Language of document : ECLI:EU:T:2023:20

DOCUMENT DE TRAVAIL


ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

25 janvier 2023 (*)

« Aides d’État – Transport maritime – Exonération partielle des droits d’enregistrement dus pour le transfert d’activité entre entreprises – Décision déclarant l’aide illégale et incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Avantage – Bénéficiaire de l’aide – Service d’intérêt économique général – Obligation de motivation – Responsabilité non contractuelle – Durée excessive de la procédure »

Dans l’affaire T‑666/21,

Società Navigazione Siciliana SCpA, établie à Trapani (Italie), représentée par Mes R. Nazzini, F. Ruggeri Laderchi, C. Labruna et L. Calini, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. G. Braga da Cruz, Mmes C.-M. Carrega et D. Recchia, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé, lors des délibérations, de MM. J. Svenningsen, président, C. Mac Eochaidh et Mme T. Pynnä (rapporteure), juges,

greffier : Mme P. Nuñez Ruiz, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 25 octobre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours, la requérante, Società Navigazione Siciliana SCpA, demande, d’une part, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation partielle de la décision C(2021) 4268 final de la Commission, du 17 juin 2021, relative aux mesures SA.32014, SA.32015, SA.32016 (2011/C) (ex 2011/NN) mises à exécution par l’Italie en faveur de Siremar et de son acquéreur, Società Navigazione Siciliana (ci-après la « décision attaquée »), en tant qu’elle a déclaré incompatibles certaines exonérations fiscales prévues par la loi no 163, du 1er octobre 2010, portant conversion du décret-loi no 125 du 5 août 2010 (ci-après la « loi de 2010 »), et en a ordonné la récupération et, d’autre part, sur le fondement de l’article 268 TFUE, la réparation du préjudice qu’elle aurait subi du fait de la durée excessive et déraisonnable de la procédure formelle d’examen.

 Antécédents du litige

2        La présente affaire trouve son origine dans la privatisation des sociétés de l’ancien groupe Tirrenia. Ce groupe appartenait à l’origine à l’État italien par l’intermédiaire de Finanziaria per i Settori Industriale e dei Servizi SpA et comprenait six sociétés, à savoir Tirrenia di Navigazione SpA (ci-après « Tirrenia »), Adriatica di Navigazione SpA, Caremar – Campania Regionale Marittima SpA, Saremar – Sardegna Regionale Marittima SpA, Siremar – Sicilia Regionale Marittima SpA (ci-après « Siremar ») et Toremar – Toscana Regionale Marittima SpA. Ces sociétés assuraient des services de transport maritime, sur la base de contrats distincts de service public conclus avec l’État italien en 1991 et restés en vigueur durant vingt ans, de janvier 1989 à décembre 2008.

3        Les contrats mentionnés au point 2 ci-dessus, y compris celui applicable à Siremar, ont été reconduits en dernier lieu par la loi de 2010, du 1er octobre 2010 jusqu’à la date d’achèvement des processus de privatisation de Tirrenia et de Siremar.

4        En octobre 2010, une procédure d’appel d’offres en vue de la recherche d’un acquéreur pour la branche d’entreprise appartenant à Siremar a été ouverte pour les seuls actifs et contrats nécessaires à l’exécution des obligations de service public (ci-après la « branche d’entreprise Siremar »).

5        Après que Compagnia delle Isole (ci-après « CdI »), désignée adjudicataire dans un premier temps, a été exclue sur le fondement de la décision no 5172 de 2012 du Tribunale Amministrativo Regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie), confirmée par l’arrêt no 592 de 2014 du Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), la requérante a remporté la procédure d’appel d’offres, a donc repris la branche d’entreprise Siremar et a signé une nouvelle convention avec le gouvernement italien le 11 avril 2016 (ci-après le « contrat de cession »).

6        Le contrat de cession est entré en vigueur le 12 avril 2016 et arrivera à échéance le 11 avril 2028.

7        La cession de la branche d’entreprise Siremar, réalisée pour un montant de 55 100 000 euros, sur la base des conclusions d’une expertise, a porté sur le patrimoine constitué des immobilisations incorporelles (droits sur les brevets et droits de propriété intellectuelle ; concessions, licences, marques et autres droits similaires ; autres actifs incorporels) et corporelles (systèmes et machines, équipements industriels et commerciaux ; autres actifs corporels) ainsi que des stocks et des contrats, utilisés par l’entreprise pour remplir ses obligations de service public.

8        Sur le fondement du contrat de cession, la requérante s’est engagée à fournir des services de transport de passagers et de marchandises sur vingt lignes de cabotage groupées en cinq zones, parfois avec des fréquences ou des lignes différentes en haute et en basse saison.

9        En ce qui concerne le régime fiscal du contrat de cession, l’article 9 dudit contrat précise que les taxes et les impôts relatifs au transfert de la branche d’entreprise Siremar sont à la charge de l’acquéreur. En outre, aux fins de l’enregistrement du contrat de cession, il est pris acte du fait qu’un droit d’enregistrement fixe a été payé, en application de l’exonération fiscale prévue par le décret-loi no 135/2009, afin de mener à bien la privatisation du groupe Tirrenia.

10      À la suite de plaintes reçues par la Commission européenne, cette dernière a, le 5 octobre 2011, ouvert une procédure formelle d’examen, conformément à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, à l’égard de plusieurs mesures adoptées par la République italienne en faveur de plusieurs compagnies de l’ancien groupe Tirrenia, à savoir Tirrenia, Adriatica di Navigazione, Caremar – Campania Regionale Marittima, Saremar – Sardegna Regionale Marittima, Siremar et Toremar – Toscana Regionale Marittima (ci-après la « décision de 2011 »).

11      La décision de 2011 portait sur plusieurs mesures, parmi lesquelles, notamment, celle prévue par l’article 1er de la loi de 2010, qui disposait que les actes et opérations décrits à l’article 19 ter, paragraphes 1 à 15, du décret-loi no 135/2009 (qui concerne la libéralisation du secteur du cabotage maritime par la privatisation du groupe Tirrenia) étaient exonérés de toute taxe normalement due sur ces actes et opérations.

