Language of document : ECLI:EU:T:2016:454

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

8 septembre 2016 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché des médicaments antidépresseurs contenant l’ingrédient pharmaceutique actif citalopram – Notion de restriction de la concurrence par objet – Concurrence potentielle – Médicaments génériques – Barrières à l’entrée sur le marché résultant de l’existence de brevets – Accords conclus entre le titulaire de brevets et une entreprise de médicaments génériques – Erreur de droit –Erreur d’appréciation – Droits de la défense – Amendes »

Dans l’affaire T‑469/13,

Generics (UK) Ltd, établie à Potters Bar (Royaume-Uni), représentée par Mes I. Vandenborre et T. Goetz, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par M. J. Bourke, Mmes F. Castilla Contreras et T. Vecchi, puis par Mmes Castilla Contreras, Vecchi, MM. B. Mongin et C. Vollrath, en qualité d’agents, assistés de Mme S. Kingston, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision de la Commission C (2013) 3803 final, du 19 juin 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226-Lundbeck), et une demande de réduction du montant de l’amende infligée à la requérante par cette décision,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz et A. Popescu, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 8 octobre 2015,

rend le présent

Arrêt

 Résumé des faits et antécédents du litige

I –  Sociétés en cause dans la présente affaire

1        H. Lundbeck A/S (ci-après « Lundbeck ») est une société de droit danois qui contrôle un groupe de sociétés spécialisé dans la recherche, le développement, la production, le marketing, la vente et la distribution de produits pharmaceutiques pour le traitement de pathologies affectant le système nerveux central, dont la dépression.

2        Lundbeck est un laboratoire de princeps, c’est-à-dire une entreprise qui concentre son activité dans la recherche de nouveaux médicaments et dans la commercialisation de ceux-ci.

3        Merck KGaA (ci-après « Merck ») est une société de droit allemand spécialisée dans le domaine pharmaceutique qui, au moment de la conclusion des accords concernés, détenait indirectement à 100 %, à travers le groupe Merck Generics Holding GmbH (ci-après « Merck Generics »), sa filiale Generics UK Limited (ci-après « GUK » ou la « requérante »), une société responsable du développement et de la commercialisation de produits pharmaceutiques génériques au Royaume-Uni. Merck et GUK ont été considérées par la Commission européenne comme constituant une seule entreprise au sens du droit de la concurrence au moment des faits [ci-après « Merck (GUK) »].

II –  Produit concerné et brevets concernant celui-ci

4        Le produit concerné par la présente affaire est le médicament antidépresseur contenant l’ingrédient pharmaceutique actif (ci-après l’« IPA ») citalopram.

5        En 1977, Lundbeck a déposé au Danemark une demande de brevet sur l’IPA citalopram ainsi que sur les deux procédés d’alkylation et de cyanation utilisés pour produire ledit IPA. Des brevets couvrant cet IPA et ces deux procédés (ci-après les « brevets originaires ») ont été délivrés au Danemark et dans plusieurs pays de l’Europe occidentale entre 1977 et 1985.

6        En ce qui concerne l’Espace économique européen (EEE), la protection découlant des brevets originaires ainsi que, le cas échéant, des certificats complémentaires de protection (CCP) prévus par le règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 182, p. 1), a expiré entre 1994 (pour l’Allemagne) et 2003 (pour l’Autriche). En particulier, s’agissant du Royaume-Uni, les brevets originaires ont expiré en janvier 2002.

7        Au fil du temps, Lundbeck a développé d’autres procédés plus efficaces pour produire du citalopram, pour lesquels elle a demandé, et souvent obtenu, des brevets dans plusieurs pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de l’Office européen des brevets (OEB).

8        Ainsi, le 13 mars 2000, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités danoises concernant un procédé de production du citalopram qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une cristallisation. Des demandes analogues ont été introduites auprès d’autres pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’OMPI et de l’OEB. Lundbeck a obtenu des brevets protégeant le procédé utilisant la cristallisation dans plusieurs États membres au cours de la première moitié de l’année 2002, notamment le 30 janvier 2002 en ce qui concerne le Royaume-Uni (ci-après le « brevet sur la cristallisation »). L’OEB a délivré un brevet sur la cristallisation le 4 septembre 2002.

9        Enfin, Lundbeck envisageait de lancer un nouveau médicament antidépresseur, le Cipralex, fondé sur l’IPA escitalopram (ou S‑citalopram), pour la fin de l’année 2002 ou le début de l’année 2003. Ce nouveau médicament visait les mêmes patients que ceux susceptibles d’être soignés par le médicament breveté Cipramil de Lundbeck, fondé sur l’IPA citalopram. L’IPA escitalopram était protégé par des brevets valables jusqu’en 2012, à tout le moins.

III –  Accords litigieux

10      Au cours de l’année 2002, Lundbeck a conclu six accords concernant le citalopram (ci-après les « accords en cause ») avec quatre entreprises actives dans la production ou dans la vente de médicaments génériques (ci-après les « entreprises de génériques »), dont Merck (GUK).

11      Le premier accord conclu entre Lundbeck et Merck (GUK) a pris effet le 24 janvier 2002, pour une durée d’un an, et couvrait uniquement le territoire du Royaume-Uni (ci-après l’« accord UK »). Cet accord a ensuite été prorogé pour une période de six mois se terminant le 31 juillet 2003. Puis, après une brève entrée de Merck (GUK) sur le marché du Royaume-Uni entre le 1er et le 4 août 2003, une seconde prorogation de l’accord a été signée par les parties le 6 août 2003, pour une durée maximale de six mois pouvant être écourtée en cas d’absence d’action en justice de Lundbeck contre d’autres entreprises de génériques qui tenteraient d’entrer sur le marché ou à l’issue du litige entre Lundbeck et Lagap Pharmaceuticals Ltd, une des autres entreprises de génériques (ci-après « Lagap » et le « litige Lagap »).

12      Il ressort des termes de l’accord UK ce qui suit :

–        il existe un risque que certaines actions envisagées par GUK concernant la commercialisation, la distribution et la vente du « Produit » puissent constituer une infraction aux droits de propriété intellectuelle de Lundbeck et qu’elles puissent donner lieu à des revendications de la part de celle-ci (point 2.1 de l’accord UK), ces « Produits » étant définis au point 1.1 de l’accord comme étant les « produits de citalopram développés par GUK sous forme de matière première, en vrac ou sous forme de comprimés tels que spécifiés en Annexe et manufacturés en conformité avec la spécification de produits telle que fournie par GUK à la date de signature, jointe en Annexe 2 » ;

–        Lundbeck paiera à GUK un montant de 2 millions de livres sterling (GBP), en échange de la livraison des « Produits », dans les quantités prévues par l’accord, à la date du 31 janvier 2002 (point 2.2 de l’accord UK) ;

–        GUK s’engage en outre, en échange d’un paiement supplémentaire de 1 million de GBP, à livrer les « Produits » tels que spécifiés dans l’annexe à la date du 2 avril 2002 (point 2.3 de l’accord UK) ;

–        les paiements effectués et la livraison des « Produits » par GUK en application des points 2.2 et 2.3 de l’accord constitueront une résolution complète et finale de toute revendication que Lundbeck pourrait avoir contre GUK pour avoir enfreint ses droits de propriété intellectuelle en ce qui concerne les « Produits » livrés par GUK jusqu’à cette date (point 2.4 de l’accord UK) ;

–        Lundbeck s’engage à vendre ses « Produits Finis » à GUK et GUK s’engage à acheter exclusivement ces « Produits Finis » auprès de Lundbeck pour revente par GUK et ses affiliés au Royaume-Uni pendant la durée et selon les termes de l’accord (point 3.2 de l’accord UK), ces « Produits Finis » étant définis au point 1.1 de l’accord comme étant les « produits contenant du citalopram sous forme de produits finis à fournir par [Lundbeck] à GUK conformément au présent accord » ;

–        Lundbeck s’engage à payer un montant de 5 millions de GBP de profits nets garantis à GUK, à condition que GUK lui commande le volume de « Produits Finis » convenu pendant la durée de l’accord (ou un montant moindre à calculer au prorata des commandes effectuées) (point 6.2 de l’accord UK).

13      La première prorogation de l’accord UK prévoyait notamment le paiement d’un montant de 400 000 GBP par mois pour l’exécution du point 6.2 de cet accord par GUK et modifiait la définition des « profits nets ».

14      La seconde prorogation de l’accord UK prévoyait notamment le paiement d’un montant de 750 000 GBP par mois pour l’exécution du point 6.2 de cet accord par GUK.

15      L’accord UK a expiré le 1er novembre 2003, à la suite du règlement à l’amiable du litige Lagap. Au total, pendant toute la durée de l’accord, Lundbeck a transféré l’équivalent de 19,4 millions d’euros à GUK.

16      Un second accord a été conclu entre Lundbeck et GUK le 22 octobre 2002, couvrant l’EEE à l’exception du Royaume-Uni (ci-après l’« accord pour l’EEE »). Cet accord prévoyait le paiement d’un montant de 12 millions d’euros, en échange duquel GUK s’engageait à ne pas vendre ni fournir de produits pharmaceutiques contenant du citalopram sur tout le territoire de l’EEE (à l’exception du Royaume-Uni) et à entreprendre tous les efforts raisonnables afin que Natco Pharma Ltd (ci-après « Natco »), le producteur du citalopram générique que Merck (GUK) avait l’intention de commercialiser (ci-après le « citalopram de Natco »), cesse de fournir le citalopram ou des produits contenant du citalopram dans l’EEE pendant la durée de l’accord (points 1.1 et 1.2 de l’accord pour l’EEE). Lundbeck s’engageait à ne pas intenter d’actions en justice contre GUK, à condition que celle-ci respecte ses obligations en vertu du point 1.1 de l’accord (point 1.3 de l’accord pour l’EEE).

17      L’accord pour l’EEE a expiré le 22 octobre 2003. Au total, Lundbeck a transféré l’équivalent de 12 millions d’euros à GUK en vertu de cet accord.

IV –  Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative

18      Au mois d’octobre 2003, la Commission a été informée par le Konkurrence- og Forbrugerstyrelsen (KFST, autorité de la concurrence et des consommateurs danoise) de l’existence des accords en cause.

19      Dès lors que la plupart de ces accords concernaient l’ensemble de l’EEE ou, en tout état de cause, d’autres États membres que le Danemark, il a été convenu que la Commission examinerait leur compatibilité avec le droit de la concurrence tandis que le KFST ne poursuivrait pas l’étude de cette question.

20      Entre 2003 et 2006, la Commission a effectué des inspections au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), auprès de Lundbeck et d’autres sociétés actives dans le secteur pharmaceutique. Elle a également envoyé à Lundbeck et à une autre société des demandes de renseignements au sens de l’article 18, paragraphe 2, dudit règlement.

21      Le 15 janvier 2008, la Commission a adopté la décision portant ouverture d’une enquête concernant le secteur pharmaceutique, conformément à l’article 17 du règlement n° 1/2003 (affaire COMP/D2/39514). L’article unique de cette décision précisait que l’enquête à mener concernerait l’introduction sur le marché de médicaments innovants et génériques à usage humain.

22      Le 8 juillet 2009, la Commission a adopté une communication ayant pour objet la synthèse de son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique. Cette communication comportait, dans une annexe technique, la version intégrale dudit rapport d’enquête, sous la forme d’un document de travail de la Commission, disponible uniquement en anglais.

23      Le 7 janvier 2010, la Commission a engagé la procédure formelle à l’égard de Lundbeck.

24      Au cours de l’année 2010 et du premier semestre de l’année 2011, la Commission a envoyé des demandes de renseignements à Lundbeck et, notamment, aux sociétés qui étaient parties aux accords en cause, dont la requérante.

25      Le 24 juillet 2012, la Commission a engagé une procédure à l’égard des sociétés qui étaient parties aux accords en cause et leur a envoyé une communication des griefs ainsi qu’à Lundbeck.

26      Tous les destinataires de cette communication qui en avaient fait la demande ont été entendus lors des auditions tenues les 14 et 15 mars 2013.

27      Le 12 avril 2013, la Commission a envoyé un exposé des faits aux destinataires de la communication des griefs.

28      Le conseiller auditeur a émis son rapport final le 17 juin 2013.

29      Le 19 juin 2013, la Commission a adopté la décision C (2013) 3803 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226-Lundbeck) (ci-après la « décision attaquée »).

V –  Décision attaquée

30      Par la décision attaquée, la Commission a considéré que l’accord UK et l’accord pour l’EEE (ci-après, pris ensemble, les « accords litigieux »), tout comme d’ailleurs les autres accords en cause, constituaient une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE (article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée). Les accords litigieux ont été considérés comme constituant une infraction unique et continue s’étendant du 24 janvier 2002 au 1er novembre 2003.

31      Ainsi qu’il résulte des résumés figurant aux considérants 824 et 874 de la décision attaquée, la Commission a fondé son appréciation, notamment, sur les éléments suivants :

–        au moment de la conclusion des accords litigieux, Lundbeck et Merck (GUK) étaient à tout le moins des concurrents potentiels au Royaume-Uni et dans l’EEE et des concurrents effectifs au Royaume-Uni avant la seconde prorogation de l’accord UK ;

–        Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit de Merck (GUK) en vertu des accords litigieux ;

–        ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par Merck (GUK) de limitations apportées à son entrée sur le marché contenues dans lesdits accords, en particulier à son engagement de ne pas vendre le citalopram de Natco ou tout autre citalopram générique au Royaume-Uni et dans l’EEE pendant la période concernée ;

–        ce transfert de valeur correspondait environ aux profits que Merck (GUK) espérait réaliser si elle était entrée avec succès sur le marché ;

–        Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations en invoquant ses brevets de procédé, étant donné que les obligations pesant sur Merck (GUK) en vertu des accords litigieux allaient au-delà des droits conférés aux titulaires de brevets de procédé ;

–        les accords litigieux ne prévoyaient aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre Merck (GUK) dans l’hypothèse où cette dernière serait entrée sur le marché avec du citalopram générique après l’expiration des accords litigieux.

32      La Commission a également imposé des amendes à toutes les parties aux accords en cause. À cette fin, elle a utilisé les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2). À l’égard de Lundbeck, la Commission a suivi la méthodologie générale décrite dans ces lignes directrices, fondée sur la valeur des ventes du produit concerné réalisées par chaque participant à une entente (considérants 1316 à 1358 de la décision attaquée). En revanche, s’agissant des autres parties aux accords en cause, à savoir les entreprises de génériques, elle a eu recours à la possibilité, prévue au paragraphe 37 desdites lignes directrices, de s’écarter de cette méthodologie, au vu des particularités de l’affaire à l’égard de ces parties (considérant 1359 de la décision attaquée).

33      Ainsi, s’agissant des parties aux accords en cause autres que Lundbeck, dont Merck (GUK), la Commission a considéré que, afin de déterminer le montant de base de l’amende et d’assurer un effet suffisamment dissuasif à celle-ci, il y avait lieu de tenir compte de la valeur des sommes que Lundbeck leur avait transférées en vertu des accords en cause, ce sans introduire de distinction entre les infractions selon la nature ou la portée géographique de celles-ci, ou en fonction des parts de marché des entreprises concernées, facteurs qui n’ont été abordés dans la décision attaquée que dans un souci d’exhaustivité (considérant 1361 de la décision attaquée). Afin de tenir compte des frais de distribution exposés par Merck (GUK), la Commission a néanmoins appliqué une réduction de 10 % au chiffre d’affaires de celle-ci (considérant 1373 de la décision attaquée).

34      Compte tenu de la durée totale de l’enquête, la Commission a réduit de 10 % les montants des amendes imposées à tous les destinataires de la décision attaquée (considérants 1349 et 1380 de la décision attaquée).

35      Au vu de la scission intervenue entre Merck et GUK en 2007, la Commission a appliqué le plafond de 10 % du chiffre d’affaires prévu à l’article 23, second alinéa, du règlement n° 1/2003 séparément à Merck et à GUK (considérant 1382 de la décision attaquée).

36      Sur la base de ces considérations, la Commission a infligé une amende d’un montant de 21 411 000 euros à Merck, dont 7 766 843 euros solidairement avec GUK (article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

37      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 août 2013, la requérante a introduit le présent recours.

38      La phase écrite de la procédure a été clôturée le 18 juillet 2014.

39      À la suite de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, Rec, EU:C:2014:2204), la requérante a demandé à pouvoir soumettre des observations supplémentaires concernant les conséquences à tirer de cet arrêt pour la présente affaire. Cette demande a été acceptée par le Tribunal, qui a dès lors invité les parties à formuler par écrit leurs observations sur les éventuelles conséquences à tirer de cet arrêt, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991.

40      Les parties ont répondu à cette demande dans le délai imparti.

41      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 de son règlement de procédure, a invité la requérante à produire un document et a posé des questions aux parties pour réponse écrite.

42      Les parties ont déféré à ces mesures dans le délai imparti.

43      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 8 octobre 2015.

44      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler en totalité ou en partie la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’amende infligée ou en réduire le montant de façon substantielle ;

–        condamner la Commission aux dépens.

45      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

46      La requérante soulève sept moyens à l’appui de son recours. Les quatre premiers moyens sont tirés, en substance, d’erreurs de droit et d’appréciation concernant, d’une part, l’interprétation de la notion de restriction par objet découlant de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et son application aux accords litigieux (premier, deuxième et troisième moyens) et, d’autre part, la conclusion selon laquelle GUK et Lundbeck étaient des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux (quatrième moyen). Les autres moyens sont tirés, en substance, d’une violation de l’article 101, paragraphe 3, TFUE (cinquième moyen), d’une violation des droits de la défense de la requérante (sixième moyen) et d’une demande d’annulation ou de réduction du montant de l’amende qui lui a été imposée (septième moyen).

47      Il convient d’examiner, en premier lieu, le quatrième moyen, puis, en deuxième lieu, les premier, deuxième et troisième moyens pris conjointement et, enfin, les autres moyens de la requérante.

I –  Sur le quatrième moyen, tiré, en substance, de ce que la Commission a conclu à tort dans la décision attaquée que Lundbeck et Merck (GUK) étaient des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux

48      La requérante considère que la Commission a conclu à tort que Merck (GUK) avait la capacité de lancer effectivement le citalopram générique sur le marché et que ce lancement correspondait à une stratégie économiquement viable afin d’établir que Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux. Selon elle, l’analyse de la Commission repose sur une appréciation incomplète des faits pertinents et sur une application erronée de la jurisprudence existante.

49      Elle fait valoir que, avant d’obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) au sens de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), aucune entreprise de génériques n’est en droit de lancer son produit, ce qui implique qu’elle n’a pas la capacité d’entrer sur le marché au sens de la jurisprudence pertinente. En outre, les faits de l’espèce se distingueraient de ceux en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 juillet 2004, Dalmine/Commission (T‑50/00, Rec, EU:T:2004:220), cité par la Commission à l’appui de son affirmation selon laquelle l’absence d’AMM ne signifie pas que le produit ne peut pas être commercialisé dans un avenir proche.

50      Au vu de l’absence d’AMM dans un certain nombre d’États membres de l’EEE, la requérante estime que la Commission ne pouvait pas conclure que Merck (GUK) avait commis une infraction dans tout l’EEE sans examiner le fait que, en l’absence des règlements amiables, il aurait existé une possibilité réelle et concrète d’entrer sur chacun de ces marchés et que cette entrée aurait correspondu à une stratégie économiquement viable. La Commission aurait donc également commis une erreur de droit en concluant que, aux fins de la constatation d’une restriction par objet, l’étendue géographique et la durée de l’infraction étaient définies par l’objet de l’accord et non par la date à laquelle l’entreprise avait la capacité d’entrer sur le marché.

51      En outre, la Commission n’aurait pas tenu compte de l’avalanche de brevets de procédé mis en place par Lundbeck. Elle semblerait présumer, au contraire, qu’en l’absence des règlements amiables, Merck (GUK) aurait été en mesure de procéder immédiatement au lancement de ses génériques, ce qui ne correspondrait pas à la réalité. Par ailleurs, la Commission aurait commis une erreur en omettant de déterminer si Merck (GUK) aurait pu effectivement recourir à certains moyens permettant de pénétrer le marché, identifiés au considérant 635 de la décision attaquée. En particulier, ce serait à tort que la Commission aurait supposé que Merck (GUK) aurait pu se procurer un citalopram générique prétendument non contrefaisant auprès d’une autre source que Natco dans un délai raisonnable. De même, la Commission n’aurait pas tenu compte des éléments de preuve concernant les risques, l’incertitude, la durée et les coûts importants associés au contentieux en matière de brevets, ni des risques de devoir payer des dommages-intérêts très élevés en cas d’entrée à risque.

52      La Commission conteste ces arguments.

53      Avant d’examiner les arguments de la requérante, il convient d’effectuer un bref rappel de la jurisprudence pertinente ainsi que de l’approche retenue par la Commission dans la décision attaquée s’agissant de la concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck.

A –  Analyse relative à la concurrence potentielle dans la décision attaquée

54      Aux considérants 615 à 620 de la décision attaquée, la Commission s’est penchée sur les caractéristiques particulières du secteur pharmaceutique et a distingué deux phases au cours desquelles la concurrence potentielle pouvait s’exprimer dans ce secteur.

55      La première phase peut commencer plusieurs années avant l’expiration du brevet sur un IPA, lorsque les producteurs de génériques qui souhaitent lancer une version générique du médicament concerné commencent à développer des procédés de production viables débouchant sur un produit qui répond aux exigences réglementaires. Ensuite, dans une seconde phase, afin de préparer son entrée effective sur le marché, il faut qu’une entreprise de génériques obtienne une AMM en application de la directive 2001/83, qu’elle se procure des comprimés auprès d’un ou de plusieurs producteurs de génériques ou les produise elle-même, qu’elle trouve des distributeurs ou mette en place son propre réseau de distribution, c’est-à-dire qu’elle fasse une série de démarches préliminaires, sans lesquelles il n’y aurait jamais de concurrence effective sur le marché.

56      L’expiration prochaine du brevet sur un IPA génère donc un processus concurrentiel dynamique, au cours duquel les différentes entreprises de génériques rivalisent pour être les premières à entrer sur le marché. En effet, la première entreprise de génériques qui parvient à entrer sur le marché peut générer des profits importants, avant que la concurrence ne s’intensifie et que les prix ne chutent drastiquement. C’est pourquoi les entreprises de génériques sont prêtes à effectuer des investissements considérables et à prendre des risques importants afin d’être les premières à entrer sur le marché du produit concerné dès que le brevet sur l’IPA concerné arrive à expiration.

57      Dans le cadre de ces deux phases de concurrence potentielle, les entreprises de génériques font souvent face à des questions de droit des brevets et de propriété intellectuelle. Néanmoins, elles trouvent en général un moyen pour éviter toute infraction à des brevets existants, tels que des brevets de procédé. Elles disposent en effet de plusieurs options à cet égard, telles que la possibilité de demander une déclaration de non-contrefaçon ou de « lever les obstacles » en informant le laboratoire de princeps de leur intention d’entrer sur le marché. Elles peuvent également lancer leurs produits « à risque », en se défendant contre de potentielles allégations de contrefaçon ou en présentant une demande reconventionnelle afin de mettre en cause la validité des brevets invoqués au soutien d’une action en contrefaçon. Enfin, elles peuvent aussi collaborer avec leur fournisseur d’IPA afin de modifier le procédé de production ou de réduire les risques de contrefaçon ou encore se tourner vers un autre producteur d’IPA afin d’éviter un tel risque.

58      Aux considérants 621 à 623 de la décision attaquée, la Commission a rappelé que, dans le cas d’espèce, les brevets originaires de Lundbeck avaient expiré en janvier 2002 dans la plupart des pays de l’EEE. Cela avait généré un processus concurrentiel dynamique, dans lequel plusieurs entreprises de génériques avaient accompli des démarches afin d’être les premières à entrer sur le marché. Lundbeck a perçu cette menace dès décembre 1999, lorsqu’elle a écrit dans son plan stratégique pour l’année 2000 que, « d’ici 2002, il [était] probable que les génériques aur[aie]nt capturé une part de marché substantielle des ventes de Cipramil ». De même, en décembre 2001, Lundbeck a écrit dans son plan stratégique pour l’année 2002 qu’elle s’attendait à ce que le marché du Royaume-Uni en particulier fût sévèrement frappé par la concurrence des génériques. Eu égard à ces éléments, la Commission a conclu que les entreprises de génériques exerçaient une pression concurrentielle sur Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux.

59      En outre, aux considérants 624 à 633 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le fait de contester des brevets était une expression de la concurrence potentielle dans le secteur pharmaceutique. Elle a rappelé, à cet égard, que, dans l’EEE, les entreprises de génériques n’étaient pas tenues de démontrer que leurs produits ne violaient aucun brevet pour pouvoir obtenir une AMM ou pour commencer à commercialiser ceux-ci. C’est au laboratoire de princeps qu’il appartient de prouver que ces produits violent, au moins à première vue, l’un de ses brevets, pour qu’une juridiction puisse enjoindre à l’entreprise de génériques concernée de ne plus vendre ses produits sur le marché. Or, en l’espèce, la Commission a considéré, en se fondant notamment sur les évaluations des parties aux accords litigieux, que le brevet sur la cristallisation, sur lequel Lundbeck se fondait essentiellement afin de bloquer l’entrée sur le marché des génériques au Royaume-Uni, avait jusqu’à 60 % de chances d’être invalidé par une juridiction et qu’il était perçu par les entreprises de génériques comme peu innovant. Dans de telles circonstances, la Commission a estimé que le fait pour les entreprises de génériques d’entrer « à risque » sur le marché et de devoir éventuellement faire face à des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck constituait l’expression d’une concurrence potentielle.

60      Dès lors, la Commission a conclu que les brevets de procédé de Lundbeck ne permettaient pas de bloquer toutes les possibilités ouvertes aux entreprises de génériques d’entrer sur le marché. Au considérant 635 de la décision attaquée, elle a identifié huit voies d’accès possibles au marché en l’espèce :

–        premièrement, le fait de lancer le produit « à risque » en faisant face à d’éventuelles actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ;

–        deuxièmement, le fait de faire des efforts pour « lever les obstacles » avec le laboratoire de princeps, avant d’entrer sur le marché, en particulier au Royaume-Uni ;

–        troisièmement, le fait de demander une déclaration de non-contrefaçon devant une juridiction nationale, avant d’entrer sur le marché ;

–        quatrièmement, le fait de faire valoir l’invalidité d’un brevet devant une juridiction nationale, dans le cadre d’une demande reconventionnelle faisant suite à une action en contrefaçon de la part du laboratoire de princeps ;

–        cinquièmement, le fait de contester un brevet devant les autorités nationales compétentes ou devant l’OEB, en demandant de révoquer ou de limiter ce brevet ;

–        sixièmement, le fait de collaborer avec le producteur d’IPA actuel ou son intermédiaire – dans le cas de Merck (GUK), Schweizerhall Pharma International GmbH (ci-après « Schweizerhall ») – afin de modifier le procédé du producteur d’IPA de façon à éliminer ou à réduire le risque de contrefaçon des brevets de procédé de Lundbeck ;

–        septièmement, le fait de se tourner vers un autre producteur d’IPA dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement existant ;

–        huitièmement, le fait de se tourner vers un autre producteur d’IPA, en dehors d’un contrat d’approvisionnement existant, soit parce que ledit contrat l’autorisait, soit, potentiellement, parce qu’un contrat d’approvisionnement exclusif pourrait être invalidé si l’IPA était déclaré comme contrefaisant les brevets de procédé de Lundbeck.

