonné le sursis à l’exécution de l’article 2 de la décision attaquée en ce qui concerne la requérante, jusqu’à l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la procédure de référé.

9        Dans ses observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 4 mars 2010, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande de mesures provisoires ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

10      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

11      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73). Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

12      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

13      Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

 Arguments des parties

  Sur le fumus boni juris

14      Premièrement, la requérante affirme que sa participation à l’infraction a cessé en janvier 1996. Les éléments de preuve avancés par la Commission pour les années 1999 et 2000 ne démontreraient pas qu’elle ait continué à participer à ladite infraction. En l’absence de telles preuves, la prescription de dix ans prévue par l’article 25 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1) s’appliquerait à l’égard de la requérante. En outre, les preuves relatives à l’année 1998 ne démontreraient pas qu’elle ait commis d’infraction, de sorte que la prescription de cinq ans prévue à l’article 25 du règlement n° 1/2003 trouverait à s’appliquer, le premier acte officiel de l’enquête sur les stabilisants thermiques ayant eu lieu en janvier 2003.

15      Deuxièmement, la requérante avance que la Commission a commis plusieurs erreurs dans l’application de ses lignes directrices pour le calcul des amendes. Tout d’abord, la Commission aurait commis une erreur dans l’appréciation de la gravité de l’infraction sur les stabilisants en étain. Ensuite, elle aurait violé le principe d’égalité de traitement en appliquant comme montant additionnel inclus dans le montant de base de l’amende un pourcentage unique pour toutes les entreprises, sans tenir compte des variations dans leur participation à la mise en œuvre de l’infraction. En outre, en ne reconnaissant aucune circonstance atténuante à l’égard de la requérante, la Commission aurait appliqué de manière erronée les lignes directrices pour le calcul des amendes. Enfin, elle n’aurait pas correctement appliqué en l’espèce les dispositions du point 35 des lignes directrices pour le calcul des amendes relatives à la capacité contributive des entreprises.

16      La Commission conteste l’ensemble des arguments de la requérante et conclut à l’absence de fumus boni juris.

 Sur l’urgence et sur la mise en balance des intérêts

17      La requérante fait valoir, à titre liminaire, qu’elle ne dispose pas d’une trésorerie suffisante pour payer l’amende infligée. Elle développe un certain nombre d’arguments à cet égard, qui peuvent être résumés en cinq points.

18      En premier lieu, la requérante décrit les conséquences qu’aurait pour elle le paiement de l’amende. Ce paiement entraînerait des dettes importantes qui rendraient difficile, voire impossible, la poursuite de sa production. Cela provoquerait le retrait des financements alloués par sa principale banque de crédit à long terme du fait du non-respect de la clause contractuelle relative au ratio de sa dette par rapport à ses résultats. Ce retrait causerait à son tour le retrait de la totalité du financement dont elle bénéficie, et donc la cessation de ses activités. Selon la requérante, ses actifs perdraient alors toute leur valeur dans la mesure où il n’existe aucune demande pour leur rachat du fait de la surcapacité que connaît le secteur. Dans l’éventualité où le Tribunal ferait droit à son recours en annulation, la requérante ne pourrait ainsi recommencer sa production, du fait de son absence trop longue hors du marché et de la détérioration consécutive de ses actifs. Elle ajoute que la décision de la Commission de n’infliger qu’une amende de 1 000 000 euros au lieu de 21 644 578 euros à sa principale concurrente, du fait de l’incapacité de cette dernière de payer l’amende, confère un important avantage concurrentiel à cette entreprise.

19      En deuxième lieu, la requérante souligne la gravité de l’impact social qu’aurait sa disparition du marché du fait, d’une part, de la perte d’emplois qui en résulterait et, d’autre part, du chômage frappant les régions dans lesquelles se trouvent ses sites de production.

20      En troisième lieu, elle précise que l’évaluation par la Commission de sa viabilité financière, effectuée dans le cadre de sa demande fondée sur le point 35 des lignes directrices pour le calcul des amendes, n’a pas tenu compte de l’impact de l’amende. La requérante explique cette omission par deux motifs : d’une part, la décision de rejet aurait très probablement été adoptée avant que la Commission ait fixé le montant définitif de l’amende et, d’autre part, la requérante n’aurait pas, lors du dépôt de sa demande au titre du point 35 des lignes directrices pour le calcul des amendes, inclus l’amende dans ses comptes prévisionnels et ses besoins de trésorerie.