12      En novembre 2012, la Commission a étendu la procédure formelle d’examen à d’autres mesures (ci-après la « décision de 2012 »).

13      De nombreux échanges sont intervenus entre 2011 et 2021 (voir points 13 à 18 de la décision attaquée).

14      Le 2 mars 2020, la Commission a adopté la décision C(2020) 1108 final concernant l’aide d’État C 64/99 (ex NN 68/99) mise à exécution par l’Italie en faveur des compagnies maritimes Adriatica, Caremar, Siremar, Saremar et Toremar (groupe Tirrenia) (JO 2020, L 332, p. 1), ainsi que la décision (UE) 2020/1412, concernant les mesures d’aide SA.32014, SA.32015, SA.32016 (11/C) (ex 11/NN) mises à exécution par l’Italie en faveur de Tirrenia di Navigazione et de son acquéreur Compagnia Italiana di Navigazione (JO 2020, L 332, p. 45).

 Décision attaquée

15      Le 17 juin 2021, la Commission a adopté la décision attaquée. Par cette décision, la Commission a clos la procédure formelle d’examen à l’égard des mesures visées dans les décisions de 2011 et de 2012.

16      La présente affaire concerne uniquement la mesure visée au point 11 ci-dessus, à savoir l’exonération fiscale prévue par la loi de 2010, en ce qui concerne les impôts indirects et, en particulier, les droits d’enregistrement acquittés par la requérante pour l’achat de la branche d’entreprise Siremar (ci-après la « mesure en cause »).

17      Après avoir examiné les arguments des parties intéressées, la Commission a considéré, en ce qui concerne en particulier la mesure en cause :

« (419)      Comme décrit au considérant 133, sous b), l’article 1er de la loi de 2010 dispose que tous les actes et opérations visant à la privatisation du groupe Tirrenia et décrits à l’article 19 ter, paragraphes 1 à 15, du décret-loi no 135/2009 converti, après modifications, en loi de 2009, sont exonérés de toute taxe normalement due sur ces actes et opérations.

(420)            […] Les exonérations fiscales concernent, notamment, les droits d’enregistrement, les droits d’inscription hypothécaire et d’inscription au registre foncier ainsi que les droits de timbre (ci-après dénommés conjointement les “impôts indirects”), la TVA et l’impôt sur les sociétés. Cette mesure d’aide pourrait bénéficier au vendeur ou à l’acquéreur, voire aux deux […]

(421)            […] [E]n ce qui concerne les impôts indirects, la Commission prend acte du fait que le contrat de vente de la branche d’entreprise Siremar à CdI établit clairement que l’acquéreur doit s’acquitter de toutes les taxes et de tous les impôts et frais de notaire relatifs à l’opération. L’Italie a également apporté la preuve que CdI n’avait pas fait usage de cette exonération fiscale au moment de l’enregistrement du contrat. La Commission en conclut, dès lors, que CdI n’a pas bénéficié de cette mesure. Toutefois, le contrat de vente relatif au transfert à [la requérante], qui contient la même disposition, prévoit également que l’acquéreur bénéficie d’un droit d’enregistrement fixe, conformément aux exonérations fiscales prévues par la loi de 2010.

[…]

(426)            En ce qui concerne les impôts indirects, [la requérante] a bénéficié d’un montant fixe pour l’enregistrement du contrat d’achat de la branche d’entreprise Siremar, en application de la loi de 2010, tel que prévu à l’article 9 de ce contrat. Par conséquent, [la requérante] a bénéficié d’un avantage économique égal à la différence entre le montant normalement dû pour l’enregistrement de ces actes en vertu du droit national et le montant effectivement payé [...] »

18      La Commission a dès lors conclu que « le versement par [la requérante] d’un montant fixe pour l’enregistrement du contrat d’achat de la branche d’entreprise Siremar en vertu de la loi de 2010, en lieu et place du montant normalement dû en vertu du droit national, constitu[ait] une aide d’État en faveur de [la requérante] » (considérant 430 de la décision attaquée).

19      Aux termes de l’article 3 de la décision attaquée :

«       […]

2.      Le versement par [la requérante] d’un montant fixe pour l’enregistrement du contrat d’achat de la branche d’entreprise Siremar en vertu de la loi de 2010, en lieu et place du montant normalement dû en vertu de la législation nationale, constitue une aide d’État en faveur de [la requérante] au sens de l’article 107, paragraphe 1, [TFUE]. L’aide d’État a été illégalement mise à exécution par l’Italie, en violation de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE.]

[…]

4.      L’aide visée aux paragraphes 1, 2 et 3 du présent article est incompatible avec le marché intérieur.

[…] »

20      L’article 5 de la décision attaquée ordonne la récupération de l’aide déclarée illégale et incompatible et prévoit que les montants à récupérer produisent des intérêts à compter de la date à laquelle ils ont été mis à disposition du bénéficiaire.

21      L’article 6 de la décision attaquée prévoit que la récupération de l’aide dont il est question à l’article 5 est immédiate et effective et que la République italienne est tenue d’exécuter la décision attaquée dans un délai de quatre mois à compter de la date de la notification de cette décision.

 Conclusions des parties

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler partiellement la décision attaquée, pour autant que la Commission y a considéré qu’elle était bénéficiaire d’une aide illégale découlant de la mesure en cause et ordonné à l’État italien sa récupération ; 

–        condamner la Commission à la réparation des dommages subis par elle en raison de la durée excessive de la procédure administrative ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation ;

–        rejeter le recours en indemnisation ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

24      La requérante soulève, en substance, deux moyens distincts à l’appui de ses conclusions en annulation, tirés, le premier, de la détermination erronée du bénéficiaire de l’aide et, le second, d’un défaut de motivation et d’une analyse erronée de la compatibilité de l’aide au regard de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

25      En outre, par ses conclusions en indemnisation, la requérante fait valoir que la durée excessive et déraisonnable de la procédure formelle d’examen menée par la Commission lui a causé un préjudice, dont elle demande la réparation.

26      À titre liminaire, il convient d’examiner la recevabilité des demandes de production de nouveaux documents présentées par la requérante au cours de la présente procédure.