61      En ce qui concerne, en particulier, l’examen de la relation de concurrence existant entre Lundbeck et Merck (GUK) au moment de la conclusion des accords litigieux, la Commission a distingué, dans la décision attaquée, la situation prévalant au Royaume-Uni et la situation prévalant dans l’EEE.

1.     Situation au Royaume-Uni

62      S’agissant de la situation concurrentielle au Royaume-Uni, la Commission a considéré que, pendant la période précédant le 24 janvier 2002, date de signature de l’accord UK, Lundbeck était la seule entreprise vendant du citalopram au Royaume-Uni. Le 5 janvier 2002, les brevets originaires de Lundbeck arrivaient à expiration au Royaume-Uni. À partir de cette date, le marché du citalopram au Royaume-Uni était donc en principe ouvert aux produits génériques contenant du citalopram, à condition que ceux-ci respectent les obligations légales en matière de qualité, de sécurité et d’efficacité, telles que confirmées par une AMM. La Commission a estimé, dès lors, que les entreprises fabriquant ou ayant l’intention de vendre des produits génériques contenant du citalopram au Royaume-Uni, ayant des perspectives réalistes de se voir fournir du citalopram générique et d’obtenir une AMM dans un futur proche, pouvaient être considérées comme des concurrents potentiels de Lundbeck. L’entrée sur le marché des génériques, en particulier par plusieurs entreprises de génériques simultanément, aurait plus que probablement généré un intense processus de concurrence par les prix qui aurait réduit le prix du citalopram de manière rapide et abrupte (considérant 738 de la décision attaquée).

63      Merck (GUK), après avoir informé Lundbeck de son intention d’entrer sur le marché du citalopram, était la première entreprise de génériques à obtenir une AMM pour le marché du Royaume-Uni, le 9 janvier 2002. Durant cette période, Merck (GUK) avait accumulé un stock de 8 millions de tablettes de citalopram produites par Natco et prêtes à être vendues au Royaume-Uni (considérant 741 de la décision attaquée).

64      À la suite de l’accord UK, signé avec Lundbeck le 24 janvier 2002, Merck (GUK) s’est abstenue de lancer le citalopram générique sur le marché jusqu’à la fin de la durée de l’accord, initialement prévue pour juillet 2003. Néanmoins, entre le 1er et le 4 août 2003, avant que l’accord soit prorogé une seconde fois le 6 août 2003, Merck (GUK) a effectivement vendu du citalopram générique au Royaume-Uni pour une valeur de 3,3 millions de GBP (considérant 742 de la décision attaquée).

65      La Commission a conclu, au considérant 743 de la décision attaquée, que ces faits démontraient de manière suffisante que Merck (GUK) avait des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché du citalopram au Royaume-Uni au moment de signer les accords litigieux. De plus, le fait que Merck (GUK) soit entrée brièvement sur le marché en août 2003 démontrerait suffisamment que Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels au moment de signer les accords litigieux en janvier 2002. Par ailleurs, le fait même que Lundbeck ait consenti à effectuer un transfert de valeur important vers Merck (GUK) en vertu de ces accords démontrerait que Lundbeck percevait Merck (GUK) comme un concurrent potentiel, dont l’entrée sur le marché était plausible et qui constituait une menace envers sa position sur le marché du citalopram au moment de la signature des accords litigieux.

2.     Situation dans l’EEE

66      En ce qui concerne la situation concurrentielle dans l’EEE, la Commission a exposé, aux considérants 827 et suivants de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle avait estimé que Merck (GUK) pouvait être considérée comme un concurrent potentiel de Lundbeck dans la plupart des États de l’EEE. Le 15 mai 2001, Merck (GUK) avait conclu un accord d’approvisionnement exclusif portant sur le citalopram générique produit par Natco avec Schweizerhall (ci-après l’« accord Schweizerhall »). Cet accord faisait de Schweizerhall le distributeur privilégié de Natco pour une série d’États de l’EEE (à savoir la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Finlande, la Suède et la Norvège) et de Merck (GUK) le « client privilégié » de celle-ci, en ce sens que Merck (GUK) couvrirait en principe la totalité de ses besoins annuels en citalopram générique auprès de Schweizerhall et que ces besoins seraient traités prioritairement (considérant 235 de la décision attaquée).

67      En mai 2002, NM Pharma, le distributeur de Merck (GUK) pour la Suède, a obtenu une AMM et est entré sur le marché suédois. NM Pharma avait un important réseau de distribution en Norvège et comptait utiliser son AMM suédoise pour obtenir des AMM en Belgique, au Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas, en Finlande et en Norvège, par le biais de la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par la directive 2001/83. Merck (GUK) entendait, de son côté, obtenir des AMM similaires pour l’Allemagne, l’Irlande, la Grèce, la France, l’Italie, l’Autriche et le Portugal, en utilisant son AMM obtenue au Royaume-Uni (considérants 829 et 830 de la décision attaquée). En outre, la Commission s’est fondée sur le point D du préambule de l’accord pour l’EEE, qui reconnaît le rôle de concurrent potentiel de Merck (GUK) sur le territoire de l’EEE (considérant 831 de la décision attaquée).

68      C’est sur ces éléments que la Commission a fondé sa conclusion selon laquelle Merck (GUK) et Lundbeck étaient à tout le moins des concurrents potentiels au moment de signer l’accord pour l’EEE en octobre 2002. Merck (GUK) aurait même été un concurrent effectif de Lundbeck en Suède pendant les quelques mois précédant la signature de l’accord, par le biais de son distributeur NM Pharma. Par ailleurs, le fait même que Lundbeck ait consenti à effectuer un transfert de valeur important vers Merck (GUK) en vertu de cet accord démontrerait suffisamment que Lundbeck percevait Merck (GUK) comme un concurrent potentiel, dont l’entrée sur le marché était plausible et qui constituait une menace envers sa position sur le marché du citalopram au moment de la signature de l’accord pour l’EEE (considérant 832 de la décision attaquée).

B –  Principes et jurisprudence applicables

1.     Sur la notion de concurrence potentielle

69      Il convient de relever, tout d’abord, que l’article 101, paragraphe 1, TFUE est uniquement applicable dans les secteurs ouverts à la concurrence, eu égard aux conditions énoncées par ce texte relatives à l’affectation des échanges entre les États membres et aux répercussions sur la concurrence (voir arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, Rec, EU:T:2012:332, point 84 et jurisprudence citée).

70      Selon la jurisprudence, l’examen des conditions de concurrence sur un marché donné repose non seulement sur la concurrence actuelle que se font les entreprises déjà présentes sur le marché en cause, mais aussi sur la concurrence potentielle, afin de savoir si, compte tenu de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles, ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies (arrêts du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec, EU:T:1998:198, point 137 ; du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, Rec, EU:T:2011:181, point 68, et E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 69 supra, EU:T:2012:332, point 85).

71      Afin de vérifier si une entreprise constitue un concurrent potentiel sur un marché, la Commission se doit de vérifier si, en l’absence de la conclusion de l’accord qu’elle examine, auraient existé des possibilités réelles et concrètes que celle-ci intégrât ledit marché et concurrençât les entreprises qui y étaient établies. Une telle démonstration ne doit pas reposer sur une simple hypothèse, mais doit être étayée par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent. Ainsi, une entreprise ne saurait être qualifiée de concurrent potentiel si son entrée sur le marché ne correspond pas à une stratégie économique viable (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 69 supra, EU:T:2012:332, point 86 et jurisprudence citée).

72      Il en découle nécessairement que, si l’intention d’une entreprise d’intégrer un marché est éventuellement pertinente aux fins de vérifier si elle peut être considérée comme un concurrent potentiel sur ledit marché, l’élément essentiel sur lequel doit reposer une telle qualification est cependant constitué par sa capacité à intégrer ledit marché (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 69 supra, EU:T:2012:332, point 87 et jurisprudence citée).

73      Il convient, à cet égard, de rappeler qu’une restriction de la concurrence potentielle, que peut constituer la seule existence d’une entreprise extérieure au marché, ne saurait être conditionnée à la démonstration de l’intention de cette entreprise d’intégrer à brève échéance ledit marché. En effet, de par sa seule existence, celle-ci peut être à l’origine d’une pression concurrentielle sur les entreprises opérant alors sur ce marché, pression constituée par le risque de l’entrée d’un nouveau concurrent en cas d’évolution de l’attractivité du marché (arrêt Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 70 supra, EU:T:2011:181, point 169).

74      Par ailleurs, la jurisprudence a également précisé que le fait même qu’une entreprise déjà présente sur un marché cherchât à conclure des accords ou à mettre en place des mécanismes d’échanges d’informations avec d’autres entreprises qui n’étaient pas présentes sur ce marché constituait un indice sérieux du fait que celui-ci n’était pas impénétrable (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission, T‑112/07, Rec, EU:T:2011:342, point 226, et du 21 mai 2014, Toshiba/Commission, T‑519/09, EU:T:2014:263, point 231).

75      S’il résulte de cette jurisprudence que la Commission peut se fonder notamment sur la perception de l’entreprise présente sur le marché afin d’apprécier si d’autres entreprises sont des concurrents potentiels de celle-ci, il n’en reste pas moins que la possibilité purement théorique d’une entrée sur le marché n’est pas suffisante pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle. La Commission doit donc démontrer, par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent, que l’entrée sur le marché aurait pu s’effectuer suffisamment rapidement pour que la menace d’une entrée potentielle pesât sur le comportement des participants au marché moyennant des coûts qui auraient été économiquement supportables (voir, en ce sens, arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 69 supra, EU:T:2012:332, points 106 et 114).

2.     Sur la charge de la preuve

76      La jurisprudence prévoit, tout comme l’article 2 du règlement n° 1/2003, que c’est à la partie ou à l’autorité qui allègue une violation des règles de la concurrence qu’il incombe d’en apporter la preuve. Ainsi, en cas de litige sur l’existence d’une infraction, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (voir arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission, T‑442/08, Rec, EU:T:2013:188, point 91 et jurisprudence citée).

77      Dans ce contexte, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende (voir arrêt CISAC/Commission, point 76 supra, EU:T:2013:188, point 92 et jurisprudence citée).

78      En effet, il est nécessaire de tenir compte de la présomption d’innocence, telle qu’elle résulte notamment de l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui peuvent s’y rattacher, la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à l’imposition d’amendes ou d’astreintes (voir, en ce sens, arrêt CISAC/Commission, point 76 supra, EU:T:2013:188, point 93 et jurisprudence citée).

79      En outre, il convient de tenir compte de l’atteinte non négligeable à la réputation que représente, pour une personne physique ou morale, la constatation qu’elle a été impliquée dans une infraction aux règles de concurrence (voir arrêt CISAC/Commission, point 76 supra, EU:T:2013:188, point 95 et jurisprudence citée).

80      Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction et pour fonder la ferme conviction que les infractions alléguées constituent des restrictions de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir arrêt CISAC/Commission, point 76 supra, EU:T:2013:188, point 96 et jurisprudence citée).

81      Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir arrêt CISAC/Commission, point 76 supra, EU:T:2013:188, point 97 et jurisprudence citée).

82      Enfin, il y a lieu de relever que, lorsque la Commission établit qu’une entreprise a participé à une mesure anticoncurrentielle, il incombe à cette entreprise de fournir, en recourant non seulement à des documents non divulgués, mais également à tous les moyens dont elle dispose, une explication différente de son comportement (voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec, EU:C:2004:6, points 79 et 132).

83      Néanmoins, lorsque la Commission dispose de preuves documentaires d’une pratique anticoncurrentielle, les entreprises concernées ne peuvent pas se limiter à faire valoir des circonstances donnant un éclairage différent aux faits établis par la Commission et permettant ainsi de substituer une autre explication des faits à celle retenue par celle-ci. En effet, en présence de preuves documentaires, il incombe auxdites entreprises non pas simplement de présenter une prétendue autre explication des faits constatés par la Commission, mais bien de contester l’existence de ces faits établis au vu des pièces produites par la Commission (voir, en ce sens, arrêt CISAC/Commission, point 76 supra, EU:T:2013:188, points 99 et 102 et jurisprudence citée).

3.     Sur la portée du contrôle exercé par le Tribunal

84      Il y a lieu de rappeler que l’article 263 TFUE implique que le juge de l’Union européenne exerce un contrôle, tant en droit qu’en fait, des arguments invoqués par la partie requérante à l’encontre de la décision attaquée et qu’il ait le pouvoir d’apprécier les preuves et d’annuler ladite décision. Dès lors, si, dans les domaines donnant lieu à des appréciations économiques complexes, la Commission dispose d’une marge d’appréciation, cela n’implique pas que le juge de l’Union doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit, notamment, non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, Rec, EU:C:2014:2062, points 53 et 54 et jurisprudence citée).

C –  Sur la concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck

85      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les arguments de la requérante concernant l’absence de concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux.

86      À titre liminaire, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait méconnu la jurisprudence pertinente aux fins d’apprécier l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck.

87      En effet, il ressort clairement des considérants 610 et 611 de la décision attaquée notamment que, afin d’établir l’existence d’une concurrence potentielle en l’espèce, la Commission s’est fondée sur la jurisprudence dégagée par les arrêts European Night Services e.a./Commission, point 70 supra (EU:T:1998:198), et Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 70 supra (EU:T:2011:181), selon laquelle il convient d’examiner si, compte tenu de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies.

88      La Commission a également rappelé, à juste titre, au considérant 612 de la décision attaquée, que l’élément essentiel à cet égard était la nécessité que l’entrée sur le marché potentielle puisse se faire suffisamment rapidement aux fins de peser sur les participants au marché (arrêt Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 70 supra, EU:T:2011:181, point 189).

89      Ensuite, il y a lieu de confirmer l’approche de la Commission, telle qu’elle ressort de l’ensemble de la décision attaquée, qui consiste à tenir compte principalement des éléments de preuve antérieurs ou contemporains à la date à laquelle les accords litigieux ont été conclus (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2014, Esso e.a./Commission, T‑540/08, Rec, EU:T:2014:630, point 75 et jurisprudence citée). En effet, d’une part, la Commission ne peut pas reconstituer le passé en imaginant les évènements qui se seraient produits et qui ne se sont précisément pas produits en raison de ces accords. D’autre part, les parties à ces accords ont désormais tout intérêt à faire valoir des arguments tendant à démontrer qu’elles n’avaient aucune perspective réaliste d’entrer sur le marché ou qu’elles pensaient que leurs produits violaient l’un ou l’autre brevet de Lundbeck. C’est néanmoins uniquement sur la base des informations dont elles disposaient à l’époque et de leur perception du marché à ce moment-là qu’elles ont décidé d’adopter une ligne de conduite et de conclure les accords litigieux.

90      C’est sans commettre d’erreur, dès lors, que la Commission a évalué la situation concurrentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck telle qu’elle existait au moment où ces accords ont été conclus, étant précisé que des éléments de preuve postérieurs peuvent toujours également être pris en compte pour autant qu’ils permettent de mieux établir quelle était la position de ces entreprises à l’époque, de confirmer ou d’infirmer les thèses de celles-ci à cet égard ainsi que de mieux comprendre le fonctionnement du marché concerné. En tout état de cause, ces éléments ne sauraient être décisifs aux fins de l’examen de l’existence d’une concurrence potentielle entre les parties à l’accord litigieux.

91      Premièrement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel aucune entreprise de génériques n’avait la capacité d’entrer sur le marché avant d’obtenir une AMM, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que cet argument tend à méconnaître la distinction existant entre concurrence réelle et concurrence potentielle.

92      En effet, l’article 101 TFUE protège non seulement la concurrence actuelle mais également la concurrence potentielle que se livrent les entreprises (point 70 ci-dessus).

93      Or, ainsi que la Commission l’a constaté aux considérants 615 à 620 de la décision attaquée (points 54 et 55 ci-dessus), la concurrence potentielle démarre bien avant l’entrée effective des entreprises de génériques sur le marché, notamment par les efforts de celles-ci visant à obtenir les AMM nécessaires ainsi que par l’accomplissement de toutes les démarches administratives et commerciales indispensables pour préparer l’entrée sur le marché. Cette concurrence potentielle doit être protégée, dans la mesure où, s’il était possible, sans violer le droit de la concurrence, de payer les entreprises qui sont en train d’accomplir ces démarches pour préparer leur entrée sur le marché et qui ont consenti d’importants investissements à cette fin pour qu’elles arrêtent ou simplement ralentissent ce processus, la concurrence effective n’aurait jamais lieu, ou subirait des retards significatifs, au détriment des consommateurs.

94      Cette logique est conforme à la jurisprudence issue de l’arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission (C‑457/10 P, Rec, EU:C:2012:770, point 108), dans lequel la Cour a constaté que des CCP irréguliers non seulement entraînaient un effet d’exclusion important après l’expiration des brevets de base, mais étaient également susceptibles d’altérer la structure du marché en portant atteinte à la concurrence potentielle même avant cette expiration.

95      À cet égard, il convient d’observer que la remarque de la Cour concernant le fait que la concurrence potentielle démarre avant l’expiration des brevets est indépendante du fait que les CCP dont il s’agissait avaient été obtenus de manière frauduleuse ou irrégulière. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, il s’agissait notamment d’un abus de position dominante commis par une entreprise qui avait soumis des déclarations trompeuses afin de se faire octroyer, par les autorités nationales compétentes, des CCP lui permettant, même après l’expiration future des brevets protégeant son médicament, de s’opposer à l’entrée sur le marché de versions génériques de ce médicament. Dans ce contexte, la Cour a en substance considéré que le caractère anticoncurrentiel desdites déclarations n’était pas remis en cause par le fait que ces CCP avaient été demandés entre cinq et six ans avant leur entrée en vigueur et que, jusqu’à ce moment, les droits des parties requérantes dans l’instance en cause étaient protégés par des brevets réguliers. Selon la Cour, non seulement de tels CCP irréguliers entraînaient un effet d’exclusion important après l’expiration des brevets de base, mais ils étaient également susceptibles d’altérer la structure du marché en portant atteinte à la concurrence potentielle même avant cette expiration. Dès lors, cette jurisprudence confirme que la concurrence potentielle existe déjà avant l’expiration des brevets protégeant un médicament et que les démarches accomplies avant cette expiration sont pertinentes afin d’apprécier si cette concurrence a été restreinte.

96      Par ailleurs, contrairement à ce que prétend la requérante, la Commission n’a pas établi dans la décision attaquée que les brevets dont se prévalait Lundbeck devaient avoir fait l’objet d’un exercice dans le cadre d’une action en justice pour produire leurs effets à l’égard de ses concurrents, mais que de tels brevets, même présumés valides, n’autorisaient pas la conclusion d’accords visant à exclure des concurrents potentiels du marché pendant une période déterminée en contrepartie d’un paiement.

97      Dès lors, contrairement à ce que fait valoir la requérante, pour conclure à l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck dans l’ensemble de l’EEE en l’espèce, la Commission n’était nullement tenue d’établir que Merck (GUK) serait effectivement entrée sur le marché du citalopram dans tous les États membres de l’EEE pendant la durée des accords litigieux, ni qu’elle avait déjà obtenu une AMM dans tous ces États, mais uniquement qu’elle disposait de possibilités réelles et concrètes à cet effet, sans que celles-ci soient purement théoriques, qui témoignaient d’une capacité réelle d’entrer sur le marché dans un délai suffisamment court pour constituer une pression concurrentielle sur Lundbeck (voir, en ce sens, arrêt Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 70 supra, EU:T:2011:181, point 168).

98      Or, l’analyse effectuée par la Commission aux considérants 827 à 840 de la décision attaquée (points 66 à 68 ci-dessus) et les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est fondée à cet égard démontrent que Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels sur l’ensemble du territoire de l’EEE au moment de conclure l’accord pour l’EEE. La circonstance que, dans certains États, l’obtention d’une AMM aurait pu prendre plus de temps ou que le produit générique ne figurait pas sur la liste des médicaments remboursés ne permet pas d’altérer cette conclusion.

99      Il convient de rappeler, en outre, que Merck (GUK) est effectivement entrée sur le marché du Royaume-Uni en août 2003 ainsi que sur le marché suédois, par le biais de NM Pharma, de mai à octobre 2002. Cela témoigne non seulement du fait que Merck (GUK) était un concurrent effectif de Lundbeck au Royaume-Uni et en Suède, mais également du fait qu’elle était un concurrent potentiel de Lundbeck dans l’ensemble de l’EEE, en raison de l’utilisation de la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par la directive 2001/83, au moment de conclure les accords litigieux (point 67 ci-dessus).

100    La requérante fait valoir, toutefois, que même une telle entrée sur le marché ne saurait être considérée comme une preuve de sa capacité d’entrer sur le marché, puisqu’elle aurait été illégale. Selon elle, cela signifie que, même lorsqu’elle est effectivement entrée sur les marchés du Royaume-Uni et suédois, elle ne pouvait pas être considérée comme un concurrent réel ou potentiel de Lundbeck, puisqu’il n’avait pas été établi que ses produits génériques ne violaient aucun brevet de cette dernière.

101    Une telle argumentation ne saurait prospérer.

102    En effet, la jurisprudence rappelée aux points 69 à 75 ci-dessus exige uniquement de démontrer que Merck (GUK) disposait de possibilités réelles et concrètes et de la capacité d’entrer sur le marché, ce qui est certainement le cas lorsqu’une entreprise de génériques parvient à entrer, même à ses propres risques, sur le marché.

103    Dès lors, la requérante ne saurait prétendre que de telles possibilités réelles et concrètes n’existaient pas en l’espèce, alors même qu’elle avait vendu des comprimés pour une valeur de 3,3 millions de GBP au Royaume-Uni en août 2003 et que NM Pharma, le distributeur de Merck (GUK) en Suède, avait effectué pendant près de cinq mois des ventes « très encourageantes » (considérant 837 de la décision attaquée) sur le marché suédois, avant la conclusion de l’accord pour l’EEE, sans être inquiétée par Lundbeck (point 123 ci-après).

104    En outre, l’argument de la requérante repose sur la prémisse erronée selon laquelle, d’une part, ses produits génériques violaient certainement les brevets de Lundbeck et, d’autre part, ces brevets auraient inévitablement résisté aux exceptions d’invalidité soulevées par elle dans le cadre d’éventuelles actions en contrefaçon.

105    Or, s’il est vrai que les brevets sont présumés valides jusqu’à ce qu’ils soient expressément révoqués ou invalidés par une autorité ou une juridiction compétente à cet effet, une telle présomption de validité ne saurait équivaloir à une présomption d’illégalité des produits génériques valablement mis sur le marché dont le détenteur d’un brevet estime qu’ils violent celui-ci.

106    En effet, il convient de rappeler, à cet égard, que la possibilité pour une entreprise de génériques de commercialiser ses produits génériques sur le marché, qui se matérialise par l’obtention d’une AMM, n’est pas conditionnée par la démonstration de ce que ces produits ne sont pas contrefaisants (considérant 624 de la décision attaquée), ce que les parties ne contestent pas.

107    C’est donc à tort que la requérante estime qu’une entrée à risque sur le marché ne saurait suffire pour établir l’existence d’une relation de concurrence à tout le moins potentielle entre elle et Lundbeck.

108    Par ailleurs, le fait même que l’accord pour l’EEE couvre l’ensemble du territoire de l’EEE (à l’exclusion du Royaume-Uni) tend à démontrer que Lundbeck percevait Merck (GUK) comme une menace potentielle sur l’ensemble de ce territoire et que cette dernière disposait de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur les marchés de l’EEE au moment de conclure les accords litigieux.

109    Enfin, contrairement à ce qu’avance la requérante, il ressort de la décision attaquée que la Commission a tenu compte des différences entre les États de l’EEE lorsque celles-ci se révélaient pertinentes aux fins de son examen relatif à la concurrence potentielle sur ce territoire. La Commission a mentionné ainsi, au considérant 827 de la décision attaquée, que le brevet sur l’IPA de Lundbeck n’expirait qu’en avril 2003 en Autriche, à la différence des autres États membres. Elle a également examiné la situation concernant les AMM dans différents États de l’EEE aux considérants 326, 347 et 827 à 830 de la décision attaquée.

110    En tout état de cause, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, une restriction de la concurrence est de nature à affecter le commerce entre États membres lorsqu’elle est susceptible de détourner les courants commerciaux de l’orientation qu’ils auraient autrement connue. En outre, la capacité d’une entente à affecter le commerce entre États membres, c’est-à-dire son effet potentiel, suffit pour qu’elle relève du champ d’application de l’article 101 TFUE et il n’est pas nécessaire de démontrer une atteinte effective aux échanges de tous les États membres. Comme la Commission l’a rappelé à juste titre au considérant 1192 de la décision attaquée, la condition de l’existence d’une affectation du commerce entre États membres suppose qu’il doit y avoir une incidence sur les activités économiques transfrontalières impliquant au moins deux États membres. Il est néanmoins nécessaire que l’effet potentiel de l’entente sur le commerce interétatique soit sensible ou, en d’autres termes, qu’il ne soit pas insignifiant (voir arrêt du 29 juin 2012, GDF Suez/Commission, T‑370/09, Rec, EU:T:2012:333, points 123 et 124 et jurisprudence citée).

111    L’argument de la requérante ne saurait donc avoir d’incidence sur la constatation d’une infraction aux dispositions du traité sur la concurrence en l’espèce, dans la mesure où elle ne conteste pas qu’elle aurait pu obtenir des AMM, et avait effectivement obtenu de telles AMM dans au moins deux États membres de l’EEE (à savoir en Suède et au Royaume-Uni), avant de conclure les accords litigieux et que ces accords ont eu un impact sur la commercialisation de ses produits génériques dans ces États et sur ses possibilités de pénétrer le marché d’autres États membres par le biais de la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par la directive 2001/83 (considérants 829 et 830 de la décision attaquée).

112    La requérante conteste également, à cet égard, la référence à l’arrêt Dalmine/Commission, point 49 supra (EU:T:2004:220), effectuée par la Commission au considérant 620 de la décision attaquée. La Commission s’est en effet fondée sur cet arrêt afin de soutenir son propos selon lequel l’absence d’AMM ne signifie pas que le produit générique n’est pas capable d’entrer sur le marché à brève échéance, tant que l’entreprise de génériques poursuit ses efforts afin d’obtenir une telle autorisation réglementaire avant de conclure un accord avec le laboratoire de princeps.