21      En quatrième lieu, la requérante ajoute que, si elle pourrait théoriquement payer l’amende compte tenu des facilités de crédit à court terme dont elle dispose auprès de ses banques, cette solution la conduirait à la violation de ses obligations contractuelles pour les trois raisons suivantes : tout d’abord, sa dette à court terme dépasseraient largement le montant total de ses facilités de crédit actuelles ; ensuite, cette augmentation soudaine de la dette entraînerait très probablement une demande de remboursement de la ligne de crédit à court terme elle-même de la part de ses banques ; enfin, ses accords de crédit à long terme contractés auprès de sa principale banque de crédit à long terme seraient dénoncés.

22      En cinquième lieu, la requérante indique que sa principale banque de crédit à court terme n’est pas disposée à lui prêter les fonds nécessaires au paiement de l’amende. Cette banque l’aurait, en effet, informée qu’elle serait disposée à lui prêter 6 000 000 euros à condition que les actionnaires effectuent un dépôt de 3 300 000 euros. Ces derniers se seraient cependant prononcés défavorablement à l’égard de cette proposition, au motif qu’elle ne résoudrait pas le problème auquel la requérante doit faire face.

23      Dès lors, l’absence de crédit à court terme rendrait impossible la poursuite par la requérante de sa production et l’absence de crédit à long terme équivaudrait à sa liquidation. La réalité de ce danger ressortirait de l’évaluation de la situation financière actuelle de la requérante réalisée par le comité des commissaires aux comptes en Italie, qui aurait réclamé la tenue d’une réunion d’urgence à cet égard.

24      La requérante conclut que les mesures provisoires demandées sont urgentes, puisqu’elles doivent produire leurs effets avant qu’une décision relative au recours principal soit prononcée, afin d’éviter qu’elle subisse un préjudice grave et irréparable.

25      Dans ses observations, la Commission souligne que la requérante n’a nullement tenté d’obtenir une garantie financière avant d’introduire sa demande en référé, bien que cette possibilité lui ait été expressément offerte dans la lettre notifiant la décision attaquée. En outre, pour satisfaire aux conditions de l’urgence, la requérante devrait montrer qu’il était urgent de la dispenser de l’obligation de constituer une garantie bancaire. Or, n’ayant envisagé que le seul paiement de l’amende, la requérante n’aurait pas démontré qu’il lui était impossible d’obtenir une telle garantie ou que la constitution de celle-ci mettrait son existence même en péril.

26      Certes, le 11 février 2010, la requérante aurait pris contact avec le comptable de la Commission sollicitant, pour la première fois, la possibilité de constituer une garantie bancaire. Le lendemain, le comptable aurait confirmé cette possibilité. Cependant, la requérante n’y aurait donné aucune suite, mis à part un courriel indiquant qu’elle n’avait pas été en mesure de prendre les dispositions nécessaires pour constituer une garantie financière. Toutefois, cette affirmation n’aurait été étayée par aucune preuve documentaire.

27      La Commission ajoute que la requérante possède des capitaux propres non négligeables, recourt très peu à sa facilité d’emprunt à court terme disponible et présente une bonne solvabilité. Il serait loin d’être certain que la totalité des facilités à court terme dont dispose la requérante soit nécessaire pour financer les activités commerciales actuelles de cette dernière. De plus, la requérante se serait bornée à contacter deux banques, alors qu’elle entretiendrait des relations régulières avec d’autres partenaires financiers. Les contacts avec les deux banques n’auraient, en outre, porté que sur le paiement intégral de l’amende et non sur la constitution d’une garantie bancaire. De surcroît, si la proposition de la principale banque de crédit à court terme de la requérante avait été acceptée, plus de 80 % du montant de l’amende aurait été couvert, et le solde aurait alors pu être financé par les liquidités générées par l’activité ainsi que par les facilités à court terme existantes. La position de la principale banque de crédit à long terme de la requérante devrait également être relativisée, dans la mesure où cette banque n’aurait pas menacé de résilier le contrat qui la lie avec la requérante, mais se serait réservé la possibilité d’exercer ce droit de résiliation. Enfin, la Commission rappelle qu’un simple refus unilatéral d’assistance opposé par les actionnaires de la requérante ne saurait suffire à exclure la prise en compte de leur situation financière et que la requérante n’a pas manifesté une diligence suffisante en ce qui concerne le paiement de l’amende, en particulier en ce qu’elle n’a pris aucune mesure pour constituer une provision aux fins de le garantir.

