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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 21 mars 2002 (1)

Affaire C-23/01

Robelco NV

contre

Robeco Groep NV

[demande de décision préjudicielle formée par le Hof van Beroep te Brussel (Belgique)]

«Protection contre l'usage qui est fait d'un signe à des fins autres que celle de distinguer - Signes ayant une ressemblance avec une marque - Risque de confusion et d'association»

1.     Il importe de déterminer dans la présente affaire si la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (2) (ci-après la «directive sur les marques»), comporte des critères d'application de la protection face à l'abus ou à l'utilisation préjudiciable d'un signe à des fins autres que celle de distinguer les produits ou services, au sens de son article 5, paragraphe 5.

Les éléments de fait du litige au principal

2.     Les éléments de fait qui sont à la base du litige au principal, tels qu'ils ressortent de l'ordonnance de renvoi, peuvent être reproduits comme suit.

3.     Robelco NV (ci-après «Robelco») a été constituée sous forme de société anonyme («naamloze vennootschap») le 20 novembre 1996 par deux sociétés d'investissement qui lui ont donné la dénomination sociale «Robelco»; son objet social comprend entre autres:

«-    l'exécution de toute activité directement ou indirectement liée à l'acquisition, à l'aliénation, à l'échange, à la mise en location, à la prise en location, à la construction, à la transformation, au lotissement, à la gestion et à la valorisation de toute espèce de bien immobilier;

-     l'octroi de prêts, hypothécaires ou non, le financement de projets immobiliers, la fourniture de moyens et de services aux entreprises et sociétés,

-     toute opération quelconque de nature immobilière, y compris la location et la location-vente.»

D'après des dépliants publicitaires, Robelco se distingue par ses réalisations immobilières dans le secteur des parcs industriels et des projets «sur mesure».

À la fin de 1998, le total du bilan de Robelco, dont le capital initial s'élevait à 6 millions de BEF, atteignait plus de 1 400 millions de BEF.

4.     Robeco NV Groep (ci-après «Robeco Groep») est un groupe financier néerlandais fondé en 1929 et son activité porte sur la gestion de patrimoine. Il commercialise des produits et services financiers, principalement sous la forme de fonds d'investissement cotés en bourse et, au niveau international, il opère par l'intermédiaire de banques et de sociétés de bourse.

La Rotterdams Beleggings Consortium opère depuis 1959 sous la dénomination «Robeco» et elle a, depuis lors, enregistré de nombreuses marques verbales auprès du Bureau Benelux des marques, dont «Robeco», «Rorento», «Rolinco», «Rotrusco» et «Roparco», le dépôt ayant été effectué sous la classe 36, matières financières et monétaires, services relatifs à l'épargne et au placement.

En 1998, Robeco Groep gérait plus de 170 000 millions de NLG, dont la majeure partie était affectée à des investissements institutionnels.

Il est établi que la marque Robeco jouit d'une grande renommée dans le public néerlandais.

5.     Le 2 juin 1999, Robeco Groep a introduit une action dirigée contre Robelco afin de faire interdire à cette dernière l'utilisation du nom «Robelco» en tant que nom commercial et dénomination sociale, sous peine d'une astreinte de 100 000 BEF par jour de retard.

Robeco Groep a invoqué une violation de l'article 13, A, paragraphe 1, sous d), de la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après la «loi uniforme») pour acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale.

Ce recours a été accueilli.

Droit applicable

Droit communautaire

6.     L'article 5, paragraphes 1, 2 et 5, de la directive sur les marques dispose:

«Droits conférés par la marque

1.    La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a)    d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b)    d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque.

2.     Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'État membre et que l'usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

[...]

5.    Les paragraphes 1 à 4 n'affectent pas les dispositions applicables dans un État membre et relatives à la protection contre l'usage qui est fait d'un signe à des fins autres que celles de distinguer les produits ou services, lorsque l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.»

Droit national

7.     Depuis 1971, les trois États de l'Union économique Benelux sont soumis à la loi uniforme (3).

8.     Son article 13, A, paragraphe 1, disposait dans sa première version:

«Sans préjudice de l'application éventuelle du droit commun en matière de responsabilité civile, le droit exclusif à la marque permet au titulaire de s'opposer à:

1.    tout emploi qui serait fait de la marque ou d'un signe ressemblant pour les produits pour lesquels la marque est enregistrée ou pour les produits similaires;

2.    tout autre emploi qui, dans la vie des affaires et sans juste motif, serait fait de la marque ou d'un signe ressemblant, en des conditions susceptibles de causer un préjudice au titulaire de la marque.»