113    Certes, si les obstacles juridiques découlant de l’existence d’un brevet peuvent se révéler différents des obstacles pratiques qui étaient en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Dalmine/Commission, point 49 supra (EU:T:2004:220), il n’en reste pas moins que la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant que l’existence de tels obstacles ne suffisait pas pour exclure l’existence d’une concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck au moment de la conclusion des accords litigieux, dans la mesure où il ne ressort pas des éléments du dossier que de tels obstacles étaient insurmontables en l’espèce et qu’ils étaient perçus comme tels par les parties à ces accords.

114    En tout état de cause, il convient de rappeler que Merck (GUK) avait déjà obtenu des AMM au Royaume-Uni, tout comme NM Pharma en Suède (points 63 et 67 ci-dessus), de sorte que l’entrée de Merck (GUK) sur le marché dans plusieurs États de l’EEE était suffisamment certaine et imminente au moment de conclure les accords litigieux.

115    Deuxièmement, c’est à tort que la requérante considère que la Commission n’a pas tenu compte des nouveaux brevets de procédé de Lundbeck, et notamment du brevet sur la cristallisation.

116    En effet, la Commission a exposé, tout d’abord, au considérant 635 de la décision attaquée, qu’il existait, de manière générale, plusieurs voies constituant des possibilités concrètes et réalistes d’entrer sur le marché pour les entreprises de génériques au moment de la conclusion des accords litigieux. Parmi celles-ci figurait notamment le lancement du produit générique « à risque », avec la possibilité de devoir affronter le laboratoire de princeps, en l’occurrence Lundbeck, dans d’éventuels litiges contentieux.

117    Or, une telle possibilité représente bien l’expression d’une concurrence potentielle, dans une situation dans laquelle, comme en l’espèce, les brevets originaires, portant à la fois sur l’IPA citalopram et sur les procédés de production d’alkylation et de cyanation, avaient expiré et où il existait d’autres procédés permettant de produire du citalopram générique dont il n’était pas établi qu’ils violaient d’autres brevets de Lundbeck (voir notamment les considérants 248 et 351 de la décision attaquée). En outre, les démarches et les investissements accomplis par Merck (GUK) en vue d’entrer sur le marché du citalopram avant de conclure les accords litigieux, tels qu’exposés par la Commission aux considérants 739 et suivants de la décision attaquée, dont la réalité n’a pas été contestée par la requérante, démontrent que celle-ci était prête à entrer sur le marché et à courir les risques qu’une telle entrée comportait.

118    Par ailleurs, s’il est vrai, comme la Commission l’a reconnu au considérant 745 de la décision attaquée, que Lundbeck aurait pu faire valoir devant les juridictions nationales compétentes qu’un ou plusieurs de ses brevets de procédé avaient été violés par les versions génériques du citalopram de la requérante, il n’en reste pas moins qu’une telle violation restait à démontrer et que c’était à Lundbeck qu’incombait la charge de la preuve à cet égard. En outre, comme le note la Commission au même considérant, les entreprises de génériques telles que la requérante auraient pu, en cas de contentieux, non seulement tenter de démontrer que leurs produits ne violaient aucun des brevets de procédé de Lundbeck, mais aussi tenter de remettre en cause la validité de tels brevets par le biais d’une demande reconventionnelle, s’il s’était révélé par exemple que ces brevets étaient en réalité peu innovants ou couverts par des inventions préexistantes.

119    Or, il ressort de la réponse de Lundbeck à la communication des griefs que la démonstration d’une violation d’un brevet de procédé était « très difficile » (considérant 745 de la décision attaquée). Dans une déclaration à la presse du vice-président de Lundbeck du 9 novembre 2002, celui-ci avait estimé qu’« il serait naïf de penser qu’il n’est pas possible pour les entreprises de génériques de copier le Cipramil sans enfreindre notre brevet » (considérant 150 de la décision attaquée). Enfin, il ressort également des évaluations internes de Lundbeck d’août et de septembre 2003, émises dans le contexte du litige Lagap, que celle-ci avait elle-même considéré qu’il y avait entre 50 % et 60 % de risques que son brevet sur la cristallisation puisse être déclaré invalide en cas de contentieux (considérant 157 de la décision attaquée).

120    Dans ces circonstances, il est difficilement contestable que les brevets de procédé de Lundbeck et, en particulier, son brevet sur la cristallisation ne constituaient pas des barrières insurmontables pour les entreprises de génériques telles que la requérante, qui étaient désireuses d’entrer sur le marché du citalopram et prêtes à le faire et qui avaient déjà effectué des investissements considérables à cette fin au moment de conclure les accords litigieux.

121    Certes, il est possible que, dans certains cas, Lundbeck eût pu obtenir gain de cause devant les juridictions compétentes et obtenir des injonctions ou des dommages-intérêts contre Merck (GUK). Cependant, il ressort des éléments de preuve soutenant la décision attaquée qu’une telle possibilité n’était pas perçue comme une menace suffisamment crédible pour la requérante au moment de conclure les accords litigieux. En effet, celle-ci avait estimé, notamment, à la suite de la publication du brevet sur la cristallisation de Lundbeck, que son médicament générique « n’était pas litigieux », qu’« aucune des demandes de brevet publiées […] ne posait problème » ou encore que, vu les déclarations des experts, elle n’avait « aucun problème en matière de brevet » (considérants 237, 248 et 334 de la décision attaquée). Il ressort, par ailleurs, d’un courrier interne de Merck (GUK) du 13 septembre 2001 que, lorsque Lundbeck l’avait initialement menacée de la « poursuivre jusqu’en enfer » en cas de violation de ses brevets, celle-ci avait répondu ce qui suit : « [B]onne chance […] cela ne nous empêche pas de lancer [notre produit.] » (considérant 240 de la décision attaquée).

122    En outre, les éléments du dossier révèlent également qu’il n’y avait aucune certitude quant au fait que Lundbeck aurait effectivement intenté une action en justice en cas de commercialisation du citalopram générique par Merck (GUK). La décision attaquée reconnaît, certes, que Lundbeck avait mis en place une stratégie générale consistant à menacer les entreprises de génériques d’actions en contrefaçon ou à intenter de telles actions sur le fondement de ses brevets de procédé. Néanmoins, toute décision d’agir en justice dépendait du point de vue de Lundbeck quant à la probabilité qu’un recours aboutisse et qu’un produit générique commercialisé soit considéré comme contrefaisant l’un de ses brevets. Or, il ressort de la réponse de Lundbeck aux demandes d’informations de la Commission dans le cadre de la procédure administrative que les « fabricants de génériques auraient pu produire le citalopram en appliquant le procédé décrit dans son brevet original protégeant l’IPA […] ou [qu’]ils auraient pu investir dans la mise au point d’un procédé tout à fait neuf » (considérant 150 de la décision attaquée). Par ailleurs, s’agissant d’une éventuelle demande reconventionnelle portant sur la validité du brevet sur la cristallisation, Lundbeck savait que ce brevet n’était « pas le plus solide des brevets » et qu’il était considéré par ses rivaux comme de la « chimie d’école secondaire » (considérant 149 de la décision attaquée).

123    De plus, il ressort des pièces du dossier que Lundbeck n’a poursuivi Merck (GUK) à aucune des occasions où celle-ci est effectivement entrée sur le marché, tout d’abord en Suède par l’entremise de son distributeur NM Pharma en mai 2002, puis au Royaume-Uni en août 2003, avant que l’accord UK ne soit prorogé une seconde fois parce que l’offre de Lundbeck avait dans un premier temps été jugée « pas assez bonne » (considérant 299 de la décision attaquée) par Merck (GUK) pour qu’elle décide de rester à l’écart du marché. Certes, comme le fait valoir la requérante, une telle décision de ne pas poursuivre Merck (GUK) pouvait se justifier au vu de la prorogation de l’accord UK. En revanche, s’agissant de l’accord pour l’EEE, il convient de relever que celui-ci a été conclu près de cinq mois après que NM Pharma a pu lancer son générique, avec des ventes « très encourageantes » (considérant 325 de la décision attaquée) et sans faire l’objet d’aucune action en justice de la part de Lundbeck (considérant 837 de la décision attaquée). À cet égard, il convient de relever que, bien que NM Pharma ait été approchée par Lundbeck pour conclure un accord du même type que les accords litigieux, elle a refusé d’entrer dans de telles discussions au motif que cela était contraire à sa politique de concurrence (considérant 190 de la décision attaquée).

124    En outre, il est inexact d’affirmer que Merck (GUK) n’aurait en aucun cas pu se procurer du citalopram non contrefaisant dans un délai raisonnable. En effet, même si la requérante avait conclu un accord d’approvisionnement avec Schweizerhall pour une période de huit ans, cet accord se fondait sur l’hypothèse de l’absence de contrefaçon du produit de Natco (considérant 235 de la décision attaquée), de sorte que Merck (GUK) aurait sans doute pu résilier cet accord en cas de contrefaçon, que ce soit sur la base des dispositions expresses de cet accord ou en vertu du droit allemand, qui était le droit applicable à ce contrat. Or, il ressort notamment des considérants 248 et 351 de la décision attaquée qu’il existait d’autres sources de citalopram générique sur le marché, dont Merck (GUK) avait connaissance par le biais notamment de Merck dura GmbH, la filiale de Merck en Allemagne. En tout état de cause, à supposer même que Merck (GUK) eût été tenue, en vertu de l’accord Schweizerhall, de s’approvisionner exclusivement auprès de Natco et que le citalopram générique produit par ce dernier eût enfreint le brevet sur la cristallisation, il n’est pas exclu que Natco eût pu produire l’IPA citalopram en se fondant sur d’autres procédés non contrefaisants (considérant 746 de la décision attaquée).

125    Cela démontre suffisamment que, loin d’être inéluctable, la possibilité d’une action en justice de la part de Lundbeck faisait partie des risques qu’une entreprise de génériques telle que Merck (GUK), ayant effectué des investissements considérables et des démarches importantes afin d’entrer sur le marché, était prête à courir avant la conclusion des accords litigieux. La requérante n’a pas établi, en outre, que de telles actions, si elles avaient été intentées, auraient abouti, dans tous les cas, en faveur de Lundbeck et qu’elles auraient constitué une barrière insurmontable à son entrée sur le marché du citalopram.

126    Enfin, c’est à tort que la requérante prétend que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant que Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels en se fondant principalement sur la perception de Lundbeck à cet égard.

127    En effet, d’une part, la perception des acteurs du marché peut, selon la jurisprudence, constituer un élément pertinent aux fins d’évaluer l’existence d’une concurrence potentielle (arrêt Hitachi e.a./Commission, point 74 supra, EU:T:2011:342, point 226), même si une telle analyse doit tout d’abord reposer sur des éléments objectifs (voir la jurisprudence mentionnée aux points 70 à 75 ci-dessus).

128    D’autre part, il convient de relever que, en l’espèce, la Commission s’est avant tout fondée sur des éléments objectifs, tels que l’obtention d’AMM, les démarches et investissements déjà effectués par Merck (GUK) ainsi que la constitution d’un stock important de tablettes de citalopram au moment de conclure les accords litigieux, pour établir l’existence d’une concurrence potentielle entre celle-ci et Lundbeck (point 63 ci-dessus). Par ailleurs, la perception de Lundbeck est décrite dans la décision attaquée sur la base d’éléments objectifs remontant à une période non suspecte précédant la signature des accords litigieux.

129    Partant, au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

II –  Sur les premier, deuxième et troisième moyens, tirés, en substance, d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

130    Dans le cadre des premier, deuxième et troisième moyens, la requérante conteste, en substance, l’appréciation, effectuée par la Commission dans la décision attaquée, du contenu, de la finalité et du contexte des accords litigieux afin de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en l’espèce. Elle estime que, en parvenant à une telle conclusion, la Commission a méconnu la présomption de validité attachée aux brevets de Lundbeck. Elle remet en cause également l’appréciation, par la Commission, des paiements transférés par Lundbeck en vertu des accords litigieux.

131    Avant d’examiner les arguments de la requérante relatifs au contenu, à la finalité et au contexte des accords litigieux, il convient d’effectuer un bref rappel de la jurisprudence pertinente ainsi que de l’approche suivie par la Commission dans la décision attaquée pour qualifier les accords litigieux de restriction de la concurrence par objet en l’espèce.

A –  Principes et jurisprudence applicables

132    Il convient de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE prévoit ce qui suit :

« Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées […] qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur […] et notamment ceux qui consistent à :

a)      fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

b)      limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c)      répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,

d)      appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e)      subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. »

133    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (arrêt CB/Commission, point 39 supra, EU:C:2014:2204, point 49 ; voir également, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, Rec, EU:C:1966:38, p. 359, 360, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, Rec, EU:C:2013:160, point 34).

134    Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêt CB/Commission, point 39 supra, EU:C:2014:2204, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., point 133 supra, EU:C:2013:160, point 35 et jurisprudence citée).

135    Ainsi, il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels ou consistant à exclure certains concurrents du marché, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré comme inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché. En effet, l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (arrêt CB/Commission, point 39 supra, EU:C:2014:2204, point 51 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, Rec, ci-après l’« arrêt BIDS », EU:C:2008:643, points 33 et 34).

136    Dans l’hypothèse où l’analyse d’un type de coordination entre entreprises ne présenterait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait, en revanche, d’en examiner les effets et, pour l’interdire, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 133 supra, EU:C:2013:160, point 34, et CB/Commission, point 39 supra, EU:C:2014:2204, point 52).

137    Pour établir le caractère anticoncurrentiel d’un accord et apprécier si celui-ci présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêt CB/Commission, point 39 supra, EU:C:2014:2204, point 53 ; voir également, en ce sens, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., point 133 supra, EU:C:2013:160, point 36).

138    En outre, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord entre entreprises, rien n’interdit aux autorités de la concurrence ou aux juridictions nationales et de l’Union d’en tenir compte (voir arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 133 supra, EU:C:2013:160, point 37 et jurisprudence citée, et CB/Commission, point 39 supra, EU:C:2014:2204, point 54 et jurisprudence citée).

B –  Analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée

139    La Commission a considéré, dans la décision attaquée, que les accords litigieux constituaient une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en se fondant, à cet égard, sur un ensemble de facteurs relatifs au contenu, au contexte et à la finalité desdits accords (point 31 ci-dessus).

140    Elle a estimé, ainsi, qu’un élément important du contexte économique et juridique dans lequel les accords litigieux avaient été conclus résidait dans le fait que les brevets originaires de Lundbeck avaient expiré avant la conclusion des accords litigieux, mais que celle-ci avait obtenu – ou était sur le point d’obtenir – plusieurs brevets de procédé au moment où ces accords avaient été conclus, dont le brevet sur la cristallisation. La Commission a considéré, cependant, qu’un brevet n’octroyait pas le droit de limiter l’autonomie commerciale des parties en allant au-delà des droits qui étaient conférés par celui-ci (considérant 638 de la décision attaquée).

141    Elle a considéré, dès lors, que, si tous les accords amiables en matière de brevets n’étaient pas nécessairement problématiques au regard du droit de la concurrence, tel était le cas lorsque de tels accords prévoyaient une exclusion du marché d’une des parties, qui était à tout le moins un concurrent potentiel de l’autre partie, pendant une durée déterminée, et lorsqu’ils étaient accompagnés d’un transfert de valeur du titulaire du brevet en faveur de l’entreprise de génériques susceptible de violer ce brevet (ci-après le « paiement inversé ») (considérants 639 et 640 de la décision attaquée).

142    Il ressort également de la décision attaquée que, même si les restrictions prévues par les accords litigieux entraient dans le champ d’application des brevets de Lundbeck (c’est-à-dire que ces accords empêchaient uniquement l’entrée sur le marché d’un citalopram générique jugé par les parties aux accords comme contrefaisant potentiellement ces brevets et non celle de tout type de citalopram générique), ceux-ci seraient malgré tout restrictifs de la concurrence par objet, dans la mesure notamment où ils avaient empêché ou rendu inutile tout type de contestation des brevets de Lundbeck devant les juridictions nationales, alors même que, selon la Commission, ce type de contestation faisait partie du jeu normal de la concurrence en matière de brevets (considérants 603 à 605, 625, 641 et 674 de la décision attaquée).

143    En d’autres termes, selon la Commission, les accords litigieux avaient transformé l’incertitude quant à l’issue de telles actions contentieuses en la certitude que les génériques n’entreraient pas sur le marché, ce qui pouvait également constituer une restriction de la concurrence par objet lorsque de telles limitations ne résultaient pas d’une analyse, par les parties, des mérites du droit exclusif en cause, mais plutôt de l’importance du paiement inversé qui, dans un tel cas, éclipsait cette évaluation et incitait l’entreprise de génériques à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché (considérant 641 de la décision attaquée).

144    Il convient de souligner, à cet égard, que la Commission n’a pas établi, dans la décision attaquée, que tous les règlements amiables en matière de brevets contenant des paiements inversés étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais uniquement que le caractère disproportionné de tels paiements, combiné à plusieurs autres facteurs, tels que le fait que les montants de ces paiements semblaient correspondre au moins aux profits escomptés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché, l’absence de clauses permettant aux entreprises de génériques de lancer leurs produits sur le marché à l’expiration des accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ou encore la présence, dans ces accords, de restrictions allant au-delà de la portée des brevets de Lundbeck, permettait de conclure que les accords litigieux avaient pour objet de restreindre la concurrence par objet, au sens de cette disposition, en l’espèce (considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

145    C’est à l’aune de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les arguments de la requérante relatifs au contenu, au contexte et à la finalité des accords litigieux afin de remettre en cause l’existence d’une restriction par objet en l’espèce.

C –  Sur l’existence d’une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

146    À titre liminaire, il y a lieu d’examiner les arguments de la requérante, tirés de ce que la Commission aurait méconnu la notion de restriction par objet, telle que précisée dans la jurisprudence récente de la Cour, en particulier dans l’arrêt CB/Commission, point 39 supra (EU:C:2014:2204).

147    La requérante a fait valoir, dans le cadre de ses observations supplémentaires consécutives à l’arrêt CB/Commission, point 39 supra (EU:C:2014:2204), premièrement, qu’il découlait clairement de cet arrêt que la Commission n’avait pas suffisamment expliqué en quoi les accords litigieux étaient en eux-mêmes suffisamment nocifs pour la concurrence, deuxièmement, que la décision attaquée n’identifiait pas l’expérience qui permettrait de conclure que les accords litigieux étaient tellement susceptibles de restreindre la concurrence que l’examen de leurs effets ne serait pas nécessaire et, troisièmement, que la décision attaquée n’établissait pas en quoi les accord litigieux auraient fondamentalement changé la structure du marché, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 135 supra (EU:C:2008:643), de sorte qu’ils ne pouvaient pas être qualifiés de restriction par objet.

148    Pourtant, il ressort du rappel de jurisprudence effectué ci-dessus, issu notamment de l’arrêt CB/Commission, point 39 supra (EU:C:2014:2204), que, par cet arrêt, la Cour n’a pas remis en cause les principes de base concernant la notion de restriction par objet tels qu’ils résultent de la jurisprudence antérieure.

149    Certes, dans son arrêt CB/Commission, point 39 supra (EU:C:2014:2204), la Cour a rejeté l’analyse du Tribunal effectuée dans l’arrêt du 29 novembre 2012, CB/Commission (T‑491/07, EU:T:2012:633), qui avait considéré que la notion de restriction de la concurrence par objet ne devait pas être interprétée de manière restrictive. En effet, elle a rappelé que, sous peine de dispenser la Commission de l’obligation de prouver les effets concrets sur le marché d’accords dont il n’était en rien établi qu’ils étaient, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, la notion de restriction de la concurrence par objet ne pouvait être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il pût être considéré que l’examen de leurs effets n’était pas nécessaire (arrêt CB/Commission, point 39 supra, EU:C:2014:2204, point 58).

150    Cependant, il n’en découle pas que la Commission est obligée d’examiner les effets d’un accord si elle est en mesure d’établir, à suffisance de droit, que celui-ci peut être considéré, par son contenu, la portée de ses dispositions et ses objectifs, pris dans leur contexte économique et juridique, comme suffisamment nocif pour la concurrence (points 135 à 137 ci-dessus).

151    Par ailleurs, contrairement à ce que fait valoir la requérante, il n’est pas requis que le même type d’accords ait déjà été condamné par la Commission pour que ceux-ci puissent être considérés comme une restriction de la concurrence par objet. Le rôle de l’expérience, mentionné par la Cour au point 51 de l’arrêt CB/Commission, point 39 supra (EU:C:2014:2204), ne concerne pas la catégorie spécifique d’un accord dans un secteur particulier, mais renvoie au fait qu’il est établi que certaines formes de collusion sont, en général et au vu de l’expérience acquise, tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la concurrence qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’elles ont des effets dans le cas particulier en cause. Le fait que la Commission n’ait pas, dans le passé, estimé qu’un accord d’un type donné était, par son objet même, restrictif de la concurrence n’est donc pas de nature, en lui-même, à l’empêcher de le faire à l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses au regard de leur contenu, de leur finalité et de leur contexte (voir, en ce sens, arrêt CB/Commission, point 39 supra, EU:C:2014:2204, point 51 ; conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission, C‑67/13 P, Rec, EU:C:2014:1958, point 142, et de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, Rec, EU:C:2015:427, point 74).

152    En outre, il y a lieu de rappeler que, contrairement à ce que prétend la requérante, la notion de restriction de la concurrence par objet ne donne pas lieu à une présomption, puisqu’il appartient à la Commission d’établir, sur la base d’éléments objectifs, que les conditions requises pour pouvoir conclure à l’existence d’une restriction par objet sont réunies. Il s’agit encore moins d’une présomption irréfragable, dès lors que la jurisprudence a reconnu que l’article 101, paragraphe 3, TFUE avait vocation à s’appliquer également à de telles restrictions (voir, en ce sens, arrêts du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C‑439/09, Rec, EU:C:2011:649, point 59, et du 15 juillet 1994, Matra Hachette/Commission, T‑17/93, Rec, EU:T:1994:89, point 85).

153    Dès lors, il y a lieu d’examiner, à la lumière de ces principes, si la Commission pouvait à bon droit qualifier les accords litigieux de restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, au regard du contenu, de la finalité et du contexte de ces accords.

1.     Contenu des accords litigieux

154    S’agissant, tout d’abord, du contenu des accords litigieux, la requérante soutient que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que ceux-ci visaient à restreindre les activités de GUK et que ces restrictions dépassaient la portée des brevets existants de Lundbeck.

a)     Accord UK

155    S’agissant, tout d’abord, de l’accord UK, la requérante considère que celui-ci couvrait exclusivement le citalopram de Natco pour lequel il existait un différend lié aux brevets de Lundbeck, ce qui ressortirait notamment des points 1.1 et 2.1 de l’accord, qui feraient état du caractère potentiellement contrefaisant du citalopram de Natco.

156    La requérante conteste, en particulier, l’interprétation du point 3.2 de l’accord UK effectuée par la Commission dans la décision attaquée.

157    Le point 3.2 de l’accord UK précise que Lundbeck « s’engage à vendre ses Produits Finis de citalopram à Merck (GUK) et [que] Merck (GUK) s’engage à acheter ces produits exclusivement auprès de Lundbeck pour revente au Royaume-Uni pendant la durée de l’accord ». Ces « Produits Finis » sont définis au point 1.1 de l’accord UK comme étant les « produits contenant du citalopram sous forme de produits finis à fournir par Lundbeck à GUK conformément [à cet] accord ».

158    À cet égard, il y a lieu de considérer, à l’instar de la requérante, que l’interprétation du point 3.2 de l’accord UK retenue par la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle Merck (GUK) se serait engagée à acheter exclusivement le citalopram sous forme de produits finis provenant de Lundbeck pour les commercialiser au Royaume-Uni, à l’exclusion de tout autre citalopram, ne saurait être retenue.

159    En effet, il ressort clairement de la définition de « Produits Finis » au point 1.1 de l’accord UK (point 157 ci-dessus) que ceux-ci se réfèrent aux produits finis provenant de Lundbeck, c’est-à-dire au Cipramil. Par cette clause, Merck (GUK) s’est donc uniquement engagée à acheter les comprimés de Cipramil de Lundbeck en vue de les revendre au Royaume-Uni, en vertu d’un accord de distribution. Le terme « exclusivement » utilisé dans cette disposition ne signifie pas, contrairement à ce qu’affirme la Commission, que Merck (GUK) se serait engagée à vendre exclusivement le citalopram sous forme de produits finis provenant de Lundbeck, mais bien qu’elle s’était engagée à acheter le Cipramil, pour revente au Royaume-Uni, auprès de Lundbeck uniquement, à l’exclusion d’autres fournisseurs. Contrairement à ce que fait valoir la Commission au considérant 779 de la décision attaquée, une telle interprétation n’est pas absurde, puisque le terme « exclusivement » figurant au point 3.2 pouvait ainsi avoir pour objectif d’éviter que Merck (GUK) puisse se fournir en Cipramil auprès de grossistes ou d’autres fournisseurs que Lundbeck, conformément à l’objectif de celle-ci d’augmenter le volume de ventes du Cipramil.

160    Contrairement à ce que fait valoir la Commission par ailleurs, la requérante n’a jamais admis que l’expression « Produits Finis » utilisée dans l’accord UK pouvait couvrir d’autres types de produits finis que ceux de Lundbeck, tels que définis au point 1.1 de l’accord UK, de sorte qu’elle se serait engagée à ne pas lancer tout type de citalopram générique.

161    En outre, c’est à tort que la Commission se fonde sur le point D du préambule de l’accord UK, dont le libellé est essentiellement identique au point 3.2 de l’accord, pour soutenir son interprétation, puisqu’il y est fait référence également aux « Produits Finis », avec majuscules, qui sont clairement définis au point 1.1 du même accord.

162    Par ailleurs, comme la Commission l’admet elle-même au considérant 781 de la décision attaquée, une interprétation textuelle du point 3.2 de l’accord UK conduit à la conclusion selon laquelle cette disposition n’empêchait pas Merck (GUK) de s’approvisionner en citalopram sous forme d’IPA auprès de tiers, ce qui lui aurait permis éventuellement de lancer une autre version générique du citalopram sur le marché.

163    En effet, il convient de relever que le point 2.2 de l’accord UK prévoit uniquement que Merck (GUK) s’engage à livrer à Lundbeck l’ensemble de ses « Produits », qui sont définis au point 1.1 de l’accord comme étant les « produits de citalopram […] sous forme de matière première, en vrac ou sous forme de comprimés tels que spécifiés en Annexe et manufacturés en conformité avec la spécification de produits telle que fournie par GUK à la date de signature [de l’accord], jointe en Annexe 2 ». Or, cette annexe fait effectivement référence au citalopram de Natco. Cela implique que Merck (GUK) était uniquement tenue, en vertu de cette disposition, de livrer son stock de citalopram existant, déjà constitué au moment de la signature de l’accord, et non tout autre type de citalopram générique, provenant d’autres producteurs que Natco, qu’elle aurait pu se procurer ultérieurement. La Commission reconnaît par ailleurs, au considérant 763 de la décision attaquée notamment, que cette obligation visait uniquement le citalopram de Natco.