28      S’agissant de la balance des intérêts en présence, la requérante affirme que, non seulement, l’octroi des mesures provisoires demandées ne causerait de préjudice ni à la Commission ni à l’intérêt public mais, au contraire, il protégerait ce dernier, dans la mesure où le bon déroulement des procédures engagées par la Commission serait garanti, l’emploi serait préservé et elle-même pourrait continuer à contribuer au bien-être général. En l’absence de ces mesures, en revanche, la requérante courrait le grand risque de devoir cesser ses activités.

29      La Commission estime que, la requérante ayant participé pendant plus de sept ans à une catégorie d’infraction considérée comme faisant partie des plus graves, la sauvegarde de l’effectivité des règles de concurrence et la nécessité de garantir l’effet dissuasif des amendes justifient que la demande de sursis au paiement de l’amende soit rejetée. En ce qui concerne les intérêts financiers de l’Union, la Commission considère que les conditions permettant de renoncer au recouvrement d’une créance, telle que l’amende infligée à la requérante, ne sont pas satisfaites en l’espèce. S’agissant des intérêts des salariés de la requérante et de l’importance du maintien de son activité, la Commission estime avoir démontré que la survie de la requérante n’est pas menacée.

 Appréciation du juge des référés

30      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

31      Selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires (ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 1991, Abertal e.a./Commission, C‑213/91 R, Rec. p. I‑5109, point 18 ; ordonnances du président du Tribunal du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, point 95, et du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, point 82). Cependant, il n’est pas suffisant d’alléguer que l’exécution de l’acte dont le sursis est sollicité est imminente, mais il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnance du président du Tribunal du 25 juin 2002, B/Commission, T‑34/02 R, Rec. p. II‑2803, point 85). Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins, en particulier lorsqu’elle dépend de plusieurs facteurs, être prévisible avec un degré de probabilité suffisant. La partie qui sollicite les mesures provisoires demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67, et ordonnance Neue Erba Lautex/Commission, précitée, point 83].

32      Un préjudice d’ordre financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut, en règle générale, faire l’objet d’une compensation financière ultérieure [ordonnances du président de la Cour du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C‑471/00 P(R), Rec. p. I‑2865, point 113, et du président du Tribunal du 15 juin 2001, Bactria/Commission, T‑339/00 R, Rec. p. II‑1721, point 94]. Toutefois, une mesure provisoire se justifie s’il apparaît que, en l’absence de cette mesure, la requérante se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de l’arrêt mettant fin à la procédure principale (ordonnance Neue Erba Lautex/Commission, précitée, point 84).

33      Il s’ensuit que, afin de prouver qu’elle encourt un préjudice grave et irréparable, la requérante est tenue de démontrer au juge des référés qu’il n’existe aucune autre solution que l’adoption, à titre exceptionnel, de mesures provisoires. Dès lors, il incombe à cette partie d’explorer toutes les possibilités lui permettant de ne pas devoir payer immédiatement le montant réclamé.

34      En l’espèce, il est constant que, dans sa lettre du 18 novembre 2009 notifiant la décision attaquée à la requérante, la Commission a informé cette dernière qu’elle disposait de trois mois, à compter de la notification, pour payer l’amende. La Commission a également précisé que, si la requérante décidait d’introduire un recours visant à l’annulation de cette décision devant le Tribunal, elle recouvrerait provisoirement l’amende ou exigerait la constitution d’une garantie financière couvrant le montant de la dette principale ainsi que les intérêts qui seraient dus.

35      La Commission a donc clairement indiqué deux voies permettant à la requérante de s’acquitter provisoirement de l’obligation de payer l’amende infligée dans l’hypothèse où elle introduirait un recours contre la décision attaquée.

36      Or, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les arguments de la requérante tendant à démontrer l’impossibilité de suivre la première voie indiquée, il importe de constater, dès à présent, que la seconde voie a été, à la date de l’introduction de la demande en référé, complètement ignorée par la requérante.

37      Tout d’abord, dans la demande en référé, la requérante ne mentionne que les risques qui découleraient du paiement de l’amende, sans envisager ceux qui découleraient de la constitution d’une garantie bancaire. Ainsi, dans ses observations liminaires, elle déclare que l’objectif de sa demande est de démontrer que le paiement de l’amende entraînerait l’« effondrement » de son financement à court et à long terme et mettrait en péril son existence même. Lors de l’examen de la condition relative à l’urgence, la requérante précise qu’elle fonde la demande en référé sur le fait que le paiement de l’amende entraînerait pour elle des dettes importantes qui rendraient difficile, voire impossible, la poursuite de sa production. La même position est adoptée dans les conclusions qu’elle semble tirer de l’évaluation de sa situation par le comité des commissaires aux comptes, en avertissant que le paiement de l’amende provoquerait son « effondrement ».