9.    La version modifiée de la loi uniforme est entrée en vigueur le 1er janvier 1996, après que celle-ci eut été adaptée à la directive sur les marques.

10.     L'article 13, A, paragraphe 1, précise depuis lors ce qui suit:

«Sans préjudice de l'application éventuelle du droit commun en matière de responsabilité civile, le droit exclusif à la marque permet au titulaire de s'opposer à:

a)    tout usage qui, dans la vie des affaires, serait fait de la marque pour des produits pour lesquels la marque est enregistrée;

b)    tout usage qui, dans la vie des affaires, serait fait de la marque ou d'un signe ressemblant pour les produits pour lesquels la marque est enregistrée ou pour des produits similaires, lorsqu'il existe, dans l'esprit du public, un risque d'association entre le signe et la marque;

c)    tout usage qui, dans la vie des affaires et sans juste motif, serait fait d'une marque qui jouit d'une renommée à l'intérieur du territoire Benelux ou d'un signe ressemblant pour des produits non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque l'usage de ce signe tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porterait préjudice;

d)    tout usage qui, dans la vie des affaires et sans juste motif, serait fait d'une marque ou d'un signe ressemblant autrement que pour distinguer les produits, lorsque l'usage de ce signe tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porterait préjudice.»

Les questions préjudicielles

11.     Dans le cadre de la procédure d'appel dirigée contre le jugement rendu en première instance, le Hof van Beroep (Cour d'appel) te Brussel a déféré les questions suivantes à titre préjudiciel à la Cour:

«1)    Y a-t-il lieu d'interpréter l'article 5, paragraphe 5, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques en ce sens que la possibilité de protection par un État membre qui y est prévue ne peut être accordée que contre l'usage d'un signe identique à la marque ou, dans ce cas, peut-elle être également accordée contre l'usage d'un signe ressemblant à la marque?

2)    Si la protection peut également être accordée contre un signe ressemblant à la marque, la ressemblance préjudiciable au sens de cet article implique-t-elle nécessairement qu'une confusion puisse en naître, ou suffit-il d'un risque d'association en ce sens que, dans le chef de la personne confrontée à la marque et au signe, l'un évoque l'autre sans qu'il n'en résulte de confusion, ou ne faut-il même pas, dans ce cadre, qu'il existe un risque d'association?»

Arguments des parties

12.     Outre la Commission, les deux parties au litige au principal ont déposé des observations écrites.

13.     Robeco Groep fait valoir que, en réponse à la première des deux questions déférées par le juge belge, il y a lieu d'affirmer que le terme «signe» visé à l'article 5, paragraphe 5, de la directive sur les marques englobe tant les signes identiques, que les signes similaires, et que, conformément à cette même disposition, c'est le droit national qui doit préciser le niveau de ressemblance requis.

14.     En réponse à la deuxième question, Robeco Groep soutient que l'article 5, paragraphe 5, de la directive sur les marques précise avec clarté les conditions auxquelles est soumise son application (usage «sans juste motif» par lequel un opérateur «tire indûment profit» ou «porte préjudice» à la marque), sans que l'on puisse en déduire d'autres, comme les risques de confusion ou d'association évoqués par le juge de renvoi (4).

15.     De son côté, Robelco concentre son argumentation sur la distinction entre le risque de confusion et celui de simple association. Il y a «confusion» lorsque le public confond le signe et la marque (confusion directe) ou les titulaires du signe avec ceux de la marque (confusion indirecte). Il y a simple association lorsque la perception du signe évoque la marque, sans se confondre avec elle.

16.     Robelco reconnaît que l'article 5, paragraphe 5, de la directive sur les marques n'est pas une disposition de droit des marques. Elle affirme par ailleurs que, pour que ce type spécial de protection puisse s'appliquer, la simple similitude ne suffit pas: il faut que le signe soit identique à la marque. Dans le cas contraire, il faut toujours établir l'existence d'un risque de confusion.