 Sur les demandes de production de nouveaux documents

27      Par lettre du 1er février 2022, la requérante a demandé, en vertu de l’article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, que soient versés au dossier les documents suivants :

–        l’offre contraignante d’acquisition de la branche d’entreprise Siremar, présentée par la requérante le 23 mai 2011 (ci-après le « document 1 ») ;

–        l’arrêté ministériel no 451 du 16 novembre 2021, portant récupération des aides d’État accordées à la requérante en exécution de la décision attaquée (ci-après le « document 2 »).

28      La requérante justifie essentiellement la production de ces documents par la nécessité, vu l’absence d’un second tour de mémoires, de répondre aux arguments de la Commission sur les premier et second moyens.

29      À cet égard, il convient de rappeler que, selon l’article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure, « lorsque le Tribunal décide qu’un deuxième échange n’est pas nécessaire, il peut encore autoriser les parties principales à compléter le dossier de l’affaire si le requérant présente une demande motivée en ce sens dans un délai de deux semaines à compter de la signification de cette décision ».

30      Cet article doit néanmoins être lu conjointement avec l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure, qui dispose que « [l]es preuves et les offres de preuve sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires ». En outre, si l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure prévoit que, « [à] titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure », ce n’est qu’« à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié ».

31      Or, s’agissant du document 1, qui date du 23 mai 2011 et était donc à la disposition de la requérante dès l’introduction de la requête, celle-ci n’a nullement expliqué les raisons pour lesquelles il a été déposé tardivement.

32      La demande de la requérante visant à ajouter le document 1 au dossier doit, dès lors, être rejetée comme irrecevable.

33      S’agissant du document 2, celui-ci est daté du 16 novembre 2021, soit postérieurement au dépôt de la requête. Comme l’a reconnu la Commission lors de l’audience, il ne saurait donc être considéré comme ayant été présenté tardivement.

34      Il ressort de ce document que le ministère des Infrastructures et de la Mobilité durables a ordonné la récupération d’un montant de 1 652 800 euros, correspondant au montant de l’aide, augmenté de 78 713,75 euros au titre des intérêts échus entre le 18 avril 2016 et le 30 novembre 2021. Ce document est donc pertinent, dans la mesure où il permet de quantifier le montant exact de l’aide à récupérer en vue d’estimer le préjudice prétendument subi par la requérante, dans le cadre de sa demande indemnitaire.

35      Partant, indépendamment du bien-fondé de la demande indemnitaire de la requérante, il ne saurait être considéré que, en présentant un tel document, la requérante abuserait de la faculté qui lui est accordée par le Tribunal en vertu de l’article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure.

36      Il y a lieu, dès lors, d’accueillir la demande de la requérante visant à verser le document 2 au dossier de l’affaire.

 Sur les conclusions en annulation

 Sur le premier moyen, tiré d’une détermination erronée du bénéficiaire de l’aide

37      Par son premier moyen, la requérante fait valoir, en substance, que la décision attaquée viole l’article 16 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), en ce qu’elle lui impose de rembourser le montant correspondant à une aide dont elle ne serait pas bénéficiaire. Selon la requérante, le versement d’un droit d’enregistrement d’un montant inférieur, tout comme les autres avantages fiscaux prévus par la loi de 2010, visait à favoriser la vente de la branche d’entreprise Siremar et la privatisation des sociétés de l’ancien groupe Tirrenia. Ce serait dans un contexte difficile résultant, premièrement, de la difficulté de trouver un acquéreur intéressé par la branche d’entreprise Siremar et, deuxièmement, des difficultés financières dues à l’insolvabilité de Siremar que s’inscriraient ces avantages, y compris la mesure en cause. Le bénéficiaire de l’aide serait donc Siremar, compte tenu également du fait que, sans ces avantages, les offres pour la branche d’entreprise Siremar auraient été inférieures d’environ 1,7 million d’euros, ce qui correspondrait au coût de la taxe. La requérante rappelle que la Commission a conclu à l’inexistence d’une continuité économique entre Siremar et elle, de sorte qu’elle ne peut pas non plus être considérée comme bénéficiaire en tant que successeur de Siremar.

38      La Commission conteste ces arguments.

39      À titre liminaire, il y a lieu d’examiner l’objection de la Commission concernant le manque de clarté du présent moyen.

40      Certes, pour autant que la requérante invoque une violation de l’article 16 du règlement 2015/1589, il convient de constater que le moyen n’est étayé par aucun argument spécifique, tiré notamment de la violation éventuelle d’un principe général du droit de l’Union, comme le fait valoir la Commission à juste titre. Il convient, dès lors, de le rejeter comme étant irrecevable dans cette mesure (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2019, Athletic Club/Commission, T‑679/16, non publié, EU:T:2019:112, point 38 et jurisprudence citée).

41      En revanche, il ressort de manière suffisamment compréhensible du texte de la requête que la requérante invoque, en substance, une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce que la décision attaquée l’identifie erronément comme étant le bénéficiaire de la mesure en cause. Dans cette mesure, le premier moyen doit donc être déclaré recevable.

42      Il convient dès lors d’examiner si c’est à bon droit que la Commission a identifié la requérante comme étant la bénéficiaire de la mesure en cause dans la décision attaquée.

43      À cet égard, il convient tout d’abord de rappeler que, selon la jurisprudence, la notion d’aide d’État, telle qu’elle est définie dans le traité FUE, présente un caractère juridique et doit être interprétée sur la base d’éléments objectifs. Pour cette raison, le juge de l’Union doit, en principe et compte tenu tant des éléments concrets du litige qui lui est soumis que du caractère technique ou complexe des appréciations portées par la Commission, exercer un entier contrôle en ce qui concerne la question de savoir si une mesure entre dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 111 et jurisprudence citée).

44      En outre, selon la jurisprudence, la notion d’aide est plus générale que celle de subvention. Elle comprend non seulement des prestations positives, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, par-là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, C‑143/99, EU:C:2001:598, point 38 et jurisprudence citée).

45      Ainsi, afin d’apprécier si une mesure étatique constitue une aide, il convient notamment de déterminer si l’entreprise bénéficiaire reçoit un avantage qu’elle n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (voir arrêt du 22 mai 2019, Real Madrid Club de Fútbol/Commission, T‑791/16, EU:T:2019:346, point 40 et jurisprudence citée).