38      Ensuite, il convient de constater que les observations liminaires exposées dans le cadre des développements de la demande en référé relatifs à l’urgence confirment l’absence de démarche relative à la constitution d’une garantie bancaire. La requérante y indique, en effet, qu’elle ne dispose pas d’une trésorerie suffisante pour payer l’amende qui lui a été infligée et que ses demandes auprès de ses banques ont concerné l’octroi de prêts pour payer l’amende. La lettre de refus partiel de la principale banque de crédit à court terme de la requérante ne concerne effectivement que l’éventualité d’un emprunt et ne fait pas mention d’autres possibilités de financement, telles qu’une garantie bancaire.

39      Enfin, la requérante explique que le refus de ses actionnaires de suivre la proposition de sa principale banque de crédit à court terme est motivé par le fait que la somme allouée sous condition ne permettrait pas de résoudre le problème auquel elle doit faire face, problème qu’elle définit seulement comme étant le paiement de l’amende et non la constitution d’une garantie financière.

40      Il y a donc lieu de constater que la requérante se contente d’avancer des arguments visant à démontrer qu’elle est dans l’impossibilité de s’acquitter du montant de l’amende, sans pour autant prétendre qu’il lui serait impossible de constituer la garantie bancaire requise.

41      La requérante a donc omis de se prononcer, dans la demande en référé, sur la possibilité de constituer une garantie bancaire plutôt que de payer immédiatement le montant réclamé.

42      À cet égard, il convient de rappeler que la possibilité d’exiger la constitution d’une garantie financière correspond à une ligne de conduite générale et raisonnable de la Commission (ordonnance du président du Tribunal du 5 août 2003, IRO/Commission, T‑79/03 R, Rec. p. II‑3027, point 25) et que, selon une jurisprudence constante, la partie qui sollicite les mesures provisoires ne peut être dispensée de l’obligation de constituer une garantie bancaire comme condition du non-recouvrement immédiat d’une amende infligée par la Commission qu’en présence de circonstances exceptionnelles [ordonnances du président de la Cour du 6 mai 1982, AEG-Telefunken/Commission, 107/82 R, Rec. p. 1549, point 6 ; du 15 décembre 2000, Cho Yang Shipping/Commission, C‑361/00 P(R), Rec. p. I‑11657, point 88, et du 23 mars 2001, FEG/Commission, C‑7/01 P(R), Rec. p. I‑2559, point 44].

43      L’existence de telles circonstances exceptionnelles peut, en principe, être considérée comme établie lorsque la partie qui demande à être dispensée de constituer la garantie bancaire requise apporte la preuve qu’il lui est objectivement impossible de constituer cette garantie (voir ordonnance IRO/Commission, précitée, point 26, et la jurisprudence citée), ou que sa constitution mettrait en péril son existence (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 21 décembre 1994, Buchmann/Commission, T‑295/94 R, Rec. p. II‑1265, point 24, et du 28 juin 2000, Cho Yang Shipping/Commission, T‑191/98 R II, Rec. p. II‑2551, point 43).

44      Dans la mesure où la requérante s’est abstenue de faire une quelconque démarche en ce qui concerne la constitution d’une garantie bancaire, il ne saurait être considéré qu’il lui serait objectivement impossible de constituer la garantie bancaire requise (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 21 janvier 2004, FNICGV/Commission, T‑252/03 R, Rec. p. II‑315, points 32 et 33), étant entendu qu’il ne peut être déduit du refus opposé par une institution financière à l’égard d’une demande de prêt bancaire un refus implicite quant à l’octroi d’une garantie bancaire.

45      S’agissant du risque de liquidation de la requérante, il est de jurisprudence bien établie que, pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés, qui démontrent la situation financière de la partie qui sollicite les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 22 janvier 1988, Top Hit Holzvertrieb/Commission, 378/87 R, Rec. p. 161, point 18 ; ordonnances du président de la quatrième chambre élargie du Tribunal du 2 avril 1998, Arbeitsgemeinschaft Deutscher Luftfahrt-Unternehmen et Hapag‑Lloyd/Commission, T‑86/96 R, Rec. p. II‑641, points 64, 65 et 67 ; du président de la deuxième chambre du Tribunal du 16 juillet 1999, Hortiplant/Commission, T‑143/99 R, Rec. p. II‑2451, point 18 ; du président du Tribunal du 3 juillet 2000, Carotti/Cour des comptes, T‑163/00 R, RecFP p. I‑A‑133 et II‑607, point 8 ; du 18 octobre 2001, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, T‑196/01 R, Rec. p. II‑3107, point 32, et du 13 octobre 2006, Vischim/Commission, T‑420/05 R II, Rec. p. II‑4085, points 83 et 84).