17.     Pour Robelco, le «signe» auquel se réfère le paragraphe 5 doit être le même que celui visé au paragraphe 1, sous b), c'est-à-dire celui qui correspond à la marque. Cette interprétation, qui limite les pouvoirs des États membres, serait conforme à l'objectif d'harmonisation de la directive sur les marques. On autoriserait autrement la protection d'un signe inconnu, en vertu du paragraphe 5, comparable à celle accordée à une marque de renom, en vertu du paragraphe 2.

18.     La Commission propose à la Cour de justice de répondre que l'article 5, paragraphe 5, de la directive sur les marques a pour but d'exclure de l'harmonisation de la protection certaines formes de protection accordées aux marques par les ordres juridiques des États membres, telles que celle prévue par l'article 13, A, paragraphe 1, sous d), de la loi uniforme.

19.     La Commission part de l'idée que le juge de renvoi a correctement qualifié les faits litigieux - conflit entre le titulaire d'une marque et celui d'une dénomination sociale, sans similitude entre les produits ou services respectifs - comme concernant l'usage d'un signe à des fins autres que celle de distinguer, auquel l'article 5, paragraphe 5, s'appliquerait.

20.     Après avoir analysé l'économie générale de la disposition et à la lumière des travaux préparatoires, la Commission conclut que le champ d'application de l'article 5, paragraphe 5, échappe entièrement à l'harmonisation communautaire. Le juge national peut donc interpréter librement les dispositions internes adoptées en la matière.

21.     À titre subsidiaire, la Commission propose à la Cour de dire pour droit que l'article 5, paragraphe 5, de la directive sur les marques ne requiert aucune ressemblance entre le signe et la marque. Il ne serait donc pas nécessaire d'évaluer l'existence d'un risque de confusion ou d'association, mais bien le profit indu obtenu grâce au caractère distinctif ou à la renommée de la marque ou du préjudice causé à la marque.

Analyse des questions préjudicielles

22.     Le Hof van Beroep te Brussel souhaite connaître le degré de ressemblance entre le signe et la marque, qui est nécessaire pour entraîner l'application de l'article 5, paragraphe 5, de la directive sur les marques (première question) et savoir si cette ressemblance doit être accompagnée d'un risque de confusion ou d'association (seconde question).

23.     Les doutes que nourrit le juge de renvoi proviennent, plus que du texte communautaire lui-même, de l'incertitude relative à la transposition correcte de cette disposition dans le droit du Benelux et à la persistance de la pratique juridique développée avant l'entrée en vigueur de la directive sur les marques.

24.     L'article 5 de la directive sur les marques - intitulé «Droits conférés par la marque» - énonce schématiquement les niveaux de protection juridique auxquels peuvent aspirer les titulaires de marques et il opère une répartition claire des compétences entre ce qui relève du domaine communautaire, qui est harmonisé, et ce qui continue à dépendre des ordres juridiques nationaux.

25.     L'article 5, paragraphe 1, définit le contenu typique du droit exclusif à une marque, qui consiste en la faculté d'interdire l'usage d'un signe identique pour les mêmes produits ou services, comme cela arrive en cas de contrefaçon [lettre a)], et d'un signe similaire pour des produits ou services également similaires, lorsqu'il existe un risque de confusion ou aussi de simple association de la part du public [lettre b)].

26.     Tel est l'objet premier du droit des marques: la protection de l'exactitude de l'information que véhicule le signe enregistré sur l'entreprise dont proviennent des biens déterminés.

27.     L'article 5, paragraphe 2, étend cette protection en faveur des marques qui ont une renommée dans un territoire, en permettant aux États membres d'interdire dans ces hypothèses l'usage d'un signe similaire, même pour des produits ou services qui ne sont pas apparentés, lorsque l'usage vise à tirer indûment profit de la notoriété de la marque ou est susceptible de porter préjudice à son titulaire. Le droit du public de connaître la provenance exacte des produits qui lui sont offerts et celui du titulaire de la marque de préserver son fonds de commerce («goodwill») sont ainsi sauvegardés simultanément.

28.     Enfin, l'article 5, paragraphe 5, exclut du champ d'application de la directive sur les marques les dispositions de droit national qui accordent une protection face à l'usage d'un signe pour des fins autres que celle de distinguer les produits, lorsque cet usage donne lieu à un profit indu grâce à la renommée ou au pouvoir distinctif du signe, ou lorsqu'il porte préjudice à la marque.