164    Au considérant 783 de la décision attaquée, la Commission a estimé néanmoins que, si Merck (GUK) s’était approvisionnée en citalopram sous forme d’IPA auprès de tiers, elle aurait violé le point 1.3 de son contrat d’approvisionnement conclu avec Schweizerhall (point 66 ci-dessus), qui prévoyait que Merck (GUK) couvrirait 100 % de ses besoins annuels en citalopram générique auprès de cette dernière. La Commission a considéré, dès lors, dans la note en bas de page n° 1435 de la décision attaquée, que, même s’il était formellement possible pour Merck (GUK) d’entrer sur le marché avec un citalopram générique provenant d’autres sources que Natco en vertu de l’accord UK, cela n’était pas possible en raison de l’accord Schweizerhall. Or, selon la Commission, ces deux accords se renforçaient mutuellement, de sorte qu’ils devaient être lus conjointement.

165    Il convient de relever toutefois, à l’instar de la requérante, qu’une telle obligation pour Merck (GUK) de s’approvisionner en citalopram générique auprès de Natco exclusivement, par l’intermédiaire de Schweizerhall, ne découle pas des dispositions de l’accord UK mais de l’accord Schweizerhall.

166    Or, la Commission ne saurait se fonder sur les dispositions d’un autre accord ne concernant pas les mêmes parties afin de déterminer le contenu des clauses de l’accord UK et, en particulier, afin d’établir si ces clauses contenaient des restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck ou non. En effet, comme le fait valoir la requérante, une telle interprétation permettrait de considérer que n’importe quel type d’accord conclu par Merck (GUK) contenant des restrictions portant sur le citalopram de Natco, qui était pourtant identifié comme potentiellement contrefaisant par les parties à l’accord UK, dépassait le champ d’application des brevets de Lundbeck, en raison de l’obligation d’approvisionnement exclusif découlant de l’accord Schweizerhall, conclu antérieurement et par des parties différentes.

167    Dès lors, même si Lundbeck pouvait avoir eu connaissance de l’existence de l’accord Schweizerhall, la Commission ne saurait se fonder sur une telle circonstance afin de conclure que le point 3.2 de l’accord UK visait, en lui-même, à empêcher Merck (GUK) d’entrer sur le marché avec tout type de citalopram, qu’il provienne de Natco ou non et qu’il soit jugé par les parties comme potentiellement contrefaisant ou non.

168    Certes, comme le fait valoir la Commission, il convient d’interpréter les accords litigieux en tenant compte non seulement de leurs termes, mais également de leur contexte et des objectifs qu’ils poursuivent. Une telle méthode d’interprétation ne saurait toutefois conduire la Commission à ignorer le libellé des dispositions d’un accord lorsque ce libellé est suffisamment clair.

169    Il y a lieu de relever par ailleurs, à cet égard, que la Commission a elle-même soutenu, au considérant 635 et dans la note en bas de page n° 1562 de la décision attaquée ainsi qu’en réponse à une question du Tribunal, que l’accord Schweizerhall aurait pu être résilié dans l’hypothèse d’une contrefaçon des brevets de Lundbeck (point 124 ci-dessus). Or, une telle interprétation de l’accord Schweizerhall est difficilement conciliable avec l’interprétation de l’accord UK proposée par la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle les restrictions dépassaient le champ d’application des brevets de Lundbeck en raison de l’obligation pour Merck (GUK), découlant de l’accord Schweizerhall, de s’approvisionner exclusivement en citalopram générique auprès de celle-ci.

170    Partant, il convient de constater que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit, dans la décision attaquée, que les restrictions contenues dans l’accord UK allaient au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck, c’est-à-dire que de telles restrictions n’auraient pas pu être obtenues par Lundbeck devant un juge compétent en matière de brevets si les produits génériques fondés sur le citalopram de Natco, que Merck (GUK) entendait commercialiser, avaient été jugés contrefaisants et si ces brevets avaient résisté aux éventuelles demandes reconventionnelles visant à remettre en cause leur validité.

171    Cependant, une telle constatation n’est pas susceptible d’avoir des conséquences dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée, dans la mesure où le grief avancé par la requérante est inopérant pour les raisons exposées ci-après.

172    Premièrement, force est de constater que la requérante ne conteste pas que, en vertu du point 1.1 de l’accord UK, elle s’est engagée à ne pas entrer sur le marché avec le citalopram de Natco et que, en vertu des points 2.2 et 2.3 du même accord, elle s’est engagée à livrer à Lundbeck l’intégralité de son stock de citalopram (considérants 771 et 772 de la décision attaquée), ni le fait qu’elle a obtenu une somme de 3 millions de GBP de la part de Lundbeck en échange de cet engagement (point 12 ci-dessus). De même, la requérante ne conteste pas que, en vertu du point 2.7 de l’accord UK, elle s’est engagée à ne pas octroyer ou à ne pas vendre sous licence une copie de ses AMM déjà obtenues au Royaume-Uni, pendant la durée de l’accord.

173    Or, comme le fait valoir la Commission, de tels engagements sont, en tout état de cause, anticoncurrentiels par leur objet même, qu’ils aillent au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck ou non, dans la mesure où, loin de régler un quelconque litige en matière de brevets entre les parties à l’accord UK, ils ont été obtenus en contrepartie de paiements inversés importants et où ils avaient pour objectif d’empêcher Merck (GUK) d’entrer sur le marché pendant toute la durée de l’accord avec ses produits génériques contenant le citalopram de Natco, sur lesquels elle avait fondé, jusqu’alors, toute sa stratégie pour entrer en concurrence avec Lundbeck sur le marché du Royaume-Uni.

174    Comme la Commission l’a souligné aux considérants 641 et 820 de la décision attaquée notamment, ce qui importe, à cet égard, c’est que l’accord UK ait transformé l’incertitude quant à l’issue d’éventuelles actions en contrefaçon en la certitude que Merck (GUK) n’entrerait pas avec ses produits génériques sur le marché pendant toute la durée de cet accord, alors même que les limitations à l’autonomie commerciale de Merck (GUK) ne résultaient pas exclusivement d’une analyse, par les parties à l’accord, des brevets de Lundbeck, mais plutôt de l’importance du paiement inversé qui, dans un tel cas, l’a emporté sur cette évaluation et a incité Merck (GUK) à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché (points 142 et 143 ci-dessus).

175    Deuxièmement, il y a lieu de relever, à titre surabondant, que la Commission a constaté à juste titre, au considérant 784 de la décision attaquée notamment, que Merck (GUK) n’avait plus aucune incitation, en raison des dispositions de l’accord UK, prises dans leur contexte, à se procurer du citalopram sous forme d’IPA auprès de tiers ou à vendre du citalopram sous forme de produits finis autre que celui de Lundbeck, même si elle était en principe libre de le faire en vertu de l’accord UK.

176    En effet, il convient de relever, tout d’abord, que Merck (GUK) s’est engagée, en vertu du point 3.2 de l’accord UK, à vendre le Cipramil de Lundbeck au Royaume-Uni pendant la durée de l’accord et que, en vertu du point 6.2 de l’accord UK, le paiement d’un montant de 5 millions de GBP, qualifié de « profits nets », était conditionné à la vente d’un certain volume de ces produits finis au Royaume-Uni pendant la durée de l’accord. Il convient de rappeler, en outre, que cette somme devait être payée en plusieurs tranches, ce qui permettait à Lundbeck de s’assurer de la bonne exécution de l’accord.

177    Dès lors, même si Merck (GUK) avait pu, théoriquement, vendre d’autres types de produits finis que ceux de Lundbeck, elle n’avait aucun intérêt à le faire, puisqu’elle pouvait, sans prendre le moindre risque, obtenir la somme de 5 millions de GBP en tant que bénéfices garantis pour la vente du Cipramil en vertu du point 6.2 de l’accord UK.

178    De même, si Merck (GUK) pouvait en théorie se procurer du citalopram générique sous forme d’IPA auprès de tiers, elle n’était pas non plus incitée à le faire, puisqu’elle s’était déjà engagée, en vertu de l’accord Schweizerhall, à couvrir l’intégralité de ses besoins en citalopram générique auprès de Natco pendant huit ans. En outre, à supposer que l’accord Schweizerhall ait pu être résilié et qu’elle ait pu, malgré tout, se tourner vers un autre producteur d’IPA, d’une part, elle n’avait aucun intérêt à vendre elle-même cet IPA sous forme de produits finis, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 177 ci-dessus, et, d’autre part, comme le fait valoir la Commission au considérant 784 de la décision attaquée, il est difficile de percevoir l’intérêt qu’auraient eu des tiers à acheter du citalopram générique sous forme d’IPA par l’intermédiaire de Merck (GUK) s’ils pouvaient se le procurer auprès du producteur d’IPA ou auprès de son fournisseur privilégié directement.

179    Partant, l’argument de la requérante selon lequel l’accord UK ne contenait pas de restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck, tel que défini aux points 142 et 170 ci-dessus, doit être rejeté comme inopérant. En outre, l’argument selon lequel l’accord UK ne visait pas à restreindre les activités de Merck (GUK) doit être rejeté comme non fondé.

b)     Accord pour l’EEE

180    S’agissant de l’accord pour l’EEE, la requérante soutient également que cet accord, et notamment son point 1.1, ne couvrait pas toutes les formes de citalopram, mais uniquement le citalopram de Natco, de sorte qu’il ne dépassait pas le champ d’application des brevets de Lundbeck et qu’il ne visait pas à restreindre ses activités de manière indue.

181    Il convient de relever, toutefois, que le libellé de la première phrase du point 1.1 de l’accord pour l’EEE prévoit que Merck (GUK) « s’engage à cesser la vente et l’approvisionnement de produits pharmaceutiques contenant du citalopram sur le territoire de l’EEE (en ce compris, sans limitation, cesser de vendre et d’approvisionner NM Pharma AB) pendant la durée de l’accord », sans autre précision.

182    Les points D et E du préambule de cet accord font, certes, référence au fait que Merck (GUK) était le distributeur de produits contenant du citalopram fabriqué ou livré par Natco et au fait que la vente et l’approvisionnement par Merck (GUK) de produits contenant du citalopram au Royaume-Uni ont été effectués sans licence de la part de Lundbeck.

183    Cela ne permet pas de confirmer, toutefois, l’interprétation retenue par la requérante, selon laquelle le point 1.1 de l’accord pour l’EEE visait uniquement le citalopram de Natco.

184    En effet, si les parties à l’accord pour l’EEE avaient voulu viser uniquement le citalopram de Natco, elles auraient expressément fait référence, dans le point 1.1 de l’accord, à ce citalopram, tout comme dans le préambule de l’accord, et non aux « produits pharmaceutiques contenant du citalopram » de manière générale, comme le fait valoir à juste titre la Commission. Elles auraient également pu définir le terme « citalopram » de manière à préciser que ce terme ne couvrait que certains types de citalopram produits selon certaines méthodes, comme dans le cadre de l’accord UK (point 163 ci-dessus).

185    En outre, l’interprétation proposée par la requérante est peu plausible lorsqu’elle est confrontée au libellé du point 1.3 de l’accord pour l’EEE, qui prévoit que Lundbeck s’engage à n’intenter aucune action en justice à l’encontre de Merck (GUK) tant que cette dernière respecte le point 1.1 de l’accord. Si l’interprétation de la requérante était retenue, cela signifierait en effet que Lundbeck se serait engagée à n’intenter aucune action en contrefaçon contre Merck (GUK) tant que cette dernière s’abstenait de vendre ou de fournir le citalopram de Natco au sein de l’EEE, et même si elle vendait une autre version du citalopram provenant d’un autre producteur. Cela est difficilement conciliable avec le contexte dans lequel les accords litigieux ont été conclus, qui témoigne notamment du fait que Lundbeck avait l’intention ferme d’empêcher toute entrée des génériques sur le marché.

186    La requérante fait valoir, cependant, que la Commission n’a pas dûment tenu compte de l’accord d’approvisionnement conclu avec Schweizerhall ni du fait que celui-ci lui imposait de couvrir tous ses besoins en citalopram auprès de Natco, ce qui implique que l’accord ne pouvait pas couvrir d’autres types de citalopram.

187    Il y a lieu de relever, toutefois, que, même si Merck (GUK) était en principe obligée, en vertu de son contrat d’approvisionnement avec Schweizerhall, de n’acheter et de ne vendre que le citalopram générique produit par Natco pendant huit ans, un tel engagement ne résultait pas des dispositions de l’accord pour l’EEE mais bien de l’accord Schweizerhall (point 165 ci-dessus).

188    Dès lors, en prévoyant une obligation pour Merck (GUK) de s’abstenir de vendre ou de fournir des produits contenant du citalopram à ses affiliés ou à toute partie tierce (y compris NM Pharma, qui avait commencé à vendre le citalopram en Suède) pendant la durée de l’accord pour l’EEE, le point 1.1 de cet accord contenait des restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck, puisqu’une telle obligation n’était pas limitée au citalopram jugé potentiellement contrefaisant par les parties à cet accord.

189    En outre, il y a lieu de rappeler que le point 1.1 de l’accord pour l’EEE prévoyait non seulement une obligation pour Merck (GUK) de s’abstenir de vendre ou de fournir des produits contenant du citalopram pendant toute la durée de l’accord, mais également que celle-ci ferait tous les efforts raisonnables pour s’assurer que Natco cesse de fournir du citalopram et des produits en contenant sur le territoire de l’EEE pendant la durée de l’accord.

190    Or, rien n’indique qu’une telle obligation n’était qu’un engagement peu important, voire inexistant, comme l’affirme la requérante. En effet, comme le fait valoir la Commission, cette clause a été jugée suffisamment importante par les parties à l’accord pour conditionner le paiement d’une somme de 12 millions d’euros. Par ailleurs, le point 1.2 de l’accord pour l’EEE prévoyait expressément que Lundbeck ne serait pas tenue d’effectuer les paiements non encore échus dans l’hypothèse où Natco fournirait du citalopram ou des produits contenant du citalopram sur le territoire de l’EEE pendant la durée de l’accord.

191    Dès lors, même si Merck (GUK) n’avait pas la capacité d’empêcher Natco de fournir du citalopram sur le territoire de l’EEE, comme le fait valoir la requérante, il n’en reste pas moins que le point 1.1 de l’accord pour l’EEE incitait fortement Merck (GUK) à entreprendre toutes les démarches nécessaires « dans la mesure du raisonnable » en ce sens, sous peine de se voir privée d’une partie substantielle des paiements promis par Lundbeck en vertu de cet accord.

192    Cela démontre, comme la Commission l’a constaté à juste titre au considérant 848 de la décision attaquée, que le but objectif de l’accord pour l’EEE était non seulement d’éliminer Merck (GUK) des marchés de l’EEE, en tant que vendeur du citalopram de Natco, mais également d’éliminer Natco en tant que producteur de citalopram générique sur ce territoire.

193    Il y a lieu de conclure, dès lors, qu’il ressort du contenu de l’accord pour l’EEE, lu dans son contexte, que Merck (GUK) a, en vertu des clauses de cet accord, abandonné toute possibilité de vendre sa version générique du citalopram, que celui-ci provienne de Natco ou non et que celui-ci ait potentiellement violé un brevet de Lundbeck ou non.

194    Partant, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a considéré, au considérant 846 de la décision attaquée, que l’accord pour l’EEE, en particulier le point 1.1 de cet accord, devait être interprété comme ayant obligé Merck (GUK) à cesser la vente et la fourniture de tout type de citalopram pendant la durée de l’accord sur tout le territoire de l’EEE, ce qui allait au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck.

195    En tout état de cause, quelle que soit l’interprétation donnée à cet accord, et que les restrictions imposées à Merck (GUK) découlent ou non du champ d’application des brevets de Lundbeck, elles seraient malgré tout anticoncurrentielles, dans la mesure où il n’était pas établi que le citalopram de Natco violait l’un de ces brevets, où Merck (GUK) a explicitement contesté que ses produits génériques étaient contrefaisants (point G du préambule de l’accord pour l’EEE) et où les restrictions de son autonomie commerciale ont été induites par des paiements inversés importants qui en constituaient la contrepartie.

196    En outre, ainsi que l’a constaté la Commission au considérant 847 de la décision attaquée, les accords litigieux ne contenaient aucune contrepartie aux restrictions en question autre que les paiements inversés promis par Lundbeck, telle que la possibilité pour Merck (GUK) d’entrer immédiatement sur le marché à l’expiration de ces accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck, de sorte qu’ils ne visaient pas à régler un quelconque litige en matière de brevets.

197    Partant, l’argument de la requérante selon lequel l’accord pour l’EEE ne visait pas à restreindre ses activités de manière indue et ne contenait pas de restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck doit être rejeté.

c)     Sur l’absence alléguée de certaines mentions dans les accords litigieux

198    La requérante reproche à la Commission d’avoir constaté erronément dans la décision attaquée que les brevets de procédé concernés n’étaient même pas identifiés (considérant 753 de la décision attaquée), qu’il était peu probable que les accords litigieux aient permis de clarifier la situation en matière de brevets (considérant 814 de la décision attaquée) ou encore qu’aucun contentieux n’était en cours entre les parties (considérant 681 de la décision attaquée), alors même qu’elle aurait reconnu l’existence d’un litige potentiel imminent entre les parties dans le cadre de son analyse relative à la concurrence potentielle. Enfin, la requérante met en cause l’affirmation de la Commission selon laquelle l’engagement de Merck (GUK) n’était assorti d’aucune contrepartie revêtant la forme d’un engagement de Lundbeck de ne pas introduire d’action en contrefaçon si Merck (GUK) mettait le citalopram générique sur le marché (considérant 769 de la décision attaquée).

199    S’agissant des allégations de la requérante selon lesquelles la Commission se serait fondée sur certaines considérations relatives à l’existence d’un litige entre Lundbeck et Merck (GUK) pour soutenir l’existence d’une concurrence potentielle entre elles, alors que, dans le cadre de l’examen des accords litigieux, elle aurait prétendu qu’il n’existait aucun contentieux entre les parties, il y a lieu de relever que celles-ci découlent d’une lecture erronée de la décision attaquée.

200    En effet, la Commission a constaté, au considérant 681 de la décision attaquée notamment, qu’aucun litige n’était effectivement pendant devant une juridiction entre Lundbeck et les différentes parties aux accords en cause (à l’exception d’Alpharma), dont la requérante, au moment où ces accords ont été conclus. La Commission a reconnu, en revanche, l’existence d’un litige potentiel entre Lundbeck et Merck (GUK) dans diverses parties de la décision attaquée (aux considérants 194 et 749 de la décision attaquée notamment). Or, les notions de « litige potentiel » et de « litige pendant » sont des notions différentes. La Commission a par ailleurs reconnu, lors de l’audience, ne jamais avoir contesté qu’il y ait eu un litige sous-jacent en matière de brevet entre les parties. Dès lors, la décision attaquée n’est entachée d’aucune contradiction en ayant constaté qu’il existait un litige potentiel entre les parties aux accords litigieux, bien qu’il n’y ait eu aucun litige pendant entre elles au moment de conclure ces accords.

201    À cet égard, la référence, au considérant 247 de la décision attaquée, au fait que Merck (GUK) ait déclaré, à la suite de la saisie de ses produits à Hambourg (Allemagne) par les autorités douanières allemandes, le 15 novembre 2001, que « le litige avec Lundbeck en matière de brevets a[vait] commencé aujourd’hui » ne suffit pas pour considérer qu’il existait un litige pendant devant une juridiction nationale. En outre, ladite saisie a été levée deux semaines plus tard, bien avant la conclusion des accords litigieux.

202    Par ailleurs, le fait que l’accord pour l’EEE contenait une liste des brevets de Lundbeck que Merck (GUK) était supposée enfreindre ne permet pas de remettre en cause le constat de la Commission selon lequel l’accord pour l’EEE n’a pas permis de résoudre un quelconque litige entre les parties à celui-ci, étant donné que Lundbeck ne s’était nullement engagée à ne pas intenter d’actions en contrefaçon à l’expiration de cet accord mais uniquement pendant la durée de celui-ci (point 1.3 de l’accord pour l’EEE). L’accord pour l’EEE a eu pour seul effet de reporter à plus tard la résolution de leur différend, tout en éliminant l’incertitude liée à une entrée à risque de Merck (GUK) avec ses produits génériques sur le marché pendant la période concernée.

203    De même, s’agissant de l’accord UK, même si celui-ci faisait indirectement référence au citalopram de Natco, il n’identifiait avec précision aucun brevet de Lundbeck qui aurait été enfreint et ne contenait aucune clause par laquelle l’entrée des génériques sur le marché serait facilitée à l’expiration de celui-ci. Cet accord n’a dès lors pas non plus permis de résoudre le différend sous-jacent en matière de brevet entre les parties à celui-ci, mais n’a fait que reporter cette question à plus tard.

204    Enfin, si certains éclaircissements ont pu être obtenus sur la situation en matière de brevets pendant la durée des accords litigieux, ceux-ci ont davantage résulté de l’évolution du litige Lagap au Royaume-Uni que des efforts déployés par les parties à ces accords en vertu de ceux-ci. En effet, si Merck (GUK) a effectivement écrit à Lundbeck en lui demandant de préciser quels brevets, le cas échéant, pourraient, selon elle, être enfreints par ses produits, Lundbeck n’a jamais répondu à cette lettre, ce que la requérante ne conteste pas.

205    Partant, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a considéré, au considérant 758 de la décision attaquée notamment, que les accords litigieux n’étaient pas aptes à résoudre un différend ou un litige potentiel entre Merck (GUK) et Lundbeck.

2.     Sur la finalité des accords litigieux

a)     Sur la stratégie générale de Lundbeck visant à retarder la commercialisation des génériques

206    S’agissant de la finalité des accords litigieux, la requérante reproche à la Commission d’avoir présumé l’existence d’une intention des parties aux accords traduisant une stratégie générale visant à retarder la commercialisation des produits génériques, alors que les accords auraient permis en réalité d’accélérer la commercialisation de ces produits. En outre, la Commission n’expliquerait pas en quoi le point de vue de Lundbeck serait déterminant, et même pertinent, pour apprécier si la requérante a violé le droit de la concurrence, alors que ses motivations étaient manifestement différentes. Tout règlement amiable serait en effet une solution de compromis entre des objectifs et des perspectives fondamentalement divergents.

207    Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’intention anticoncurrentielle des parties à un accord ne constitue pas un élément nécessaire en droit pour déterminer le caractère anticoncurrentiel de cet accord, même si elle peut constituer un élément pertinent à cet égard (point 138 ci-dessus).

208    Aux considérants 803 et suivants de la décision attaquée, la Commission a principalement examiné l’intention anticoncurrentielle de Lundbeck en concluant les accords litigieux et a rejeté l’argument des parties à ces accords selon lequel elles avaient l’intention de régler un litige à l’amiable et de clarifier la situation concernant les brevets de Lundbeck. La Commission a précisé que, même s’il n’était pas exclu que cela ait pu constituer l’un des objectifs poursuivis par les parties lors de la conclusion des accords, il n’en restait pas moins que l’un des objectifs poursuivis par Lundbeck lors des négociations était d’obtenir une exclusion des génériques du marché et que c’était en échange d’un paiement substantiel que Merck (GUK) avait accepté de rester en dehors du marché pendant une certaine période, aussi longtemps que les chiffres « se goupillaient » (considérant 255 de la décision attaquée).

209    Or, ainsi que l’a estimé à bon droit la Commission, ces éléments révèlent clairement l’intention anticoncurrentielle des parties aux accords litigieux, consistant à se partager la rente de monopole du laboratoire de princeps en échange d’une exclusion du marché des génériques. Le fait que les accords aient pu poursuivre également d’autres objectifs ne saurait remettre en cause cette appréciation. En effet, selon la jurisprudence, un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit d’autres objectifs légitimes (voir arrêt BIDS, point 135 supra, EU:C:2008:643, point 21 et jurisprudence citée), et un accord n’est pas exclu du champ du droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, Rec, EU:C:1988:448, point 15).

210    Par ailleurs, la circonstance que l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel puisse se révéler être la solution la plus rentable ou la moins risquée pour une entreprise n’exclut aucunement l’application de l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêts Dalmine/Commission, point 49 supra, EU:T:2004:220, point 211, et du 8 juillet 2004, Corus UK/Commission, T‑48/00, Rec, EU:T:2004:219, point 73).

211    En outre, il est douteux que les parties aient eu comme objectif de clarifier la situation concernant les brevets de Lundbeck, dans la mesure où les accords litigieux ne contenaient aucune clause en vertu de laquelle Lundbeck se serait engagée à ne pas contester une éventuelle entrée de Merck (GUK) sur le marché à l’expiration de ceux-ci. Au contraire, en vertu de ces accords, Merck (GUK) s’est engagée à ne pas entrer sur le marché avec ses produits génériques pendant toute la durée des accords, alors même qu’elle contestait que ces produits puissent violer un quelconque brevet de Lundbeck (préambule de l’accord UK). Il ressort des pièces du dossier, en revanche, que Merck (GUK) a décidé qu’il était financièrement plus avantageux de rester en dehors du marché en acceptant un paiement inversé de 31,6 millions d’euros au total en guise de compensation, même si elle était tout à fait confiante quant au caractère non contrefaisant de ses produits génériques au moment de la signature des accords litigieux.

212    La requérante fait valoir néanmoins que la Commission aurait dû déterminer s’il existait, au vu des pièces pertinentes, des éléments de preuve cohérents, fiables et précis attestant que Merck (GUK) avait objectivement de réelles chances de l’emporter en cas de contentieux portant sur les brevets de Lundbeck, plutôt que de se fonder sur les perceptions subjectives des parties aux accords. Une telle approche impliquerait toutefois que la Commission évalue, comme le ferait un juge national, la validité et la portée des brevets de Lundbeck, alors même qu’un tel examen n’avait pas été conduit au moment où les accords litigieux avaient été conclus.

213    Or, selon la jurisprudence, il n’appartenait pas à la Commission de définir la portée d’un brevet, même si elle ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE (arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, Rec, EU:C:1986:75, point 26).

214    Il y a lieu de constater, dès lors, que la Commission n’a pas commis d’erreur en se fondant plutôt sur la perception qu’avaient les parties de leur position en matière de brevets et de leurs chances de l’emporter en cas de litige au moment de conclure les accords litigieux afin d’établir l’existence d’une restriction par objet en l’espèce (points 76 et 77 ci-dessus). Une telle approche est parfaitement conforme à la jurisprudence mentionnée au point 138 ci-dessus. En outre, la Commission s’est fondée à cet égard sur des éléments objectifs tels que des documents ou éléments de preuve émanant des parties aux accords in tempore non suspecto. Le fait que ces mêmes parties aient pu tenir des propos différents par la suite n’a qu’une faible valeur probante et ne saurait mettre en cause les éléments factuels relevés par la Commission dans sa décision (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, EU:T:2008:255, point 509).

b)     Sur la pertinence de la jurisprudence du Royaume-Uni

215    Il y a lieu d’examiner les arguments relatifs à la pertinence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancellerie], du 23 octobre 2001, Smithkline Beecham Plc v. Generics (UK) Ltd [(2002) 25(1) I.P.D. 25005, ci-après l’« arrêt Paroxetine »], et du litige Lagap aux fins de l’analyse de la finalité des accords litigieux, étant donné que ces éléments permettent, selon la requérante, d’apporter un éclairage différent sur les objectifs poursuivis par les parties à ces accords.