46      Or, en l’absence de toute information relative à l’obtention d’une garantie financière, force est de constater que la requérante n’a pas fourni de telles indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires, et n’a donc pas établi une image fidèle et globale de sa situation financière, ce qui empêche le juge des référés d’examiner si la constitution d’une garantie bancaire mettrait en péril son existence (voir, en ce sens, ordonnance FNICGV/Commission, précitée, point 34).

47      La requérante n’a pas non plus apporté, dans la demande en référé, la moindre information concernant la situation financière de ses actionnaires. Or, il est de jurisprudence constante que l’appréciation de la situation matérielle d’une société, notamment sa viabilité financière, peut être effectuée en prenant en considération les caractéristiques du groupe auquel elle se rattache par son actionnariat (voir ordonnances du président de la Cour du 7 mars 1995, Transacciones Marítimas e.a./Commission, C‑12/95 P, Rec. p. I‑467, point 12, et du président du Tribunal du 7 décembre 2001, Lior/Commission, T‑192/01 R, Rec. p. II‑3657, point 54, et la jurisprudence citée), et ce même en présence d’un refus unilatéral d’assistance opposé par ses actionnaires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 14 mars 2008, Huta Buczek/Commission, T‑440/07 R, non publiée au Recueil, point 65, et la jurisprudence citée).

48      Il s’ensuit que la demande en référé ne permet pas au juge des référés d’examiner si les circonstances de l’espèce établissent l’urgence requise.

49      Certes, postérieurement à l’introduction de la demande en référé, la requérante a sollicité, auprès des agents placés sous la responsabilité du comptable de la Commission, l’autorisation de constituer une garantie bancaire et a informé le greffier du Tribunal de ses discussions avec la Commission en la matière. Ainsi, par lettre du 11 février 2010 – soit près de deux semaines après l’introduction de la demande en référé – la requérante a sollicité, pour la première fois, de la Commission l’autorisation de constituer une garantie bancaire. Dans deux courriels des 12 et 23 février 2010, elle a informé les agents placés sous la responsabilité du comptable de la Commission des suites données à ses tentatives d’obtention d’une garantie bancaire. Dans une lettre du 3 mars 2010 adressée au greffier du Tribunal, elle a résumé le contenu de ses échanges avec la Commission à propos des difficultés rencontrées afin de constituer une garantie bancaire.

50      À cet égard, il convient de souligner que, selon une jurisprudence constante, une demande en référé doit permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle‑ci se fonde devant ressortir du texte même de la demande en référé (ordonnance du président de la Cour du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), non publiée au Recueil, point 13).

51      Il s’ensuit qu’une demande en référé ne saurait être utilement complétée, en vue de remédier à d’éventuelles déficiences de présentation, par un mémoire postérieur, déposé par la partie qui sollicite des mesures provisoires, le cas échéant, en réponse aux observations de la partie adverse. L’ouverture d’une telle possibilité de « rattrapage » serait incompatible non seulement avec la célérité requise en matière de référé, mais aussi, et surtout, avec l’esprit de l’article 109 du règlement de procédure, en vertu duquel, en cas de rejet d’une demande en référé, la partie qui sollicite des mesures provisoires ne peut présenter une autre demande que si cette dernière est « fondée sur des faits nouveaux » (ordonnances du président du Tribunal du 23 janvier 2009, Pannon Hőerőmű/Commission, T‑352/08 R, non publiée au Recueil, point 31, et du 24 avril 2009, Nycomed Danmark/EMEA, T‑52/09 R, non publiée au Recueil, point 62). Par « faits nouveaux », il faut notamment entendre des faits que la partie qui sollicite des mesures provisoires était dans l’impossibilité d’invoquer lors de l’introduction de sa demande en référé et qui sont pertinents pour apprécier le cas en cause (voir, en ce sens et par analogie, ordonnances du président du Tribunal du 22 décembre 2004, European Dynamics/Commission, T‑303/04 R II, Rec. p. II‑4621, point 60, et du 17 février 2006, Nijs/Cour des comptes, T‑171/05 R II, RecFP p. I‑A‑2‑11 et II‑A‑2‑47, point 28).