29.     Les parties ont examiné à des degrés divers l'appartenance de cette dernière disposition au droit des marques. Je ne pense pas personnellement que cette qualification revête un intérêt fondamental. Les disciplines juridiques, dont l'utilité à des fins d'apprentissage est incontestable, présentent toujours quelque chose d'arbitraire et leurs contours sont peu sûrs, raison pour laquelle elles varient fréquemment, tant dans l'espace que dans le temps. Dès lors, s'il y a bien lieu de considérer que le droit des marques couvre uniquement les questions qui sont liées, pour l'essentiel, à la fonction distinctive de cet instrument, l'intelligence ne répugne pas à concevoir une catégorie plus large qui englobe l'ensemble des conflits possibles liés à la marque.

30.    Il est en revanche important de définir la frontière qui sépare, en matière de marques, les champs d'application du droit communautaire et des ordres juridiques nationaux. Cette frontière n'est pas l'expression d'une tentative, de la part du législateur européen, pour séparer le droit des marques proprement dit d'autres disciplines qui y sont liées, le travail d'harmonisation législative étant partiel (5).

31.     L'article 5 de la directive sur les marques contient une double délimitation, l'une positive et l'autre négative. Dans le sens positif, les droits harmonisés du titulaire d'une marque comprennent celui d'interdire l'utilisation de signes identiques ou similaires, pour des produits identiques ou similaires, lorsqu'il existe un risque de confusion. En sens négatif, la protection renforcée du caractère distinctif et du fonds de commerce de marques de renom, ainsi que le régime de certains usages d'un signe qui n'ont pas pour but de désigner la provenance de biens ou de services, ne font pas l'objet d'une harmonisation communautaire.

32.     Je dois reconnaître éprouver une certaine perplexité devant la rédaction de l'article 5, paragraphe 5, de la directive sur les marques, qui, comme l'a observé la Commission, semble avoir été inclus spécialement pour admettre une disposition similaire du droit uniforme du Benelux (6). Si un signe n'est pas utilisé, directement ou indirectement, de façon subliminale ou incidemment, pour désigner des produits ou des services, je ne vois pas quelle importance il peut avoir dans les échanges économiques aux fins du droit des marques. Le fait que ce signe ne soit pas utilisé en tant que marque dans le sens formel est une autre chose. Interprété de cette façon, le paragraphe 5 servirait par exemple à exclure de l'harmonisation les réglementations nationales relatives à la publicité comparative ou à l'abus de la raison sociale (7).

33.     La juridiction de renvoi a considéré être confrontée à cette dernière hypothèse et aucune des parties à la procédure ne conteste cette appréciation. Je me fondrai donc sur cette prémisse. Je ne dispose d'aucun élément pour porter un jugement différent et l'analyse des questions formulées ne m'impose pas autre chose. Quoi qu'il en soit, la question de savoir si une raison sociale sert, dans les échanges commerciaux, à remplir, comme la marque, une fonction de distinction, principalement dans le cas des services, et les conséquences qui découlent de la réponse donnée à cette question pour le droit communautaire ne sont pas dépourvues d'intérêt et de difficulté. Plus que sur des catégories prédéterminées, je crois qu'il faudrait alors porter l'attention sur les effets pratiques des différents comportements (8).

34.     Le fait d'utiliser un signe pour une fin autre que celle de distinguer la provenance d'un bien ou d'un produit ne relève pas de l'article 5, paragraphe 1, qui se réfère à l'identification de produits ou de services, la réglementation de cette hypothèse étant expressément réservée au législateur des États membres par le paragraphe 5. Ce fait ne relève pas du champ d'application de la directive qui, pour éliminer tout doute, reconnaît par ailleurs aux États membres leur compétence législative en la matière.

35.     La directive ajoute que ce signe, dépourvu d'utilité différenciatrice, doit être utilisé pour profiter de la renommée d'un tiers ou lui causer un préjudice. C'est l'hypothèse la plus probable dans la pratique mais, même à défaut de cette précision, je ne vois pas comment la directive sur les marques pourrait s'appliquer à des cas dans lesquels le signe n'est pas utilisé pour distinguer.