216    Selon la requérante, la Commission aurait dû déterminer s’il existait, au vu des pièces pertinentes, des éléments de preuve cohérents, fiables et précis attestant que Merck (GUK) avait de réelles chances de l’emporter en cas de contentieux portant sur les brevets de Lundbeck. À cet égard, elle estime que la Commission aurait dû tenir compte du point de vue de Merck (GUK), lequel était fortement influencé par son échec devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Paroxetine, point 215 supra, juste avant le début des négociations concernant l’accord UK avec Lundbeck.

 Arrêt Paroxetine

217    En premier lieu, la requérante fait valoir que l’arrêt Paroxetine, point 215 supra, aurait fondamentalement modifié l’environnement réglementaire en matière de brevets au Royaume-Uni, en transférant la charge de la preuve à l’entreprise de génériques qui souhaite lancer son produit sur le marché, et que la Commission aurait omis de tenir compte de la pertinence de cet arrêt en examinant la finalité des accords litigieux.

218    À cet égard, il convient de rappeler qu’une question relative à l’interprétation du droit national d’un État membre est une question de fait (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 21 décembre 2011, A2A/Commission, C‑318/09 P, EU:C:2011:856, point 125 et jurisprudence citée, et du 16 juillet 2014, Zweckverband Tierkörperbeseitigung/Commission, T‑309/12, EU:T:2014:676, point 222 et jurisprudence citée), sur laquelle le Tribunal est tenu, en principe, d’exercer un contrôle entier (point 84 ci-dessus).

219    Dans cette affaire, le juge Jacob de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, a appliqué les principes régissant la délivrance d’injonctions provisoires en droit anglais et a estimé que la mise en balance des intérêts penchait en faveur du laboratoire de princeps au vu des circonstances particulières de l’affaire et notamment du fait que GUK n’avait pas « levé les obstacles » en informant celui-ci de sa ferme intention de lancer son produit générique sur le marché alors qu’elle s’était préparée à une telle entrée pendant quatre ans et en dépit du fait qu’elle savait que celui-ci détenait des brevets lui permettant d’intenter une action en contrefaçon à son égard.

220    Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’interprétation et la portée exacte à donner à cet arrêt, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que, en l’espèce, à la différence des faits en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Paroxetine, point 215 supra, Merck (GUK) avait effectué des démarches afin d’informer Lundbeck de son intention ferme d’entrer sur le marché bien avant qu’elle n’ait eu l’intention de lancer ses produits génériques. La décision attaquée mentionne ainsi l’existence d’une réunion entre Lundbeck et Merck (GUK) dès le mois de février 1999, dont il ressort déjà que Lundbeck était au courant de l’intention de Merck (GUK) de développer et de vendre une version générique du citalopram et que de nombreux contacts entre Lundbeck et Merck (GUK) avaient eu lieu au cours des années 2000 et 2001.

221    De plus, contrairement à la situation en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Paroxetine, point 215 supra, en l’espèce, le brevet sur la cristallisation n’a été publié et octroyé au sens de l’article 25 de la UK Patents Act 1977 (loi du Royaume-Uni sur les brevets de 1977) que le 30 janvier 2002 au Royaume-Uni, c’est-à-dire peu après que Merck (GUK) a obtenu une AMM au Royaume-Uni le 9 janvier 2002 et bien après qu’elle a entamé des démarches pour entrer sur le marché du citalopram avec une version générique de ce produit. Dès lors, il est erroné d’affirmer, comme le fait la requérante, que Lundbeck aurait pu demander des mesures provisoires avant cette date et, en application des principes dégagés par l’arrêt Paroxetine, point 215 supra, il est à tout le moins douteux que, en cas d’entrée à risque de Merck (GUK) sur le marché, Lundbeck eût pu obtenir des mesures provisoires après cette date en invoquant le brevet sur la cristallisation afin de bloquer une telle entrée.

222    En outre, il ressort des pièces du dossier que c’est essentiellement en raison du paiement proposé par Lundbeck que Merck (GUK) a accepté de conclure les accords litigieux, et non en vue de « lever les obstacles » à la commercialisation de son générique ou de se conformer à l’arrêt Paroxetine, point 215 supra.

223    En effet, premièrement, il ressort d’un courrier interne de Merck (GUK) du 28 septembre 2001 que celle-ci avait entrepris des démarches en vue de conclure un accord avec Lundbeck dès cette date, c’est-à-dire avant que l’arrêt Paroxetine, point 215 supra, ne soit rendu (considérant 244 de la décision attaquée).

224    Deuxièmement, Merck (GUK) avait réaffirmé son intention, dans un courrier du 24 octobre 2001, c’est-à-dire dès le lendemain du prononcé de cet arrêt, d’« attaquer Lundbeck par tous les moyens possibles » (considérant 246 de la décision attaquée). De même, il ressort d’une réunion tenue entre Lundbeck et Merck (GUK) le 11 décembre 2001 que Merck (GUK) envisageait de lancer ses génériques le 5 janvier 2002 si Lundbeck ne proposait pas un accord suffisamment intéressant, indépendamment de l’arrêt Paroxetine, point 215 supra (considérant 255 de la décision attaquée).

225    Troisièmement, si Merck (GUK) entendait effectivement se conformer à cet arrêt afin de « lever les obstacles », il est difficile de comprendre pourquoi elle a accepté de livrer tous ses produits de citalopram générique à Lundbeck afin que ceux-ci soient retirés du marché (point 2.2 de l’accord UK).

226    Quatrièmement, la requérante n’explique pas en quoi l’arrêt Paroxetine, point 215 supra, rendu par une juridiction du Royaume-Uni, aurait pu avoir un impact sur sa position concurrentielle dans l’EEE et influencer sa décision de ne pas entrer sur les marchés des autres États de l’EEE.

227    Cinquièmement, il convient de rappeler, à l’instar de la Commission, que Merck (GUK) est brièvement entrée sur le marché du Royaume-Uni en août 2003, parce que l’offre de Lundbeck n’était « pas assez bonne » (considérant 299 de la décision attaquée), et s’est retirée de nouveau par la suite en prorogeant son accord avec Lundbeck lorsque le paiement promis par celle-ci a été considéré comme étant satisfaisant, ce qui ôte toute crédibilité à l’argument de la requérante.

228    En deuxième lieu, s’agissant du prétendu manque de motivation de la décision attaquée à cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés, mais qu’il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (arrêts du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, Rec, EU:C:2008:375, point 96, et du 3 mars 2010, Freistaat Sachsen e.a./Commission, T‑102/07 et T‑120/07, Rec, EU:T:2010:62, point 180).

229    Dès lors, au vu des différences existant entre la situation de la requérante en l’espèce et celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Paroxetine, point 215 supra, la Commission pouvait considérer, sans commettre d’erreur, que l’affaire Paroxetine ne constituait pas un élément essentiel de son analyse aux fins d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Les différentes lettres et communications invoquées par la requérante au soutien de ses arguments témoignent uniquement du fait que, bien qu’elle était confiante dans sa position en matière de brevets, elle n’était pas certaine de l’emporter en cas de contentieux avec Lundbeck et qu’elle a, dès lors, préféré conclure des accords lucratifs avec cette dernière, ce que la Commission ne conteste pas.

230    En tout état de cause, il convient de relever que la Commission a bien tenu compte de l’arrêt Paroxetine, point 215 supra, dans la décision attaquée. Elle y a constaté notamment, dans la note en bas de page n° 312, qu’il était difficile de comprendre en quoi cet arrêt aurait pu rendre Lundbeck moins encline à intenter des actions contentieuses, si cet arrêt était effectivement plus favorable aux détenteurs de brevets. De même, en ce qui concerne Merck (GUK), la Commission a estimé à juste titre, dans la note en bas de page n° 1134 de la décision attaquée, que, malgré cet arrêt, un producteur de génériques conservait le droit de lancer son produit générique à risque sans avoir à fournir la preuve que son produit ne violait aucun brevet. La charge de la preuve pesait donc, à cet égard, même au Royaume-Uni après l’arrêt Paroxetine, point 215 supra, sur l’entreprise détentrice du brevet, sans que les éléments de preuve fournis par la requérante permettent de remettre en cause cette conclusion.

231    Il découle de ce qui précède que le grief de la requérante selon lequel la Commission n’aurait pas suffisamment tenu compte des implications de la jurisprudence du Royaume-Uni et, en particulier, de l’arrêt Paroxetine, point 215 supra, doit être rejeté.

 Litige Lagap

232    Selon la requérante, les accords litigieux auraient permis de limiter les retards relatifs à son entrée sur le marché, en faisant référence au litige Lagap au Royaume-Uni, qui aurait servi d’affaire clé pour lever les obstacles liés aux brevets de Lundbeck. L’issue de cette affaire serait même mentionnée explicitement dans la seconde prorogation de l’accord UK en tant que facteur déterminant la durée de cet accord.

233    Une telle allégation ne saurait prospérer cependant, puisque l’accord UK, dans sa version initiale, ne faisait aucune allusion à ce litige, qui est né après la signature de l’accord, en octobre 2002. En outre, il ressort d’un courrier interne de Lundbeck du 29 septembre 2003 que celle-ci envisageait de proroger l’accord UK une nouvelle fois en cas de « victoire totale » dans le litige Lagap (considérant 305 de la décision attaquée). Si les première et seconde prorogations de l’accord UK faisaient référence à ce litige, c’était sans doute parce qu’un tel accord, visant à retarder l’entrée de Merck (GUK) sur le marché, ainsi que les paiements qui en découlaient auraient été inutiles pour Lundbeck, une fois que Lagap ou toute autre entreprise de génériques serait parvenue à entrer sur le marché du citalopram au Royaume-Uni, comme l’indique à juste titre la Commission au considérant 685 de la décision attaquée et ainsi qu’il ressort également du considérant 306 de ladite décision.

234    En outre, comme l’indique la Commission au considérant 687 de la décision attaquée, le citalopram générique en cause dans le litige Lagap (celui de la société indienne Matrix) était différent de celui produit par Natco que Merck (GUK) envisageait de commercialiser, de sorte que ce procès ne saurait avoir été déterminant en ce qui concerne la décision de la requérante de conclure les accords litigieux. En effet, à supposer même que, dans le litige Lagap, le citalopram de Matrix eût été jugé contrefaisant, ce qui ne fut finalement pas le cas, cela n’aurait pu avoir aucun impact sur les produits de Merck (GUK), qui étaient fondés sur le citalopram de Natco. Le litige Lagap aurait donc tout au plus permis de clarifier la situation en ce qui concerne la validité du brevet sur la cristallisation de Lundbeck, mais cette question n’a pas non plus été définitivement résolue, puisque les parties au procès relatif à ce litige ont finalement préféré transiger, à la demande de Lundbeck, qui craignait une « défaite humiliante » qui aurait été utilisée contre elle dans d’autres juridictions, ainsi que cela ressort d’un document interne de Lundbeck postérieur de quelques jours au règlement amiable intervenu dans le litige Lagap (considérant 160 de la décision attaquée).

235    Enfin, étant donné que le litige Lagap ne concernait que le Royaume-Uni, son issue n’aurait pas pu être déterminante en ce qui concerne la situation en matière de brevets dans le reste de l’EEE. L’accord pour l’EEE ne contenait d’ailleurs aucune référence à ce litige, bien qu’il ait été signé postérieurement.

236    L’ensemble des arguments de la requérante visant à remettre en cause l’appréciation de la Commission, dans la décision attaquée, relative à la finalité des accords litigieux doivent donc être rejetés.

3.     Sur le contexte des accords litigieux

237    La requérante estime enfin que la Commission a omis de tenir compte du contexte entourant la conclusion des accords litigieux en concluant notamment que les paiements inversés effectués en vertu de ces accords ont incité Merck (GUK) à conclure lesdits accords, entraînant avec certitude son éviction du marché. La requérante reproche à la Commission d’avoir inversé la charge de la preuve à cet égard, étant donné que celle-ci n’aurait pas réfuté les conclusions relatives aux motifs différents et légitimes du transfert de valeur avancées par elle au cours de la procédure administrative. Elle considère, en outre, que la Commission a méconnu la présomption de validité attachée aux brevets de Lundbeck en qualifiant les accords litigieux de restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

a)     Sur la présomption de validité des brevets de Lundbeck

238    La requérante estime, par son deuxième moyen, que l’analyse des accords litigieux effectuée par la Commission dans la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit, dans la mesure où elle ne tiendrait pas compte de l’existence des brevets de Lundbeck, délivrés valablement. Selon la requérante, dès lors que Merck (GUK) était mise en présence d’un ensemble de brevets présumés valides et qu’elle avait identifié un risque de contrefaçon et de contentieux, elle avait le droit et la faculté de résoudre un litige afférent à ces brevets par le biais d’un règlement amiable, pour autant que les clauses de ce règlement restaient dans le cadre de ce monopole consacré juridiquement. Prétendre le contraire reviendrait à nier la présomption de validité des brevets et à obliger les entreprises de génériques à engager une procédure contentieuse ou à épuiser les autres possibilités, quelles que soient les conséquences en termes de coûts et de risques.

239    L’interprétation de l’arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission (T‑321/05, Rec, EU:T:2010:266), effectuée par la Commission dans la décision attaquée ne serait pas correcte, puisque, dans cet arrêt, le Tribunal aurait expressément rejeté le point de vue selon lequel un droit de brevet doit avoir fait l’objet d’un exercice dans le cadre d’une action en justice pour produire ses effets à l’égard des concurrents, parce que le droit de la concurrence ne saurait exiger que les concurrents contreviennent à la réglementation publique en enfreignant des droits exclusifs. La Commission aurait dès lors commis une erreur de droit en soutenant que les entreprises de génériques avaient l’obligation d’engager une procédure lorsqu’elles étaient en présence d’un brevet délivré valablement, quelles qu’en soient les conséquences en termes de risques et de coûts.

240    De même, la référence à l’arrêt Windsurfing International/Commission, point 213 supra (EU:C:1986:75), dans la décision attaquée serait trompeuse, dans la mesure où la Commission ne tiendrait pas compte du fait que l’extrait de cet arrêt qui y est mentionné concernait des planches à voile qui n’étaient pas protégées par un brevet et des restrictions qui n’entraient pas dans l’objet d’un brevet. En outre, la Cour aurait expressément admis dans cet arrêt qu’un titulaire de brevet peut également faire respecter ses droits par le biais d’un accord, sans introduire un recours contentieux, dès lors que cet accord porte effectivement sur le produit couvert par le brevet, ce qui serait le cas en l’espèce.

241    Par ailleurs, l’affirmation de la Commission selon laquelle les accords litigieux, quand bien même ils entreraient dans le champ d’application du brevet, violeraient l’article 101 TFUE parce qu’ils transforment l’incertitude liée à une entrée éventuelle du produit générique sur le marché, y compris par le biais d’un contentieux en matière de brevet, en certitude quant à l’absence de concurrence méconnaîtrait la véritable raison d’être de ces accords, qui viseraient à résoudre un litige en matière de brevets. Rien ne permettrait de conclure que la concurrence s’exercerait uniquement par le biais d’un contentieux et non par d’autres moyens comme des règlements amiables qui faciliteraient une entrée précoce sur le marché.

242    La Commission conteste ces arguments.

243    Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que, si les droits reconnus par la législation d’un État membre en matière de propriété industrielle ne sont pas affectés dans leur existence par les dispositions de l’article 101 TFUE, les conditions de leur exercice peuvent cependant relever des interdictions édictées par celui-ci. Tel peut être le cas chaque fois que l’exercice d’un tel droit apparaît comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, Rec, EU:C:1974:114, points 39 et 40).

244    De même, selon la jurisprudence, s’il n’appartient pas à la Commission de définir la portée d’un brevet, celle-ci ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE (arrêt Windsurfing International/Commission, point 213 supra, EU:C:1986:75, point 26). La Cour a également précisé que l’objet spécifique du brevet ne saurait être interprété comme garantissant une protection également contre les actions visant à contester la validité d’un brevet, compte tenu de ce qu’il est de l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort (arrêt Windsurfing International/Commission, point 213 supra, EU:C:1986:75, point 92).

245    Dès lors, s’il est vrai que l’objet spécifique de la propriété industrielle est notamment d’assurer au titulaire, afin de récompenser l’effort créateur de l’inventeur, le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement, soit par l’octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon (arrêt Centrafarm et de Peijper, point 243 supra, EU:C:1974:114, point 9), l’existence d’un brevet n’implique pas le droit d’exclure de manière temporaire ou définitive un concurrent réel ou potentiel du marché, sous couvert de régler certains litiges à l’amiable, lorsque l’issue de tels litiges est hautement incertaine et qu’il ressort à la fois du contenu des accords en cause et du contexte dans lequel ils s’inscrivent que l’objectif de ces accords est de restreindre la concurrence.

246    Contrairement à ce que fait valoir la requérante, cela ne remet pas en question la présomption de validité attachée aux brevets, mais une telle présomption de validité ne saurait équivaloir à une présomption d’illégalité des produits génériques valablement mis sur le marché dont le détenteur d’un brevet estime qu’ils violent celui-ci. En effet, comme le rappelle la Commission, en l’espèce, il appartenait à Lundbeck de démontrer, devant les juridictions nationales, en cas d’entrée des médicaments génériques sur le marché, que ceux-ci enfreignaient l’un ou l’autre de ses brevets de procédé, une entrée à risque n’étant pas illégale en elle-même. Par ailleurs, il eût été possible, en cas d’action en contrefaçon intentée par Lundbeck contre les producteurs de génériques, que ces derniers contestent la validité du brevet dont se prévalait Lundbeck, par le biais d’une action reconventionnelle. De telles actions sont en effet fréquentes en matière de brevet et aboutissent, dans de nombreux cas, à une déclaration d’invalidité du brevet de procédé dont le détenteur de brevet se prévaut. Ainsi, il ressort des éléments de preuve figurant aux considérants 157 et 745 de la décision attaquée que Lundbeck estimait elle-même cette probabilité à hauteur de 50 à 60 % en ce qui concerne le brevet sur la cristallisation.

247    Or, selon la jurisprudence, le fait même qu’une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché puisse être écartée par le biais d’un accord entre concurrents suffit, en principe, pour rendre cet accord contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

248    En outre, la Commission n’était pas tenue d’effectuer sa propre appréciation de la validité du brevet sur la cristallisation de Lundbeck dans le cadre d’une analyse fondée sur la notion de restriction par objet, en l’absence de jugement définitif portant sur l’existence d’une contrefaçon et sur la validité des brevets de Lundbeck devant les juridictions nationales (considérants 185 et 671 de la décision attaquée).

249    En effet, bien que certains litiges aient été portés devant les juridictions nationales, dont le litige Lagap au Royaume-Uni qui a abouti à un règlement amiable, aucun n’a abouti à un jugement définitif réglant la question de la validité du brevet sur la cristallisation de Lundbeck ou la question de la contrefaçon des produits génériques de Natco vendus par Merck (GUK) (considérant 159 de la décision attaquée).

250    L’approche suivie par la Commission dans la décision attaquée, qui consiste à tenir compte de l’existence des brevets de procédé de Lundbeck et à examiner la perception, par les parties aux accords litigieux, des brevets de Lundbeck et, en particulier, du brevet sur la cristallisation, au moment de conclure ces accords (voir notamment le considérant 669 de la décision attaquée), est conforme à l’arrêt Windsurfing International/Commission, point 213 supra (EU:C:1986:75, point 26), dans lequel la Cour a considéré qu’il n’appartenait pas à la Commission de définir la portée d’un brevet, mais qu’elle ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE.

251    Or, il ressort des éléments de preuve figurant notamment au considérant 838 de la décision attaquée que Merck (GUK) était particulièrement confiante dans le fait que le citalopram de Natco ne violait pas le brevet sur la cristallisation de Lundbeck et que, au moment où les accords litigieux ont été conclus, Merck (GUK) comptait lancer son produit au Royaume-Uni ainsi que dans plusieurs États de l’EEE dans un futur proche. Par ailleurs, il ressort des éléments de preuve figurant au considérant 754 de la décision attaquée que Merck (GUK), à l’instar d’autres entreprises de génériques, doutait de la validité du brevet sur la cristallisation et estimait que ses chances de pouvoir l’emporter en cas de contentieux avec Lundbeck étaient élevées.

252    Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas méconnu la présomption de validité attachée aux brevets de Lundbeck et qu’elle a dûment tenu compte de l’existence de ces brevets et, en particulier, du brevet sur la cristallisation en tant qu’éléments de contexte pertinents afin d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet en l’espèce (considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

b)     Sur le transfert de valeur de Lundbeck à Merck (GUK)

253    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la Commission a tenu compte de l’importance des paiements inversés en tant qu’élément de contexte visant à établir l’existence d’une infraction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ainsi que cela ressort des considérants 661 et 662 de la décision attaquée notamment.

 i) Sur l’appréciation des paiements inversés dans la décision attaquée

254    La requérante fait valoir, dans le cadre de son troisième moyen, que la Commission a commis une erreur de droit en concluant que les paiements au titre des accords litigieux étaient déterminants aux fins de son appréciation juridique.

255    Premièrement, elle considère que la Commission a renversé la charge de la preuve en affirmant qu’il appartenait à Merck (GUK) de réfuter ses conclusions relatives au transfert de valeur en invoquant des motifs différents et légitimes.

256    Deuxièmement, elle estime que la Commission n’a pas énoncé de critère juridique cohérent aux fins de l’appréciation des paiements inversés dans la décision attaquée.

257    Troisièmement, la Commission aurait commis une erreur de droit en concluant que la simple existence d’un paiement prouverait que la décision de Merck (GUK) concernant la date de lancement du citalopram générique n’était pas fondée sur l’évaluation de la force du brevet de Lundbeck et sur le risque de contrefaçon et de contentieux qui y était afférent. La requérante reproche, à cet égard, à la Commission de ne pas avoir examiné la théorie économique qu’elle a invoquée, dont il ressortirait clairement que la simple existence d’un paiement inversé ne prouve pas l’existence d’une restriction de la concurrence et dépendrait du calendrier des évènements passés et futurs attendus. En outre, l’asymétrie des risques entre les parties quant à l’issue et à la probabilité d’un contentieux, de même que l’aversion au risque de l’une ou l’autre des parties, permettrait d’expliquer l’existence d’un paiement en vue de combler cette asymétrie et de permettre aux parties d’éviter une longue procédure susceptible de retarder la commercialisation du produit générique. Un règlement amiable prévoyant un tel paiement pourrait donc entraîner des bénéfices pour le consommateur dans les cas où les parties n’auraient pas pu parvenir à un accord prévoyant uniquement une date d’entrée sur le marché.

258    Quatrièmement, il existerait des différences fondamentales entre l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 135 supra (EU:C:2008:643), et les accords litigieux, puisque cette affaire ne porterait pas sur des droits de brevet permettant d’évincer légalement les concurrents du marché. En outre, dans cette affaire, l’entente aurait été conclue afin d’évincer la majorité des acteurs déjà présents sur le marché, et non dans un cas où une entreprise de génériques comme Merck (GUK) aurait hypothétiquement pu entrer sur le marché avec succès.

259    La Commission conteste ces arguments.

260    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler, à l’instar de la Commission, que la décision attaquée reconnaît que l’existence d’un paiement inversé dans le cadre d’un règlement amiable en matière de brevets n’est pas toujours problématique, notamment lorsque ce paiement est lié à la force du brevet, telle que perçue par chacune des parties aux accords, qu’il est nécessaire pour trouver une solution acceptable et légitime aux yeux des deux parties et qu’il n’est pas lié à un retard de l’entrée sur le marché de l’entreprise de génériques (considérants 638 et 639 de la décision attaquée).

261    En outre, la Commission n’a pas indiqué dans la décision attaquée que tous les accords contenant des paiements inversés étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais uniquement que le caractère disproportionné d’un tel paiement, combiné à plusieurs autres facteurs, tels que l’absence d’une clause permettant à Merck (GUK) de lancer ses produits génériques sur le marché à l’expiration des accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck, ou encore la présence de restrictions allant au-delà de la portée des brevets de Lundbeck dans les accords litigieux, permettait de conclure que ces accords avaient pour objet de restreindre la concurrence au sens de cette disposition en l’espèce (voir considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

262    Or, contrairement à ce que fait valoir la requérante, l’existence même d’un paiement inversé peut constituer une indication de la faiblesse d’un brevet et du fait que le détenteur de ce brevet n’est pas intimement convaincu de ses chances de succès en cas de litige.

263    Même si une position adoptée par le droit américain ne saurait commander celle retenue par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, Rec, EU:T:2003:245, point 1407), il convient de relever que la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis) a adopté une approche similaire, en considérant qu’un tel paiement pouvait constituer un substitut pour la faiblesse d’un brevet, sans devoir pousser une juridiction à conduire un examen approfondi quant à la validité de celui-ci [voir, en ce sens, arrêt de la Supreme Court of the United States du 17 juin 2013, Federal Trade Commission v. Actavis, 570 U.S. (2013)].

264    En effet, dans une situation où les parties à un règlement amiable considèrent, d’un commun accord, qu’il y a un risque avéré d’infraction à un brevet, il est assez surprenant de voir le propriétaire du brevet en cause payer l’entreprise de génériques pour qu’elle accepte de retirer son produit générique du marché. Dans l’hypothèse où l’entreprise de génériques est déjà entrée sur le marché, en violant le brevet du laboratoire de princeps, il serait logique, au contraire, que le paiement soit effectué en faveur de ce dernier, en vue de compenser les dommages subis du fait de l’entrée illégale des génériques sur le marché.

265    Certes, comme le fait valoir la requérante, l’asymétrie des risques existant entre l’entreprise de génériques et le détenteur de brevet peut conduire ce dernier à effectuer un paiement inversé afin d’éviter tout risque, même minime, que les génériques puissent entrer sur le marché, surtout lorsque le produit breveté, comme le Cipramil en l’espèce, constitue son produit phare représentant l’essentiel de son chiffre d’affaires (considérants 26 et 120 de la décision attaquée) et que l’entreprise en cause, telle Lundbeck, cherche une fenêtre propice pour pouvoir lancer le successeur de ce produit sur le marché (considérants 135 et suivants de la décision attaquée).

266    Il y a lieu de rappeler, toutefois, que la circonstance que l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel puisse se révéler être la solution la plus rentable ou la moins risquée pour une entreprise n’exclut aucunement l’application de l’article 101 TFUE (point 210 ci-dessus), en particulier lorsqu’il s’agit de payer des concurrents réels ou potentiels pour qu’ils se tiennent à l’écart du marché et de partager avec ceux-ci les bénéfices résultant d’une rente de monopole, au détriment des consommateurs, comme en l’espèce.