46      En l’espèce, il ressort du considérant 419 de la décision attaquée que l’article 1er de la loi de 2010 dispose que les actes et opérations visant à la privatisation du groupe Tirrenia sont exonérés de toute taxe normalement due sur ces actes et opérations.

47      La Commission a ainsi examiné, aux considérants 420 et suivants de la décision attaquée, dans quelle mesure les exonérations fiscales susmentionnées ont pu procurer un avantage à Siremar ou à la requérante. S’agissant des impôts indirects, la Commission a observé, au considérant 421 de la décision attaquée, que le contrat de cession prévoyait, à son article 9, que « les taxes et impôts relatifs au transfert de la branche d’entreprise ainsi que les frais de notaire y afférents ser[aie]nt à la charge de l’acquéreur ». En outre, le même contrat prévoyait que, aux fins de l’enregistrement de l’acte, l’acquéreur bénéficiait d’un droit d’enregistrement fixe, conformément aux dispositions fiscales prévues par la loi de 2010.

48      Dès lors, comme l’a constaté à juste titre la Commission au considérant 426 de la décision attaquée, la requérante a bénéficié d’un montant fixe pour l’enregistrement du contrat de vente, en application de la loi de 2010, tel que prévu par l’article 9 de ce contrat. Ainsi que les parties l’ont clarifié lors de l’audience, la mesure en cause a ainsi permis à la requérante de s’acquitter des droits d’enregistrement pour un montant fixe de 200 euros au lieu du montant indiqué au point 34 ci-dessus, qui aurait été dû normalement en l’absence de cette mesure.

49      Par conséquent, au regard de la jurisprudence citée aux points 43 à 45 ci-dessus, la requérante a bénéficié d’un allégement des charges qu’elle aurait normalement dû supporter, cet avantage étant égal à la différence entre le montant normalement dû pour l’enregistrement des actes en vertu du droit national et le montant effectivement payé.

50      Au demeurant, ainsi qu’il ressort du point 20 de la requête, la requérante ne conteste pas avoir payé un droit d’enregistrement par le versement d’un montant fixe, après confirmation reçue par l’administration fiscale italienne.

51      La requérante considère néanmoins qu’elle a été erronément identifiée comme étant la bénéficiaire de cette aide, dans la mesure où l’ensemble des avantages fiscaux prévus par la loi de 2010, parmi lesquels figure la mesure en cause, avaient pour objectif de favoriser la vente de la branche d’entreprise Siremar et sa privatisation, de sorte que cette dernière serait la bénéficiaire réelle de cette aide.

52      À cet égard, il convient toutefois de rappeler que, selon la jurisprudence, l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions visées, mais les définit en fonction de leurs effets (arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, EU:C:1974:71, point 27 ; du 30 juin 2016, Belgique/Commission, C‑270/15 P, EU:C:2016:489, point 40, et du 25 janvier 2022, Commission/European Food e.a., C‑638/19 P, EU:C:2022:50, point 122).

53      Dès lors, l’objectif poursuivi par l’État italien en l’espèce n’est pas pertinent aux fins de l’examen de l’existence d’une aide d’État en faveur de la requérante, examen qui doit être effectué uniquement sur le fondement des conditions objectives qui sont fixées à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

54      Enfin, la requérante fait valoir que, en l’absence de la mesure en cause, les offres pour la branche d’entreprise Siremar auraient été inférieures d’un montant correspondant au coût de cette mesure. Par cet argument, elle vise en substance à faire valoir que l’avantage dont elle aurait prétendument bénéficié aurait été entièrement répercuté sur Siremar, qui serait le vrai bénéficiaire de l’aide, dès lors que les offres pour la branche d’entreprise Siremar auraient intégré la valeur économique de cet avantage.

55      À cet égard, il convient cependant d’observer que, face à des arguments similaires, la Cour a déjà jugé que la récupération d’une aide d’État impliquait la restitution de l’avantage procuré par celle-ci à son bénéficiaire et non pas la restitution de l’éventuel bénéfice économique réalisé par celui-ci par l’exploitation de cet avantage. Un tel bénéfice peut ne pas être identique à l’avantage constituant ladite aide, voire s’avérer inexistant, sans que cette circonstance puisse justifier la non-récupération de cette même aide, ou la récupération d’une somme différente de celle constituant l’avantage procuré par l’aide illégale découlant de la mesure en cause (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990, point 92).

56      En outre, s’agissant, tout particulièrement, d’une aide octroyée sous la forme d’un avantage fiscal, il ressort également de la jurisprudence que la récupération de l’aide implique la soumission des opérations effectivement réalisées par les bénéficiaires de l’aide découlant de la mesure en cause au traitement fiscal qui, en l’absence de l’aide illégale, leur aurait été applicable (arrêt du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano, C‑148/04, EU:C:2005:774, point 119).

57      Enfin, selon la jurisprudence, la récupération d’une aide illégale en vue du rétablissement de la situation antérieure n’implique pas une reconstitution différente du passé en fonction d’éléments hypothétiques, tels que les choix, souvent multiples, qui auraient pu être faits par les opérateurs intéressés, d’autant plus que les choix effectivement opérés avec le bénéfice de l’aide peuvent s’avérer irréversibles (arrêt du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano, C‑148/04, EU:C:2005:774, point 118).

58      Partant, au vu de ce qui précède, le fait que, en l’espèce, la requérante a prétendument soumis une offre, pour l’achat de la branche d’entreprise Siremar, d’un montant supérieur à celle qu’elle aurait faite en l’absence de la mesure en cause, n’est pas susceptible de remettre en cause le constat, figurant au considérant 425 de la décision attaquée, selon lequel elle a bénéficié d’un avantage économique correspondant aux impôts normalement dus, en vertu du droit italien, pour ce type d’opérations. En effet, rien n’empêchait la requérante de faire une offre d’un montant inférieur, n’incluant pas le montant correspondant au bénéfice économique de la mesure en cause, ou de ne pas présenter d’offre du tout (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990, point 104).