36.     Il est pourtant indiscutable que le pouvoir réservé au législateur national par le paragraphe 5 n'est subordonné à aucune autre condition. Cette disposition est tout à fait muette sur le degré de ressemblance que doit présenter le signe en relation avec la marque. Dans ces circonstances, il ne fait aucun doute que les États membres peuvent n'adopter aucune législation, comme ils peuvent exiger l'identité entre le signe et la marque, se contenter d'une similitude, aussi minime soit-elle, ou encore d'un quelconque autre lien servant de référence.

37.     Il n'y a pas de raison qui porte à pallier, comme le souhaite le juge de renvoi, le silence du législateur à propos de la nature du lien entre le signe visé et la marque: il n'y a pas lieu non plus de transposer au paragraphe 5 la teneur de la disposition des paragraphes précédents de l'article 5 ou de comparer sa portée avec celle du paragraphe 2, comme le prétend Robelco.

38.     En premier lieu, qualifier la relation qui doit exister entre le signe et la marque supposerait irrémédiablement réduire sans aucun fondement en droit la liberté que le Conseil a reconnue aux États membres dans des matières comme la concurrence déloyale, la protection des consommateurs ou la responsabilité civile.

39.     En deuxième lieu, s'il ne fait par ailleurs aucun doute que les paragraphes 1 et 2 de l'article 5 de la directive sur les marques se fondent, aux fins de leur application, sur un certain degré de ressemblance entre deux signes, il n'en demeure pas moins que le paragraphe 5 s'inscrit dans une logique différente et que, de ce fait, il n'y a pas de raison de transposer au champ de protection d'une marque face à un signe utilisé à des fins autres que celle de distinguer des biens des éléments qui se justifient précisément par cette fonction.

40.     Enfin, pour des raisons semblables, il n'y a pas lieu de comparer les pouvoirs que le paragraphe 2 de l'article 5 reconnaît aux États membres avec ceux visés au paragraphe 5, étant donné que ces derniers ne produisent leurs effets que dans le cadre limité de l'utilisation d'un signe à des fins autres que celle de distinguer.

41.     Au demeurant, aucun élément dans l'article 13, A, paragraphe 1, sous d), de la loi uniforme n'incite, selon moi, à penser que le législateur du Benelux ait commis un excès de pouvoir dans le cadre de celui que lui réserve expressément la réglementation communautaire en matière de marques.

Conclusion

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de justice de répondre comme suit aux questions préjudicielles déférées par le Hof van Beroep te Brussel:

«L'application de l'article 5, paragraphe 5, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, n'exige, pour son application, aucun degré de ressemblance déterminé entre le signe et la marque en cause, matière qui relève de la compétence exclusive des États membres.»


1: -     Langue originale: l'espagnol.


2: -     JO 1989, L 40, p. 1.


3: -     Voir point 5 ci-dessus.


4: -     Avec référence à l'arrêt du 11 novembre 1997, SABEL (C-251/95, Rec. p. I-6191).


5: -     D'après le préambule de la directive sur les marques: «considérant qu'il n'apparaît pas nécessaire actuellement de procéder à un rapprochement total des législations des États membres en matière de marques et qu'il est suffisant de limiter le rapprochement aux dispositions nationales ayant l'incidence la plus directe sur le fonctionnement du marché intérieur» (troisième considérant).


6: -     Il s'agit de l'article 13, A, paragraphe 1, point 1, de la première version de la loi uniforme. L'actuel article 13, A, paragraphe 1, sous d), contient toujours la même idée, bien que son texte ressemble davantage à celui de la directive sur les marques (voir points 8 et suiv. ci-dessus).


7: -     Il n'en va pas de même du signe relatif aux réparations et à l'entretien d'une marque déterminée d'automobiles, hypothèse dans laquelle il faut considérer que la marque est utilisée pour identifier l'origine des produits qui font l'objet du service (arrêt du 23 février 1999, BMW, C-63/97, Rec. p. I-905, points 38 et 39).


8: -     La Cour de justice Benelux a résolu ce problème dans son arrêt du 7 novembre 1988, Omnisport/Bauweraerts (affaire A 87/3, Jurisprudence de la Cour de justice Benelux 1988, p. 90), en considérant que l'utilisation d'une raison sociale ne permet en principe pas de distinguer des produits ou services, le public n'associant pas cette raison sociale avec les biens que l'entreprise vend ou offre.