52      En l’espèce, il convient de noter que la question de la possibilité pour la requérante de constituer ou non une garantie bancaire constitue indéniablement un élément essentiel qui devait ressortir du corps même de la demande en référé. Or, il ne ressort pas des éléments du dossier que la requérante a été dans l’impossibilité d’entreprendre des démarches visant à obtenir une telle garantie avant le dépôt de la demande en référé. Les éléments d’information concernant cette garantie ne sauraient donc être qualifiés de faits nouveaux au sens de la jurisprudence citée au point 51 ci-dessus.

53      Dès lors, s’il était dans l’intention de la requérante, en fournissant ces informations postérieurement au dépôt de la demande en référé, de pallier l’absence, dans cette demande, de la mention d’un élément essentiel, à savoir ses efforts prétendument infructueux visant à obtenir une garantie bancaire, cette démarche ne saurait être accueillie.

54      À titre surabondant, il convient d’examiner le contenu des courriels des 12 et 23 février 2010 ainsi que de la lettre du 3 mars 2010. Dans le premier courriel, la requérante précise qu’elle n’a pas été en mesure d’obtenir de garantie bancaire et que les banques avec lesquelles elle entretient des relations régulières lui ont indiqué qu’une telle garantie ne serait pas aisée à obtenir compte tenu de sa situation financière actuelle et de l’état du marché sur lequel elle est active. Dans le second courriel, envoyé en réponse à une demande d’agents placés sous la responsabilité du comptable de la Commission, la requérante se contente de déclarer qu’elle n’a pas été en mesure d’obtenir de garantie bancaire. Dans sa lettre du 3 mars 2010, la requérante indique avoir informé la Commission, principalement de manière orale mais également par écrit, que les conditions d’obtention d’une garantie bancaire étaient très semblables à celles requises pour l’obtention d’un prêt destiné à financer le paiement de l’amende. La requérante affirme avoir dû faire face aux mêmes difficultés quant à ses tentatives de poursuivre l’une ou l’autre de ces deux options, en ajoutant qu’elle continue d’explorer différentes pistes avec ses banques, mais que, pour le moment, aucune n’a souhaité lui porter assistance.

55      À cet égard, il suffit de rappeler qu’il appartient à la partie demandant une dispense à l’obligation de constituer une garantie bancaire comme condition du non-recouvrement immédiat d’une amende infligée par la Commission de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles, en rapportant la preuve qu’il lui est objectivement impossible de constituer cette garantie ou que sa constitution mettrait en péril son existence (voir points 42 et 43 ci-dessus).

56      Or, tant dans ses deux courriels de février 2010 que dans sa lettre de mars 2010, la requérante s’est contentée d’affirmer qu’elle était jusqu’alors dans l’impossibilité de constituer une garantie bancaire. De telles déclarations, non étayées, ne permettent pas de démontrer à suffisance de droit qu’il lui était objectivement impossible de constituer la garantie bancaire requise ou que sa constitution mettrait en péril son existence.

57       Au demeurant, il n’apparaît pas inconcevable, au vu de la proposition faite par la principale banque de crédit à court terme de la requérante, que celle-ci aurait pu envisager l’octroi d’une garantie bancaire pour l’ensemble de la somme due, l’obtention d’une telle garantie étant éventuellement dépendante d’une contribution des actionnaires de la requérante. En tout état de cause, la requérante n’a pas démontré qu’elle avait exploré davantage cette voie de financement.

58      Par ailleurs, la requérante n’a apporté aucune preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle la constitution d’une garantie bancaire mettrait en péril son existence.

59      Il s’ensuit que la requérante n’a pas prouvé l’existence de circonstances exceptionnelles.

60      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin de vérifier si les autres conditions d’octroi des mesures provisoires sollicitées, notamment celle de l’existence d’un fumus boni juris, sont remplies.

61      Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’adopter les mesures d’instruction sollicitées par la requérante, ces dernières étant dépourvues de pertinence en ce qu’elles visent l’exigence d’un fumus boni juris. En tout état de cause, l’évaluation de la solvabilité de la requérante ayant été effectuée avant l’adoption de la décision attaquée, la question de son bien-fondé a perdu son actualité pour l’examen de l’urgence dans le cadre de la présente procédure de référé.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 12 mai 2010.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.