267    Du point de vue de la requérante, s’il est vrai que la Commission ne saurait exiger d’une entreprise qu’elle prenne des risques commerciaux qu’elle ne souhaite pas prendre, les démarches et les investissements accomplis par Merck (GUK) en vue d’entrer sur le marché en l’espèce démontrent que celle-ci était prête à courir les risques qu’une telle entrée comportait (points 66 et 67 ci-dessus). Dès lors, bien que Merck (GUK) n’était pas tenue d’entrer sur le marché si, en se fondant uniquement sur les brevets de procédé de Lundbeck, elle estimait qu’une telle entrée était trop risquée, elle ne saurait, toutefois, conclure des accords tels que les accords litigieux par lesquels elle s’engage à ne pas entrer avec ses génériques sur le marché en échange de paiements inversés importants, d’autant plus lorsque ces paiements correspondent aux bénéfices qu’elle compte réaliser en entrant sur le marché.

268    Partant, il y a lieu de constater, à l’instar de la Commission, que l’existence d’un paiement inversé peut constituer une indication de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, lorsqu’il apparaît qu’un tel paiement a incité l’entreprise de génériques à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché, comme en l’espèce.

269    Par ailleurs, c’est à tort que la requérante prétend que la Commission aurait renversé la charge de la preuve à cet égard. En effet, la Commission s’est fondée sur des éléments objectifs, tels que le contenu de la réunion entre Lundbeck et Merck (GUK) du 11 décembre 2001, afin de conclure que c’est principalement l’importance du paiement inversé en faveur de Merck (GUK) qui a incité celle-ci à accepter les limitations régissant sa conduite et non l’existence des brevets de procédé de Lundbeck ou encore la volonté d’éviter les frais liés à un éventuel litige (considérants 255 et 748 de la décision attaquée). Du point de vue de Merck (GUK), ces montants constituaient un dédommagement de son manque à gagner correspondant aux bénéfices qu’elle comptait réaliser en entrant sur le marché, sans qu’elle ait à poursuivre ses efforts et à assumer les risques d’une telle entrée (considérant 350 de la décision attaquée). En outre, la requérante n’a fourni aucune autre explication plausible quant aux raisons pour lesquelles Lundbeck lui aurait payé la somme de 19,4 millions d’euros en ce qui concerne l’accord UK et celle de 12 millions d’euros en ce qui concerne l’accord pour l’EEE.

270    Force est de constater, dès lors, que la Commission s’est acquittée de ses obligations en matière de charge de la preuve en l’espèce, conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 76 à 83 ci-dessus.

271    Enfin, contrairement à ce qu’invoque la requérante, la Commission n’a commis aucune erreur de droit en se fondant sur l’arrêt BIDS, point 135 supra (EU:C:2008:643), puisque, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, les accords litigieux ont également limité la faculté des opérateurs économiques de déterminer de manière autonome la politique qu’ils entendaient poursuivre sur le marché, en empêchant le processus normal de la concurrence de suivre son cours (voir, en ce sens, arrêt BIDS, point 135 supra, EU:C:2008:643, points 33 à 35).

272    Certes, à la différence des circonstances dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 135 supra (EU:C:2008:643), les accords litigieux ont été conclus dans un contexte où Lundbeck possédait des brevets permettant d’empêcher l’entrée sur le marché des produits contrefaisants. Il y a lieu de rappeler, néanmoins, que, en l’espèce, l’existence des nouveaux brevets de procédé de Lundbeck ne s’opposait pas à ce que les entreprises de génériques puissent être considérées comme des concurrents potentiels de celle-ci, ainsi que cela résulte de l’examen du quatrième moyen ci-dessus. Or, l’article 101 TFUE protège la concurrence potentielle tout comme la concurrence actuelle (point 70 ci-dessus).

273    En outre, aux points 84 et 85 de l’arrêt CB/Commission, point 39 supra (EU:C:2014:2204), la Cour a en substance mis en exergue le fait que les accords visés par l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 135 supra (EU:C:2008:643), modifiaient la structure du marché et présentaient un degré de nocivité tel qu’ils pouvaient être qualifiés de restriction par objet, alors que tel n’était pas le cas du comportement dont il s’agissait dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt CB/Commission, point 39 supra (EU:C:2014:2204), qui consistait dans l’obligation faite à des banques de payer une redevance ou de limiter leurs activités d’émission de cartes bancaires.

274    À cet égard, à supposer même que les points en cause de l’arrêt CB/Commission, point 39 supra (EU:C:2014:2204), puissent être lus en ce sens que la modification de la structure du marché est une condition sine qua non pour constater l’existence d’une restriction par objet, les accords litigieux ont affecté la structure des marchés concernés en l’espèce, dès lors qu’ils ont permis de retarder l’entrée de la requérante sur ces marchés, en permettant ainsi à Lundbeck de garder des prix élevés pour le Cipramil et de disposer de conditions favorables pour le lancement du Cipralex, qui était censé remplacer le Cipramil à brève échéance (point 9 ci-dessus et considérants 129 à 132 de la décision attaquée).

275    Au demeurant, selon la jurisprudence, un accord n’est pas exclu du champ du droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets et il peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit d’autres objectifs légitimes (point 209 ci-dessus).

276    Partant, il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante soulevés dans le cadre du troisième moyen.

 ii) Sur les autres explications avancées par la requérante concernant l’existence des paiements inversés

277    La requérante estime que c’est à tort que la Commission a rejeté les autres motifs qu’elle avait tenté de fournir concernant les raisons pour lesquelles Lundbeck lui avait payé la somme de 19,4 millions d’euros en ce qui concerne l’accord UK et celle de 12 millions d’euros en ce qui concerne l’accord pour l’EEE (voir considérants 796 à 802 de la décision attaquée).

 Sur l’objectif allégué de résoudre des litiges en matière de brevet

278    La requérante fait valoir que les accords litigieux ont été conclus afin de résoudre des problèmes de contrefaçon de brevet et des litiges éventuels.

279    À cet égard, il convient de rappeler que, aux considérants 803 et suivants de la décision attaquée, la Commission a précisé que, même s’il n’était pas exclu que l’intention de régler un litige à l’amiable ait pu constituer l’un des objectifs poursuivis par les parties aux accords litigieux lors de la conclusion de ces accords, il n’en restait pas moins que l’objectif de Lundbeck lors des négociations était d’obtenir une exclusion du marché des génériques (considérant 814 de la décision attaquée) et que c’était en échange d’un paiement substantiel que Merck (GUK) avait accepté de rester en dehors du marché pendant une certaine période, et ce aussi longtemps que les chiffres « se goupillaient » (considérant 255 de la décision attaquée).

280    Le fait que ces accords aient pu avoir comme objectif supplémentaire d’éviter les incertitudes d’un éventuel procès ne change rien à cette conclusion, puisqu’il est de jurisprudence constante qu’un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit d’autres objectifs légitimes (voir arrêt BIDS, point 135 supra, EU:C:2008:643, point 21 et jurisprudence citée).

281    En outre, à supposer même que les accords litigieux aient pu avoir comme objectif d’éviter les coûts liés à la survenance de litiges, force est de constater qu’il n’était fait aucune référence à ces coûts ni même à une estimation de ceux-ci dans les accords litigieux et que ces accords contenaient des clauses allant au-delà de ce qui était nécessaire pour permettre un tel règlement amiable sans enfreindre la concurrence (points 154 à 205 ci-dessus). De plus, il convient de rappeler, à l’instar de la Commission, que l’accord UK ne précisait même pas quel brevet de Lundbeck aurait prétendument été violé par Merck (GUK).

282    La requérante estime toutefois que les conclusions de la décision attaquée reposent sur une série sélective d’extraits de documents cités en dehors de leur contexte et que la Commission ne tiendrait pas compte d’autres documents ou informations présentés au cours de la procédure administrative ou en proposerait une interprétation erronée.

283    Ainsi, elle invoque un courriel daté du 6 juin 2002 rédigé par le directeur général de Merck Generics, duquel il ressortirait que la justification de Merck (GUK) pour conclure les accords litigieux était qu’elle craignait de ne pas l’emporter devant les tribunaux. La Commission a considéré toutefois que ce courriel devait être lu en entier et dans son contexte, c’est-à-dire comme visant à expliquer à Natco les raisons de la conclusion d’un accord pour l’EEE (note en bas de page n° 1347 de la décision attaquée).

284    Or, s’il est vrai que ce courriel constitue un courriel interne, comme le fait valoir la requérante, et qu’elle y mentionne la crainte de ne pas l’emporter devant les tribunaux, il y est fait état explicitement de deux options ou de « deux façons de voir la situation » en vue d’expliquer à Natco les raisons pour lesquelles Merck (GUK) s’apprêtait à signer un accord visant l’ensemble de l’EEE et qui rendait, de ce fait, beaucoup plus difficile pour Natco la commercialisation de son produit dans l’EEE. Il ressort également de ce courriel que Merck (GUK) craignait de devoir indemniser Natco et qu’elle cherchait à transférer ce coût auprès de Lundbeck par le biais de la compensation demandée en vertu de l’accord.

285    La Commission a reconnu, en outre, au considérant 754 de la décision attaquée, que certains documents tendaient à indiquer que Merck (GUK) nourrissait certains doutes quant au caractère non contrefaisant de son générique produit par Natco. Toutefois, la Commission a considéré à juste titre que, dans l’ensemble, les éléments de preuve démontraient que Merck (GUK) était particulièrement confiante dans sa position en matière de brevets et qu’elle pensait qu’il était fort peu probable qu’un juge puisse considérer que les brevets de Lundbeck étaient à la fois valides et enfreints par ses produits (voir notamment le considérant 744 de la décision attaquée). Par ailleurs, aucune juridiction de l’EEE n’avait constaté une infraction au brevet sur la cristallisation ni ne s’était prononcée sur la validité de ce brevet au moment de conclure les accords litigieux (considérant 159 de la décision attaquée).

286    La requérante fait état également d’un courriel interne du 19 novembre 2001, dans lequel un gestionnaire des brevets de GUK aurait estimé que le procédé afférent au citalopram de Natco « contrefait littéralement » un des brevets de procédé de Lundbeck. La Commission a examiné ce courriel aux considérants 248 et 754 de la décision attaquée, desquels il ressort que le même expert a constaté que la demande de brevet en question manquait clairement de nouveauté et que le brevet ne devrait pas, dès lors, être octroyé. La requérante rappelle néanmoins que l’expert en question a reconnu dans ce même courriel que le brevet en question s’appliquait à la voie utilisée par Natco pour produire l’IPA citalopram et qu’il devait, dès lors, faire l’objet d’un suivi.

287    Ces éléments ne suffisent pas toutefois à démontrer que Merck (GUK) a décidé de conclure les accords litigieux et d’accepter les limitations à son autonomie qui en découlent en vue de régler un litige, même potentiel, en matière de brevet uniquement en raison de la perception qu’elle avait des brevets de Lundbeck à l’époque et des risques liés aux contentieux éventuels auxquels elle aurait dû faire face en cas d’entrée sur le marché, et non en raison des paiements inversés offerts par Lundbeck. En effet, en l’absence d’autre explication convaincante quant à la nature et aux montants de ces paiements, la Commission pouvait conclure à bon droit que ceux-ci avaient servi de compensation ayant conduit Merck (GUK) à accepter des limitations de son autonomie commerciale.

288    La requérante considère cependant que la Commission aurait dû trancher la question décisive de savoir si l’estimation des risques opérée par Merck (GUK) prenait suffisamment en compte les risques de contrefaçon associés au brevet de Lundbeck. Il y a lieu de relever toutefois, à l’instar de la Commission, que, même si les pièces attestent que Merck (GUK) n’avait pas la certitude absolue que le citalopram de Natco ne violait pas le brevet sur la cristallisation de Lundbeck, il ressort des éléments de preuve cités au considérant 838 de la décision attaquée notamment que Merck (GUK) nourrissait une grande confiance dans la solidité de sa position en matière de brevet au moment de la conclusion des accords litigieux.

289    Selon la requérante, il existait au contraire une incertitude importante quant au caractère contrefaisant des produits génériques de citalopram, qui étaient concernés par de nombreux brevets de Lundbeck, du fait que plusieurs demandes de brevets de Lundbeck n’avaient pas été accueillies encore peu de temps avant l’expiration du brevet originaire couvrant la substance.

290    Il suffit de constater, à cet égard, que la Commission n’a jamais prétendu qu’il n’existait aucune incertitude en matière de brevets, mais que c’est principalement en raison de l’importance du paiement proposé par Lundbeck en vertu des accords litigieux que Merck (GUK) a décidé de conclure ces accords. La Commission a reconnu que les accords litigieux avaient éliminé l’incertitude, pour Merck (GUK) et Lundbeck, liée notamment aux contentieux éventuels en matière de brevet, mais que ces entreprises l’avaient fait au moyen d’instruments anticoncurrentiels, à savoir des accords prévoyant une éviction du marché en contrepartie d’un paiement. En outre, il ressort notamment des considérants 748, 755 et 809 de la décision attaquée que les montants des paiements inversés octroyés par Lundbeck en vertu des accords litigieux correspondaient aux bénéfices escomptés par Merck (GUK) en cas d’entrée sur le marché avec ses produits génériques.

291    La requérante conteste toutefois qu’un paiement inversé qui ne serait pas supérieur aux bénéfices escomptés puisse l’avoir incitée à conclure les accords litigieux et estime que la Commission n’a pas expliqué en quoi cette constatation serait suffisante pour établir une violation du droit de la concurrence.

292    Force est de constater que l’argument de la requérante sur ce point est fondé sur une lecture erronée de la décision attaquée.

293    En effet, il convient de rappeler, à cet égard, que la Commission n’a pas constaté que l’existence d’un paiement inversé, dont le montant semblait correspondre aux bénéfices escomptés par l’entreprise de génériques, suffisait pour établir une violation des règles du traité sur la libre concurrence en l’espèce. Au contraire, la Commission a estimé que des accords amiables contenant certains paiements, même inversés, n’étaient pas toujours problématiques au regard du droit de la concurrence, tant que de tels paiements étaient liés à la force du brevet concerné, telle que perçue par chacune des parties, et qu’ils n’étaient pas accompagnés de restrictions visant à retarder l’entrée des génériques sur le marché (considérants 638 et 639 de la décision attaquée). Elle a ainsi pris l’exemple de Neolab Ltd, avec laquelle Lundbeck avait également conclu un accord amiable, qui n’a pas été considéré comme étant problématique, alors même qu’il impliquait un paiement inversé, dès lors que ce paiement au profit de Neolab s’accompagnait, d’une part, d’un engagement de la part de celle-ci de ne pas demander de dommages-intérêts à Lundbeck devant les juridictions compétentes et, d’autre part, d’une renonciation, par Lundbeck, à faire valoir toute revendication en matière de brevets pendant une certaine période (considérants 164 et 639 de la décision attaquée). Dans un tel cas, le paiement inversé avait effectivement pour objet de régler un litige entre les parties, sans pour autant retarder l’entrée des génériques sur le marché.

294    S’il est vrai que, dans le cas de Neolab, il y avait également eu un premier règlement amiable entre les mêmes parties prévoyant de retarder l’entrée de Neolab sur le marché, en attendant l’issue du litige Lagap, un tel règlement n’était pas lui-même accompagné d’un transfert de valeur et était conditionné au fait que Lundbeck verse des dommages-intérêts à Neolab en cas de jugement défavorable dans le cadre de ce litige. Après que Lundbeck avait finalement décidé de régler son litige avec Lagap à l’amiable, Neolab avait toujours conservé un intérêt à obtenir des dommages-intérêts, ce qui nécessitait d’obtenir au préalable l’invalidité du brevet de Lundbeck. C’est dans ce contexte que Lundbeck a préféré régler son litige avec Neolab à l’amiable, en acceptant de lui payer les dommages-intérêts encourus pour l’année où elle s’était retirée du marché et en s’engageant à ne pas faire valoir de revendications en matière de brevets en cas d’entrée sur le marché de celle-ci (considérant 164 de la décision attaquée). Ce dernier engagement est donc crucial, puisque, contrairement à l’accord litigieux, le paiement effectué par Lundbeck ne constituait pas la contrepartie d’une exclusion du marché, mais s’accompagnait au contraire d’une acceptation de non-contrefaçon et d’un engagement de ne pas entraver l’entrée sur le marché des génériques.

295    En l’espèce, en revanche, la Commission a considéré à juste titre, en se fondant sur les éléments de preuve qui figurent notamment au considérant 809 de la décision attaquée, que l’existence d’un paiement inversé, dont le montant correspondait, aux yeux de Merck (GUK), aux bénéfices qu’elle estimait pouvoir obtenir en entrant sur le marché du citalopram avec ses produits génériques, constituait l’un des facteurs pertinents (points 31 et 144 ci-dessus) à prendre en compte en tant qu’élément de contexte permettant d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (considérant 824 de la décision attaquée).

296    Par ailleurs, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle démontre que les paiements inversés excédaient les bénéfices escomptés par Merck (GUK) en cas de commercialisation des génériques pour pouvoir établir l’existence d’une restriction par objet. La simple existence d’un paiement inversé pouvait donc être prise en compte par la Commission en tant qu’élément de contexte pertinent, afin d’établir l’existence d’une telle restriction en l’espèce. En effet, en l’absence d’autre explication, un tel paiement peut être considéré comme une contrepartie aux restrictions prévues par les accords litigieux, étant donné qu’il n’est pas certain que Merck (GUK) aurait accepté de telles restrictions en l’absence de ce paiement (points 262 à 268 ci-dessus) et qu’il ressort des éléments de preuve mentionnés dans la décision attaquée qu’elle a accepté ces restrictions tant que les chiffres « se goupillaient » (considérants 255 et 299 de la décision attaquée).

 Sur l’objectif allégué de compenser les frais engendrés par les accords litigieux

297    La requérante considère que la Commission n’a pas tenu compte des frais de distribution engendrés par l’accord UK, qui auraient conduit Merck (GUK) à conclure qu’elle luttait pour réaliser un bénéfice. De même, s’agissant de l’accord pour l’EEE, elle n’aurait pas tenu compte des éléments de preuve démontrant que le paiement de 12 millions d’euros octroyé en vertu de cet accord était destiné à couvrir des frais réels et prévisionnels et non des bénéfices.

–       Accord UK

298    S’agissant de l’accord UK, la requérante estime que la Commission n’a pas tenu compte du fait que les modalités de distribution prévues par cet accord entraînaient des coûts importants pour Merck (GUK), ce qui a conduit cette dernière à conclure, dans un courriel interne d’avril 2003, qu’elle « lutt[ait] pour réaliser un bénéfice » sur la base de paiements reçus en vertu de cet accord.

299    La Commission a distingué, au considérant 795 de la décision attaquée, d’une part, les bénéfices garantis versés en vertu du point 6.2 de l’accord UK, s’élevant à 9,65 millions de GBP au total pour toute la durée de l’accord, c’est-à-dire du 24 janvier 2002 au 1er novembre 2003, et, d’autre part, le paiement de 3 millions de GBP versé en échange du stock de citalopram générique de Merck (GUK). De ces 3 millions de GBP, seuls 2 millions ont été considérés par la Commission comme un bénéfice net pour Merck (GUK) (considérant 789 de la décision attaquée).

300    S’agissant, plus spécifiquement, de l’absence de prise en compte des frais de distribution encourus par Merck (GUK) en vertu de l’accord UK dans le montant de 9,65 millions de GBP, la Commission a expliqué, au considérant 790 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle a estimé que les 5 millions de GBP initialement versés (auxquels s’ajoutaient 2,4 millions de GBP et 2,25 millions de GBP en vertu des deux prorogations de l’accord) n’étaient pas liés aux services de distribution éventuellement réalisés par Merck (GUK), mais constituaient plutôt un montant garanti, visant à compenser pour Merck (GUK) le fait de ne pas vendre de citalopram générique.

301    La Commission a néanmoins reconnu, aux considérants 790 et suivants de la décision attaquée, que, même si Lundbeck avait déjà un système de distribution bien développé au Royaume-Uni, l’accord de distribution avec Merck (GUK) n’était pas nécessairement inutile pour Lundbeck et ne signifiait pas que Merck (GUK) avait exécuté ces services de distribution sans encourir aucun coût. Cependant, la Commission a tenu compte du fait que, en vertu du point 6.2 de l’accord UK, les bénéfices nets pour Merck (GUK) résultant de la vente du Cipramil de Lundbeck étaient plafonnés à 5 millions de GBP, même si Merck (GUK) commandait plus de 125 000 boîtes de comprimés par mois à Lundbeck pendant la durée de l’accord. Cela lui permettait donc d’augmenter ses marges de bénéfices en réduisant le nombre de boîtes distribuées. En outre, il ressort de cette disposition que, si le prix de marché du Cipramil baissait, Lundbeck s’engageait à réduire le prix de vente auquel elle vendait ce produit à Merck (GUK) afin d’assurer que celle-ci puisse percevoir les 5 millions de GBP de profits nets (considérant 790 de la décision attaquée). Enfin, la Commission a tenu compte du fait que Merck (GUK) avait elle-même indiqué, dans un courriel interne, que ce montant de 5 millions de GBP constituait un bénéfice net, sans opérer aucune déduction (considérants 294 et 797 de la décision attaquée).

302    Or, l’addition des 5 millions de GBP de bénéfices garantis et des 2 millions de GBP de bénéfices pour la livraison du stock de citalopram générique de Merck (GUK) à Lundbeck (point 12 ci-dessus) donne un bénéfice total de 7 millions de GBP, ce qui correspondait au bas de la fourchette des bénéfices prévisionnels estimés par Merck (GUK) pour la première année de commercialisation de son générique (considérants 748, 755 et 809 de la décision attaquée). Comme la Commission le rappelle en outre, le bénéfice net garanti est passé de 400 000 GBP par mois à 750 000 GBP par mois lors de la seconde prorogation de l’accord, sans que des frais de distribution supplémentaires aient été encourus par Merck (GUK).

303    La requérante conteste néanmoins la lecture effectuée par la Commission, au considérant 797 de la décision attaquée, du courriel du 11 mars 2003, reproduit au considérant 294 de ladite décision. Ce courriel interne de Merck (GUK) comprend, sous forme de tableau, les sommes dues en vertu des accords litigieux. Sous l’une de ces colonnes, intitulée « guaranteed profits Feb02-Jan03 », apparaît le chiffre 5 000. L’auteur de ce courriel précisait : « je n’ai pas mentionné le bénéfice réalisé au cours de chaque exercice mais je pourrai le faire si vous en avez besoin », ce qui implique, selon la requérante, que le montant indiqué ne peut pas être considéré comme un bénéfice garanti sans opérer de déductions. Toutefois, comme le fait valoir la Commission, une telle précision n’implique pas que les bénéfices garantis, indiqués comme tels dans le courriel, devraient s’entendre avant déduction de certains coûts. Il semble plutôt que l’auteur du courriel n’avait pas ventilé les bénéfices identifiés par exercice. En tout état de cause, à supposer que certains coûts auraient dû être déduits, la requérante n’a jamais précisé quels auraient été les montants de ces coûts ni à quoi ils auraient dû précisément correspondre, comme les parties l’ont confirmé lors de l’audience.

304    Quant au courriel d’avril 2003, mentionné au considérant 295 de la décision attaquée, dont il ressort qu’un collaborateur de Merck (GUK) relève que celle-ci « luttait pour réaliser un bénéfice », celui-ci doit être replacé dans son contexte, le président-directeur général de Merck (GUK) ayant décidé de ralentir le rythme des ventes du Cipramil à 150 000 boîtes par mois, afin d’améliorer la marge de bénéfices bruts, puisque les 5 millions de GBP garantis se répartiraient alors sur des ventes moindres (voir la note en bas de page n° 1465 de la décision attaquée). À la suite de ce changement de cap, Merck (GUK) a d’abord rejeté l’offre de Lundbeck dans le cadre de la négociation d’une seconde prorogation de l’accord UK, puis est brièvement entrée sur le marché avant que Lundbeck ne fasse une offre plus intéressante.

305    Il ressort donc suffisamment des pièces du dossier et des considérations qui précèdent que les paiements octroyés en vertu de l’accord UK n’ont pas été versés en contrepartie de services de distribution mais bien en vue de compenser les bénéfices que Merck (GUK) estimait pouvoir réaliser en cas de commercialisation de ses produits génériques (point 290 ci-dessus) et donc en contrepartie de son engagement de ne pas entrer sur le marché avec ses produits génériques fondés sur le citalopram de Natco pendant la durée de cet accord.

306    À cet égard, il convient également de rejeter l’argument de la requérante selon lequel aucun élément ne permettrait de conclure que Merck (GUK) aurait obtenu plus de revenus dans le cadre de l’accord UK que ce qu’elle aurait obtenu si elle l’avait emporté dans le cadre d’un litige contentieux. En effet, un tel argument ignore totalement le fait que les paiements en cause s’accompagnaient d’un engagement, de la part de Merck (GUK), de se retirer du marché avec ses produits génériques pendant la durée de l’accord et de livrer ceux-ci à Lundbeck. Certes, si Merck (GUK) avait obtenu gain de cause contre Lundbeck dans le cadre d’un contentieux ou si Lundbeck avait abandonné ses prétentions, comme dans le cas de Neolab (point 293 ci-dessus), Merck (GUK) aurait sans doute pu obtenir des dommages-intérêts équivalents aux bénéfices qu’elle aurait réalisés en cas d’entrée immédiate sur le marché. Cependant, dans un tel cas, un tel dédommagement n’aurait pas permis de retarder l’entrée des génériques sur le marché, mais se serait accompagné, au contraire, d’une entrée immédiate de ceux-ci (point 294 ci-dessus).

307    Le grief de la requérante, fondé sur le fait que les paiements inversés octroyés en vertu de l’accord UK visaient à compenser les frais de distribution générés par cet accord, doit, dès lors, être rejeté.

–       Accord pour l’EEE

308    En ce qui concerne l’accord pour l’EEE, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que celui-ci ne prévoyait aucune obligation pour Merck (GUK) de distribuer le citalopram de Lundbeck sous la forme de produits finis, contrairement à l’accord UK. Merck (GUK) n’a donc pas pu engager de frais de distribution en vertu de cet accord.

309    La requérante estime néanmoins que le paiement de 12 millions d’euros octroyé en vertu de l’accord pour l’EEE correspondait, d’une part, aux frais, d’un montant de 5 millions d’euros, engagés par GUK pour obtenir l’IPA auprès de Natco ainsi qu’à une indemnisation de 2,5 millions d’euros destinée à NM Pharma et, d’autre part, aux coûts internes liés à la transformation de l’IPA en produits finis par l’intermédiaire d’Alphapharm, une autre filiale de Merck Generics, pour des montants de 3 795 000 et de 345 000 dollars des États-Unis (USD).

310    D’une part, il convient de relever, à cet égard, qu’il résulte d’une évaluation interne de Merck (GUK) de mars 2003, mentionnée au considérant 854 de la décision attaquée, que celle-ci a elle-même qualifié le montant de 12 millions d’euros de bénéfices, sans effectuer aucune déduction pour certains coûts qui auraient été encourus. D’autre part, il ne ressort pas des éléments de preuve présentés par la requérante que des frais aient réellement été encourus du fait de la suspension de certaines commandes de citalopram auprès de ses fournisseurs. Comme le fait valoir la Commission, les indemnisations invoquées par la requérante correspondent donc à des estimations de coûts qui n’ont en réalité jamais été encourus.