59      Au demeurant, il convient de constater qu’il n’existe, dans l’état actuel de la jurisprudence, aucune obligation pour la Commission d’ordonner, même partiellement, la récupération d’une aide au niveau d’un éventuel bénéficiaire indirect (à savoir, en l’occurrence, Siremar), outre le bénéficiaire direct (à savoir, en l’occurence, la requérante), d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, ce bénéficiaire direct est une entreprise clairement identifiable, qui remplit l’ensemble des conditions prévues à l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, ordonnance du 17 mai 2019, Deutsche Lufthansa/Commission, T‑764/15, non publiée, EU:T:2019:349, point 106 et jurisprudence citée).

60      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme non fondé.

 Sur le second moyen, tiré d’un défaut de motivation et d’une analyse erronée de la compatibilité de l’aide au regard de l’article 106, paragraphe 2, TFUE

61      Par son second moyen, la requérante fait valoir, à titre subsidiaire, que la décision attaquée est entachée d’une « erreur manifeste d’interprétation et d’application de la réglementation européenne » ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation incombant à la Commission, dans la mesure où celle-ci a exclu la possibilité, sans effectuer aucune analyse à cet égard, que l’aide en sa faveur soit compatible avec la dérogation prévue pour les services d’intérêt économique général (SIEG) à l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

62      À cet égard, la requérante rappelle que l’article 106, paragraphe 2, TFUE introduit, à certaines conditions, une dérogation aux règles de concurrence en faveur des entreprises chargées de la gestion de SIEG. Toutefois, en l’espèce, la Commission aurait estimé qu’il n’y aurait pas eu lieu de procéder à une analyse de l’aide octroyée au regard de cette dérogation, dans la mesure où, selon elle, l’aide n’aurait pas été indissociablement liée au SIEG assuré par elle. Ce raisonnement serait, selon la requérante, contradictoire. En effet, la vente des actifs de la branche d’entreprise Siremar aurait été précisément limitée aux actifs consacrés à l’exécution des obligations de service public en vue d’assurer la continuité du service de transport maritime. Dès lors, la Commission aurait dû analyser la compatibilité de l’aide découlant de la mesure en cause avec la dérogation prévue à l’article 106, paragraphe 2, TFUE. Ce serait uniquement si la Commission avait admis que le bénéficiaire de l’aide était Siremar, et non pas elle, en vue de faciliter le processus de sa privatisation, que cette analyse aurait pu effectivement être omise.

63      Selon la requérante, une telle analyse aurait certainement conduit à une appréciation positive s’agissant de la compatibilité de l’aide avec la dérogation prévue à l’article 106, paragraphe 2, TFUE pour les SIEG, eu égard à la nature de SIEG des obligations de service public confiées à Siremar et, ensuite, à elle. Par conséquent, le défaut d’analyse de la compatibilité de la mesure d’aide accordée à la requérante au regard de cette dérogation constituerait une violation manifeste de la réglementation de l’Union en matière de protection des SIEG.

64      En outre, l’absence d’analyse relative à la compatibilité de la mesure d’aide au regard de la dérogation prévue dans le traité FUE pour les SIEG constituerait également une violation manifeste de l’obligation de motivation incombant à la Commission.

65      La requérante rappelle que, eu égard à la finalité de l’obligation de motivation, lorsqu’une institution de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation, elle doit faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement de son auteur, car c’est seulement ainsi que le juge de l’Union est en mesure de vérifier si les éléments de fait et de droit dont dépend l’exercice du pouvoir d’appréciation ont été réunis. En l’espèce, la requérante estime que, dans la mesure où la décision attaquée est dépourvue de toute analyse quant à la compatibilité de la mesure d’aide avec la dérogation prévue dans le traité FUE pour les SIEG, elle ne satisfait pas au « niveau d’information minimal » que la Commission était tenue d’assurer.

66      La Commission conteste ces arguments.

67      Il convient, à titre liminaire, d’examiner la fin de non-recevoir soulevée par la Commission au motif que la requérante n’aurait pas formellement visé, dans ses conclusions, l’article 3, paragraphe 4, de la décision attaquée, qui déclare l’aide découlant de la mesure en cause incompatible avec le marché intérieur.

68      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, premier alinéa, sous d), du règlement de procédure, toute requête doit contenir l’exposé sommaire des moyens invoqués et cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours. Il doit en aller de même pour toute conclusion, qui doit être assortie de moyens et d’arguments permettant, tant à la partie défenderesse qu’au juge, d’en apprécier le bien-fondé (arrêt du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T‑43/92, EU:T:1994:79, point 183 ; voir également, en ce sens, arrêt du 19 janvier 2017, Commission/Frieberger et Vallin, T‑232/16 P, non publié, EU:T:2017:15, point 34).

69      En l’espèce, la requérante a demandé dans ses conclusions en annulation à ce qu’il plaise au Tribunal d’« annuler partiellement la décision [attaquée], en tant que la Commission a considéré [qu’elle] était bénéficiaire d’une aide illégale découlant des exonérations fiscales prévues par la loi de 2010 et ordonné à l’État italien sa récupération ».

70      Certes, comme le fait valoir la Commission, la requérante n’a pas expressément visé, dans ses conclusions, l’article 3, paragraphe 4, de la décision attaquée, qui déclare l’aide découlant de la mesure en cause incompatible avec le marché intérieur. Il y a lieu de constater, toutefois, que cette demande ressort suffisamment clairement du second moyen d’annulation ainsi que des arguments développés au soutien de celui-ci et que la Commission a été en mesure de préparer sa défense à cet égard.

71      En outre, contrairement à ce que fait valoir la Commission, le second moyen est soulevé au soutien des conclusions formulées dans la requête, dans la mesure où, si l’aide découlant de la mesure en cause avait été déclarée compatible sur le fondement de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, la Commission n’aurait pas pu exiger la récupération de cette aide auprès de la requérante.

72      Partant, la fin de non-recevoir de la Commission doit être écartée et il convient d’examiner le second moyen.

73      En premier lieu, la requérante reproche à la Commission un défaut de motivation, dans la décision attaquée, en ce qui concerne l’examen de la comptabilité de l’aide découlant de la mesure en cause avec l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

74      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait ou de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée [arrêts du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, EU:C:2000:570, point 65 ; du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 198, et du 6 avril 2017, Saremar/Commission, T‑220/14, EU:T:2017:267, point 75 (non publié)].