311    Ainsi, aucun élément de preuve ne permet d’établir que Merck (GUK) ait dû indemniser Natco ou NM Pharma, ce que la requérante n’a contesté ni dans le cadre de la réplique ni à l’audience. Même si elle avait initialement envisagé devoir « s’occuper de Natco » et qu’elle estimait qu’il serait clairement préférable de répercuter ce coût sur Lundbeck, il ressort d’un document interne de Lundbeck du 28 juin 2002, cité au considérant 337 de la décision attaquée, que Lundbeck a finalement refusé de prévoir une compensation pour Natco.

312    En outre, à supposer que certains frais aient pu être encourus, Merck (GUK) n’a pas établi que ces frais résultaient de l’exécution de l’accord pour l’EEE et qu’ils n’auraient pas été encourus, en tout état de cause, en l’absence des accords litigieux ou à l’expiration de ceux-ci. En effet, s’agissant de la suspension de certaines commandes ou de l’IPA déjà commandé, ceux-ci n’ont généré aucun frais supplémentaires pour Merck (GUK), puisque, en août 2003, elle a finalement vendu pour 3 millions de GBP de comprimés au Royaume-Uni, ce qui montre clairement qu’il n’y avait pas de problème concernant la conservation de l’IPA et qu’elle a pu mettre à profit les comprimés déjà commandés (considérants 345 et 854 de la décision attaquée). De plus, comme l’explique la Commission au considérant 854 de la décision attaquée, Merck (GUK) a pu suspendre les commandes d’IPA en cours sans avoir encouru de frais supplémentaires à cet égard.

313    Dès lors, à supposer même que, du point de vue de Merck (GUK), l’accord pour l’EEE aurait engendré des coûts à hauteur de 12 millions d’euros, le paiement garanti par Lundbeck serait revenu à l’indemniser pour des dépenses qu’elle n’avait jamais effectivement engagées ou qu’elle aurait de toute façon engagées en l’absence de cet accord. En effet, les allégations de la requérante selon lesquelles les paiements de Lundbeck constituaient une compensation pour les coûts supplémentaires qu’elle aurait engagés ne sont corroborées par aucun élément de preuve. Par conséquent, ainsi que la Commission l’a constaté à juste titre au considérant 855 de la décision attaquée et dans le cadre du présent recours, la requérante n’a fourni aucune explication alternative convaincante concernant l’importance du paiement inversé effectué en vertu de cet accord.

314    Partant, il y a lieu de considérer que la Commission a établi à suffisance de droit que c’était principalement l’importance du paiement inversé en faveur de Merck (GUK) qui avait incité celle-ci à accepter les limitations régissant sa conduite et que ce paiement constituait un dédommagement des bénéfices qu’elle comptait réaliser sur le marché, sans qu’elle ait à poursuivre ses efforts et à assumer les risques d’une telle entrée sur le marché (considérant 350 de la décision attaquée).

315    Le grief de la requérante selon lequel le paiement de 12 millions d’euros octroyé en vertu de l’accord pour l’EEE était destiné à couvrir les frais réels et prévisionnels générés par cet accord et non des bénéfices doit donc également être rejeté.

c)     Sur les autres arguments de la requérante relatifs à l’analyse du contexte dans lequel Merck (GUK) a conclu les accords litigieux

316    De façon générale, la requérante reproche, en outre, à la Commission de présumer que, en l’absence des accords litigieux, l’entrée des génériques sur le marché aurait été immédiate et que ceux-ci l’ont prétendument entravée. Selon elle, cette analyse ne tiendrait pas compte des documents de l’époque démontrant, d’une part, qu’il existait un risque important de contrefaçon de brevet et, d’autre part, qu’un lancement à risque aurait comporté des risques financiers importants pour Merck (GUK). Par conséquent, selon elle, la Commission n’a pas apprécié correctement le contexte économique et juridique global qui entourait la conclusion des accords litigieux en concluant à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet.

317    Premièrement, s’agissant de l’allégation de la requérante selon laquelle l’échange de courriels du 6 juin 2002 entre le directeur de la propriété intellectuelle de Merck (GUK) et son directeur général aurait été écarté pour défaut de pertinence, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que la décision attaquée examine au contraire le contenu de ces courriels dans ses considérants 330 et 331.

318    La Commission a ainsi estimé que l’affirmation selon laquelle Merck (GUK) craignait de ne pas l’emporter devant les tribunaux devait être replacée dans le contexte de cet échange de courriels, duquel il ressort que le cadre le plus élevé de GUK chargé des questions de propriété intellectuelle estimait que le montant proposé par Lundbeck à Merck (GUK) dans le projet d’accord pour l’EEE était « beaucoup trop bas », que, « si Merck et Natco [étaient] le pire cauchemar de Lundbeck, [cette dernière pouvait] se permettre de payer plus pour l’avantage qu’[elle obtenait] », que « [la] position [de Merck (GUK)] en matière de brevet [était] solide et [que] Lundbeck n’a[vait] à ce jour pas répondu à [ses] courriers au Royaume-Uni » et que « [c]eci [devait] être de bon augure et rendra[it] extrêmement difficile toute tentative future de Lundbeck d’obtenir une injonction au Royaume-Uni ». En réponse, le directeur général de GUK, mentionné comme un « employé de Merck (GUK) » dans la décision attaquée, a adopté une position plus commerciale et nuancée, estimant qu’il y avait deux façons de voir la situation, la première étant que Merck (GUK) concluait un règlement amiable parce qu’elle pourrait ne pas l’emporter devant les tribunaux, auquel cas « Natco ne vendrait pas son produit de toute façon, à tout le moins pas pendant une période d’injonction » et la seconde étant qu’il était « logique de prêter attention à Natco » en termes d’indemnisation en cas de conclusion de l’accord et que la meilleure solution serait de « répercuter ce coût sur Lundbeck » autant que possible.

319    Il ressort donc de cet échange, qui a dûment été pris en considération par la Commission dans la décision attaquée, que Merck (GUK) devrait faire face à une incertitude commerciale dans le cas où un contentieux en matière de brevet devait être porté devant les tribunaux. En revanche, rien n’indique que Merck (GUK) ait envisagé d’accepter les limitations régissant sa conduite sans les sommes considérables promises par Lundbeck en vertu des accords litigieux. Au contraire, les éléments de preuve démontrent que Merck (GUK) était particulièrement confiante dans sa position en matière de brevet au moment de conclure les accords litigieux et que tout était mis en œuvre pour assurer une entrée sur le marché dès l’expiration des brevets originaires de Lundbeck (point 211 ci-dessus).

320    De même, il ressort du courriel interne de Merck (GUK) du 19 novembre 2001 que, si l’auteur dudit courriel indique que le citalopram de Natco « contrefait littéralement » l’un des brevets de Lundbeck, il poursuit en affirmant que ce brevet ne doit pas être valide en raison de l’absence d’un élément de nouveauté. En outre, il s’agit, dans ce courriel, d’un autre brevet que le brevet sur la cristallisation, qui n’avait été délivré qu’en Espagne (note en bas de page n° 508 de la décision attaquée). L’observation selon laquelle ce brevet « devrait faire l’objet d’un suivi » ne permet donc pas d’établir, au vu des éléments de preuve avancés par la Commission dans la décision attaquée, que Merck (GUK) considérait que les brevets de Lundbeck constituaient un problème.

321    Quant au courriel de Merck (GUK) du 21 juin 2001, adressé à un distributeur en Suède, s’il est vrai que celui-ci est antérieur à la publication de la demande du brevet sur la cristallisation de Lundbeck, comme l’indique la requérante, il n’en reste pas moins que ce courriel établit effectivement que Merck (GUK) estimait à l’époque avoir de grandes chances de l’emporter en cas de contentieux et que le risque de faire l’objet d’injonctions en Suède en cas de commercialisation de son produit via son distributeur NM Pharma était faible (considérants 316 et 836 de la décision attaquée).

322    Par ailleurs, s’agissant des menaces qui ont été proférées par Lundbeck à l’encontre des fabricants de génériques en septembre 2001 à la suite de l’arrêt Paroxetine, point 216 supra, selon lesquelles lesdits fabricants sont « forcément coupables de contrefaçon de brevets » et Lundbeck va les « poursuivre en justice », il suffit de constater, ainsi que le relève la Commission au considérant 748 de la décision attaquée, que, loin d’être intimidée par de telles menaces, la requérante a répondu ce qui suit : « Bonne chance […] cela ne nous empêche[ra] pas de lancer [notre produit.] »

323    Enfin, dans la mesure où la requérante réitère son allégation selon laquelle la Commission aurait dû prendre position sur la validité du brevet sur la cristallisation de Lundbeck ou sur le caractère contrefaisant ou non de ses produits génériques ainsi que sur l’incertitude qui existait pour les entreprises de génériques étant donné l’existence et la portée de ce brevet, il y a lieu de renvoyer aux éléments figurant aux points 288 et suivants ci-dessus.

324    Deuxièmement, dans la mesure où la requérante réitère son allégation selon laquelle la Commission ne saurait se fonder sur la conviction alléguée d’une entreprise quant à l’issue d’un contentieux hypothétique afin d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, force est de constater, à nouveau, que la Commission n’a commis aucune erreur en se fondant sur de tels éléments de contexte en l’espèce (point 214 ci-dessus).

325    Troisièmement, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir examiné la question de savoir si le fait d’engager un contentieux constituait une solution alternative réaliste, en particulier en tenant compte du fait que ces contentieux se seraient déroulés à l’échelle de l’EEE.

326    La Commission a, aux considérants 77 et 78 de la décision attaquée, examiné le cadre réglementaire applicable aux brevets et les règles en matière de charge de la preuve en cas de contentieux. Ainsi, elle a précisé qu’il incombait à chaque partie de prouver ses allégations en cas de contentieux. La Commission a considéré également que la présomption de validité attachée à un brevet ne signifiait pas qu’une entreprise de génériques ne pouvait jamais commercialiser ses produits sur le marché lorsqu’elle était en présence de tels brevets, puisqu’une AMM pouvait être octroyée par les autorités compétentes dans l’EEE sans égard à la situation en matière de brevets.

327    En outre, la Commission a également établi, à juste titre, que les accords litigieux n’avaient pas réellement permis de résoudre un litige, même potentiel, contrairement à ce que prétend la requérante. En effet, si ces accords ont, certes, incité la requérante à ne pas entrer sur le marché avec ses produits génériques pendant la durée desdits accords, en contrepartie d’un paiement et en évitant ainsi les risques liés au contentieux, ils ne lui garantissaient nullement de pouvoir entrer sur le marché et de ne pas être exposée à ces risques à l’expiration de ces accords, puisque Lundbeck ne s’était nullement engagée, en vertu de ceux-ci, à ne pas introduire d’actions en contrefaçon en cas d’entrée de Merck (GUK) sur le marché à l’issue de cette expiration. Par ailleurs, il n’existait aucune certitude que Lundbeck aurait effectivement intenté des actions contentieuses dans tous les cas (point 122 ci-dessus).

328    Enfin, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit d’autres objectifs légitimes (point 280 ci-dessus).

329    Or, en l’espèce, à supposer même que la requérante ait estimé préférable de conclure les accords litigieux plutôt que d’entrer « à risque » sur le marché du citalopram avec son produit générique et de devoir faire face à d’éventuelles actions contentieuses, il n’en reste pas moins que les accords litigieux, en prévoyant son retrait du marché en contrepartie d’un paiement pendant un certaine période, contenaient des restrictions suffisamment graves de la concurrence pour constituer, au vu des autres éléments de contexte pris en compte par la Commission, une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

330    Par conséquent, l’argument de la requérante, qui consiste à mettre en évidence les coûts élevés qui auraient été associés aux différents contentieux en matière de brevets, ne saurait également être retenu.

331    En effet, la Commission ne conteste pas que, suivant la juridiction et le type de dossier, les coûts d’un contentieux en matière de brevets puissent être élevés. Elle a estimé, toutefois, à juste titre, que ces coûts faisaient partie des risques inhérents à tout contentieux en matière de brevet, mais que Merck (GUK) était confiante quant à ses chances de l’emporter en cas de litige, même si elle était consciente du degré de risque inévitable de tout contentieux afférent à un brevet. C’est sans commettre d’erreur, dès lors, que la Commission a considéré que les risques inhérents au lancement des produits génériques sur le marché et à un contentieux éventuel ne justifiaient pas la conclusion d’un accord prévoyant une exclusion du marché ou des limitations de l’autonomie commerciale d’une des parties en contrepartie d’un paiement, comme en l’espèce.

332    S’il est vrai que la Commission ne saurait exiger d’une entreprise qu’elle prenne des risques commerciaux qu’elle ne souhaite pas prendre, les démarches et les investissements accomplis par Merck (GUK) en vue d’entrer sur le marché démontrent que celle-ci était prête à courir les risques qu’une telle entrée comportait en l’espèce (points 66 et 67 ci-dessus et considérants 739 et suivants de la décision attaquée). Il est erroné, dès lors, de considérer, comme le fait la requérante, que la décision attaquée oblige les entreprises de génériques à engager des contentieux coûteux ou à prendre des risques qu’elle ne souhaitent pas prendre, puisque la décision attaquée ne condamne pas tous types de règlements amiables en matière de brevets, mais uniquement ceux qui prévoient une exclusion du marché en contrepartie d’un paiement, comme en l’espèce (point 144 ci-dessus).

333    Quatrièmement, la requérante fait valoir que, à supposer que Merck (GUK) ait tenté de lancer son générique sur le marché, elle aurait été empêchée de lancer son produit du fait qu’elle se serait exposée à des litiges en matière de brevet pendant une période plus longue que celle pendant laquelle elle s’était engagée à ne pas lancer ses produits génériques sur le marché en vertu des accords litigieux. Elle invoque un tableau qui fait état de la date de lancement probable de son générique dans plusieurs États de l’EEE en se fondant sur la durée moyenne des procédures dans ces États telle qu’estimée par la Commission dans son rapport d’enquête final sur le secteur pharmaceutique.

334    Il convient de relever, tout d’abord, que cet argument confond à nouveau les notions de concurrence réelle et de concurrence potentielle.

335    En outre, un tel argument repose sur la prémisse erronée selon laquelle, si Merck (GUK) avait tenté de lancer ses produits génériques sur le marché, elle aurait inévitablement été poursuivie en justice par Lundbeck dans tous les États de l’EEE où un tel lancement aurait eu lieu et Lundbeck l’aurait inévitablement emporté, dans tous les cas, en obtenant des injonctions ou des dommages-intérêts.

336    Or, comme la Commission l’a constaté aux considérants 303, 755 et 837 de la décision attaquée, lorsque Merck (GUK) est entrée brièvement sur le marché du citalopram au Royaume-Uni, en août 2003, ainsi qu’en Suède, par l’intermédiaire de son distributeur NM Pharma, en mai 2002, elle n’a fait l’objet d’aucune poursuite de la part de Lundbeck.

337    En outre, selon les estimations de Merck (GUK) à l’époque, Lundbeck avait peu de chances de l’emporter en cas de contentieux. En Suède par exemple, elle avait estimé que les chances que Lundbeck obtienne une injonction étaient très faibles (considérant 836 de la décision attaquée). Lundbeck elle-même considérait qu’il « serait naïf de penser qu’il n’est pas possible pour des producteurs de génériques de produire du Cipramil sans enfreindre [son] brevet » (considérant 634 de la décision attaquée).

338    Enfin, il convient de rappeler que c’est à Lundbeck qu’incombait la charge de prouver que les produits génériques de Merck (GUK) violaient ses brevets et que, en l’absence d’une telle démonstration, Merck (GUK) pouvait valablement continuer à commercialiser ses produits, à condition qu’elle ait obtenu une AMM à cette fin, ce qui était le cas en l’espèce, à tout le moins au Royaume-Uni et en Suède.

339    Cinquièmement, la requérante fait valoir néanmoins que, si NM Pharma était restée sur le marché suédois, elle aurait certainement fait l’objet d’une procédure judiciaire engagée par Lundbeck et qu’elle se serait exposée à devoir verser des dommages-intérêts importants, susceptibles de mettre son entreprise en péril.

340    Toutefois, à supposer même qu’il soit établi que des procédures judiciaires auraient inévitablement été engagées par Lundbeck, cela ne permet pas d’inférer, comme le fait la requérante, que Lundbeck aurait certainement eu gain de cause dans le cadre de telles actions, ou qu’elle aurait inévitablement pu obtenir des dommages-intérêts.

341    Certes, il existait un risque, pour Merck (GUK) ou NM Pharma, d’être exposée à de telles actions, mais un tel risque faisait partie des risques inhérents à tout lancement de produits génériques sur le marché et ne justifiait pas la conclusion d’un accord prévoyant une exclusion du marché en contrepartie d’un paiement, comme en l’espèce.

342    Par ailleurs, les chiffres avancés par la requérante portant sur les dommages-intérêts qu’elle aurait hypothétiquement pu devoir verser ne tiennent aucun compte des bénéfices que Merck (GUK) aurait tirés de la vente du citalopram générique, comme le fait valoir la Commission. Ces bénéfices auraient été d’autant plus substantiels si Merck (GUK) avait été la première entreprise de génériques à lancer son produit sur le marché. Ainsi, les ventes de NM Pharma en Suède étaient « très prometteuses » (considérants 325 et 336 de la décision attaquée) et les ventes de Merck (GUK) au Royaume-Uni sur quatre jours à peine, entre le 1er et le 4 août 2003, avaient atteint un montant de 3,3 millions de GBP (considérant 742 de la décision attaquée).

343    Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter les premier, deuxième et troisième moyens de la requérante.

III –  Sur le cinquième moyen, tiré de ce que la Commission a conclu à tort que les accords litigieux ne remplissaient pas les conditions d’exemption énoncées à l’article 101, paragraphe 3, TFUE

344    La requérante fait valoir, à titre subsidiaire, que, à supposer que l’existence d’une restriction par objet soit établie, la Commission a conclu à tort que les accords litigieux ne remplissaient pas les conditions d’exemption énoncées à l’article 101, paragraphe 3, TFUE. La Commission aurait omis d’effectuer une analyse complète de tous les accords pris individuellement, en excluant de manière sommaire l’applicabilité de l’article 101, paragraphe 3, TFUE pour l’ensemble des accords litigieux, alors même qu’elle reconnaîtrait par ailleurs qu’un accord peut viser à résoudre un litige de manière amiable d’un commun accord entre les parties, dans le but d’éviter des procédures onéreuses supplémentaires et le risque qu’un tribunal ne rende une décision défavorable à l’une ou l’autre des parties.

345    Elle estime que les informations qu’elle a fournies au cours de la procédure administrative permettent clairement de conclure que les accords litigieux lui ont permis de lancer son citalopram générique avant l’expiration des brevets de Lundbeck, en évitant le risque de dédommagement et en économisant les frais de procédure. Or, la Commission n’aurait pas procédé à un examen sérieux de ces éléments, au sens de la jurisprudence.

346    La Commission rappelle qu’elle a déjà examiné ces arguments dans la décision attaquée et qu’elle a rejeté l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE aux accords litigieux aux considérants 1212 et suivants de ladite décision.

347    Il convient de rappeler que l’article 101, paragraphe 3, TFUE permet aux entreprises de se défendre contre l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE en démontrant que quatre conditions sont réunies :

–        premièrement, l’accord en cause doit contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique ;

–        deuxièmement, l’accord ne doit pas imposer de restrictions qui ne soient pas indispensables pour atteindre ces objectifs ;

–        troisièmement, il doit donner aux consommateurs une partie équitable des bénéfices obtenus ;

–        quatrièmement, il ne doit pas permettre aux entreprises d’éliminer toute concurrence ou une partie substantielle de celle-ci pour les produits en question.

348    L’article 2 du règlement n° 1/2003 prévoit, comme la jurisprudence (arrêt du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, Rec, EU:C:2009:610, point 82), que c’est à la partie qui se prévaut de l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE qu’incombe la charge de la preuve à cet égard, ce qui implique de démontrer que ces quatre conditions sont remplies pour l’infraction en cause.

349    En premier lieu, la requérante fait valoir que les accords litigieux lui ont permis d’atteindre d’autres objectifs légitimes.

350    Premièrement, elle estime que les accords litigieux lui ont permis d’accélérer le lancement du citalopram générique et critique, à cet égard, la manière dont la Commission a rejeté cet argument aux considérants 1228 à 1230 de la décision attaquée, sans aucune analyse prospective consistant à examiner la probabilité que les accords litigieux permettent d’obtenir des avantages objectifs, sensibles ou non. Or, les données disponibles démontreraient que, si elle avait engagé une procédure au lieu de conclure des accords litigieux, elle n’aurait pas pu raisonnablement s’attendre à lancer son produit avant l’expiration desdits accords, étant donné que la durée moyenne des procédures afférentes aux brevets était de 2,8 ans dans l’EEE.

351    Il convient de relever à cet égard, à l’instar de la Commission, que les accords litigieux ont plutôt permis de retarder une entrée sur le marché potentiellement immédiate de Merck (GUK) au Royaume-Uni, ainsi que sur d’autres marchés de l’EEE, et ont même conduit à ce que NM Pharma se retire du marché suédois alors qu’elle y était entrée pendant plus de cinq mois avec succès. En outre, il n’existait aucune certitude que Lundbeck entame des actions en contrefaçon contre Merck (GUK) en cas d’entrée à risque de celle-ci sur le marché, et encore moins qu’elle obtienne gain de cause dans tous les cas. Enfin, les accords litigieux ne contenaient aucune clause garantissant aux entreprises de génériques de pouvoir entrer sur le marché à l’expiration de ceux-ci.

352    Deuxièmement, la requérante soutient que les accords litigieux lui ont permis d’éviter des frais de procédure importants et de ne pas être exposée à des risques de dédommagements qui auraient mis sa viabilité financière en péril. Elle affirme qu’elle a suffisamment justifié les gains d’efficacité résultant des frais de procédure évités, contrairement à ce que la Commission a constaté dans la décision attaquée, et que le fait d’éviter une procédure hasardeuse implique des gains d’efficacité substantiels.

353    Il suffit de constater, à cet égard, que la Commission a réfuté cet argument aux considérants 1222 et 1223 de la décision attaquée, dans lesquels elle a considéré que les accords litigieux ne permettaient pas d’éviter les coûts liés aux contentieux, puisqu’ils ne contenaient aucun engagement de la part de Lundbeck de ne pas entamer de tels contentieux après leur expiration. Comme le fait valoir la Commission, la circonstance qu’aucun contentieux n’ait été initié par Lundbeck après l’expiration des accords litigieux résulte uniquement du fait que d’autres fabricants de génériques avaient déjà intégré le marché avec succès et non desdits accords.

354    En outre, il convient de relever, à l’instar de la Commission au considérant 1123 de la décision attaquée, qu’aucune partie aux accords litigieux n’a suffisamment mis en évidence les gains d’efficacité spécifiques qui auraient été générés en évitant ces coûts, étant donné que, selon la jurisprudence, les efficiences prévues à l’article 101, paragraphe 3, TFUE doivent être objectives et ne sauraient être limitées à des bénéfices subjectifs pour les parties tels qu’une augmentation de leurs profits (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec, EU:C:1966:41, p. 503).

355    Troisièmement, la requérante estime que l’accord pour l’EEE a permis d’éviter le risque de décisions de justice divergentes au sein de l’EEE. La Commission n’aurait pas répondu à cet argument, alors même qu’elle aurait estimé dans son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique que ce risque constituait inévitablement une atteinte à la sécurité juridique pour les entreprises qui commercialisent un produit donné sur d’autres marchés de l’Union.

356    Toutefois, la requérante n’établit pas en quoi les accords litigieux auraient permis d’éviter des décisions de justice divergentes, alors même qu’ils ne contenaient aucun engagement de la part de Lundbeck de ne pas ester en justice après leur expiration. Dès lors, les chiffres invoqués par la requérante, qui font état de plusieurs millions d’euros de frais de contentieux évités pour l’ensemble de l’EEE, ne sont pas pertinents, dans la mesure où il n’apparaît pas que ces coûts ont pu être évités de manière certaine par les accords litigieux. S’il est vrai que, finalement, aucun contentieux n’a été initié par Lundbeck après l’expiration des accords, c’est principalement parce qu’un tel contentieux n’avait plus aucun intérêt, étant donné que d’autres producteurs de génériques, tels que Lagap au Royaume-Uni, étaient déjà entrés sur le marché à ce moment.

357    En deuxième lieu, la requérante fait valoir que les accords litigieux étaient nécessaires pour générer les gains d’efficacité invoqués.

358    Premièrement, elle conteste, à cet égard, la présomption sur laquelle s’est fondée la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle un règlement amiable portant uniquement sur la date d’entrée sur le marché et ne contenant pas de paiement inversé aurait permis à Merck (GUK) de procéder au lancement de son générique à la même date.

359    Il suffit de constater que la requérante n’a apporté aucune preuve tangible à cet égard et qu’elle se borne à rappeler son argumentation antérieure, fondée notamment sur la théorie économique selon laquelle les paiements inversés peuvent être justifiés dans certains cas. Elle ne conteste pas, cependant, que, en l’espèce, les accords litigieux contenaient des paiements inversés importants et qu’ils étaient liés à un engagement de la part de Merck (GUK) de se retirer du marché avec ses produits génériques pendant la durée de ceux-ci. La Commission n’était pas tenue, dès lors, d’établir que Merck (GUK) serait certainement entrée plus tôt sur le marché en l’absence des accords litigieux, puisque c’est le fait même que cette possibilité ait été éliminée qui constitue une restriction de la concurrence en l’espèce (point 174 ci-dessus).

360    Deuxièmement, comme le fait valoir la Commission, la requérante n’a pas démontré, à supposer que les accords aient donné lieu à des frais de procédure moins élevés ou qu’ils aient permis d’éviter des décisions de justice divergentes, en quoi ces avantages seraient de nature à compenser les inconvénients qui en résultent pour la concurrence.

361    En effet, il y a lieu de constater, à l’instar de la Commission, que, à supposer que les restrictions prévues par les accords litigieux aient permis d’obtenir les avantages allégués par la requérante, celles-ci iraient manifestement au-delà de ce qui était nécessaire au titre de la deuxième condition de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, étant donné que la conclusion d’autres types de règlements amiables, moins restrictifs pour la concurrence, était possible.

362    Troisièmement, la requérante n’a fourni aucun élément de preuve quant à la nécessité de conclure de tels accords pour financer ses activités de recherche et de développement.

363    En troisième lieu, selon la requérante, les accords litigieux ont permis aux consommateurs de bénéficier d’une partie équitable du profit, puisque ceux-ci ont permis, d’une part, de lancer un produit générique sur le marché bien avant l’expiration des brevets en vigueur et dans un délai inférieur à celui prévu en cas de contentieux et, d’autre part, d’éviter à Merck (GUK) des pertes et des risques importants en termes de frais de procédure et de préjudice, qui auraient freiné ses initiatives en matière de développement et de lancement de produits.

364    Un tel argument doit également être rejeté.

365    En effet, il ressort des éléments du dossier et, en particulier, du contenu des accords litigieux que ceux-ci ne prévoyaient aucune date précise à laquelle les producteurs de génériques auraient pu entrer sur le marché du citalopram avant l’expiration des brevets de Lundbeck. Comme l’a constaté la Commission au considérant 662 de la décision attaquée, les accords litigieux ne contenaient aucun engagement de la part de Lundbeck de ne pas intenter d’actions en contrefaçon en cas d’entrée des génériques sur le marché après l’expiration des accords. Ces accords n’ont donc pas véritablement résolu un contentieux ou permis une entrée plus rapide des génériques sur le marché, comme le prétend la requérante, mais ont simplement permis à Lundbeck de gagner du temps en retardant l’entrée des génériques sur le marché du citalopram moyennant le paiement de sommes importantes aux producteurs de génériques tels que Merck (GUK).

366    C’est donc sans commettre d’erreur que la Commission a conclu que les conditions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE n’étaient pas remplies en l’espèce.

367    Partant, le cinquième moyen doit également être rejeté.

IV –  Sur le sixième moyen, tiré, en substance, d’une violation des droits de la défense de la requérante

368    La requérante fait valoir, par ce moyen, que la décision attaquée a violé ses droits de la défense en introduisant dans la décision attaquée de nouveaux éléments et allégations qui ne figuraient pas dans la communication des griefs, ni dans l’exposé des faits.

369    Il y a lieu de rappeler que le respect des droits de la défense est un droit fondamental du droit de l’Union, consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux, qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure (voir arrêt du 17 décembre 2014, Pilkington Group e.a./Commission, T‑72/09, EU:T:2014:1094, point 232 et jurisprudence citée).

370    Le respect des droits de la défense exige ainsi que l’entreprise intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction au traité (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 82 supra, EU:C:2004:6, point 66 ; voir également, en ce sens, arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec, EU:C:1979:36, point 9).

371    En ce sens, l’article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 prévoit, d’une part, que la Commission donne aux entreprises et aux associations d’entreprises visées par la procédure qu’elle mène l’occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs qu’elle retient et, d’autre part, que la Commission ne fonde ses décisions que sur les griefs au sujet desquels les parties concernées ont pu faire valoir leurs observations.

372    Cette exigence doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence selon laquelle la communication des griefs doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Toutefois, cette indication peut être faite de manière sommaire et la décision ne doit pas nécessairement être une copie de l’exposé des griefs, car cette communication constitue un document préparatoire dont les appréciations de fait et de droit ont un caractère purement provisoire (voir arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 82 supra, EU:C:2004:6, point 67 et jurisprudence citée).

373    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments de la requérante.

374    Premièrement, celle-ci fait valoir que la Commission aurait constaté pour la première fois dans la décision attaquée que les paiements inversés étaient déterminants aux fins de l’appréciation juridique du cas d’espèce, indépendamment de la question de savoir si les restrictions convenues entre les parties dans les accords litigieux entraient dans le champ d’application du brevet ou non (considérant 660 de la décision attaquée). Dans la communication des griefs, la Commission aurait constaté, au contraire, que l’existence de paiements ne constituait qu’un des facteurs, parmi d’autres, ayant contribué à la constatation d’une restriction par objet.

375    C’est à tort que la requérante prétend que la décision attaquée ne se fonderait plus sur l’allégation selon laquelle l’existence des paiements inversés ne constituait qu’un des facteurs, parmi d’autres, ayant contribué à la constatation d’une restriction par objet. Une telle conclusion ressort en effet explicitement des considérants 661 et 662 ainsi que des considérants 824 et 874 de la décision attaquée (point 31 ci-dessus). En effet, force est de constater, à cet égard, contrairement à ce qu’affirme la requérante, que le considérant 480 de la communication des griefs indiquait explicitement que l’existence d’un paiement inversé était décisive aux fins de l’appréciation juridique des accords litigieux, en des termes identiques à ceux utilisés au considérant 660 de la décision attaquée. En outre, il ressort clairement de la communication des griefs que des limitations entrant dans le champ d’application du brevet peuvent également constituer une restriction par objet. Ainsi, il est précisé, au considérant 479 de la communication des griefs, que des accords qui, sans égard uniquement à la force des brevets, ne font que différer l’entrée potentielle des génériques sur le marché moyennant des incitations positives de l’entreprise détentrice de brevets envers l’entreprise de génériques peuvent constituer une restriction de la concurrence par objet, y compris, en particulier, lorsque ces limitations excèdent le champ d’application de ces brevets.

376    Deuxièmement, la requérante estime que la Commission aurait conclu pour la première fois, dans la note en bas de page n° 1435 et au considérant 766 de la décision attaquée, que les accords litigieux et l’accord Schweizerhall « se renforçaient mutuellement ». Cette nouvelle allégation aurait constitué un élément essentiel des conclusions de la Commission selon lesquelles les accords litigieux dépassaient le champ d’application des brevets de Lundbeck puisqu’ils n’étaient pas restreints au produit de Natco, alors que la communication des griefs considérait qu’une telle restriction était une conséquence nécessaire de l’accord UK.

377    À cet égard, il convient de rappeler qu’il a été constaté, dans le cadre de l’examen du premier moyen, que la Commission avait commis une erreur d’appréciation en effectuant une telle interprétation combinée de ces deux accords pour parvenir à la conclusion que l’accord UK contenait des restrictions dépassant le champ d’application des brevets de Lundbeck (points 155 à 170 ci-dessus).

378    Une telle erreur d’appréciation n’a pas été jugée suffisante, toutefois, pour remettre en cause la légalité de la décision attaquée, dans la mesure où ladite décision ne conditionne pas l’existence d’une restriction de la concurrence par objet à la présence, dans les accords litigieux, de restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck (points 142 et 143 ci-dessus).

379    Dès lors, à supposer même qu’une violation des droits de la défense de la requérante puisse être établie sur ce point, elle ne saurait avoir eu une influence sur la légalité de la décision attaquée.

380     En effet, il ressort d’une jurisprudence constante qu’une violation des droits de la défense n’est pas susceptible, en elle-même, d’affecter la validité de la décision attaquée dans son ensemble dès lors que celle-ci n’est pas fondée sur les seules données en cause. En revanche, dans un tel cas, il appartient au Tribunal de faire abstraction du contenu de ces documents lors de l’examen du bien-fondé de la décision (voir, en ce sens, arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec, EU:C:1983:158, point 30, et du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec, EU:T:1998:103, point 74). Or, en l’espèce, la référence à l’accord Schweizerhall qui figure notamment au point 178 ci-dessus a été effectuée à titre surabondant et ne constitue pas un élément nécessaire pour l’examen du bien-fondé de la décision attaquée.

381    Troisièmement, la requérante estime que l’éventualité que Merck (GUK) change de source d’IPA en résiliant son contrat de fourniture existant avec Schweizerhall ne ressortait pas de la communication des griefs. Elle relève que la Commission aurait prétendu pour la première fois, aux considérants 635 et 845 de la décision attaquée, que Merck (GUK) aurait pu entrer sur les marchés de l’EEE sans retard important en acquérant une AMM existante ou en résiliant son accord d’approvisionnement avec Schweizerhall portant sur le citalopram de Natco, alors qu’aucune de ces allégations ne figurait dans la communication des griefs.

382    La Commission renvoie, à cet égard, aux considérants de la communication des griefs qui ont trait à la concurrence potentielle et effective entre Merck (GUK) et Lundbeck. Elle renvoie uniquement, toutefois, à un point de l’exposé des faits, d’où il ressort que, en septembre 2001, Merck (GUK) envisageait de chercher une seconde source de citalopram, mais qu’elle avait finalement abandonné ce projet.

383    Or, force est de constater qu’une telle mention, dans l’exposé des faits, ne portait pas spécifiquement sur la question de savoir si Merck (GUK) pouvait résilier l’accord conclu avec Schweizerhall et entrer, de ce fait, sur le marché du citalopram avec un autre citalopram générique que celui de Natco, qui figure au considérant 635 et dans la note en bas de page n° 1562 de la décision attaquée.

384    Il y a lieu de relever, cependant, que cet élément ne constitue pas un élément essentiel de la décision attaquée, dans la mesure où il ne constitue qu’une des huit voies d’accès potentielles au marché, identifiées, de manière générale, par la Commission au considérant 635 de la décision attaquée afin d’établir l’existence d’une concurrence potentielle entre les entreprises de génériques et Lundbeck, et que la conclusion de la Commission sur ce point en ce qui concerne Merck (GUK) en particulier repose sur de nombreux autres éléments probants (points 62 à 68 ci-dessus).

385    Dès lors, une violation des droits de la défense de la requérante, à la supposer établie sur ce point, ne saurait avoir d’influence sur la légalité de la décision attaquée (voir la jurisprudence citée au point 380 ci-dessus), dans la mesure où, même en faisant abstraction de cet élément, la requérante n’a pas établi que la Commission aurait pu parvenir à une conclusion différente dans la décision attaquée, que ce soit dans son examen relatif à la concurrence potentielle ou à l’existence d’une restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

386    Or, en l’espèce, la référence à la possibilité de résilier l’accord Schweizerhall qui figure au point 124 ci-dessus a été effectuée à titre surabondant et ne constitue pas un élément essentiel pour l’examen du bien-fondé de la décision attaquée.

387    Quatrièmement, la requérante fait valoir que, alors que la communication des griefs établissait que Merck (GUK) serait entrée selon toute vraisemblance sur le marché, la décision attaquée se contenterait d’établir qu’il existait une possibilité réelle, concrète et réaliste que Merck (GUK) tente d’entrer sur le marché.

388    Il suffit de relever, à cet égard, contrairement à ce que fait valoir la requérante, que la communication des griefs n’a pas établi que Merck (GUK) serait entrée sur le marché en l’absence des accords litigieux, mais qu’il existait une forte probabilité que Merck (GUK) eût pu entrer sur ce marché en l’absence de ces accords (considérants 488, 520 et 528 de la communication des griefs). Cette approche est donc largement analogue à celle suivie par la Commission dans la décision attaquée, à savoir que Merck (GUK) disposait de possibilités réalistes et concrètes d’entrer sur plusieurs marchés de l’EEE (considérants 743 et 832 de la décision attaquée). S’il est vrai qu’il existe, dans certaines parties de la décision attaquée, un certain glissement terminologique, dans la mesure où il est fait référence au fait qu’il existait des possibilités réelles et concrètes que Merck (GUK) ait « essayé » d’entrer sur le marché (considérant 761 de la décision attaquée) ou qu’il existait une forte probabilité que Merck (GUK) ait « essayé » d’entrer sur le marché avec le citalopram de Natco (considérant 839 de la décision attaquée), il n’en reste pas moins que le test relatif à l’existence d’une concurrence potentielle appliqué par la Commission dans la décision attaquée, qui est, par ailleurs, conforme à la jurisprudence (points 69 à 75 ci-dessus), ressort suffisamment de la communication des griefs, de sorte que la requérante a pu faire valoir ses observations utilement sur ce point.

389    Cinquièmement, la requérante considère que la Commission a prétendu pour la première fois dans la décision attaquée que les accords litigieux avaient une incidence sensible sur la concurrence en se fondant sur des parts de marché de Lundbeck qu’elle n’aurait pas été en mesure de vérifier (considérant 215 de la décision attaquée).

390    Un tel argument doit être rejeté d’emblée comme inopérant. En effet, comme le rappelle à juste titre la Commission au considérant 724 de la décision attaquée, un accord susceptible d’affecter le commerce entre États membres et ayant un objet anticoncurrentiel constitue, par sa nature et indépendamment de tout effet concret de celui-ci, une restriction sensible du jeu de la concurrence (arrêt du 13 décembre 2012, Expedia, C‑226/11, Rec, EU:C:2012:795, point 37). La Commission n’était donc pas tenue d’établir de manière détaillée, que ce soit dans la communication des griefs ou dans la décision attaquée, l’existence d’une restriction sensible de la concurrence, dès lors qu’elle avait suffisamment établi que les accords litigieux avaient un objet anticoncurrentiel et étaient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres.

391    En tout état de cause, force est de constater que la communication des griefs contient de nombreux éléments relatifs à l’incidence des accords litigieux sur la concurrence, tels que, notamment, l’estimation des parts de marché de Lundbeck au cours des années suivant l’entrée sur le marché du citalopram générique (considérant 109), l’estimation de Lundbeck selon laquelle les ventes de génériques devraient couvrir 60 % du marché du citalopram (considérant 172), la déclaration de Lundbeck selon laquelle les produits génériques se sont révélés avoir un impact significatif sur la vente de produits de marque au Royaume-Uni (considérant 173), les pièces démontrant que les prix du citalopram générique ont chuté de près de 69 % en quelques mois après l’entrée de Lagap sur le marché du Royaume-Uni (considérant 186), ou encore la circonstance que l’entrée des génériques sur le marché a en général pour effet de faire fortement baisser les prix (considérant 48).

392    Contrairement à ce que fait valoir la requérante, la décision attaquée contient également de nombreux passages qui reflètent ces considérations (voir notamment les considérants 196, 197, 209 à 213 et 726 de la décision attaquée). L’indication des parts de marché de Lundbeck figurant au considérant 215 de la décision attaquée, que la requérante estime n’avoir pas été en mesure de commenter, n’est donc pas décisive à cet égard, de sorte qu’une éventuelle violation des droits de la défense sur ce point ne saurait avoir d’influence sur la légalité de la décision attaquée (voir la jurisprudence citée au point 380 ci-dessus).

393    Sixièmement, la Commission se serait fondée à tort sur « plusieurs avis d’experts » dans la note en bas de page n° 652 de la décision attaquée, sans avoir fourni le moindre élément de preuve à cet égard.

394    À cet égard, il convient de constater qu’il est fait référence, au considérant 334 de la décision attaquée, au fait qu’un responsable de Merck (GUK) a demandé, dans un échange de courriels internes, quels étaient les problèmes en matière brevets, en précisant : « nous avons même des avis d’experts disponibles à propos de nos procédés ». Merck (GUK) a précisé, toutefois, en réponse à l’exposé des faits, que ces avis d’experts, qui témoignaient de la confiance qu’elle avait à l’époque dans le fait que ses produits n’étaient pas contrefaisants, auraient été émis à la fin de 2001, sans tenir compte du brevet sur la cristallisation.

395    Il est difficile de percevoir, néanmoins, en quoi la référence à ces « avis d’experts » dans la note en bas de page n° 652 de la décision attaquée constitue un élément essentiel de cette décision, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 372 ci-dessus, comme le prétend la requérante. En effet, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que la décision attaquée est fondée sur de nombreux autres éléments de preuve qui témoignent de la confiance qu’avait Merck (GUK), avant ou pendant la durée des accords litigieux, dans le fait que ses produits n’étaient pas contrefaisants (voir notamment les considérants 357, 754 et 838 de la décision attaquée). En tout état de cause, à supposer que ce soit le cas, comme le fait valoir la Commission, cette citation figurait également dans l’exposé des faits, au sujet duquel la requérante a pu faire valoir ses observations.

396    Par conséquent, étant donné que, à supposer même qu’une violation des droits de la défense de la requérante puisse être constatée dans les limites mentionnées aux points 376 et 381 ci-dessus, une telle violation ne saurait entraîner l’annulation de la décision attaquée, pour les raisons exposées ci-dessus, il y a lieu de rejeter le sixième moyen de la requérante.

V –  Sur le septième moyen, relatif à une demande d’annulation ou de réduction du montant de l’amende

397    Par ce dernier moyen, la requérante demande, en substance, que la décision attaquée soit annulée à tout le moins dans la mesure où elle lui inflige une amende ou que le montant de cette amende soit réduit.

398    Avant d’examiner ce moyen, il convient de rappeler que le contrôle de légalité des décisions adoptées par la Commission est complété par la compétence de pleine juridiction, qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement n° 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende ou de l’astreinte infligée (arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission, T‑91/11, Rec, EU:T:2014:92, point 156).

399    Il appartient dès lors au Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, d’apprécier, à la date où il adopte sa décision, si la requérante s’est vu infliger une amende dont le montant reflète correctement la gravité et la durée de l’infraction en cause (arrêts InnoLux/Commission, point 398 supra, EU:T:2014:92, point 157, et du 10 décembre 2014, ONP e.a./Commission, T‑90/11, Rec, EU:T:2014:1049, point 352).

400    Il importe cependant de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office (arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑389/10 P, Rec, EU:C:2011:816, point 131).

401    À titre liminaire, il convient de rappeler que la requérante et Merck ont été condamnées solidairement à une amende de 7 766 843 euros (article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée). Ce montant a été calculé en tenant compte de la valeur des paiements obtenus en vertu des accords litigieux (considérants 1361 et 1374 de la décision attaquée) et en appliquant le plafond de 10 % prévu par l’article 23 du règlement n° 1/2003 séparément à Merck et à GUK (considérant 1382 de la décision attaquée).

402    Premièrement, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas fourni d’éléments de preuve clairs, précis et cohérents à l’appui de la constatation d’une restriction par objet et que rien ne justifierait dès lors l’imposition d’une amende.

403    Deuxièmement, elle estime que la Commission n’aurait pas fourni d’éléments de preuve clairs, précis et cohérents à l’appui de sa conclusion selon laquelle elle a commis l’infraction alléguée de propos délibéré ou par négligence, au sens de l’article 23, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003.

404    Troisièmement, elle considère que les faits en cause soulèvent des question nouvelles et complexes pour lesquelles il n’existait pas de précédent à la date à laquelle les accords litigieux ont été conclus et qu’elle ne pouvait pas prévoir que de tels accords constituaient une restriction de la concurrence par objet, étant donné que les accords amiables en matière de brevets ne sont pas illégaux en eux-mêmes, que la Commission avait considéré, selon un communiqué du KFST de 2004, que ces accords se situaient dans une zone grise et qu’il n’était pas certain qu’ils restreignaient la concurrence. Ainsi, la décision de GUK de reporter le lancement de son citalopram n’était pas anticoncurrentielle, ou du moins ce caractère anticoncurrentiel n’était pas suffisamment prévisible, de sorte qu’aucune amende ne se justifierait.

405    La Commission conteste ces allégations.

406    Tout d’abord, dans la mesure où la requérante réitère, dans le cadre de ce moyen, ses arguments relatifs à la qualification de restriction de la concurrence par objet des accords litigieux, ceux-ci doivent nécessairement être rejetés pour les mêmes motifs que ceux retenus dans le cadre de l’examen des autres moyens exposés ci-dessus.

407    En outre, selon la jurisprudence, il n’est pas nécessaire que la requérante ait eu effectivement conscience d’enfreindre l’article 101, paragraphe 1, TFUE en concluant les accords litigieux pour pouvoir établir que l’infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence, au sens de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 1/2003, l’important étant de déterminer si, au vu de la teneur des accords, de leur contexte juridique et économique et du comportement des parties, celles-ci avaient conscience ou devaient avoir conscience du fait que les restrictions prévues par ces accords étaient susceptibles d’enfreindre les règles de concurrence du traité (voir en ce sens, arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec, EU:C:1983:310, point 45 ; du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden‑Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec, EU:C:1983:313, point 107, et du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, Rec, EU:C:2013:404, point 37).

408    Or, en l’espèce, la Commission a rappelé, à juste titre, aux considérants 1312 et 1313 de la décision attaquée, qu’une lecture littérale de l’article 101, paragraphe 1, TFUE permettait de comprendre que des accords entre concurrents visant à exclure certains d’entre eux du marché étaient illégaux. La circonstance que, dans le cas d’espèce, les accords litigieux ont été conclus dans le cadre de règlements amiables portant sur des droits de propriété intellectuelle ne saurait permettre à la requérante d’inférer que l’illégalité de ceux-ci au regard du droit de la concurrence était totalement imprévisible.

409    En effet, il ressort du considérant 190 de la décision attaquée, par exemple, que, lorsque NM Pharma s’est vu proposer le même type d’accord par Lundbeck, elle a estimé ne pas pouvoir engager de discussions sur ce sujet en raison de son code de conduite et de sa politique antitrust. De même, il ressort du considérant 265 de la décision attaquée que, en réaction à un courriel envoyé à Merck (GUK), daté du 18 janvier 2002 et contenant des estimations chiffrées des profits qui seraient réalisés en cas d’achat du citalopram de Lundbeck, un employé de Lundbeck a commenté qu’il « désapprouv[ait] fortement le contenu de ce courriel […], cela [étant] illégal ».

410    Par ailleurs, il n’est pas requis, afin d’établir une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, que la Commission démontre que les mêmes types de pratiques ou d’accords ont déjà été condamnés auparavant au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, puisqu’il était suffisamment établi au moment de la conclusion des accords litigieux que le fait d’exclure des concurrents réels ou potentiels du marché constituait une restriction de la concurrence par objet (points 150 et 151 ci-dessus).

411    Quant au communiqué de presse du KFST, force est de constater, tout d’abord, que celui-ci n’émane pas de la Commission mais d’une autorité de la concurrence d’un État membre. Or, il convient de rappeler qu’une entreprise ayant enfreint l’article 101 TFUE ne peut pas échapper à l’imposition d’une amende lorsque ladite infraction a pour origine une erreur de cette entreprise sur la licéité de son comportement en raison de la teneur d’un avis juridique d’un avocat ou de celle d’une décision d’une autorité nationale de concurrence (arrêt Schenker & Co. e.a., point 407 supra, EU:C:2013:404, point 43).

412    En outre, en l’espèce, loin de faire planer un doute sur l’applicabilité de l’article 101 TFUE aux accords litigieux, ce communiqué précisait que les accords litigieux pouvaient influencer la concurrence, s’il apparaissait que Lundbeck avait payé des concurrents pour qu’ils se tiennent à l’écart du marché. Ainsi, ce document précisait clairement que, aux termes d’une appréciation préliminaire, il existait un doute sur la question de savoir si de tels accords étaient anticoncurrentiels ou non, au regard notamment de l’importance du paiement effectué par Lundbeck en faveur des entreprises de génériques, et que la Commission allait dès lors débuter une enquête plus large sur ce type d’accords dans le domaine pharmaceutique. Il ressortait donc clairement de ce communiqué que les accords qui avaient pour objet d’acheter l’exclusion du marché d’un concurrent étaient anticoncurrentiels. À l’issue de son enquête approfondie sur le secteur pharmaceutique, la Commission a pu préciser son approche et saisir pleinement le caractère anticoncurrentiel de certains accords, notamment lorsque ceux-ci impliquent un paiement inversé important, comme en l’espèce.

413    C’est sans commettre d’erreur, dès lors, que la Commission a constaté, au considérant 1301 de la décision attaquée, que les entreprises de génériques telles que la requérante ne pouvaient ignorer que leur comportement, consistant à s’engager à ne pas entrer avec leurs médicaments génériques sur le marché du citalopram en échange de paiements inversés importants, constituait délibérément ou, à tout le moins, par négligence une infraction aux règles du traité sur la concurrence.

414    Enfin, s’agissant de l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction, il y a lieu de souligner que, au considérant 1373 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, bien que Merck (GUK) n’ait pas suffisamment identifié au moyen de preuves concrètes les frais de distribution engendrés par les accords litigieux, il convenait de déduire des montants transférés de Lundbeck à Merck (GUK) 10 % du chiffre d’affaires réalisé par cette dernière pour la distribution du citalopram en vertu de ces accords. En réponse à une question du Tribunal, la Commission a expliqué la méthode utilisée à cet égard. En outre, au considérant 1380 de la décision attaquée, la Commission a décidé d’octroyer une réduction de 10 % du montant de l’amende infligée à la requérante et aux autres destinataires de la décision attaquée pour tenir compte de la durée de la procédure.

415    Dans ces conditions, le Tribunal estime, en faisant usage de sa compétence de pleine juridiction, prévue par l’article 31 du règlement n° 1/2003 conformément à l’article 261 TFUE, qu’il n’y a pas lieu d’octroyer une réduction supplémentaire du montant de l’amende imposé à la requérante, la réduction octroyée par la Commission apparaissant suffisante et équitable au vu des circonstances de l’espèce.

416    À la lumière des considérations qui précèdent, le septième moyen doit être rejeté, y compris en ce qui concerne l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction.

417    Aucun des moyens invoqués par la requérante au soutien de sa demande d’annulation de la décision attaquée n’étant fondé et l’examen des arguments au soutien de sa demande de réduction du montant de l’amende n’ayant pas permis de relever d’éléments inappropriés dans le calcul du montant de celle-ci effectué par la Commission, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

418    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Generics (UK) Ltd est condamnée aux dépens.

Berardis

Czúcz

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 septembre 2016.

Signatures

Table des matières


Résumé des faits et antécédents du litige

I –  Sociétés en cause dans la présente affaire

II –  Produit concerné et brevets concernant celui-ci

III –  Accords litigieux

IV –  Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative

V –  Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

I –  Sur le quatrième moyen, tiré, en substance, de ce que la Commission a conclu à tort dans la décision attaquée que Lundbeck et Merck (GUK) étaient des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux

A –  Analyse relative à la concurrence potentielle dans la décision attaquée

1.  Situation au Royaume-Uni

2.  Situation dans l’EEE

B –  Principes et jurisprudence applicables

1.  Sur la notion de concurrence potentielle

2.  Sur la charge de la preuve

3.  Sur la portée du contrôle exercé par le Tribunal

C –  Sur la concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck

II –  Sur les premier, deuxième et troisième moyens, tirés, en substance, d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

A –  Principes et jurisprudence applicables

B –  Analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée

C –  Sur l’existence d’une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

1.  Contenu des accords litigieux

a)  Accord UK

b)  Accord pour l’EEE

c)  Sur l’absence alléguée de certaines mentions dans les accords litigieux

2.  Sur la finalité des accords litigieux

a)  Sur la stratégie générale de Lundbeck visant à retarder la commercialisation des génériques

b)  Sur la pertinence de la jurisprudence du Royaume-Uni

Arrêt Paroxetine

Litige Lagap

3.  Sur le contexte des accords litigieux

a)  Sur la présomption de validité des brevets de Lundbeck

b)  Sur le transfert de valeur de Lundbeck à Merck (GUK)

i) Sur l’appréciation des paiements inversés dans la décision attaquée

ii) Sur les autres explications avancées par la requérante concernant l’existence des paiements inversés

Sur l’objectif allégué de résoudre des litiges en matière de brevet

Sur l’objectif allégué de compenser les frais engendrés par les accords litigieux

–  Accord UK

–  Accord pour l’EEE

c)  Sur les autres arguments de la requérante relatifs à l’analyse du contexte dans lequel Merck (GUK) a conclu les accords litigieux

III –  Sur le cinquième moyen, tiré de ce que la Commission a conclu à tort que les accords litigieux ne remplissaient pas les conditions d’exemption énoncées à l’article 101, paragraphe 3, TFUE

IV –  Sur le sixième moyen, tiré, en substance, d’une violation des droits de la défense de la requérante

V –  Sur le septième moyen, relatif à une demande d’annulation ou de réduction du montant de l’amende

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.