75      Il convient également de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle, qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir arrêt du 13 décembre 2018, Stena Line Scandinavia/Commission, T‑631/15, non publié, EU:T:2018:944, point 50 et jurisprudence citée).

76      En l’espèce, il ressort du considérant 503 de la décision attaquée ce qui suit : 

« (…) Les exonérations fiscales liées à la vente de la branche d’entreprise Siremar constituent des mesures uniques liées à un transfert d’actifs qui s’inscrivait dans le processus plus large de réorganisation et de privatisation du groupe Tirrenia. Dès lors, la Commission considère que cette aide n’est pas liée de manière indissoluble au SIEG assuré par Siremar et, ultérieurement, par [la requérante] et qu’elle ne doit donc pas être appréciée sur la même base de compatibilité. En fait, ces exonérations ne concernent pas l’exploitation de services d’intérêt économique général, tels que définis dans la convention initiale ou dans la nouvelle convention. Il s’ensuit que les motifs de compatibilité visés à l’article 106, paragraphe 2, du TFUE ne peuvent pas être invoqués. »

77      Or, indépendamment du bien-fondé des motifs exposés, qui sera examiné ci-après, force est de constater que cette motivation permet à la requérante de comprendre pourquoi la Commission n’a pas examiné la compatibilité de l’aide découlant de la mesure en cause au regard de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, tout comme elle permet au Tribunal d’exercer son contrôle.

78      En second lieu, s’agissant du bien-fondé des motifs exposés, la requérante fait valoir que le refus d’examiner l’aide découlant de la mesure en cause au regard de l’article 106, paragraphe 2, TFUE est erroné et contradictoire, dans la mesure où la vente de la branche d’entreprise Siremar portait exclusivement sur les actifs consacrés à l’exécution des obligations de service public, en vue d’assurer la continuité du service de transport maritime.

79      Il convient de relever, toutefois, que le seul fait que la vente de la branche d’entreprise Siremar ait porté sur des actifs destinés à assurer la continuité du service maritime, qui constitue un SIEG, ne suffit pas pour considérer que tout avantage fiscal octroyé dans le cadre de cette transaction, telle que la mesure en cause, serait « nécessaire » pour le fonctionnement dudit SIEG, au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

80      En effet, comme le fait valoir à juste titre la Commission, la mesure en cause consiste en un avantage fiscal ponctuel, lié à la vente de la branche d’entreprise Siremar à la requérante, tandis que la prestation du SIEG a été effectuée quotidiennement sur une période de douze ans, d’abord par Siremar, puis par la requérante, et a donné lieu à des compensations importantes, qui ont d’ailleurs été déclarées compatibles avec le marché intérieur (voir considérants 489 et 490 de la décision attaquée).

81      En outre, il ne ressort d’aucun élément du dossier que la requérante aurait démontré, au cours de la procédure administrative ou dans le cadre du présent recours, que l’avantage fiscal résultant de la mesure en cause constituerait une compensation qui serait nécessaire pour l’accomplissement, par la requérante, du SIEG dont il est question. À cet égard, il convient notamment de rappeler, à l’instar de la Commission, que, selon le point 21 de sa communication relative à l’encadrement de l’Union européenne applicable aux aides d’État sous forme de compensation de service public (JO 2012, C 8, p. 15), « le montant de la compensation ne doit pas dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir le coût net de l’exécution des obligations de service public, compte tenu d’un bénéfice raisonnable ».

82      Or, en l’espèce, l’avantage fiscal relatif au versement d’un montant fixe au titre des droits d’enregistrement n’apparaît pas comme étant lié de manière indissociable au SIEG assuré par la requérante, ni comme étant nécessaire au fonctionnement dudit service. En effet, il ne ressort d’aucun élément du dossier que le SIEG n’aurait pas pu être assuré de la même manière en l’absence de cet avantage fiscal, c’est-à-dire si la requérante avait dû payer un montant ordinaire pour la transaction relative à la branche d’entreprise Siremar.

83      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que c’est à juste titre que la Commission a refusé d’examiner de manière plus approfondie la compatibilité de la mesure en cause sous l’angle de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

84      Il y a lieu, par conséquent, de rejeter le second moyen comme non fondé.

 Sur les conclusions en indemnité

85      Par ses conclusions en indemnité, la requérante fait valoir que la durée excessive et déraisonnable de la procédure formelle d’examen ouverte par la Commission, d’environ dix ans (du 5 octobre 2011 au 17 juin 2021), constitue une violation manifeste des principes de sécurité juridique et de bonne administration, ainsi que du règlement 2015/1589. Cela lui aurait causé d’importants dommages tant sur le plan économique que sur le plan de son image.

86      Elle rappelle que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union du fait des dommages causés par ses institutions est subordonné à la réunion de trois conditions, qui seraient remplies en l’espèce.

87      Premièrement, s’agissant de l’illégalité du comportement reproché à la Commission, la requérante estime qu’elle a commis des infractions graves au droit de l’Union, de nature à établir une violation suffisamment caractérisée au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. En particulier, une durée totale de dix ans serait en contradiction manifeste avec l’article 9, paragraphe 6, du règlement 2015/1589, qui établit que la Commission s’efforce autant que possible d’adopter une décision dans un délai de dix-huit mois à compter de l’ouverture de la procédure formelle d’examen. En outre, cette durée excessive et déraisonnable de la procédure formelle d’examen méconnaîtrait manifestement les principes de sécurité juridique et de bonne administration.

88      Deuxièmement, en ce qui concerne la réalité du dommage, la requérante fait valoir que, même si celui-ci ne peut pas encore être déterminé avec certitude, dans la mesure où il dépendra du montant de l’aide à restituer ainsi que du montant des intérêts de récupération, il s’agit néanmoins d’un dommage imminent et suffisamment prévisible. La requérante produit, au soutien de son argumentation, le document 2, dont il ressort que les autorités italiennes ont ordonné la récupération d’un montant de 1 652 800 euros, correspondant au montant de l’aide, augmenté de 78 713,75 euros au titre des intérêts échus entre le 18 avril 2016 et le 30 novembre 2021. En outre, elle demande réparation du préjudice moral qu’elle a subi, résultant de l’atteinte à son image et à sa réputation en raison de son implication dans la procédure formelle d’examen, qu’elle estime à un montant forfaitaire de 50 000 euros.

89      Troisièmement, le lien de causalité entre le comportement illégal de la Commission et le préjudice subi par la requérante serait évident, dès lors que, si la Commission s’était conformée au respect des dispositions et principes mentionnés ci-dessus ou s’était efforcée d’adopter une décision dans un délai de dix-huit mois à compter de l’ouverture de la procédure formelle d’examen, elle aurait pu éviter le préjudice subi par la requérante.

90      La Commission conteste ces arguments.

91      Selon une jurisprudence constante, il ressort de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE que l’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union et la mise en œuvre du droit à la réparation du préjudice subi dépendent de la réunion d’un ensemble de conditions en ce qui concerne l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêts du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, EU:C:1982:318, point 16 ; du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 106, et du 8 novembre 2011, Idromacchine e.a./Commission, T‑88/09, EU:T:2011:641, point 23).

92      La Cour a, de même, itérativement rappelé que ladite responsabilité ne saurait être tenue pour engagée sans que soient réunies toutes les conditions auxquelles se trouve ainsi subordonnée l’obligation de réparation définie à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE (voir arrêt du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 165 et jurisprudence citée).

93      Premièrement, s’agissant de la condition relative à l’illégalité du comportement reproché à la Commission, il convient tout d’abord de rappeler que, pour admettre qu’il est satisfait à cette condition, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 42 ; du 3 mars 2010, Artegodan/Commission, T‑429/05, EU:T:2010:60, point 52, et du 8 novembre 2011, Idromacchine e.a./Commission, T‑88/09, EU:T:2011:641, point 24).

94      Pour ce qui est de l’exigence selon laquelle la violation doit être suffisamment caractérisée, le critère décisif permettant de considérer qu’elle est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution ou l’organe de l’Union concerné, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ou cet organe ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit de l’Union peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (voir arrêt du 8 novembre 2011, Idromacchine e.a./Commission, T‑88/09, EU:T:2011:641, point 24 et jurisprudence citée).

95      La jurisprudence reconnaît ainsi le droit à la réparation des dommages qui résultent du comportement de l’institution lorsque celui-ci se traduit par un acte manifestement contraire à la règle de droit et gravement préjudiciable aux intérêts de tiers à l’institution et ne saurait trouver ni justification ni explication dans les contraintes particulières qui s’imposent objectivement au service dans un fonctionnement normal (arrêt du 11 juillet 2007, Schneider Electric/Commission, T‑351/03, EU:T:2007:212, point 124).

96      Tout d’abord, dans la mesure où la requérante invoque une violation du délai de dix-huit mois prévu à l’article 9, paragraphe 6, du règlement 2015/1589, il convient d’observer que cet article s’insère dans le chapitre 2 dudit règlement, qui concerne la procédure applicable aux aides notifiées. Or, la requérante ne conteste pas que la mesure en cause n’a pas été notifiée et constitue donc une aide illégale. À cet égard, l’article 15, paragraphe 2, du règlement 2015/1589 prévoit que, dans le cas d’une éventuelle aide illégale, la Commission n’est pas liée par les délais applicables en matière d’aides notifiées.

97      Aucune violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit de l’Union, par la Commission, ne saurait donc être constatée à cet égard.

98      Il convient de rappeler, cependant, que l’observation d’un délai raisonnable dans la conduite d’une procédure administrative constitue un principe général du droit de l’Union. En outre, l’exigence fondamentale de sécurité juridique, qui s’oppose à ce que la Commission puisse retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs, conduit le juge à examiner si le déroulement de la procédure administrative révèle l’existence d’une action excessivement tardive de la part de cette institution (voir arrêts du 15 juin 2005, Regione autonoma della Sardegna/Commission, T‑171/02, EU:T:2005:219, point 53 et jurisprudence citée, et du 22 avril 2016, Italie et Eurallumina/Commission, T‑60/06 RENV II et T‑62/06 RENV II, EU:T:2016:233, point 180 et jurisprudence citée).

99      Le caractère raisonnable du délai de la procédure doit être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire, telles que la complexité de celle-ci et le comportement des parties (voir arrêts du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, point 116 et jurisprudence citée, et du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C‑630/11 P à C‑633/11 P, EU:C:2013:387, point 82 et jurisprudence citée).

100    En l’espèce, il convient de constater que la procédure administrative a duré près de dix ans (d’octobre 2011, date d’adoption de la première décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, à juin 2021, date d’adoption de la décision attaquée), ce qui peut paraître à première vue excessif.

101    Il convient de rappeler néanmoins que, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 96 ci-dessus, le caractère raisonnable du délai de la procédure doit être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire.

102    À cet égard, tout d’abord, il convient de souligner la complexité factuelle et juridique de la procédure ayant précédé l’adoption de la décision attaquée, qui est mise en évidence par la longueur de ladite décision ainsi que par le grand nombre de mesures mises en œuvre par les autorités italiennes en faveur du groupe Tirrenia.

103    En effet, les aides découlant des différentes mesures examinées s’inscrivent dans un contexte particulier, dans la mesure où l’octroi de ces dernières au groupe Tirrenia a fait l’objet de plusieurs décisions de la Commission, outre la décision attaquée.

104    Premièrement, il ressort notamment du considérant 15 de la décision attaquée que, à la suite de l’adoption des décisions de 2011 et de 2012 ouvrant la procédure formelle d’examen, la Commission a tout d’abord adopté la décision (UE) 2018/261, du 22 janvier 2014, concernant les mesures d’aide SA.32014 (2011/C), SA.32015 (2011/C) et SA.32016 (2011/C) mises à exécution par la Regione Sardegna en faveur de Saremar (JO 2018, L 49, p. 22). Cette décision a été contestée devant le Tribunal, qui a rejeté le recours par arrêt du 6 avril 2017, Regione autonoma della Sardegna/Commission (T‑219/14, EU:T:2017:266).

105    Deuxièmement, toujours dans le même contexte, la Commission a adopté la décision (UE) 2020/1412, du 2 mars 2020, concernant les mesures d’aide SA.32014, SA.32015, SA.32016 (11/C) (ex 11/NN) mises à exécution par l’Italie en faveur de Tirrenia di Navigazione et de son acquéreur Compagnia Italiana di Navigazione (JO 2020, L 332, p. 45). Cette décision a également fait l’objet d’un recours devant le Tribunal, qui a été rejeté par arrêt du 18 mai 2022, Tirrenia di navigazione/Commission (T‑593/20, non publié, sous pourvoi, EU:T:2022:300).

106    Troisièmement, le 17 juin 2021, c’est-à-dire à la même date à laquelle la décision attaquée a été adoptée, la Commission a également adopté la décision portant sur les mesures d’aide mises en œuvre par la République italienne en faveur de Toremar.

107    Ainsi, il ressort du déroulement de la procédure d’examen, tel que rappelé aux considérants 1 à 21 de la décision attaquée et résumé aux points 10 à 14 ci-dessus, que la Commission a conclu une procédure relative à six mesures d’aide différentes et que, à cet égard, aucune période d’inactivité ne saurait être constatée de sa part quant à l’instruction de cette affaire, qui a nécessité de nombreuses demandes de renseignements et de clarification auprès des autorités italiennes. La requérante n’invoque, au demeurant, aucune période d’inactivité particulière ni aucun retard qui serait imputable à la Commission.

108    Par ailleurs, en cours de procédure, la Commission a dû étendre la procédure formelle d’examen à de nouvelles mesures et une nouvelle décision d’ouverture de ladite procédure a été adoptée, par laquelle les parties intéressées ont été invitées à présenter leurs observations (voir considérants 10 et 11 de la décision attaquée).

109    Ensuite, un rapport a dû être commandé par la Commission afin de déterminer la valeur de marché des actifs de Siremar, rapport qui a fait l’objet d’une contre-évaluation établie par les experts des autorités italiennes (voir considérant 13 de la décision attaquée).

110    Enfin, il ressort des considérants 16 à 18 de la décision attaquée que, en ce qui concerne Siremar, la Commission a demandé des informations ultérieures à l’Italie par lettres du 30 janvier 2012, du 16 mars 2012, du 1er août 2012, du 22 novembre 2012, du 12 avril 2013, du 12 juin 2013, du 27 juin 2013, du 11 juillet 2013, du 29 juillet 2014, du 6 novembre 2014, du 16 octobre 2015, du 25 janvier 2018, du 29 mars 2018, du 31 août 2018, du 18 mars 2019, du 16 octobre 2019, du 31 juillet 2020 et du 29 octobre 2020. La République italienne a répondu à ces demandes par courriers du 28 mars 2012, du 5 octobre 2012, du 23 octobre 2012, du 13 mai 2013, du 8 août 2013, du 19 septembre 2014, du 20 novembre 2014, du 12 décembre 2014, du 12 février 2015, du 13 novembre 2015, du 18 avril 2016, du 2 août 2017, du 26 avril 2018, du 31 mai 2018, du 29 mai 2019, du 26 juillet 2019, du 3 janvier 2020, du 24 janvier 2020, du 8 février 2021 et du 11 mars 2021. Par ailleurs, le 15 octobre 2014, les services de la Commission ont rencontré les représentants de Siremar et des autorités italiennes et, le 23 octobre 2014, les services de la Commission ont aussi rencontré les représentants de CdI et des autorités italiennes. À la suite de cette dernière réunion, le 30 octobre 2014, CdI a fourni des informations supplémentaires à la Commission.

111    Ainsi, il ne ressort nullement de la chronologie des événements telle que décrite ci-dessus que la Commission aurait retardé indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs. En particulier, aucune période d’inactivité de la Commission qui serait susceptible d’être préjudiciable aux intérêts de la requérante ne relève de cette chronologie, de sorte qu’il y a lieu de considérer que le déroulement de la procédure administrative n’a pas révélé l’existence d’une action excessivement tardive de la part de celle-ci au sens de la jurisprudence.

112    Dès lors, compte tenu de ces échanges de documents, du contexte dans lequel cette affaire s’inscrit ainsi que de la complexité de l’affaire en cause, il ne saurait être considéré que la clôture de la procédure par l’adoption de la décision attaquée ait été excessivement tardive.

113    Par conséquent, il y a lieu de constater que la Commission n’a nullement porté atteinte aux principes de bonne administration et de sécurité juridique et qu’elle n’a pas méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation, au sens de la jurisprudence (voir point 94 ci-dessus).

114    Au vu de ce qui précède, aucune illégalité ne saurait être reprochée à la Commission qui serait susceptible d’entraîner sa responsabilité.

115    La première condition pour établir la responsabilité extracontractuelle de l’Union faisant défaut, il n’y a pas lieu, en principe, d’examiner si les autres conditions sont également remplies, conformément à la jurisprudence citée au point 93 ci-dessus.

116    En tout état de cause, s’agissant de la condition relative à l’existence d’un lien de causalité entre l’illégalité et le préjudice allégués, il convient de relever que les conséquences éventuellement préjudiciables, pour la requérante, du montant prétendument élevé des intérêts à rembourser, du fait de la durée de la procédure administrative, résulte principalement du fait que les différentes mesures d’aide examinées ont été mises à exécution avant d’avoir été notifiées et, en tout cas, avant l’adoption, par la Commission, d’une décision finale approuvant lesdites mesures, en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

117    Partant, la requérante n’a, en tout état de cause, pas établi l’existence d’un lien de causalité suffisant entre l’illégalité dont elle se prévaut, qui consiste en la violation, par la Commission, de son obligation de statuer dans un délai raisonnable, et le préjudice qu’elle invoque.

118    Au vu de ce qui précède, il convient, dès lors, de rejeter les conclusions en indemnité comme étant non fondées ainsi que le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

119    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Società Navigazione Siciliana SCpA est condamnée aux dépens.

Svenningsen

Mac Eochaidh

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 janvier 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.